Histoire de la constitution de la ville de Dinant au Moyen Âge/04

Librairie Clemm (H. Engelcke Successeur) (p. 49-89).
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IV.

Comme dans la plupart des villes où le gouvernement n’est pas resté aristocratique, le conseil, à Dinant, malgré ses attributions très variées et très importantes, ne constituait cependant pas la plus haute expression de l’autonomie communale. Elu par les trois membres de la bourgeoisie, il n’était que la réunion des mandataires de celle-ci, le délégué d’un pouvoir supérieur. Vis à vis de la bourgeoisie, le conseil se trouvait dans la même situation où se trouvait le maire vis à vis de l’évêque. Il tenait d’elle, pour ainsi dire, son bannum. Dans toutes les affaires en dehors de l’administration courante, la communauté pouvait agir directement ; elle décidait souverainement sur toutes les propositions que lui soumettait le conseil. Le pouvoir de celui-ci était, en effet, beaucoup plus restreint qu’on ne pourrait être tenté de le croire. Au xve siècle au moins, il ne prenait aucune décision de quelque importance, n’édictait aucun réglement, aucun statut, sans l’approbation de la généralité de la ville. En séance secrète, il préparait les projets à soumettre aux sieultes des trois membres de la bourgeoisie. De même pour les affaires extérieures : seul, le conseil ne pouvait presque rien. Il était incapable de s’engager, de se lier, sans le consentement de la communauté. Sa correspondance donne à cet égard une idée exacte de sa situation. Il y apparait en quelque sorte comme le président responsable d’une vaste corporation, comme le gardien des droits et des intérêts de celle-ci, comme l’exécuteur fidèle de ses volontés. Continuellement, on le voit s’excuser de devoir différer sa réponse parce qu’il n’a pas encore pu consulter les trois parties de la ville. En réalité, il n’est que le porte voix de la bourgeoisie. Ce n’est que pour les objets d’importance minime, qu’il agit en vertu de sa propre initiative. En dehors de là, il s’en réfère toujours aux décisions de la généralité, de l’université de la ville[1].

La forme suivant laquelle la communauté prenait part au gouvernement urbain est particulièrement intéressante. C’est aux maîtres et conseil qu’il appartenait de la convoquer. Le jour fixé pour la réunion était habituellement le samedi ou le dimanche[2] ; la halle servait de local à l’assemblée. L’ordre du jour était connu à l’avance : les sergents de la ville avaient à le publier ; en outre les maîtres, tiers et jurés des différents membres en instruisaient au préalable leurs commettants. Il se passait habituellement de la sorte un certain nombre de jours entre la convocation et la réunion de la généralité.

Tous les bourgeois pouvaient prendre part à l’assemblée. Les maîtres en avaient la présidence, faisaient connaître l’objet de la réunion et demandaient l’avis de chacun des trois membres. Il n’y avait donc pas de discussion générale : l’assemblée n’était que préparatoire au vote. Chaque membre votait naturellement à part. Suivant la coutume générale du moyen-âge, le vote se faisait par sieultes, c’est à dire par recès[3]. Un espace de quelques jours se passait parfois entre la réunion générale et la proclamation des sieultes. Les trois membres devaient faire connaître ensemble leur décision : la majorité l’emportait et le troisième membre devait accepter ce qui avait été adopté par les deux autres. À vrai dire, les choses ne se passaient pas toujours aussi régulièrement. Le métier des batteurs est accusé, dans un acte de 1461, de s’attribuer des prérogatives qui empêchent le fonctionnement régulier des sieultes[4]. Les neuf métiers lui reprochent de s’opposer aux réunions de la généralité si leurs majeurs et leurs douze gouverneurs n’y ont donné tout d’abord leur consentement ; de ne pas permettre que les maîtres fassent part à l’assemblée des nouvelles affaires survenues depuis le jour de la convocation ; de retarder leur vote de deux ou trois jours pour pouvoir faire triompher la sieulte de celui des deux autres membres qui leur semble la plus favorable à leurs intérêts etc.

Il est impossible de déterminer exactement la compétence des assemblées de la généralité. Au xve siècle, cette compétence était en réalité sans limites. Il est fort probable que c’est la situation troublée de la ville à cette époque qui produisit alors cet état de choses anormal. Régulièrement, ou si l’on veut, constitutionnellement, il semble qu’il n’y avait qu’un certain nombre de cas où la convocation des trois membres par le conseil fut obligatoire. Tels étaient : l’aliénation des biens communaux, l’adoption de nouveaux statuts, l’approbation des comptes à la fin de chaque année, les votes à émettre par les maîtres aux états du pays, les expéditions militaires et en général tout ce qui concernait la politique extérieure. Enfin, le grand sceau de la commune ne pouvait être appendu qu’aux actes lus devant la généralité et approuvés par elle. Mais encore une fois, le pouvoir des assemblées de la bourgeoisie était bien loin, en réalité, de se tenir dans ces bornes légales. Ce furent elles qui, pendant les années qui précédèrent le sac de la ville en 1466, exercèrent en fait le gouvernement urbain[5].

C’est la généralité de la ville qui nommait directement les membres du conseil le 1er Septembre de chaque année. Chacun des trois membres élisait par sieulte ses jurés. Il ne semble pas qu’il y ait eu de conditions d’éligibilité autre que l’appartenance à la bourgeoisie. La même personne ne pouvait rester en fonction plus d’une année de suite. Une fois établi, le conseil choisissait dans son sein les deux maîtres : l’un d’eux devait toujours être bourgeois, l’autre était pris alternativement parmi les batteurs et parmi les membres des métiers. Quant aux tiers, ils étaient également désignés par le conseil : chacun d’eux appartenait naturellement à l’un des trois membres de la ville[6].

Le conseil ne se composait pas exclusivement des trente jurés nouveaux. Les vieux maîtres de la ville avaient le droit d’y siéger, corrigeant ainsi ce que le renouvellement annuel du magistrat eut pu avoir de fâcheux pour la bonne administration.

À partir du xive siècle, les jurés, en tant que membres du conseil, portaient le titre de conseil-jurés[7]. À l’instar des magistrats municipaux d’Allemagne, ils étaient parfois désignés, dans les textes latins, par le nom de consules.

Les maîtres, qui à partir du commencement du xvie siècle prirent le titre de bourgmestres, étaient les chefs de la ville en tant que communauté autonome. Ils devaient jurer en entrant en charge d’en respecter et d’en faire respecter les franchises et bons anchiens usaiges. Le conseil ne pouvait se réunir, sauf les jours ordinaires des plaids, sans leur convocation. Toujours c’est eux, ou un remplaçant choisi par eux, qui avaient à le présider. À l’extérieur, ils étaient les représentants de la ville : c’est à eux qu’on s’adressait pour en obtenir justice, c’est eux qui siégeaient en son nom aux assemblées des états. Dans aucune circonstance le conseil n’agissait sans leur participation. Partout les expressions maîtres et conseil jurés sont inséparables. À Dinant, comme dans les villes flamandes, l’année était désignée par les noms des maîtres qui y avaient été en fonctions[8].

Jusqu’en 1527, les maîtres, pas plus que les jurés, n’eurent de traitement fixe. Ils subvenaient eux mêmes, pendant leur année, au moyen de leurs ressources privées, aux charges qui leur incombaient. C’étaient surtout les voyages incessants auxquels les contraignaient les procès de la ville, les journées d’états, les ambassades, etc. qui étaient pour eux l’occasion de grosses dépenses. En 1458-59, les deux maîtres furent absents plus de deux mois pour les affaires de la communauté. À la fin de l’année, ils étaient indemnisés de leurs débours. Ils se partageaient alors aussi, avec les jurés, certaines parties d’amendes que les statuts leur assignaient. Aux grandes fêtes. ils banquetaient ensemble aux frais de la ville. Les fonctions des jurés étaient, ainsi que celles des maîtres, beaucoup plus onéreuses que lucratives. Chacun d’eux devait annuellement à la ville cinq jours de service gratuit. On en profitait pour les envoyer alors en mission à l’extérieur. Pour le surplus de leurs dépenses, ils étaient indemnisés en sortant de charge. On voit par là qu’il était impossible de faire partie du conseil sans jouir d’une certaine fortune[9]. La démocratie du moyen-âge, à la différence de la démocratie grecque, s’est fixé en quelque sorte une limite à elle même, en n’établissant pas le principe du payements des fonctionnaires publics. À Dinant, les jurés étaient pris invariablement dans un groupe fort restreint de personnes ; tous, même ceux du membre essentiellement démocratique des neuf métiers, appartenaient forcément à la bourgeoisie riche, qui seule pouvait, sans rétribution, se mêler du gouvernement urbain.

Le conseil était l’organe à la fois de la juridiction et de l’administration de la ville. Malgré l’insuffisance des sources, il est nécessaire, pour acquérir une connaissance complète de la constitution dinantaise, de voir comment chacune d’elle était organisée au xve siècle.

A. Administration[10].

Fonctionnaires urbains. — Avant la fin du xvie siècle, la ville n’a pas eu à son service de fonctionnaires proprement dits, c’est à dire d’employés salariés exclusivement attachés à son service et révocables. Les membres du conseil suffisaient à la besogne : ils géraient personnellement les affaires de la communauté. Il ne formaient pas seulement une assemblée délibérante ; pendant leur année de charge, chacun d’eux était revêtu de quelqu’emploi important. C’étaient les membres du conseil qui fournissaient les administrateurs des hôpitaux, les rewards de la fermeté et des métiers, les commandants du guet etc. Entre le conseil communal de Dinant au xve siècle et ce même conseil au xixe, il existait donc une différence essentielle. Le conseil n’est plus aujourd’hui que la réunion des mandataires de la commune : c’est à lui qu’il appartient de faire les règlements urbains, d’établir le budget etc. Son pouvoir est essentiellement législatif. Rien de tel n’existait au xve siècle. Le pouvoir législatif communal appartenait, comme on l’a vu, essentiellement aux assemblées de la généralité de la bourgeoisie. Quant au conseil, il n’était guère autre chose que l’ensemble des juges et des administrateurs de la ville. Avec le renouvellement annuel du conseil se renouvelaient donc ipso facto, ces juges et ces administrateurs.

À côté du conseil il y eut cependant, dès le xive siècle, un certain nombre de serviteurs permanents de la ville. Le plus important d’entre eux, le seul qui présente quelque analogie avec un fonctionnaire moderne, était le clerc ou secrétaire. Il était chargé de la correspondance urbaine, de la rédaction des comptes communaux et en général de toutes les écritures, déjà considérables, du conseil, à toutes les séances duquel il devait assister. Une certaine instruction était naturellement indispensable pour remplir les fonctions de clerc. Tout au moins la connaissance des deux langues, latine et française, était-elle requise. Le clerc était un véritable pensionnaire de la ville. Il touchait des gages réguliers de 39 florins d’or du Rhin annuellement. Un sergent de la ville, probablement le plus instruit, lui servait de scribe[11].

Pour une foule d’emplois inférieurs, la ville avait à sa disposition un assez grand nombre de personnes : un messager, un trompette, des guetteurs, des portiers et des sergents ou varlets. L’indemnité allouée à ces divers employés n’était que d’une à deux livres annuellement[12]. Mais il ne faut pas oublier qu’ils n’étaient pas de véritables fonctionnaires. Logés dans les tours de la ville, les portiers et les guetteurs pouvaient s’y livrer à un métier. Quant aux sergents, malgré l’extrême modicité de leurs gages, ils se trouvaient, grâce à leur casuel, dans une situation assez rémunératrice : ils touchaient en effet un tiers des amendes des coupables arrêtés par eux. Annuellement, les serviteurs de la ville recevaient cinq aunes de drap ; aux grandes fêtes, ils banquetaient aux frais de la communauté. Dans leur vieillesse, ils recevaient un pain dans l’un ! des hôpitaux : c’était leur pension[13].

Finances. — À la différence des villes flamandes et allemandes, qui finirent généralement par acquérir les tonlieux seigneuriaux, ce genre d’impôt, à Dinant comme dans les autres villes liégeoises, n’a jamais cessé d’appartenir à l’évêque. Les finances de la ville étaient alimentées par un impôt de consommation levé primitivement, comme son nom l’indique, pour subvenir aux frais des fortifications : la fermeté (firmifirmitas)[14]. Cet impôt qui apparait au pays de Liège dès le xiiie siècle, présente une frappante analogie avec l’Ungelt des villes allemandes. C’est l’impôt de nouveau style, l’impôt proprement communal. Entre lui et le tonlieu, il y a la même différence de nature qu’entre les échevins et les jurés. Il apparait d’ailleurs en même temps que ceux-ci et Henri VII en défend la levée en même temps qu’il abolit les communiones[15]. Comme Sohm l’a récemment constaté pour l’ungelt[16], on peut affirmer que, dans le pays de Liège aussi, l’impôt communal s’est établi en dehors de la légalité. Il en résulte que la fermeté ne s’est pas introduite dans les villes sans contestations. Les interdits continuels qui furent fulminés contre Liège au cours du xiiie siècle, n’ont pas eu d’autre cause. À Dinant, dès 1213, les bourgois et le chapitre de Sainte-Marie ont des différends à propos de l’impôt[17]. Rien ne pût toutefois empêcher la fermeté de se répandre de plus eu plus. Pour la supprimer, il eût fallu supprimer la commune et revenir à l’administration seigneuriale. Les évêques furent maintes fois contraints, au xiiie siècle, d’autoriser les villes à la lever pour un certain nombre d’années[18]. Au xive siècle, elle devint permanente et ne dépendit plus de l’octroi seigneurial.

Perçue exclusivement, à l’origine, sur les venalia, c’est à dire sur les denrées alimentaires[19], la fermeté frappait, au xve siècle, des objets de différente sorte. Le vin, la larme (espèce de bière), les hoppe et keute (id.), le sel, les poissons, la toile, les chausses, les vies fraperies (friperie), les chevaux et les bois y étaient astreints[20]. Les recettes n’étaient pas directement perçues par la ville : on les affermait au plus offrant. La fermeté ne consistait pas en un droit d’entrée : ce n’était pas un octroi. Elle frappait non l’entrée en ville, mais la vente en ville. La bière par exemple, même brassée à Dinant, y était soumise. Il était interdit sous peine d’amende d’étaler ou de vendre des marchandises ou des denrées pour lesquelles elle n’aurait pas été acquittée au préalable. Des eswardeurs pris parmi les jurés veillaient à sa stricte observation. Ils scellaient les tonneaux après le payement des droits et percevaient les amendes encourues par les contrevenants[21].

La fermeté constituait par excellence l’impôt urbain[22]. Nul n’en était exempté dans la franchise : bourgeois, clerc, afforain[23]. Elle formait d’ailleurs, de beaucoup, la plus grosse part des revenus réguliers de la ville. Le seul compte communal complet antérieur à la destruction de Dinant nous montre que, sur une somme totale d’environ 1 073 livres de gros, la fermeté en fournissait 1 000.

Les autres revenus réguliers de la ville ne formaient donc, comparativement à la fermeté, qu’environ 1/15 des ressources de celle-ci. Ils étaient de nature fort diverse. Aux quatre portes principales de la ville était perçu un droit de chaussage. Le pontenage consistait, comme son nom l’indique, en un payage au passage du pont. La ville percevait une redevance sur la nef merchande qui faisait le service par la Meuse entre Dinant, Namur et Huy. Elle vendait à son profit les fonctions de courtier[24]. Elle affermait à des changeurs lombards la table marchande. Elle percevait des droits d’étalage dans la halle. Les droits d’entrée dans la bourgeoisie et les amendes alimentaient encore la caisse communale.

Mais ce n’étaient là que les revenus réguliers de la ville. Suffisants pour parer aux dépenses courantes, ils ne l’étaient plus, dès que l’on avait à faire face à des charges extraordinaires. Pesant exclusivement sur le commerce, ces impôts ne pouvaient en effet être augmentés sous peine d’entraver celui-ci. Aussi, chaque fois que l’on avait à se créer un supplément de ressources, fallait-il s’adresser à d’autres opérations. C’est à l’emprunt que l’on recourait alors, sous la forme de ventes de rentes soit viagères, soit hypothéquées sur les propriétés communales[25]. Après la bataille d’Othée (1408), les amendes qui frappèrent la ville et la rente de 1 000 florins d’or qu’elle s’obligea à payer au comte de Hainaut[26], la contraignirent à emprunter, en une seule fois, de cette façon 10 000 livres à Tournai. On n’avait d’ailleurs pas besoin en général de s’adresser à l’étranger. Les riches bourgeois achetaient des rentes à la ville, c’est à dire lui prêtaient de l’argent à intérêt. Au XVe siècle, il semble que tous les immeubles communaux aient été grevés de rentes que l’on pouvait à peine payer[27]. Jean de Stavelot raconte qu’en 1422, le peuple, dans une émeute, brûla les titres des créanciers de la ville[28].

Outre l’emprunt, la ville avait parfois aussi exceptionnellement recours à des tailles ou assises qui constituaient un impôt direct frappé sur la fortune des bourgeois : on décida, en 1490, que les tailles ne seraient perçues que sur les citoyens les plus aisés. Enfin, à certaines époques de détresse le conseil se livrait à de véritables opérations de commerce. En 1490, il acheta des chaudrons pour les revendre au profit de la ville. La même année, la ville décida de donner du travail à plusieurs familles qui, par pauvreté, étaient sur le point de quitter Dinant[29].

Dans une autre circonstance, c’est à des réquisitions sous forme d’emprunts forcés que l’on demanda l’argent nécessaire. En 1465, à la veille de la lutte décisive avec le duc de Bourgogne, la généralité décida que cent et cinq bourgeois, nominativement désignés, prêteraient à la ville des sommes variant entre un et quinze florins du Rhin, pour la mettre en état d’augmenter son artillerie.

Le crédit de la ville reposait essentiellement sur ses propriétés, puisque c’est sur elles que l’on établissait les hypothèques des rentes à payer[30]. De leur location, le conseil tirait en outré une source assez importante de revenus. Ces propriétés consistaient essentiellement dans ces warescapia extra aquam et in aqua que nous avons vu au pouvoir du comte de Namur puis à celui de l’évêque. Au xive siècle, les villes tentèrent partout de s’approprier ces terres, désignées alors sous le nom de werixhas (warissaulx etc.) ou aisemens (aisances), et malgré la résistance de l’évêque, elles finirent par les acquérir[31]. Au XVe siècle, nous voyons le conseil de Dinant en disposer souverainement, avec l’assentiment de la généralité. Les werixhas comprenaient les rues, chemins, places, murs, ponts et fossés de la ville et de la franchise : en un mot tous le sol placé en dehors de l’appropriation privée. Tout autres étaient les domaines que la ville possédait comme propriétaire des hôpitaux. Ceux-ci provenaient de legs et de donations : c’étaient des courtils, des prés, des fermes et des bouveries, dont plusieurs avaient une très grande valeur.

C’étaient, comme partout et toujours au moyen-âge, les dépenses militaires et particulièrement les travaux de fortification qui endettaient fatalement Dinant. En 1452, on avait contracté de ce chef des dettes pour plus de 10 000 florins, c’est à dire pour à peu près cinq fois autant que le produit annuel de la fermeté. Il semble d’ailleurs que l’on dépensait sans compter dès qu’il s’agissait d’affaires militaires. En 1458-59, sur les 1 095 livres de gros qui constituaient la somme totale des dépenses de la ville, 238 livres furent allouées aux arbalétriers qui se rendaient à un concours de tir à Malines.

La comptabilité était d’ailleurs trop rudimentaire pour que les dépenses n’excédassent pas forcément les recettes. Le produit annuel des impôts et des revenus de la ville était centralisé, au fur et à mesure de la perception, dans les mains d’un rentier[32]. Il était donc impossible aux maîtres et tiers de se faire une idée exacte de la situation financière. Suivant qu’il fallait obvier à quelque dépense, ceux-ci transmettaient au rentier l’ordre de payer. Il arrivait par là qu’en général, à la fin de l’année, le rentier avait déboursé beaucoup plus qu’il n’avait reçu et que la ville se trouvait endettée envers lui. En 1455, pour remédier à ces inconvénients, on décida que l’on n’endetterait plus la ville au delà de ses revenus et que s’il y avait déficit, on s’abtiendrait de dépenses nouvelles[33]. On établit un budget rudimentaire en fixant, à l’entrée en fonctions des maîtres, l’état des dettes et des ressources de la commune. On ordonna aux maîtres et tiers de prendre la mesure et de dresser les comptes des ouvrages ordonnés par eux, quinze jours avant leur sortie de charge « affin que, pour loinge durée des dis ouvrages, ne demeurent les dis contes à faire et rendre, ensi que par ci-devant ont fait ». L’effet salutaire de ces mesures ne tarda pas à se manifester. Les intérêts dûs par la ville, qui se montaient en 1455 à 2 714 francs, n’étaient plus que de 500 francs en 1458.

Le contrôle financier, depuis que la constitution avait cessé d’être purement aristocratique, était exercé directement par la bourgeoisie. À leur sortie de charge, le 1 octobre, les maîtres avaient à soumettre aux trois membres de la généralité, les comptes de leur gestion[34]. Depuis 1455, ils encouraient une amende de dix nobles d’or d’Angleterre s’ils n’étaient pas prêts à la date voulue. Toutefois, aucun texte ne prévoit le cas où les comptes ne seraient pas approuvés et ne fixe dans ce cas la responsabilité des maîtres. La généralité n’approuvait pas seulement les comptes de la ville : elle avait aussi à ratifier ceux des différents hospices qui lui étaient présentés de quinze en quinze jours à partir du 15 octobre.

Police urbaine. À Dinant, comme dans toutes les villes du moyen-âge, la surveillance du commerce constituait le principal objet de la police urbaine. Le commerce n’était pas plus libre dans la ville que l’industrie ne l’était dans les métiers. Des deux côtés, on constate le même esprit de protectionnisme, de contrôle minutieux, de réglementation à outrance. Le conseil était intéressé au bon renom commercial de la ville comme les chefs des métiers l’étaient au bon renom industriel de leur corporation. Aucun objet ne lui paraissait indigne de son attention en cette matière. Sa correspondance ressemble parfois à celle d’une grande maison de commerce. Des lettres comme celle du 22 décembre 1449 qui dénonce à Metz une marchande de hareng qui a vendu à Dinant, sous le nom de hareng d’Anvers, des poissons qui n’ont pas cette provenance, prouvent quel prix on attachait à la régularité des transactions et avec quel zèle on dévoilait les fraudes.

La destruction presque complète des archives de Dinant, lors du sac de 1466, ne nous permet pas de retracer avec quelque détail l’administration commerciale de la ville. Il ne nous reste que des indications fugitives dans un certain nombre de documents et dans ce qui nous est parvenu des comptes communaux.

Les métiers, en tant que corporations, étaient indépendants de toute ingérence du conseil. Ils nommaient librement leurs gouverneurs, leurs mambours, leurs jurés ; ils établissaient, comme ils l’entendaient, leurs statuts et réglements ; un métier pouvait même, sans avoir besoin d’aucune autorisation, s’en adjoindre un autre pour ne former avec lui qu’un seul corps[35]. Mais il en était autrement, en ce qui concernait la vente et la fabrication des marchandises. En cette matière, le conseil, en vertu de son droit de police, exerçait un contrôle rigoureux. Les jurés de l’année étaient revêtus des fonctions d’eswardeurs ou de rewards du commerce. Par groupes de trois ou quatre, ils étaient chargés de surveiller la vente d’une espèce déterminée de marchandises. Il y en avait ainsi pour la bière, la volaille, les bois, le pain, le hareng, les poissons, la viande et le blé. Ceux qui étaient préposés à la draperie portaient le nom particulier de bancqueteurs[36]. Quant au métier des batteurs, par suite de son importance exceptionnelle, il se trouvait dans une situation privilégiée. Il avait ses propres jugeurs, indépendants du conseil et élus, conformément à la charte de 1255, en partie par l’échevinage seigneurial et en partie par la corporation. Les eswardeurs rapportaient au conseil les amendes prononcées par eux.

Le produit de ces amendes était partagé en trois parties : un tiers en appartenait au seigneur, un tiers à la ville et un tiers était attribué, comme indemnité pour leurs peines, aux eswardeurs. Les valets de la ville avaient également le droit de mettre à l’amende les contrevenants aux règlements sur le commerce et prélevaient un denier sur dix de la somme payée par le coupable.

La bonne alimentation de la ville intéressait naturellement le conseil par dessus tout[37]. Il veillait à empêcher le renchérissement des vivres et, en cas de nécessité, fixait un maximum pour leur prix. Il était défendu de recouper, c’est à dire d’acheter, avant qu’elles eussent été exposées au marché, les denrées apportées en ville : cette mesure, en entravant le monopole des objets de consommation aux mains de quelques individus, s’opposait naturellement à l’augmentation artificielle de leur valeur. Pour favoriser autant que possible l’achat à de bonnes conditions par les bourgeois, on défendait aux marchands de se procurer des grains avant que ceux-ci ne s’en fussent d’abord pourvu. Les produits avariés ou de mauvaise qualité devaient être exposés à de certains endroits déterminés afin qu’il n’y eut pas matière à la fraude, etc.

En dehors de la police commerciale, qui formait une des plus importantes attributions du conseil, l’activité de celui-ci s’étendait aux objets les plus divers : entretien de la propreté et de la salubrité publiques, surveillance des immeubles communaux, réparation des ponts, murs et fossés, administration des hospices. Comme les chefs des métiers le faisaient dans leurs corporations, le conseil exerçait dans la ville un contrôle sévère sur les mœurs des bourgeois. Il interdisait l’établissement de maisons de prostitution, bannissait les femmes de mauvaise vie et celles dont l’adultère était notoire, mettait à l’amende les blasphémateurs. Le port d’armes était surtout soigneusement réglementé. Pour que personne ne fut censé ignorer les arrêtés toujours de plus en plus nombreux sur ces différents objets, le conseil les faisait crier du haut du perron. Les statuts les plus importants étaient même affichés, aux yeux du public, dans une des rues de la ville.

Milice. Les trois membres de la ville, conformément au principe qui dominait toute l’organisation de Dinant, prenaient part, dans la même proportion, aux expéditions militaires. Suivant les circonstances en effet, la population s’armait tout entière ou seulement par moitié, par tiers ou par quart. Chacun des trois membres se rangeait sous un panonceau. Le haut-voué avait ordinairement le commandement suprême de l’armée. Les bourgeois s’équipaient naturellement à leurs frais. Les plus riches d’entre eux servaient à cheval. Une compagnie de cinquante arbalétriers, mentionnée pour la première fois en 1449, était rétribuée par la ville et astreinte à des exercices réguliers[38]. Elle constituait la milice permanente de Dinant. L’armée communale ainsi formée avait plus de cohésion qu’on ne serait tenté de le croire tout d’abord. En 1408 elle prit part, pendant seize semaines, au siège de Maestricht avec les Hutois, les Liégeois et les villes lossaines[39].

La défensive avait pour la ville une importance bien plus grande que l’offensive. Située sur l’extrême frontière du pays de Liège, ennemie mortelle de Bouvignes, bâtie en face d’elle sur l’autre rive de la Meuse, elle était toujours, en temps de guerre, directement exposée aux premières attaques des Namurois. Sa position devint surtout critique quand, en 1429, le comté de Namur eut été acquis par la puissante maison de Bourgogne. Dinant ne cessa plus, dès lors, d’augmenter toujours la puissance de ses murailles[40]. Elle ne se fiait qu’à la force de ses remparts pour protéger ses trésors et son industrie. Après la défaite des Liégeois à Othée par le duc de Bourgogne en 1408, les commissaires chargés par celui-ci de faire abattre, conformément à la paix, les murs de Dinant, lui écrivirent que « si l’on abatoit les fortifications de la ville, les gens, en especial les plus riches, s’en partiroient et feroit fort d’avoir l’argent qui est imposé sur icelle ville. »

De l’avis unanime des contemporains, les fortifications de Dinant au xve siècle étaient d’une puissance remarquable. Elles se composaient d’une enceinte flanquée de tours, longeant la Meuse et escaladant les rochers énormes auxquels la ville est adossée. Au point culminant de ceux-ci, se trouvait le château toujours pourvu de guetteurs. De l’autre côté du fleuve, le faubourg de Saint-Médard était également fortifié et pourvu d’ouvrages avancés. Le pont qui le reliait à la ville était coupé par un pont levis et défendu par une tour centrale[41].

Au xve siècle, on construisit, au nord de la ville, la tour de Montorgeuil d’où les couleuvrines dinantaises pouvaient tirer continuellement dans Bouvignes. Les habitants de celle-ci vivaient littéralement sous le canon de l’ennemi. Sur la rive gauche de la Meuse, les fortifications des deux rivales se touchaient presque : elles n’étaient distantes que d’un trait d’arc. Chacune semblait, en quelque sorte, faire d’une manière permanente le siège de l’autre[42].

Les tours étaient garnies d’un certain nombre de bombardes, de bâtons à feu et d’armes de toute sorte. Ce matériel de guerre appartenait en partie à la ville, en partie à de riches bourgeois et aux métiers[43]. Des bombardiers étaient loués par le conseil pour l’entretien de l’artillerie et la fabrication de la poudre. En 1466, à la veille du siège par Charles le téméraire, on alla jusqu’à donner à l’un d’eux, pour le retenir, la somme énorme de 500 florins. Tous les soirs, pour maintenir l’ordre et prévenir les attaques nocturnes, un certain nombre de bourgeois, commandés par deux jurés, faisaient le guet dans les rues et aux différentes portes[44].

B. Juridiction.

La juridiction du conseil à Dinant laisse surprendre sur le vif la différence essentielle entre les villes liégeoises et les villes flamandes. Dans ces dernières, l’échevinage, avec son caractère mixte, à la fois seigneurial et communal, est tout ensemble le conseil et le tribunal de la ville. Il est présidé par l’officier du comte et en dehors de la coutume urbaine, de la Keure, suivant laquelle il juge, il n’existe pas d’autre droit. Dans le pays de Liège, au contraire, les échevins, comme on l’a vu, ont conservé un caractère strictement seigneurial : ils constituent la justice de l’évêque. Tous sont nommés par lui, tous lui prêtent serment. À Liège, à Huy et à Saint-Trond, comme à Dinant, la situation est la même. Les échevins, extérieurs en quelque sorte à la ville, ne jugent pas suivant une coutume urbaine. Le droit qu’ils appliquent est le droit de Liège, lentement transformé, à partir du commencement du xive siècle, par l’action des États[45].

Comparée avec cette juridiction scabinale, la juridiction du conseil se présente avec une nature toute différente.

Elle constitue une juridiction communale, indépendante. Organe de la commune, le conseil juge au nom de la commune. Il est présidé par ses maîtres, non par le maire épiscopal. Le droit suivant lequel il juge n’est pas un droit territorial, mais essentiellement un droit urbain. C’est en quelque sorte un droit extra-légal, comme la fermeté, en face du tonlieu, est un impôt extra-légal. Comme elle a ses finances, la commune a son droit, droit d’exception, droit de circonstance, continuellement renouvelé, complété, enrichi par la législation autonome de la ville, comme le droit territorial l’est, de son côté, par la législation des États. Au xve siècle, la langue juridique liégeoise reconnaît nettement la situation : la juridiction de la loi est celle des échevins, la juridiction de la franchise ou des statuts est celle des maîtres et des jurés.

L’origine de la juridiction du conseil n’est pas difficile à saisir[46]. Elle remonte incontestablement aux institutions de paix, contemporaines de la première apparition des jurés et des communiones[47] ; elle doit dater de la même époque que la fermeté. Mais, comme celle-ci, elle ne s’est pas fixée, elle n’a pas été reconnue par le seigneur sans contestations. Elle a dû être tolérée et abolie, suivant que la commune était tolérée ou abolie. À la fin du xiiie siècle, elle n’appartenait pas encore exclusivement aux jurés. Ceux-ci la partageaient avec les échevins, sous la présidence du maire[48].

C’est pendant les luttes constitutionnelles du xive siècle qu’elle a dû prendre son organisation définitive. En même temps qu’il auront été expulsés du conseil, les échevins et le maire auront perdu le droit de participer à la juridiction communale et, dès lors, le droit de juger les cas de paix brisées a appartenu au conseil[49].

La compétence du conseil, en tant que juge des paix brisées, est une compétence pénale mais non une compétence criminelle. La commune n’a pas réussi à conquérir la haute justice : celle-ci est restée au tribunal seigneurial. « Ly maistrez ne conseaz delle citeit ne des aultres bonnes villes, dit en 1386 la modération de la loi nouvelle, n’ont à cognoistre ne à jugier de nul cas criminelz ne de choise nulle qui touche alle loy de pays ne qui touche alle justiche spiritueil, ains en doyent laissier covenir les cours et justiches auz quels ilh en appartint et qui, pour le droit et le loy à wardeir, sont institueis : excepteit et reserveit à leurs borgois leurs status, frankiez et liberteis d’antiquiteit useez[50]. » Deux siècles plus tard, en 1551, les maîtres et jurés de Dinant reconnaissaient que « quand aux cas criminelz, ne prendent la cognoissance, ains les renvoyent à la justice de sadite Grâce Réverendissime[51]. » Les registres aux amendes permettent de se faire une idée très nette des paix brisées que jugeait le conseil[52]. Ce sont des délits de peu d’importance : des injures, des menaces, des coups et blessures, des cas de violation de domicile, etc.

Outre cette juridiction de paix, primitive et fort ancienne, le conseil exerçait une juridiction de police proprement dite. L’étendue de celle-ci était déterminée par l’étendue de la législation communale.

Au droit de la ville d’établir des statuts dans sa franchise, correspondait le droit d’en juger souverainement les contrevenants. En matière de statuts, la juridiction du conseil était plus indépendante qu’en matière de paix brisées. La juridiction de paix du conseil n’est en effet, en dernière analyse, qu’une usurpation de la ville sur le droit souverain de l’évêque. À Liège, l’échevinage la partageait avec les maîtres et les jurés : on pouvait se plaindre indifféremment à la loi ou aux statuts[53]. Si rien ne prouve qu’il en ait été de même à Dinant, au xve siècle, la moitié des amendes des paix brisées, qui y revenait à l’évêque, montre toutefois très clairement que celui-ci n’y avait pas non plus été complètement dépouillé de son droit. Pour juger les contraventions aux statuts, au contraire, la ville seule était souverainement compétente. La constitution de 1348 le reconnaît implicitement en décidant que « nuls, por les choses advenues jusques aujourd’huy, ne dient lay ne reprove à cuy que ce soit, sur le paine que mise y serat par le conseil de novel siege qui serat d’or en avant ordiné et mis en ledite ville de Dinant ».

La juridiction des statuts, conformément à son origine, était essentiellement une juridiction de police urbaine.

Le port d’armes dans la ville, le tapage nocturne, le blasphème, les mauvaises mœurs, les injures, la rébellion contre un sergent et, en général, toute désobéissance à un membre du conseil, toute contravention à un règlement urbain, en étaient relevants[54].

Le pouvoir législatif appartenant à l’assemblée de la généralité de la ville, il s’en suivait que celle-ci avait seule le droit de faire grâce aux coupables des peines encourues par eux. Ces peines étaient d’ailleurs différentes, suivant que le condamné était ou n’était pas bourgeois : dans ce dernier cas, en effet, elles étaient portées au double. Personne, dans la ville, n’était soustrait à la juridiction des statuts. En 1399, on défendit, sous peine d’amende, d’acquérir la bourgeoisie à Liège ou ailleurs « pour grever aux bourgeois de Dinant ». De même, on voit, à différentes reprises, le conseil protester contre l’ingérence de l’official dans sa juridiction.

Le conseil tenait, en général, une séance de justice par mois, le lundi ou le jeudi, dans la tour sur le pont. Il était présidé par un maître de la ville ou par un lieutenant nommé par lui. Le maître y remplissait les mêmes fonctions que le maire dans le tribunal des échevins : il semonçait le conseil et hors-portait les jugements. Quelques jurés seulement suffisaient pour que l’assemblée fut en nombre[55]. Les séances de justice, jusqu’en 1540, furent publiques.

Les registres aux amendes mentionnent, à chaque séance de justice du conseil, des amendes rapportées et des amendes jugées. Les premières étaient celles auxquelles étaient condamnés, au rapport des valets de la ville et des eswardeurs, les contrevenants aux règlements de police sur la vente des vivres. Les secondes, comme leur nom l’indique, étaient prononcées par le conseil contre les coupables cités devant lui. Le taux des amendes jugées était très variable. Il y en a depuis dix livres jusqu’à cinq sous et il est impossible de découvrir un principe qui explique ces divergences. Peut-être provenaient-elles de ce que les statuts appliqués dataient d’époques différentes. Le non payement de l’amende entraînait, ipso facto, la perte de la bourgeoisie (aubaineté) et le bannissement jusqu’à satisfaction[56].

Le banni déclaré aubain devait immédiatement quitter la ville. Il était défendu sous des peines très sévères de lui porter aide ou de l’héberger. S’il était trouvé dans la franchise il pouvait être immédiatement arrêté et mis en prison[57].

Le bannissement par suite du défaut d’acquittement de l’amende, n’était, en somme, qu’une procédure d’exécution. Mais on le trouve aussi très souvent soit comme peine unique, soit comme peine accessoire. Ce n’est que lorsqu’il était perpétuel, c’est-à-dire de cent ans et un jour, que le bannissement était employé seul : dans ce cas, il constituait un véritable exil. On en frappait les gens de mauvaise falme dont la ville se débarrassait par ce moyen bien qu’ils n’eussent commis aucun délit déterminé. Comparée à la tolérance de nos grandes villes à prolétariat, cette sévérité excessive caractérise bien le génie essentiellement corporatif des constitutions urbaines du moyen-âge. Ce que les métiers faisaient en petit pour leurs membres, la ville le faisait en grand pour ses bourgeois[58].

Beaucoup plus fréquent que le bannissement perpétuel, est le bannissement pour une ou plusieurs années, accompagné d’une peine pécuniaire. À la différence du premier, celui-ci était toujours rachetable, moyennant trente heaumes pour une année et dix heaumes pour toutes les années de surplus. Le rachat se faisait non au profit de la ville, mais au profit de l’évêque. Le bannissement constituait, en effet, une des prérogatives de la haute justice. Aussi, si le conseil pouvait le prononcer, il ne pouvait procéder à son exécution. Celle-ci était l’affaire du maire et des échevins qui promulguaient la sentence du haut du perron, à cloche sonnante. La ville ne touchant rien sur les bannissements, il est naturel qu’ils aient été accompagnés d’une amende. Cette amende était de 40 livres pour les bannissements de 10 ans, de 8 ou de 10 livres pour les bannissements d’un an. Conformément à ce qui a été observé à propos des paix brisées, elle se partageait par moitié entre la ville et le seigneur.

Outre le bannissement et les amendes, le droit statutaire de Dinant, comme celui de Liège et de la plupart des villes des Pays-Bas, édictait encore comme peine les voyages pénitentiaires[59]. Ils étaient prononcés soit au profit de l’évêque, soit au profit de la ville soit, le plus souvent, au profit de la partie lésée. En règle générale, ces voyages étaient rachetables suivant un tarif[60]. Si le rachat n’avait pas été exécuté dans le délai fixé par les statuts, c’est à dire soit avant le soleil couchant, soit dans les trois jours, soit dans les quarante jours, soit dans les six mois, le coupable devait se mettre en route alle peine du corps et ne pouvait revenir sans un certificat constatant qu’il avait accompli son pèlerinage[61]. Les endroits auxquels on était envoyé sont les sanctuaires de Saint-Maur des fossés, de Vendôme, de Rocamadour, de Saint-Jacques de Compostelle, ou des églises célèbres des Pays-Bas comme Saint-Servais de Maestricht.

Le droit statutaire de Dinant, dont il ne nous reste malheureusement qu’un fragment antérieur à 1466, n’a pas dû différer sensiblement de celui de Liège. Les paix et règlements faits pour la cité semblent, pour la plupart, avoir été adoptés par notre ville. Le règlement des bâtons, donné à Liège en 1422, fut, par exemple, introduit à Dinant au plus tard dès 1455[62]. D’autre part, la ville conservait dans un registre aux paix, non seulement les lois territoriales faites pour le pays, mais aussi un grand nombre de celles qui n’intéressaient que la capitale. Nous savons d’ailleurs, que le conseil de Liège était considéré comme l’arbitre suprême en matière de franchises[63]. Toutefois, certaines particularités du droit urbain de Dinant n’existent pas, à ma connaissance, dans le droit urbain de Liège. Telle était, entre autres, la condamnation à porter des pierres, peine qui se rencontre fréquemment dans les coutumes luxembourgeoises et qui permet de supposer une certaine influence de celles-ci sur les statuts dinantais.

La juridiction du conseil n’était pas seulement pénale : elle s’étendait aussi à certaines affaires civiles ou commerciales. Toutefois, cette juridiction était, en quelque sorte, de nature privée. Comme de récents travaux l’ont constaté pour d’autres villes, elle a son origine dans l’habitude de recourir, pour des contestations peu importantes, à l’arbitrage du conseil, qui épargnait aux parties les frais et les lenteurs de la procédure scabinale[64]. Les efforts tentés par les villes liégeoises, au cours du xive siècle, pour enlever aux échevins leur juridiction civile ont échoué, comme ont échoué les tentatives pour leur enlever leur juridiction criminelle. En 1403, la paix de Tongres décida[65] que d’ors en avant lidis maistres cesseront et plus ne soufferont à plaidyer par devant eauz ne par devant les jureis, conseilh et universiteit de ladicte citeit, de nuls cas tochans les hiretaiges, testamens, covenanchez de mariages et bins de sainte egliese, et de executions et d’aultres cas tochans auz drois ou alle loy spirituelle ou temporele, anchois en renvoient les partyez plaidyer par devant les juges ordinaires, soit à droit ou alle loy, qui de ce doient avoir cognissance ; mais d’aultres cas tochanz les statuts, franchieses et liberteis de la dicte citeit, et ainsi de deptez et d’aultres marchandises, nient tochans auz aultres cas devant escrips, poront li dis maistres souffrir de plaidier devant eauz leurs borgois qui plaidier y volront… et semblament, que les borgois qui plaidyer volront de debte, de covens ou de marchandieses, puissent plaider de ce par devant l’official ou le mayeur et les esquevins ou les maistres de Liège, li queil qui miez leur plairat.

La juridiction civile du conseil de Dinant, telle que nous pouvons nous en faire une idée par les registres aux amendes, répond absolument à ces stipulations. Elle est avant tout arbitrale et facultative : nul ne peut être astreint à plaider devant elle ; le tribunal ordinaire en matière civile reste celui des échevins. Mais la situation de fait ne répond pas à la situation de droit. En réalité, les échevins n’ont plus connu, au xve siècle, que des affaires immobilières : quant au paragraphe de la paix de Tongres qui laisse aux parties l’option en matière de dettes, de conventions et de marchandises entre le tribunal de la loi et celui des statuts, il est resté à peu près lettre morte. L’immense majorité de ces affaires était portée devant le conseil où la procédure était plus expéditive et à meilleur marché. Les archives de Dinant contiennent des centaines d’exemples de contrats de vente ou de louage, de reconnaissances de dettes, de conventions de marchandises, de prêts et d’emprunts effectués devant les maîtres et les jurés. En général, les parties stipulaient une mise qui était due au conseil par celle d’entre elles qui aurait rompu son contrat. S’il y avait contestation, la partie succombante avait à payer les adjours et était, en outre, frappée d’une amende de 20 à 25 sous. Quant à l’objet même du litige, il était recouvrable par la procédure habituelle d’exécution, c’est-à-dire par le bannissement. Les parties renonçaient d’ailleurs habituellement, lors de la conclusion des contrats devant le conseil, « à toutes franchises, libertés, clergies, bourgesies, fiefs, hommages, cession et à tout ce généralement qui aidier ou valoir leur poroient contre la prescrite obligacion ».

Comme on le voit par ce qui précède, la juridiction civile du conseil présente absolument le même caractère que sa juridiction pénale. L’une et l’autre se sont formées en dehors de la loi, en opposition avec les droits du prince. Elles sont le résultat de l’autonomie communale en matière judiciaire, absolument comme la fermeté l’est en matière financière. Il nous reste maintenant, après avoir constaté ces conquêtes de la ville sur le seigneur, à voir quels sont les droits qu’a conservés celui-ci au XVe siècle.

C. Droits de l’évêque dans la ville.

En sa qualité de seigneur de la ville, chaque évêque de Liège, après sa nomination, avait à faire solennellement à Dinant sa joyeuse entrée. Il recevait le serment de fidélité des bourgeois, auxquels il jurait, de son côté, de respecter et de maintenir leurs libertés et privilèges[66].

Les droits seigneuriaux de l’évêque comprenaient le domaine et la juridiction, tous deux fortement réduits au xve siècle, l’un par la perte des werixhas, l’autre par la juridiction du conseil.

Le domaine épiscopal ou, comme on disait aussi, la table épiscopale, comprenait tout d’abord, à l’origine, la moitié des revenus de la grande halle bâtie en 1263[67]. Nous ne savons s’il en était encore ainsi au xve siècle. En tous cas, les profits que l’évêque tirait, à cette époque, du commerce urbain étaient assez importants[68]. Il percevait un tiers des amendes rapportées au conseil par les eswardeurs, et un tiers du produit de la vente des courtages. En outre, depuis 1255, il intervenait, par le maire et les échevins, dans la nomination des mayeurs de la batterie et touchait également, de ce chef, une partie des amendes prononcées par ceux-ci. Il en était de même pour celles que prononçaient les bancqueteurs, c’est à dire les rewards des drapiers[69].

Le tonlieu, dont nous avons constaté l’existence au xie et au xiie siècle, fournissait à l’évêque des revenus de toute autre nature. Ici, la ville n’empiéta jamais sur le seigneur : le tonlieu est resté jusqu’au xvie siècle l’impôt essentiellement domanial. Nous n’avons malheureusement presqu’aucun renseignement sur la manière dont il était perçu. Tout ce que l’on peut affirmer, c’est qu’il contrastait complètement avec l’impôt communal de la fermeté. En face d’elle, il représente encore, au xvie siècle, l’antique theloneum de l’époque féodale. Il était prélevé soit à l’entrée, soit à la sortie de la ville sur toutes les marchandises, à l’exception de celles qui appartenaient à des bourgeois ou à des habitants de certaines localités privilégiées[70]. Il consistait en une taxe fixe, invariable quelle que fût la nature des marchandises. Jusqu’au bout, le tonlieu est resté ce qu’il était au xie siècle. De même que le comte de Namur avait alors droit à une branche de chaque fagot, à deux deniers par charge de sel, à une poignée de chaque mesure de graines, de même l’évêque, au xvie siècle, avait droit à un aidan pour chaque tonne de vin ou de harengs et à un denier sur soixante, pour tous les autres objets. À cinq cents ans d’intervalle, le principe est identique : ni la valeur, ni la qualité, ni la provenance des produits ne sont prises en considération. Les fromages, les graines, les épices, les cuirs, les toiles, les métaux, les draps, les bestiaux « et autres marchandises quelconques » sont astreintes à la même prestation immuable fixée par la tradition.

Outre le tonlieu, l’évêque possédait encore, comme jadis le comte de Namur, un droit de winage sur les bâteaux. Une enquête faite en 1518 constate que le maire exigeait de chaque barque passant sous le pont de Dinant un quart d’aidan « voire que quant les mariniers n’avoient point d’argent, ils jettoient une were (?) à terre pour le payement dudit winage. »

Au xive et au xve siècle, est mentionné un droit d’afforage seigneurial sur les boissons qui semble avoir été soit donné en fief, soit affermé. L’antiquité de son origine est attestée par ce fait qu’il se percevait en nature[71]. Pour la levée de ces droits, l’évêque avait dans la ville un chairier ou receveur.

Il faut ajouter à ces différents droits domaniaux du prince, la propriété du moulin de l’île, que les Dinantais auraient été forcés de construire (au xiiie siècle ?) par suite d’une sentence épiscopale[72], et celle de la table des Lombards, ou comptoir de change.

On peut encore considérer comme rentrant dans le domaine, les revenus que l’évêque tirait de la juridiction. Toutes les amendes prononcées par les échevins lui appartenaient et, comme on l’a déjà vu, il percevait une partie de celles qu’appliquait le conseil.

Ce qui a été dit plus haut de la juridiction épiscopale dispense d’en parler longuement ici. Telle elle était au xiiie siècle , telle dans ses traits principaux, elle est restée au xve. Son organe est l’échevinage ou haute justice de Dinant, tribunal à la fois seigneurial et territorial. Les sept membres qui le composent sont nommés à vie par le prince auquel ils prêtent serment. Leur compétence comprend essentiellement, d’une part, la haute justice et les affaires immobilières, de l’autre, tous les procès intéressant le domaine. Quant aux paix brisées et aux petites affaires civiles, on a vu que la connaissance leur en a été, en fait, enlevée par le conseil. Entre les deux tribunaux de la ville, les conflits ne doivent pas avoir été fort fréquents depuis la fin du xive siècle. Par suite de son caractère territorial, l’échevinage était soigneusement réglementé par la loi du pays et d’ailleurs, depuis 1373, le tribunal des XXII, institué pour surveiller la conduite des officiers épiscopaux, offrait contre lui un recours excellent. Néanmoins les difficultés ne pouvaient pas toujours être évitées. En 1441, nous voyons le conseil, en vertu d’un ordre de la généralité, bannir le maire et les échevins pour cinq sous et les condamner à fournir à un bourgeois un record qu’il leur a demandé, ainsi qu’à l’indemniser des frais qu’il a dû supporter en plaidant contre eux[73]. Le procédé de la ville, en agissant ainsi, était, en droit strict, évidemment illégal. En théorie, elle n’avait pas plus d’action sur l’échevinage que celui-ci n’en avait sur elle. Les conflits qui pouvaient s’élever entre ces pouvoirs si différents devaient être portés devant les États du pays. Le conseil, d’ailleurs, sait à l’occasion reconnaître l’indépendance complète de la justice seigneuriale. En 1450, les maîtres de Dinant écrivent au bailli de Namur, qui les a invités à remettre en liberté un bourgeois de cette ville, que l’arrestation, ayant été faite par le maire de l’évêque, il ne peuvent se mêler de cette affaire. L’année suivante, le conseil proteste qu’il n’est absolument pour rien dans une sentence de l’échevinage rendue contre les batteurs de Bouvignes.

Pas plus que les membres du conseil, les échevins n’avaient de traitement. Mais les frais de justice auxquels ils avaient droit et qui formaient leur salaire étaient très considérables. La loi du pays réglait soigneusement ce qu’ils devaient réclamer pour leur sceau, pour une mise en garde de loi, pour une rencharge, etc.

Le maire, appelé plus fréquemment mayeur, à partir du xve siècle, était à la fois l’officier de justice et le représentant de l’évêque dans la ville. Il était pris habituellement parmi la petite noblesse ou dans une des familles les plus considérables de la bourgeoisie. Du fait même de ses fonctions, il siégeait avec les nobles aux États du pays. Depuis le milieu du xve siècle, il y eut habituellement deux mayeurs à la fois dans la ville : le souverain mayeur, bailli du Condroz, et le mayeur de Dinant. Le premier était une sorte de gouverneur provincial dont le caractère n’avait rien de proprement urbain ; le second, le seul dont nous ayons à nous occuper ici, était le descendant direct de l’ancien villicus du xie siècle.

En sa qualité d’officier de haute justice, le mayeur avait à semoncer le tribunal des échevins. L’exécution de toutes les sentences montant à honneur d’homme lui appartenait : aussi le conseil, comme on l’a vu, ne pouvait-il prononcer de bannissements sans sa présence. La prison épiscopale, distincte de celle de la ville, était confiée à sa garde.

En dehors de ses attributions judiciaires, le mayeur était un véritable commissaire du prince à Dinant. Il correspondait avec l’évêque, faisait connaître ses ordres à la ville et veillait à leur exécution. Pour éviter des abus de pouvoir de sa part, on lui faisait jurer, lors de son entrée en charge, de respecter les franchises urbaines, de même que l’on faisait jurer aux maîtres de respecter les droitures du seigneur.

Le domaine épiscopal était placé sous la haute surveillance du mayeur qui en centralisait les revenus et devait acquitter les dépenses qu’entraînait la perception de ceux-ci. Chaque année, le rentier avait à lui présenter le compte de ce qui appartenait au prince sur les revenus de la commune, et de ce qu’il devait, en retour payer, à celle-ci. L’évêque intervenait en effet aux dépenses de la ville dans la même proportion où il en partageait les bénéfices. Suivant qu’il touchait le tiers ou la moitié de certaines amendes et de certains droits, il devait le tiers ou la moitié de l’indemnité accordée au clerc, au crieur, aux sergents, pour les écritures et les formalités nécessaires à la perception de ces amendes et de ces droits. Le dixième denier alloué aux sergents pour leur salaire, sur le montant des condamnations, était prélevé aussi bien sur la part de l’évêque que sur celle de la ville. En outre, conformément à la distinction complète des magistratures seigneuriales et des magistratures communales, le prince devait rembourser les frais de justice payés aux mayeur et échevins lors des bannissements, ainsi que la valeur des paires de gants que le conseil leur donnait chaque année.

D. Rapports de la ville avec les États.

L’analogie frappante que l’on constate entre les institutions des différentes villes liégeoises, la formation rapide d’un droit territorial propre à tout le pays de Liège, s’expliquent par une constitution d’États qui apparaît de meilleure heure et exerce une bien plus grande influence dans cette principauté que dans les autres provinces des Pays-Bas. Réduit à la possession du domaine et de la haute justice, l’évêque, depuis la fin du xiiie siècle, partage la législation avec les trois ordres de la noblesse, du clergé et des villes. De même que le pouvoir de ses officiers est restreint, dans les villes, par l’action de l’autonomie communale, de même son propre pouvoir est restreint, dans la principauté, par l’action des États, par le sens du pays.

On n’a pas naturellement à s’occuper ici de la formation des États liégeois[74]. On voudrait seulement montrer comment, au moyen-âge, Dinant y intervenait.

La participation des villes aux États est due essentiellement aux ligues qu’elles ne cessèrent de former depuis 1230 jusqu’en 1466[75]. Dans ces ligues, trois d’entre elles avaient une situation privilégiée, étaient les chefs de la confédération : la cité de Liège, Huy et Dinant. Ces trois villes, comme nous aurons à le montrer, partageaient presque tout le pays entre les trois châtelleries dont elles étaient les maîtresses ; dans tous les actes publics, leurs noms étaient cités en première ligne ; elles jouissaient enfin, dès le xive siècle, de prérogatives particulières[76]. En 1324, la lettre des XX décide que leurs maîtres participeront à toutes les enquêtes seigneuriales qui montent à honneur d’homme[77]. Plus tard, en 1373, quand le tribunal des XXII est institué, Liège nomme quatre de ses membres, Huy et Dinant chacune deux, tandis que les autres villes n’ont droit qu’à en fournir un seul[78].

Les archives de Dinant nous ont conservé quelques renseignements intéressants sur la participation de la ville aux États au xve siècle.

Il y avait, à cette époque, au moins une assemblée d’États annuellement. La date en était variable, quant au lieu de réunion, c’était presque toujours Liège. La convocation était adressée aux maîtres par l’évêque une quinzaine de jours avant l’assemblée[79]. Elle les engageait à envoyer des députés et leur faisait connaître sommairement l’ordre du jour. Aussitôt le reçu de la lettre épiscopale, les maîtres avaient à convoquer la généralité de la ville. L’objet de la réunion lui était soumis et une sieulte faisait connaître quelle était, à ce sujet, la volonté de la bourgeoisie. Le mandat des députés aux États était donc absolument impératif. Ils n’avaient aucune initiative personnelle : leur rôle se bornait à porter la parole au nom de leurs commettants. Leur pouvoir était si strictement limité que, si l’on avait à prendre quelque résolution imprévue, ils devaient venir demander de nouvelles instructions à la généralité.

Le nombre des députés envoyés aux États était variable. Les maîtres de la ville et les anciens maîtres semblent avoir eu le droit de faire partie de cette assemblée. En outre, il arrivait que la ville chargeât spécialement certaines personnes de la représenter.

Il semblerait, à première vue, que Dinant ait dû soigneusement se faire représenter à toutes les réunions des États. Il n’en est rien. On peut dire que l’envoi de délégués par la ville était l’exception. Presque toujours le conseil se faisait excuser, en alléguant soit l’arrivée trop tardive de la convocation qui n’avait pas permis de réunir la généralité, soit la nécessité de la présence des maîtres, etc.[80]. Il ne faudrait pas voir cependant dans cette attitude une marque d’indifférence. Le mandat impératif rendait en effet presque toujours inutile la participation de députés à l’assemblée. Il suffisait au conseil d’envoyer à l’évêque une lettre lui faisant connaître la résolution prise par la ville. Le messager porteur de la lettre devait assister à l’assemblée des États et faire rapport à la bourgeoisie. Lorsque les objets soumis aux délibérations n’intéressaient pas les affaires de la ville, celle-ci déclarait d’ailleurs, à l’avance, accepter la résolution prise par les trois ordres.

Il en était autrement dans le cas où ses intérêts étaient directement en jeu. Elle invoquait alors ses coutumes particulières, le tort que pourraient lui causer les mesures proposées, l’impossibilité pour elle de les appliquer. On peut conclure de là que les résolutions des États n’étaient pas toujours strictement obligatoires. L’autonomie communale était pour elles une barrière, comme elle l’était pour les droits souverains du prince. Ce n’est qu’à partir du xvie siècle que l’indépendance urbaine commença à céder sous l’action commune des deux pouvoirs territoriaux : les États et l’évêque.

Il serait intéressant de savoir comment les mesures prises par les États étaient exécutées à Dinant. On n’a malheureusement trouvé là dessus aucun détail. Il est certain toutefois que ce n’étaient pas les maîtres qui avaient à les appliquer. Représentants de la commune, ils eussent été manifestement, pour le pouvoir central, de détestables instruments. Celui-ci s’adressait plutôt, semble-t-il, au mayeur et à des commis spéciaux nommés par l’évêque.

E. La Franchise et la Châtellerie.

Au dehors des murailles, l’autorité du conseil de Dinant s’exerçait sur deux territoires de nature et d’étendue fort différentes : la franchise et la châtellerie.

La franchise porte également les noms de banlieue ou de juridiction de Dinant. Nous avons déjà vu qu’elle se composait de deux parties d’origine distincte, l’une sur la rive droite de la Meuse, provenant de la centène du xie siècle, l’autre sur la rive gauche, usurpée sur le Namurois. Le fleuve qui la traversait relevait exclusivement, au début, de la juridiction du comte de Namur. Le maire épiscopal n’y pouvait saisir ni biens, ni coupables[81]. Mais la ville ne tarda pas à s’emparer, là aussi, de droits dont l’exercice, laissé à un prince voisin, devait la gêner considérablement. C’était chose faite à la fin du xiiie siècle. L’évêque de Liège profita, en dernière analyse, de ces empiètements de la commune qui étendirent d’autant le pouvoir de ses officiers[82]. Ce fut pour lui un dédommagement de tant de prérogatives qu’il avait dû céder au conseil.

La franchise de Dinant était fort peu étendue. Elle n’avait, le long de la Meuse, qu’une demi lieue en longueur et sa largeur n’était pas beaucoup plus considérable[83]. Des bornes en marquaient les limites, ainsi que quelques grands arbres. Les échevins et les maîtres procédaient parfois à un cirquemenage pour s’assurer que les frontières n’en avaient pas été modifiées. Le régime auquel était soumise la franchise ne différait en rien de celui de la ville. Tous les privilèges des bourgeois, tous les règlements urbains s’étendaient à l’une comme à l’autre : ville et franchise constituaient une unité administrative et juridique. L’abbaye de Leffe et quelques petits fiefs namurois dépendant des châteaux de Poilvache et de Château-Thierry qui y étaient enclavés, n’y jouissaient pas néanmoins d’une situation différente de celle du reste du territoire. En un mot, la ville avec sa franchise formait ce que notre langue administrative d’aujourd’hui appelle la commune de Dinant[84].

De tout autre nature était la châtellerie[85]. Celle-ci ne forme ni un territoire juridique, ni un territoire urbain. Elle ne se rattache à aucune circonscription antérieure et n’apparaît qu’au xve siècle. Son étendue était très considérable : elle comprenait à peu près toute la partie méridionale de la principauté de Liège. Les villages de Laneffe, de Boussu, de Hansine, de Braibant, de Surice, de Baronville, de Florines, de Villenfagne, d’Agimont, de Ham sur Heure, de Sautour, de La Neuville, de Rotiers, de Villers le Gombo et d’autres encore en faisaient partie. Il en était de même des villes de Ciney et de Givet, du ban de Havelange, de la seigneurie de Beauraing, de la prévôté de Revogne et de la châtellerie de Rochefort.

Ainsi constituée, la châtellerie de Dinant, comme celle de Gand à la même époque, formait une sorte de grande avouerie placée sous la protection de la ville[86]. Son seul chef en effet était le conseil. Elle s’est établie en dehors de toute intervention épiscopale. C’est selon toute apparence lors des longues guerres du pays de Liège contre le comté de Namur, pendant la première moitié du xve siècle, qu’elle aura reçu son organisation définitive. Son but semble en effet, avant tout, avoir été essentiellement militaire. Tous ses surcéants ressortissaient sous la bannière de Dinant. Ils avaient à défendre la ville en cas de siège. Ils en recevaient des ordres sur les mesures à prendre pour la défense du pays, sur la manière dont devaient être conduites les hostilités etc.

Dans tout le territoire de la châtellerie, les bourgeois de Dinant jouissaient du privilège de ne pouvoir être arrêtés, ni eux, ni leurs biens, s’ils offraient de comparaître devant les juges de la ville. En revanche, celle-ci devait à ses surséants aide et protection. Elle veillait à leur sûreté et faisait respecter leurs libertés et franchises. Elle conservait copie de leur coutumes et c’est à elle que l’on avait recours lorsque celles-ci étaient violées. Le conseil prenait aussitôt fait et cause pour ses sujets. Il écrivait au coupable d’avoir à s’en remettre à sa justice « affin que en vostre defaulte ne nous soit point besoingne le plus avant remonstrer sour la generaliteit de ceste ville, dont aucune chaleur soy poroit esmouroir. »



  1. Cartul. II, n. 91 donne un exemple du peu de liberté du conseil en présence de la généralité. Le mambour Marc de Bade ayant demandé à la ville de lui fixer un jour pour la joyeuse entrée, les sieultes des trois membres se trouvèrent en désaccord. Le conseil envoya les trois résolutions à Marc, sans ôser décider.
  2. Les artisans étaient naturellement plus libres ces jours là. Les batteurs ne travaillaient pas le samedi.
  3. C’est ce qui s’appelait à Liège voter à suyte (sequela). Les votes étaient inscrits à la craie sur un tableau, v. la Chronique de Jean de Stavelot éd. Borgnet p. 289.
  4. Cartulaire t. II, n. 90.
  5. En 1465 Dinant écrit à Marc de Bade : que ceste bonne ville se gouverne par trois parties, assavoir : la première nomme la partie des bourgeois d’enmy la ville, la seconde nommee la partie du bon mestier de la baterie et la tierce nommee la partie des neufs bons mestiers ; laquelle chose a esté observee et maintenue de si loing temps que point n’est memore du contraire. Cartul. n. 91. Cette pièce donne un exemple intéressant de la manière dont étaient rendues les sieultes.

    On possède encore un Registre aux sieultes aux archives de Dinant : il ne commence malheureusement qu’en 1490, v. l’analyse dans l’inventaire de M. Remacle, p. 91, sqq..

  6. Je dois renoncer, pour ce qui concerne l’organisation de la ville au xve siècle, à étayer régulièrement mon exposition par des notes. Très souvent en effet ce ne sont que des indications éparses dans ce qui reste des archives de Dinant, qui permettent d’entrevoir tel ou tel détail.
  7. Cf. dans la charte de St Trond de 1366 : consiliarius juratus. On trouve souvent dans les chartes, au lieu de maîtres et conseil-jurés, la formule : maîtres, jurés, conseils. On distingue dans ce cas les jurés proprement dits de l’ensemble du conseil où siègaient à côté d’eux les vieux maîtres de la ville, mais il ne s’agit pas en fait de deux institutions différentes. C’est dans le même sens que l’on cite parfois, à côté des jurés, les consauls, v. Cartulaire I, 183 et passim.
  8. Au xve siècle, les maîtres prêtaient le serment suivant : En l’office delle maistrise de la bonne ville de Dynant, vous serés vray, leal et féal à icelle, bourgois et manans et gouvernerés bien et leallement avec les biens de ladicte ville et ne le suffrerés endebter plus avant que les revenues et biens d’icelle puelent estoffer et furnir pour vostre année. Et selle estoit endeptée, la legerés de tout ce que bonnement faire porés at aiderés à warder les franchieses, privilèges, status et bons anchiens usaiges, et tiendrés ladicte ville en paix, et ayderés à accomplir les sieultes d’icelle, faictes et à faire, et ferés adjourner le conseil toutteffois que mestier serat et serés droict à ung chascun aussy bien à petit que à grant, en gardant le droit Monseigneur de Liege nostre prince et de ladite ville à vostre meilleur sens et scavoir. Sy vous ayde Dieu, la Vierge Marie et tous les sainctz de paradis. Arch comm. de Dinant. Registre aux sieultes 1490 fol. 233. Il est à remarquer que les maîtres, à la différence du maire, ne jurent pas fidélité à l’évêque, mais seulement à la ville.
  9. En 1505 la ville décida de supporter les procès intentés aux tiers, par crainte de ne plus trouver à l’avenir de candidats, si elle agissait autrement. Remacle. Inventaire, 110.
  10. Je n’ai pas la prétention de retracer complètement et en détail l’administration et la juridiction de la ville au xve siècle : les sources ne le permettent pas. Mon but est d’en indiquer seulement les grandes lignes.
  11. Cartulaire, II, n. 77.
  12. Il faut faire une exception pour certaines charges qui exigeaient des connaissances techniques. On verra plus loin que le bombardier de la ville touchait relativement un salaire énorme. L’horloger était aussi en comparaison grâssement payé pour régler les cloques d’heures. Le compte de 1458 lui alloue pour cela 7 livres 4 sous.
  13. Parfois on leur donnait aussi pour les récompenser des terres appartenant à la ville. Cartul. I, 248 n., ou des rentes. Remacle. Inventaire, 92. Vers la fin du xve siècle, on commença à établir des traitements. Remacle, ibid, 93. Il est probable que, comme les arbalétriers, (v. p. 59, n. 3,) les serviteurs de la ville étaient exemptés des tailles, crenees et pontenage.
  14. Firmitas a d’abord signifié la fortification elle-même. Lambertus Parvus ad. a. 1105 dit de Henri IV : Hic dicitur perambulasse fossata civitatis Leodiensis et posuisse fundamenta firmitatis, que post vastationem a duce Brabantino factam, fuit consumata. Un acte échevinal de Dinant de 1239 parle d’une domum executem usque ad firmitatem. Cf. en France les noms de lieux si nombreux composés de ferté ou la ferté. Le sens d’impôt pour les fortifications n’apparait qu’au xiiie siècle. La ville n’étant ville que quand elle est fortifiée, on comprend que le premier impôt urbain ait été levé pour la construction des murailles. Il en est de même partout v. p. ex., la charte de Fribourg de 1120. La fermeté porte aussi dans le pays de Liège, les noms de assisia et de malatouta (= ungelt), qui se rencontrent seuls en Flandre.
  15. Édits et ordonnances, I, p. 39.
  16. Städtische Wirthschaft im XV Jahrhundert dans Conrad’s Jahrbücher für Nationaloekonomie u. Statistik 1880, p. 253 sqq. : « eine von Rechtswegen, nämlich von Landrechts, das heisst zugleich von öffentlichen Rechtswegen nicht geschuldete Summe, eine Summe welche von Rechtswegen nicht zu zahlen, nicht zu geiten war, eine Steuer welche lediglich auf Willkür der Stadtgemeinde und ihrer Organe, das heist auf genossenschafclichen Vereinsrecht, nicht aber auf dem Recht im Rechtssinne ruhte » p. 260.
  17. Cartulaire, I, n. 10, Cf. ce texte très intéressant pour Liège en 1198 : laïci civitatem muris et aggere firmantes, a clericis et familia eorum exactiones et tributa exigebant et libertatem clericorum ab antiquo conservatam infringere volebant. Reincri Annales. Mon. Germ, Hist. XVI, 654.
  18. L’Inventaire des chartes de St Lambert de Liège, éd. Schoonbroodt contient un grand nombre de documents intéressants pour l’étude de la fermeté. nos. 17, 78, 82, 142, 184, 186, 213, 221, 252, 262, 264. Le chapitre lui était extrêmement hostile. Elle fût la plupart du temps remplacée par une assisia établie par la bourgeoisie et le clergé. En 1287, la paix des clercs impose encore aux maîtres, jurés et échevins le serment de ne jamais lever la fermeté. Édits et ordonnances, I, p. 65. La paix de Waroux, en 1347, l’abolit encore pour Liège. Ibid. p. 281.
  19. Elle était probablement à l’origine perçue exclusivement sur le vin, v. Wauters, Libertés, preuves, p. 116, 117. Cartul. de Dinant, I, n. 10. La fermeté du vin était d’ailleurs encore au xve siècle infiniment plus productive que les autres. En 1458-59 elle fut affirmée pour 2498 fr., en 1461 pour environ 3000 fr. Alors que celle de la hoppe (bière), la plus importante après elle, ne valut respectivement que 1200 fr., et 1150 fr.
  20. Les droits frappant chacune de ces sortes de marchandises constituaient une fermeté et étaient affermés à part. Il y avait la fermeté du vin, la fermeté du poisson etc.
  21. Cartulaire, II, 89.
  22. En France les tailles, frappant les possesseurs d’immeubles, jouaient dans les villes le même rôle que la fermeté liégeoise, mais en étaient radicalement différentes. V. Lefranc, Noyon, p. 137.
  23. Les arbalétriers de la ville par exemple étaient exemptés des tailles, crenées et pontenage, mais non de la fermeté. Cartulaire, II, 52.
  24. Les courtiers sont les makelaeren, les makelars jurés de St Omer et des villes flamandes. Giry, St Omer, 291 sqq.. Sur leur rôle comme intermédiaires indispensables entre vendeur et acheteur, v. Schmoller, Strassburger Tücher 77, Geering, Handel u. Industrie v. Basel ch.  3, Gramich, Verfassung u. Verwaltung v. Würzburg, p. 44.
  25. La vente de rentes était un procédé financier usité dans toutes villes du moyen-âge. Pour Namur, v. Bormans, Cartulaire de Namur, Introd. p. 149 ; pour Leyde : Block, Eene Hollandsche stad in de middeleeuwen, 272, sqq. ; pour Wesel : Reinhold, Verfassungsgesch. Wesels, p. 105, sqq. etc. Pour Dinant, voir l’inventaire donné par M. Remacle du Registre aux modérations des cens et rentes, qui est malheureusement postérieur au sac de la ville. La plus ancienne vente de rente à Dinant est de 1324. Cartul, I, p. 92.
  26. Cartul, I, n. 48.
  27. Un fragment de compte de 1455 mentionne en regard des revenus et impôts de la ville montant à 5 031 francs, la somme énorme de 2 714 francs dûs pour le payenent des pensions. En 1452 le conseil écrit à l’évêque qu’il ne sait comment amortir sa dette. Cartul. II, n. 73.
  28. Chronique de Jean de Stavelot éd. Borgnet, p. 195.
  29. Les Gesta abb. Trud. ad. a, 1340 éd. de Borman, p. 277, montrent que les tailles, dans les villes liégeoises, ne constituaient qu’un impôt extraordinaire auquel on recourait en cas d’insuffisance du produit de la fermeté : et quia ad tam gravia pensionum onera persolvenda firmiteta non sufficeret, concorditer ordinatum est, quod per singulos annos singuli opidani secundum qualitatem bonorum suorum talliarum impositiones solverent, scilicet, ditiores 7 florenos ec sic descende, usquedum pensiones diminuerentur. L’assise est déjà mentionnée dans la paix de Hansinelle en 1314. Édits, Ie p. 152, v. aussi Bormans, Cartul. de Namur. Introd. p. 147.
  30. Il ne s’agit naturellement que des rentes foncières. Les rentes viagères étaient constituées sur le corps de la ville, sans hypothèques. V. Reg. Modérations des cens et rentes.
  31. V. les plaintes de l’évêque contre les bourgeois en 1325 dans Wohlwill, Op. cit. p. 128 n. La paix de Wihogne en 1326. Édits, p. 180, et la paix de Flone de 1330 Ibid. p. 204. L’identité des werixhas du xive s. et du wariscapia extra aquam et in aqua du xie, ressort du texte même de la paix de Wihogne : « … lieuz que monseigneur de Liège appelle wericalz et la citeit appelle aisemensche, dedens terre et dehors… » Dans le texte de la paix de Flone, le produit des werixhas est encore partagé par moitié entre l’évêque et la ville.
  32. Le rentier ne touchait pas, semble-t-il, à l’origine, de traitement pour ses fonctions. Il était sans doute amplement dédommagé de ses peines, par l’intérêt des sommes qu’il avançait à la ville. La renterie était si profitable qu’on avait décidé en 1399 de la mettre en adjudication. Cartul. I, p. 152. Au milieu du XVe siècle, la situation avait changé. Le rentier est mentionné dans un fragment de compte de 1455 parmi les serviteurs rétribués de la ville.
  33. Cartulaire, II, n. 77. Lors de la faillite de Noyon au xiiie siècle, les habitants demandent que ni le maire ni la commune ne puissent charchier la ville de plus de dette, devant que ceste soit aquitee. Sur cet intéressant épisode de l’histoire financière du moyen-âge, v. Lefranc, Noyon, p. 150, sqq..
  34. Il semble, qu’avant 1455, les comptes de la ville n’aient pas été régulièrement rendus à cette date « dont les gouverneurs d’icelle de grant temps ci-devant n’ont bonnement sceu en quel point elle estoit de puissance et ont fait faire grans ouvrages chacun en leurs temps, dont ladite ville a esté grandement endebtee et ariere mise, qui a tourné à grant dommage et astarge. » Cartul, II, n. 77. Toutefois, le même texte affirme que « de sy loing temps que point n’est mémoire du contraire, ait esté de costume de chacun an faire trois contes delle ville, dont l’un d’iceux demouroit chacun an à rentier, l’autre a vies maistres des bourgois d’enmi le ville… et l’autre aux maistres nouvias qui recevoit iceux comptes ». Il est probable que l’obligation de rendre leurs comptes devant la généralité de la ville fut requise des maîtres depuis 1348, cf la charte de St Trond de 1366.
  35. Cartul, I, n. 59.
  36. V. les stipulations intéressantes du jet du banquet. Cartul. III, n. 297. L’acte est de 1534, mais en partie établi d’après des règlements antérieurs à la destruction de la ville en 1466.
  37. La lettre des Vénaux de Liège, 1317, Edits et Ordonnances, I, p. 161, sqq., montre jusque dans les détails les plus circonstanciés, comment était organisée la police des denrées dans une ville liégeoise au moyen-âge. Pour Dinant, l’analyse donnée par M. Remacle des deux registres aux amendes de 1457-1464 permet de s’en faire une idée suffisamment exacte.
  38. V. son règlement dans Cartulaire II, n. 83.
  39. Chron., de Jean de Stavelot p. 115 sqq..
  40. Le 9 décembre 1452 le conseil écrit que « estons situés sur le coron du pays de châdeseur, près marchissans et joindans à pluiseurs pays estraingnes et de grand puissance, dont nous est necessaire nous bien garder et nous semble qu’il n’y ait forteresse ne plache ou pays qui soit tant nécessaire à bien fortifier comme est ceste ville. »
  41. La tour sur le pont est mentionnée dans des chartes échevinales dès 1217. Elle servait d’hôtel de ville et de beffroi.
  42. Les deux villes barraient parfois le cours de la Meuse pour empêcher le commerce de leur rivale. En 1451, Dinant fit faire une lourde chaîne de fer allant d’un rivage à l’autre. En 1465, Bouvignes avait planté des pilotis au travers du courant. Cartul, II, p. 109.
  43. Cartul. III p. 177 donne un inventaire de l’artillerie de la ville en 1498.
  44. On pouvait se faire remplacer aux guets, sauf quand on waitait par dizaines. Cartul, II, p. 60.
  45. J’ai déjà dit qu’il faut faire exception pour Saint-Trond qui avait le droit d’Aix et non celui de Liège. Mais, depuis le xve siècle, les États agirent sur ce droit de la même manière que sur l’ancien fonds du droit liégeois.
  46. Avec M. v. Below, Zur Geschichte der Stadtgemeinde, je reconnais hautement le caractère communal de la juridiction urbaine. Mais je ne puis voir avec lui l’origine de cette juridiction dans les attributions préexistantes d’une communauté de village. On ne constate rien de tel à Dinant ni même, comme j’espère bientôt le montrer, en Flandre.
  47. Je n’ai pas besoin de faire observer ici que l’établissement de la paix de la ville est le caractère le plus saillant des premières chartes urbaines. V. p. exemple en 1114 les stipulations de la pax Valencenensis ; en 1127 les deux Keures de St Omer etc.
  48. C’est ce que nous apprend le n. 8 a° 1293 du Cartulaire de Bouvignes ed Borgnet. Les membres de la justice de Dinant y sont cités. Ils se composent du maire, de deux personnages, que des chartes de l’époque citent comme échevins et enfin d’un certain nombre de bonnes gens, étrangères à l’échevinage et qui doivent être des jurés.
  49. Muller, Utrecht, p. 52 sqq. montre comment, à Utrecht, les paces juratae ont été l’origine de la juridiction pénale du conseil. Seulement, dans cette ville, le conseil a fini par acquérir cette juridiction tout entière au détriment de l’évêque. Les villes liégeoises, malgré leurs efforts, n’ont pu aller jusque là. Le rapport entre les deux juridictions du conseil et des échevins y rappelle, mais avec plus de netteté, ce qui existait à Noyon et à Saint Quentin, v. Lefranc et Giry, opp. citt..
  50. Édits et ordonnances t. I, p. 348.
  51. Cartul. t. III, p. 343.
  52. Cf. avec cette expression caractéristique la Vredebrechewunde, dans les villes du nord de l’Allemagne et la Keure de 1300 à Utrecht, dirigée contre ceux qui die vrede breken, Muller, op. cit. p. 46.
  53. Au xvie siècle, la juridiction des paix brisées était partagée, comme à Liège, entre le conseil et l’échevinage. Un document de 1551 constate, en effet, que si la partie offensée fait sa plainte devant la justice de sa Grâce Révérendissime, lesdits bourgemaistres, conseil et jurez confessent ledit officier (le maire) povoir poursuyvre ses amendes pardevant ycelle justice. Cartul, III, n. 341.
  54. Les inventaires des registres aux amendes publiés par M. Remacle permettent de se faire une idée concrète de la juridiction du conseil.
  55. Certaines sentences ne sont rendues que par un maître et trois jurés.
  56. Cf. Poullet, Histoire du droit criminel dans la principauté de Liège, p. 535.
  57. Désormais, en effet, il n’était plus bourgeois : or, si le bourgeois ne pouvait être emprisonné, l’étranger, l’afforain, ne jouissait pas du même privilège.
  58. En réalité les sentences de bannissement ne profitaient guère à la ville. Les bannis se réfugiaient à Bouvignes, qui se hâtait de les accueillir, et devenaient pour Dinant les plus dangereux des ennemis.
  59. Sur ces voyages, empruntés à la législation pénitentiaire de l’église et qui paraissent avoir été surtout employés dans les villes des Pays-Bas, v. van den Bussche, Bullet. Comm. Roy. Hist, a. 1887, p. 17, sqq. et Poulet, Hist. du droit criminel de Liège, p. 518 sqq..
  60. Un voyage à Saint-Jacques de Compostelle était rachetable par 10 florins d’or du Rhin, somme naturellement beaucoup moins considérable que celle à laquelle se seraient montés les frais du pèlérinage.
  61. Voici un de ces certificats que j’ai trouvé aux archives de Dinant. C’est un original en écriture cursive, sur papier, avec sceau plaqué à droite.
    Ego Godefridus Opstaels. presbiter… ac sacrarum reliquiarum custos aecclesie sancti Servatii Trajectensis, Leodiensis dyocesis, notum facio per presentes quod… ut asserint Odardus… personaliter visitaret limina beati Servatii ob emendam et penitentiam sibi indictam per burgimagistrum opidi Dionantensis, quod omnibus quorum interest certifico per sigillum antedicte custodie presentibus impressum. Datum anno domini millesimo quadringentesimo tredecimo quarto, die vero penultima mensis junii.
    Quiconque rapportait de fausses lettres de voyage était aubain et privé pour toujours de sa bourgeoisie. Cf. Statuts de Liège de 1345. Édits I, p. 27.
  62. Sur ce règlement v. Poullet, op. cit. p. 272.
  63. La paix de Tongres en 1403 interdit au conseil de Liège de donner franchises et libertés aux bonnes villes. Édits. I, p. 383.
  64. V. pour Utrecht : Muller, op. cit. p. 88 sqq. ; pour Wesel : Reinhold, op. cit. 89 sqq..
  65. Édits I, p. 380. La paix de Tongres, faite seulement pour Liège, dût être appliquée aussi dans les bonnes villes. Le registre aux paix du conseil de Dinant en contient une copie.
  66. V. le serment de l’évêque Cartul. II, p. 57. Siderius, Dinant et ses environs p. 126 sqq. donne, d’après les archives de la ville, un récit très intéressant de la joyeuse entrée d’Ernest de Bavière en 1582.
  67. Cartulaire, I, n. 18.
  68. En 1450 est mentionné le receveur de monseigneur de Liège pour la halle.
  69. Il est probable que la participation de l’évêque au produit des amendes des eswardeurs a la même cause que sa participation au produit des amendes des paix brisées (v. p. 72). Des deux côtés, elle constitue ce qui lui reste de son droit primitif de juridiction. De même que le conseil a fini par obtenir la juridiction de paix, de même il a obtenu la police du commerce dont les infractions, au xiiie siècle, relevaient encore de la justice épiscopale. V. Cartul. I, p. 51 : nos (conseil) povons contraindre par le forche et par le justiche nostre signour devant dit, cheaus qui venderont ou vendre voront leur marchandise en le vile devant ditte ailheurs k’en cele halle devant nomee, qu’il le vendent dedans le halle.
  70. Cartulaire III, p. 331.
  71. Cartul. I, n. 31 et 50. Cf. Cartul. de Bouvignes I, n. 25. L’afforage n’est plus mentionné à Dinant à partir de 1415 : il a probablement disparu devant la fermeté. Cela expliquerait l’hostilité épiscopale contre celle-ci.
  72. Une enquête de 1519 déclare que ce moulin fut fait par ceux de Dinant « pour amende à quoy ils furent condempnés à ung evesque de Liége, et par celi evesque à le faire rendant et moulant farine dedans quarante jours ; ce qui fut fait comme il en appert, tellement que le 40e jour on porta de la farine audit evesque et que celui qui la portoit, souffla la farine au visage dudit evesque. »
  73. Cartul. I, n. 57.
  74. Cela a été fort bien fait par A. Wohlwill, die Anfänge der Landständischen Verfassung im Bisthum Lüttich. V. aussi : Poullet, Constitutions nationales.
  75. La première de ces ligues est celle qui fut autorisée par Henri VII. Interdites à différentes reprises par les évêques, elles furent toujours renouées. Elles furent définitivement abolies lors des guerres bourguignonnes. V. Édits. I, table vo : Alliances.
  76. Dès 1230 les trois villes sont déjà citées dans l’ordre qu’elles ont toujours conservé depuis. En 1465, Dinant consultée par Marc de Bade à propos de sa joyeuse entrée, le métier des batteurs répond que la ville n’a pas à prendre de décision avant que Huy n’ait fait connaître sa volonté. Cartul. II, p. 91. Dans une lettre adressée à Cologne au milieu du xive siècle, Dinant s’appelle : una et tertia de principalioribus villis episcopatus Leodiensis. Höhlbaum, Hansisches Urkundenbuch III, n. 547.
  77. Édits. I, 174.
  78. Édits. I, 330.
  79. Voici quelques ordres du Jour des États au xve siècle : 1448, décembre 29 : délibération sur le fait des XXII et le cours des monnaies ; 1450 novembre 19 : délibération sur le fait des XXII et les buvraiges appelés fortes bières ; 1451 juillet 22 : délibération sur le fait des XXII ; 1451 Octobre 2 : délibération sur le fait des bannis et des aubains ; 1453 mai 3 : délibération sur les entreprises de Louis de la Marck contre les forteresses de Rochefort et d’Agimont ; 1456 mai 27 : délibération sur les monnaies, le renchérissement des grains, les plaintes du seigneur de Jeumont, l’héritage des vignerons de la cité, etc.
  80. Je connais les excuses de la ville aux États du 15 juin 1449, 19 novembre 1450, 21 juillet 1451, 2 octobre 1452, 10 décembre 1452, 6 juin 1453, 14 novembre 1455, 27 mai 1456. On peut juger par là du petit nombre d’assemblées auxquelles assistaient les députés de la ville.
  81. Cartul. de Bouvignes I, n. 8, ao 1293 « … se on voulloit un homme arrester en celle ville de Dinant, fuit pour dette, fuist pour autre chose, ne de quelh cas que se fuist, il povoit venir à la rivière et entrer en une neif, si tost que li neif astoit derrière (?) et flottoit sur l’iaue, cis de Dinant n’y avoient povoir ne point de justice. » Toutefois cela n’était plus observé à la date de ce document. La juridiction de Dinant sur la Meuse fut plus tard si complète, que la ville interdit aux Bouvignois de pêcher dans la partie du fleuve traversant la franchise.
  82. Une enquête constate, en 1519, que le cours de la Meuse à Dinant est depuis toujours sous la juridiction et hauteur des officiers de l’évêque. Les conflits furent très nombreux pendant tout le moyen-âge sur les limites respectives des juridictions autour de Dinant, v. Cartul., I, n. 26, 38 ; Cartul. de Bouvignes, I, n. 8, 26, 28 ; Institut Archeol. liégeois, bulletins XV. 303 sqq..
  83. V. la carte de Ferraris où ses bornes apparaissent très clairement au milieu des terres namuroises.
  84. Le territoire actuel de cette commune est encore sensiblement le même que celui de la franchise.
  85. Pour la châtellerie v. plusieurs textes y relatifs dans Cartul. II, passim ; et dans Remacle, Inventaire du registre aux missives.
  86. Sur l’autorité que Gand s’arrogeait sur les villes de sa châtellerie, V. un texte très intéressant dans Gachard, Collection de documents inédits concernant l’histoire de la Belgique II, p. 150.