À travers l’Afrique/Chapitre35

Traduction par Henriette Loreau.
Librairie Hachette (p. 505-519).

CHAPITRE XXXV


Système lacustre de l’Afrique centrale. — Brisure effectuée dans quelque ancien soulèvement. — Orientation du Tanganyika. — Kahouélé. — Le cap Koungoué. — L’île de Kabogo. — Le Rougouvou. — Filon de houille. — Rapide empiétement du lac sur ses rives. — Falaises. — Restes d’une mer intérieure. — Îles de Makakomo. — Disparition graduelle. — Cap Moussounghi. — Blocs de granit. — Falaises délitées. — Roches fantastiques. — Nombreux éboulis. — Rivages noirs. — Sud-ouest du Tanganyika. — Nouvelle région géographique. — Le Rougoumba. — Fer spéculaire. — Monts Kilimatchio. — Affluents du Loualaba. — Demeures souterraines. — Le Loualaba et le Congo. — Changements dans le lit des rivières. — Apiculture. — Solitude stérile. — Plateau fécond.


L’existence d’une chaîne de grands lacs au centre de l’Afrique, système merveilleux dont le Tanganyika fait partie, semble avoir été connue des anciens, et tout au moins conjecturée, sinon découverte, par les Portugais des premiers temps de la conquête.

Les suppositions émises par ces Portugais — voyageurs et missionnaires — approchent singulièrement de la vérité ; les cartes d’Afrique du dix-septième siècle donnent une idée beaucoup plus exacte de l’intérieur du continent que celle des atlas, faits il y a une vingtaine d’années, avant l’étude récente des anciens voyages, et les découvertes de Burton et de Livingstone.

Pour moi, le Tanganyika, le Nyassa et l’Albert Nyannza — je ne donne cette opinion que pour une simple théorie — se trouvent sur la ligne d’une grande faille qui s’est produite dans quelque ancien soulèvement.

Jusqu’au moment où j’ai trouvé que le Tanganyika avait une inclinaison occidentale de 17o, ce lac était marqué sur nos cartes comme se déployant du nord au sud ; et je crois que quand on fera le relèvement exact des bords du Nyassa, on trouvera à ce dernier pareille inclinaison sur le méridien, les deux cuves étant parallèles aux lignes de soulèvement des montagnes côtières et de celles de Madagascar[1].

L’Albert suit la courbe que décrivent les monts de la côte au nord de l’équateur, où ils se dirigent à l’est pour former le Highland, qui s’étend jusqu’au Gardafui, et dont Socotora et les îlots voisins sont les fragments extérieurs.

Ces trois lacs semblent donc reposer dans une fissure ininterrompue, située à la lisière de l’un des soulèvements d’une série de hauteurs concentriques.

À l’appui de cette idée que le lac Nyassa, de même que le Tanganyika, forme un angle avec le méridien, je citerai un mémoire de Cooley, intitulé Géographie du Nyassa[2], mémoire auquel je renvoie le lecteur, et qui, malgré l’insuffisance et parfois l’inexactitude des données qui lui ont servi de base, a puissamment aidé à soulever le voile qui pendant si longtemps nous a caché l’intérieur de l’Afrique.

Le Victoria doit son existence à une autre cause. Quant aux lacs nombreux qui sont au couchant de cette ligne, quelques-uns, selon toute apparence, sont formés par le refoulement de rivières que des montagnes, situées au bord des plateaux, ont arrêtées dans leurs cours, tandis que les autres ne sont que des expansions lacustres plus ou moins étendues des rivières elles-mêmes.

Le nom de Tanganyika signifie Lieu du Mélange ; il est dérivé du verbe Kou-tanganya (changanya de quelques dialectes) qui veut dire mélanger, confondre. La quantité d’affluents dont il réunit les eaux, — je n’ai pas trouvé, sans parler des ruisseaux et des torrents, moins de quatre-vingt-seize rivières se jetant dans la section que j’ai relevée, — la quantité de ses affluents prouve qu’il mérite bien son nom[3].

Derrière la capitale de l’Oudjidji, se dressent de hautes montagnes, dont les pentes se voient longtemps après que le terrain bas qui porte la ville a disparu sous l’horizon.

Le rivage au sud de Kahouélé nous a d’abord offert de petites falaises de grès rouge, brisées par des éboulis et bordées d’une herbe gigantesque, sorte de roseaux qu’on appelle matétés. En arrière du rivage s’échelonnent des collines boisées.

Une plage marécageuse s’étend à l’embouchure du Rouké, plage d’où la côte s’élève graduellement jusqu’à l’endroit où elle forme le double promontoire de Kabogo. De profondes entrées, différentes baies, des embouchures de rivières, dont celle du Malagaradzi, découpent cette partie de la rive. On aperçoit de l’Oudjidji la grande pointe rouge à côté de laquelle le Malagaradji tombe dans le lac.

Le Kabogo n’a rien de très frappant ; mais c’est le point de départ des canots à destination des îles de Kisennga, situées près de la côte occidentale.

Au sud du Kabogo, le lac forme une baie profonde où viennent tomber un grand nombre de rivières. En cet endroit, le rivage est bas et marécageux, bien que de grandes montagnes s’élèvent brusquement à peu de distance de la côte. C’est de l’une de ces montagnes, le mont Massohouah, que Livingstone et Stanley jetèrent leurs derniers regards sur le Tanganyika.

La limite méridionale de cette baie est indiquée par le cap Koungoué, projection des montagnes de Tonngoué. Immédiatement après cette pointe, surgit du lac une pente abrupte, presque une muraille, que descendent des torrents visibles çà et là, à travers le fouillis de verdure qui tapisse la falaise.

De grands massifs montagneux s’élèvent derrière la chaîne côtière ; celle-ci ne permet de les voir que de la rive occidentale, d’où ils présentent un magnifique coup d’œil.

Les montagnes continuent à surplomber le lac jusqu’à une certaine distance, puis elles reculent, laissant une rangée de collines herbues s’élever entre elles et le bord du rivage.

Au cap Kiséra Miaga, la chaîne principale semble se détourner vers l’est, et rencontrer ensuite une autre chaîne qui, de nouveau domine le lac depuis l’embouchure du Rougouvou jusqu’à la pointe Makanyadzi.

Dans l’angle formé par ces deux chaînes, est une vallée basse qui renferme de petits mamelons, couverts de nombreux palmyras et d’arbres de haute futaie d’une végétation luxuriante.

En face de cette vallée, se trouve la grande île de Kabogo, île plate et féconde, séparée de la terre ferme par un canal qui, à différents endroits, a près d’un mille de large, mais qui se resserre aux deux extrémités, où il y a des bancs de sable.

Les montagnes qui, au delà du Rougouvou, surplombent le lac, prennent souvent la forme de falaises. À la face d’un de ces escarpements, j’ai vu, parmi de grandes courbes de même inclinaison, une strate qui m’a paru être de la houille. Le lac était si agité qu’il me fut impossible d’atterrir et de me procurer un échantillon de cette couche intéressante ; mais plus tard il me fut donné un morceau de charbon, recueilli dans l’Itahoua, et qui probablement est de la même sorte ; un charbon léger à cassure brillante, très légèrement bitumineux.

Cette couche houillère reposait sur le granit ; les strates qui l’avoisinaient étaient formées de calcaire et de grès rouge, de marbre et de schiste, parmi lesquels se montraient des fragments de calcaire tendre de couleur grise, et un dépôt rougeâtre pareil à celui du groupe wealdien, dépôt où l’on voyait des masses pierreuses ayant l’aspect du coral-rag du Kent.

Tous les pans de la falaise sont tellement usés par les pluies, déchirés par les torrents, qu’il est presque impossible, lorsqu’on ne les a vus qu’en passant, d’en faire une description exacte.

Juste au delà du promontoire qui porte le nom de Makanyadzi, le granit, couvert de grès, se sépare du calcaire par une ligne très nette ; bientôt la falaise se termine ; les montagnes s’écartent du rivage et se dirigent au loin, laissant entre elles et la côte un pays de plaines, semé de collines basses en forme de mamelons.

Ici, le lac empiète rapidement sur ses bords, dont les contours changent d’une manière incessante. Près de l’embouchure de la Moussamouira, à la place où il y a un an ou deux se trouvaient de grands villages, on ne voit plus actuellement que des bancs de sable, et qui décroissent d’heure en heure.

Après la Moussamouira, les montagnes viennent de nouveau toucher le lac ; j’ai observé toutefois quelques entrées qui pourraient servir de refuge aux petites embarcations. Puis, à partir du Kamatété (un promontoire), la chaîne recule, à peu près de la même manière qu’aux environs de l’île de Kabogo, et forme une baie profonde, entourée d’une large bande de terre basse et unie.

La corne méridionale de cette baie est formée par le cap Mpimmboué, amas confus et sauvage d’énormes blocs de granit.

Un grès d’un rouge clair, à peine pierreux, dans lequel sont englobées de fortes masses de granit et de grès dur, compose la falaise. L’eau délite peu à peu le grès tendre, elle l’enlève et laisse détachés les quartiers de roche plus dure, qui, dans leur éboulement, forment des piles ou des récifs à demi submergés.

C’est exactement, je crois, par ce même mode de désagrégation que se sont formées les collines et les montagnes qui précèdent l’Ougogo, les dépôts de roches si frappants de cette province, les monticules rocailleux de l’Ounyanyemmbé et tous ceux de même nature que l’on rencontre sur la route dont nous parlons. Selon toute apparence, le pays tout entier fut autrefois un énorme lac, à fond de grès tendre reposant sur le granit. Lorsque, par suite d’un soulèvement ou par toute autre cause, le bassin diminua, les vagues refoulées attaquèrent le rivage, en emportèrent le grès tendre, laissant les blocs que celui-ci renfermait rester ou s’amasser à la place qu’ils occupent aujourd’hui et sous leur forme actuelle. Le Tanganyika, les Nyannzas et les lacs de Livingstone sont probablement les restes de cette mer qui, autant qu’on peut le croire, était une mer d’eau douce.

Elle a pu être saumâtre, à en juger d’après les terres salines de l’Ouvinnza et de l’Ougogo, et adoucie par les pluies périodiques de milliers d’années. Si ce n’est l’élévation graduelle de l’ensemble, cette région n’a probablement subi aucun remaniement géologique important depuis l’époque où le granit, qui en est la roche fondamentale, a été formé par les feux souterrains.

Après l’embouchure de la Moussamouira, les montagnes, avons-nous dit, surplombent de nouveau le Tanganyika, et le nombre des écueils formés par la chute des rocs — quelques-uns ne sont pas à plus d’un pied ou deux au-dessous de la surface de l’eau — rend la navigation dangereuse.

Les îles Makakomo qui, de mémoire d’homme, faisaient partie du continent, au moins plusieurs d’entre elles, et dont la plus éloignée du rivage, féconde et populeuse il y a quelques années encore, n’est plus aujourd’hui qu’un amas de rochers stériles, à demi submergés, prouvent la rapidité de l’accroissement du Tanganyika et de l’action dévastatrice des eaux.

Non loin des Makakomo, vers le sud, on voit de remarquables rochers de granit, deux surtout, qui, pareils à une couple de frères géants, dominent les autres d’une hauteur de soixante-dix à quatre-vingts pieds.


Les deux Frères.

Les montagnes boisées reparaissent sur la côte, mais çà et là des éboulis en exposent la nature pierreuse. Pendant quelque temps la chaîne continue à être parallèle au rivage. Au cap Moussounghi, près de l’île de Poloungo, elle est formée de rocs détachés, rocs de granit, qui paraissent devoir tomber au moindre ébranlement, et font craindre de camper à leur base. Bientôt après, des falaises de calcaire blanc sortent du lac, sous forme de colonnes et de piliers.

Au cap Yamini, la muraille est très haute et composée d’innombrables feuillets de pierre rouge de l’épaisseur d’une brique romaine. Délitée par la pluie et le soleil, rongée par les vagues, cette portion du rivage ressemble beaucoup à une série de châteaux et de forteresses en ruine, reposant sur des arcades, et flanqués de tours et de bastions. À différentes places, deux ou trois des strates, faisant saillie sur le reste, forment des filets, qui augmentent la ressemblance avec une maçonnerie et ajoutent singulièrement à l’illusion.

On est alors peu éloigné de la fin du Tanganyika, dont l’extrémité méridionale est nichée dans le bord d’un plateau qui le domine de quatre ou cinq cents pieds. Ces falaises sont au nombre des plus grandioses du globe.

Dans cette direction, aussi bien que sur la rive orientale, le lac étend incessamment son domaine, ainsi qu’en témoignent les groins pittoresques, ajoutés à la muraille par les nombreux éboulis qu’il provoque.

De grandes cascades étincellent devant la falaise ; cours d’eau paisibles, qui arrosent tranquillement la haute terre jusqu’à l’endroit où, le sol venant à leur manquer, ils tombent brusquement dans l’abîme.

À l’ouest du lac, le plateau va se fondre dans une rangée de belles montagnes, laissant une autre chaîne, qui se dirige au nord, former le côté occidental de l’auge où se trouve le Tanganyika.

Cette chaîne côtière se déploie, sans grande modification, jusqu’au Moulanngo méridional, promontoire d’où elle se détourne vers l’ouest ; pour aller très probablement rejoindre la rampe qui enferme le Moéro.

De cet endroit jusqu’à l’extrémité sud des monts de l’Ougoma, dont le dernier cap s’appelle aussi Moulanngo, toute la contrée, relativement basse, est principalement formée de petites collines de grès tendre, d’un rouge sombre, collines herbues et boisées, à sommet plat.

Sur un ou deux points, le rivage était parfaitement noir ; une forte houle m’ayant empêché de débarquer, je n’ai pas pu savoir la cause de cette teinte exceptionnelle.

Moulanngo ou M’lanngo signifie porte ; les deux caps de ce nom, chose digne de remarque, se trouvent aux deux extrémités nord et sud de la basse terre qui fait ici une brèche dans l’enceinte continue du lac ; ces deux promontoires formant, pour ainsi dire, les côtés du porche qui donne issue au Loukouga.

Au nord du Kassenngé, les montagnes de l’Ougoma, dont les flancs abrupts sortent du lac, s’élèvent à deux ou trois mille pieds (six ou neuf cents mètres).

En quittant la rive occidentale du Tanganyika, on entre dans une région nouvelle : géographie, ethnologie, zoologie, entomologie, botanique, tout est différent.

La route passe d’abord sur les éperons méridionaux de l’Ougoma, habitat du mvoulé, cet arbre si précieux pour les indigènes, qui, de sa tige superbe, font leurs grandes pirogues.

Juste à l’extrémité sud des montagnes de l’Ougoma, le lac reçoit le Rougoumba, qui traverse la lisière septentrionale de la plaine voisine de la sortie du Loukouga ; tandis que le Rouboumba, qui naît près de la source du Rougoumba, est loin de celui-ci, à peu de distance de son embouchure.

Le pays est montueux, pays de collines, offrant çà et là des plaines jusqu’à ce que l’on ait passé l’Ouboudjoua, où il devient décidément pays de montagnes.


Passage de la Legoungoua (Ouboudjoua).

L’Ouhiya et l’Ouvinnza, les deux provinces suivantes, sont formées d’une série de chaînettes projetées dans différentes directions par la chaîne du Bammbaré, qui est la plus importante de cette partie de l’Afrique.

Au delà de ces montagnes est une rampe moins haute, qu’en sépare une plaine fertile, bien arrosée. Vient ensuite un plateau, où s’élèvent quelques monticules rocheux et qui s’étend jusqu’au bord du Loualaba.

Ces montagnes et ces collines sont formées, comme toutes celles que nous avons rencontrées jusqu’ici, de granit, de gneiss et de quartz, avec çà et là quelques épanchements de porphyre.

Des strates de sable et de cailloux roulés en composent les étages inférieurs, et paraissent avoir autrefois constitué le fond de quelque vaste mer. Ces lits de sables et de galets varient beaucoup d’épaisseur et d’étendue.

Entre le Tanganyika et les montagnes du Bammbaré est une hématite rouge, que l’on exploite, mais non sur une très grande échelle.

De l’autre côté des montagnes, le sol qui couvre les plaines est un riche humus sableux, traversé par un grès schisteux d’un gris foncé, qui apparaît dans le lit de quelques-unes des rivières.

Le sol rouge n’existe pas autour de Manyara ni des villages environnants ; mais on trouve là des collines entièrement composées d’un minerai noir de fer spéculaire, qui fournit un métal dont l’excellente qualité contribue, dans une large mesure, à la supériorité des armes et des autres articles forgés dans le pays.

Près du Loualaba, le sol est de nouveau composé de sable et de cailloux roulés, et il est de toute évidence que le fleuve brise l’inclinaison de la strate ; car, sur la rive gauche, le pays s’étend pendant des milles, en ne s’élevant que peu à peu, tandis que, sur la rive droite, la berge, à beaucoup de places, est formée d’escarpements. Sur la tranche de ces falaises, on voit souvent de petites couches nombreuses de grès schisteux ; et, en quelques endroits, de curieuses empreintes circulaires, absolument pareilles à celles qu’auraient faites des boulets venant frapper un mur de brique trop solide pour être entamé.

Au delà du Loualaba et sur toute la route, jusqu’auprès du Lomâmi, la contrée est généralement plate et profondément déchirée par d’innombrables cours d’eau. Les berges de ces tranches profondes montrent que la formation de galets et de sable, auxquels s’ajoute un grès d’un jaune clair, repose sur le granit.

Avec les monts de Kilimalchio, commence un système de collines rocheuses composées de granit, de gneiss et d’un genre particulier de roche vésiculaire, sont disséminés de petits fragments de granit. Par leur apparence, ces fragments donnent lieu de croire qu’ils ont été réellement fondus et non plus simplement métamorphosés par la chaleur. Toutefois, bien que sans aucun doute ils soient produits par la fusion, ils n’ont pas l’aspect des scories et des laves.

Ces collines forment, au couchant, l’extrémité des montagnes du Roua, qui, selon Livingstone, constituent la digue septentrionale du lac Moéro, et dont la chaîne, après avoir côtoyé la partie sud-ouest du Tanganyika, s’en éloigne au cap Moulanngo, c’est-à-dire au sud de Loukouga.

Parlons maintenant des affluents du Loualaba. Celui qui va le plus loin, du côté de l’est, et qui, s’il n’a pas de rapides, pourrait être navigable à moins de cent cinquante milles du lac Nyassa, est le Tchambèzi, principal tributaire du lac Banngouéolo.

On sait que le Tchambèzi sort de ce lac sous le nom de Louapoula, qu’il passe à peu de distance de la ville de Ma Cazemmbé, et alimente le lac Moéro, d’où il s’échappe en traversant les montagnes du Roua. C’est alors le Louhoua des indigènes, que les Arabes appellent Loualaba, nom que, d’après eux, lui a donné Livingstone.

Entre les lacs Moéro et Landji (Kamolonndo du grand voyageur), le Louhoua se joint au Loualaba proprement dit, qui occupe la partie centrale et la plus basse du drainage.

Le Loualaba prend naissance à côté des marais salins de Kouidjila ; il traverse le lac Lohemmba, fait un détour considérable, et entre dans le lac Kassali ou Kikondja. Celui-ci reçoit également le Loufira, qui passe au-dessus des villages souterrains de Mkanna et de Mkouammba.

D’après les informations que j’ai recueillies à leur égard, ces cavernes, situées directement sous la rivière, ont des voûtes très hautes, soutenues par des arcades et des colonnes de pierre blanche, dont l’ensemble est de la plus grande beauté. Plusieurs issues conduisent les habitants sur les deux rives ; et l’on raconte qu’une armée étrangère, étant venue attaquer ces Troglodytes, a été prise, au fort de l’action, par un groupe d’assiégés qui fit une sortie du côté opposé à celui où l’assaut avait lieu.

Ici la population est très affligée de goître ; et il suffit, dit-on, aux étrangers de boire de l’eau du pays pendant quelques jours pour ressentir les premières atteintes du mal : preuve certaine que le terrain est calcaire.

Le Loualaba a encore pour affluents le Louama et le Lomâmi, navigables l’un et l’autre ; puis le Lohoua, qui est représenté comme venant du nord, et comme étant aussi large que le Loualaba à quelque distance en aval de Nyanngoué.

Il est possible que l’Ouellé du docteur Schweinfurth soit tributaire du Lohoua, possible qu’il soit la tête de cette grande rivière, qui doit recueillir les eaux d’une vaste contrée.

Si le Loualaba est le Congo, ce qui pour moi ne fait aucun doute, il doit recevoir le produit du drainage de toute la région qui est au nord du bassin du Zambèse et qui s’étend jusqu’au bassin du Couenza.

Tuckey a estimé, en nombre rond, le débit du Congo à deux millions de pieds cubes par seconde. Alors même que cette estime serait trop élevée, il n’est pas douteux que la puissante rivière, qui, à son embouchure, a plus de mille pieds de profondeur, ne reçoive les eaux d’une aire immense.

Le Congo, d’ailleurs, a des crues très faibles, relativement à celles des autres rivières tropicales, et ses crues ont lieu deux fois par an. Il faut pour cela qu’une partie de ses affluents soient gonflés quand les autres sont bas, ce qui ne peut arriver que si le bassin qu’il occupe s’étend des deux côtés de l’équateur.

Après les chaînes de Kilimatchio et de Nyoka, se trouvent de grandes plaines bien arrosées, qui vont jusqu’à Kilemmba.

Au levant de ce dernier point est une dépression peu profonde, de cinq ou six milles de large, dépression dont la terre est imprégnée de sel, et où l’on trouve des sources salines. Il y a, dit-on, d’autres bassins de même nature dans le voisinage ; mais celui-ci est le seul que nous ayons visité.

De Kilemmba à la résidence de Lounga Mânndi, le pays se compose de collines boisées, de plateaux sableux et de grands marais situés le long des cours d’eau.

Les lits des rivières, ainsi bordées, changent sans cesse ; au bout d’un an ou deux, il n’y a pas trace du canal précédent. Cela tient à la puissance avec laquelle une végétation semi-aquatique comble tout espace où l’eau est dépourvue de rapidité. À la fin de la saison sèche, le canal est beaucoup plus étroit qu’il ne l’était au moment des pluies.

S’il est vrai que ces marais soient les représentants actuels des vieux terrains houillers, on trouvera plus tard parmi les fossiles végétaux, des fougères, des papyrus (surtout leurs racines), des arbres, les uns tombés et à moitié pourris, les autres toujours debout, ainsi que des souches et de grandes herbes ; les fossiles du règne animal comprendront des squelettes de silures, de grenouilles, et accidentellement ceux d’un crocodile, d’un buffle ou d’un hippopotame. Peut-être des couches de sable très minces indiqueront-elles la place des différents canaux dont le marais a été sillonné.

L’Oussoumbé est principalement formé de collines de grès, à sommet plat. Des strates de grès rouge y alternent avec des strates de grès jaune ; entre leurs séries et le granit qui les porte, se voient ordinairement des amas de galets.

Dans l’Oulonnda, le pays, doucement ondulé, est couvert d’une forêt épaisse, déchirée çà et là par des clairières herbues. Ces savanes sont traversées par des cours d’eau sans nombre, qui, pour la plupart, se dirigent vers le nord, où ils vont rejoindre le Congo.

À l’ouest de l’Oulonnda, se déploient de vastes plaines qui constituent le Lovalé. Pendant la saison sèche, c’est une étendue au sol léger et sableux, où des rangées d’arbres marquent la place des cours d’eau qui la sillonnent. Dans la saison humide, tout cet espace est une série de marais et de fondrières.

La ligne de faîte qui sépare le bassin du Zambèse de celui du Congo, passe au milieu de ces plaines, où, à l’époque des pluies, l’eau vous monte jusqu’à la ceinture ; alors les deux bassins se rejoignent.

En sortant du Lovalé, on entre dans le Kibokoué, pays presque entièrement couvert de forêts, et où la montée qui forme le bord de la dépression centrale du continent est très-sensible.

Ici, l’apiculture est la grande occupation des habitants. Près des villages, tous les gros arbres portent des ruches, dont le produit est l’objet d’un commerce considérable et rémunérateur. Les indigènes troquent la cire pour tous les articles de provenance étrangère, dont ils ont besoin, et font avec le miel une boisson fermentée, sorte d’hydromel qui a de la force et qui n’est nullement désagréable.

Dans cette province, le fer est non seulement bien fabriqué, mais travaillé avec goût. Les habitants prennent le minerai dans le lit des cours d’eau, où il se présente sous forme de nodules.

C’est dans la partie occidentale du Kibokoué que se terminent les bassins du Congo et du Zambèse, et que commence celui du Couenza.

Dès qu’on a traversé ce dernier fleuve, on est dans la province de Bihé, dont la section orientale est formée de collines de grès rouge, collines boisées, sillonnées de nombreux ruisseaux ; tandis que la portion du couchant offre un ensemble de vastes prairies, de dunes sans végétation et de quelques bouquets de bois.

Des cours d’eau qui, dans une partie de leur marche, deviennent souterrains, cours d’eau assez nombreux, constituent l’un des traits particuliers du pays. L’exemple le plus remarquable du fait est donné par l’Explosion du Koutato qui se trouve à la frontière du Bihé, et le sépare du Baïlounda.

Celui-ci présente tout d’abord, c’est-à-dire au levant, une plaine modérément unie, où s’élèvent des collines rocheuses portant à leurs sommets les villages des chefs. À l’ouest, il se compose de montagnes de toutes les formes, parmi lesquelles se remarquent des aiguilles et des cônes de granit. Le premier rang du groupe est formé de collines de grès rouge, couronnées de massifs d’arbres superbes, que le jasmin et d’autres lianes parfumées enguirlandent.

C’est dans l’ouest du Baïlounda que nous avons atteint le point culminant de la route suivie par nous, dans cette traversée de l’Afrique.

Une étendue de montagnes et de rochers s’élève entre le Baïlounda et la côte occidentale. Dans quelques-unes des passes, les monts de granit se présentent sous forme de coupoles, semblables au puy de Dôme de l’Auvergne.

Même dans ce massif de montagnes dénudées, parmi ces rocs stériles, se trouvent des vallées fécondes, dont les habitants obtiennent de grandes quantités de grain qu’ils envoient à la côte, où ils l’échangent pour de l’eau-de-vie et de l’étoffe.

De Kissandjé à Catombéla, que sépare une distance de quarante milles, on ne trouve pas une seule habitation. Près des trois quarts de cette partie de la route sont occupés par une gorge, dont le granit est nu, et qui n’offre d’autre ombrage que celui de quelque baobab ou de quelque euphorbe géant, rencontré de loin en loin.

À cette gorge, succède un espace désert et stérile, désert de sable et de gravier, séparé du rivage par des collines calcaires. Au pied des collines, se déroule une bande de terre plate et basse qui rejoint la côte ; c’est ici que se trouvent les villes de Catombéla et de Benguéla.

Il suffit d’arroser cette plage pour en obtenir tous les produits des tropiques ; et l’eau s’y rencontrant partout près de la surface du sol, il y a là de grands jardins d’une culture facile et d’une extrême fécondité.

  1. Both being parallel to the lines of upheaval of the mountains of the coast range and of Madagascar. Le mot parallèle ne peut s’entendre ici que de la latitude ; en effet, bien que son extrémité nord dépasse d’environ trois degrés celle de Madagascar, le Nyassa débouche par la vallée du Chiré à la hauteur du plateau central de l’île, et a ses cataractes sous la même latitude que le massif septentrional des Malgaches. Cette interprétation est la seule que l’on puisse faire du parallélisme invoqué dans le texte, puisque l’orientation des deux lacs, N.-0. — S.-E., est précisément contraire à celle des montagnes citées, dont l’inclinaison sur le méridien est au levant. (Note du traducteur.)
  2. Geography of Nyassa.
  3. Burton a écrit Tanganyika, donnant, dit-il, aux voyelles le son qu’elles ont en italien. Stanley, prêtant sans doute à l’y la valeur qu’il a en anglais et qui est celle d’, combat cette orthographe, et dit positivement qu’on doit écrire Tanganîka, mettant sur l’i un accent pour montrer que la voyelle est longue. Cameron a repris l’orthographe de Burton, et comme elle est plus conforme à l’étymologie, sans altérer pour nous la prononciation du mot, nous l’avons conservée. (Note du traducteur).