Histoire de la constitution de la ville de Dinant au Moyen Âge/Texte entier

Librairie Clemm (H. Engelcke Successeur) (p. Couv-119).
UNIVERSITÉ DE GAND

RECUEIL DE TRAVAUX
PUBLIÉS PAR
LA FACULTÉ DE PHILOSOPHIE ET LETTRES

2e FASCICULE

HISTOIRE DE LA CONSTITUTION
DE LA
VILLE DE DINANT
au Moyen-Âge


PAR
H. PIRENNE
Professeur extra-ordinaire à l’Université de Gand


Séparateur



GAND
LIBRAIRIE CLEMM (H. ENGELCKE SUCCESSEUR)
RUE DE LA CALANDRE, 13
1889

J’ai cherché à faire, pour une ville belge, ce qui a été fait, pendant les dernières années, pour tant de villes allemandes et françaises.

Le type constitutionnel des communes liégeoises, qui est celui de Dinant, n’a encore formé, jusqu’aujourd’hui, le sujet d’aucune étude spéciale. L’intérêt qu’il présente est pourtant considérable, par suite de la netteté avec laquelle les différentes institutions s’y laissent dégager. On se demandera sans doute, dans ces conditions, pourquoi, au lieu d’écrire directement une histoire de la constitution liégeoise, je me suis attaché à celle d’une ville secondaire. Mais, outre que mes occupations professionnelles ne me permettaient pas d’entreprendre actuellement le travail très étendu qu’aurait demandé une étude approfondie sur Liège, je me suis trouvé, pour aborder Dinant, dans des conditions particulièrement favorables. M. St. Bormans, qui a publié le cartulaire de cette commune[1], a bien voulu mettre, en effet, à ma disposition, avec la plus généreuse bienveillance, une grande quantité de notes prises par lui aux archives. Je ne puis mieux exprimer toute la reconnaissance que je lui dois qu’en déclarant que, sans le secours de ces notes, je n’aurais certainement pas entrepris le présent travail.

L’Inventaire des archives communales de la ville de Dinant[2], publié par M. Remacle, m’a encore été d’un grand secours. L’obligeance de son auteur, ainsi que celle de M. L. Lahaye, conservateur des archives de l’État à Namur ont d’ailleurs singulièrement facilité mes recherches et je leur en adresse ici mes plus vifs remercîments[3].

Malgré tout, je ne me dissimule pas que les sources de l’histoire constitutionnelle de Dînant sont bien incomplètes. Le sac et l’incendie de la ville en 1466 n’ont épargné qu’une faible partie de ses archives. Ce qui en reste suffit cependant à reconstituer, au moins dans ses traits essentiels, ce qu’a été l’organisation de la commune au moyen-âge.


SOMMAIRE.



I.  
Origine de Dinant. La centène. Droits du comte de Namur et de l’évêque de Liège dans la ville au XIe siècle. L’administration épiscopale. 
 1
II.  
Formation de la bourgeoisie. L’échevinage. Les jurés. 
 18
III.  
Les métiers. La révolution démocratique. Le conseil au XIVe siècle. 
 34
IV.  
L’administration urbaine ; fonctionnaires, finances, police, milice. La juridiction urbaine. Droits de l’évêque dans la ville. La ville et les États. La franchise et la châtellerie. 
 49
V.  
Le commerce de Dinant au moyen-âge. Participation de la ville aux privilèges de la Hanse. Condition sociale de la population urbaine : bourgeois, batteurs, métiers. 
 90
La constitution urbaine du xve au XVIIIe siècle. 
 115

HISTOIRE
DE LA
CONSTITUTION DE LA VILLE DE DINANT
au Moyen-Âge


I.

Dinant ne doit son origine ni à un monastère, comme Saint-Trond et Stavelot, ni à un burgus, comme la plupart des villes hollandaises ou flamandes, ni à une situation géographique particulièrement favorable au commerce. Adossée comme ses voisines Huy et Namur à de hautes roches calcaires, excellentes pour la défense, elle semble avoir été habitée dès une époque antérieure à la romanisation de la Belgique. On en a pour preuve, outre la physionomie celtique de son nom, la découverte dans son sol d’antiquités préhistoriques.

Dès le début de la période mérovingienne, Dinant apparait comme siège d’un atelier monétaire[4]. En 744[5], une charte d’immunité pour Stavelot mentionne les hommes et les terres que cette abbaye possédait in Dionante castro. Un autre document de 824[6], pour le même monastère, donne à notre localité le nom de vicus. En 870, le traité de Meersen nous fait connaître à Dinant l’abbatia Sancte Marie, la future collégiale de Sainte-Marie. Une autre église d’ailleurs devait depuis longtemps déjà exister dans la ville à cette époque. Un des premiers évêques de Tongres-Maestricht historiquement connus, Saint-Perpète (604 ? — 619 ?), aurait été en effet enterré à Dinant dans l’église de Saint-Vincent[7].

Au IXe siècle, Dinant semble être devenue une place de quelqu’importance, puisqu’elle est citée par l’anonyme de Ravenne parmi les civitates de la Francia Rinensis[8]. Des chartes de 862 et de 874 la mentionnent comme portus[9] et à la fin du Xe siècle, la vie de Saint-Hadelin, comme emporium[10].

Un texte précieux nous a conservé la nomenclature très complète des droits que le comte de Namur exerçait à Dinant au XIe siècle. Peu utilisé jusqu’aujourd’hui, bien que Waitz l’ait jugé assez important pour le faire figurer dans son recueil d’Urkunden, ce document est certainement l’une des plus intéressantes de ces sources si rares, qui permettent de se faire une idée de l’administration urbaine avant la période communale[11].

Comme son premier éditeur, M. A. Wauters, l’a déjà fait remarquer, ce texte ne peut être postérieur à 1070[12]. Pour ma part, je serais tenté d’en placer la rédaction antérieurement à 1047. Nous savons en effet que le comte de Namur donna cette année là au chapitre de Saint-Aubain la chapelle de Saint-Menge[13] ; or notre texte met encore très nettement cette chapelle au nombre des propriétés comtales. En tous cas, la date de 1047 serait pour notre document un terme extrême. Il est impossible de lui supposer une origine beaucoup plus ancienne. Il nous montre en effet la ville arrivée à un degré de développement économique que l’on peut difficilement croire antérieur au XIe siècle. Il cite en outre le camerarius du comte de Namur et il me parait peu probable que celui-ci ait eu un tel officier, revêtu de fonctions publiques, avant cette époque.

Ce que notre document nous permet tout d’abord d’appercevoir, c’est la division de Dinant entre deux seigneurs : le comte de Namur d’une part, l’évêque de Liège de l’autre. C’est même probablement à l’occasion de conflits de juridiction entre eux qu’il a été rédigé. Bien qu’il se borne mentionner l’advocatus et la familia de l’évêque, le texte laisse cependant voir indirectement en quoi consistaient les domaines de ce dernier. La liste des églises du comte ne contenant en effet ni celle de Sainte-Marie, ni celle de Saint-Vincent, on peut en conclure que ce sont précisément celles-ci, de loin les plus importantes de la ville, qui, avec leurs terres et leurs hommes, appartenaient à l’évêque. C’est donc seulement à la partie de Dinant qu’elles occupaient et non à toute la ville que se rapportent deux diplômes impériaux, l’un de 985[14], l’autre de 1006[15], ratifiant à Notger la juridication sur les biens de son église parmi lesquels est cité le vicus Dionantum.

En dehors du domaine épiscopal, tout le reste de Dinant était soumis au pouvoir du comte de Namur. Ce pouvoir avait d’ailleurs, suivant les endroits, une nature différente : c’était celui d’un propriétaire sur les églises de Sainte-Marie de Leffe, de Saint-Hilaire, de Saint-Georges, de Saint-Pierre, de Saint-André et de Saint-Menge[16] ; c’était celui d’un avoué lige sur les terres des abbayes de Saint-Remacle de Stavelot, de Saint-Pierre de Lobbes, de Sainte-Marie de Waulsort-Hastière, de Saint-Aubain de Namur[17] ; c’était enfin, pour la plus grande partie de la ville et de son territoire, celui d’un fonctionnaire public. Ce n’est en effet essentiellement ni comme propriétaire foncier, ni comme avoué que le comte intervenait à Dinant. Dans ses traits principaux, la nature publique de l’autorité qu’il y exerçait, est clairement reconnaissable. C’est du roi (empereur) qu’il tenait sur bannum, c’est au nom du roi qu’il agissait[18]. Notre texte du XIe siècle ne contient pas trace de droit domanial, de Hofrecht. On n’y trouve mention ni de cens personnel, ni de morte-main, ni de tailles, ni de corvées. Ce n’est pas à dire cependant, que tout cela n’ait pas existé pour une partie de la population. Les hommes établis dans les avouries comtales sont qualifiés en effet de familia[19] : c’étaient sans doute des censuales soumis à une condition juridique particulière, mais sur laquelle nous n’avons malheureusement aucun renseignement. En dehors de là, les habitants du territoire comtal étaient libres[20]. Ils ne l’étaient pas tous d’ailleurs originairement. Plusieurs d’entre eux avaient acquis la liberté en venant s’établir dans la ville. Notre texte nous apprend en effet que les nouveaux arrivants, quelle qu’eût été leur condition juridique antérieure, n’avaient plus à répondre, dès leur établissement à Dinant, à nul autre pouvoir qu’à celui du comte[21].

Le territoire de Dinant au XIe siècle constituait une centène. Les habitants en étaient tenus, à part naturellement ceux des terres de l’évêque soustraits à la juridiction du comte, à assister annuellement aux trois plaids généraux (tria per annum centenarie complacita)[22]. Toutefois, la centène de Dinant au XIe siècle n’avait plus guère que le nom de commun avec l’ancienne centène de l’époque franque. Son étendue était fort restreinte. Bornée à l’Ouest par la Meuse, au Sud par la centène d’Anseremme, au Nord et à l’Est par les territoires namurois qui constituèrent plus tard la prévôté de Poilvache, elle ne comprenait que la villa et les terres environnantes [23]. Elle coïncidait, selon toute apparence, avec la paroisse de Dinant. Les terres dont elle se composait étaient, soit des terrains communaux (wariscapia)[24], soit des courtils dont on peut voir, par les actes échevinaux du XIIIe siècle, qu’ils appartenaient aux habitants de la ville. Sans vouloir affirmer que la centène de Dinant au XIe siècle provienne d’une marche, on peut donc supposer au moins, que la circonscription juridique y coïncidait alors avec une circonscription agraire[25].

Il importe d’ailleurs de faire remarquer ici que l’on ne trouve au XIe siècle aucune intervention des habitants dans l’administration. Les terrains communaux sont placés en termes formels sous la surveillance du comte : ad suam justiciam pertinent et omnes sui sunt[26]. S’il a jamais existé à Dinant quelque chose d’analogue au selfgovernment des commarcani d’Allemagne, cela, à notre époque, a disparu sans laisser de traces et n’a pu exercer aucune influence sur le développement postérieur de la constitution urbaine[27].

Publique dans ses traits essentiels, l’autorité du comte à Dinant s’exercait cependant, au XIe siècle, sous une forme seigneuriale. Le comte, dont la résidence se trouvait à Namur, n’intervenait pas directement dans l’administration. Celle-ci était confiée à des ministeriales. Le maire et les échevins étaient en effet recrutés parmi cette classe d’hommes. Le maire portait par excellence le titre de ministerialis comitis[28] ; quant aux échevins, leur caractère ministériel est suffisamment attesté par le fait qu’ils étaient identiques aux monetarii du comte[29]. Ce ne sont là d’ailleurs que des altérations superficielles. Il est évident que la condition juridique des fonctionnaires importe peu, si la nature de leur pouvoir n’est pas influencée par elle[30].

Il suffit de jeter un coup d’œil sur la nomenclature des droits du comte à Dinant, pour constater que les revenus qu’il tirait de la ville n’ont pas une origine domaniale[31]. Nous avons déjà vu qu’il n’y est fait mention ni de tailles, ni de morte-main, ni de corvées etc. Encore une fois, ce n’était pas à titre de propriétaire, c’était à titre de justicier, que le comte exerçait l’administration et, conformément à cela, les produits qu’il en retirait portaient le nom de justiciae[32].

La plupart de ces justiciae provenaient de l’exercice du droit de tonlieu et de la réglementation du commerce local[33]. C’est dans les prestations auxquelles il avait droit de ce chef que consistait le meilleur des revenus du comte dans la ville. De ces prestations, les unes étaient en nature, d’autres en argent[34]. Elles étaient dues soit pour le pesage des métaux, soit pour la mise en perce du vin, etc[35]. Les bateaux étaient astreints à un droit de quai de deux deniers ; le bois de construction flotté par la Meuse payait autant ; du bois à brûler deux branches par fagot étaient acquises au grenier du comte[36]. Le pain exposé en vente aux fenêtres devait un droit d’étalage ; si on le vendait au marché, le ministerialis exigeait, au mois de Mai, trois samedis de suite, un pain de chaque marchand. Par échoppe laissée la nuit sur le marché, le comte percevait une obole. Les brasseurs lui devaient annuellement une redevance de trois sous et demi, plus cinq sous chaque fois qu’ils allumaient leurs fourneaux. Enfin, comme l’évêque de Liège à Huy, il avait le monopole de la vente du ferment (pigmentum) nécessaire à la fabrication de la bière[37].

On doit faire dériver ces prestations diverses des droits régaliens, si souvent mentionnés dans les diplômes du temps, de theloneum et de mercatus[38]. Mais le comte jouissait dans la ville du comitatus complet. À ce titre, il y possédait encore la moneta et la via regia[39].

La monnaie lui est attribuée par notre texte avec une énergie particulière. « Le marteau, l’enclume, la monnaie, le monétaire, la frappe et l’inscription des pièces appartiennent au comte : la fausse monnaie relève de sa justice ; aussi longtemps qu’il le voudra la monnaie restera fixe, quand il le voudra, elle sera changée »[40]. Quant à la surveillance de la route royale, du pyrgus, elle s’exerçait de la manière suivante. Chaque année, un homme à cheval, une lance posée en travers sur la selle, parcourait la ville de bout en bout. Tout ce qui s’opposait à son passage devait être abattu ou racheté au bon plaisir du comte[41]. À la justice des chemins se rapporte encore une prestation de 10 sous et de 5 livres de poivre que les habitants avaient à payer au château de Namur soit au comte, soit, en cas d’absence de celui-ci, à son camérier[42].

La juridiction comtale à Dinant était confiée à un maire auquel notre texte donne le nom de ministerialis. Ce fonctionnaire était, comme le comte, un employé public. De même en effet que le comte tenait du roi son bannum[43], de même le maire tenait le sien du comte. La juridiction qu’il exerçait était donc une délégation de la juridiction royale[44]. Notre texte le prouve à l’évidence quand il stipule que les coupables sont remis au ministerialis « pro reverentia regie dignitatis ».

Sous la présidence du maire, les monétaires du comte fonctionnaient comme échevins[45]. Cette expression, à vrai dire, ne se trouve pas dans notre texte qui emploie le mot de judices. Waitz ne sait s’il faut entendre par là des juges proprement dits (Richter) ou des échevins (Urtheilsfinder)[46]. Il n’y a pas de doute qu’il ne faille choisir la seconde interprétation : on verra plus loin en effet que, jusqu’au XIIIe siècle, les monétaires ont fait partie de l’échevinage à Dinant.

Le ministerialis n’était pas seulement un officier judiciaire, c’était encore un villicus au sens primitif du mot, un exactor. Il administrait la ville au nom du comte ; il percevait les revenus de celui-ci. Le vendredi de chaque semaine était réservé à cet effet[47]. Du chef de ses fonctions, le ministerialis avait droit à une partie des taxes qu’il levait et qui constituait en quelque sorte son traitement[48].

Nous avons déjà vu que les terres des églises de Sainte-Marie et de Saint-Vincent appartenant à l’église de Liège, formaient, au plus tard à la fin du Xe siècle, un territoire soustrait à l’intervention comtale. Les deux diplômes de 985 et de 1006 y avaient accordé à l’évêque une juridiction complètement indépendante, au même titre que dans les autres patrimoines de son église. Il n’y avait donc à Dinant aucun rapport entre la juridiction du comte et celle de l’évêque. Chacune était extérieure à l’autre, elles se touchaient sans se confondre. Le texte du XIe siècle sur lequel nous nous sommes appuyé jusqu’ici, étant manifestement rédigé pour le comte, ne nous donne par malheur presque pas de renseignement sur l’organisation du territoire épiscopal. Il se borne à mentionner l’avoué de l’évêque sans rien dire de ses attributions. Toutefois, il prouve clairement l’indépendance absolue des deux seigneurs de la ville vis à vis l’un de l’autre. Il défend en effet[49], d’une part, à l’avoué de retenir un homme du comte cité en justice (inbannitus) et lui impose l’obligation de le remettre au ministerialis, d’autre part, il exempte de la juridiction comtale dans la villa tous les membres de la familia de l’église de Liège[50].

Un diplôme de l’empereur Henri IV vint, en 1070, changer complètement cette situation au profit de l’évêque. Tandis que les diplômes de 985 et de 1006 s’étaient borné à ratifier la juridiction épiscopale sur les hommes et les terres que l’église de Liège possédait à Dinant, celui de 1070 accorda à l’évêque Theoduin, après un jugement de la cour impériale (judiciario jure et legali deliberatione), le château, la monnaie, le tonlieu et le marché, c’est-à-dire précisément ces droits régaliens constituant le comitatus[51]. Cette concession impériale de possession en y faisant battre monnaie[52]. Désormais, si le riale suffit pour mettre fin à toute intervention du comte dans la ville. Ne tenant pas son pouvoir à Dinant d’un titre de propriété mais, comme on l’a vu, exclusivement de la délégation impériale, le comte, du jour où celle-ci fut transférée à l’évêque, ne pût plus invoquer la potestatem et justiciam quam tenet a rege. Du même coup, il se trouva dépouillé complètement à l’avantage de son rival.

Après l’obtention du diplôme de 1070, l’évêque de Liège, à sa qualité primitive de propriétaire privilégié de biens ecclésiastiques, joint donc celle de détenteur exclusif des droits régaliens à Dinant et Théoduin s’empressa d’assurer sa prise comte à conservé à Dinant ses propriétés particulières et sans doute des revenus dans ses petites avoueries (v. p. 4) que l’empereur ne pouvait lui enlever[53], il a cependant perdu toute intervention dans la constitution urbaine[54]. Il n’est pas, comme tant d’autres comtes de l’empire, devenu burgrave. Le rapprochement entre les attributions du comte de Namur à Dinant au XIe siècle et celles des burgraves de Spire, de Worms, de Mayence, de Metz, de Regensbourg, et surtout de Toul et de Genève prouve en effet à l’évidence que ceux-ci ne sont que des comtes transformés[55]. Malgré une altération plus ou moins grande, leur situation primitive se laisse encore, éclairée par l’exemple de Dinant, reconstituer dans ses traits essentiels et ce n’est pas le moindre intérêt que présente le texte analysé plus haut, que ce lien qu’il permet d’établir entre le comte et le burgrave. Mais Dinant ne nous montre que le point de départ, non le point d’arrivée. En présence de l’évêque les attributions comtales ne s’y transforment pas, elles disparaissent. Deux causes expliquent ce phénomène. La première est le fait de la résidence du comte non à Dinant, mais à Namur ; la seconde doit être cherchée dans la puissance territoriale et politique des évêques de Liège dès le XIe siècle[56]. Le remplacement du comte de Namur à Dinant par l’évêque de Liège, n’est d’ailleurs qu’une des nombreuses manifestations de la politique impériale qui cherche, dans les Pays-Bas, à diminuer l’influence des princes laïcs en augmentant la force des princes ecclésiastiques.

La substitution à Dinant de l’évêque de Liège au comte de Namur, a du naturellement exercer une influence considérable sur la constitution de la ville. Toute la population, dès 1070, n’eut plus qu’un seigneur. Les deux territoires juridiques dont elle s’était composée jusque là furent agglomérés en un seul. Les anciens homines comitis et la familia episcopi ne relevèrent plus désormais d’une juridiction et de fonctionnaires particuliers. L’avoué succéda aux attributions du comte, le ministerialis devint un villicus épiscopal. Quant aux échevins monétaires, ils continuèrent certainement à exister, puisque, comme nous l’avons déjà dit, ils sont encore mentionnés au XIIIe siècle.

Toutefois, après 1070 comme avant, la population de Dinant continue à nous apparaître divisée en deux groupes nettement distincts. En présence des hommes jadis soumis au comte et qui doivent avoir maintenu sans changements leur condition juridique, la familia episcopi conserva son caractère. Elle était formée de censuales qui, chaque année, le jour de l’assomption, payaient un cens à la domus episcopalis. Ces censuales étaient établis sur des curtilia, astreints à un cens foncier[57]. Au XIIIe et au XIVe siècles nombre de maisons et de terres grevées d’un droit de quelques deniers au profit de la collégiale de Sainte-Marie rappelaient encore évidemment cette situation ancienne[58]. Quant aux censuales, leur souvenir se perpétua jusqu’au XVe siècle dans le nom de gens de desous le moustier, que porta jusqu’alors une partie de la bourgeoisie.

L’évêque ne conserva pas dans ses mains tous les revenu justiciers dont le diplôme de 1070, en le substituant au comte, lui avait donné la jouissance. Certains d’entre eux furent cédés par lui en bénéfice à des vassaux de son église. C’est ainsi que l’amagium appartenait en fief, à la fin du XIe siècle, à un certain Walther[59]. Quant au tonlieu et au droit d’étalage sur le marché, l’évêque s’en dépouilla en 1096 au profit de la collégiale[60]. Il avait d’ailleurs aliéné de même certains de ses revenus domaniaux. Le comte Conon de Montaigu était en effet bénéficiaire des cens de la familia. Ceux-ci passèrent à la collégiale, lors du départ du comte pour Jérusalem[61].

Il importe de constater à ce propos que cette collégiale, l’une des douze abbayes séculières dépendant du chapitre cathédral de Liège, ne posséda jamais dans la ville autre chose que des terres et des revenus utiles et n’y exerça, à aucune époque, des droits quelconques de juridiction[62].

Nous connaissons malheureusement fort mal, vu l’absence de sources, l’administration épiscopale à Dinant. On peut toutefois constater que, comme dans les autres villes liégeoises, des deux fonctionnaires urbains, l’avoué et le maire, le premier perdit graduellement son importance au profit du second[63]. Les premiers avoués dinantais furent probablement des ministeriales. Au XIIe siècle ils ont complètement perdu ce caractère. Nous voyons en effet, à cette époque, l’avouerie au pouvoir des comtes de Duras qui possédaient en même temps celle de Saint-Trond. Ces comtes paraissent avoir surtout résidé dans les environs de cette dernière ville et ils ne furent guère pour Dinant que des avoués absents, sans influence sur la constitution urbaine[64]. Leur avouerie ne doit avoir été qu’un fief épiscopal en vertu duquel ils étaient tenus à défendre le château et la ville. En 1152 Godefroid de Duras est appelé châtelain[65]. À la fin du XIIe siècle, l’avouerie passa par héritage à Widric de Walcourt. Ce fut lui qui en 1194 défendit le château de la ville contre Baudouin V de Hainaut. À partir de 1213 les détenteurs de la seigneurie de Rochefort furent avoués héréditaires de Dinant et le restèrent jusqu’au XVIe siècle. Mais désormais, devenue purement féodale et militaire, l’avouerie n’eut plus rien de commun avec l’ancienne avouerie administrative et judiciaire. Son détenteur n’avait plus droit qu’à quelques maigres revenus et à des prérogatives honorifiques sans importance[66]. Comme fonctionnaire urbain l’avoué a disparu dès le commencement du XIIIe siècle et le seul officier de l’évêque dans la ville est depuis cette époque le villicus, le maire[67].

II.

La plus ancienne mention de burgenses dans l’empire date de 1066 et appartient à une ville voisine de Dinant et comme elle au pouvoir de l’évêque de Liège : à Huy. Ce n’est toutefois que beaucoup plus tard, en 1152[68], que leur existence est constatée à Dinant. Dès lors, on a la preuve que la ville, au sens propre du mot, commence à se former. Le commerce, déjà assez actif, comme on l’a vu, dès le XIe siècle, détrône l’agriculture. La villa devient un riche oppidum entouré de bonnes murailles et occupé par une nombreuse population[69].

En devenant une ville, Dinant est devenue en même temps un territoire juridique indépendant. À partir de ce moment la centène disparait comme circonscription judiciaire renfermant la ville : elle se transforme en banlieue soumise à l’administration et au droit urbains. Il est d’ailleurs d’un haut intérêt de constater ici combien, à travers tout le moyen-âge, la centène s’est nettement conservée dans la banlieue. Toute la partie de celle-ci, en effet, qui s’étendait sur la rive droite de la Meuse, n’a jamais cessé de coïncider avec l’ancien territoire de la centène[70]. À partir du XIIIe siècle il est vrai, la banlieue s’est notablement agrandie en s’étendant sur la rive gauche du fleuve autour du faubourg de Saint-Médard. Dès ce moment la centène ne l’a plus comprise tout entière ; elle n’en a plus été qu’une partie. Mais c’est dans cette partie seulement que les droits de la ville étaient reconnus sans contestation. Au delà de la Meuse, la banlieue n’est autre chose qu’une injuste annexion de la ville en pays namurois, qu’une usurpation accomplie au détriment de voisins plus faibles, mais contre laquelle ceux-ci n’ont cessé de protester[71].

Le premier résultat de la formation d’une bourgeoisie à Dinant a été une transformation profonde de l’échevinage. Celui-ci prend désormais un caractère strictement urbain. Il devient le tribunal naturel et nécessaire des habitants de la ville. Il juge suivant la coutume de la ville de Dinant[72].

Parallèlement à cette transformation, s’en accomplit une autre non moins frappante. Les monétaires ministériels que l’on a vu au XIe siècle en possession du droit de constituer le tribunal, en sont peu à peu dépouillés. Lentement ils reculent devant l’invasion lente mais irrésistible de la bourgeoisie. Ils perdent leurs sièges l’un après l’autre[73]. En 1227 ils n’en possèdent plus que deux et après cette date ils disparaissent complètement. Désormais, l’échevinage est tout entier aux mains des bourgeois. Il n’a été besoin pour en arriver là ni de révoltes de la part de la ville, ni de concession formelle de la part de l’évêque. La victoire de la bourgeoisie n’a été que le résultat fatal de sa prépondérance économique sur les vieux ministeriales. Les nouveaux échevins recrutés parmi elle : les Male-Racine, les du For, les de l’Isle, les de Saint-Vincent, les Waudrecheez etc. appartiennent tous à la classe la plus riche des habitants. Les actes échevinaux nous les montrent possédant dans la ville et la banlieue des vignes, des courtils, des maisons, des rentes foncières. Et en même temps, nous les voyons, comme les échevins de Gand ou de Liège à la même époque, faire le commerce en Angleterre[74]. Ces grands bourgeois correspondent ainsi complètement aux viri hereditarii des villes flamandes. Comme eux, ils sont à la fois propriétaires fonciers et marchands, comme eux, ils sont les représentants de la force nouvelle et toute puissante du capital et, par une conséquence nécessaire, ils ont obtenu comme eux, de leur ascendant économique, leur prépondérance politique, leur droit exclusif à fournir les membres de l’échevinage[75].

Comme les échevins et par les mêmes raisons, le maire épiscopal, le villicus, est pris également, à partir du XIIIe siècle, parmi les bourgeois. Il a cessé aussi d’être un ministerialis.

Malgré la transformation profonde subie par l’échevinage de Dinant, sa situation, vis à vis de l’évêque, est restée, à travers tout le moyen-âge, ce qu’elle était au XIe siècle. À Dinant comme à Liège, comme à Huy, comme dans toutes les villes du groupe liégeois, les échevins n’ont jamais cessé de former un tribunal seigneurial. S’ils sont des juges urbains, en ce sens qu’ils sont recrutés exclusivement et nécessairement dans la bourgeoisie, dont ils constituent la juridiction privilégiée, ils n’en restent pas moins cependant des fonctionnaires du prince qui les nomme et auquel ils prêtent serment. C’est là une des différences essentielles qui distinguent les villes liégeoises des villes flamandes. Dans ces dernières, la bourgeoisie intervint de bonne terre dans la nomination des échevins qui prirent ainsi le caractère d’une magistrature communale[76]. Sur les bords de la Meuse, il n’en a jamais été de même. Ici, justice seigneuriale et échevinage ont toujours eu une signification identique. L’autonomie urbaine n’a pas, comme en Flandre, trouvé son expression dans les échevins, mais dans les jurés.

L’échevinage de Dinant, comme celui de toutes les autres bonnes villes de la principauté de Liège, se composa toujours de sept membres[77]. Ils étaient nommés à vie[78] par l’évêque et avaient, lors de leur entrée en charge, à jurer devant le chapitre cathédral de Saint-Lambert qu’ils n’avaient rien donné pour leur élection et qu’ils jugeraient en conscience et selon la loi du pays[79]. Le droit d’élection de l’évêque ne put empêcher l’échevinage de se monopoliser de plus en plus au pouvoir de certaines familles. Les mêmes noms reviennent continuellement dans les listes scabinales qu’il est possible de dresser pour le XIIIe siècle. Au XIVe siècle, la ville dut prendre des mesures pour empêcher des parents trop rapprochés de faire partie ensemble de l’échevinage[80].

Comme les échevins, le maire ne se transforma jamais, pas plus à Dinant que dans les autres villes liégeoises, en magistrat communal. Il était, lui aussi, nommé à vie par l’évêque et astreint au serment devant le chapitre. Presque toujours il appartenait à une famille échevinale, parfois même il était échevin.

Le maire tenait de l’évêque son bannum, c’est à dire son droit de semoncer les échevins et de faire exécuter leurs sentences. Il en résultait que ce droit était interrompu entre la mort d’un évêque et la nomination de son successeur, qui avait à le renouveler. L’abolition de cette coutume par un diplôme impérial de 1299 ne fut qu’un incident passager, qui ne l’interrompit que fort peu de temps[81].

Depuis la disparition de l’avoué, le maire tenait de la délégation épiscopale l’exercice de la haute justice. Il avait à faire arrêter dans la ville et la banlieue les coupables des cas criminels réservés au seigneur ; il faisait exécuter les sentences portées contre eux par les échevins ; il proclamait les quarantaines au nom de l’évêque ; il intervenait dans les bannissements[82].

La juridiction du maire et des échevins était loin d’ailleurs de ne s’étendre qu’au droit criminel. Dès le commencement du XIIIe siècle, un très grand nombre d’actes de transports de propriété, de constitution de rentes foncières, etc, nous montrent quelle comprenait aussi le judicium de hereditatibus. Malgré les tentatives des villes, au XIVe siècle, pour enlever aux échevins cette compétence civile, elles n’y réussirent jamais. En matière immobilière, l’échevinage ne cessa d’être, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, le seul tribunal compétent.

Enfin, comme partout ailleurs dans les Pays-Bas, l’échevinage de Dinant était revêtu de la juridiction gracieuse[83]. Quelques originaux et un grand nombre de copies nous ont conservé la preuve de son activité en ce sens, depuis les premières années du XIIIe siècle. Ces actes constituent une source précieuse de renseignements pour l’histoire de la propriété urbaine[84].

Le droit suivant lequel jugeaient les échevins n’était pas un droit communal, propre à la ville. Bien qu’il soit fait mention, dès le début du XIIIe siècle, de transports de propriété accomplis suivant la consuetudo fori Dionensis, Dinant n’eut jamais, pas plus que les autres villes wallonnes de la principauté de Liège, sa coutume particulière[85]. En ce point encore, ces villes présentent un contraste très net avec les villes flamandes. Dans ces dernières, les keures du XIIe siècle purent, à la longue, se transformer en coutumes urbaines, parce que les échevins qui les appliquaient devinrent des magistrats communaux, organes du droit de la ville. Dans le pays de Liège, au contraire, le caractère seigneurial des échevinages empêcha les choses de se passer ainsi : le droit d’après lequel ils jugeaient fut toujours un droit territorial. Si des actes mentionnent au XIIIe siècle la coutume de Dinant il ne faut sans doute entendre par là que certaines formes juridiques inconnues peut être dans le plat pays, mais communes à toutes les villes liégeoises. Il est d’ailleurs caractéristique que la coutume de Dinant ne soit plus signalée à partir du XIVe siècle, c’est à dire précisément dès l’époque où, par l’action commune de l’évêque et des états, fut établie la loi du pays. Cette loi était gardée par les échevins de Liège, à qui toutes les cours de hauteur de la principauté avaient à prendre rencharge[86]. En 1299, l’évêque en conflit avec la cité, obtient du roi des Romains des diplômes qui affranchissaient Huy et Dinant de cette obligation[87]. Si cet état de choses avait duré, ces deux villes eussent pu développer, comme les villes flamandes, des coutumes particulières. Mais cette rupture des traditions échoua. Ni Huy, ni Dinant ne se séparèrent de leur chef : le Pawilhar (registre des échevins de Liège) montre que, dès le début du XIVe siècle, elles avaient repris l’habitude de se conseiller à Liège.

Le rôle des échevins de Dinant, jusqu’à la fin du XIVe siècle, ne se borna pas à leurs fonctions judiciaires. Si d’une part, ils étaient des juges épiscopaux, de l’autre, ils se recrutaient parmi les familles les plus influentes de la bourgeoisie et, à ce titre, on les voit prendre part de bonne heure à l’administration de la ville. Jusqu’en 1348 ils firent régulièrement partie du conseil. Toutefois, ce n’est pas d’eux que provient celui-ci, mais d’une magistrature de formation beaucoup plus récente et essentiellement communale : des jurés.

À l’apparition des jurés remonte, dans les villes liégeoises, l’origine des constitutions urbaines autonomes. Comme en Flandre, les évènements politiques y ont singulièrement favorisé les tendances nouvelles de la bourgeoisie. De même que Bruges, Lille, Ypres, St-Omer profitèrent de l’anarchie qui suivit le meurtre de Charles le Bon (1127) pour obtenir d’importants privilèges[88], de même Liège, Huy et Dinant, après l’assassinat de l’évêque Albert de Louvain (1192 Novembre 23), surent se servir des circonstances favorables que leur fournit la longue lutte entre les deux prétendants : Simon de Limbourg et Albert de Cuyck[89]. Ce dernier (1193-1200) fut pour les villes liégeoises ce que Thierry d’Alsace a été pour les villes flamandes. Les avantages qu’il accorda aux bourgeoisies lui attirèrent la haine du clergé[90]. C’est à lui qu’est due la charte de Liège, ratifiée en 1208 par Philippe de Souabe[91] et il est fort probable que, dès son règne, il en étendit les stipulations essentielles à Huy, à Dinant, à Tongres et à Ciney[92].

La charte d’Albert est, en quelque sorte, la consécration de la condition juridique acquise par les bourgeoisies liégeoises à la fin du XIIe siècle. Elle exempte les cives de la taille et du service militaire, sauf dans le cas d’attaque de l’évêché ; elle restreint la juridiction synodale aux cas particulièrement réservés au for ecclésiastique ; l’échevinage est reconnu comme le seul tribunal devant lequel puissent être régulièrement cités les bourgeois ; le jugement de Dieu et le duel judiciaire sont abolis.

Il n’existe malheureusement, dans ce texte, aucun article relatif aux magistratures urbaines. Les échevins seuls y sont mentionnés. Mais nous savons par ailleurs que, dès cette époque, ils n’étaient plus, à Dinant au moins, les seuls fonctionnaires de la ville. Dès 1196 apparaissent à côté d’eux les jurati[93].

Tandis qu’en France les attributions des jurés se laissent facilement dégager dès l’origine[94], il n’en est pas de même dans le pays de Liège ni dans les autres territoires épiscopaux de l’empire. L’église impériale, bien plus puissante que l’église française, sut mieux résister que celle-ci à l’intervention dans les villes, d’élus de la bourgeoisie indépendants de son pouvoir[95]. La politique des Hohenstaufen qui se montra décidément favorable aux princes et condamna l’existence des communes empêcha d’ailleurs l’institution des jurés de se développer en Allemagne comme elle le fit en France[96]. L’évolution urbaine dans les deux pays suivit ainsi des voies fort différentes. En Lotharingie toutefois, où le pouvoir impérial cessa de bonne heure de se faire sentir, les choses ne se passèrent pas de même que dans les pays d’Outre-Rhin. Les jurés ne disparurent pas dans les villes liégeoises. Depuis le moment de leur apparition, à la fin du XIIe siècle, ils ne cessèrent de prendre une influence de plus en plus grande dans les constitutions urbaines. Ce sont eux, non les échevins, qui ont formé le conseil[97].

La date de 1196 à laquelle sont, pour la première fois, mentionnés les jurés de Dinant est caractéristique. Elle nous reporte au règne de cet Albert de Cuyck si favorable aux tendances de la bourgeoisie et nous permet de voir dans ces magistrats, les organes de la politique autonome de la ville ou pour mieux dire, de la commune. C’est précisément à la même époque que l’on voit les Liégeois soutenus par l’évêque exiger du clergé l’impôt nouveau et essentiellement communal de la fermeté[98].

Après la mort d’Albert, la situation change complètement. Les villes désormais ont dans le prince un adversaire décidé qui prétend maintenir contre elles ses droits seigneuriaux. Dès 1203 est mentionnée une révolte des Hutois contre Hugue de Pierpont propter quaedam jura quae ab eis exigebat indebita[99].

En 1229, les villes profitèrent du sede vacante pour augmenter leur indépendance. Condamnées d’abord par Henri VII[100], une occasion excellente de regagner le terrain perdu leur fut fournie l’année suivante par la rupture entre l’empereur et l’évêque Jean de Rumigny. Le 30 Juin 1230, les bourgeois de Liège, de Huy, de Dinant, de Saint-Trond, de Maestricht, de Tongres et de Fosses obtinrent un diplôme ratifiant omnia jura et pacem et communiones quas inter se ordinantes hucusque observaverunt, et reconnaissant l’alliance (conguratio) qu’ils avaient conclue entre eux[101]. Bien plus, le 24 Novembre, Henri VII leur écrivit qu’il ne traiterait pas avec l’évêque s’il ne consentait à leur laisser ces libertés[102]. Ces bonnes dispositions d’ailleurs ne durèrent pas. La politique changeante et indécise du roi des Romains se retourna bientôt contre les villes. Il se reconcilia avec Jean et, dès le 20 janvier 1231, les princes de l’empire rendirent à Worms, à la demande de l’évêque de Liège, une sentence abolissant les communiones, constitutiones, confederationes seu conjurationes aliquas quocumque nomine censeantur, qui fut notifiée le même jour aux villes[103]. Du même coup, supprimant les communes, le jugement des princes supprimait les jurés. La suscription des deux lettres du 24 Novembre 1230 et du 20 Janvier 1231 le prouve implicitement. Tandis que la première est adressée : villicis, scabinis juratis et civibus omnibus, la seconde ne porte que : universis civibus Leodiensibus ceterisque burgensibus ad episcopatum Leodiensem pertinentibus.

Néanmoins, les jurés ne disparurent pas à la suite de la sentence de 1231. Ils sont mentionnés à Liège en 1237 et en 1242[104] et à Saint-Trond en 1237[105]. Le grand soulèvement des villes liégeoises contre l’évêque Henri de Gueldre en 1254-1255 eut certainement pour résultat d’affermir partout leur situation. Le mouvement auquel, sous la conduite de Liège, prirent part alors Huy, Saint-Trond et Dinant présente un caractère nettement révolutionnaire. Il est dirigé contre les droitures de l’évêque, contre son maire, contre ses échevins. L’alliance des villes est renouvelée, les communes se reforment et à leur tête apparaissent des maîtres et des jurés. Les bourgeois s’emparent des châteaux de l’évêque et, au mépris des privilèges du clergé, rétablissent l’impôt de la fermeté. Enfin, les artisans se groupent en fraternités jurées[106].

Après une longue lutte, la victoire resta décidément à Henri de Gueldre. Liège se soumit à la paix de Bierset le 17 octobre 1255[107] ; le 17 décembre, Dinant conclut un arrangement particulier[108]. Elle s’engagea à payer une amende de 6700 livres de blanc, à consentir au bannissement de quatre de ses bourgeois, à accepter une charte pour le métier des batteurs, à remettre une de ses tours à l’évêque[109]. La sentence, malheureusement, n’en dit pas plus long. Son texte fournit toutefois la preuve que, malgré la soumission de la ville, l’insurrection à laquelle elle venait de prendre part, n’était pas restée inutile. Les jurés en effet, ne furent pas supprimés : avec le maire et les échevins ils appendirent le sceau de Dinant au jugement rendu par les arbitres épiscopaux.

À partir de ce moment, ils ne cessent plus d’intervenir régulièrement dans la constitution urbaine. Vis à vis des échevins, ils y représentent l’élément communal. Élus annuellement par la bourgeoisie, tenant d’elle leur pouvoir, comme les échevins tenaient le leur du prince, ils constituent à proprement parler le conseil de la ville[110]. Sans doute, jusqu’à la fin du XIVe siècle, ils n’apparaissent régulièrement qu’en compagnie des échevins. Néanmoins ils ne se confondirent jamais avec eux. Le conseil de Dinant, comme celui des autres villes liégeoises, ne s’est pas formé, comme on le constate ailleurs, de la réunion des officiers du prince, avec les représentants de la commune. S’ils siégent ensemble, s’ils prennent part ensemble à l’administration[111], la différence essentielle de leur nature les tient cependant séparés. Entre eux, le contraste ne cesse de s’accentuer de plus en plus, jusqu’au jour où, à la fin du XIVe siècle, les échevins sont définitivement expulsés du conseil.

Il nous reste à voir s’il est possible de déterminer avec quelque précision le caractère des jurés liégeois, et par conséquent dinantais. Rien ne permet de voir en eux, comme le veut une théorie trop hâtive et qui n’a pas tenu compte suffisamment de la différence des époques et des milieux, les descendants des anciens administrateurs de la marche germanique[112]. Dans la villa Dionensis au XIe siècle, nous n’avons surpris aucune trace d’une participation des habitants à l’administration. Les terres communes, les warescapia (allemende ?), sont placés exclusivement sous le pouvoir du comte. Les quelques pages qui précèdent prouvent, me semble-t-il, à l’évidence que les jurés doivent leur origine à des conjurationes, à des communiones, en d’autres termes, qu’ils sont les organes nouveaux d’une chose nouvelle : le self-government de la bourgeoisie. Établis certainement, au début, par suite de mouvements plus ou moins révolutionnaires, le prince leur a été en général manifestement hostile. Comme ses collègues d’Allemagne, l’évêque de Liège a eu recours contre eux à l’empereur. Ce n’est que dans la seconde moitié du XIIIe siècle qu’il a accepté leur existence. La charte de commune octroyée par lui à Saint-Trond en 1288[113] peut-être considérée comme la ratification, comme la reconnaissance légale des jurés.

S’il ne peut y avoir de doutes sur le caractère communal des jurés, on en est réduit, par contre, à des hypothèses, à des analogies, dès que l’on veut aborder le détail de leurs fonctions au XIIIe siècle. Il est infiniment probable qu’ils s’attribuèrent dès l’origine la juridiction de paix en possession de laquelle on les trouve plus tard. La lettre de Henri VII du 12 octobre permet de le supposer, puisqu’elle ratifie aux bourgeois leur pacem en même temps que leurs communiones. Outre cette juridiction, qui est d’ailleurs un des caractères distinctifs des jurés dans les villes françaises[114], les élus de la commune doivent avoir eu aussi pour attributions, l’administration des finances urbaines. Il est caractéristique que Henri VII, en même temps qu’il interdisait les communes, ait aussi défendu aux bourgeois de taxer les venalia sans le consentement du chapitre.

En résumé, le type de la constitution urbaine de Dinant, tel qu’il s’est fixé au XIIIe siècle est fort simple. Il comprend deux groupes distincts de magistrats : les échevins et les jurés. Les uns dérivent directement d’un ancien tribunal de centène, les autres, de formation récente, n’apparaissent qu’à la fin du XIIe siècle. Les premiers, bien que recrutés parmi les bourgeois forment essentiellement une justice seigneuriale : ils sont nommés par le prince et sont présidés par son officier. Les seconds, élus de la commune, sont les organes du gouvernement autonome de la ville. Leur juridiction est une juridiction de paix qui n’a rien de commun avec la loi du pays. Échevins et jurés siègent ensemble dans le conseil et exercent ensemble l’administration. Les échevins même, selon toute apparence, sont intervenus dans celle-ci avant les jurés. Néanmoins, si l’on entend par conseil une magistrature propre à la ville, la marque et l’instrument de son indépendance, ce sont les jurés seuls, les derniers venus, qui, au sens juridique, l’ont constitué[115].

III.

Pas plus à Dinant que dans les autres villes du moyen-âge, la bourgeoisie ne formait une classe de personnes jouissant toutes des mêmes droits. Aux différences sociales répondaient des différences politiques ; entre les riches et les pauvres, il y avait d’autres inégalités que celle de la fortune. On a vu que, dès le commencement du XIIIe siècle, les échevins étaient recrutés exclusivement parmi la haute bourgeoisie et il semble en avoir été de même des jurés[116]. Les seuls capitalistes jouissaient donc des droits politiques : leur ascendant économique en faisait des cives optimo jure. Aussi, voit-on, dès le milieu du XIIIe siècle, se restreindre à Dinant la signification du mot bourgeois[117]. On n’entend plus désormais par là qu’exceptionnellement la population urbaine tout entière : au sens propre, les expressions de bourgeois ou de bourgeois d’enmi la ville ne désignent plus que la catégorie des propriétaires fonciers et des marchands, c’est-à-dire ce patriciat urbain pour qui, en Flandre, à la même époque, se restreint le titre de poorter. Par opposition à ce patriciat, les autres habitants forment le commun, la communauté. Ils représentent, si l’on veut se servir de la langue des économistes, le travail vis à vis du capital.

Le caractère exclusivement commercial et industriel de Dinant permet de supposer de bonne heure dans la ville l’existence de nombreux artisans. Ces artisans, dès l’origine sans doute, formaient deux groupes distincts : les batteurs de cuivre qui travaillaient pour l’exportation ; les autres, brasseurs, boulangers, bouchers, cordonniers etc. qui subvenaient uniquement aux nécessités de l’alimentation et de la vie urbaines. De ces deux groupes ouvriers, le second certainement est le plus ancien : les boulangers et les brasseurs sont déjà mentionnés au XIe siècle. Quant au premier, comme les tisserands dans les villes flamandes, il n’a pas dû se former avant la grande renaissance économique du XIIe siècle. Il représente dans la ville la grande industrie ; il ne travaille pas pour le marché local. C’est sur lui seul que repose l’importance de la ville dans le commerce européen.

De cette différence de nature entre les deux parties de la population ouvrière de Dinant, on doit conclure à une différence d’organisation dès l’origine. Les boulangers, les brasseurs, les artisans de l’alimentation en général, constituèrent, dès leur apparition, des officia, administrés par le ministerialis seigneurial et soumis à certaines prestations[118]. Nous avons vu, au XIe siècle, les brasseurs et les boulangers dans cette situation vis à vis du comte de Namur. En 1096, l’évêque Otbert abandonna à la collégiale le censum cum locis que tenent in foro qui de mercimoniis suis vivunt, cujuscunque officii[119]. Bien que nous n’ayons pas d’autres preuves, ces faits laissent toutefois entrevoir que les plus anciens métiers de Dinant furent, au début, des corporations d’artisans organisées suivant le droit domanial (Hofrecht). Ajoutons que le nom de gens de desous le moustier par lequel on désigna, jusqu’au XIVe siècle, les membres des petits métiers de la ville, permet de croire qu’ils se trouvaient, vis à vis de l’église, dans une condition moins indépendante que le reste de la population, qu’ils étaient recrutés dans l’ancienne familia episcopi[120].

Il en était différemment des batteurs. Ce métier de grande industrie qui, dès le XIIe siècle, entretenait des relations avec Cologne et Goslar, est postérieur à l’époque du droit domanial. Il est plus que probable, que constitué beaucoup après les autres, il n’a jamais formé un officium. Contemporain des premiers mouvements communaux, il s’est trouvé dès l’origine, dans une situation toute différente de celle de ses ainés[121]. Les premiers batteurs n’étaient plus en majorité des censuales, mais des burgenses. Il faut croire qu’ils ont formé spontanément leur métier par la libre association, sans participation seigneuriale.

C’est en tous cas avec ce caractère qu’ils apparaissent en 1255. On les voit former alors une fraternité, dont après sa victoire, le prince reconnut l’existence, en la soumettant toutefois au contrôle de ses officiers.

Il dût se passer à Dinant, en 1255, quelque chose d’analogue à la fameuse émeute d’Ypres en 1281, restée célèbre sous le nom de Cokerulle. L’ordonnance du comte de Flandre à ce sujet peut servir à éclairer, par rapprochement, ce que nous savons des évènements de notre ville. L’identité de la situation a, des deux côtés, amené les mêmes conflits. Le puissant métier des drapiers se soulève à Ypres contre les poorters, comme le puissant métier des batteurs se soulève à Dinant contre les bourgeois[122]. Ce sont les règlements oppressifs imposés par les marchands d’Ypres aux drapiers qui ont fait éclater la Cokerulle : on peut donc supposer qu’à Dinant les artisans cherchaient aussi, en 1255, à se défendre contre l’exploitation économique de la bourgeoisie[123]. L’insurrection des drapiers Yprois comme celle des batteurs Dinantais s’est manifestée de la même manière par la confédération jurée. La sentence épiscopale de 1255 déclare que les batteurs « ne devront avoir cloche, ne saiel, ne commungne, ne aloiances, ne oienches[124] » ; celle du comte de Flandre abolit de son côté « toutes conspirations, toutes aloiances et tout acompaignement, comment con les apiat, ki sunt faites sans congiet de sengneur[125] ». En même temps, pour prévenir le retour de nouveaux conflits, nous voyons les deux princes donner, ici aux batteurs, là aux drapiers, une constitution nouvelle pour leur métier. À Dinant, les batteurs sont placés désormais sous le contrôle du maire et des échevins. Ils ne peuvent se réunir qu’en leur présence. Leurs quatre maîtres sont élus moitié par le métier, moitié par le tribunal seigneurial. En entrant en fonctions, ils doivent prêter serment devant celui-ci. Ils ne peuvent exercer leur juridiction que de commun accord avec le maire. Mais si l’évêque a voulu soumettre le métier au contrôle du magistrat, il en a, en même temps, reconnu l’existence comme confrérie industrielle. S’il lui a enlevé le droit de se constituer en commune, d’avoir une cloche et un sceau, il lui a laissé celui de s’administrer librement, de réglementer les conditions du travail. Le métier échappe ainsi à l’exploitation vexatoire des marchands. C’est à lui maintenant qu’il appartient de fixer le prix du métal brut ; c’est lui qui détermine la mesure des paieles et bachins. On peut faire remonter encore à notre règlement l’obligation pour tous les batteurs de la ville de faire partie du métier. Il serait sans cela impossible de comprendre l’interdiction pour les frères de travailler le samedi et pendant le mois d’Aout[126], « ou en autre tems s’il vuelent ».

L’administration du métier en 1255 est déjà assez compliquée. À côté des quatre maîtres présidés par le maire, on constate l’existence de preudommes (eswardeurs) qui ont pour mission d’inspecter la qualité des produits fabriqués avant leur mise en vente. En outre, la corporation a ses finances particulières : non seulement elle perçoit le droit d’entrée au métier, mais encore elle touche le quart des amendes jugées par les quatre maîtres.

Ce que nous venons de voir s’accomplir pour les batteurs dut s’accomplir de même, pendant la première moitié du xiiie siècle, pour les autres métiers, dérivant des officia domaniaux. Henri VII en a vainement défendu la formation en 1231. Ceux-ci toutefois, brasseurs, boulangers etc. se constituèrent bien moins au détriment des bourgeois, qu’à celui de l’église dont leurs prestations formaient un revenu important.

Ce serait une erreur de croire que l’évêque ait été hostile par principe aux gens de métier. Comme tous les princes du moyen-âge, la constitution aristocratique ou démocratique du conseil urbain l’intéressait fort peu. Sa politique est très nette et très simple. Elle n’a d’autre but que de maintenir intactes ses prérogatives seigneuriales ; toute usurpation, qu’elle provienne de la bourgeoisie ou des métiers, lui est également odieuse. Le récit de Hénaux[127], qui montre partout le prince et les patriciens alliés contre les démocrates, est si radicalement faussé par les idées préconçues de l’auteur que, au risque de s’écarter quelque peu du sujet, il ne sera pas sans utilité d’exposer rapidement ici la situation des villes liégeoises pendant la seconde moitié du XIIIe siècle.

À cette époque, Liège, Huy, Saint-Trond et Dinant ont comme Gand, Bruges, Lille et Douai des constitutions aristocratiques ou pour mieux dire ploutocratiques[128]. Échevins et jurés appartiennent tous indistinctement à la catégorie des grands bourgeois. Les familles de marchands et de propriétaires qui détiennent le pouvoir gouvernent dans leur propre intérêt, également hostiles au prince et aux artisans. Pendant longtemps, on peut se demander si l’échevinage conservera son caractère seigneurial ou si, concentrant à la fois l’administration et la justice urbaine, il va devenir, comme en Flandre, indépendant du prince[129]. Les douze lignages de Liège représentent par excellence cette politique patricienne dont les XXXIX de Gand sont, à cette époque, les plus vigoureux défenseurs. Les privilèges du clergé en matière de juridiction et d’impôt sont méconnus ; la fermeté est levée sans l’autorisation du chapitre ; les familiers des chanoines sont jugés par l’échevinage. Comme les villes flamandes, les villes liégeoises n’hésitent pas à faire appel à l’étranger contre leur seigneur : elles s’allient à son ennemi héréditaire, au duc de Brabant[130].

En même temps que les droitures épiscopales sont foulées aux pieds, les artisans sont opprimés. Huy entre dans la ligue des villes drapières brabançonnes et s’engage à ne recevoir dans ses murs aucun tisserand banni par l’une d’elles[131]. L’impôt, décrété en dehors de toute intervention des métiers et dépensé sans contrôle, prend le caractère d’une odieuse exaction[132]. Il faut recourir à la violence pour le percevoir[133].

En présence d’une telle situation, la politique des évêques fut précisément la même que celle de Guy de Dampierre à cette époque. Pour contrebalancer le pouvoir des patriciens, ils s’allièrent aux métiers. En 1285 et en 1299 on les voit prendre très nettement le parti des communitates contre les ditiores[134].

Cette politique toutefois n’était qu’une politique d’expédients. Elle ne pouvait aboutir. Fatalement, quelque soit le gouvernement urbain, aristocratique ou démocratique, ses tendances restent les mêmes à l’égard du prince.

Lignages ou métiers lèvent également les impôts sans souci des privilèges ecclésiastiques, sont également hostiles à la juridiction seigneuriale. C’est ce qui apparait aussi nettement dans les villes liégeoises que dans les villes flamandes. Aussi, a peine au pouvoir, les métiers voient-ils se dresser devant eux deux adversaires : leur ancien allié, le prince et leur ancien maître, le patriciat. Le nouveau régime est aussi exclusif que le premier. Hocsem, qui l’a vu à l’œuvre, constate que la démocratie n’est pas moins tyrannique que l’oligarchie[135]. La victoire des communitates flamandes à Courtrai en 1302, provoque dans le pays de Liège, un mouvement démocratique qui aboutit partout à faire aux artisans une large place dans le conseil des villes[136]. Ce serait trop s’écarter de notre sujet que de raconter les différentes péripéties de la guerre entre les grands et les petits, pendant les règnes d’Adolphe et d’Englebert de la Marck[137]. Il suffit de constater ici le fait général. L’insurrection se communiqua à toutes les villes ; les alliances du xiiie siècle furent renouvelées ; les métiers de Liège, de Huy, de Dinant, de St-Trond, de Fosse, de Tongres tinrent la campagne contre l’évêque et les patriciens. Pendant la première moitié du xive siècle, le pays fut en état de guerre permanente. Tout à tour, le gouvernement des villes passa, à la suite d’émeutes sanglantes, d’un parti à l’autre. Plus d’une fois, l’évêque fut forcé d’abandonner sa capitale. Sa situation présente alors la plus frappante analogie avec celle des comtes de Flandre à la même époque. Ses prérogatives princières sont méconnues, ses châteaux pillés, ses officiers bannis, ses revenus confisqués[138].

Ces luttes ne restèrent pas stériles. Leur résultat fut, pour le pays, l’établissement d’une constitution et d’un droit territorial qui se maintinrent jusqu’à la fin du xviiie siècle. Pour les villes, elles obtinrent une organisation nouvelle qui assignait, dans le gouvernement, leur place aux différents partis. Ce régime nouveau fut décidément consacré à Dinant par une charte du 7 septembre 1348[139].

Un siècle sépare cette date de celle où nous avons vu, pour la première fois, les batteurs représenter dans la ville l’élément démocratique en face de la bourgeoisie. Un troisième groupe, un troisième parti, si l’on veut, apparait maintenant : celui des communs métiers ou des gens de desous le moustier. Le préambule de la charte de 1348 nous renseigne sur les relations de ces trois groupes entre eux : il nous montre les deux premiers faisant cause commune contre le troisième[140]. Ainsi, au milieu du xive siècle, les batteurs, incomparablement plus nombreux et plus riches que le reste des artisans, se sont séparés de ceux-ci[141]. Ils ont d’autres intérêts, une autre politique. Le rôle que jouent à Gand et à Bruges les tisserands vis à vis des autres métiers, les batteurs le jouent à Dinant. On peut juger de ce que devait être, au xive siècle, leur exclusivisme quand on lit les plaintes des neuf métiers contre eux en 1461, c’est à dire à une époque où, depuis cent ans, l’administration tripartite de la ville était en usage. Il sont accusés en effet de ne pas vouloir permettre que la ville se rassemble sans le consentement préalable de leurs mayeurs et douze et de s’opposer à l’acceptation des comptes qu’ils refusent d’approuver[142].

La division entre les batteurs et les petits métiers a naturellement été avantageuse pour les bourgeois. Depuis le xive siècle, ils n’ont pas cessé en effet, de s’appuyer sur les premiers, pour résister aux autres. Représentants de l’élément conservateur par excellence, propriétaires et capitalistes, on comprend aisément leur alliance avec la puissante corporation industrielle d’où dépendait la prospérité de la ville. Le métier des batteurs au xive siècle ne comprenait pas d’ailleurs seulement des artisans : plusieurs grands marchands en faisaient partie, dont les intérêts étaient évidemment identiques à ceux de la vieille bourgeoisie.

Entre les trois parties des bourgeois, des batteurs et des neuf métiers, la constitution de 1348 établit un équilibre qui se maintint pendant des siècles. À la domination violente et alternative, au gré des émeutes, d’un parti sur l’autre, elle substitua l’égale intervention de chacun au gouvernement[143]. Le conseil de la ville se composa désormais de trente jurés élus annuellement et dont neuf étaient pris parmi les bourgeois, neuf parmi les batteurs et douze parmi les communs métiers. Les trente jurés ainsi élus choisissaient les deux maîtres de la ville : le premier parmi les bourgeois, le second, tour à tour parmi les batteurs et parmi les métiers.

La constitution de 1348 n’est que l’application à Dinant du principe général qui domine l’organisation des villes des Pays-Bas au xive siècle. En Flandre et en Brabant, comme dans le pays de Liège, les conseils urbains sont partout, dès lors, composés de manière à représenter, en quelque sorte en raccourci, les divers groupes politiques et sociaux entre lesquels se divise la population. Chacun de ces groupes, suivant son degré d’influence, non suivant son importance numérique, a droit à être représenté par un certain nombre de membres. Les sièges occupés dans le conseil de Dinant par les jurés des bourgeois, des batteurs et des métiers, le sont à Gand par les représentants de la poorterye, des tisserands et des cleene ambachten[144] ; à Louvain, par ceux des lignages, de la gilde et des petits métiers[145]. Là où l’ascendant d’une corporation industrielle sur les autres n’est pas assez grand pour lui procurer une situation privilégiée, la situation est plus simple. À Liège et à Saint-Trond, le conseil est formé seulement des jurés des patriciens (otiosi, ledichgangers) et des métiers[146].

L’excellence de la constitution donnée à Dinant en 1348, ressort de la persistance avec laquelle elle s’est maintenue jusqu’à la fin du xviiie siècle[147]. La ville n’a pas connu, comme Liège, l’extrême régime démocratique où les métiers seuls, et tous dans la même proportion, interviennent dans le gouvernement. Les trois parties de la population, à la fois groupes sociaux et politiques, y sont toujours restées en possession du même nombre de sièges dans le conseil. La constitution tripartite s’est perfectionnée au cours du xive et du xve siècle. Chaque membre reçut de plus en plus une organisation à part. Chacun se choisit un patron ; chacun eut son penonceau ; chacun intervint dans une proportion égale dans les expéditions militaires, dans les ambassades etc. ; chacun reçut un exemplaire des statuts et réglements urbains ; chacun s’assembla dans un local distinct[148]. En 1399, pour la première fois, sont mentionnés les tiers. Comme leur nom l’indique, ces magistrats étaient au nombre de trois. C’étaient les chefs des trois membres, analogues aux trois grands doyens de la poortery, des tisserands et des petits métiers de Gand. Avec les deux maîtres, ils formaient une sorte de conseil étroit, de conseil de régence. La contradiction qui provenait de l’existence de deux maîtres à la tête des trois membres de la ville était écartée par l’institution des tiers. Ils mirent le sceau à l’organisation tripartite de Dinant.

Le conseil institué en 1348 doit être considéré comme le dernier résultat de ces tendances vers l’autonomie urbaine, dont nous avons constaté les premières manifestations en 1198[149]. La commune l’a définitivement emporté. Après deux siècles et demi de luttes contre le prince et ses officiers, le maire et les échevins sont exclus du conseil[150]. Celui-ci a désormais sa sphère d’attributions indépendante du pouvoir seigneurial.

L’administration urbaine lui appartient exclusivement[151] ; le droit de lever la fermeté lui est reconnu ; sa législation statutaire est ratifiée[152]. Ce qui avait été jusque là matière de conflits incessants, ce qui ne s’était maintenu que par l’émeute et la révolte devient le droit. Car il faut voir dans la charte de 1348, non l’établissement d’un état de choses nouveau, mais bien plutôt la régularisation et la ratification d’une situation de fait antérieure. L’exclusion du maire et des échevins du conseil, si elle ne fut acceptée qu’alors seulement, apparait cependant pour le premier dès 1324[153], pour les seconds dès 1340[154]. Quant aux jurés, nous avons vu qu’ils sont mentionnés sans interruption dès le xiie siècle. Les deux maîtres existaient aussi longtemps avant 1348. Comme ceux de Liège, ils doivent remonter aux mouvements communaux de 1230. Toutefois, ils ne sont mentionnés au xiiie siècle qu’en 1264, 1271 et 1299[155]. À cette époque c’est encore le maire qui est à la tête de l’administration urbaine. Les maîtres ne sont devenus une magistrature ordinaire qu’en 1324[156].

En résumé, les magistratures qui apparaissent dans la charte de 1348 sont toutes antérieures à cette époque. Ce qu’il y a de nouveau dans le conseil à partir d’alors, ce ne sont pas ses membres, c’est la manière dont ils sont répartis entre les trois groupes de la bourgeoisie[157].

La constitution de 1348 n’a pas altéré le type constitutionnel que nous avons reconnu au XIIIe siècle. La situation s’est précisée, non transformée. Les échevins avec le maire conservent leur caractère seigneurial. Leur exclusion du conseil ne fait même qu’accentuer ce caractère. Le dernier pas dans la voie de la séparation complète est fait quand, en 1399, la ville défend que nul échevin ne puisse plus à l’avenir siéger dans le conseil[158]. Désormais, une ligne de démarcation très nette est établie entre la juridiction de la loi et la juridiction des statuts, entre le tribunal du seigneur et celui de la commune, entre le maire et les échevins d’une part et les jurés de l’autre.

IV.

Comme dans la plupart des villes où le gouvernement n’est pas resté aristocratique, le conseil, à Dinant, malgré ses attributions très variées et très importantes, ne constituait cependant pas la plus haute expression de l’autonomie communale. Elu par les trois membres de la bourgeoisie, il n’était que la réunion des mandataires de celle-ci, le délégué d’un pouvoir supérieur. Vis à vis de la bourgeoisie, le conseil se trouvait dans la même situation où se trouvait le maire vis à vis de l’évêque. Il tenait d’elle, pour ainsi dire, son bannum. Dans toutes les affaires en dehors de l’administration courante, la communauté pouvait agir directement ; elle décidait souverainement sur toutes les propositions que lui soumettait le conseil. Le pouvoir de celui-ci était, en effet, beaucoup plus restreint qu’on ne pourrait être tenté de le croire. Au xve siècle au moins, il ne prenait aucune décision de quelque importance, n’édictait aucun réglement, aucun statut, sans l’approbation de la généralité de la ville. En séance secrète, il préparait les projets à soumettre aux sieultes des trois membres de la bourgeoisie. De même pour les affaires extérieures : seul, le conseil ne pouvait presque rien. Il était incapable de s’engager, de se lier, sans le consentement de la communauté. Sa correspondance donne à cet égard une idée exacte de sa situation. Il y apparait en quelque sorte comme le président responsable d’une vaste corporation, comme le gardien des droits et des intérêts de celle-ci, comme l’exécuteur fidèle de ses volontés. Continuellement, on le voit s’excuser de devoir différer sa réponse parce qu’il n’a pas encore pu consulter les trois parties de la ville. En réalité, il n’est que le porte voix de la bourgeoisie. Ce n’est que pour les objets d’importance minime, qu’il agit en vertu de sa propre initiative. En dehors de là, il s’en réfère toujours aux décisions de la généralité, de l’université de la ville[159].

La forme suivant laquelle la communauté prenait part au gouvernement urbain est particulièrement intéressante. C’est aux maîtres et conseil qu’il appartenait de la convoquer. Le jour fixé pour la réunion était habituellement le samedi ou le dimanche[160] ; la halle servait de local à l’assemblée. L’ordre du jour était connu à l’avance : les sergents de la ville avaient à le publier ; en outre les maîtres, tiers et jurés des différents membres en instruisaient au préalable leurs commettants. Il se passait habituellement de la sorte un certain nombre de jours entre la convocation et la réunion de la généralité.

Tous les bourgeois pouvaient prendre part à l’assemblée. Les maîtres en avaient la présidence, faisaient connaître l’objet de la réunion et demandaient l’avis de chacun des trois membres. Il n’y avait donc pas de discussion générale : l’assemblée n’était que préparatoire au vote. Chaque membre votait naturellement à part. Suivant la coutume générale du moyen-âge, le vote se faisait par sieultes, c’est à dire par recès[161]. Un espace de quelques jours se passait parfois entre la réunion générale et la proclamation des sieultes. Les trois membres devaient faire connaître ensemble leur décision : la majorité l’emportait et le troisième membre devait accepter ce qui avait été adopté par les deux autres. À vrai dire, les choses ne se passaient pas toujours aussi régulièrement. Le métier des batteurs est accusé, dans un acte de 1461, de s’attribuer des prérogatives qui empêchent le fonctionnement régulier des sieultes[162]. Les neuf métiers lui reprochent de s’opposer aux réunions de la généralité si leurs majeurs et leurs douze gouverneurs n’y ont donné tout d’abord leur consentement ; de ne pas permettre que les maîtres fassent part à l’assemblée des nouvelles affaires survenues depuis le jour de la convocation ; de retarder leur vote de deux ou trois jours pour pouvoir faire triompher la sieulte de celui des deux autres membres qui leur semble la plus favorable à leurs intérêts etc.

Il est impossible de déterminer exactement la compétence des assemblées de la généralité. Au xve siècle, cette compétence était en réalité sans limites. Il est fort probable que c’est la situation troublée de la ville à cette époque qui produisit alors cet état de choses anormal. Régulièrement, ou si l’on veut, constitutionnellement, il semble qu’il n’y avait qu’un certain nombre de cas où la convocation des trois membres par le conseil fut obligatoire. Tels étaient : l’aliénation des biens communaux, l’adoption de nouveaux statuts, l’approbation des comptes à la fin de chaque année, les votes à émettre par les maîtres aux états du pays, les expéditions militaires et en général tout ce qui concernait la politique extérieure. Enfin, le grand sceau de la commune ne pouvait être appendu qu’aux actes lus devant la généralité et approuvés par elle. Mais encore une fois, le pouvoir des assemblées de la bourgeoisie était bien loin, en réalité, de se tenir dans ces bornes légales. Ce furent elles qui, pendant les années qui précédèrent le sac de la ville en 1466, exercèrent en fait le gouvernement urbain[163].

C’est la généralité de la ville qui nommait directement les membres du conseil le 1er Septembre de chaque année. Chacun des trois membres élisait par sieulte ses jurés. Il ne semble pas qu’il y ait eu de conditions d’éligibilité autre que l’appartenance à la bourgeoisie. La même personne ne pouvait rester en fonction plus d’une année de suite. Une fois établi, le conseil choisissait dans son sein les deux maîtres : l’un d’eux devait toujours être bourgeois, l’autre était pris alternativement parmi les batteurs et parmi les membres des métiers. Quant aux tiers, ils étaient également désignés par le conseil : chacun d’eux appartenait naturellement à l’un des trois membres de la ville[164].

Le conseil ne se composait pas exclusivement des trente jurés nouveaux. Les vieux maîtres de la ville avaient le droit d’y siéger, corrigeant ainsi ce que le renouvellement annuel du magistrat eut pu avoir de fâcheux pour la bonne administration.

À partir du xive siècle, les jurés, en tant que membres du conseil, portaient le titre de conseil-jurés[165]. À l’instar des magistrats municipaux d’Allemagne, ils étaient parfois désignés, dans les textes latins, par le nom de consules.

Les maîtres, qui à partir du commencement du xvie siècle prirent le titre de bourgmestres, étaient les chefs de la ville en tant que communauté autonome. Ils devaient jurer en entrant en charge d’en respecter et d’en faire respecter les franchises et bons anchiens usaiges. Le conseil ne pouvait se réunir, sauf les jours ordinaires des plaids, sans leur convocation. Toujours c’est eux, ou un remplaçant choisi par eux, qui avaient à le présider. À l’extérieur, ils étaient les représentants de la ville : c’est à eux qu’on s’adressait pour en obtenir justice, c’est eux qui siégeaient en son nom aux assemblées des états. Dans aucune circonstance le conseil n’agissait sans leur participation. Partout les expressions maîtres et conseil jurés sont inséparables. À Dinant, comme dans les villes flamandes, l’année était désignée par les noms des maîtres qui y avaient été en fonctions[166].

Jusqu’en 1527, les maîtres, pas plus que les jurés, n’eurent de traitement fixe. Ils subvenaient eux mêmes, pendant leur année, au moyen de leurs ressources privées, aux charges qui leur incombaient. C’étaient surtout les voyages incessants auxquels les contraignaient les procès de la ville, les journées d’états, les ambassades, etc. qui étaient pour eux l’occasion de grosses dépenses. En 1458-59, les deux maîtres furent absents plus de deux mois pour les affaires de la communauté. À la fin de l’année, ils étaient indemnisés de leurs débours. Ils se partageaient alors aussi, avec les jurés, certaines parties d’amendes que les statuts leur assignaient. Aux grandes fêtes. ils banquetaient ensemble aux frais de la ville. Les fonctions des jurés étaient, ainsi que celles des maîtres, beaucoup plus onéreuses que lucratives. Chacun d’eux devait annuellement à la ville cinq jours de service gratuit. On en profitait pour les envoyer alors en mission à l’extérieur. Pour le surplus de leurs dépenses, ils étaient indemnisés en sortant de charge. On voit par là qu’il était impossible de faire partie du conseil sans jouir d’une certaine fortune[167]. La démocratie du moyen-âge, à la différence de la démocratie grecque, s’est fixé en quelque sorte une limite à elle même, en n’établissant pas le principe du payements des fonctionnaires publics. À Dinant, les jurés étaient pris invariablement dans un groupe fort restreint de personnes ; tous, même ceux du membre essentiellement démocratique des neuf métiers, appartenaient forcément à la bourgeoisie riche, qui seule pouvait, sans rétribution, se mêler du gouvernement urbain.

Le conseil était l’organe à la fois de la juridiction et de l’administration de la ville. Malgré l’insuffisance des sources, il est nécessaire, pour acquérir une connaissance complète de la constitution dinantaise, de voir comment chacune d’elle était organisée au xve siècle.

A. Administration[168].

Fonctionnaires urbains. — Avant la fin du xvie siècle, la ville n’a pas eu à son service de fonctionnaires proprement dits, c’est à dire d’employés salariés exclusivement attachés à son service et révocables. Les membres du conseil suffisaient à la besogne : ils géraient personnellement les affaires de la communauté. Il ne formaient pas seulement une assemblée délibérante ; pendant leur année de charge, chacun d’eux était revêtu de quelqu’emploi important. C’étaient les membres du conseil qui fournissaient les administrateurs des hôpitaux, les rewards de la fermeté et des métiers, les commandants du guet etc. Entre le conseil communal de Dinant au xve siècle et ce même conseil au xixe, il existait donc une différence essentielle. Le conseil n’est plus aujourd’hui que la réunion des mandataires de la commune : c’est à lui qu’il appartient de faire les règlements urbains, d’établir le budget etc. Son pouvoir est essentiellement législatif. Rien de tel n’existait au xve siècle. Le pouvoir législatif communal appartenait, comme on l’a vu, essentiellement aux assemblées de la généralité de la bourgeoisie. Quant au conseil, il n’était guère autre chose que l’ensemble des juges et des administrateurs de la ville. Avec le renouvellement annuel du conseil se renouvelaient donc ipso facto, ces juges et ces administrateurs.

À côté du conseil il y eut cependant, dès le xive siècle, un certain nombre de serviteurs permanents de la ville. Le plus important d’entre eux, le seul qui présente quelque analogie avec un fonctionnaire moderne, était le clerc ou secrétaire. Il était chargé de la correspondance urbaine, de la rédaction des comptes communaux et en général de toutes les écritures, déjà considérables, du conseil, à toutes les séances duquel il devait assister. Une certaine instruction était naturellement indispensable pour remplir les fonctions de clerc. Tout au moins la connaissance des deux langues, latine et française, était-elle requise. Le clerc était un véritable pensionnaire de la ville. Il touchait des gages réguliers de 39 florins d’or du Rhin annuellement. Un sergent de la ville, probablement le plus instruit, lui servait de scribe[169].

Pour une foule d’emplois inférieurs, la ville avait à sa disposition un assez grand nombre de personnes : un messager, un trompette, des guetteurs, des portiers et des sergents ou varlets. L’indemnité allouée à ces divers employés n’était que d’une à deux livres annuellement[170]. Mais il ne faut pas oublier qu’ils n’étaient pas de véritables fonctionnaires. Logés dans les tours de la ville, les portiers et les guetteurs pouvaient s’y livrer à un métier. Quant aux sergents, malgré l’extrême modicité de leurs gages, ils se trouvaient, grâce à leur casuel, dans une situation assez rémunératrice : ils touchaient en effet un tiers des amendes des coupables arrêtés par eux. Annuellement, les serviteurs de la ville recevaient cinq aunes de drap ; aux grandes fêtes, ils banquetaient aux frais de la communauté. Dans leur vieillesse, ils recevaient un pain dans l’un ! des hôpitaux : c’était leur pension[171].

Finances. — À la différence des villes flamandes et allemandes, qui finirent généralement par acquérir les tonlieux seigneuriaux, ce genre d’impôt, à Dinant comme dans les autres villes liégeoises, n’a jamais cessé d’appartenir à l’évêque. Les finances de la ville étaient alimentées par un impôt de consommation levé primitivement, comme son nom l’indique, pour subvenir aux frais des fortifications : la fermeté (firmifirmitas)[172]. Cet impôt qui apparait au pays de Liège dès le xiiie siècle, présente une frappante analogie avec l’Ungelt des villes allemandes. C’est l’impôt de nouveau style, l’impôt proprement communal. Entre lui et le tonlieu, il y a la même différence de nature qu’entre les échevins et les jurés. Il apparait d’ailleurs en même temps que ceux-ci et Henri VII en défend la levée en même temps qu’il abolit les communiones[173]. Comme Sohm l’a récemment constaté pour l’ungelt[174], on peut affirmer que, dans le pays de Liège aussi, l’impôt communal s’est établi en dehors de la légalité. Il en résulte que la fermeté ne s’est pas introduite dans les villes sans contestations. Les interdits continuels qui furent fulminés contre Liège au cours du xiiie siècle, n’ont pas eu d’autre cause. À Dinant, dès 1213, les bourgois et le chapitre de Sainte-Marie ont des différends à propos de l’impôt[175]. Rien ne pût toutefois empêcher la fermeté de se répandre de plus eu plus. Pour la supprimer, il eût fallu supprimer la commune et revenir à l’administration seigneuriale. Les évêques furent maintes fois contraints, au xiiie siècle, d’autoriser les villes à la lever pour un certain nombre d’années[176]. Au xive siècle, elle devint permanente et ne dépendit plus de l’octroi seigneurial.

Perçue exclusivement, à l’origine, sur les venalia, c’est à dire sur les denrées alimentaires[177], la fermeté frappait, au xve siècle, des objets de différente sorte. Le vin, la larme (espèce de bière), les hoppe et keute (id.), le sel, les poissons, la toile, les chausses, les vies fraperies (friperie), les chevaux et les bois y étaient astreints[178]. Les recettes n’étaient pas directement perçues par la ville : on les affermait au plus offrant. La fermeté ne consistait pas en un droit d’entrée : ce n’était pas un octroi. Elle frappait non l’entrée en ville, mais la vente en ville. La bière par exemple, même brassée à Dinant, y était soumise. Il était interdit sous peine d’amende d’étaler ou de vendre des marchandises ou des denrées pour lesquelles elle n’aurait pas été acquittée au préalable. Des eswardeurs pris parmi les jurés veillaient à sa stricte observation. Ils scellaient les tonneaux après le payement des droits et percevaient les amendes encourues par les contrevenants[179].

La fermeté constituait par excellence l’impôt urbain[180]. Nul n’en était exempté dans la franchise : bourgeois, clerc, afforain[181]. Elle formait d’ailleurs, de beaucoup, la plus grosse part des revenus réguliers de la ville. Le seul compte communal complet antérieur à la destruction de Dinant nous montre que, sur une somme totale d’environ 1 073 livres de gros, la fermeté en fournissait 1 000.

Les autres revenus réguliers de la ville ne formaient donc, comparativement à la fermeté, qu’environ 1/15 des ressources de celle-ci. Ils étaient de nature fort diverse. Aux quatre portes principales de la ville était perçu un droit de chaussage. Le pontenage consistait, comme son nom l’indique, en un payage au passage du pont. La ville percevait une redevance sur la nef merchande qui faisait le service par la Meuse entre Dinant, Namur et Huy. Elle vendait à son profit les fonctions de courtier[182]. Elle affermait à des changeurs lombards la table marchande. Elle percevait des droits d’étalage dans la halle. Les droits d’entrée dans la bourgeoisie et les amendes alimentaient encore la caisse communale.

Mais ce n’étaient là que les revenus réguliers de la ville. Suffisants pour parer aux dépenses courantes, ils ne l’étaient plus, dès que l’on avait à faire face à des charges extraordinaires. Pesant exclusivement sur le commerce, ces impôts ne pouvaient en effet être augmentés sous peine d’entraver celui-ci. Aussi, chaque fois que l’on avait à se créer un supplément de ressources, fallait-il s’adresser à d’autres opérations. C’est à l’emprunt que l’on recourait alors, sous la forme de ventes de rentes soit viagères, soit hypothéquées sur les propriétés communales[183]. Après la bataille d’Othée (1408), les amendes qui frappèrent la ville et la rente de 1 000 florins d’or qu’elle s’obligea à payer au comte de Hainaut[184], la contraignirent à emprunter, en une seule fois, de cette façon 10 000 livres à Tournai. On n’avait d’ailleurs pas besoin en général de s’adresser à l’étranger. Les riches bourgeois achetaient des rentes à la ville, c’est à dire lui prêtaient de l’argent à intérêt. Au XVe siècle, il semble que tous les immeubles communaux aient été grevés de rentes que l’on pouvait à peine payer[185]. Jean de Stavelot raconte qu’en 1422, le peuple, dans une émeute, brûla les titres des créanciers de la ville[186].

Outre l’emprunt, la ville avait parfois aussi exceptionnellement recours à des tailles ou assises qui constituaient un impôt direct frappé sur la fortune des bourgeois : on décida, en 1490, que les tailles ne seraient perçues que sur les citoyens les plus aisés. Enfin, à certaines époques de détresse le conseil se livrait à de véritables opérations de commerce. En 1490, il acheta des chaudrons pour les revendre au profit de la ville. La même année, la ville décida de donner du travail à plusieurs familles qui, par pauvreté, étaient sur le point de quitter Dinant[187].

Dans une autre circonstance, c’est à des réquisitions sous forme d’emprunts forcés que l’on demanda l’argent nécessaire. En 1465, à la veille de la lutte décisive avec le duc de Bourgogne, la généralité décida que cent et cinq bourgeois, nominativement désignés, prêteraient à la ville des sommes variant entre un et quinze florins du Rhin, pour la mettre en état d’augmenter son artillerie.

Le crédit de la ville reposait essentiellement sur ses propriétés, puisque c’est sur elles que l’on établissait les hypothèques des rentes à payer[188]. De leur location, le conseil tirait en outré une source assez importante de revenus. Ces propriétés consistaient essentiellement dans ces warescapia extra aquam et in aqua que nous avons vu au pouvoir du comte de Namur puis à celui de l’évêque. Au xive siècle, les villes tentèrent partout de s’approprier ces terres, désignées alors sous le nom de werixhas (warissaulx etc.) ou aisemens (aisances), et malgré la résistance de l’évêque, elles finirent par les acquérir[189]. Au XVe siècle, nous voyons le conseil de Dinant en disposer souverainement, avec l’assentiment de la généralité. Les werixhas comprenaient les rues, chemins, places, murs, ponts et fossés de la ville et de la franchise : en un mot tous le sol placé en dehors de l’appropriation privée. Tout autres étaient les domaines que la ville possédait comme propriétaire des hôpitaux. Ceux-ci provenaient de legs et de donations : c’étaient des courtils, des prés, des fermes et des bouveries, dont plusieurs avaient une très grande valeur.

C’étaient, comme partout et toujours au moyen-âge, les dépenses militaires et particulièrement les travaux de fortification qui endettaient fatalement Dinant. En 1452, on avait contracté de ce chef des dettes pour plus de 10 000 florins, c’est à dire pour à peu près cinq fois autant que le produit annuel de la fermeté. Il semble d’ailleurs que l’on dépensait sans compter dès qu’il s’agissait d’affaires militaires. En 1458-59, sur les 1 095 livres de gros qui constituaient la somme totale des dépenses de la ville, 238 livres furent allouées aux arbalétriers qui se rendaient à un concours de tir à Malines.

La comptabilité était d’ailleurs trop rudimentaire pour que les dépenses n’excédassent pas forcément les recettes. Le produit annuel des impôts et des revenus de la ville était centralisé, au fur et à mesure de la perception, dans les mains d’un rentier[190]. Il était donc impossible aux maîtres et tiers de se faire une idée exacte de la situation financière. Suivant qu’il fallait obvier à quelque dépense, ceux-ci transmettaient au rentier l’ordre de payer. Il arrivait par là qu’en général, à la fin de l’année, le rentier avait déboursé beaucoup plus qu’il n’avait reçu et que la ville se trouvait endettée envers lui. En 1455, pour remédier à ces inconvénients, on décida que l’on n’endetterait plus la ville au delà de ses revenus et que s’il y avait déficit, on s’abtiendrait de dépenses nouvelles[191]. On établit un budget rudimentaire en fixant, à l’entrée en fonctions des maîtres, l’état des dettes et des ressources de la commune. On ordonna aux maîtres et tiers de prendre la mesure et de dresser les comptes des ouvrages ordonnés par eux, quinze jours avant leur sortie de charge « affin que, pour loinge durée des dis ouvrages, ne demeurent les dis contes à faire et rendre, ensi que par ci-devant ont fait ». L’effet salutaire de ces mesures ne tarda pas à se manifester. Les intérêts dûs par la ville, qui se montaient en 1455 à 2 714 francs, n’étaient plus que de 500 francs en 1458.

Le contrôle financier, depuis que la constitution avait cessé d’être purement aristocratique, était exercé directement par la bourgeoisie. À leur sortie de charge, le 1 octobre, les maîtres avaient à soumettre aux trois membres de la généralité, les comptes de leur gestion[192]. Depuis 1455, ils encouraient une amende de dix nobles d’or d’Angleterre s’ils n’étaient pas prêts à la date voulue. Toutefois, aucun texte ne prévoit le cas où les comptes ne seraient pas approuvés et ne fixe dans ce cas la responsabilité des maîtres. La généralité n’approuvait pas seulement les comptes de la ville : elle avait aussi à ratifier ceux des différents hospices qui lui étaient présentés de quinze en quinze jours à partir du 15 octobre.

Police urbaine. À Dinant, comme dans toutes les villes du moyen-âge, la surveillance du commerce constituait le principal objet de la police urbaine. Le commerce n’était pas plus libre dans la ville que l’industrie ne l’était dans les métiers. Des deux côtés, on constate le même esprit de protectionnisme, de contrôle minutieux, de réglementation à outrance. Le conseil était intéressé au bon renom commercial de la ville comme les chefs des métiers l’étaient au bon renom industriel de leur corporation. Aucun objet ne lui paraissait indigne de son attention en cette matière. Sa correspondance ressemble parfois à celle d’une grande maison de commerce. Des lettres comme celle du 22 décembre 1449 qui dénonce à Metz une marchande de hareng qui a vendu à Dinant, sous le nom de hareng d’Anvers, des poissons qui n’ont pas cette provenance, prouvent quel prix on attachait à la régularité des transactions et avec quel zèle on dévoilait les fraudes.

La destruction presque complète des archives de Dinant, lors du sac de 1466, ne nous permet pas de retracer avec quelque détail l’administration commerciale de la ville. Il ne nous reste que des indications fugitives dans un certain nombre de documents et dans ce qui nous est parvenu des comptes communaux.

Les métiers, en tant que corporations, étaient indépendants de toute ingérence du conseil. Ils nommaient librement leurs gouverneurs, leurs mambours, leurs jurés ; ils établissaient, comme ils l’entendaient, leurs statuts et réglements ; un métier pouvait même, sans avoir besoin d’aucune autorisation, s’en adjoindre un autre pour ne former avec lui qu’un seul corps[193]. Mais il en était autrement, en ce qui concernait la vente et la fabrication des marchandises. En cette matière, le conseil, en vertu de son droit de police, exerçait un contrôle rigoureux. Les jurés de l’année étaient revêtus des fonctions d’eswardeurs ou de rewards du commerce. Par groupes de trois ou quatre, ils étaient chargés de surveiller la vente d’une espèce déterminée de marchandises. Il y en avait ainsi pour la bière, la volaille, les bois, le pain, le hareng, les poissons, la viande et le blé. Ceux qui étaient préposés à la draperie portaient le nom particulier de bancqueteurs[194]. Quant au métier des batteurs, par suite de son importance exceptionnelle, il se trouvait dans une situation privilégiée. Il avait ses propres jugeurs, indépendants du conseil et élus, conformément à la charte de 1255, en partie par l’échevinage seigneurial et en partie par la corporation. Les eswardeurs rapportaient au conseil les amendes prononcées par eux.

Le produit de ces amendes était partagé en trois parties : un tiers en appartenait au seigneur, un tiers à la ville et un tiers était attribué, comme indemnité pour leurs peines, aux eswardeurs. Les valets de la ville avaient également le droit de mettre à l’amende les contrevenants aux règlements sur le commerce et prélevaient un denier sur dix de la somme payée par le coupable.

La bonne alimentation de la ville intéressait naturellement le conseil par dessus tout[195]. Il veillait à empêcher le renchérissement des vivres et, en cas de nécessité, fixait un maximum pour leur prix. Il était défendu de recouper, c’est à dire d’acheter, avant qu’elles eussent été exposées au marché, les denrées apportées en ville : cette mesure, en entravant le monopole des objets de consommation aux mains de quelques individus, s’opposait naturellement à l’augmentation artificielle de leur valeur. Pour favoriser autant que possible l’achat à de bonnes conditions par les bourgeois, on défendait aux marchands de se procurer des grains avant que ceux-ci ne s’en fussent d’abord pourvu. Les produits avariés ou de mauvaise qualité devaient être exposés à de certains endroits déterminés afin qu’il n’y eut pas matière à la fraude, etc.

En dehors de la police commerciale, qui formait une des plus importantes attributions du conseil, l’activité de celui-ci s’étendait aux objets les plus divers : entretien de la propreté et de la salubrité publiques, surveillance des immeubles communaux, réparation des ponts, murs et fossés, administration des hospices. Comme les chefs des métiers le faisaient dans leurs corporations, le conseil exerçait dans la ville un contrôle sévère sur les mœurs des bourgeois. Il interdisait l’établissement de maisons de prostitution, bannissait les femmes de mauvaise vie et celles dont l’adultère était notoire, mettait à l’amende les blasphémateurs. Le port d’armes était surtout soigneusement réglementé. Pour que personne ne fut censé ignorer les arrêtés toujours de plus en plus nombreux sur ces différents objets, le conseil les faisait crier du haut du perron. Les statuts les plus importants étaient même affichés, aux yeux du public, dans une des rues de la ville.

Milice. Les trois membres de la ville, conformément au principe qui dominait toute l’organisation de Dinant, prenaient part, dans la même proportion, aux expéditions militaires. Suivant les circonstances en effet, la population s’armait tout entière ou seulement par moitié, par tiers ou par quart. Chacun des trois membres se rangeait sous un panonceau. Le haut-voué avait ordinairement le commandement suprême de l’armée. Les bourgeois s’équipaient naturellement à leurs frais. Les plus riches d’entre eux servaient à cheval. Une compagnie de cinquante arbalétriers, mentionnée pour la première fois en 1449, était rétribuée par la ville et astreinte à des exercices réguliers[196]. Elle constituait la milice permanente de Dinant. L’armée communale ainsi formée avait plus de cohésion qu’on ne serait tenté de le croire tout d’abord. En 1408 elle prit part, pendant seize semaines, au siège de Maestricht avec les Hutois, les Liégeois et les villes lossaines[197].

La défensive avait pour la ville une importance bien plus grande que l’offensive. Située sur l’extrême frontière du pays de Liège, ennemie mortelle de Bouvignes, bâtie en face d’elle sur l’autre rive de la Meuse, elle était toujours, en temps de guerre, directement exposée aux premières attaques des Namurois. Sa position devint surtout critique quand, en 1429, le comté de Namur eut été acquis par la puissante maison de Bourgogne. Dinant ne cessa plus, dès lors, d’augmenter toujours la puissance de ses murailles[198]. Elle ne se fiait qu’à la force de ses remparts pour protéger ses trésors et son industrie. Après la défaite des Liégeois à Othée par le duc de Bourgogne en 1408, les commissaires chargés par celui-ci de faire abattre, conformément à la paix, les murs de Dinant, lui écrivirent que « si l’on abatoit les fortifications de la ville, les gens, en especial les plus riches, s’en partiroient et feroit fort d’avoir l’argent qui est imposé sur icelle ville. »

De l’avis unanime des contemporains, les fortifications de Dinant au xve siècle étaient d’une puissance remarquable. Elles se composaient d’une enceinte flanquée de tours, longeant la Meuse et escaladant les rochers énormes auxquels la ville est adossée. Au point culminant de ceux-ci, se trouvait le château toujours pourvu de guetteurs. De l’autre côté du fleuve, le faubourg de Saint-Médard était également fortifié et pourvu d’ouvrages avancés. Le pont qui le reliait à la ville était coupé par un pont levis et défendu par une tour centrale[199].

Au xve siècle, on construisit, au nord de la ville, la tour de Montorgeuil d’où les couleuvrines dinantaises pouvaient tirer continuellement dans Bouvignes. Les habitants de celle-ci vivaient littéralement sous le canon de l’ennemi. Sur la rive gauche de la Meuse, les fortifications des deux rivales se touchaient presque : elles n’étaient distantes que d’un trait d’arc. Chacune semblait, en quelque sorte, faire d’une manière permanente le siège de l’autre[200].

Les tours étaient garnies d’un certain nombre de bombardes, de bâtons à feu et d’armes de toute sorte. Ce matériel de guerre appartenait en partie à la ville, en partie à de riches bourgeois et aux métiers[201]. Des bombardiers étaient loués par le conseil pour l’entretien de l’artillerie et la fabrication de la poudre. En 1466, à la veille du siège par Charles le téméraire, on alla jusqu’à donner à l’un d’eux, pour le retenir, la somme énorme de 500 florins. Tous les soirs, pour maintenir l’ordre et prévenir les attaques nocturnes, un certain nombre de bourgeois, commandés par deux jurés, faisaient le guet dans les rues et aux différentes portes[202].

B. Juridiction.

La juridiction du conseil à Dinant laisse surprendre sur le vif la différence essentielle entre les villes liégeoises et les villes flamandes. Dans ces dernières, l’échevinage, avec son caractère mixte, à la fois seigneurial et communal, est tout ensemble le conseil et le tribunal de la ville. Il est présidé par l’officier du comte et en dehors de la coutume urbaine, de la Keure, suivant laquelle il juge, il n’existe pas d’autre droit. Dans le pays de Liège, au contraire, les échevins, comme on l’a vu, ont conservé un caractère strictement seigneurial : ils constituent la justice de l’évêque. Tous sont nommés par lui, tous lui prêtent serment. À Liège, à Huy et à Saint-Trond, comme à Dinant, la situation est la même. Les échevins, extérieurs en quelque sorte à la ville, ne jugent pas suivant une coutume urbaine. Le droit qu’ils appliquent est le droit de Liège, lentement transformé, à partir du commencement du xive siècle, par l’action des États[203].

Comparée avec cette juridiction scabinale, la juridiction du conseil se présente avec une nature toute différente.

Elle constitue une juridiction communale, indépendante. Organe de la commune, le conseil juge au nom de la commune. Il est présidé par ses maîtres, non par le maire épiscopal. Le droit suivant lequel il juge n’est pas un droit territorial, mais essentiellement un droit urbain. C’est en quelque sorte un droit extra-légal, comme la fermeté, en face du tonlieu, est un impôt extra-légal. Comme elle a ses finances, la commune a son droit, droit d’exception, droit de circonstance, continuellement renouvelé, complété, enrichi par la législation autonome de la ville, comme le droit territorial l’est, de son côté, par la législation des États. Au xve siècle, la langue juridique liégeoise reconnaît nettement la situation : la juridiction de la loi est celle des échevins, la juridiction de la franchise ou des statuts est celle des maîtres et des jurés.

L’origine de la juridiction du conseil n’est pas difficile à saisir[204]. Elle remonte incontestablement aux institutions de paix, contemporaines de la première apparition des jurés et des communiones[205] ; elle doit dater de la même époque que la fermeté. Mais, comme celle-ci, elle ne s’est pas fixée, elle n’a pas été reconnue par le seigneur sans contestations. Elle a dû être tolérée et abolie, suivant que la commune était tolérée ou abolie. À la fin du xiiie siècle, elle n’appartenait pas encore exclusivement aux jurés. Ceux-ci la partageaient avec les échevins, sous la présidence du maire[206].

C’est pendant les luttes constitutionnelles du xive siècle qu’elle a dû prendre son organisation définitive. En même temps qu’il auront été expulsés du conseil, les échevins et le maire auront perdu le droit de participer à la juridiction communale et, dès lors, le droit de juger les cas de paix brisées a appartenu au conseil[207].

La compétence du conseil, en tant que juge des paix brisées, est une compétence pénale mais non une compétence criminelle. La commune n’a pas réussi à conquérir la haute justice : celle-ci est restée au tribunal seigneurial. « Ly maistrez ne conseaz delle citeit ne des aultres bonnes villes, dit en 1386 la modération de la loi nouvelle, n’ont à cognoistre ne à jugier de nul cas criminelz ne de choise nulle qui touche alle loy de pays ne qui touche alle justiche spiritueil, ains en doyent laissier covenir les cours et justiches auz quels ilh en appartint et qui, pour le droit et le loy à wardeir, sont institueis : excepteit et reserveit à leurs borgois leurs status, frankiez et liberteis d’antiquiteit useez[208]. » Deux siècles plus tard, en 1551, les maîtres et jurés de Dinant reconnaissaient que « quand aux cas criminelz, ne prendent la cognoissance, ains les renvoyent à la justice de sadite Grâce Réverendissime[209]. » Les registres aux amendes permettent de se faire une idée très nette des paix brisées que jugeait le conseil[210]. Ce sont des délits de peu d’importance : des injures, des menaces, des coups et blessures, des cas de violation de domicile, etc.

Outre cette juridiction de paix, primitive et fort ancienne, le conseil exerçait une juridiction de police proprement dite. L’étendue de celle-ci était déterminée par l’étendue de la législation communale.

Au droit de la ville d’établir des statuts dans sa franchise, correspondait le droit d’en juger souverainement les contrevenants. En matière de statuts, la juridiction du conseil était plus indépendante qu’en matière de paix brisées. La juridiction de paix du conseil n’est en effet, en dernière analyse, qu’une usurpation de la ville sur le droit souverain de l’évêque. À Liège, l’échevinage la partageait avec les maîtres et les jurés : on pouvait se plaindre indifféremment à la loi ou aux statuts[211]. Si rien ne prouve qu’il en ait été de même à Dinant, au xve siècle, la moitié des amendes des paix brisées, qui y revenait à l’évêque, montre toutefois très clairement que celui-ci n’y avait pas non plus été complètement dépouillé de son droit. Pour juger les contraventions aux statuts, au contraire, la ville seule était souverainement compétente. La constitution de 1348 le reconnaît implicitement en décidant que « nuls, por les choses advenues jusques aujourd’huy, ne dient lay ne reprove à cuy que ce soit, sur le paine que mise y serat par le conseil de novel siege qui serat d’or en avant ordiné et mis en ledite ville de Dinant ».

La juridiction des statuts, conformément à son origine, était essentiellement une juridiction de police urbaine.

Le port d’armes dans la ville, le tapage nocturne, le blasphème, les mauvaises mœurs, les injures, la rébellion contre un sergent et, en général, toute désobéissance à un membre du conseil, toute contravention à un règlement urbain, en étaient relevants[212].

Le pouvoir législatif appartenant à l’assemblée de la généralité de la ville, il s’en suivait que celle-ci avait seule le droit de faire grâce aux coupables des peines encourues par eux. Ces peines étaient d’ailleurs différentes, suivant que le condamné était ou n’était pas bourgeois : dans ce dernier cas, en effet, elles étaient portées au double. Personne, dans la ville, n’était soustrait à la juridiction des statuts. En 1399, on défendit, sous peine d’amende, d’acquérir la bourgeoisie à Liège ou ailleurs « pour grever aux bourgeois de Dinant ». De même, on voit, à différentes reprises, le conseil protester contre l’ingérence de l’official dans sa juridiction.

Le conseil tenait, en général, une séance de justice par mois, le lundi ou le jeudi, dans la tour sur le pont. Il était présidé par un maître de la ville ou par un lieutenant nommé par lui. Le maître y remplissait les mêmes fonctions que le maire dans le tribunal des échevins : il semonçait le conseil et hors-portait les jugements. Quelques jurés seulement suffisaient pour que l’assemblée fut en nombre[213]. Les séances de justice, jusqu’en 1540, furent publiques.

Les registres aux amendes mentionnent, à chaque séance de justice du conseil, des amendes rapportées et des amendes jugées. Les premières étaient celles auxquelles étaient condamnés, au rapport des valets de la ville et des eswardeurs, les contrevenants aux règlements de police sur la vente des vivres. Les secondes, comme leur nom l’indique, étaient prononcées par le conseil contre les coupables cités devant lui. Le taux des amendes jugées était très variable. Il y en a depuis dix livres jusqu’à cinq sous et il est impossible de découvrir un principe qui explique ces divergences. Peut-être provenaient-elles de ce que les statuts appliqués dataient d’époques différentes. Le non payement de l’amende entraînait, ipso facto, la perte de la bourgeoisie (aubaineté) et le bannissement jusqu’à satisfaction[214].

Le banni déclaré aubain devait immédiatement quitter la ville. Il était défendu sous des peines très sévères de lui porter aide ou de l’héberger. S’il était trouvé dans la franchise il pouvait être immédiatement arrêté et mis en prison[215].

Le bannissement par suite du défaut d’acquittement de l’amende, n’était, en somme, qu’une procédure d’exécution. Mais on le trouve aussi très souvent soit comme peine unique, soit comme peine accessoire. Ce n’est que lorsqu’il était perpétuel, c’est-à-dire de cent ans et un jour, que le bannissement était employé seul : dans ce cas, il constituait un véritable exil. On en frappait les gens de mauvaise falme dont la ville se débarrassait par ce moyen bien qu’ils n’eussent commis aucun délit déterminé. Comparée à la tolérance de nos grandes villes à prolétariat, cette sévérité excessive caractérise bien le génie essentiellement corporatif des constitutions urbaines du moyen-âge. Ce que les métiers faisaient en petit pour leurs membres, la ville le faisait en grand pour ses bourgeois[216].

Beaucoup plus fréquent que le bannissement perpétuel, est le bannissement pour une ou plusieurs années, accompagné d’une peine pécuniaire. À la différence du premier, celui-ci était toujours rachetable, moyennant trente heaumes pour une année et dix heaumes pour toutes les années de surplus. Le rachat se faisait non au profit de la ville, mais au profit de l’évêque. Le bannissement constituait, en effet, une des prérogatives de la haute justice. Aussi, si le conseil pouvait le prononcer, il ne pouvait procéder à son exécution. Celle-ci était l’affaire du maire et des échevins qui promulguaient la sentence du haut du perron, à cloche sonnante. La ville ne touchant rien sur les bannissements, il est naturel qu’ils aient été accompagnés d’une amende. Cette amende était de 40 livres pour les bannissements de 10 ans, de 8 ou de 10 livres pour les bannissements d’un an. Conformément à ce qui a été observé à propos des paix brisées, elle se partageait par moitié entre la ville et le seigneur.

Outre le bannissement et les amendes, le droit statutaire de Dinant, comme celui de Liège et de la plupart des villes des Pays-Bas, édictait encore comme peine les voyages pénitentiaires[217]. Ils étaient prononcés soit au profit de l’évêque, soit au profit de la ville soit, le plus souvent, au profit de la partie lésée. En règle générale, ces voyages étaient rachetables suivant un tarif[218]. Si le rachat n’avait pas été exécuté dans le délai fixé par les statuts, c’est à dire soit avant le soleil couchant, soit dans les trois jours, soit dans les quarante jours, soit dans les six mois, le coupable devait se mettre en route alle peine du corps et ne pouvait revenir sans un certificat constatant qu’il avait accompli son pèlerinage[219]. Les endroits auxquels on était envoyé sont les sanctuaires de Saint-Maur des fossés, de Vendôme, de Rocamadour, de Saint-Jacques de Compostelle, ou des églises célèbres des Pays-Bas comme Saint-Servais de Maestricht.

Le droit statutaire de Dinant, dont il ne nous reste malheureusement qu’un fragment antérieur à 1466, n’a pas dû différer sensiblement de celui de Liège. Les paix et règlements faits pour la cité semblent, pour la plupart, avoir été adoptés par notre ville. Le règlement des bâtons, donné à Liège en 1422, fut, par exemple, introduit à Dinant au plus tard dès 1455[220]. D’autre part, la ville conservait dans un registre aux paix, non seulement les lois territoriales faites pour le pays, mais aussi un grand nombre de celles qui n’intéressaient que la capitale. Nous savons d’ailleurs, que le conseil de Liège était considéré comme l’arbitre suprême en matière de franchises[221]. Toutefois, certaines particularités du droit urbain de Dinant n’existent pas, à ma connaissance, dans le droit urbain de Liège. Telle était, entre autres, la condamnation à porter des pierres, peine qui se rencontre fréquemment dans les coutumes luxembourgeoises et qui permet de supposer une certaine influence de celles-ci sur les statuts dinantais.

La juridiction du conseil n’était pas seulement pénale : elle s’étendait aussi à certaines affaires civiles ou commerciales. Toutefois, cette juridiction était, en quelque sorte, de nature privée. Comme de récents travaux l’ont constaté pour d’autres villes, elle a son origine dans l’habitude de recourir, pour des contestations peu importantes, à l’arbitrage du conseil, qui épargnait aux parties les frais et les lenteurs de la procédure scabinale[222]. Les efforts tentés par les villes liégeoises, au cours du xive siècle, pour enlever aux échevins leur juridiction civile ont échoué, comme ont échoué les tentatives pour leur enlever leur juridiction criminelle. En 1403, la paix de Tongres décida[223] que d’ors en avant lidis maistres cesseront et plus ne soufferont à plaidyer par devant eauz ne par devant les jureis, conseilh et universiteit de ladicte citeit, de nuls cas tochans les hiretaiges, testamens, covenanchez de mariages et bins de sainte egliese, et de executions et d’aultres cas tochans auz drois ou alle loy spirituelle ou temporele, anchois en renvoient les partyez plaidyer par devant les juges ordinaires, soit à droit ou alle loy, qui de ce doient avoir cognissance ; mais d’aultres cas tochanz les statuts, franchieses et liberteis de la dicte citeit, et ainsi de deptez et d’aultres marchandises, nient tochans auz aultres cas devant escrips, poront li dis maistres souffrir de plaidier devant eauz leurs borgois qui plaidier y volront… et semblament, que les borgois qui plaidyer volront de debte, de covens ou de marchandieses, puissent plaider de ce par devant l’official ou le mayeur et les esquevins ou les maistres de Liège, li queil qui miez leur plairat.

La juridiction civile du conseil de Dinant, telle que nous pouvons nous en faire une idée par les registres aux amendes, répond absolument à ces stipulations. Elle est avant tout arbitrale et facultative : nul ne peut être astreint à plaider devant elle ; le tribunal ordinaire en matière civile reste celui des échevins. Mais la situation de fait ne répond pas à la situation de droit. En réalité, les échevins n’ont plus connu, au xve siècle, que des affaires immobilières : quant au paragraphe de la paix de Tongres qui laisse aux parties l’option en matière de dettes, de conventions et de marchandises entre le tribunal de la loi et celui des statuts, il est resté à peu près lettre morte. L’immense majorité de ces affaires était portée devant le conseil où la procédure était plus expéditive et à meilleur marché. Les archives de Dinant contiennent des centaines d’exemples de contrats de vente ou de louage, de reconnaissances de dettes, de conventions de marchandises, de prêts et d’emprunts effectués devant les maîtres et les jurés. En général, les parties stipulaient une mise qui était due au conseil par celle d’entre elles qui aurait rompu son contrat. S’il y avait contestation, la partie succombante avait à payer les adjours et était, en outre, frappée d’une amende de 20 à 25 sous. Quant à l’objet même du litige, il était recouvrable par la procédure habituelle d’exécution, c’est-à-dire par le bannissement. Les parties renonçaient d’ailleurs habituellement, lors de la conclusion des contrats devant le conseil, « à toutes franchises, libertés, clergies, bourgesies, fiefs, hommages, cession et à tout ce généralement qui aidier ou valoir leur poroient contre la prescrite obligacion ».

Comme on le voit par ce qui précède, la juridiction civile du conseil présente absolument le même caractère que sa juridiction pénale. L’une et l’autre se sont formées en dehors de la loi, en opposition avec les droits du prince. Elles sont le résultat de l’autonomie communale en matière judiciaire, absolument comme la fermeté l’est en matière financière. Il nous reste maintenant, après avoir constaté ces conquêtes de la ville sur le seigneur, à voir quels sont les droits qu’a conservés celui-ci au XVe siècle.

C. Droits de l’évêque dans la ville.

En sa qualité de seigneur de la ville, chaque évêque de Liège, après sa nomination, avait à faire solennellement à Dinant sa joyeuse entrée. Il recevait le serment de fidélité des bourgeois, auxquels il jurait, de son côté, de respecter et de maintenir leurs libertés et privilèges[224].

Les droits seigneuriaux de l’évêque comprenaient le domaine et la juridiction, tous deux fortement réduits au xve siècle, l’un par la perte des werixhas, l’autre par la juridiction du conseil.

Le domaine épiscopal ou, comme on disait aussi, la table épiscopale, comprenait tout d’abord, à l’origine, la moitié des revenus de la grande halle bâtie en 1263[225]. Nous ne savons s’il en était encore ainsi au xve siècle. En tous cas, les profits que l’évêque tirait, à cette époque, du commerce urbain étaient assez importants[226]. Il percevait un tiers des amendes rapportées au conseil par les eswardeurs, et un tiers du produit de la vente des courtages. En outre, depuis 1255, il intervenait, par le maire et les échevins, dans la nomination des mayeurs de la batterie et touchait également, de ce chef, une partie des amendes prononcées par ceux-ci. Il en était de même pour celles que prononçaient les bancqueteurs, c’est à dire les rewards des drapiers[227].

Le tonlieu, dont nous avons constaté l’existence au xie et au xiie siècle, fournissait à l’évêque des revenus de toute autre nature. Ici, la ville n’empiéta jamais sur le seigneur : le tonlieu est resté jusqu’au xvie siècle l’impôt essentiellement domanial. Nous n’avons malheureusement presqu’aucun renseignement sur la manière dont il était perçu. Tout ce que l’on peut affirmer, c’est qu’il contrastait complètement avec l’impôt communal de la fermeté. En face d’elle, il représente encore, au xvie siècle, l’antique theloneum de l’époque féodale. Il était prélevé soit à l’entrée, soit à la sortie de la ville sur toutes les marchandises, à l’exception de celles qui appartenaient à des bourgeois ou à des habitants de certaines localités privilégiées[228]. Il consistait en une taxe fixe, invariable quelle que fût la nature des marchandises. Jusqu’au bout, le tonlieu est resté ce qu’il était au xie siècle. De même que le comte de Namur avait alors droit à une branche de chaque fagot, à deux deniers par charge de sel, à une poignée de chaque mesure de graines, de même l’évêque, au xvie siècle, avait droit à un aidan pour chaque tonne de vin ou de harengs et à un denier sur soixante, pour tous les autres objets. À cinq cents ans d’intervalle, le principe est identique : ni la valeur, ni la qualité, ni la provenance des produits ne sont prises en considération. Les fromages, les graines, les épices, les cuirs, les toiles, les métaux, les draps, les bestiaux « et autres marchandises quelconques » sont astreintes à la même prestation immuable fixée par la tradition.

Outre le tonlieu, l’évêque possédait encore, comme jadis le comte de Namur, un droit de winage sur les bâteaux. Une enquête faite en 1518 constate que le maire exigeait de chaque barque passant sous le pont de Dinant un quart d’aidan « voire que quant les mariniers n’avoient point d’argent, ils jettoient une were (?) à terre pour le payement dudit winage. »

Au xive et au xve siècle, est mentionné un droit d’afforage seigneurial sur les boissons qui semble avoir été soit donné en fief, soit affermé. L’antiquité de son origine est attestée par ce fait qu’il se percevait en nature[229]. Pour la levée de ces droits, l’évêque avait dans la ville un chairier ou receveur.

Il faut ajouter à ces différents droits domaniaux du prince, la propriété du moulin de l’île, que les Dinantais auraient été forcés de construire (au xiiie siècle ?) par suite d’une sentence épiscopale[230], et celle de la table des Lombards, ou comptoir de change.

On peut encore considérer comme rentrant dans le domaine, les revenus que l’évêque tirait de la juridiction. Toutes les amendes prononcées par les échevins lui appartenaient et, comme on l’a déjà vu, il percevait une partie de celles qu’appliquait le conseil.

Ce qui a été dit plus haut de la juridiction épiscopale dispense d’en parler longuement ici. Telle elle était au xiiie siècle , telle dans ses traits principaux, elle est restée au xve. Son organe est l’échevinage ou haute justice de Dinant, tribunal à la fois seigneurial et territorial. Les sept membres qui le composent sont nommés à vie par le prince auquel ils prêtent serment. Leur compétence comprend essentiellement, d’une part, la haute justice et les affaires immobilières, de l’autre, tous les procès intéressant le domaine. Quant aux paix brisées et aux petites affaires civiles, on a vu que la connaissance leur en a été, en fait, enlevée par le conseil. Entre les deux tribunaux de la ville, les conflits ne doivent pas avoir été fort fréquents depuis la fin du xive siècle. Par suite de son caractère territorial, l’échevinage était soigneusement réglementé par la loi du pays et d’ailleurs, depuis 1373, le tribunal des XXII, institué pour surveiller la conduite des officiers épiscopaux, offrait contre lui un recours excellent. Néanmoins les difficultés ne pouvaient pas toujours être évitées. En 1441, nous voyons le conseil, en vertu d’un ordre de la généralité, bannir le maire et les échevins pour cinq sous et les condamner à fournir à un bourgeois un record qu’il leur a demandé, ainsi qu’à l’indemniser des frais qu’il a dû supporter en plaidant contre eux[231]. Le procédé de la ville, en agissant ainsi, était, en droit strict, évidemment illégal. En théorie, elle n’avait pas plus d’action sur l’échevinage que celui-ci n’en avait sur elle. Les conflits qui pouvaient s’élever entre ces pouvoirs si différents devaient être portés devant les États du pays. Le conseil, d’ailleurs, sait à l’occasion reconnaître l’indépendance complète de la justice seigneuriale. En 1450, les maîtres de Dinant écrivent au bailli de Namur, qui les a invités à remettre en liberté un bourgeois de cette ville, que l’arrestation, ayant été faite par le maire de l’évêque, il ne peuvent se mêler de cette affaire. L’année suivante, le conseil proteste qu’il n’est absolument pour rien dans une sentence de l’échevinage rendue contre les batteurs de Bouvignes.

Pas plus que les membres du conseil, les échevins n’avaient de traitement. Mais les frais de justice auxquels ils avaient droit et qui formaient leur salaire étaient très considérables. La loi du pays réglait soigneusement ce qu’ils devaient réclamer pour leur sceau, pour une mise en garde de loi, pour une rencharge, etc.

Le maire, appelé plus fréquemment mayeur, à partir du xve siècle, était à la fois l’officier de justice et le représentant de l’évêque dans la ville. Il était pris habituellement parmi la petite noblesse ou dans une des familles les plus considérables de la bourgeoisie. Du fait même de ses fonctions, il siégeait avec les nobles aux États du pays. Depuis le milieu du xve siècle, il y eut habituellement deux mayeurs à la fois dans la ville : le souverain mayeur, bailli du Condroz, et le mayeur de Dinant. Le premier était une sorte de gouverneur provincial dont le caractère n’avait rien de proprement urbain ; le second, le seul dont nous ayons à nous occuper ici, était le descendant direct de l’ancien villicus du xie siècle.

En sa qualité d’officier de haute justice, le mayeur avait à semoncer le tribunal des échevins. L’exécution de toutes les sentences montant à honneur d’homme lui appartenait : aussi le conseil, comme on l’a vu, ne pouvait-il prononcer de bannissements sans sa présence. La prison épiscopale, distincte de celle de la ville, était confiée à sa garde.

En dehors de ses attributions judiciaires, le mayeur était un véritable commissaire du prince à Dinant. Il correspondait avec l’évêque, faisait connaître ses ordres à la ville et veillait à leur exécution. Pour éviter des abus de pouvoir de sa part, on lui faisait jurer, lors de son entrée en charge, de respecter les franchises urbaines, de même que l’on faisait jurer aux maîtres de respecter les droitures du seigneur.

Le domaine épiscopal était placé sous la haute surveillance du mayeur qui en centralisait les revenus et devait acquitter les dépenses qu’entraînait la perception de ceux-ci. Chaque année, le rentier avait à lui présenter le compte de ce qui appartenait au prince sur les revenus de la commune, et de ce qu’il devait, en retour payer, à celle-ci. L’évêque intervenait en effet aux dépenses de la ville dans la même proportion où il en partageait les bénéfices. Suivant qu’il touchait le tiers ou la moitié de certaines amendes et de certains droits, il devait le tiers ou la moitié de l’indemnité accordée au clerc, au crieur, aux sergents, pour les écritures et les formalités nécessaires à la perception de ces amendes et de ces droits. Le dixième denier alloué aux sergents pour leur salaire, sur le montant des condamnations, était prélevé aussi bien sur la part de l’évêque que sur celle de la ville. En outre, conformément à la distinction complète des magistratures seigneuriales et des magistratures communales, le prince devait rembourser les frais de justice payés aux mayeur et échevins lors des bannissements, ainsi que la valeur des paires de gants que le conseil leur donnait chaque année.

D. Rapports de la ville avec les États.

L’analogie frappante que l’on constate entre les institutions des différentes villes liégeoises, la formation rapide d’un droit territorial propre à tout le pays de Liège, s’expliquent par une constitution d’États qui apparaît de meilleure heure et exerce une bien plus grande influence dans cette principauté que dans les autres provinces des Pays-Bas. Réduit à la possession du domaine et de la haute justice, l’évêque, depuis la fin du xiiie siècle, partage la législation avec les trois ordres de la noblesse, du clergé et des villes. De même que le pouvoir de ses officiers est restreint, dans les villes, par l’action de l’autonomie communale, de même son propre pouvoir est restreint, dans la principauté, par l’action des États, par le sens du pays.

On n’a pas naturellement à s’occuper ici de la formation des États liégeois[232]. On voudrait seulement montrer comment, au moyen-âge, Dinant y intervenait.

La participation des villes aux États est due essentiellement aux ligues qu’elles ne cessèrent de former depuis 1230 jusqu’en 1466[233]. Dans ces ligues, trois d’entre elles avaient une situation privilégiée, étaient les chefs de la confédération : la cité de Liège, Huy et Dinant. Ces trois villes, comme nous aurons à le montrer, partageaient presque tout le pays entre les trois châtelleries dont elles étaient les maîtresses ; dans tous les actes publics, leurs noms étaient cités en première ligne ; elles jouissaient enfin, dès le xive siècle, de prérogatives particulières[234]. En 1324, la lettre des XX décide que leurs maîtres participeront à toutes les enquêtes seigneuriales qui montent à honneur d’homme[235]. Plus tard, en 1373, quand le tribunal des XXII est institué, Liège nomme quatre de ses membres, Huy et Dinant chacune deux, tandis que les autres villes n’ont droit qu’à en fournir un seul[236].

Les archives de Dinant nous ont conservé quelques renseignements intéressants sur la participation de la ville aux États au xve siècle.

Il y avait, à cette époque, au moins une assemblée d’États annuellement. La date en était variable, quant au lieu de réunion, c’était presque toujours Liège. La convocation était adressée aux maîtres par l’évêque une quinzaine de jours avant l’assemblée[237]. Elle les engageait à envoyer des députés et leur faisait connaître sommairement l’ordre du jour. Aussitôt le reçu de la lettre épiscopale, les maîtres avaient à convoquer la généralité de la ville. L’objet de la réunion lui était soumis et une sieulte faisait connaître quelle était, à ce sujet, la volonté de la bourgeoisie. Le mandat des députés aux États était donc absolument impératif. Ils n’avaient aucune initiative personnelle : leur rôle se bornait à porter la parole au nom de leurs commettants. Leur pouvoir était si strictement limité que, si l’on avait à prendre quelque résolution imprévue, ils devaient venir demander de nouvelles instructions à la généralité.

Le nombre des députés envoyés aux États était variable. Les maîtres de la ville et les anciens maîtres semblent avoir eu le droit de faire partie de cette assemblée. En outre, il arrivait que la ville chargeât spécialement certaines personnes de la représenter.

Il semblerait, à première vue, que Dinant ait dû soigneusement se faire représenter à toutes les réunions des États. Il n’en est rien. On peut dire que l’envoi de délégués par la ville était l’exception. Presque toujours le conseil se faisait excuser, en alléguant soit l’arrivée trop tardive de la convocation qui n’avait pas permis de réunir la généralité, soit la nécessité de la présence des maîtres, etc.[238]. Il ne faudrait pas voir cependant dans cette attitude une marque d’indifférence. Le mandat impératif rendait en effet presque toujours inutile la participation de députés à l’assemblée. Il suffisait au conseil d’envoyer à l’évêque une lettre lui faisant connaître la résolution prise par la ville. Le messager porteur de la lettre devait assister à l’assemblée des États et faire rapport à la bourgeoisie. Lorsque les objets soumis aux délibérations n’intéressaient pas les affaires de la ville, celle-ci déclarait d’ailleurs, à l’avance, accepter la résolution prise par les trois ordres.

Il en était autrement dans le cas où ses intérêts étaient directement en jeu. Elle invoquait alors ses coutumes particulières, le tort que pourraient lui causer les mesures proposées, l’impossibilité pour elle de les appliquer. On peut conclure de là que les résolutions des États n’étaient pas toujours strictement obligatoires. L’autonomie communale était pour elles une barrière, comme elle l’était pour les droits souverains du prince. Ce n’est qu’à partir du xvie siècle que l’indépendance urbaine commença à céder sous l’action commune des deux pouvoirs territoriaux : les États et l’évêque.

Il serait intéressant de savoir comment les mesures prises par les États étaient exécutées à Dinant. On n’a malheureusement trouvé là dessus aucun détail. Il est certain toutefois que ce n’étaient pas les maîtres qui avaient à les appliquer. Représentants de la commune, ils eussent été manifestement, pour le pouvoir central, de détestables instruments. Celui-ci s’adressait plutôt, semble-t-il, au mayeur et à des commis spéciaux nommés par l’évêque.

E. La Franchise et la Châtellerie.

Au dehors des murailles, l’autorité du conseil de Dinant s’exerçait sur deux territoires de nature et d’étendue fort différentes : la franchise et la châtellerie.

La franchise porte également les noms de banlieue ou de juridiction de Dinant. Nous avons déjà vu qu’elle se composait de deux parties d’origine distincte, l’une sur la rive droite de la Meuse, provenant de la centène du xie siècle, l’autre sur la rive gauche, usurpée sur le Namurois. Le fleuve qui la traversait relevait exclusivement, au début, de la juridiction du comte de Namur. Le maire épiscopal n’y pouvait saisir ni biens, ni coupables[239]. Mais la ville ne tarda pas à s’emparer, là aussi, de droits dont l’exercice, laissé à un prince voisin, devait la gêner considérablement. C’était chose faite à la fin du xiiie siècle. L’évêque de Liège profita, en dernière analyse, de ces empiètements de la commune qui étendirent d’autant le pouvoir de ses officiers[240]. Ce fut pour lui un dédommagement de tant de prérogatives qu’il avait dû céder au conseil.

La franchise de Dinant était fort peu étendue. Elle n’avait, le long de la Meuse, qu’une demi lieue en longueur et sa largeur n’était pas beaucoup plus considérable[241]. Des bornes en marquaient les limites, ainsi que quelques grands arbres. Les échevins et les maîtres procédaient parfois à un cirquemenage pour s’assurer que les frontières n’en avaient pas été modifiées. Le régime auquel était soumise la franchise ne différait en rien de celui de la ville. Tous les privilèges des bourgeois, tous les règlements urbains s’étendaient à l’une comme à l’autre : ville et franchise constituaient une unité administrative et juridique. L’abbaye de Leffe et quelques petits fiefs namurois dépendant des châteaux de Poilvache et de Château-Thierry qui y étaient enclavés, n’y jouissaient pas néanmoins d’une situation différente de celle du reste du territoire. En un mot, la ville avec sa franchise formait ce que notre langue administrative d’aujourd’hui appelle la commune de Dinant[242].

De tout autre nature était la châtellerie[243]. Celle-ci ne forme ni un territoire juridique, ni un territoire urbain. Elle ne se rattache à aucune circonscription antérieure et n’apparaît qu’au xve siècle. Son étendue était très considérable : elle comprenait à peu près toute la partie méridionale de la principauté de Liège. Les villages de Laneffe, de Boussu, de Hansine, de Braibant, de Surice, de Baronville, de Florines, de Villenfagne, d’Agimont, de Ham sur Heure, de Sautour, de La Neuville, de Rotiers, de Villers le Gombo et d’autres encore en faisaient partie. Il en était de même des villes de Ciney et de Givet, du ban de Havelange, de la seigneurie de Beauraing, de la prévôté de Revogne et de la châtellerie de Rochefort.

Ainsi constituée, la châtellerie de Dinant, comme celle de Gand à la même époque, formait une sorte de grande avouerie placée sous la protection de la ville[244]. Son seul chef en effet était le conseil. Elle s’est établie en dehors de toute intervention épiscopale. C’est selon toute apparence lors des longues guerres du pays de Liège contre le comté de Namur, pendant la première moitié du xve siècle, qu’elle aura reçu son organisation définitive. Son but semble en effet, avant tout, avoir été essentiellement militaire. Tous ses surcéants ressortissaient sous la bannière de Dinant. Ils avaient à défendre la ville en cas de siège. Ils en recevaient des ordres sur les mesures à prendre pour la défense du pays, sur la manière dont devaient être conduites les hostilités etc.

Dans tout le territoire de la châtellerie, les bourgeois de Dinant jouissaient du privilège de ne pouvoir être arrêtés, ni eux, ni leurs biens, s’ils offraient de comparaître devant les juges de la ville. En revanche, celle-ci devait à ses surséants aide et protection. Elle veillait à leur sûreté et faisait respecter leurs libertés et franchises. Elle conservait copie de leur coutumes et c’est à elle que l’on avait recours lorsque celles-ci étaient violées. Le conseil prenait aussitôt fait et cause pour ses sujets. Il écrivait au coupable d’avoir à s’en remettre à sa justice « affin que en vostre defaulte ne nous soit point besoingne le plus avant remonstrer sour la generaliteit de ceste ville, dont aucune chaleur soy poroit esmouroir. »



V.

Ce que Dinant a été au moyen-âge, elle l’a été par le commerce. Vis à vis de Liège, ville de prêtres et de nobles, elle présente un caractère exclusivement bourgeois et marchand. Elle est, comme disent les lettres du conseil, exclusivement « fondée sur le fait de marchandise. »

Nous avons déjà vu, au Xe siècle, Dinant qualifiée d’emporium par la vie de St-Hadelin. Au XIe siècle, elle était devenue un centre commercial assez actif, et la population des alentours commençait à venir s’y fixer. C’est à l’industrie du métal qu’est dû ce rapide développement économique. Au fond de son étroite vallée, Dinant s’est enrichie par le travail du cuivre, comme dans la grande plaine des Flandres, Arras, Lille, Douai, Ypres, Gand, Bruges, Bruxelles et Louvain par celui de la laine. Elle occupe par là une situation particulière dans l’histoire commerciale des Pays-Bas.

L’industrie du cuivre à Dinant remonte, selon toute vraisemblance, à une haute antiquité. Les métaux sont abondants dans le Condroz où, dès l’époque romaine, l’existence de nombreuses forges est attestée. Au Xe siècle, des chroniques monastiques parlent de la fabrication d’objets en cuivre dans cette contrée[245] et nous avons déjà vu que l’airain, le plomb et l’étain étaient soumis, au XIe siècle, à des droits de tonlieu dans notre ville. Il faut observer en outre que la vallée de la Meuse et le Namurois fournissaient une sorte d’argile excellente pour la confection des creusets[246].

Tout cela permet de supposer que la batterie de Dinant est antérieure à la grande renaissance économique du XIIe siècle. Quoiqu’il en soit, la tradition la considérait comme fort ancienne et la faisait dater du temps de Charlemagne[247].

Il est probable qu’au début Dinant n’était pas seule, dans la vallée de la Meuse, à exercer cette industrie. Huy, sa voisine, devait s’y livrer aussi car nous savons que ses marchands allaient, en 1103, acheter du cuivre en Saxe. Toutefois, proche du Brabant, Huy ne tarda pas à être entraînée dans le grand mouvement commercial des villes drapières. C’était chose faite au commencement du XIIIe siècle et, dès lors, le monopole de l’industrie du cuivre demeura à Dinant[248].

Nous ne possédons plus un privilège accordé par l’archevêque de Cologne Frédéric I. (1099-1131) aux marchands dinantais[249]. On peut supposer qu’il leur avait été donné en 1103, comme celui, qu’à la demande de l’évêque de Liège Otbert, obtinrent alors les Liégeois et les Hutois. En tous cas, les Dinantais apparaissent, dès cette époque, sur la grande route commerciale du Rhin. En 1104, le tarif du tonlieu de Coblence mentionne leurs marchandises. En 1171, le conseil de Cologne fixe les droits qu’ils ont à payer pour le cuivre acheté par eux dans la ville et trans Rhenum et, en 1203, une charte de l’archevêque Adolphe, nous montre qu’ils allaient s’approvisionner de métal aux mines célèbres de Goslar. Huit ans plus tard, son successeur Thierry de Heinsberg ratifia les jura et consuetudines dilectorum burgensium de Dynant, en matière de tonlieu[250].

Ces relations de Dinant avec Cologne étaient celles d’un centre industriel avec un port d’exportation. Cologne était en effet, au XIIe siècle, suivant une heureuse expression, le grand port de mer de l’empire[251]. C’est de là que les marchandises de la basse Allemagne étaient expédiées en Angleterre. Le commerce liégeois tout entier à cette époque aussi bien de Liège, de Huy et de Saint-Trond que de Dinant était orienté vers la métropole rhénane. Cet état de choses se modifia lentement à partir du XIIIe siècle. La diminution du pouvoir impérial sur la Lotharingie, l’essor économique pris par les grandes cités marchandes des Pays-Bas et surtout l’attraction exercée par le port de Bruges firent perdre, pour les villes mosanes, son importance première à la route commerciale du Rhin. Toutefois, les relations entre Dinant et Cologne ne cessèrent pas d’être très actives pendant la seconde partie du moyen-âge. À la fin du XIIIe siècle, peut-être en 1277, un traité de commerce entre les représentants de plusieurs villes fut conclu à Dinant sous la présidence de Cologne[252]. Au milieu du XIVe siècle, les deux villes s’étaient accordé réciproquemant l’exemption des droits de tonlieu et Dinant invoquait ce privilège pour faire délivrer des marchands arrêtés par son alliée[253]. D’autres textes postérieurs attestent d’ailleurs la continuité du mouvement commercial entre Dinant et Cologne[254].

Au XIIIe et au XIVe siècle, des Dinantais sont cités, soit comme occupés d’opérations commerciales, soit comme établis à demeure, à Louvain, à Bruxelles, à Bruges, à Arras, à Tournai[255]. Leurs marchandises sont signalées à la fameuse foire parisienne du Lendit[256]. La réputation dont elles jouissaient en France est d’ailleurs attestée par le nom de dinanderie qui désignait par excellence tous les objets en fonte de cuivre. Au XVe siècle, à Paris, un dynan signifiait un batteur[257]. Dès 1319, notre ville reçut le privilège de commercer librement dans le royaume[258]. À la fin du XIVe siècle, ce sont des Dinantais qui exécutent au château de Germolles et à la chartreuse de Champmol d’importants ouvrages pour Philippe le Hardi[259]. En 1449, la ville rappelle au roi que ses bourgeois ont fréquenté de toute antiquité les marchés de Bourgogne, de Normandie, d’Anjou, de Touraine et même d’Espagne[260]. Enfin, la correspondance du conseil prouve l’existence de relations commerciales avec Rouen et Calais, Orléans, Paris et Metz[261].

Quoiqu’il faille, d’après ces textes, se représenter comme fort actif le commerce que Dinant entretenait avec la France, il le cédait de bien loin cependant à celui qu’elle faisait avec l’Angleterre. C’est ce pays qui fut, par excellence, durant tout le moyen-âge, le grand débouché de ses produits. Il avait pour elle la même importance économique que pour Bruges, Gand ou Anvers.

La mention des cuivres de Dinant dans le tarif du port de Damme de 1252, peut-être considérée comme le renseignement le plus ancien sur les relations commerciales de notre ville avec l’Angleterre[262]. Au siècle suivant, les textes, aujourd’hui recueillis et excellemment publiés dans le Hansisches Urkhundenbuch, sont significatifs malgré leur rareté. En 1301, le Dinantais Colard de Waudrechees, arrêté à Londres comme sujet du duc de Brabant, se réclame de sa qualité de sujet de l’évêque de Liège[263]. En 1327, Jean Hasard, Thomas li Vias, Albredus de Scioteriou, Jean Jacob, frètent un navire à Waterford en Irlande[264]. En 1337, Jacquemar de Huy, Alard Salmier, Thomas Damhaye obtiennent la restitution des marchandises qui leur avaient été saisies[265]. En 1339, en 1344, en 1354, d’autres bourgeois de notre ville : Gilhechons de Huy, Jean Hasard, Walther Spylard, Jean de Waudrechees, Hubert Salmier, Thomas Damhaye, Lambert Male-racine, Giles de Huy, Jacob de Huy, Alard Salmier, Jean Lucie, Servais Gomant, sont cités dans différents documents anglais[266]. En 1371, parmi les propriétaires de marchandises venant d’Angleterre et arrêtées à Damme, nous trouvons les neuf Dinantais : Jean Sachel, Servais et Henri Gomant, Jacquemin de Huy, Robert de Waudrechees, Lamsin Lesage, Jean Sachiaulx, Colard Hongherie, Jacquemin Dollaingne[267]. En revanche, en 1366, nous avons la preuve que des Anglais venaient directement acheter des marchandises de batterie dans la ville[268].

Au XVe siècle, l’exportation des batteries de Dinant, qui s’était faite jusque là par Damme, prend la route d’Anvers. Plusieurs lettres du conseil nous montrent des marchandises expédiées de ce port, arrêtées par des vaisseaux français et conduites dans les havres de Normandie[269].

La correspondance des maîtres laisse voir clairement quelle importance la ville attachait à son commerce avec la grande Bretagne. En 1450, ils prient l’évêque d’intervenir en Angleterre pour quelques Dinantais malmenés « car la noureture et soustentacion dou peuple sourde et vient d’icellui roialme pour la majeure partie[270]. » En 1455, une autre lettre nous apprend que quelques batteurs ont quitté secrètement la ville avec leurs outils pour aller établir leur industrie en Angleterre « ce qui seroit la diminucion et en partie destruction de ceste votre bonne ville, en tant qu’ilz porroient la denree de ladite baterie, qui seroit fourgie audit roialme, donner grant choze milleur marchiet que ceste vostre ditte ville[271]. » Lorsque le pays de Liège décida, en 1465, de conclure avec la France une alliance offensive et défensive, Dinant supplia les États d’en excepter l’Angleterre[272]. Ajoutons à ces textes décisifs, que les comptes communaux nous montrent dans la ville une circulation considérable de monnaies anglaises, et que les armoiries d’Angleterre viennent d’être tout récemment découvertes, sculptées dans une chapelle de la collégiale de Dinant[273].

Le commerce de Dinant avec l’Angleterre comprenait à la fois l’exportation et l’importation. Les marchands de la ville conduisaient dans ce pays leurs produits en cuivre et, avec l’argent provenant de la vente, ils y achetaient de l’étain brut ou, si celui-ci était trop cher, des draps, des laines, ou du cuir qu’ils transportaient sur le continent[274]. On comprend facilement que, vu les nécessités de l’industrie urbaine, leurs achats en métaux aient été beaucoup plus considérables que ceux de toute autre denrée. Tout le métal importé n’était cependant pas absorbé par la fabrication. Il se faisait à Dinant un grand commerce d’étain et de laiton. L’inventaire des objets trouvés dans les ruines après le sac de 1466 signale des quantités considérables d’étain d’Angleterre[275].

Si l’industrie de la batterie resta pendant tout le moyen-âge « la plus grant partie du gouvernement et soustenement de la ville, » elle n’était pas cependant la seule source de sa prospérité, Dès le XIVe siècle, les carrières de marbre de Dinant jouissaient d’une grande réputation[276]. C’est elles qui fournirent les pierres du tombeau du comte Guillaume II de Hainaut, ainsi que l’albâtre employée aux travaux exécutés par Philippe le Hardi à Champmol en Bourgogne. On extrayait aussi de ces carrières, des pierres d’une nature particulière que l’on appelait en Flandre, sans doute à cause de leur lieu d’origine : coperslagersteenen[277].

La grande industrie du moyen-âge, la draperie, ne prit qu’assez tard à Dinant une certaine importance. Elle existait cependant dans la ville dès le XIIIe siècle, mais Huy, plus rapprochée de la grande route commerciale du Brabant, lui faisait alors une concurrence à laquelle elle ne pouvait pas résister. Ce n’est qu’au XVe siècle que la fabrication du drap semble s’être développée à Dinant[278]. On y tissait, à cette époque, des étoffes grossières confectionnées probablement avec la laine des moutons ardennais. Il est surprenant de trouver ces draps mentionnés dans les comptes des facteurs de l’ordre teutonique à Bruges, qui les expédiaient vers Dantzig et Marienbourg[279].

L’intérêt particulier que présente l’histoire économique de Dinant réside dans son affiliation à la Hanse teutonique. En dehors des pays de langue allemande, elle est la seule ville qui ait fait partie de cette puissante confédération politico-commerciale. Cette apparition singulière d’une ville hanséatique wallonne mérite de nous arrêter quelques instants[280].

Ce sont incontestablement les actives relations commerciales de Dinant avec l’Angleterre qui l’ont fait entrer dans la Hanse. Sa position, comme on va le voir, n’y a d’ailleurs jamais été très nette : jamais, si l’on peut ainsi dire, elle n’en a été un membre optimo jure.

Le 15 mai 1329, Edouard III, probablement grâce à l’intervention du duc de Brabant, accorda aux Dinantais les franchises octroyées en 1303 à tous les marchands étrangers et particulièrement aux marchands allemands, fréquentant son royaume. Ce privilège fut successivement renouvelé le 21 mars 1347, le 8 avril 1352, le 7 mars 1353, le 12 juin 1355 et pour la dernière fois le 8 mai 1359[281].

Loin de pouvoir dater du privilège de 1329 l’entrée de Dinant dans la Hanse, on doit au contraire conclure, du fait que la ville jugea bon d’obtenir pour ses marchands des garanties particulières, qu’elle n’en faisait pas encore partie. En fait toutefois, sa situation en Angleterre était la même que celles des villes allemandes, puisqu’elle jouissait depuis 1329 des mêmes avantages commerciaux que celles-ci. En outre, si l’on appelle Alemania, comme le faisait la chancellerie anglaise, non seulement les pays de langue allemande, mais toute la partie de l’empire située au Nord des Alpes, Dinant était une ville allemande. Appartenant en effet à un évêché impérial, elle était, aux yeux des Anglais située in Alemania et c’est toujours ainsi qu’elle est désignée dans les diplômes royaux. Ville allemande, participant aux privilèges des villes allemandes, elle devait finir tout naturellement par être confondue avec elles et par prendre, à la longue, sa place dans la Hanse. C’était chose faite au milieu du XIVe siècle. En 1344, des marchandises appartenant à des Dinantais ayant été confisquées à la foire de Saint-Giles près de Wynton, ceux-ci protestèrent en se fondant sur les privilèges accordés aux mercatoribus Alemanie et eorum successoribus et en faisant valoir qu’ils étaient membres de la Gildehalla Theutonicorum. L’Alderman des marchands allemands certifia la vérité de ces allégations dans la chancellerie du roi et les denrées arrêtées furent rendues à leurs propriétaires[282]. Ainsi, dès 1344, les Dinantais passaient pour affiliés au comptoir hanséatique de Londres. Toutefois, la situation qu’ils y occupaient ne devait pas encore être bien déterminée, puisque la chancellerie royale n’en avait pas connaissance. Eux mêmes d’ailleurs ne pouvaient alléguer aucune preuve évidente de leur qualité de membres de la Gildehalla, puisqu’il fallut recourir à une enquête pour la constater.

À partir de ce moment, les textes attestant l’affiliation de Dinant à la Hanse deviennent nombreux. En 1354, le comptoir hanséatique de Londres certifie que Servais Gomant de Dinant n’est pas anglais mais « il demoert entre nous, comme marchant estraunge del hanse d’Allemayne »[283]. En 1366, une réclamation du maire de Londres contre Dinant est adressée à la Hanse[284]. À Cologne, un scribe du XIVe siècle écrit au dos d’un acte concernant notre ville : Dinant in der deutschen Hanse[285]. En 1437, le statut hanséatique de Londres mentionne Dinant après Cologne[286]. En 1465, le conseil de la ville écrit que « de 300 ans ci-devant et de si loing temps qu’il n’est escript ne memore du commencement, soit (à nous bons antecesseurs) concédé franchiese et liberté ou roialme d’Engleterre telle et sainblable que grant nombre des villes de la Hanse d’Allemaingne ont eu et ont au present ; laquelle franchiese, entre aultres choses, est telle que, par vertu d’icelle, tous ceulx de laditte ville qui sont ou seront hansiés, puellent mener touttes manieres de marchandieses, comme batterie, mercerie, grosserie et touttes autres denrees oudit roialme, pour icelles vendre et autres achater, et estre trop plus frans que ne soient les Englès en leur propre pays : car de ce que lesdis Englès paient à la gabelle du roy, de la libre 12 deniers, et autres estraingniers 15 deniers, lesdites villes de la Hanse, avec Dinant, ne paient de la libre que 3 deniers »[287]. La même année, au Hansetag de Hambourg, réuni pour terminer des difficultés qui s’étaient élevées entre les villes et le roi, les envoyés du marchand de Londres demandèrent conseil sur le fait de Dinant, « de am lande to Ludeke belegen und nicht in der hanse en is unde mert likenvol beschermet von demme kopmanne mit dem privilegien van der hanze. » Il fut répondu que la paix étant rétablie, Dinant devait, comme les autres villes, rentrer en possession de ses privilèges « der se denne nente herto to langen tiden gebruket hebben sunder insaghe, so dat se de besittinghe darane beschermet »[288]. L’année suivante, quand le marchand de Bruges proposa de faire interdire le commerce de la Hanse avec Anvers, il fît valoir, parmi les raisons qu’il mettait en avant, que cette interdiction ne porterait pas dommage à Dinant, puisque la guerre qu’elle soutenait alors avec le duc de Bourgogne l’empêchait d’envoyer ses marchandises dans ce port[289]. Plus tard, quand en 1471 Edouard IV accorda aux batteurs dinantais, qui après le sac de leur ville avaient trouvé accueil à Middelbourg, une confirmation du privilège de 1329, il ajouta qu’il renonçait à « certaine déclaration par nous faite contre les marchands Dinantais nagaires residens en nostre ville et cité de Londres, à cause du fait des Oosterlins, pour ce qu’ils estoient de la hanse d’Alemaigne »[290]. À la même époque, d’autres Dinantais refugiés à Huy, obtenaient des députés de la Hanse réunis à Lübeck, l’autorisation de continuer à jouir de leurs franchises en Angleterre[291]. La lettre qui fut rédigée alors rappelle que les koplude van Dynant ont toujours été en possession des « privilegie, unde vriiheide in deme rike van Engeland alse andere Dutsche koplude van der hanse. »

Après la reconstruction de la ville, nous retrouvons d’ailleurs ses marchands au Stalhof de Londres. Le 18 Juillet 1485, une supplique adressée par eux à Lübeck nous apprend que la reprise des hostilités entre l’Angleterre et la Hanse leur avait fait perdre 3362 livres sterling. Pour rester fidèles à la Hanse, ils avaient en effet, disent-ils, refusé de consentir à la proposition d’un arrangement particulier[292]. Peu après, au Hansetag de mars 1486, les Dinantais se plaignent de ce que les Anglais les inquiètent dans la jouissance de leurs privilèges[293]. L’année suivante, des textes très intéressants nous montrent que ces privilèges commençaient à être contestés par les chefs du comptoir hanséatique de Londres[294]. La ville se plaint en effet de ce que ceux-ci prétendent lui enlever le droit d’importer des draps fins sur le continent et ne veulent plus considérer ses bourgeois comme suos antiquos confratres ac similiter privilegiatos.

Nous ne savons quel fut le résultat de cette réclamation. Le Hansetag de 1487 ne décida rien et se borna à allouer à Dinant une indemnité de 1307 livres sterling pour les pertes qu’elle avait précédemment subies en Angleterre[295]. De l’année suivante, nous avons une attestation du conseil constatant que Jean Salmier est membre de la Hanse d’Angleterre[296]. Au xvie siècle, à l’époque de la décadence complète du comptoir hanséatique de Londres, Dinant nous apparaît encore occupée à maintenir des privilèges irrémédiablement condamnés à disparaître. En 1546, elle s’adresse à l’évêque de Liège pour obtenir son intervention en sa faveur auprès du roi d’Angleterre[297] et en 1596, nous la voyons encore rechercher aulcuns lettres et documents touchant la Hanse[298].

Cette mention est la dernière que nous connaissions et sans doute la dernière qui existe. Dinant, à la fin du XVIe siècle, avait complètement perdu son importance économique et ses marchands ne fréquentaient plus l’Angleterre. On peut juger de l’importance qu’y avaient eu leurs affaires au XIVe siècle, en constatant qu’elles avaient nécessité alors la construction d’un entrepôt à Blackwall qui, compris dès 1369 dans les bâtiments de Stalhof hanséatique, y conserva, jusqu’au grand incendie de Londres en 1666, le nom de Dinanter halle[299].

D’après ce qui précède, on peut se faire une idée assez exacte de la position de Dinant dans la Hanse. La ville est entrée, dès le XIVe siècle, dans cette puissante confédération, grâce à son commerce avec l’Angleterre et elle n’a joui des privilèges hanséatiques que dans ce pays. Elle était en quelque sorte un membre extérieur de la Hanse : ses députés n’ont jamais voté aux Hansetag. Mais, comme le dit le texte de 1465, si elle n’était pas in der hansze, elle était cependant likewol beschermet van demme kopmanne, mit den privilegien van der hansze.

Ces privilèges toutefois, elle semble ne les avoir acquis que par prescription et non par une concession formelle. Elle n’allégua jamais pour les défendre que la longue possession. qu’elle en avait et le Hansetag de 1465 ne les lui reconnut que parce que se de bezittinghe darane beschermet.

Au fur et à mesure que grandit son commerce, la ville, naturellement, grandit en proposition. Dès 1152, elle devait s’étendre déjà jusqu’auprès de Leffe et quarante ans plus tard Gislebert en parle comme d’un fortissimum oppidum multis hominibus populatum[300]. Le faubourg de Saint-Médard, au delà du pont, sur la rive gauche de la Meuse, existait au plus tard dès le commencement du XIIIe siècle et, vers la même date, le quartier de l’île était réuni à la ville. L’enceinte du côté septentrional dut être reculée dans la première moitié du xiiie siècle : en 1316, Leffe était atteinte par les travaux de défense. Au siècle suivant, Jacques du Clerq admire les faubourgs de Dinant enclos d’eau et fermés de bonnes murailles et forts comme une bonne ville[301].

À cette époque, Dinant comprenait dans ses murs onze paroisses, six hôpitaux, quatre béguinages, un couvent de frères mineurs et un de carmélites. Sur le pont s’élevait, depuis le commencement du xiiie siècle, une sorte de beffroi qui servait d’hôtel-de-ville ; au milieu du même siècle avait été construite l’admirable collégiale, preuve encore visible de la prospérité de la ville dès cette époque.

Il n’y a d’ailleurs qu’une voix chez les chroniqueurs pour reconnaître la richesse de Dinant et l’importance de son industrie. À la fin du xive siècle, les Gesta abbatum trudonensium la citent parmi les nobiles civitates de la Lotharingie[302]. Au xve siècle Philippe de Commines l’appelle ville très forte de sa grandeur et très riche, à cause d’une marchandise qu’ils faisoyent de ces ouvrages de cuivre qu’on appelle Dinanderie : qui sont en effect pots et poisles et choses semblables[303]. La bourgeoisie de laïens, dit le livre des trahisons de France[304], estoit d’anchienneté moult riche, jusques à ce jour auquel ils furent par lor orgueil et oultraige piteusement destruit, car tantost les biens meubles portatifs, comme vaisselle d’or et d’argent, de cœuvres, d’arrain et de laiton, dont ils estoient fort pourvus et de tous aultres vaisseaux, draps, linges, fers, plombs, aveucques toute autre chevance quelconque portative, tout fut ravy et transporté dehors. Henri de Merica constate de même que le butin des soldats bourguignons lors du sac de 1466 consistait in auro et argento ac multifaria suppellectili, quibus oppidum affluebat, erat enim domicilium institorum[305]. Theodericus Pauli rapporte que Dinant était dans l’évêché de Liège, après la cité, la ville la plus forte et la plus riche et que ses marchands étaient ditissimi et ubique famati[306]. Enfin, Jacques du Clercq avance qu’elle était la plus marchande et la plus riche ville, comme on disait, de par decha les mons[307].

Il ne sera pas sans intérêt, en présence de ces témoignages si formels, de jeter un coup d’œil sur la situation sociale de cette bourgeoisie si opulente et d’exposer rapidement la condition économique des trois membres de la ville : bourgeois, batteurs et métiers.

Les bourgeois d’enmi la ville nous apparaissent, au xve siècle, comme un groupe de propriétaires fonciers, c’est-à-dire de rentiers, analogues aux otiosi, aux ledichgangers des villes flamandes. À côté de familles fort anciennes, comme celle des A brebis dont les membres, dès le xiiie siècle, sont mentionnés comme échevins, ce patriciat comprenait des batteurs enrichis, des marchands, comme les Waudrechees, qui, après fortune faite, avaient renoncé au commerce et placé en terres leurs capitaux. À part les propriétés des églises et des hôpitaux, le sol urbain presque tout entier appartenait aux bourgeois et quelques uns d’entre eux avaient des domaines si considérables, qu’ils avaient nécessité l’établissement de cours foncières, devant lesquelles se passaient les actes relatifs à leurs maisons et à leurs courtils. Les bourgeois avaient droit au prédicat honorifique de maître ou de sire. Au xve siècle, certains d’entre eux, comme les Charpentier, s’étaient affiliés à la petite noblesse, enfin c’est exclusivement parmi eux que l’évêque choisissait le mayeur et les échevins de la ville.

La rue des bourgeois, au centre de la ville, était la plus belle de Dinant. À la veille du sac de 1466, c’est dans les maisons de Laurent A brebis et de Henri de Huy, « les deux plus puissants hommes d’avoir de toute la bourgeoisie », que vinrent loger Charles le Téméraire et le Seigneur de Fiennes. Des débris du mobilier de ces riches demeures, des objets de parures et de vaisselle d’or et d’argent étaient encore recueillis un mois après, dans les ruines fumantes de la malheureuse ville[308].

De même que la fortune des bourgeois reposait sur la propriété foncière, celle des batteurs reposait sur l’industrie. Ce puissant métier, comme on l’a déjà dit, fut l’instrument de la prospérité de Dinant, comme les drapiers furent l’instrument de la prospérité de Gand, de Bruges, d’Ypres et de Louvain. C’est eux qui donnaient à la ville ce caractère essentiellement industriel qui lui reconnaît Henri de Merica. Située dans une étroite vallée, en dehors des grandes routes du commerce, son importance économique ne pouvait se maintenir que pour autant que se maintint chez elle la fabrication dont elle avait, en quelque sorte, le monopole dans les Pays-Bas. Aussi se préoccupait-elle soigneusement des intérêts du métier des batteurs. En 1455, trois compagnons endettés ayant quitté furtivement la ville pour aller s’établir en Angleterre, le conseil prie l’évêque d’intervenir car « le fait de ladite baterie est une grant partie du gouvernement et sostenement de la ville et… s’ensi estoit que les deseurdits parvenissent à leur intencion d’astorer baterie oudit roialme d’Angleterre, seroit la diminucion et en partie destruction de ceste vostre ditte ville[309] ». Les statuts des batteurs, que tous les membres devaient jurer d’observer, prescrivaient d’ailleurs que nul ne pouvait « enlever baterie » hors de Dinant.

On applique aujourd’hui le nom de Dinanderies à des objets plus ou moins artistiques de cuivre ou de laiton. Il n’en était pas de même au moyen-âge. Ce nom désignait alors surtout, et c’est une preuve excellente de l’extrême importance de la fabrication dinantaise, des objets d’un usage courant : pots, chaudrons, bassins, etc.[310]. Ces produits, d’un placement facile et d’une vente assurée, occupaient par excellence l’industrie urbaine, en étaient pour ainsi dire l’alimentation régulière. On les fabriquait en grande quantité pour l’exportation, pour le marché étranger, surtout pour le marché anglais. La halle dinantaise de Londres en contenait toujours un stock considérable, appartenant aux grands marchands de la compagnie d’Angleterre. Ceux-ci remettaient aux artisans de la ville des commandes importantes, dont le prix n’était payé qu’après le placement fait à l’étranger.

Mais si la fabrication des chaudrons était la plus lucrative et la plus répandue, elle n’était cependant pas la seule qui fut pratiquée à Dinant. On peut dire que toutes les branches de l’industrie du cuivre, du laiton et de l’étain étaient représentées dans la ville. Le nom du métier des batteurs ne doit pas nous tromper : ses membres étaient de véritables ouvriers métallurgistes. L’emploi du cuivre, bien plus répandu au moyen-âge qu’il ne le fut depuis, explique d’ailleurs l’importance qu’ils avaient acquise. De leurs ateliers sortaient les objets les plus variés, depuis des plaques de tôle, des canons, des cloches et de grosses pièces de mécanique, jusqu a des éperons et des étriers[311]. Mais surtout, l’art industriel n’a pas eu de plus brillants représentants que les batteurs de Dinant au xive et au xve siècle. L’histoire a conservé les noms de certains d’entre eux et l’admirable lutrin de l’église de Tongres nous permet encore d’apprécier aujourd’hui l’habilité et la perfection de leur technique.

Il ne faut pas cependant, semble-t-il, aller jusqu’à considérer les batteurs dinantais comme de véritables artistes. Excellents praticiens, ils avaient poussé, aussi loin qu’il était possible, les procédés de leur industrie, mais ils ne paraissent pas avoir créé eux mêmes les modèles à la fois si riches, si gracieux et si ornementaux d’après lesquels ils travaillaient. Tout au moins savons nous qu’en 1378, deux lions de cuivre, fournis par un Dinantais à la ville de Malines, avaient été fondus d’après des maquettes sculptées par un artiste flamand : Henri van Blankenen[312]. Il n’en était ainsi d’ailleurs que pour les travaux importants et d’un caractère réellement artistique. Les petites images de métal, qui étaient un des objets de l’industrie courante et les ornements repoussées au marteau sur les chaudrons et les bassins de prix, étaient probablement exécutés au moyen de formes. En 1466, Jacques du Clercq évaluait la valeur de ces formes à 100,000 florins du Rhin. Toutefois, il est incontestable que les batteurs étaient autre chose que de simples chaudronniers ou de simples fondeurs. À l’époque de leur pleine décadence, en 1622, on exigeait encore d’eux comme chef d’œuvre de maîtrise, un Saint-Lambert ou un Saint Perpète, ou une paire de chandeliers d’église, une crane ou une cloche « pour ceux qui ne feront profession d’autre art[313]. »

Deux chartes, l’une de 1245, l’autre de 1411, nous permettent de nous faire une idée, malgré leur peu d’étendue, de la constitution du métier des batteurs[314]. D’après la première, quiconque veut entrer dans la frairie (fraternitas) doit payer un demi fierton et deux sous à vin s’il est bourgeois, deux marcs et cinq sous à vin s’il est étranger. Les frères qui composent le métier sont administrés par quatre maîtres, dont deux sont élus annuellement par eux et les deux autres par les échevins. Ces quatre maîtres exercent sur le métier une juridiction fixée par des statuts, établis par les frères, avec l’approbation des échevins. Ils ont le droit de pénétrer quand ils le veulent dans les maisons des batteurs pour s’assurer qu’il ne s’y trouve pas d’œuvres défendues. Les statuts du métier ne sont malheureusement pas parvenus jusqu’à nous. On n’en connaît que quelques stipulations isolées : l’interdiction du travail le samedi et pendant le mois d’Août, et l’obligation pour les frères de jurer de ne pas transporter la batterie dans une autre ville. La charte de 1411, qui fut donnée au métier après sa suppression à la suite de la bataille d’Othée, ne diffère pas essentiellement de celle de 1255[315]. Les quatre maîtres, sous le nom de mayeurs, y sont encore mentionnés. Chaque année ils sont élus par vingt maîtres du métier et prêtent serment devant l’échevinage. À côté d’eux, existent douze personnes, dont six sont nommées par les quatre mayeurs et six par les échevins. Mayeurs et XXII constituent la juridiction du métier qui n’est pas soumis, comme les autres corporations industrielles de la ville, au contrôle des eswardeurs.

La seule différence importante entre la charte de 1255 et celle de 1411, consiste dans la manière dont elles parlent des membres du métier. Dans la première, ceux-ci sont tous placés sur le même rang, tous sont frères. Dans la seconde, au contraire, apparaissent des maîtres et des compagnons. Les maîtres seuls, à proprement parler, constituent le métier. Seuls ils prennent part aux élections. Ils constituent un groupe soigneusement fermé : nul ne peut devenir maître s’il n’est fils de maître, né de mariage légitime.

Le métier des batteurs ne comprenait pas seulement des artisans. Plusieurs de ses membres, comme les de Loyer, les Godissart, les Hasart, les Salmier etc., étaient de riches marchands, que les textes cités plus haut nous montrent commerçant en Angleterre. Au xve siècle, ils formaient des compagnies commerciales, telles que la compagnie de France, celle des fleurs de lys et celle d’Angleterre, la plus importante de toutes. C’est pour eux que travaillaient la plus grande partie des batteurs dont ils exportaient les produits. Au xvie siècle, à l’époque de la décadence économique de la ville, un d’entre eux occupait encore ainsi plus de cent familles. Avec les bénéfices de la vente, ils achetaient en gros, en Angleterre, soit des laines, soit du cuir qu’ils avaient le droit d’importer ensuite à Dinant, sans devoir appartenir pour cela aux métiers qui mettaient en œuvre ces matières premières[316]. Ils jouissaient ainsi du privilège qui appartenait ailleurs aux membres des Gildes.

Les relations commerciales de ces marchands batteurs avec les pays du Nord et avec la Hanse avaient répandu dans la ville la connaissance des langues germaniques[317] et introduit sans doute, dans le vocabulaire industriel, beaucoup de mots d’origine allemande et anglaise[318]. C’est de là que sera venu aux Dinantais le sobriquet de cupères (cooper) par lequel les désignaient, dès le xve siècle, leurs ennemis namurois et qui leur est resté jusqu’aujourd’hui.

Tout l’argent des marchands batteurs n’était pas placé exclusivement dans le commerce. Ils savaient le faire valoir dans la ville même, soit en prenant à ferme la fermeté, la renterie ou la table marchande, soit en le prêtant à la communauté sous forme d’achat de rentes. Associés avec des bourgeois pour ces différentes opérations, ils rivalisaient d’autre part avec eux dans la fondation d’établissement charitables à Dinant. Au xive et au xve siècle, s’élevèrent grâce à eux, à côté du Grand hôpital et des Grands malades, qui existaient dès le xiiie siècle, des béguinages et des hospices dont nous avons encore en partie les actes de fondation. Tels furent, par exemple, le refuge que le bourgeois Jean Bonnechose institua, en 1393, dans sa propre maison, pour les pauvres passant par la ville[319] et l’hôpital de Saint-Jacques, que la veuve du batteur Jeanne de Mon construisit à ses frais en 1442[320].

Nous sommes moins bien renseignés sur la situation du troisième membre de la ville, les neuf métiers, que sur celle des bourgeois et des batteurs. Il semble, qu’au xve siècle, les neuf métiers aient perdu le caractère de corporations industrielles pour se transformer en unités politiques, comprenant chacune plusieurs métiers proprement dits. On avait intérêt, pour ne pas troubler le jeu des institutions urbaines, à maintenir le nombre ancien des corporations. Officiellement, il n’existait dans la ville que les métiers des febvres, des meuniers, des boulangers, des drapiers, des charpentiers, des maçons, des pécheurs, des naiveurs (bateliers) et des bouchers. En réalité, il y en avait beaucoup plus. En 1443, nous voyons le métier des drapiers, qui comprenait déjà celui des foulons, s’adjoindre en outre celui des parmentiers. L’acte qui fut dressé alors montre ces trois métiers élisant ensemble le juré que, comme corporation politique, ils avaient le droit d’envoyer au conseil et participant ensemble au service militaire[321]. En dehors de là, une pleine indépendance est laissée à chaque corporation : chacune conserve son mambourg et perçoit pour son compte les frais payés pour l’entrée dans le métier. Ainsi, l’unité politique qui s’appelait métier des drapiers, comprenait trois groupes distincts et autonomes d’artisans : les drapiers, les foulons et les parmentiers. C’est de la même manière qu’il faut comprendre la réunion en un seul corps des maçons et des merciers et des bouchers et tanneurs. Seuls les batteurs constituaient dans la ville une unité à la fois politique et économique.

Nous n’avons conservé, sur les petits métiers de Dinant, aucun document qui nous permette de nous faire une idée suffisante de leur organisation. À la différence des batteurs, ils semblent avoir élu, sans la participation de l’échevinage, leurs maîtres, mambourgs ou gouverneurs. En revanche, ils étaient soumis, pour tout ce qui touchait à la vente de leurs produits, à la juridiction des eswardeurs ou rewars du conseil.

La politique des trois membres de la ville répond absolument, au xve siècle, à leur situation sociale. En face des bourgeois et des batteurs, élément essentiellement conservateur, composé des gens qui « ont à perdre » comme dit le chroniqueur Jean de Stavelot, les neuf métiers apparaissent comme une démocratie turbulente et imprudente. Borgnet a montré comment ils se sont laissé entraîner dans la direction où la démagogie poussait Liège, à l’époque des grandes guerres avec les ducs de Bourgogne[322]. C’est leur radicalisme, leur entêtement, leurs folles bravades qui ont provoqué le sac de la ville par Charles le Téméraire en 1466. À la veille de la guerre, tandis que les bourgeois et les batteurs cherchent un terrain de conciliation, les neuf métiers repoussent toute idée d’accord. Ils font bannir, sous la pression de manifestations tumultueuses, les ambassadeurs coupables d’avoir porté au duc des propositions de paix. Après la catastrophe, Philippe le Bon reconnaît formellement[323] « que ceulx de la bourgeoisie et batrye de la dicte ville de Dignant ont despieça eu bon vouloir et affection envers nous et eussent voulentiers recouvré nostre grâce… se n’eust esté la résistence et empeschement au contraire de ceulx du menbre des mestiers. »

Toutefois, la catastrophe de 1466 a des causes plus profondes que la conduite insensée de la démocratie de la ville. Elle n’est, en somme, que le dénouement tragique d’une guerre économique qui commence au XIIIe siècle. Cette guerre, c’est celle de Dinant avec sa voisine namuroise : Bouvignes. Simple village sans importance jusqu’au commencement du XIIIe siècle, Bouvignes prit, à partir de cette époque et comme Dinant, grâce à l’industrie du cuivre, un développement rapide[324]. Désormais, des deux côtés, on ne pensa plus qu’à ruiner le concurrent, c’est-à-dire l’ennemi. Dès la fin du XIIIe siècle, Dinant empêche les bateaux d’arriver jusqu’à Bouvignes, en barrant le cours de la Meuse et exige des marchands qui viennent dans ses murs le serment de ne rien acheter chez son adversaire. Les difficultés toujours pendantes entre l’évêque de Liège et le comte de Namur, à propos des frontières respectives de leur territoire le long de la Meuse, transforment bientôt ces inimitiés privées en une guerre générale. Elle éclate en 1319 : le Namurois est ravagé par les troupes liégeoises et un siège en règle, mais infructueux, de Bouvignes, est entrepris. Au XVe siècle, la haine entre les deux villes atteint son maximum d’intensité. Bouvignes accueille dans ses murailles les bannis de Dinant : les meurtres et les attaques à main armée sont continuelles. En aval, la Meuse encombrée de grosses pierres ne laisse plus remonter les barques jusqu’à Dinant ; en amont, barrée par une chaîne de fer, elle les empêche de descendre jusqu’à Bouvignes. En 1430, Dinant entraîne de nouveau, contre le comté de Namur, toutes les forces du pays de Liège : pendant un mois, Bouvignes est assiégée. Mais on avait à faire, cette fois, à trop forte partie. Philippe le Bon venait d’acheter le comté de Namur et la paix se conclut au détriment des Liégeois. Les Dinantais furent condamnés à démolir la tour de Montorgueil bâtie par eux au XIVe siècle, et d’où ils faisaient pleuvoir sur Bouvignes des pierres et des boulets.

La guerre ne devait plus recommencer qu’en 1465. Quand les intrigues de Louis XI eurent poussé les Liégeois à attaquer le duc de Bourgogne, la faction démocratique de Dinant en profita pour recommencer ses attaques contre Bouvignes. Cette fois, la haine contre la ville ennemie s’était transformée en haine contre le duc son souverain. Les provocations, les injures, les bravades furent telles qu’il ne consentit pas à recevoir Dinant dans la paix qu’il conclut le 22 décembre 1456 avec les Liégeois. Le sort de la ville était décidé. Après un siège de quelques jours, elle fut prise, brûlée et démolie le 28 août 1466. Elle se releva de ses ruines après la mort de Charles le Téméraire, mais sa prospérité avait pour toujours disparu. Située en dehors des grandes routes commerciales, elle n’avait dû sa richesse qu’au développement étonnant de son industrie. L’interruption forcée de celle-ci, la ruine des bourgeois, la dispersion des batteurs à Huy, à Namur, à Middelbourg et en France, fut un coup mortel. Aujourd’hui, la petite ville tranquille qui, dans sa belle vallée, dort au bord de la Meuse ne rappelle plus rien de la vie et de la richesse d’autrefois. Comme après le sac de 1466 on peut encore dire en la voyant « ici fut Dinant. »



APPENDICE.


La constitution de la ville jusqu’à la fin du XVIIIe siècle.

On a vu grandir et se préciser, du XIIe au XVe siècles, la constitution de Dinant. Elle a accompli son évolution dans deux directions parallèles : d’une part, l’autonomie urbaine n’a cessé d’augmenter au détriment du pouvoir seigneurial ; de l’autre, l’intervention aux affaires de l’élément démocratique de la population a toujours été en s’accentuant. La période qui va de la fin du XVe siècle à celle du XVIIIe, nous présente, en quelque sorte, l’inverse de ce double mouvement. Le prince récupère, au détriment de la commune, son autorité souveraine, en même temps que le gouvernement de la ville, devenant de moins en moins populaire, se concentre toujours davantage aux mains d’un petit groupe de notables. Cette contre révolution s’est accomplie sans luttes, sans secousses. Les intérêts du prince et ceux de la ville, à partir du XVIe siècle, ne sont plus en effet des intérêts divergents, comme ils l’avaient été au moyen-âge. L’évêque a cessé d’être un seigneur féodal pour se transformer en chef et en représentant de l’État. Ce dont il s’agit désormais, ce n’est plus de récupérer sur les bourgeoisies des prérogatives seigneuriales, des droitures, des hauteurs suzeraines. Le spectacle que présente la dernière phase du développement urbain est celui de la substitution du pouvoir de l’État à celui de la commune, en matière financière, militaire, juridique, administrative. L’effroyable désastre de 1466, la ruine de l’industrie dinantaise, la situation précaire de la ville pendant les grandes guerres du XVIe siècle, expliquent son abdication pacifique devant l’État et comment les dernières convulsions du particularisme urbain, si violentes par exemple à Gand et à Liège, lui ont été épargnées.

La première intervention de l’évêque contre la constitution dinantaise date de 1527. Cette année là, Erard de la Marck présenta aux trois membres de la bourgeoisie, un mémoire touchant le gouvernement de la ville et en conformité duquel plusieurs innovations furent décidées. Le nombre des jurés fut réduit de 30 à 21 : 6 pour les bourgeois, 6 pour les batteurs, 9 pour les métiers. Le maire et les échevins furent de nouveau éligibles au conseil. La sieulte des trois membres nous apprend, en outre, que l’évêque revendiquait dès lors « la souveraine connaissance du gouvernement des pieux lieux » [325]. La rentrée des membres de la justice dans le conseil constituait un grand pas en avant fait par le pouvoir du prince. Successivement, d’une manière lente mais sûre et tout en laissant subsister l’apparence de la vieille constitution communale, celui-ci, profitant de l’obéissance désormais plus grande du conseil, ne cesse de saper les bases de l’autonomie urbaine[326]. Ses mandements adressés directement à la ville se multiplient. Dans la seconde moitié du XVIe siècle surtout, lorsque le pays de Liège se trouva forcé de défendre ses frontières contre les troupes des États voisins, le prince, par suite des nécessités mêmes de l’organisation de la défense, vit augmenter rapidement son pouvoir. À Dinant, le château reçoit dès lors une garnison permanente ; l’autorité souveraine a la haute main sur les travaux de fortification : en matière militaire la ville perd décidément toute autonomie.

Reculant toujours sur le terrain de l’administration, elle ne résiste pas mieux sur celui de la juridiction. La compétence du maire et des échevins ne cesse d’empiéter sur celle du conseil[327] jusqu’au jour où le règlement de Maximilien de Bavière déclare, en 1688, que, pour éviter les conflits de juridiction, les bourgmestres et jurés ne seront plus compétents qu’en matière « de police, métiers, deniers de ville, rendages d’impôts et questions en résultantes. » De leur ancienne juridiction civile il ne leur est plus laissé que la faculté « de juger sur ajournement sommaire entre deux bourgeois pour somme modique d’une pistole et au dessous »[328].

Désormais, le conseil n’est plus que l’ombre de ce qu’il avait été au XVe siècle. En même temps d’ailleurs qu’il a perdu son ancienne autonomie, il s’est radicalement transformé dans ses membres et son recrutement.

Jusque dans la seconde moitié du XVIe siècle, la constitution de Dinant a conservé son caractère populaire. Le premier symptôme d’une évolution dans un sens anti-démocratique est la suppression, en 1540, de la publicité des séances du conseil[329]. En même temps, les assemblées des trois membres de la ville semblent n’être plus accessibles qu’à un petit nombre de personnes[330]. Ce sont là les premiers indices d’un mouvement qui devait aboutir, dans le pays de Liège, comme dans les Pays-Bas, à faire passer le gouvernement urbain, de l’ensemble de la bourgeoisie, aux mains d’un petit groupe de notables. Maximilien Henri de Bavière a introduit définitivement ce nouveau système dans la principauté, comme Charles-Quint, longtemps auparavant, l’avait introduit en Flandre. Le règlement qu’il donna à Liège en 1684, devint le modèle d’après lequel furent réformées successivement les administrations communales de toutes les bonnes villes. Dinant eût son tour quatre ans après la cité. À la suite d’une enquête faite par des députés des États, le prince promulgua, le 16 mars 1688, un édit qui fit disparaître l’ancienne constitution populaire « qu’une antiquité moins corrompue rendoit pour lors innocente ». Les trois membres de la bourgeoisie furent remplacés par trois chambres, comprenant chacune quatorze notables bourgeois non artisans, et qui furent considérées comme représentant le corps de la ville. Chaque année, ces chambres désignaient, devant des commissaires du prince, au moyen d’un système de ballottage très compliqué, les jurés du conseil, qui ne comprit plus désormais que neuf personnes[331].

Comme on le voit, ce règlement, tout en laissant subsister l’apparence des trois membres de la ville, transformait en réalité complètement, la constitution. À partir de 1688, les élections se passèrent à huis-clos. Le ballottage désignait mécaniquement, parmi les quarante-huit notables composant les chambres, les neuf membres du conseil. Celui-ci était désormais presqu’aussi étranger à la bourgeoisie que l’échevinage. En 1577, Marguerite de Valois passant par Dinant un jour d’élection magistrale, avait encore vu tout la ville en liesse et en débauche « tout le monde yvre… bref, un vrai chaos de confusion »[332]. En 1688, on s’efforça au contraire de donner au renouvellement magistral aussi peu de retentissement que possible : le banquet qu’il était de coutume d’offrir au nouveau conseil fut même supprimé.

Le règlement de 1688, modifié en 1724, en 1751 et en 1772[333] a été pour la ville, jusqu’à l’annexion du pays de Liège à la France en 1794, ce que la charte de 1348 avait été pour elle au moyen-âge. Celle-ci avait établi un conseil représentant les intérêts divers des trois membres de la bourgeoisie et directement élu par elle ; celui-là créa un conseil où seule la partie instruite et riche de la population pût avoir accès. Toutes les retouches qu’on y a faites ont eu pour but d’augmenter les présomptions d’intelligence des élus. En 1708, il fut décidé que les illettrés ne pourraient être revêtus des fonctions de jurés[334] ; en 1743, on établit la préférence en faveur des échevins, avocats et personnes lettrées sur les marchands, pour tous les offices publics[335] ; etc. Ainsi formé, le conseil est devenu un véritable collège d’administration. Sous la tutelle de l’État, qui ne lui a laissé que des attributions de police, qui intervient par des commissaires dans la nomination de ses membres et vis-à-vis duquel seulement il est responsable, rien en lui ne rappelle plus l’ancienne assemblée représentative du moyen-âge avec ses pouvoirs si variés et si étendus. Tel qu’il nous apparait dès lors il porte nettement la marque de l’époque du despotisme éclairé.

  1. Cartulaire de la commune de Dinant recueilli et annoté par Stanislas Bormans Namur 1880-1882. 3 vol. 8o.
  2. Cet inventaire a été publié en appendice au Bulletin communal de la ville de Dinant, de 1880 à 1883.
  3. Bien que les notes de M. Bormans et mes propres recherches aux archives m’aient mis à même de pouvoir utiliser un grand nombre de documents inédits, je ne cite cependant dans mon travail que des textes imprimés. Ce qui reste des archives de Dinant est en effet trop fragmentaire pour que les citations que j’aurais fait aient pu avoir quelqu’utilité pour le lecteur.
  4. Serrure, Dictionnaire géogr. de l’hist. monét. belge, vo, Dinant.
  5. Bréquigny-Pardessus, Diplomata, II. 389.
  6. Ritz, Urkunden zur Geschichte des Niederrheins, p. 6.
  7. Herigeri Gesta episcoporum Leodiensium, Mon. Germ. Hist. Script. t. VII, 176.
  8. Anon. Ravenn., éd. Pinder et Parthey, p. 233.
  9. Martene et Durand, Amplissima collectio, II, 26-29.
  10. Acta Sanctorum Boll. Fevr., I, 375.
  11. Ce texte est conservé dans le manuscrit latin 12710 (Bibl. Nat. de Paris) fol. 90 v° et 91. L’écriture est du XIIIe siècle. Ces folios qui diffèrent par le format et l’écriture du reste du ms. proviennent du prieuré de St-Follian de Rœulx (près de Fosse) comme le prouve l’ex libris : Iste liber pertinet ecclesie Sancti Folliani prope Rodium. Je dois ces détails à l’obligeance de mon ami M. M. Prou.
    Le texte a été publié pour la première fois par M. A. Wauters : De l’origine des libertés communales. Preuves, p. 249, avec la date de 1060 environ ; ensuite par Waitz : Urkunden zur deutschen Verfassungsgeschichte, 2e édition, p. 20 et par M. St. Bormans : Cartulaire de Dinant, I, p. 1. Je renvoie une fois pour toutes à ces éditions pour les passages du texte que je donne plus loin dans les notes sans références.
  12. Wauters, ibid. p. 289. L’évêque de Liège obtint en effet en 1070 par un diplôme impérial (v. plus loin) les droits que le texte attribue au comte. M. Wauters donne, Origine etc., p. 269 sqq., une traduction de notre texte.
  13. V. Neues Archiv., VIII, p. 591 : fundatio ecclesiae Sancti Albani Namucensis.
  14. Chapeaville, Gesta pontificum Leodiensium, I, p. 215. Bormans, Edits et ordonnances de la principauté de Liège, I, p. 2.
  15. Chapeaville, p. 212. Bormans, ibid. p. 4. Les propriétés de l’église de Liège à Dinant devaient être fort anciennes. Saint Monulphe (558-597) aurait en effet donné à son église ses praedia en cet endroit, v. Aegidius Aureae Vallis Monum. Germ. Hist. Script. XXV, p. 27. Quoiqu’on puisse douter à bon droit de la certitude de ce renseignement, il atteste au moins l’antiquité du domaine ecclésiastique dans la ville.
  16. Sex… in Dinant habet (comes) ecclesias : ecclesiam Sancte-Marie que est in Leflia, ecclesiam Sancti Ylarii, Sancti Georgii ecclesiam, ecclesiam Sancti Petri, Sancti Andreo ecclesiam, ecclesiam Sancti Memmii.
  17. De bono Sancti-Martini in Somnia legius est comes advocatus, de bono Sancti Remacli, de bono Sancti Petri Laubiensis, de bono Sancte Marie Walciodori et Hasterie legius est comes advocatus, de bono Sancti Albani, de Lengion, de Liesonge, legius est advocatus.
    Il est probable qu’il faut entendre par advocatus ligius l’avoué libre, c’est-à-dire celui qui n’est pas ministerialis.
  18. Le droit de surveillance du comte sur les wariscapia s’exerce : secundum eam quam tenet a rege potestatem et justiciam. Ce qui encombre les routes doit être abattu auctoritate regia. Les coupables doivent être remis au ministerialis du comte pro reverentia regie dignitatis.
  19. … si fuerit de ipsius advocatia vel familia.
  20. Je n’entends pas dire par là qu’ils étaient libres au sens franc du mot, qu’ils constituaient l’altfreie Gemeinde de la théorie d’Arnold (v. Verfassungsgeschichte der deutschen Freistädte 1854). Tout ce qu’on peut dire c’est qu’ils étaient libres (personnellement) en ce sens qu’ils n’appartenaient pas à une familia. Waitz, Verfassungsgeschichte, V, p. 377, n. 1, pour prouver l’existence d’une population libre dans certaines villes et la continuation de l’administration publique, se sert précisément de l’exemple de Dinant.
  21. Quicumque extraneus in ville voluerit transire coloniam et ibi morari voluerit, cujuscunque antea fuerit, ad comitem pertinebit ; ministeriali suo de omni forisfacto respondebit, nisi forte fuerit Sancte Marie aut Sancti Lamberti, aut Sancti Hugberti. Cette exception s’applique aux hommes de la familia de l’évêque, (l’église de Liège s’appelait en effet ecclesia Sancte Marie et Sancti Lamberti), et à ceux de la familia du monastère de Saint-Hubert. M. Bormans, Cartulaire, I, p. 6, n. 1, pense que le Sancte Marie s’applique aux hommes de la familia de Sainte Marie de Dinant, mais cela est impossible car ceux-ci habitaient in villa. À propos de l’immigration dans les villes, v. Below dit fort bien : In den Orten, welche sich zu Städten entwickelten, wurden überdies die vorhandenen freien Elemente noch durch die Einwanderung bedeutend vermehrt. Die Entstehung der deutschen Stadtgemeinde, 1889, p. 20.
  22. Omnis villa communiter debet tria per annum centenarie complacita
  23. La centéne d’Anseremme est mentionné au XIe siècle dans la Chronique de St. Hubert, § 25. Quant aux autres limites de la centène de Dinant, j’ai cru pouvoir les indiquer en prenant celles du ressort des échevins de la ville au XIIe siècle. À partir du XIIIe siècle, la banlieue de Dinant s’est étendue, comme on le verra plus loin, sur la rive gauche (namuroise) de la Meuse. Mais ce n’a été que par une usurpation.
  24. Quelle qu’ait été à l’origine la signification du mot warescapium, il désignait certainement à notre époque des communia. C’est ce mot qu’on retrouve dans les noms des villages namurois : Waret, Warisoul etc. Les warescapia extra aquam et in aqua dont parle notre texte correspondent aux pascua communia in sicco vel in humido, des statuts synodaux de l’évêque Jean de Flandre (Édits et ordonnances de la principauté de Liège, 1, p. 109, § 21). À partir du XIIIe siècle, les terrains communaux dans les villes liégeoises, s’appellent toujours : Werixhas. Sur ce mot v Kurth, Glossaire toponymique de la commune de Saint Léger, p. 17.
  25. Lamprecht, Deutsches Wirthschaftsleben im Mittelalter, I, p. 255 sqq.
  26. Ces mots ne signifient naturellement pas le moins du monde que le comte ait été propriétaire des wariscapia. Le droit de surveillance du comte sur ces terrains avait une origine publique : il s’exerçait auctoritate regia comme on le voit dans le texte, cf. p. 4, n. 3. Pour l’origine justicière des droits sur les wariscapia, v. Thévenin, les communia dans Mélanges Renier, Paris, 1887.
  27. V. Below, die Entstehung der deutschen Stadtgemeinde, p. 63, n. 188 considère le comte de Namur à Dinant comme un Gemeindeherr. Ses justiciae en matière de poids et mesures ne proviendraient pas de son caractère de fonctionnaire public, mais de sa qualité de seigneur de la corporation agricole. J’ai déjà dit, p. 6, que la centène de Dinant me paraissait coïncider avec une circonscription agraire. Toutefois je ne puis voir dans le comte autre chose qu’un pur justicier. La réglementation du commerce local est exercée par lui sans aucune participation des habitants : elle me semble provenir de ses droits de theloneum et de mercatus. La meilleure preuve, et elle est décisive, est que tout intervention du comte cesse dans la ville dès que ces droits ont passé à l’évêque. On peut ajouter encore que le pouvoir du comte sur l’Allmende (wariscapii) s’exerce secundum eam quam tenet a rege potestatem et justiciam.
    En tous cas, la question n’a qu’une importance secondaire pour l’histoire de la constitution de la ville. Les attributions essentielles du conseil de Dinant ne consistent certainement pas, comme le veut la théorie de v. B., dans la juridiction sur les poids et mesures, c’est-à-dire dans la juridiction du Burding. On ne sait même pas si le conseil de Dinant a jamais possédé de telles attributions. Il dérive d’organes nouveaux : des jurati, des jurés de la paix.
  28. Ce ministerialis est évidemment un villicus. Dans la centène d’Anseremme, les employés du comte sont appelés vicecomites par la Chron. de St. Hubert.
  29. On verra plus loin p. 18, que ces monetarii sont bien des échevins.
  30. v. Below, Zur Entschung der deutschen Stadtverfassung, dans Historische Zeitschrift 1887, Heft. 5.
  31. v. Below. ibid., remarque fort bien qu’on est trop tenté d’attribuer toujours aux prestations seigneuriales une origine domaniale (Hofrecht). Beaucoup ont une origine publique comme c’est ici le cas.
  32. Sur le sens de justiciae, Waitz, Verfassungsgeschichte, VII, p. 361, n. 1 et 2 ; 364, n. 1. Notre texte emploie cette expression dans un sens tout à fait général. Ab hora nona singulis ebdomadibus in 6a feria usque ad 9am horam sequentis sabbati, non licet placitum alicui poni, dum justicie comitis audiri debent et recipi.
  33. Schmoller, Strassburger Tucher u-Webersunft, p 27, cite Dinant pour montrer que les comtes se servaient de leur bannum pour organiser le commerce local.
  34. Pour ce qui suit voir le texte.
  35. Le texte mentionne en outre un droit sur la pensa uncti vel sepi. Il est curieux de retrouver juste la même chose dans la Keure de Nieuport de 1163. Warnkoenig, Flandrische Staats u-Rechtsgeschichte, II, 3, p 87.
  36. Je crois pouvoir traduire ainsi les mots officina comitis.
  37. Schoolmeesters et Bormans, Cartulaire de Notre-Dame à Huy n°. III, année 1068. (Bullet. Comm. Roy. Hist. 4e série, t. I). Les documents contenus dans ce petit cartulaire jusqu’ici inutilisés, sont des plus importants.
  38. Teloneum omne pertinet ad ipsum, ubicumque fiat forum, vel in domo vel extra domum ; justicia telonei fideliter respondebit ei.
  39. Les vic regie, strate, appartenaient aux regalia, v. Waitz, Verfassungsgeschichte VIII, p. 316, n. 5. Tardif, La procédure civile et criminelle aux XIIIe et XIVe siècles, p. 12.
  40. Malleus et incus, moneta et monetarius et percussura et inscriptio numismatis ad comitem pertinent, et delicta eorum et falsitas ad suam pertinent justiciam : quamdiu voluerit, stabit ; quamdiu voluerit, mutabitur.
  41. Via regia, que vulgo dicitur pirgus et wariscapii, extra aquam et in aqua, omnes ad suam justiciam pertinent et omnes sui sunt… Et ut hec ei justicia servetur, semel in anno, vel prout ei jussum fuerit, super equum altum facit unum de familia sua, quem voluerit, ferre lanceam ab inicio ville usque ad summum. Cui si aliquid obstiterit in altitudine vel in latitudine, auctoritate regia dejicitur vel satisfactione ad misericordiam comitis redimitur. À Regensburg le burggraf contrôlait la largeur des rues absolument comme le comte à Dinant. Gfrörer, Vf. v. Regensburg, (Berliner Dissert), p. 33, cf. un exemple analogue de 1277 dans Wauters, Jean I, p. 307. La justice des chemins et celle des wariscapia formaient un ensemble, v. un exemple de 1245 dans Wauters : Libertés communales. Preuves, p. 160. Sur pirgus, Waitz, VIII, p. 316, n. 5.
  42. Waitz, VII, 37, n°. 4, se trompe quand il considère le camerarius comme un fonctionnaire établi à Dinant. Ibid. p. 31, il considère la prestation pro absolutione viarum comme un impôt comtal de formation nouvelle.
  43. V. p. 4.
  44. Homo… commendabitur ministeriali comitis pro reverentia regie dignitatis.
  45. Omnis villa communiter debet tria per annum centenarie complacita, in quibus monetarii comitis tantum judices debent esse delictorum. La participation des monétaires au jugement n’est affirmée que pour les tria placita : à plus forte raison devait-elle être la règle pour les instances ordinaires.
  46. Waitz, VIII, p. 345, n. 3. Judices est pris dans le sens d’échevins en 1094 dans Wauters, Op. cit. p. 8 ; en 1110 dans Piot, Cartulaire de Saint-Trond, p. 10, etc.
  47. Ab hora nona singulis ebdomadibus in sexta feria usque ad nonam horam sequentis sabbati, non licet placitum alicui poni, dum justicie comitis audiri debent et recipi.
  48. Tribus sabbatibus in maio dat unusquisque panem unum ministeriali.
  49. Si aliquis homo comitis inbannitus fuerit in villa pro aliquo delicto, non licet episcopo vel advocato eum compedire.
  50. V. p. 5, n. 3.
  51. Chapeaville, II, p. 13. Illud vero castrum quod est in Dyonant, concedimus judiciario jure et legali deliberatione construere, vel potius reconstruere, eo quod antiquitus fuerat constructum ad regni negotium praesertim, cum hujus rei sit inditium et pars muri et trium solidorum census. Concedimus ei ibidem monetam, teloneum, mercatum, ut have libere teneat episcopus. — Le château appartenait-il avant 1070 au comte ou à l’évêque ? On n’a sur lui que cette mention des Gesta episc. Leod. abreviata Mon. Germ. SS. XXV, p. 131 : circa hoc tempus (1040) castrum Dyonense construitur, in quo capella beati Benedicti consecratur.
    Il est intéressant de comparer ce qui se passa à Dinant avec ce qui se passa à Anseremme à la même époque. Là aussi, la centène relevait du comte de Namur et était administrée par des vicecomites. Le comte n’y était pas plus propriétaire qu’à Dinant. Au XIe siècle il abandonna à l’abbé de St. Hubert le comitatum Anseromiae… ea tamen conditione interposita… ut viginti modios avenae nostrae mensurae praepositus Anserominae quotannis exsolveret comitatui, villicus vero villae de unaquaque domo ejusdem potestatis modium unum avenae exigeret pro praedictis modiis viginti, reponendum dominicali curiae. Chron. de St. Hubert, § 25. On voit comment une prestation coutumière remplace ici les anciennes attributions publiques. Si les choses ne se sont pas passées de même à Dinant, c’est que le comte n’y a pas spontanément renoncé à ses droits, comme à Anseremme, mais en a été dépouillé par l’empereur.
  52. Pour la découverte de monnaies de Théoduin à Dinant, v. Annales du cercle archéologique de Namur, t. XIII, p. 530.
  53. En 1246 l’évêque Robert donna le village d’Assèche à Élisabeth de Montjoie en échange de biens qu’elle et ses enfants possédaient à Dinant. Ernst, Histoire du Limbourg, codex diplomaticus t. VI, p. 239.
  54. Le comte de Namur est cependant encore cité en 1080 parmi les domini qui praeerant loco. Cartulaire de Dinant, I, p. 9. Cette charte est d’ailleurs suspecte.
  55. V. en général : Heusler, Ursprung der deutschen Stadtverfassung, p. 56 ; pour Metz : Doering, Beiträge zur Gesch. des Bisthums Metz ; pour Regensbourg : Gfrörer, Op. cit. p. 10, n. 5. Les deux rapprochements les plus instructifs sont ceux avec Toul, v. le texte publié par Waitz, Urkunden, n° 8, et Genève ; Waitz, Verfassungsgesch. VII, p. 48, n. 2.
  56. Au XIe siècle les évêques de Liège sont incontestablement la plus grande force politique des Pays-Bas. La meilleure preuve en est l’inféodation du comté de Hainaut à Théoduin en 1071.
  57. Cartulaire, V, n°. 3 : dedimus et curtilia cum familia que ad nos pertinebat, unde census in die assumptionis sancte Marie ibidem in domo episcopali solvebantur in beneficio comiti Cononi.
  58. Preuves dans le Livre Rouge de la collégiale de Sainte Marie, cartulaire du XVe siècle, conservé aux archives de l’État à Namur.
  59. Cartulaire, I, n. 3. L’amagium étant un droit payé à la mise en perce des tonneaux, correspond au jus perforationis mentionné dans la nomenclature des droits du comte.
  60. Ibid..
  61. Ibid..
  62. En 1223 l’église percevait encore la dîme dans l’île. Cartul. I, 37. En 1312 elle possédait un droit de forage sur les vins. Ibid. 90. Au XIVe siècle elle avait pour ses terres, comme les autres grands propriétaires de la ville, une cour foncière.
  63. Wohlwill, die Anfänge der Landständischen Verfassung im Bisthum Lüttich, p. 71. Poullet, Histoire du droit pénal dans la principauté de Liège, p. 59, sqq.
  64. Sur ces comtes voyez de fréquentes mentions dans Gesta abbatum Sancti Trudonis. Pour l’avouerie de Dinant, v. Saint-Genois, Histoire des avoueries en Belgique, p. 115 et Cartulaire, I, p. 178.
  65. Cartulaire, I, n. 4.
  66. Au XVe siècle l’avoué portait le titre de haut voué de Dinant. Il assistait aux joyeuses entrées du prince dans la ville (Cartulaire, II, p. 49), et avait alors la garde de sa personne (Ibid. III, p. 246). Le serment de l’évêque contenait mention des droitures de l’avoué (Ibid. II, p. 57). En 1533 on ne se souvenait plus que l’avoué eut jamais eu un officier dans la ville (Ibid. III, 245).
  67. Même évolution à Utrecht et dans les villes liégeoises, v. Muller, Recht en rechtspraak te Utrecht, p. 14.
  68. Sub testimonio cleri et burgensium de Dyonant. Cartul. I, n. 4, p. 16.
  69. Pour le développement économique de la ville, v. § V.
  70. V. la carte de Ferraris qui permet de reconnaître encore nettement sur la rive droite de la Meuse, l’étendue de la banlieue de Dinant. Une enquête faite en 1519 constate que sa longueur le long du fleuve n’atteignait qu’une demi lieue.
  71. En 1293 les Dinantais prétendaient que leur banlieue s’étendait jusqu’à Chastrevin, Frankon Falosore et Sologne, sur la rive gauche de la Meuse « mais vérités est qu’ilh n’est mies ensy ; ains est propre iretaige à monsigneur (le comte de Namur) et bien en ont useit les gens de monsigneur juskes a sain Piere en Prajal (église de Dinant) et sont encores bonnes gens vivans ki (ont vu) le balheu de Bovigne rabbattre les fossés juskes à reis les murs de sain Marques (St. Médard). Borgnet, Cartulaire de Bouvigne, I, n. 8. L’usupation des Dinantais sur les terres namuroises était donc encore relativement récent en 1293.
  72. Secundum consuetudinem fori Dionensis. Cette mention disparait dans les actes échevinaux après le XIIIe siècle.
  73. Un acte de 1227 juillet 7, Cartulaire de Waulsort, I, f° 298 aux archives de l’État à Namur donne les noms des échevins de Dinant à cette date : Johannes Gosuini, Johannes Malaradix, Petrus Elisabeth, Arnulphus de Puteo, Werricus Albus, Gillebertus Glorianne et Johannes de Insula. Ces échevins attestent que le transport d’un stallum in foro s’est fait de manu Lansconis villici prefatorum stallorum sub testimonio monetariorum Dionantensium scilicet Werrici Albi, Arnulphi de Puteo, Theoderici Diaconi, Roberti de Foro. — Werricus et Arnulphus étaient donc à la fois monétaires et échevins. On ne peut douter en présence de cet exemple de la continuité de l’état de choses constaté au XIe siècle. Robertus de Foro, monétaire appartient sans doute à la famille du même nom qui a fourni plus tard au XIIIe siècle des échevins à Dinant. Mais à cette époque le nom de monétaire a disparu. Il est intéressant de constater aussi dans cet acte que les monétaires sont les assesseurs du villicus stallorum. — Je dois cet acte si curieux à mon ami M. L. Lahaye, archiviste de l’État à Namur.
  74. V. §IV.
  75. Andernach fournit un rapprochement instructif. En 1171 l’archevêque de Cologne décida que les échevins y seraient pris : ex prudentioribus, melioribus et potentioribus civium, ajoutant que celui qui serait in paupertatem redactus minime hoc officium explere valeret. Hoeniger, Ursprung der Kölner Stadtverfassung. Westdeutsche Zeitschrift, 1883, heft 2. Cf. pour l’évolution en général : Lamprecht, Stadtherschaft u. Bürgerthum zur deutschen Kaiserzeit dans Shizzen zur Rheinischen Geschichte, 1887.
  76. À vrai dire l’échevinage flamand n’était pas purement communal. Seulement le caractère communal l’emportait de loin chez lui sur le caractère seigneurial. Dès le XIIe s. les échevins de Gand forment le conseil de la ville, v. Keure de 1192, Warnkoenig, t. II, P. J. I, p. 14. Dans toutes les villes flamandes la bourgeoisie intervenait plus ou moins activement dans la nomination des échevins, v. p. ex. Biervliet 1224 ibid. 3, p. 212. À Gand, depuis la constitution des XXXIX en 1228, les échevins se recrutaient par cooption, donc en dehors de toute influence du comte. Dans le pays de Liège ce n’est qu’à St Trond, qui présente beaucoup plus d’analogie avec les villes brabançonnes qu’avec les villes liégeoises, que l’on constate une intervention de la bourgeoisie dans la formation de l’échevinage. V. Édits de la principauté de Liège, I, 153.
  77. Il n’y avait d’exception que pour la cité (Liège) mère et chef des bonnes villes, dit Hemricourt, qui avait 14 échevins. À St Trond il y en avait également 14 parce que la ville était partagée entre deux justiciers, l’évêque de Liège et l’abbé de St Trond qui établissaient chacun 7 échevins.
  78. Cela n’est dit nulle part mais ressort de la comparaison des listes échevinales dès le XIIIe siècle. À la fin du XIVe siècle, Hemricourt écrit que « ly esquevinaiges de Liège et généralement tos aultres esquevinaiges et tenancieres de cours jurées qui sont alle loi de Liège, sont de telle nature et franckiese de droit imperiaules, qu’ilz sont perpetuees alle vie de ceulx qui les tiennent. » Patron delle Temporaliteit, dans Polain : Hist. du pays de Liège, II, p. 426.
  79. Schoonbrodt : Inventaire des chartes de St Lambert, n. 102, an. 1234 cf. Wohlwill, Op. cit. p. 58, v. aussi la lettre des XX de 1324 dans Édits et ordonnances de la principauté de Liège, t. I.
  80. Cartulaire I, n. 42. Le même abus existait à St Trond. Il y fut supprimé en 1348. V. Piot, Cartul. de St Trond I, p. 491.
  81. Ce diplôme est du 10 juin 1299 ed. Cartulaire I, n. 29. Le liber cartarum leod. en possède pour Huy un autre absolument identique et du même jour. Un second diplôme de la même date (Ibid. n. 28) pour les deux villes affranchit leurs échevins de prendre rencharge à ceux de Liège. Ces diplômes ayant été accordés pendant que l’évêque était en guerre avec Liège il n’y faut voir qu’une tentative faite par lui de s’assurer momentanément l’appui des deux bonnes villes par des concessions de privilèges.
  82. Le maire n’étant pas un fonctionnaire communal, l’étude de ses fonctions reste en dehors du cadre de ce travail. Les attributions de cet officier étaient d’ailleurs à Dinant absolument les mêmes que dans tout le territoire soumis au droit de Liège. Il suffit de renvoyer le lecteur au livre détaillé de Poullet : Histoire du droit pénal dans la principauté de Liège. Bruxelles, 1874. (Mém. couronn. acad. t. XXXVIII).
  83. Scabini contra eorum litteras et sigilla nullas probationes admittunt per testes nec per juramenta alia quam per litteras et sigilla dictorum scabinorum, nisi per vivam vocem scabinorum eorumdem. Ce texte de 1319 dans Willems, Brab. Yeesten, Cod, dipl, I, 760-761 répond parfaitement à ce qui se faisait dans les villes liégeoises.
  84. Les actes échevinaux dans les villes liégeoises n’étaient pas des chirographes comme dans le Hainaut. Ils étaient authentiqués par le sceau de l’échevinage. À partir de 1248 ils sont rédigés en français, v. un type dans cartulaire I, n. 13. Le registre 1938 du greffe de Dinant (Arch. de l’État à Namur) contient un grand nombre des actes échevinaux du XIIIe s. Il a été écrit au XVIe s. à l’occasion d’un procès. Le premier acte est 1217.
  85. Les villes flamandes de la principauté faisaient exception. Saint-Trond allait se conseiller à Aix.
  86. L’échevinage de Liège, dit Hemricourt, excede tos les aultres chief d’Allemagne tant en noblesse comme en puissanche,… car par ledit chief sont doctrineis plus de trois mil cours de hauteurs sans les cours jurees et les aultres basses cours, dont il n’est point de nombre.
  87. Cartulaire I, n. 28, cf. p. 22. n. 1.
  88. Galbert ; Vita Karoli boni. Mon. Germ. Hist. Script. XII, cf. Giry : Histoire de Saint-Omer p. 45 sqq..
  89. Aegidius aureae vallis, Mon. Germ. Hist. Script. XXV, p. 113, sqq..
  90. En 1198 l’évêque soutint les bourgeois contre le clergé. Aeg. Aur. Vall. d’après Reinerus ibid. p. 116. On lui fit cette épitaphe :

    Hoc in sarcophago cunctorum dira vorago.
    Clauditur Albertus, Giezi dum vixit, apertus.

  91. Édits et ordonnances de la principauté de Liège I. p. 29. Le roi ratifie : consuetudines, libertates et jura universa que pie memorie Albertus, Leodiensis episcopus, ipsis civibus contulit. Pour l’attitude de Philippe vis-à-vis des villes, v. Nitsch, Gesch. des deutschen Volkes III, p. 28.
  92. C’est du moins ce qu’on peut conclure des termes suivants d’une charte de Ciney de 1321 “ messire Aubiers, jadis éveske de Liege… donat à ladite vilhe teil franchise comme avoient les autres franches vilhes dele eglise de Liege, assavoir sunt Huy, Dinant et Tongres. ” Borgnet, Cartulaire de Ciney, n. 1.
  93. Cartulaire I, n. 7. C’est la plus ancienne mention de jurati dans le pays de Liège. En Flandre, ces magistrats apparaissent dès 1127 dans la Keure de St Omer, mais ils disparaissent de bonne heure, par suite du caractère communal que prend l’échevinage.
  94. Giry : les Établissements de Rouen id., étude sur les origines de la commune de St Quentin ; Lefranc, Histoire de la ville de Noyon.
  95. V. la répression de la conjuratio de Trêves en 1161, dans Schoop  : Verfassungsgeschichte von Trier p. 103, Westdeutsche Zeitschrift. Ergänzungsheft 1884.
  96. Arnold : Op. cit. II, n. 1, sqq..
  97. On sait que des jurati existaient comme à Liège, à Metz et à Verdun. Ils sont mentionnés aussi à Utrecht dès 1251. Muller : Op. cit. p. 18, me parait ne pas se rendre un compte très exact de leur caractère ; il les prend pour les membres de la Kopmansgild. Il ne serait pas impossible que des influences françaises aient contribué à l’apparition des jurés dans ces évêchés frontières de l’empire.
  98. orta est magna seditio inter clericos civitatis et laicos. Laici civitatem muris et aggere firmantes, a clericis et a familia eorum exactiones et tributa exigebant, nobilitatem et libertatem clericorum ab antiquo conservatam infrigere cupientes. Aeg. Aur. Vall. p.166.
  99. Reineri Annales dans Mon. Germ. Hist. Script, xvi À Dinant la ville a, en 1212, des difficultés avec l’église. Cartul. I, n. 10. Cette même année une charte du Livre rouge de la collégiale (Arch. de l’État à Namur) fol. 232 mentionne les jurati.
  100. Böhmer-Ficker, Regesta Imperii V. 2, n. 4142.
  101. Ibid. 4159.
  102. Ibid. 4169.
  103. Ibid. 4181, 4182. Cf. la politique hésitante de Henri VII vis-à-vis des villes liégeoises, avec sa conduite analogue envers Worms. Nitzsch : Gesch. d. D. Volkes III, 95. Ces exemples sont d’ailleurs loin d’être isolés : v. pour Verdun et Cambrai : Huillard-Bréholles, Hist. dipl. Frederici II, introduction, p. 276 sqq.
  104. Wohlwill, op. cit., 77-78, n. Jean d’Outremeuse III. 68-69. Foullon, Hist. Leod. I, 478.
  105. Piot, Cartul de Saint-Trond I, 187, 194.
  106. V. les récits de Hocsem et de Johannes presbyter, malheureusement assez postérieurs (XIVe siècle) dans Chapeaville, Gesta episc. Leod. II, p. 280 sqq. Ce mouvement n’est plus d’ailleurs un pur mouvement d’autonomie communale. Il est en même temps démocratique : les populares agissent à la fois contre l’évêque et contre les insignes (= échevins).
  107. Edits etc. I, p. 50.
  108. Cartulaire I, n. 16.
  109. L’évêque fit également construire des châteux à Liège, Hocsem p. 291, et à Saint-Trond, Gesta abb. Trudonensium ed. de Borman II, p. 205, et Hocsem p. 291.
  110. Pour ceci v. plus loin §  IV.
  111. En 1263 le maire et les échevins disposent avec les jurés des finances de la ville. Cartul. I, p. 55.
  112. Vanderkindere, Origine des magistratures communales en Belgique, p. 22 sqq. C’est la pure théorie de von Maurer. v. Below, die Entstehung der deutschen Stadtgemeinde, qui vient précisément de reprendre cette théorie pour l’opposer à celle de Nitzch Ministerialität und Burgerthum, constate cependant qu’elle se trompe en affirmant einen äusseren Zusammenhang zwichen Stadt-und Landgemeinde hinsichtlich des Repraesentationskollegs des Gemeindeausschusses an (p. 84). L’idée de v. B. que le Rath est essentiellement un organe communal me parait justifiée parfaitement par l’exemple des villes liégeoises.
  113. Piot, Cartulaire de Saint-Trond, I, n. 303.
  114. V. la pax Valencenencis du XIIe s. éd. Arndt, append. à Gislebert, Mon. Germ. Hist. Script. XVI, et cf. le nom de maison de la paix que portaient les hôtels de ville du Hainaut. Pour Cambrai, où la paix apparait très distinctement comme la juridiction communale indépendante de celle de l’évêque v. Huillard-Bréholles, op. cit. p. 280.
  115. Ce type constitutionnel qui, dans ses traits essentiels, est aussi celui de Liège et de Saint-Trond, rappelle d’une manière frappante ceux de Saint-Quentin et de Noyon, v. Giry et Lefranc, opp. citt. À Utrecht, on constate aussi, au XIIIe siècle, quelque chose d’analogue. Muller, op. cit. À Verdun, il y a, en 1227, sept jurés chargés de l’administration et quatorze échevins pour la justice. Huillard-Bréholles, op. cit. p. 276. Il est intéressant de constater que Utrecht, Verdun et Noyon, sont, comme Liège, des villes épiscopales. Ce caractère commun doit avoir influencé, dans chacune d’elles, les institutions urbaines d’une manière analogue. Il faut remarquer que les droits seigneuriaux se sont en général maintenus plus longtemps et plus complètement dans les villes épiscopales que dans les autres. Les échevins des villes liégeoises en sont une preuve.
  116. Quelques noms de jurés que l’on connait pour le XIIIe siècle indiquent que ces magistrats étaient pris en grande partie dans les familles échevinales, Cela n’a rien d’incompatible avec leur caractère communal. Le régime patricien dans les villes n’est pas primitif : ce n’est qu’au XIIIe s. que les magistratures deviennent aristocratiques : v. à Gand le remplacement des anciens échevins par les XXXIX et à Cologne la formation de la Richerzeche, Kruze : Savigni Zeitschrift, Germ Abth. IX, p. 152 sqq. Le fait qu’à partir de cette même époque échevins et jurés ont été recrutés exclusivement à Dinant dans le patriciat, a naturellement contribué à affaiblir beaucoup la distinction originelle entre ces deux espèces de magistrats.
  117. Le premier exemple est de 1255 Cartulaire I, n. 16 : li borgois sens les batours — les borgois et les batoirs. — En 1223 burgenses est encore employé dans le sens général, ibid. n. 12.
  118. v. Below, Hist. Zeitschrift 1887, heft 5, nie que le mot officium ait jamais désigné des fonctions domaniales. Appliqué à un métier, ce mot ne permettrait donc nullement de conclure que celui-ci provint du Hofrecht. D’après v. B. c’est ministerium qui indique une charge domaniale. Je ferai observer ici que, dans le capitulare de villis, sur lequel il s’appuie, ce mot ne désigne jamais, comme plus tard en Flandre, qu’une circonscription territoriale. En revanche on trouve au §  41 du même texte : ministeria lium… officia.
  119. Cartulaire I, n. 3.
  120. À Bâle, les meuniers des 12 Lehen étaient monasterio subditi et pleno jure subjecti. Geering, Handel u. Industrie der Stadt Basel p. 2. Il n’est pas probable que dans une petite ville comme Dinant, chaque officium ait eu un ministerialis spécial, comme cela apparait p. ex. dans le plus ancien Stadtrecht de Strassbourg. Le villicus suffisait sans doute à la besogne. Un villicus stallorum, chargé probablement de la perception des revenus du marché, est mentionné en 1227 v p. 18 n. 3.
  121. Même remarque dans Schmoller op. cit. p. 30, pour les drapiers : sie gehören eben als selbständige Gewerbtreibende einer späteren Zeit an, die das eigentliche Hofrecht überwunden hatte. Cela est encore plus vrai pour les batteurs par le fait de la nature même de leur industrie. On n’a pas tenu jusqu’ici suffisamment compte de la différence des industries exercées, dans les théories sur l’origine des métiers. Les uns les font tous remonter au Hofrecht (Stieda, zur Entstehung des deutschen Zunftwesens) ; les autres ne veulent y voir que de libres corporations (Gierke, Genossenschaftrecht ; v. Below, Zur Entstehung der deutschen Stadtverfassung, Hist. Zeitschrift 1887). À St-Trond, on distingue en 1254 les decani guldarum et les decani officiatorum. Chron. cit.
  122. Huy offre aussi un rapprochement intéressant. En 1299 les tisserands, la principale corporation industrielle de la ville, y sont à la tête du mouvement démocratique. Joannes Presbyter, dans Chapeaville t.  II, p. 334.
  123. À Huy la situation est la même : les tisserands se soulèvent contre les conservatores drapariae.
  124. Cartulaire I, n. 15.
  125. Warnkoenig-Gheldolf, Histoire de Flandre, t.  V, p. 381 sqq.
    D’après von Below, op. cit. c’est cette obligation, le Zunftzwang, qui est la raison même de la formation des métiers.
  126. Sans doute à cause de la moisson. Cet usage existait encore en 1484. V. Cartul. t. III, p. 33.
  127. Histoire du pays de Liège, 2 vol. L’auteur ne voit et n’étudie, à travers toute l’histoire de Liège, que la lutte des grands et des petits. Les uns sont, d’après lui, le parti de la réaction et de la tyrannie ; les autres sont les défenseurs de la liberté et des droits de l’homme. Les princes, naturellement, sont tous des tyrans plus ou moins sanguinaires.
  128. À St-Trond en 1256 les échevins sont les chefs des ditiores (Hocsem 291) ; en 1299 éclate à Huy une émeute inter majores, imo verius ditiores et reliquum vulgus (ibid. 334). Les gens de métier enrichis faisaient cause commune avec les patriciens : inter insignes Hoyenses et divites etiam populares et commune vulgus seditione suborta (ibid. 333).
  129. Hocsem, passim, montre clairement que, tant que le gouvernement des villes liégeoises a été aristocratique, les échevins malgré leur caractère seigneurial, sont les chefs du gouvernement urbain et dans toutes les occasions les ennemis de l’évêque. Ce n’est qu’à partir de la révolution démocratique au xive siècle qu’ils se rapprochent de lui. Nous avons vu p. 22 n. 1 qu’en 1299 l’évêque a tenté d’amoindrir considérablement les pouvoirs de l’échevinage de Liège.
  130. Le 5 août 1286 Liège reconnaît comme avoué le duc de Brabant qui promet de défendre les franchises de la ville. Cf. le recours des XXXIX de Gand au roi de France contre le comte de Flandre. Warnkoenig, Documents sur les XXXIX.
  131. Vanderkindere, Siècle des Artevelde, p. 148. En 1305 St Trond s’engage de même envers Louvain, Willems, Jan de Klerk, Cod. Dipl. I, 721.
  132. Hocsem 317 : les insignes se servent de l’impôt pour des dépenses de luxe. Cf. de même en 1300 à Gand et Bruges : Annales Gandenses. L’absence du contrôle financier a été la cause principale de la révolution démocratique, v. Giry, St Omer 161 sqq. Lefranc, Noyon Ch. XI. Beaumanoir, ed. Beugnot II, 266 : Nous veons en plusieurs viles que ni povre, ni li moien n’ont nules administrations de le vile, ançois les ont li rices toutes… et après quant li commun veut avoir conte, ils se queuvrent qu’ils ont conté li un à l’autre, mais en tel cas ne leur doit-il pas être souffert, car li conte des cozes communes ne doivent pas estre recheu par cix memes qui ont à conter.
  133. Hocsem, 337. A cel temps, écrit Jean d’Outremeuse, estoit la citeit de Liege governee par les grans et les nobles… car ilh n’avoit homme à Liege des gens qomones, ja tant fust riche d’avoir ne puissans d’amis, qui oisat ja parleir de chouse qu’ilh apartenoit al governanche del citeit et ne soy entremelleir, et estoient tenus desous pies en servage des esquevins et des nobles et des clercs, car deseur eaux estoit nuls et si soy escrivoient, sangnours del citeit de Liege, et metoient les esquevins cheauz qui governoient tous les ains… et se uns borgois des qomones qui avoit valhant milhe eskus voloit boire de vin, ilh en mandoit en uns pochon de terre repon desos sa kotte… et silh estoit apercheus d’alcuns des nobles, si s’escusoit en disant : je suy sanies ou je suy malaides, ou ilh perdist son pot a tot le vin et fust banis ou en la paine cheuz de 40 deniers… »
  134. Hocsem 317 et 333 sqq. Pour l’alliance des communitates de Flandre avec le comte v. l’intéressant récit des Annales Gandenses et Warnkoenig-Gheldolf t. III. À Magdebourg l’archevêque s’appuie aussi sur les métiers contre les Geschlechter, v. Stoeckert Beiträge zur Verfassungsgeschichte der Stadt Magdeburg. Züllichau. 1888 p. 1.
  135. Hocsem, p. 284.
  136. Hocsem, p. 337 : Hoc anno (1302) populares contra insignes quasi universaliter eriguntur ubique : in Brabentia tamen cum insurgerent supplantantur, sed in Flandria et Leodio longo tempore restiterunt.
  137. La meilleure source est Hocsem p. 337 sqq. ; le meilleur travail, Wohlwill, op. cit. p. 101 sqq..
  138. V. les plaintes de l’évêque contre les villes dans Wohlwill, op. cit. p. 128 n. 3.
  139. Cartul. t. I n. 36. On entrevoit que, dès avant 1348, les métiers s’étaient fait déjà une place dans le conseil. 1324 : li maistre, li esquevins, li jureis, li governeur (chefs des métiers) et toute li communiteit delle ville de Dinant, Cartul. n. 32. 1340 : del assain des maistrez, do conseilh jureit pour le tens, des mestierz et del accort de la communiteit entirement delle ville. Ibid. n. 35. Ce ne fut qu’en 1348 que le nouveau régime fut légalement reconnu. La ligue des villes liégeoises força à cette époque l’évèque à capituler devant elle. Un des résultats de leur victoire fut notre charte dinantaire, v. p. 46, n. 2 St Trond obtint la même année la libre élection des échevins. Piot, Cartul. I, n. 378.
  140. …comme pluisseurs debas et discors ayent esté en nostre ville de Dynant entre les bourgeois d’enmy le ville et les batteurs d’une part, et chiaux des commun mestier, c’on dist de desos le mostiers de nostre ville de D. del aultre part…
  141. Au xiiie siècle au contraire, les petits métiers doivent les avoir secondé dans leur révolte, comme on le constate à Bruges, Annales Gandenses ad. a. 1302 et à Huy en 1299, Joan. Presb. dans Chapeaville t. II, p. 334. Il est intéressant de constater qu’en Flandre, au xive siècle, la situation est absolument analogue à celle de Dinant : les tisserands y forment un parti distinct, ennemi des autres métiers.
  142. Cartulaire t. II, n. 90.
  143. On ne connaît presque rien sur les mouvements démocratiques qui ont agité Dinant avant 1348. Jean d’Outremeuse VI, 608 raconte avec beaucoup de détails, certainement fabuleux, une émeute qui y aurait eu lieu en 1338. Le réglement de 1348 fut donné à la ville à la suite de luttes sanglantes entre les métiers et les patriciens. Radulphus de Rivo § 2, dans Chapeaville t. II. Le préambule de la charte de St Trond de 1366 est significatif sur l’instabilité des institutions urbaines lors de la révolution démocratique : Attendentes igitur opidum nostrum Sancti Trudonis propter sui regiminis nimiam diversitatem, multociens non modicos terrores, penurias et dampna sustulisse, opidanosque opidi nostri predicti controversias, rancores et discordias inter se, regiminis occasione predicti ex quibus notabilia mala faciliter oriri poterant, pluries habuisse, et idcirco premissis, prout tenemur ex debito, volentes obviare periculis, nedum ad supplicationem dictorum opidanorum nostrorum, verum etiam ceterarum nostri episcopii memorati bonarum villarum… concessimus. Cartul. de Saint-Trond I p. 601. Le préambule de la charte dinantaise de 1348 dit aussi que les debas et discors entre les bourgeois avaient eu pour cause ung gouvernement dont on avoit uzés puy pols de temps en ladite ville.
  144. Diericx, Mémoires sur la ville de Gand I, 183.
  145. Voir les chartes données à Louvain par Wenceslas en 1373, 1378, 1382 dans Miraeus-Foppens, Opera diplomatica I. 1024-1029, 1247-1252.
  146. Pour Liège v. la lettre de St Jacques 1343, Édits et Ordonnances, I, p. 248 ; pour St Trond v. la charte de 1366, Cartulaire de St Trond I, p. 600. Ces constitutions ne se maintinrent pas d’ailleurs dans ces deux villes.
  147. Les réglements donnés à la ville en 1724 et en 1751, tout en faisant disparaître complètement de la constitution l’élément population, maintint le recrutement du conseil dans les trois membres de la bourgeoisie. Édits et Ordonnances, t. III.
  148. Les membres de chacune des trois parties devaient prêter un serment. Celui des bourgeois nous a été conservé : « Je seray vray léal, et féal à mon seigneur de Liège, au chapître de Saint-Lambert, au chasteau de Dynant et à la ville et esliray à mon povoir des hommes ydoives pour estre jurés et ayderay à warder et observer les privileges et franchises d’icelle ville et obeyray aux adjours et commands des maistres et garderay le secreit de la partie des bourgois et n’abandonneray la partie d’iceulx bourgois pour m’aller tenir sur autre partie. Ainsi m’ayde Dieu, la Vierge Marie et tous les saints de Paradis ». Ce serment est du xvie siècle.
  149. Le fait que l’attitude des villes au xive siècle en face de l’évêque était encore essentiellement la même qu’au xiiie, ressort à l’évidence de la confirmation de la défense faite en 1231 par Henri VII aux villes d’établir des ligues et des conspirations, qu’Englebert de la Marck obtint de Clément VI en 1318. v. Schonbroodt, Inventaire des chartes de St Lambert, n. 668. Cette confirmation étant du 1 mai et la charte pour Dinant du 7 septembre, on voit que l’évêque dut céder aux communes.
  150. À Liège, les échevins n’apparaissent plus dans le conseil à partir de 1324. La paix de Wihogne en 1326 les en exclut formellement. Pour St Trond v. Gesta abb. Trud. p. 277 ; la charte de 1366 décide que les burgimagistri et consules per se et absque scultetis et scabinis de negociis ad opidum predictum dumtaxat spectantibus, tractabunt et ordinabunt. À Utrecht en 1340, le schout est exclus définitivement du conseil. Muller, op. cit. p. 41.
  151. Il est établi pour gouverner la ville. Cf. la charte de St Trond de 1366 Piot, Cartulaire I, p. 603 : Le conseil doit : percipere, colligere, exponere et distribuere redditus, proventus, pensiones et alia onera opidi ejusdem ac fortalitia dirigere et conservare, necnon receptores et pagatores bonorum dicti opidi penitus ordinare etc…
  152. Cela ressort de la phrase suivante de la charte de 1348 ; « nuels ne dient lay ne reprove à cuy que ce soit, sur le paine que mise y serat par le conseil de novel siege… ». La charte de St Trond de 1366 accorde au conseil de faire, avec les échevins, ordinationes et statuta, que koerea dici consueverunt.
  153. À cette époque le conseil est composé de « li maistre, li esquevins, li jureis, li governeur (des métiers) ». Cartul. I, n. 32.
  154. À cette époque on ne mentionne plus en effet que les maîtres et le conseil juré. Cartul. I, n. 35.
  155. Cartul. I, n. 17, 23 et 29. La mention de 1263 n’est pas certaine. En effet, le n. 18, ratification par l’évêque du n. 17, mentionne le maire au lieu des maistres. Il y a une erreur de copiste dans l’un ou l’autre des documents transcrits dans le Cartul. de St. Lambert.
  156. Pendant le XIIIe siècle, les maistres de Liège semblent n’avoir eu aussi qu’une existence intermittente. Cette institution n’a été reconnue pour la première fois par l’évêque que dans la charte de commune octroyée à St Trond en 1288.
  157. Encore y avait-il eu, antérieurement au nouveau gouvernement qui fut remplacé par la constitution de 1348, quelque chose d’analogue. La charte décide en effet que les deux maîtres seront : l’un des bourgois d’enmy le ville, l’autre, des batteurs ou des aultres des comuns mestiers de desobz le mostier, ensy quilz ont usé anchiennement.
  158. … est ordinet que nul qui soit esquevin de Dynant soit plus du conseil delle ville. Cartul. I, n. 42. Il ne s’agit ici que d’empêcher à l’avenir un échevin d’être en même temps juré, puisque depuis longtemps déjà l’échevinage avait perdu comme tel le droit de faire partie du conseil.
  159. Cartul. II, n. 91 donne un exemple du peu de liberté du conseil en présence de la généralité. Le mambour Marc de Bade ayant demandé à la ville de lui fixer un jour pour la joyeuse entrée, les sieultes des trois membres se trouvèrent en désaccord. Le conseil envoya les trois résolutions à Marc, sans ôser décider.
  160. Les artisans étaient naturellement plus libres ces jours là. Les batteurs ne travaillaient pas le samedi.
  161. C’est ce qui s’appelait à Liège voter à suyte (sequela). Les votes étaient inscrits à la craie sur un tableau, v. la Chronique de Jean de Stavelot éd. Borgnet p. 289.
  162. Cartulaire t. II, n. 90.
  163. En 1465 Dinant écrit à Marc de Bade : que ceste bonne ville se gouverne par trois parties, assavoir : la première nomme la partie des bourgeois d’enmy la ville, la seconde nommee la partie du bon mestier de la baterie et la tierce nommee la partie des neufs bons mestiers ; laquelle chose a esté observee et maintenue de si loing temps que point n’est memore du contraire. Cartul. n. 91. Cette pièce donne un exemple intéressant de la manière dont étaient rendues les sieultes.

    On possède encore un Registre aux sieultes aux archives de Dinant : il ne commence malheureusement qu’en 1490, v. l’analyse dans l’inventaire de M. Remacle, p. 91, sqq..

  164. Je dois renoncer, pour ce qui concerne l’organisation de la ville au xve siècle, à étayer régulièrement mon exposition par des notes. Très souvent en effet ce ne sont que des indications éparses dans ce qui reste des archives de Dinant, qui permettent d’entrevoir tel ou tel détail.
  165. Cf. dans la charte de St Trond de 1366 : consiliarius juratus. On trouve souvent dans les chartes, au lieu de maîtres et conseil-jurés, la formule : maîtres, jurés, conseils. On distingue dans ce cas les jurés proprement dits de l’ensemble du conseil où siègaient à côté d’eux les vieux maîtres de la ville, mais il ne s’agit pas en fait de deux institutions différentes. C’est dans le même sens que l’on cite parfois, à côté des jurés, les consauls, v. Cartulaire I, 183 et passim.
  166. Au xve siècle, les maîtres prêtaient le serment suivant : En l’office delle maistrise de la bonne ville de Dynant, vous serés vray, leal et féal à icelle, bourgois et manans et gouvernerés bien et leallement avec les biens de ladicte ville et ne le suffrerés endebter plus avant que les revenues et biens d’icelle puelent estoffer et furnir pour vostre année. Et selle estoit endeptée, la legerés de tout ce que bonnement faire porés at aiderés à warder les franchieses, privilèges, status et bons anchiens usaiges, et tiendrés ladicte ville en paix, et ayderés à accomplir les sieultes d’icelle, faictes et à faire, et ferés adjourner le conseil toutteffois que mestier serat et serés droict à ung chascun aussy bien à petit que à grant, en gardant le droit Monseigneur de Liege nostre prince et de ladite ville à vostre meilleur sens et scavoir. Sy vous ayde Dieu, la Vierge Marie et tous les sainctz de paradis. Arch comm. de Dinant. Registre aux sieultes 1490 fol. 233. Il est à remarquer que les maîtres, à la différence du maire, ne jurent pas fidélité à l’évêque, mais seulement à la ville.
  167. En 1505 la ville décida de supporter les procès intentés aux tiers, par crainte de ne plus trouver à l’avenir de candidats, si elle agissait autrement. Remacle. Inventaire, 110.
  168. Je n’ai pas la prétention de retracer complètement et en détail l’administration et la juridiction de la ville au xve siècle : les sources ne le permettent pas. Mon but est d’en indiquer seulement les grandes lignes.
  169. Cartulaire, II, n. 77.
  170. Il faut faire une exception pour certaines charges qui exigeaient des connaissances techniques. On verra plus loin que le bombardier de la ville touchait relativement un salaire énorme. L’horloger était aussi en comparaison grâssement payé pour régler les cloques d’heures. Le compte de 1458 lui alloue pour cela 7 livres 4 sous.
  171. Parfois on leur donnait aussi pour les récompenser des terres appartenant à la ville. Cartul. I, 248 n., ou des rentes. Remacle. Inventaire, 92. Vers la fin du xve siècle, on commença à établir des traitements. Remacle, ibid, 93. Il est probable que, comme les arbalétriers, (v. p. 59, n. 3,) les serviteurs de la ville étaient exemptés des tailles, crenees et pontenage.
  172. Firmitas a d’abord signifié la fortification elle-même. Lambertus Parvus ad. a. 1105 dit de Henri IV : Hic dicitur perambulasse fossata civitatis Leodiensis et posuisse fundamenta firmitatis, que post vastationem a duce Brabantino factam, fuit consumata. Un acte échevinal de Dinant de 1239 parle d’une domum executem usque ad firmitatem. Cf. en France les noms de lieux si nombreux composés de ferté ou la ferté. Le sens d’impôt pour les fortifications n’apparait qu’au xiiie siècle. La ville n’étant ville que quand elle est fortifiée, on comprend que le premier impôt urbain ait été levé pour la construction des murailles. Il en est de même partout v. p. ex., la charte de Fribourg de 1120. La fermeté porte aussi dans le pays de Liège, les noms de assisia et de malatouta (= ungelt), qui se rencontrent seuls en Flandre.
  173. Édits et ordonnances, I, p. 39.
  174. Städtische Wirthschaft im XV Jahrhundert dans Conrad’s Jahrbücher für Nationaloekonomie u. Statistik 1880, p. 253 sqq. : « eine von Rechtswegen, nämlich von Landrechts, das heisst zugleich von öffentlichen Rechtswegen nicht geschuldete Summe, eine Summe welche von Rechtswegen nicht zu zahlen, nicht zu geiten war, eine Steuer welche lediglich auf Willkür der Stadtgemeinde und ihrer Organe, das heist auf genossenschafclichen Vereinsrecht, nicht aber auf dem Recht im Rechtssinne ruhte » p. 260.
  175. Cartulaire, I, n. 10, Cf. ce texte très intéressant pour Liège en 1198 : laïci civitatem muris et aggere firmantes, a clericis et familia eorum exactiones et tributa exigebant et libertatem clericorum ab antiquo conservatam infringere volebant. Reincri Annales. Mon. Germ, Hist. XVI, 654.
  176. L’Inventaire des chartes de St Lambert de Liège, éd. Schoonbroodt contient un grand nombre de documents intéressants pour l’étude de la fermeté. nos. 17, 78, 82, 142, 184, 186, 213, 221, 252, 262, 264. Le chapitre lui était extrêmement hostile. Elle fût la plupart du temps remplacée par une assisia établie par la bourgeoisie et le clergé. En 1287, la paix des clercs impose encore aux maîtres, jurés et échevins le serment de ne jamais lever la fermeté. Édits et ordonnances, I, p. 65. La paix de Waroux, en 1347, l’abolit encore pour Liège. Ibid. p. 281.
  177. Elle était probablement à l’origine perçue exclusivement sur le vin, v. Wauters, Libertés, preuves, p. 116, 117. Cartul. de Dinant, I, n. 10. La fermeté du vin était d’ailleurs encore au xve siècle infiniment plus productive que les autres. En 1458-59 elle fut affirmée pour 2498 fr., en 1461 pour environ 3000 fr. Alors que celle de la hoppe (bière), la plus importante après elle, ne valut respectivement que 1200 fr., et 1150 fr.
  178. Les droits frappant chacune de ces sortes de marchandises constituaient une fermeté et étaient affermés à part. Il y avait la fermeté du vin, la fermeté du poisson etc.
  179. Cartulaire, II, 89.
  180. En France les tailles, frappant les possesseurs d’immeubles, jouaient dans les villes le même rôle que la fermeté liégeoise, mais en étaient radicalement différentes. V. Lefranc, Noyon, p. 137.
  181. Les arbalétriers de la ville par exemple étaient exemptés des tailles, crenées et pontenage, mais non de la fermeté. Cartulaire, II, 52.
  182. Les courtiers sont les makelaeren, les makelars jurés de St Omer et des villes flamandes. Giry, St Omer, 291 sqq.. Sur leur rôle comme intermédiaires indispensables entre vendeur et acheteur, v. Schmoller, Strassburger Tücher 77, Geering, Handel u. Industrie v. Basel ch.  3, Gramich, Verfassung u. Verwaltung v. Würzburg, p. 44.
  183. La vente de rentes était un procédé financier usité dans toutes villes du moyen-âge. Pour Namur, v. Bormans, Cartulaire de Namur, Introd. p. 149 ; pour Leyde : Block, Eene Hollandsche stad in de middeleeuwen, 272, sqq. ; pour Wesel : Reinhold, Verfassungsgesch. Wesels, p. 105, sqq. etc. Pour Dinant, voir l’inventaire donné par M. Remacle du Registre aux modérations des cens et rentes, qui est malheureusement postérieur au sac de la ville. La plus ancienne vente de rente à Dinant est de 1324. Cartul, I, p. 92.
  184. Cartul, I, n. 48.
  185. Un fragment de compte de 1455 mentionne en regard des revenus et impôts de la ville montant à 5 031 francs, la somme énorme de 2 714 francs dûs pour le payenent des pensions. En 1452 le conseil écrit à l’évêque qu’il ne sait comment amortir sa dette. Cartul. II, n. 73.
  186. Chronique de Jean de Stavelot éd. Borgnet, p. 195.
  187. Les Gesta abb. Trud. ad. a, 1340 éd. de Borman, p. 277, montrent que les tailles, dans les villes liégeoises, ne constituaient qu’un impôt extraordinaire auquel on recourait en cas d’insuffisance du produit de la fermeté : et quia ad tam gravia pensionum onera persolvenda firmiteta non sufficeret, concorditer ordinatum est, quod per singulos annos singuli opidani secundum qualitatem bonorum suorum talliarum impositiones solverent, scilicet, ditiores 7 florenos ec sic descende, usquedum pensiones diminuerentur. L’assise est déjà mentionnée dans la paix de Hansinelle en 1314. Édits, Ie p. 152, v. aussi Bormans, Cartul. de Namur. Introd. p. 147.
  188. Il ne s’agit naturellement que des rentes foncières. Les rentes viagères étaient constituées sur le corps de la ville, sans hypothèques. V. Reg. Modérations des cens et rentes.
  189. V. les plaintes de l’évêque contre les bourgeois en 1325 dans Wohlwill, Op. cit. p. 128 n. La paix de Wihogne en 1326. Édits, p. 180, et la paix de Flone de 1330 Ibid. p. 204. L’identité des werixhas du xive s. et du wariscapia extra aquam et in aqua du xie, ressort du texte même de la paix de Wihogne : « … lieuz que monseigneur de Liège appelle wericalz et la citeit appelle aisemensche, dedens terre et dehors… » Dans le texte de la paix de Flone, le produit des werixhas est encore partagé par moitié entre l’évêque et la ville.
  190. Le rentier ne touchait pas, semble-t-il, à l’origine, de traitement pour ses fonctions. Il était sans doute amplement dédommagé de ses peines, par l’intérêt des sommes qu’il avançait à la ville. La renterie était si profitable qu’on avait décidé en 1399 de la mettre en adjudication. Cartul. I, p. 152. Au milieu du XVe siècle, la situation avait changé. Le rentier est mentionné dans un fragment de compte de 1455 parmi les serviteurs rétribués de la ville.
  191. Cartulaire, II, n. 77. Lors de la faillite de Noyon au xiiie siècle, les habitants demandent que ni le maire ni la commune ne puissent charchier la ville de plus de dette, devant que ceste soit aquitee. Sur cet intéressant épisode de l’histoire financière du moyen-âge, v. Lefranc, Noyon, p. 150, sqq..
  192. Il semble, qu’avant 1455, les comptes de la ville n’aient pas été régulièrement rendus à cette date « dont les gouverneurs d’icelle de grant temps ci-devant n’ont bonnement sceu en quel point elle estoit de puissance et ont fait faire grans ouvrages chacun en leurs temps, dont ladite ville a esté grandement endebtee et ariere mise, qui a tourné à grant dommage et astarge. » Cartul, II, n. 77. Toutefois, le même texte affirme que « de sy loing temps que point n’est mémoire du contraire, ait esté de costume de chacun an faire trois contes delle ville, dont l’un d’iceux demouroit chacun an à rentier, l’autre a vies maistres des bourgois d’enmi le ville… et l’autre aux maistres nouvias qui recevoit iceux comptes ». Il est probable que l’obligation de rendre leurs comptes devant la généralité de la ville fut requise des maîtres depuis 1348, cf la charte de St Trond de 1366.
  193. Cartul, I, n. 59.
  194. V. les stipulations intéressantes du jet du banquet. Cartul. III, n. 297. L’acte est de 1534, mais en partie établi d’après des règlements antérieurs à la destruction de la ville en 1466.
  195. La lettre des Vénaux de Liège, 1317, Edits et Ordonnances, I, p. 161, sqq., montre jusque dans les détails les plus circonstanciés, comment était organisée la police des denrées dans une ville liégeoise au moyen-âge. Pour Dinant, l’analyse donnée par M. Remacle des deux registres aux amendes de 1457-1464 permet de s’en faire une idée suffisamment exacte.
  196. V. son règlement dans Cartulaire II, n. 83.
  197. Chron., de Jean de Stavelot p. 115 sqq..
  198. Le 9 décembre 1452 le conseil écrit que « estons situés sur le coron du pays de châdeseur, près marchissans et joindans à pluiseurs pays estraingnes et de grand puissance, dont nous est necessaire nous bien garder et nous semble qu’il n’y ait forteresse ne plache ou pays qui soit tant nécessaire à bien fortifier comme est ceste ville. »
  199. La tour sur le pont est mentionnée dans des chartes échevinales dès 1217. Elle servait d’hôtel de ville et de beffroi.
  200. Les deux villes barraient parfois le cours de la Meuse pour empêcher le commerce de leur rivale. En 1451, Dinant fit faire une lourde chaîne de fer allant d’un rivage à l’autre. En 1465, Bouvignes avait planté des pilotis au travers du courant. Cartul, II, p. 109.
  201. Cartul. III p. 177 donne un inventaire de l’artillerie de la ville en 1498.
  202. On pouvait se faire remplacer aux guets, sauf quand on waitait par dizaines. Cartul, II, p. 60.
  203. J’ai déjà dit qu’il faut faire exception pour Saint-Trond qui avait le droit d’Aix et non celui de Liège. Mais, depuis le xve siècle, les États agirent sur ce droit de la même manière que sur l’ancien fonds du droit liégeois.
  204. Avec M. v. Below, Zur Geschichte der Stadtgemeinde, je reconnais hautement le caractère communal de la juridiction urbaine. Mais je ne puis voir avec lui l’origine de cette juridiction dans les attributions préexistantes d’une communauté de village. On ne constate rien de tel à Dinant ni même, comme j’espère bientôt le montrer, en Flandre.
  205. Je n’ai pas besoin de faire observer ici que l’établissement de la paix de la ville est le caractère le plus saillant des premières chartes urbaines. V. p. exemple en 1114 les stipulations de la pax Valencenensis ; en 1127 les deux Keures de St Omer etc.
  206. C’est ce que nous apprend le n. 8 a° 1293 du Cartulaire de Bouvignes ed Borgnet. Les membres de la justice de Dinant y sont cités. Ils se composent du maire, de deux personnages, que des chartes de l’époque citent comme échevins et enfin d’un certain nombre de bonnes gens, étrangères à l’échevinage et qui doivent être des jurés.
  207. Muller, Utrecht, p. 52 sqq. montre comment, à Utrecht, les paces juratae ont été l’origine de la juridiction pénale du conseil. Seulement, dans cette ville, le conseil a fini par acquérir cette juridiction tout entière au détriment de l’évêque. Les villes liégeoises, malgré leurs efforts, n’ont pu aller jusque là. Le rapport entre les deux juridictions du conseil et des échevins y rappelle, mais avec plus de netteté, ce qui existait à Noyon et à Saint Quentin, v. Lefranc et Giry, opp. citt..
  208. Édits et ordonnances t. I, p. 348.
  209. Cartul. t. III, p. 343.
  210. Cf. avec cette expression caractéristique la Vredebrechewunde, dans les villes du nord de l’Allemagne et la Keure de 1300 à Utrecht, dirigée contre ceux qui die vrede breken, Muller, op. cit. p. 46.
  211. Au xvie siècle, la juridiction des paix brisées était partagée, comme à Liège, entre le conseil et l’échevinage. Un document de 1551 constate, en effet, que si la partie offensée fait sa plainte devant la justice de sa Grâce Révérendissime, lesdits bourgemaistres, conseil et jurez confessent ledit officier (le maire) povoir poursuyvre ses amendes pardevant ycelle justice. Cartul, III, n. 341.
  212. Les inventaires des registres aux amendes publiés par M. Remacle permettent de se faire une idée concrète de la juridiction du conseil.
  213. Certaines sentences ne sont rendues que par un maître et trois jurés.
  214. Cf. Poullet, Histoire du droit criminel dans la principauté de Liège, p. 535.
  215. Désormais, en effet, il n’était plus bourgeois : or, si le bourgeois ne pouvait être emprisonné, l’étranger, l’afforain, ne jouissait pas du même privilège.
  216. En réalité les sentences de bannissement ne profitaient guère à la ville. Les bannis se réfugiaient à Bouvignes, qui se hâtait de les accueillir, et devenaient pour Dinant les plus dangereux des ennemis.
  217. Sur ces voyages, empruntés à la législation pénitentiaire de l’église et qui paraissent avoir été surtout employés dans les villes des Pays-Bas, v. van den Bussche, Bullet. Comm. Roy. Hist, a. 1887, p. 17, sqq. et Poulet, Hist. du droit criminel de Liège, p. 518 sqq..
  218. Un voyage à Saint-Jacques de Compostelle était rachetable par 10 florins d’or du Rhin, somme naturellement beaucoup moins considérable que celle à laquelle se seraient montés les frais du pèlérinage.
  219. Voici un de ces certificats que j’ai trouvé aux archives de Dinant. C’est un original en écriture cursive, sur papier, avec sceau plaqué à droite.
    Ego Godefridus Opstaels. presbiter… ac sacrarum reliquiarum custos aecclesie sancti Servatii Trajectensis, Leodiensis dyocesis, notum facio per presentes quod… ut asserint Odardus… personaliter visitaret limina beati Servatii ob emendam et penitentiam sibi indictam per burgimagistrum opidi Dionantensis, quod omnibus quorum interest certifico per sigillum antedicte custodie presentibus impressum. Datum anno domini millesimo quadringentesimo tredecimo quarto, die vero penultima mensis junii.
    Quiconque rapportait de fausses lettres de voyage était aubain et privé pour toujours de sa bourgeoisie. Cf. Statuts de Liège de 1345. Édits I, p. 27.
  220. Sur ce règlement v. Poullet, op. cit. p. 272.
  221. La paix de Tongres en 1403 interdit au conseil de Liège de donner franchises et libertés aux bonnes villes. Édits. I, p. 383.
  222. V. pour Utrecht : Muller, op. cit. p. 88 sqq. ; pour Wesel : Reinhold, op. cit. 89 sqq..
  223. Édits I, p. 380. La paix de Tongres, faite seulement pour Liège, dût être appliquée aussi dans les bonnes villes. Le registre aux paix du conseil de Dinant en contient une copie.
  224. V. le serment de l’évêque Cartul. II, p. 57. Siderius, Dinant et ses environs p. 126 sqq. donne, d’après les archives de la ville, un récit très intéressant de la joyeuse entrée d’Ernest de Bavière en 1582.
  225. Cartulaire, I, n. 18.
  226. En 1450 est mentionné le receveur de monseigneur de Liège pour la halle.
  227. Il est probable que la participation de l’évêque au produit des amendes des eswardeurs a la même cause que sa participation au produit des amendes des paix brisées (v. p. 72). Des deux côtés, elle constitue ce qui lui reste de son droit primitif de juridiction. De même que le conseil a fini par obtenir la juridiction de paix, de même il a obtenu la police du commerce dont les infractions, au xiiie siècle, relevaient encore de la justice épiscopale. V. Cartul. I, p. 51 : nos (conseil) povons contraindre par le forche et par le justiche nostre signour devant dit, cheaus qui venderont ou vendre voront leur marchandise en le vile devant ditte ailheurs k’en cele halle devant nomee, qu’il le vendent dedans le halle.
  228. Cartulaire III, p. 331.
  229. Cartul. I, n. 31 et 50. Cf. Cartul. de Bouvignes I, n. 25. L’afforage n’est plus mentionné à Dinant à partir de 1415 : il a probablement disparu devant la fermeté. Cela expliquerait l’hostilité épiscopale contre celle-ci.
  230. Une enquête de 1519 déclare que ce moulin fut fait par ceux de Dinant « pour amende à quoy ils furent condempnés à ung evesque de Liége, et par celi evesque à le faire rendant et moulant farine dedans quarante jours ; ce qui fut fait comme il en appert, tellement que le 40e jour on porta de la farine audit evesque et que celui qui la portoit, souffla la farine au visage dudit evesque. »
  231. Cartul. I, n. 57.
  232. Cela a été fort bien fait par A. Wohlwill, die Anfänge der Landständischen Verfassung im Bisthum Lüttich. V. aussi : Poullet, Constitutions nationales.
  233. La première de ces ligues est celle qui fut autorisée par Henri VII. Interdites à différentes reprises par les évêques, elles furent toujours renouées. Elles furent définitivement abolies lors des guerres bourguignonnes. V. Édits. I, table vo : Alliances.
  234. Dès 1230 les trois villes sont déjà citées dans l’ordre qu’elles ont toujours conservé depuis. En 1465, Dinant consultée par Marc de Bade à propos de sa joyeuse entrée, le métier des batteurs répond que la ville n’a pas à prendre de décision avant que Huy n’ait fait connaître sa volonté. Cartul. II, p. 91. Dans une lettre adressée à Cologne au milieu du xive siècle, Dinant s’appelle : una et tertia de principalioribus villis episcopatus Leodiensis. Höhlbaum, Hansisches Urkundenbuch III, n. 547.
  235. Édits. I, 174.
  236. Édits. I, 330.
  237. Voici quelques ordres du Jour des États au xve siècle : 1448, décembre 29 : délibération sur le fait des XXII et le cours des monnaies ; 1450 novembre 19 : délibération sur le fait des XXII et les buvraiges appelés fortes bières ; 1451 juillet 22 : délibération sur le fait des XXII ; 1451 Octobre 2 : délibération sur le fait des bannis et des aubains ; 1453 mai 3 : délibération sur les entreprises de Louis de la Marck contre les forteresses de Rochefort et d’Agimont ; 1456 mai 27 : délibération sur les monnaies, le renchérissement des grains, les plaintes du seigneur de Jeumont, l’héritage des vignerons de la cité, etc.
  238. Je connais les excuses de la ville aux États du 15 juin 1449, 19 novembre 1450, 21 juillet 1451, 2 octobre 1452, 10 décembre 1452, 6 juin 1453, 14 novembre 1455, 27 mai 1456. On peut juger par là du petit nombre d’assemblées auxquelles assistaient les députés de la ville.
  239. Cartul. de Bouvignes I, n. 8, ao 1293 « … se on voulloit un homme arrester en celle ville de Dinant, fuit pour dette, fuist pour autre chose, ne de quelh cas que se fuist, il povoit venir à la rivière et entrer en une neif, si tost que li neif astoit derrière (?) et flottoit sur l’iaue, cis de Dinant n’y avoient povoir ne point de justice. » Toutefois cela n’était plus observé à la date de ce document. La juridiction de Dinant sur la Meuse fut plus tard si complète, que la ville interdit aux Bouvignois de pêcher dans la partie du fleuve traversant la franchise.
  240. Une enquête constate, en 1519, que le cours de la Meuse à Dinant est depuis toujours sous la juridiction et hauteur des officiers de l’évêque. Les conflits furent très nombreux pendant tout le moyen-âge sur les limites respectives des juridictions autour de Dinant, v. Cartul., I, n. 26, 38 ; Cartul. de Bouvignes, I, n. 8, 26, 28 ; Institut Archeol. liégeois, bulletins XV. 303 sqq..
  241. V. la carte de Ferraris où ses bornes apparaissent très clairement au milieu des terres namuroises.
  242. Le territoire actuel de cette commune est encore sensiblement le même que celui de la franchise.
  243. Pour la châtellerie v. plusieurs textes y relatifs dans Cartul. II, passim ; et dans Remacle, Inventaire du registre aux missives.
  244. Sur l’autorité que Gand s’arrogeait sur les villes de sa châtellerie, V. un texte très intéressant dans Gachard, Collection de documents inédits concernant l’histoire de la Belgique II, p. 150.
  245. Un excellent travail de M. Pinchart : Histoire de la Dinanderie et de la sculpture de métal en Belgique. Bullet. des comm. royales d’Art et d’Archéologie, t. XIII, a recueilli ces textes. Je ne puis admettre l’hypothèse émise par l’auteur que les Dinantais furent initiés aux secrets de l’art de la fonte par des artistes de l’Allemagne, p. 309.
  246. Pinchart, op. cit. p. 497.
  247. Charte de l’archevêque Adolphe de Cologne de 1203 citée plus bas.
  248. En 1249, les avoué, maire, échevins, jurés et douze maîtres des drapiers de Huy sont mentionnés ; Marschall et Bogaerts, Recueil des antiquités belgiques II, 45. Dans les émeutes hutoises de 1299 et 1300, les conservatores drappariae sont à la tête du mouvement démocratique, comme les batteurs en 1255 à Dinant. Hocsem, p. 33 ; Johannes Presbyter, p. 334-336. Huy était l’une des 17 villes de la hanse flamande de Londres. Warnkönig, I. P. J., p 86.
  249. Il est rappelé dans le privilège de 1171.
  250. V. tous ces textes dans Höhlbaum, Hansisches Urkundenbuch, t. I, n. 5, 22, 61, 86.
  251. Lamprecht, Skizzen zur Rheinischen Geschichte. p. 114.
  252. Höhlbaum, Hans. Urkb. III, n. 548. La confédération est seulement rappelée dans ce document qui est du milieu du XIVe siècle. Je suppose 1277 parce que l’on possède de cette année des traités entre Cologne et Liège : Lacomblet, Niederrh. Urkb. II, 410 ; entre Cologne et Huy : Ibid. et entre Cologne et Saint-Trond. Ibid.
  253. Höhlbaum, Ibid, n 546, 547.
  254. Cartul. I, p. 176. Höhlbaum, Mittheilungen aus dem Stadtarchiv. v. Köln, 9 Heft, p. 97. En 1359 Otto de Dinant est paniscissor à Cologne. Hans. Urkb. III, p. 470, n. Il y avait, aux archives de cette ville, une Lade où l’on conservait les documents relatifs à Liège, Dinant et St Trond. Ibid. p. 303, n.
  255. Pinchart, op. cit. 506. Joignez : Mémoires de la Soc. historique et littéraire de Tournai, t. XX, p. 286, 287, 361. Remacle, Inventaire du registre aux missives. Au musée de l’Académie de Bruges, un portrait par Pourbus, de 1551, représente la maison appelée Dinant, au coin de la rue Flamande et de la rue Fleur de blé.
  256. Le Grand d’Aussy : Histoire de la vie privée des Français, t. III, p. 403.
  257. Pinchart, op. cit. p. 309 n.
  258. Cartul. I, p. 174.
  259. Dehaisnes. Histoire de l’art dans la Flandre, l’Artois et le Hainaut avant le XVe siècle, p. 497, 498.
  260. Cartul. I, n. 62.
  261. Remacle : Inventaire du registre aux missives.
  262. Höhlbaum Hans. Urkb. I, n. 432. Dinant apparaît dans ce texte comme le centre de fabrication par excellence, des objets en cuivre… si plures sint (cacabus, vel pelvis vel olla cuprea) in uno ligamine facto apud Dinant vel alibi ui fieri soient… Ajoutez : Gilliodts v. Severen, Inventaire des archives de Bruges, II, p. 226.
  263. Höhlbaum : Hans. Urkb. t. II, n. 11.
  264. Ibid. n. 463.
  265. Ibid. n. 603.
  266. Ibid. n. 637, t. III, n. 39, 42, 264.
  267. Gilliodts V. Severen, Inventaire des archives de Bruges, t. II, p. 184.
  268. Recesse und andere Akten der Hansetage von 1256-1150, t. III, n. 319.
  269. Remacle, Inventaire.
  270. Cartul, II, n. 70.
  271. Cartul, II, n. 80.
  272. Cartul, II, n. 95.
  273. Delmarmol, Dinant, art, histoire et généalogie, p. 13.
  274. En 1487, Dinant remontre au Hansetag de Lübeck : plus in transportando stanno Anglicane usi sumus, quod duabus viis nobis comodi est, in vendicione in cismarinis partibus scilicet et at mitigandam cupri ariditatem in patellis et lebetibus fiendis. Item per cambium multum usi sumus remittere pecunias provenientes ex nostris venditis mercibus in regno Anglie, plus quam in pannis, eo quod semper opus est nobis promptis pecuniis, tam ad cuprum emendum ad operarios patellorum solvendos et ad ceteras res illis necessarias. Nihilominus tamen quocienscumque nobis visum fuit utile aut proficuum in pannis emendis, emimus et transmisimus ad Brabanciam et patriam vel alibi, ubi plus valebant… Schaefer, Hanseresse von 1477-1530 t. II, p. 103.
  275. Cartul. II, n. 160.
  276. Dehaisnes, op. cit. p. 455, 511.
  277. Pinchart. op, cit. p. 512.
  278. Le développement tardif de la draperie à Dinant ressort de ce fait que le jet du banquet plaçait les drapiers dans une situation différente de celle des autres artisans.
  279. Sattler, Handelsrechnungen des deutschen Ordens, pp. 268, 328, 337 338, 422, 427, 435.
  280. Sur la situation de Dinant dans la Hanse, v. Lappenberg, Urkundliche Geschichte des Hansischen Stahlhofes zu London p. 35. La carte de la Hanse dans l’atlas historique de Droysen-Andree, indique à tort Dinant comme siège d’un simple comptoir hanséatique.
  281. Höhlbaum, Hans. Urkb. II, n. 482, III, n. 94, 233, 264, 330, 446.
  282. Ibid. III, n. 39, 42.
  283. Ibid. III, n. 684.
  284. Koppmann, Recesse und andere Akten der Hansetage. III, n. 319.
  285. Höhlbaum, Hans. Urkb. III, p. 303, n.
  286. Lappenberg, op. cit. p. 35.
  287. Cartul. II, n. 95.
  288. Von der Ropp. Hanscrecesse von 1431-1476, t. V, p. 500.
  289. Ibid. p. 586.
  290. Cartul. II, n. 163 : 1471 février.
  291. Cartul. II, n. 164, avec traduction française.
  292. Schaefer, Hanserecesse von 1477-1530, t. I, 560. Cartul. n. 200, avec traduction française.
  293. Schaefer, Ibid. t. II, n. 26, 523, 53, 55.
  294. Ibid. n. 111 et 160.
  295. Ibid. n. 163. Ce chiffre est très élevé relativement aux indemnités suivantes accordées à d’autres villes : Duisbourg, 139 ll., Nimègue 160, Deventer 142, Dortmund 233, Munster 97, Lubeck 940, Campen 21, Dantzig 271, Hambourg 839.
  296. Cartul., III, n. 221.
  297. Cartul., III, n. 324.
  298. Ibid. p. 314, n.
  299. Lappenberg, loc. cit.
  300. Gisleberti Chron. Hanon. ed. Arndt ad usum scholorum p. 266.
  301. Jacques du Clercq ed. de Reiffenberg IV, 271.
  302. Gest. abb. Trud. ed. de Borman II, 116.
  303. Mémoires de Ph. de C. l. II, ch. 1.
  304. Ed. Kervyn de Lettenhove, Chroniques relatives à l’histoire de Belgique sous la domination des ducs de Bourgogne II, 257.
  305. H. de Merica ed. De Ram, Documents relatifs aux troubles du pays de Liège p. 159.
  306. Theod. Pauli ed. Kervyn, op. cit. p. 218.
  307. Op. cit. 281.
  308. Cartul. II, n. 160.
  309. Cartul. II, n. 80.
  310. Cf. le texte de Philippe de Commines, p. 103.
  311. Pinchart, op. cit. passim ; Dehaisnes, loc. cit.
  312. Pinchart, p. 516.
  313. Édits, 2me série III, p. 26.
  314. Cartul. I, n. 15, 49.
  315. Après la bataille d’Othée, tous les métiers furent supprimés dans les villes liégeoises. Ils ne furent rétablis qu’en 1413 : le fait que celui des batteurs de Dinant le fut dès 1411 permet de conclure à son importance exceptionnelle.
  316. Cartul. III.
  317. Colard de Loyer par exemple savait l’Allemand.
  318. Au xive et au xve siècle, plusieurs mots flamands étaient employés dans le pays de Liège pour désigner soit des marchandises, soit des fonctions, etc. Tels sont par exemple : Sterkwein, Speelhuus, Bouwmeester, etc.
  319. Cartul. I, n. 40.
  320. Cartul, I, n. 38.
  321. Cartul. I, n. 59.
  322. Le sac de Dinant par Charles le Téméraire dans Annales de la Société Archéologique de Namur 1853, pp. 1-92.
  323. Cartul. II, p. 294.
  324. Sur Bouvignes v. la préface de Borgnet à son Cartulaire de la commune de Bouvignes.
  325. Cartul. III, n. 288.
  326. Koser, die Epochen der absoluten Monarchie, Hist. Zeitschrift 1889, p. 252, constate de même que la politique des premiers rois absolus tendit d’abord, vis-à-vis des institutions libres de l’État, à une faktische Besitzergreifung. Ce n’est que plus tard que ces institutions elles mêmes, ayant perdu toute signification, furent supprimées. Ce qui s’accomplit ainsi en grand vis-à-vis de l’État, se produit absolument de même en petit, vis-à-vis des villes.
  327. V. par ex. Cartul. III, n. 341.
  328. Édits… de la principauté de Liège, 3e série, I p. 116.
  329. Cartul, III, n. 304.
  330. C’est ce qu’on peut conclure des appellations honorifiques de : Messieurs d’enmi la ville. Messieurs de la batterie, Messieurs des neuf mestiers, par lesquelles sont alors désignés les trois membres.
  331. Édits, 3e série, I p. 116.
  332. Mémoires de Marguerite de Valois ch, VIII.
  333. Édits, 3e série, I p. 554, II, p. 177, 681.
  334. Ibid, I, p. 386.
  335. Ibid. II, p. 114.