Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/Le troupiale

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome V, Histoire naturelle des oiseauxp. 641-642).

LE TROUPIALE[1]

Ce qu’il y a de plus remarquable dans l’extérieur de cet oiseau[NdÉ 1] c’est son long bec pointu, les plumes étroites de sa gorge et la grande variété de son plumage : on n’y compte cependant que trois couleurs, le jaune orangé, le noir et le blanc ; mais ces couleurs semblent se multiplier par leurs interruptions réciproques et par l’art de leur distribution : le noir est répandu sur la tête, la partie antérieure du cou, le milieu du dos, la queue et les ailes ; le jaune orangé occupe les intervalles et tout le dessous du corps ; il reparaît encore dans l’iris[2] et sur la partie antérieure des ailes ; le noir qui règne sur le reste est interrompu par deux taches blanches oblongues, dont l’une est située à l’endroit des couvertures de ces mêmes ailes, et l’autre à l’endroit de leurs pennes moyennes.

Les pieds et les ongles sont tantôt noirs et tantôt plombés ; le bec ne paraît pas non plus avoir de couleur constante ; car il a été observé gris blanc dans les uns[3], brun cendré dessus et bleu dessous dans les autres[4] ; et, enfin, dans d’autres, noir dessus et brun dessous[5].

Cet oiseau, qui a neuf à dix pouces de longueur de la pointe du bec au bout de la queue, en a quatorze d’envergure, et la tête fort petite, selon Marcgrave. Il se trouve répandu depuis la Caroline jusqu’au Brésil, et dans les îles Caraïbes. Il a la grosseur du merle ; il sautille comme la pie et a beaucoup de ses allures, suivant M. Sloane ; il en a même le cri, selon Marcgrave ; mais Albin assure qu’il ressemble dans toutes ses actions à l’étourneau, et il ajoute qu’on en voit quelquefois quatre ou cinq s’associer pour donner la chasse à un autre oiseau plus gros, et que, lorsqu’ils l’ont tué, ils dévorent leur proie avec ordre, chacun mangeant à son rang ; cependant M. Sloane, qui est un auteur digne de foi, dit que les troupiales vivent d’insectes. Au reste, cela n’est pas absolument contradictoire ; car tout animal qui se nourrit d’autres animaux vivants, quoique très petits, est un animal de proie, et en dévorera à coup sûr de plus grands, s’il trouve l’occasion de le faire avec sûreté, par exemple, en s’associant comme les troupiales d’Albin.

Ces oiseaux doivent avoir les mœurs très sociales, puisque l’amour qui divise tant d’autres sociétés semble au contraire resserrer les liens de la leur : bien loin de se séparer deux à deux pour s’apparier et remplir sans témoin les vues de la nature sur la multiplication de l’espèce, on en voit quelquefois un très grand nombre de paires sur un seul arbre, et presque toujours sur un arbre fort élevé et voisin des habitations, construisant leur nid, pondant leurs œufs, les couvant et soignant leur famille naissante.

Ces nids sont de forme cylindrique, suspendus à l’extrémité des hautes branches et flottants librement dans l’air ; en sorte que les petits nouvellement éclos y sont bercés continuellement. Mais des gens, qui se croient bien au fait des intentions des oiseaux, assurent que c’est par une sage défiance que les père et mère suspendent ainsi leur nid, et pour mettre la couvée en sûreté contre certains animaux terrestres, et surtout contre les serpents.

On met encore sur la liste des vertus du troupiale la docilité, c’est-à-dire la disposition naturelle à subir l’esclavage domestique ; disposition qui se rencontre presque toujours avec les mœurs sociales.


Notes de Buffon
  1. C’est le troupiale de M. Brisson, t. II, p. 86. Il le nomme en latin icterus (l’un des noms latins du loriot, et qui ne peut convenir aux troupiales noirs) ; d’autres, pica, cissa, picus, turdus, xanthornus, coracias ; les sauvages du Brésil, guira tangeima ; ceux de la Guyane, yapou ; nos colons, cul-jaune ; les Anglais lui ont donné dans leur langue une partie des noms ci-dessus ; Albin, celui d’oiseau de Banana.
  2. Albin ajoute que l’œil est entouré d’une large bande de bleu ; mais il est le seul qui l’ait vue, c’est apparemment une variété accidentelle.
  3. Brisson, Ornithologie, t. II, p. 88.
  4. Albin, t. II, p. 27.
  5. Sloane, Jamaïca ; et Marcgrave, Hist. Brasil., p. 192.
Notes de l’éditeur
  1. L’espèce décrite ici par Buffon est l’Oriolus icterus de Linné ; c’est peut-être une variété de l’Icterus Jamacai des ornithologistes modernes, connue dans l’Amérique du Sud, sous le nom de Soffre, et décrite plus loin par Buffon sous le nom de Carouge. [Note de Wikisource : Il est probable que Buffon confonde ici plusieurs espèces d’orioles très similaires, dont l’actuel Icterus icterus Linnæus, vulgairement oriole troupiale, oiseau de Venezuela et de Colombie, et l’actuel Icterus jamacaii Gmelin, vulgairement oriole des campos, oiseau du Brésil.]