CHAPITRE XVI.

DES OSCILLATIONS DES GLACIERS DANS LES TEMPS HISTORIQUES.


Il n’est pas rare d’entendre parler, dans les Alpes, de glaciers qui avancent ou qui reculent. C’est même un fait sur lequel les montagnards insistent d’une manière toute particulière, sans doute parce qu’il touche de près à leurs intérêts. On rencontre de même, dans beaucoup de villages, des traditions relatives aux oscillations des glaciers qui les avoisinent ; cependant comme ces traditions ne sont pas toujours exemptes d’exagération, on aurait tort de leur accorder une confiance illimitée. Plusieurs erreurs ont été introduites dans la science, parce que les auteurs qui les ont recueillies n’ont pas su comprendre le langage de la tradition. C’est ainsi que beaucoup de personnes, en entendant parler de glaciers qui reculent, s’imaginent que la masse entière se retire effectivement sur elle-même, tandis que les montagnards savent généralement fort bien que ce phénomène de retrait n’est autre chose que le résultat d’une dissolution accélérée de la partie inférieure opérée par la fonte et l’évaporation. Mais un sujet sur lequel il règne réellement des erreurs parmi eux, c’est celui de la progression des glaciers. Ils s’imaginent généralement que les glaciers glissent sur leur fond, et il n’est pas rare de leur entendre raconter des histoires très-extraordinaires sur la vitesse avec laquelle les glaciers cheminent, et sur les bonds qu’ils leur supposent. Comme ce sujet m’intéressait à un haut degré, je m’en suis informé dans beaucoup de villages et de mayens[1], sans jamais avoir rencontré un seul vieillard qui ait pu me dire qu’il avait été lui-même témoin du phénomène. C’était toujours ou son père, ou son frère, ou son aïeul qui le lui avait raconté.

Les oscillations des glaciers ont de tout temps fixé l’attention des naturalistes, parce qu’elles se rattachent d’une manière directe à la question générale de la température du globe. Nous avons vu, plus haut, Chap. 1, pag. 4, que déjà Scheuchzer les avait représentées comme l’un des phénomènes les plus remarquables des glaciers, en citant comme preuve le fait de la chapelle de Sainte-Pétronille, qui fut envahie par la glace.

Mais cette question si importante est devenue réellement scientifique depuis que M. Venetz en a fait l’objet de son célèbre mémoire sur les variations de la température dans les Alpes de la Suisse[2]. L’auteur ne s’est pas seulement borné à signaler certains accidens du sol qui témoignent d’une plus grande extension des glaciers, tels que les moraines situées à des distances plus ou moins considérables de l’extrémité actuelle des glaciers ; il a aussi consulté les anciens registres des paroisses et des communes du Valais, il en a extrait des preuves irrécusables en faveur d’une extension moins considérable de ces mêmes glaciers, à une époque plus récente. Enfin ses nombreuses courses dans toutes les parties des Alpes du Valais lui ont fourni une foule de renseignemens précieux sur les rapports divers des glaciers avec le sol et les lieux environnans. Aussi, ce qui donne à l’ouvrage de M. Venetz une valeur toute spéciale, c’est qu’il est écrit en quelque sorte sur les lieux mêmes où se manifestent ces oscillations. L’auteur a fait preuve d’un rare discernement dans le choix des faits qu’il signale à l’attention publique ; ce qui est d’autant plus difficile, qu’il arrive souvent que certaines localités changent complètement d’aspect sous l’influence de la main de l’homme, sans qu’il soit nécessaire de recourir à des changemens extraordinaires dans l’état physique du sol et de l’atmosphère, pour les expliquer[3].

Les faits nombreux cités par M. Venetz sont rangés par lui en deux catégories. Les uns, qui lui paraissent prouver un abaissement de la température dans les temps historiques, sont empruntés essentiellement aux monumens historiques, et en partie à l’observation directe ; les autres, qui prouvent une élévation de la température, sont des monumens élevés par les glaciers eux-mêmes, pour perpétuer le souvenir de leur présence dans les lieux qu’ils ont jadis envahis. Voici quelques exemples de la première catégorie, que j’emprunte à M. Venetz.

« M. le chanoine Rivaz a trouvé parmi les écrits de la commune de Bagnes plusieurs titres qui constatent que cette commune possédait le droit de libre commerce avec le Piémont, en passant par la Chermontanaz et le col de Ferret. Or, maintenant il est bien rare d’y voir passer des mulets, le chemin y étant devenu très-difficile. Il paraît qu’autrefois on n’avait pas besoin de passer le glacier du Mont-Durand, comme à présent. »

« M. Rivaz a également trouvé, dans ces mêmes archives, un acte qui parle d’un procès que la commune de Bagnes eut avec celle de Liddes, relativement à une forêt située sur le territoire de Bagnes. Cette forêt n’existe plus. Un énorme glacier lui a succédé, et la communication est entièrement détruite en cet endroit. »

« De Zermatt, un passage très-fréquenté conduisait autrefois dans la vallée d’Hérens. En 1816, la commune de Zermatt racheta du chapitre de Sion une redevance provenant d’une procession annuelle qu’elle faisait jusqu’à Sion, en passant par les vallées de Zermatt et d’Hérens. La montagne qui sépare ces deux vallons est actuellement couverte de glaciers qui rendent ce passage tellement dangereux, que les chasseurs les plus hardis ont de la peine à pénétrer d’une vallée à l’autre. »

« De la vallée de Lötsch, en Valais, on ne peut passer qu’à pied dans celle de Gastern, tandis que ce passage était autrefois ouvert aux chevaux. »

« Dans le vallon de Grub (Grubthaeli), qui domine les mayens de Gruben et Meiden, dans la vallée de Tourtemagne, on trouve encore un grand trajet de chemin pavé conduisant, par le vallon dit Auskumen, dans la vallée de Saint-Nicolas. Ce passage est maintenant abandonné aux chasseurs de chamois. »

« On connaît, sur les deux flancs du Monte-Moro, le chemin à cheval qui allait autrefois aboutir de la vallée d’Anzasca (Vallis Antuatium) à celle de Saas, en Valais. On y trouve encore des trajets pavés d’une demi-lieue de longueur. Un second chemin conduisait pareillement de la vallée d’Antrona à Saas. D’après un manuscrit, espèce de chronique de la vallée de Saas[4], ces chemins étaient déjà très-vieux en 1440. Il est dit qu’en 1515 il s’était élevé un procès entre les habitans de Saas et ceux d’Antrona. Le juge était de Lucerne ; mais comme, en ces temps-là, les Suisses avaient occupé les frontières voisines de l’Italie, où le cardinal Schinner avait paru en guerrier, la condamnation de ceux d’Antrona à l’entretien de ce chemin n’a pas eu d’effet. »

« Dans la première moitié du dix-septième siècle, les passages sont devenus très-difficiles. Dans le dix-huitième siècle, et notamment en 1719, 1724 et 1790, on s’est donné beaucoup de peine, et l’on a même fait des frais considérables pour réparer le chemin d’Antrona, afin d’y pouvoir transporter du sel et d’autres marchandises ; mais ces réparations étaient chaque fois de peu de durée. Il est évident que ce chemin n’aurait pas été ouvert à grands frais, si, dans ce temps-là, un glacier eût existé sur ce passage ; car on aurait prévu que d’un moment à l’autre il l’aurait rendu impraticable. »

M. Venetz conclut de ces faits et de beaucoup d’autres qu’il rapporte dans son mémoire, que les passages des hautes Alpes, dont il est ici question, étaient tous ouverts à la même époque (sans doute pendant les 11e, 12e, 13e, 14e et 15e siècles). Il cite à l’appui de cette opinion la cloche de la chapelle de Sainte-Pétronille, qui date de 1044. ― « D’après M. Zurbruggen, dit-il, ce n’est que dans le commencement du dix-septième siècle que les passages des montagnes sont devenus difficiles, et ce n’est que dans le dix-huitième siècle qu’ils sont devenus inaccessibles aux chevaux[5]. »

Cette opinion de M. Zurbrüggen me semble encore justifiée par le fait suivant. L’histoire rapporte que lors des persécutions qui éclatèrent à l’époque de la réformation, contre les protestans du Haut-Valais, ceux-ci ne pouvant se livrer à l’exercice de leur culte, chez eux, avaient pris l’habitude de se rendre, par la vallée de Viesch, à Grindelwald, pour y faire baptiser leurs enfans. En visitant, l’année dernière (1839), les glaciers d’Aletsch et de Viesch, j’ai trouvé, près du lac d’Aletsch ou de Mœril, le long du glacier, des traces très-reconnaissables de cette ancienne route, qui sans doute longeait plus haut les crêtes des Viescherhörner (voy. Pl. 12). Ce chemin, qui est muré en divers endroits très-escarpés, disparaît à plusieurs reprises sous le glacier pour reparaître plus loin, de manière qu’il est impossible de le suivre maintenant, à cause des parois abruptes du glacier. Il est donc évident que le niveau du glacier s’est élevé. Aussi la traversée est-elle aujourd’hui très-difficile et des plus périlleuses ; je ne connais personne qui l’ait tentée directement. Il n’y a que M. Hugi qui ait traversé la mer de glace dans cette direction (de Lotsch à Viesch), et il décrit cette course comme la plus pénible de toutes celles qu’il a effectuées[6].

Les faits qui prouvent une plus grande extension des glaciers que celle qu’ils ont aujourd’hui, se tirent essentiellement des anciennes moraines plus ou moins éloignées de l’extrémité actuelle des glaciers ; et certes on ne saurait exiger des preuves plus convaincantes pour démontrer que les glaciers qui les ont accumulées occupaient autrefois tout l’espace qui les en sépare maintenant. Les vallées des Alpes sont remplies de moraines pareilles, et leur distance des glaciers varie dans des limites très-considérables. Mais il s’agit de savoir à quelle époque elles ont été déposées, et ici nous touchons à une question des plus difficiles de l’histoire des glaciers. Il est probable que celles qui sont très-rapprochées de l’extrémité des glaciers ont été en partie déposées pendant les temps historiques ; car tous les glaciers dont l’extension a été plus grande pendant les deux derniers siècles ont dû déposer des moraines plus ou moins considérables en se retirant. Telles sont probablement les moraines terminales du glacier du Rhône, dont la première était, en 1826, d’après les observations de M. Venetz, à 1 408 pieds de l’extrémité du glacier[7] ; les moraines du glacier supérieur du Grindelwald, dont Gruner a indiqué les oscillations pendant à-peu-près deux siècles, et dont les variations sont très-sensibles de nos jours[8] ; la grande moraine du glacier de Prenva, qui, dans ces derniers temps, a été en grande partie envahie par le glacier. Suivant M. Venetz, le glacier commençait à rétrograder en 1820, après avoir renversé les restes d’une chapelle et plusieurs arbres, dont les anneaux d’accroissement indiquent, pour l’un, 200, et pour l’autre 220 ans ; preuve qu’il y avait plus de deux siècles qu’il n’avait pas eu l’étendue qu’il avait à cette époque. Je citerai encore les moraines du glacier des Bois, dont l’une est plantée de sapins, et plusieurs autres exemples signalés par M. Venetz. Mais en est-il de même de ces moraines situées à des distances plus considérables des glaciers, et sur la déposition desquelles l’histoire ne nous a transmis aucun renseignement ? Ici, il faut l’avouer, la limite entre l’époque historique et les époques géologiques antérieures, nous échappe en quelque sorte. Je crois même qu’il sera difficile d’arriver, à cet égard, à une délimitation rigoureuse, par la raison que les distances seules ne sauraient être invoquées comme une preuve décisive ; car nous verrons, plus bas, que, de nos jours, certains glaciers oscillent dans des limites très-étendues, et déplacent ainsi constamment leurs moraines. Il faut par conséquent que d’autres considérations viennent corroborer les conclusions que l’on peut tirer de la distance qui sépare les moraines de l’extrémité des glaciers, si l’on veut les faire servir à une détermination approximative de leur âge. Tous les faits cités par M. Venetz ne me paraissent pas également concluans à cet égard. Cependant si l’on se rappelle que les glaciers en général étaient moins étendus au moyen-âge qu’ils ne le sont maintenant, et qu’ils n’ont commencé à envahir les hauts passages des Alpes que dans les 17e et 18e siècles, on sera forcé d’admettre que la formation de beaucoup de moraines très-éloignées des glaciers actuels remonte à une époque très-reculée de l’histoire, si toutefois elle n’est pas antérieure à la création de l’espèce humaine ; car comme elles supposent une extension des glaciers plus considérable que celle qu’ils ont eue dans nos temps modernes, on en aurait gardé le souvenir, si elle avait eu lieu depuis le 17e siècle.

Dans ces derniers temps, les oscillations des glaciers ont été très-sensibles. M. Venetz nous apprend qu’en 1811 les glaciers s’étaient retirés très-haut dans les vallées, mais que les années froides de 1815, 1816 et 1817, ayant rechargé les montagnes d’une masse de neige énorme, les glaciers descendirent considérablement dans les régions inférieures ; il assure avoir vu le glacier de Distel, dans la vallée de Saas près du Monte-Moro, descendre plus de 50 pieds dans une année[9]. Zumstein rapporte qu’il vit à-peu-près à la même époque le grand glacier de Lys s’avancer de 150 toises pendant six ans[10].

Dans ce moment la plupart des glaciers que j’ai observés avancent considérablement, en particulier ceux de l’Oberland bernois. Le glacier inférieur de l’Aar s’est allongé de plus d’un quart d’heure depuis 1811 ; (à cette époque, il se terminait, suivant ce que m’a assuré Jacob Leuthold, près de la grotte aux cristaux du Zinkenstock.) Les glaciers de Grindelwald augmentent aussi sensiblement, ainsi que celui de Rosenlaui[11]. Le grand glacier de Zermatt empiète sur sa rive gauche, tandis qu’il paraît être stationnaire sur la rive droite.

En résumant tous ces faits, on ne peut s’empêcher de reconnaître une certaine périodicité en grand dans ces oscillations des glaciers ; quelques auteurs ont même affirmé, sans doute sur la foi des habitans des Alpes, que cette périodicité était régulière, ou, en d’autres termes, que les variations de niveau avaient toujours lieu à des époques déterminées ; mais cette opinion n’est appuyée d’aucun fait positif.

Il est un autre phénomène très-curieux dont on ne saurait contester la réalité, c’est que certains glaciers décroissent, tandis que d’autres augmentent, témoin le glacier supérieur de l’Aar qui diminue, tandis que le glacier inférieur continue à s’étendre. M. Venetz a essayé une explication très-ingénieuse de ce phénomène, qu’il attribue à la différence d’inclinaison des glaciers : « Il est naturel, dit-il, que les glaciers qui descendent avec une grande rapidité dans un climat chaud, se déchargent plus vite de leur surcroît de glace que ceux qui ne marchent que lentetement. Il est donc aussi naturel que ces derniers doivent encore avancer, quand même il survient une époque de plusieurs années chaudes qui font déjà reculer les autres, car leur masse ne diminue pas si promptement. Comme tous les glaciers reposent sur des bases différemment inclinées, il est certain qu’ils doivent différemment avancer et reculer[12]. »

Le phénomène des oscillations des glaciers n’est, en résumé, qu’un effet de compensation résultant, d’une part, de leur marche progressive et, de l’autre, de la décomposition qu’ils subissent à leur extrémité ; et comme l’été est la saison du travail des glaciers, tandis que l’hiver est l’époque du repos, leur agrandissement ou leur décroissance dépendra toujours de l’état de la température pendant cette saison. Aussi les mesures que l’on donne de leur augmentation dans un temps donné, ne sont-elles en aucune façon la mesure de la marche réelle de leur masse.

Les faits rapportés par M. Venetz sur les oscillations des glaciers, et ceux que j’ai recueillis à d’autres sources, ou observés moi-même sur le même sujet, sont certainement de la plus haute importance pour la physique générale. Car quels que soient les résultats auxquels les recherches des physiciens s’arrêtent sur la marche de la température du globe, depuis l’époque de sa formation jusqu’à nos jours, toujours est-il que les faits concernant les glaciers, dont il vient d’être question, devront y trouver une place, et que toute théorie qui n’en rendra pas compte pourra être envisagée, ajuste titre, comme incomplète.

M. Venetz a conclu de ses observations et de ses recherches historiques à des oscillations de la température, sans dire positivement s’il entendait parler d’oscillations dans l’état de la température du globe en général, ou s’il envisageait ces oscillations comme locales. Nous avons déjà vu, en parlant de la formation des glaciers, combien il fallait être sur ses gardes pour ne pas attribuer à des changemens dans la température moyenne ce qui s’explique très-bien par des influences locales réitérées pendant une série d’années. Vouloir attribuer à des changemens généraux, dans la répartition de la chaleur à la surface du globe, les oscillations des glaciers qui rentrent dans le domaine de l’histoire, serait admettre une explication directement en contradiction avec ce résultat si bien établi par M. Arago[13], sur une série de faits concluans, savoir, que la température moyenne de la surface du globe n’a pas changé d’une manière appréciable dans les temps historiques. Il faut donc attribuer à des influences locales les changemens si fréquens, mais circonscrits dans des limites assez étroites, que nous offrent les glaciers dans leur extension. Mais s’il n’y a pas eu de changemens appréciables dans la température du globe pendant les temps historiques, il n’en est pas moins vrai que des oscillations locales très-considérables, et qui ont pu avoir une influence très-étendue sur le climat de certaines localités, se sont fait sentir à différentes reprises. On connaît des faits assez nombreux qui indiquent des changemens semblables dans une foule de localités, et qui sont dus à d’autres causes que les glaciers. Tels sont les effets du déboisement dans le nord de l’Amérique et dans certaines contrées de la France, qui se trouvent énumérées dans le mémoire remarquable de M. Arago, sur l’état thermométrique du globe terrestre. L’extension des glaces a produit des changemens plus notables encore dans d’autres contrées. L’envahissement du Groenland par les glaces, au quinzième siècle, est un fait trop bien établi pour qu’il puisse être révoqué en doute. Il faut donc admettre que, malgré la fixité de la température du globe en général, des circonstances locales ont pu et ont réellement modifié considérablement le climat de certaines contrées. Les faits que j’ai rapportés plus haut et qui prouvent que les glaciers ont été soumis à des oscillations très-notables dans les temps historiques, rentrent dans cette catégorie, puisqu’ils ont eu lieu à une époque, pendant laquelle l’état thermométrique général du globe est resté sensiblement le même. Ce qui prouve en outre que ces changemens sont dus à des influences locales et ne dépendent point de changemens généraux, c’est que l’accroissement le plus considérable des glaciers des Alpes qui soit constaté par des documens historiques, ne coïncide pas avec l’envahissement du Groenland par les glaces. En effet, c’est au commencement du quinzième siècle que la côte du Groenland est devenue inaccessible ; or, nous avons vu qu’à cette époque les plus hauts passages des Alpes étaient encore libres ; tandis que c’est seulement dans la première moitié du dix-septième siècle qu’ils sont devenus très-difficiles, et enfin presque inaccessibles au dix-huitième siècle.

Nous allons maintenant passer à l’étude des faits qui démontrent une extension bien plus considérable des glaciers, dans des temps plus reculés, et voir si ces faits peuvent se concilier avec l’idée de simples changemens locaux, ou s’ils se rattachent à des changemens plus généraux survenus dans l’état thermométrique de notre planète.


  1. C’est le nom qu’on donne en Valais aux chalets dans lesquels les paysans passent l’été avec toute leur famille.
  2. Denkschriften der allg. schweizerischen Gesellschaft, Erster Band, Zweite Abteilung. Zurich, 1833.
  3. Venetz, Mémoire sur les variations de la température dans les Alpes, p. 2 et 3, dans les Denkschriften der allg. schweizerischen Gesellschaft, l. c.
  4. Die Geschichte des Thales Saas, aus etlich hundert Schriften zusammengezogen, von Peter Joseph Zurbrüggen, Beneficiat zu St-Antoni von Padua.
  5. Venetz, l. c. p. 38.
  6. Hugi, Naturhistorische Alpenreise, p. 279.
  7. Venetz, l. c. p. 32.
  8. « Selon la tradition orale, cet amas (le glacier) subsiste depuis un temps immémorial ; mais les vallées qu’il remplit aujourd’hui ont eu beaucoup de pâturages : ou a d’ailleurs des preuves certaines qu’il s’est emparé de terres fertiles. Sur la côte des Viercherhœrner et de l’Eiger, au milieu de la glace, on voit plusieurs troncs de mélèzes, qui sont là peut-être depuis plusieurs siècles. On sait que ce bois a la propriété de se durcir à l’humidité. Ceux qui ont monté jusqu’à ces troncs disent qu’on ne peut en détacher la plus petite partie avec le couteau le mieux aiguisé. Il paraît donc que ces arbres sont dans la glace depuis long-temps

    « Les archives du pays nous apprennent qu’en 1540, la chaleur extraordinaire de l’été fondit cet amas en entier, et qu’on vit à découvert, jusqu’en automne, les rochers de ces montagnes, mais qu’il fut entièrement recomposé en peu d’années. Nous n’avons aucune connaissance des changemens qu’il a éprouvés depuis ce temps jusqu’en 1660. Il diminua un peu depuis cette année jusqu’en 1686, et il y a toute apparence que les changemens qu’il éprouva jusqu’à la fin du siècle dernier furent peu considérables. Au commencement du présent siècle, et surtout en 1703, cet amas augmenta beaucoup, et couvrit une partie des pâturages de la paroisse, qui sont inscrits dans ses registres et ensevelis sous les glaces. Il est très-vraisemblable qu’il s’étendit peu à peu jusqu’en 1720. Depuis ce temps il a diminué et augmenté tour à tour. En 1750 il était très-petit, et les habitanst du pays disaient que depuis un temps immémorial il n’avait pas autant diminué.

    « Ainsi la diminution et l’augmentation annuelle des amas de glace sont fort inégales et n’ont pas chacune une période régulière de sept années, comme le croient les habitans des montagnes et même quelques savant. » ― Gruner, Histoire naturelle des glaciers de Suisse, trad. de M. de Kéralio, p. 330 et s.

  9. Venetz, l. c. p. 4.
  10. Von Welden, Der Monte Rosa, p. 117.
  11. En visitant de nouveau cette année (1840) tous ces glaciers, je fus très-étonné de voir que le glacier inférieur de l’Aar avait avancé de plus de 50 pieds depuis l’année dernière ; sa surface s’était en même temps élevée de 12 à 15 pieds près de l’Abschwung ; le glacier supérieur de Grindelwald s’est accru d’au moins 100 pieds sur sa rive droite ; le glacier de Gauli a également avancé ; il paraît qu’il en est de même des glaciers du Valais.
  12. Venetz, l. c. p. 4.
  13. Annuaire du Bureau des longitudes pour l’an 1834.