À travers l’Afrique/Chapitre34

Traduction par Henriette Loreau.
Librairie Hachette (p. 490-504).

CHAPITRE XXXIV


L’afrique tropicale. — Conformation, bassins, déserts. — Lignes de faîte. — Zambèse. — Congo. — Géographie physique. — Montagnes de l’Ousséghara. — Sol fertile. — Vallée du Lougérenngéri. — Monts Konngoua. — Copal. — Bois de charpente et autres. — Faune. — Serpents. — Vallée de la Moukonndokoua. — Lac Ougommbo. — Mpouapoua. — Sol infécond. — Le Marennga Mkali. — L’Ougogo. — Pays desséché. — Zihouas. — Kanyényé. — L’Ousékhé. — Granit. — Khoko. — Vallée du Mdabourou. — La Plaine embrasée. — Le Maboungourou. — Djihoué la Sinnga. — L’Ourgourou. — L’Ounyanyemmbé. — Pays cultivé. — L’Ougounda. — L’Ougara. — Montagnes du Kahouenndi. — L’Ouvinnza.


Prise dans son ensemble, l’Afrique tropicale consiste en un plateau dont la vallée du Congo occupe la partie la moins haute, et que des lignes de montagnes échelonnées séparent des deux rivages.

En quelques endroits, ces montagnes se rapprochent étroitement de la mer ; ailleurs elles s’en éloignent ; elles offrent en outre une grande variété d’altitude : malgré cela, leurs rangées sont faciles à reconnaître.

On peut donc représenter cette partie de l’Afrique comme étant formée de trois régions distinctes : un littoral bas et insalubre, une cordillère de monts gradués, et un plateau central. Inutile de rappeler au lecteur que ce plateau, composé de terrains de toute sorte, est d’une grande diversité de nature et d’aspect. Les groupes, les chaînes de collines et de montagnes, les lacs immenses, les nobles rivières abondent au cœur du Pays des Niors.

Une autre manière de diviser le continent en sections géographiques serait de prendre isolément chaque bassin des grands fleuves, et de considérer les lignes de partage comme les limites naturelles de chacune de ces divisions. Nous aurions alors, dans l’état actuel de nos connaissances, les bassins du Nil, du Congo, du Zambèse, du Niger, de l’Ogôoué[1] et celui des eaux qui tombent dans le lac Tchad. Les petits courants qui drainent le littoral et les montagnes voisines, rivières qui n’égouttent qu’une faible portion du pays, peuvent être négligés dans cette esquisse.

Viendraient ensuite les deux grands déserts qui séparent, au nord et au sud, la zone féconde tropicale de la zone féconde tempérée : le Sahara et le Kalahari.

De ces déserts, le premier est de beaucoup le plus étendu et le plus stérile. Tandis que pendant la saison pluvieuse le Kalahari se couvre d’une végétation qui alimente d’innombrables animaux sauvages, le Sahara, si ce n’est dans ses oasis, autour de quelque source accidentelle, présente toujours un aspect sableux et calciné[2].

Le peu de connaissance que nous avons de l’intérieur de l’Afrique ne permet pas de tracer d’une manière précise la ligne de partage entre deux systèmes quelconques des fleuves cités plus haut. C’est pourquoi les observations suivantes devront être largement modifiées, à mesure que les explorateurs nous ouvriront les contrées actuellement inconnues.

Le bassin du Nil est probablement borné au sud-ouest par la ligne de faîte que le docteur Schweinfurth a découverte[3] ; et au sud de l’Albert Nyannza, par les hautes terres qui séparent ce lac du Tannganyika. De ce point, la limite suit une course tortueuse jusque dans l’Ounyanyemmbé, où, du moins je le crois, les bassins du Nil, du Congo et du Loufidji se rapprochent ; elle longe une vague de haute terre qui la fait aller au levant, puis se détourne pour courir au nord, sur les pentes occidentales des monts qui bordent la région maritime, passe par le Kilima Ndjaro et le Kénia, va rejoindre le massif abyssin, où Bruce a trouvé les sources du Nil Bleu, et gagne le littoral grillé de la mer Rouge, sur lequel la pluie ne tombe jamais. À l’ouest, le bassin nilotique a naturellement pour borne la partie orientale du désert[4].

Les bassins du Niger et de l’Ogôoué ne sauraient être délimités avec nul degré d’exactitude ; et la ligne septentrionale du bassin du Congo est tout entière à connaître.

Le Zambèse draine la région qui est au sud du système fluvial du Congo et au nord du Kalahari et du Limmpopo[5], frontière de la république du Transvaal[6]. Quelques-uns de ses tributaires se rencontrent à moins de deux cent cinquante milles de la côte occidentale.

Le roi de toutes les rivières d’Afrique, le puissant Congo, qui pour le débit ne le cède qu’à l’Amazone, et peut-être au Yang-tsé-Kiang, a pour bassin une région qui s’étend des deux côtés de l’équateur, mais dont probablement la partie la plus vaste est dans l’hémisphère sud. Un grand nombre de ses affluents fourchent avec ceux du haut Zambèse sur un plateau horizontal, où le déversoir est tellement sinueux que la ligne en est difficile à tracer, et où, durant la saison des pluies, l’inondation couvre les sources des tributaires de ces deux fleuves[7].

Il est possible que l’Ouellé, découvert par Schweinfurth, soit le Lohoua, qui m’a été dépeint comme une grande rivière se jetant dans le Loualaba au couchant de Nyanngoué ; si ce n’est pas le Loualaba qu’il rejoint, c’est très probablement l’Ogôoué ou la Tchadda, affluent du Niger[8].

Cette esquisse des lignes de partage, dans laquelle je donne simplement mon opinion, sera, je le répète, probablement modifiée par le connaissance plus précise de l’intérieur de l’Afrique que nous acquérons de jour en jour.

Je vais maintenant donner un aperçu de la géographie physique des régions que j’ai franchies pour aller d’un rivage à l’autre, et je dirai à quel système appartiennent les cours d’eau qui ont été rencontrés.

La première partie du voyage, au sortir de Bagamoyo, s’est faite à travers la région basse du littoral, que les monts de l’Ousséghara séparent des provinces de l’intérieur.

Avant d’atteindre les montagnes, on trouve une rangée de collines, formée des éperons de la partie méridionale de la chaîne. Ces collines sont drainées principalement par le Kanngani et ses tributaires, dont le plus considérable est le Lougérenngéri. Le Kinngani a son embouchure près de Bagamoyo.

Tout d’abord, la route traverse des plaines ondulées, couvertes d’herbe, où l’on rencontre çà et là des monticules et des pièces ou des bandes de jungle. La population est peu nombreuse et irrégulièrement distribuée ; ses villages sont bâtis au faîte des éminences et cachés dans le fourré épineux.

Un sable rougeâtre et des galets, revêtus d’un terreau noir dont la fécondité semble être inépuisable, composent le sol. De nombreux cours d’eau temporaires, des noullahs, se rendant tous au Kinngani, sillonnent la contrée.

Le manioc, le maïs, le sorgho (doura d’Égypte, Kaffir corn ou blé cafre du Natal), le ricin, l’arachide, le sésame, sont cultivés par les habitants, qui n’ont pas d’autre bétail que des chèvres et quelques misérables moutons, auxquels s’ajoutent des poules.

Vers Msouhouah, le pays commence à s’élever d’une manière sensible, et des affleurements de quartz et de granit percent par place le grès rouge (grès tendre) qui forme la strate supérieure.

À partir de Msouhouah, la route se continue sur une plaine d’une assez grande altitude, jusqu’à la vallée du Lougérenngéri, vallée aussi belle que féconde où la culture de la canne à sucre est jointe à celle des plantes que nous avons citées plus haut.

Dès qu’on a traversé le Lougérenngéri, on entre dans les montagnes de Koungoua, qui appartiennent à la chaîne des monts du Douthoumi de Burton, et qui présentent un amas confus de hauteurs de granit et de quartz de toutes les formes. Ce chaînon irrégulier entoure un espace fertile et populeux rempli d’éminences coniques, dont les sommets sont couronnés de villages, les flancs couverts de sorgho et de maïs, tandis que les vallons qui les séparent sont occupés par des rizières.

Dans les lieux incultes, le sol est chargé d’herbes énormes et de bambous qui s’élèvent bien au-dessus de la tête du voyageur, et ne permettent que rarement d’entrevoir l’admirable scénerie qu’on traverse.

Sorti de ce bassin par un col de la montagne, vous vous trouvez de nouveau dans la vallée du Lougérenngéri, où alors le sentier se déroule entre la rivière et une rangée de collines située au sud. Cette rampe méridionale est sillonnée de nombreux torrents qui, dans les années de pluie exceptionnelles, portent la désolation dans tous les villages environnants.

Quand on a passé la ville de Simmbaouéni, on retraverse le Lougérenngéri, et côtoyant les falaises d’un promontoire de granit, on gagne la plaine de la Makata, vaste étendue légèrement ondulée, où par place abonde un palmier-éventail, le borassus fabelliformis, et qui, aux endroits les plus secs, présente des bouquets d’arbres forestiers. Dans les parties humides, le sol est composé d’une boue argileuse et tenace, tachetée, pendant la saison des pluies, de marais et de nappes d’eau d’un à deux pieds de profondeur. Le drainage de cette plaine marécageuse est fait par la Makala, rivière qui, dans sa partie supérieure, s’appelle Moukonndokoua, et qui se jette dans la mer sous le nom de Vouami.

Des acacias de maintes variétés, couverts de fleurs de teintes diverses, sont les arbres les plus nombreux de cette région, où l’on trouve également des bois de travail d’une grande valeur et quelques arbres fruitiers. Près de la mer, on cultive le cocotier, le manguier, le jacquier, l’oranger, le limonier, le citronnier, le corossolier, le papayer, le goyavier, le tamarinier, le mfouv et le mzammbaréou, deux arbres qui portent des fruits ressemblant à des prunes.

L’arbre à copal, dont la gomme à demi fossile est extraite du sol, où elle se trouve à une profondeur de cinq à sept pieds, existe toujours dans cette région, sur différents points de la côte[9].

Le tek et l’ébénier africain, le mparamousi (taxus elongatus), le gaïac, le dattier sauvage, le borassus flabelliformis, le raphia, des épines et des lianes d’espèces nombreuses se rencontrent dans les bois, où leur végétation est luxuriante ; tandis que le bambou et des herbes de différents genres, qui ont de six à huit pieds de hauteur, couvrent les plaines et les fonds marécageux.

Une grande diversité d’usages se remarque chez les habitants. Près de la côte, ils ont adopté la plupart des coutumes des Vouamrima ; toutefois le jupon en étoffe d’herbe, jupon semblable à celui des Papous, se voit encore près de Simmbaouéni, et des gens s’enduisent les cheveux d’une pommade faite avec de l’ocre rouge et de l’huile. Au pied des montagnes, on porte ces colliers extraordinaires en fil de laiton, que nous avons décrits dans le 4e chapitre et qui ont parfois plus d’un pied de large.

L’hippopotame et le crocodile abondent dans les rivières. Le buffle, la girafe, le zèbre, l’hyène, le léopard, le chat sauvage, l’ocelot, le chacal, le boukou, énorme rat souvent plus gros qu’un lapin[10], différentes antilopes, des singes, de charmants écureuils, des fourmiliers, des cochons à verrues, parfois l’éléphant, le maki-mongoz, la pintade, un francolin, beaucoup de rapaces, des engoulevents, des orioles et des souimangas, des pigeons et des tourterelles, forment une partie de la faune ; mais si le nombre des espèces est considérable, celui des individus est minime, en raison de la quantité d’animaux que fait périr l’incendie annuel des herbes, chaque indigène profitant de l’occasion pour se mettre en chasse.

Aux yeux de ces gens-là toute chair est pâture ; il en résulte que la plupart des malheureuses bêtes qui échappent à la flamme tombent sous les coups de l’ennemi.

Tous les étangs, tous les marais sont bondés de grenouilles ; et, comme presque partout dans l’Afrique tropicale, le monde des insectes, qui abonde en formes non moins surprenantes que nouvelles, offre un champ immense aux travaux de l’entomologiste.

Il y a peu de serpents, et en général ils ne sont pas venimeux ; toutefois le cobra capella existe dans le pays. On y redoute encore un serpent qui, dit-on, a la faculté d’envoyer sa salive à deux ou trois pieds de distance, salive qui produit chez l’homme ou chez l’animal sur lequel elle tombe une plaie douloureuse et très lente à guérir.

Les arachnides sont communes et de plusieurs genres, Dans les cases des indigènes, le scorpion est loin d’être rare ; et une araignée gigantesque suspend ses toiles aux perches qui constituent la charpente ; on voit quelquefois dans les jungles des arbres entiers couverts de ces mêmes toiles.

La traversée des montagnes de l’Ousséghara par le chemin qui vient du Réhenneko, forme la seconde partie de la route. Ces montagnes sont principalement composées de quartz et de granit ; des feuillets de ces roches, feuillets polis et mouillés, pavent le lit des torrents ; il est souvent difficile de marcher sur ces pierres glissantes.

En quelques endroits, le grès rouge recouvre le squelette de granit, et dans les moindres plis où un peu de terre a pu se loger croissent des acacias qui s’élèvent les uns au-dessus des autres, comme les parapluies dans une foule, tandis que le mparamousi (taxus elongatus) s’élance du fond des creux humides, et domine de très haut tous ses compagnons.

Après avoir franchi la première rampe, nous avons suivi pendant quelque temps la vallée de la Moukonndokoua, au sujet de laquelle Burton a dit, avec justesse, que ses pentes semblent plutôt formées pour la rivière que la rivière pour la montagne.

Le lecteur qui voudrait avoir sur cette vallée plus de détails que la nature de ce chapitre n’en comporte, les trouvera dans le livre de Burton, qui restera au premier rang parmi les ouvrages de géographie descriptive[11].

Après avoir passé le village de Mouinyi Ousséghara, notre route s’éloigna de celle de Burton, et quittant bientôt la Moukonndokoua, suivit la vallée de l’Ougommbo jusqu’au lac du même nom, où l’Ougommbo prend naissance.

Des deux côtés du chemin s’élevaient de hautes collines souvent dominées par des pics et des blocs de granit et de gneiss, et montrant, en beaucoup d’endroits, de grands filons de grès rouge à demi revêtus de broussailles.

Le lac Ougommbo est une sorte de réservoir naturel entouré de petites collines, et qui reçoit les eaux d’une portion de la contrée qui le sépare du Mpouapoua. Il appartient au système de la Moukonndokoua, dont son émissaire est un affluent.

Pendant la saison pluvieuse l’Ougommbo est une nappe d’eau considérable ; vers la fin de la saison sèche, ce n’est plus qu’un étang d’une grandeur suffisante pour abriter le petit nombre d’hippopotames qui lui restent. À mesure de sa décroissance, la plupart de ceux qu’il hébergeait et qui étaient fort nombreux, ont descendu la rivière pour aller chercher asile dans les auges plus profondes de la Moukonndokoua[12].

À partir du lac Ougommbo, le terrain s’élève par une montée graduelle vers la ligne de faîte qui sépare le bassin de la Moukonndokoua de celui du Loufidji ; ce dernier commence immédiatement où l’autre s’achève.

Cette partie de la route se fait en pays aride et inculte. Le sol est composé d’un lit de gravier de quartz et de granit reposant sur un fond d’argile, et que percent des blocs granitiques profondément altérés par le climat. Des herbes sèches, des arbustes épineux, des baobabs, des kolquals et autres membres de la famille des euphorbes constituent la seule végétation. Quelques noullahs desséchés marquent l’endroit où, dans la saison pluvieuse, les torrents ont passé pour gagner le lac Ougommbo.

Quand on a franchi le point de partage, on est en présence d’un lacis de noullahs, de petites chaînes rocailleuses et de fourrés épineux qui s’étendent jusqu’au pied des pentes du Mpouapoua. On remonte alors un grand lit de rivière, et l’on trouve des étangs et des cours d’eau qui fuient le long des collines, et vont graduellement se perdre dans les sables. Les bords de ces cours d’eau sont très cultivés ; les habitants ont des troupeaux de bêtes bovines.

Un éperon de la chaîne de l’Ousségara s’avance du côté de l’ouest. Les villages du Mpouapoua sont situés sur une rampe en forme de terrasse, courant à mi-côte des collines qui constituent cet éperon, collines presque entièrement composées de granit et, comme à l’ordinaire, revêtues jusqu’au faîte d’un manteau d’acacias.

De Mpouapoua à Kounyo, le sentier se déroule sur la terrasse dont il vient d’être question ; puis il descend dans le Marennga Mkali, qui peut être considéré comme le commencement du plateau central, ainsi que de l’Ougogo, bien que nominalement l’entrée de cette province soit au delà du Marennga Mkali.

Pendant les premiers quinze milles, ce qu’on appelle de ce dernier nom est une plaine où sont dispersés de nombreux monticules, formés principalement de blocs de granit, et qui souvent ont la forme d’un cône. La végétation, peu abondante, se compose d’une herbe maigre et d’arbustes épineux, sur un terrain entrecoupé de nombreux noullahs, qui, pendant la saison pluvieuse, se rendent à la rivière de Maroro. Après ces quinze milles, le pays est plus accidenté, le hallier plus étendu.

Malgré l’aridité complète dont nous y avons souffert, nous croyons qu’on pourrait avoir de l’eau toute l’année dans le Marennga Mkali au moyen de puisards, faits spécialement sur le modèle abyssinien, la quantité de pluie qu’y verse la mousson étant considérable.

En sortant de la plaine déserte, on a devant soi l’Ougogo, dont l’aspect est celui d’une terre brune et desséchée, offrant ça et là d’énormes masses de granit, flanquées d’euphorbes raides. Rien n’est d’un vert vivant ; pas de fraîches couleurs, pas d’autre bois que des baobabs aux formes colossales et grotesques et des fourrés épineux.

Le sol est une formation de grès, portant par endroits une couche d’argile. L’eau est mauvaise et ne peut s’obtenir que dans des fosses entretenues par les indigènes, ou en fouillant le lit desséché des noullahs.

Mais arrive la pluie et tout est changé ; tout le pays verdoie ; de grandes étendues sont couvertes de sorgho, de citrouilles, de tabac, seules plantes, ou à peu près, que cultivent les habitants.

Au nord de la route, une ligne de hautes terres partage les eaux entre le bassin du Nil et celui du Rouaha (cours supérieur du Loufidji), ligne qui traverse ce dernier bassin.

Un trait particulier de l’Ougogo est formé par de petits étangs encadrés de verdure bordés d’acacias, et dont la vue est aussi douce, au voyageur fatigué, que celle d’une oasis dans le Sahara.

De nombreux oiseaux d’eau, canards, sarcelles et autres, fréquentent toute l’année ces étangs qu’on appelle zihouas et qui, disséminés en maint endroit de la province, sont souvent les seuls réservoirs où les indigènes trouvent l’eau qui leur est nécessaire. Parfois cette suprême ressource leur manque, et la désolation et la mort s’abattent sur le pays.

De cette chaîne d’étangs, une marche en terrain accidenté, couvert de jungle, conduit au district de Kanyényé. Ce district est formé d’une plaine située entre deux chaînes de collines allant du nord au sud. On y trouve quelques zihouas ; mais généralement c’est un pays aride et brûlé. Des parcelles nitreuses brillent dans les lits desséchés des étangs et des cours d’eau ; elles sont recueillies par les indigènes qui les mettent en pains coniques, et, sous cette forme, les exportent dans les contrées voisines.

Arrivé au sommet de la chaîne qui est à l’ouest du Kanyényé, vous avez sous les yeux un plateau uni, couvert d’herbage et de forêt.

Puis traversant une rangée de collines, amas de blocs de granit de toutes les formes, empilés de la manière la plus fantastique, la route vous conduit à Ousékhé. Ces roches vous rappellent des logans, des églises, ainsi que les monuments druidiques de Stonehenge et d’ailleurs ; mais l’énormité de leur volume exclut toute supposition d’arrangement fait de main d’homme.

Un hyrax ou lapin de montagne abonde dans les fentes et dans les trous de cette chaîne rocailleuse.

Après le district d’Ousékhé se trouve celui de Khoko, séparé du précédent par une lisière de jungle. Bien qu’habités par des Vouagogo, ces deux territoires peuvent être considérés comme appartenant à une nouvelle division géographique.

Le Khoko est une plaine ondulée et fertile, ayant beaucoup d’arbres et quelques-uns de ces blocs erratiques qui donnent à l’Ousékhé une physionomie si frappante.

On remarque dans le Khoko un arbre étroitement allié à celui des Banians, un figuier sycomore qui atteint des proportions énormes et dont la cime étalée couvre une large étendue. Sous la moitié de la voûte d’un seul de ces arbres, notre caravane, composée plus de trois cents hommes, se trouva amplement abritée.

À l’époque du voyage de Burton, il fallait pour gagner le district suivant, qui est le Mdabourou, traverser un long espace couvert de jungle. Lors de mon passage, le hallier avait presque entièrement disparu et la presque totalité du sol était mise en culture.

Le Mdabourou est un grand territoire fertile, dont la population nombreuse possède beaucoup de gros bétail. Il est drainé par le noullah du même nom, série de grandes auges et d’étangs, où dans les saisons les plus sèches on trouve une eau abondante et bonne, et qui, à l’époque des pluies, devient une rivière impétueuse, qui va se jeter dans le Rouaha, situé à moins de cinquante milles de la route que nous avons prise.

Le sol de la vallée du Mdabourou est un riche humus de couleur rouge ; les habitants cultivent la patate et différents légumes en outre du sorgho, principale récolte de leurs parents des sections précédentes.

Entre le Mdabourou et l’Ounyanyemmbé, s’étend ce qu’on appelle le Mgounda Mkali ou Plaine embrasée, et qui autrefois était considéré comme l’une des parties les plus périlleuses de la route. C’était alors un désert fourré de broussailles, où l’eau était rare, et où nulle part on ne trouvait de provisions. Maintenant, bien qu’il y ait encore dans cette traversée quelques étapes pénibles, le changement est complet ; une grande partie de la forêt a été défrichée par les Vouakimmbou, gens de la race des Vouanyamouési que la défaite a chassés de leur territoire. Des citernes ont été creusées, des étangs découverts, des villages construits, dans lesquels on peut acheter des vivres ; et le désert brûlant, naguère redouté des caravanes, qui s’attendaient à y perdre un nombre considérable de leurs membres, est aujourd’hui affronté sans crainte et franchi sans beaucoup de peine.

Immédiatement après le Mdabourou, le pays s’accidente, il devient montueux, le granit affleure en nappes plus ou moins étendues, et apparaît au flanc des collines. Le quatrième jour de marche, on traverse le Maboungourou, noullah du même caractère que le Mdabourou, dont nous avons parlé plus haut, et qui, sur la route de l’Ounyanyemmbé, est l’affluent le plus oriental du Rouana.

Quand on a fait cette traversée, on monte considérablement, et l’on atteint bientôt la plus grande altitude à laquelle on arrive dans cette partie du voyage. Beaucoup d’étangs, et plusieurs petits cours d’eau, les uns et les autres desséchés pour la plupart, se rencontrent dans ce trajet.

Ces noullahs ont un cours tellement tortueux qu’il nous a été impossible de reconnaître si le drainage se faisait vers le Nil, le Tanganyika ou le Rouaha.

Autour des établissements où elle est cultivée, comme à Djihoué la Sinnga, la terre se montre partout d’une fertilité merveilleuse, et l’on pourra faire de ce territoire tout entier un pays à froment.

À partir de Djihoué la Sinnga, les eaux s’écoulent décidément vers le Nil.

Immédiatement après Djihoué, on trouve une petite rangée de collines rocheuses ; deux de ces collines sont reliées par une arête d’environ cinquante pas de longueur, arête que franchit le sentier.

Peu de villages se rencontrent dans le pays où l’on entre et qui est, en grande partie, couvert de broussailles. L’eau y est rare, bien que, sans aucun doute, il y en ait dans les dépressions du granit, qui par endroits affleure en larges nappes ; l’eau existe probablement partout à moins de trente pieds de profondeur.

La portion la plus cultivée de ce district est voisine de la résidence du chef de l’Ourougourou, située à quatre longues étapes de l’Ounyanyemmbé. C’est là que, pour la première fois, depuis que nous avions quitté la région maritime, j’ai vu cultiver le riz dans les fonds humides.

L’espace qui est entre l’Ourougourou et l’Ounyanyemmbé est assez uni, mais presque entièrement couvert de jungle. À Maroua, qui se trouve à moitié chemin, des rochers et des collines de granit surgissent de la plaine en grand nombre et sont entourés de palmyras (borassus flabelliformis).

Sur la frontière de l’Ounyanyemmbé, on traverse un petit cours d’eau temporaire, affluent du Toura, également torrentiel. Dans la saison des pluies, ce dernier va rejoindre à peu de distance, au nord-nord-ouest, une lagune appelée Nya Kouv, dont les eaux finissent par gagner le Victoria Nyannza. Cette information est due aux Arabes, et je pense qu’elle est digne de foi.

Il n’est peut-être pas inutile de faire remarquer la présence de la racine Nya, dans Nyannza, Nyassa, Manyara et Nya Kouv. En Kisouahili, kounya signifie pleuvoir ; kou n’est que le préfixe qui marque l’infinitif, nya est le verbe même.

Cet affluent du Toura, complètement à sec lors de notre passage, forme la limite orientale de l’Ounyanyemmbé, province dont la majeure partie est défrichée, et qui pendant longtemps a été supérieure à tous les pays voisins par le chiffre de sa population et l’étendue de ses cultures. Le nom qu’elle porte l’indique ; ou veut dire contrée ; nya forme de ya, l’n étant ajouté pour l’euphonie, est l’équivalent de notre préposition de, et yemmbé signifie houe, ce qui donne littéralement : Pays des houes, pays cultivé[13].

L’Ounyanyemmbé est couvert d’innombrables villages entourés de haies impénétrables, composées d’un euphorbe, dont le suc est d’une telle âcreté que la moindre goutte reçue dans l’œil cause des douleurs intolérables et souvent rend aveugle[14].

Le froment, les oignons, différentes sortes de légumes et d’arbres à fruits, importés de la côte, sont cultivés par les Arabes établis dans cette province.

Dans la partie méridionale du territoire s’élèvent, en grand nombre, de petites collines rocheuses ; le nord, moins accidenté, va rejoindre, d’une part, les plaines des Masaïs, de l’autre, celles qui bordent le cours moyen du Malagaradzi.

Arabes et indigènes possèdent de grands troupeaux de bêtes bovines, dont toutefois l’état de guerre, qui dure depuis quelques années, a beaucoup diminué le nombre.

Au sud-ouest de l’Ounyanyemmbé, les collines rocheuses disparaissent, et la grande plaine alluviale, couverte de jungle, est en partie défrichée par les gens de l’Ougounda. L’appellation de ce dernier territoire veut dire également : pays cultivé, mgounda ayant le même sens que le mot kisouahili chammba (terrain mis en culture).

Assez incomplet pour que, dans la saison pluvieuse, de larges espaces ne soient propres qu’à être convertis en rizières, le drainage se fait ici principalement par le Voualé, noullah qui va rejoindre le Ngommbé du Sud, et qui appartient au système du Malagaradzi, affluent du lac Tanganyika.

De l’Ougounda au Ngommbé du Sud, qui la borne au couchant, se déploie une vaste plaine, çà et là marécageuse, plaine bien boisée, où la forêt est généralement dépourvue de sous-bois. De belles clairières, où des bouquets d’arbres sont disposés comme dans un parc, servent de pâturages à d’innombrables troupes d’animaux, parmi lesquels se remarquent le rhinocéros, le lion et le buffle.

Le Ngommbé du Sud, pendant la saison sèche, et au commencement de la saison pluvieuse, ne consiste qu’en de longues pièces d’eau, séparées les unes des autres par des bancs de sable ; mais toutes ces auges, qu’en Australie on appellerait des criques, se réunissent avant la fin des pluies et forment une grande rivière qui en maint endroit couvre ses bords sur une largeur de trois ou quatre milles.

Au delà du Ngommbé, se trouve l’Ougara ; toujours la forêt, bois et jungle, sans autre intervalle que les défrichements faits par les indigènes, autour de leurs villages. Du sommet de quelqu’une des éminences, qui s’élèvent de la plaine, vous n’apercevez que feuillage, excepté au nord-nord-ouest, où apparaissent deux ou trois monticules de forme conique.

À mesure qu’on avance au couchant, la plaine est moins unie, le terrain plus ondulé ; des séries de collines, pareilles à de grandes vagues et dont on gagne le sommet par une pente graduelle, ont, à l’ouest, un versant rapide, d’où les eaux coulent par des lits nombreux, vers le Malagaradzi.

Les montagnes du Kahouenndi à l’ouest de l’Ougara, s’élèvent jusqu’à sept mille pieds (deux mille cent mètres) au-dessus du niveau de la mer. Elles sont composées principalement de granit, et, par endroits, présentent du grès et une espèce de schiste argileux incomplètement formé. Leurs promontoires et leurs flancs abrupts, pareils à des falaises, éveillent l’idée qu’elles ont pu être un archipel.

L’Ouvinnza, qu’on trouve après le Kahouenndi, ressemble beaucoup à cette dernière province jusqu’à l’Ougaga, endroit où le Malagaradzi vient longer le versant nord des montagnes.

Cette première partie de l’Ouvinnza est une plaine coupée par les vallées du Louvidji, du Roussougi et d’autres affluents du Malagaradzi, rivières dont les eaux, chose curieuse, sont parfaitement douces, bien qu’en beaucoup d’endroits le pays qu’elles traversent soit imprégné de sel[15].

En approchant du Tanganyika, le terrain est de plus en plus montueux et relie par ses chaînons les montagnes du Kahouenndi à celles de l’Oudjidji et de l’Ouroundi.

Arrivé dans l’Oukarannga, je ramassai dans une jungle des muscades de belle dimension et d’un bon arôme. Les plantes à caoutchouc, de différentes sortes, abondaient au même endroit.

  1. « Nulle part, » dit Onésime Reclus en écrivant le Sahara de cette plume qui tient du pinceau et du burin, « nulle part au monde le mot séparer ne s’applique aussi justement ; plus que les hautes montagnes que franchissent des cols viables, plus que l’Océan bravé par les navires, plus que la toundra affermie tous les ans par la rigidité des froids, le grand désert éloigne l’un de l’autre les régions entre lesquelles il déroule ses sables, ses rochers, ses oasis, élève sans ordre, à une hauteur de mille à deux mille mètres, ses monts de grès ou de granit jaunes, noirs ou rougis par du minerai de fer. Dans cet espace de cinq à six mille kilomètres de long et de mille à deux mille kilomètres de large, contenance de six cent trente millions d’hectares, égale aux deux tiers de l’Europe, douze fois celle de la France, des chardons, des artémises, des buissons épineux, quelques herbes nourries par l’oued invisible, des scorpions, des lézards, le leffà, vipère à cornes dont la morsure tue si vite qu’on l’a nommé serpent-minute, c’est, en dehors des oasis, à quoi se borne toute la vie saharienne. » — (La terre à vol d’oiseau, Paris, Hachette, 1877, vol. II, p. 74.) Mais dans le Sahara plus encore, peut-être, que dans le Kalahari « l’eau a une puissance d’évocation prodigieuse : il suffit d’une nuit mouillée pour vêtir de verdure les sables les plus indigents. » Voyez également pour le grand désert du sud, pour les pays qui l’entourent et leur dessiccation, la Terre à vol d’oiseau, même volume, de la page 115 à la page 134. (Note du traducteur.)
  2. D’après les informations recueillies par M. Marche, et que paraît confirmer ce que nous savons des découvertes de Stanley, l’Ogôoué serait une branche du Congo. (Note du traducteur.)
  3. Cette ligne a été franchie par Schweinfurth dans le pays des Niams-Niams, entre le Lindoukou, sous-affluent du Diour, et le Mbroûolé tributaire de l’Ouellé. Voyez pour ce point intéressant Au cœur de l’Afrique, Paris, Hachette, 1875, tome Ier, p. 452, (Note du traducteur.)
  4. Le Bahr el Arab ou Bahr-el-Homr, principale branche du Ghazal, n’est connu que près de son embouchure. Assez important pour être placé par Schweinfurth à côté, sinon au-dessus du Bahr el Djebel (haut Nil Blanc), le Bahr el Homr semblerait être la grande rivière des Abou Dingas et prendrait alors sa source dans les monts du Rounda, au sud de l’Ouadaï ; ce qui, au sud-ouest, rejetterait la limite du bassin nilotique assez loin de la ligne orientale du désert. Relativement aux sources du Bahr el Homr, le point traversé par Schweinfurth serait au sud-est. Voyez Au cœur de l’Afrique, tome II, p. 325. (Note du traducteur.)
  5. Une ligne de faîte sépare bien les affluents du Limmpopo des tributaires du Zambèse inférieur, mais autrefois les deux bassins communiquaient entre eux. Aujourd’hui encore, dans les années très pluvieuses, le Limmpopo, d’après de récentes découvertes, serait rejoint par la Zouga, ce qui le réunirait au cours moyen du Zambèse. Nul doute que, plus tard, les pluies ne se régularisent par le reboisement et la culture du sol, que les rivières ne soient débarrassées de leurs obstacles, que les chutes trop considérables ne soient tournées par des canaux. Les produits du centre africain pourront alors gagner l’Atlantique par le Zaïre, l’Ogôoué et le Gabon, la Méditerranée par le Nil, la mer des Indes par le Zambèse ou le Limmpopo, à 54 degrés de latitude de Port-Saïd. Si, comme le pense Schweinfurth, l’Ouellé était le haut Chari, un canal de quelques lieues ferait passer du bassin du Nil dans celui du lac Tchad ; et s’il est vrai que ce dernier communique par le Serbenel avec la Bénoué, on irait d’Alexandrie à Tombouctou sans quitter la voie fluviale. (Note du traducteur.)
  6. On sait que depuis l’époque où l’auteur a écrit ces lignes, l’Angleterre, qui n’a jamais reconnu l’indépendance des États du Transvaal et de l’Orange, a pris possession de ladite république. (Note du traducteur.)
  7. Voyez dans Explorations de l’Afrique centrale, p. 311, 313, 332, 410, ce que rapporte Livingstone de cette curieuse ligne de faîte, de la nature des sources et de l’enchevêtrement des tributaires du Congo et du Zambèse. (Note du traducteur.)
  8. Suivant Schweinfurth, l’Ouelié serait le Chari supérieur. Avec une concordance qui ne s’est jamais démentie, les Mombouttous et les Niams-Niams qu’il a questionnés sur cette rivière donnaient à l’Ouellé une direction ouest-nord-ouest. Plusieurs d’entre eux l’avaient suivie pendant des jours et des jours jusqu’à un lac dont les riverains, vêtus d’une étoffe blanche, faisaient leurs prières à la façon des Turcs, ce qui indique une population musulmane. Voyez, pour plus de détails : Au cœur de l’Afrique, vol. Ier, p. 498 et vol. II, p. 139. (Note du traducteur.)
  9. Burton a donné sur le copal, sur l’arbre qui le fournit, sur le commerce dont il est l’objet, d’amples détails que l’on trouvera p. 695 du Voyage aux grands lacs de l’Afrique orientale. (Note du traducteur.)
  10. Probablement l’aulacode, bohko des Bohgos, fahr el bouhss des Nubiens, nom qui signifie : rat des roseaux. (Note du traducteur.)
  11. Livre traduit sous le titre de Voyage aux grands lacs de l’Afrique orientale, Paris, Hachette, 1862. Voy. également Stanley, Comment j’ai retrouvé Livingstone, Paris, Hachette, 1874, p. 177 et suiv. (Note du traducteur.)
  12. Voyez pour le lac Ougommbo, Stanley, Comment j’ai retrouvé Livingstone, p. 180. (Note du traducteur.)
  13. Peut-être aussi : pays d’où viennent les houes. (Note du traducteur.)
  14. La sève de cet euphorbe est assez abondante pour éteindre le feu mis à la plante où elle circule, particularité qui jointe à sa nature épineuse, et à ses dix ou douze mètres de hauteur, rend l’euphorbe en question doublement précieux pour enclore les villages. (Note du traducteur.)
  15. Faisons remarquer, à ce sujet, que les fontaines des bords du lac sont absolument douces, tandis que les baies du Tanganyika sont généralement saumâtres ; ajoutons que les eaux de la nappe même sont d’une nature spéciale. « Le Loukouga a la même saveur que le Tanganyika, pas salée, mais pas douce, saveur particulière,  » dit Cameron, qui voit dans ce fait la preuve que le Loukouga est bien l’émissaire du lac. Burton (Voyage aux grands lacs de l’Afrique orientale, p. 474) mentionne, d’après les indigènes, l’action corrosive des eaux du Tanganyika ; et Livingstone (Dernier journal, vol. II, p. 104) cite l’efficacité de ces mêmes eaux pour la guérison du goitre. (Note du traducteur.)