Wyandotté/Chapitre XIX

Traduction par A. J. B. Defauconpret.
Furne, Gosselin (Œuvres, tome 24p. 234-247).


CHAPITRE XIX


Tous les Gallois sont dispersés, ils ont passé du côté de Bolingbroke.
Richard II


Dans de telles circonstances, il était douloureux d’apprendre cette désertion, juste à l’entrée de la nuit. Quant aux hommes qui restaient, le capitaine Willoughby trouva prudent de s’informer de leurs caractères et de leurs noms, afin de savoir la conduite qu’il avait à tenir. Il le demanda au sergent dès qu’il fut assez loin pour n’être pas entendu de la petite troupe.

— Nous avons Michel O’Hearn, les deux charpentiers, les trois nègres, Joël et les trois Hollandais, qui depuis quelque temps seulement font partie de l’établissement, et les deux garçons que Strides a engagés au commencement de l’année. En y ajoutant Votre Honneur et moi-même, cela fait en tout quinze hommes : encore assez, je crois, pour défendre la maison en cas d’assaut.

— Ce sont les meilleurs, répondit le capitaine, et les plus dignes de confiance, je crois. Je compte sur Mike, sur Jaime et sur les noirs aussi bien que sur nous-mêmes. Joël aussi est un homme de ressource, mais je ne sais comment il se comportera quand il verra le feu de près.

— Le caporal Strides est un soldat qui n’a pas encore été mis à l’épreuve, mais les nouvelles recrues font quelquefois des merveilles. Je réduirai la garde de moitié pour que nos hommes aient le temps de prendre du repos.

— Nous veillerons tour à tour, Joyce. Vous resterez jusqu’à une heure, et je vous remplacerai le reste de la nuit. Je parlerai à nos hommes avant que vous les ayez congédiés. Une parole encourageante ne peut que nous être utile dans ce moment.

Le sergent était rarement d’un avis contraire à celui de son supérieur ; il alla avec lui dans la cour et plaça la lanterne de manière que le capitaine pût voir toutes les physionomies.

— Il paraît, mes amis, dit M. Willoughby, que plusieurs de nos gens ont été saisis d’une panique, et ont déserté. Ces hommes égarés n’ont pas fui seuls, ils se sont fait suivre de leurs femmes et de leurs enfants. Un peu de réflexion vous montrera à quelle détresse ils peuvent être réduits par cette fuite imprudente. Il n’y a pas d’établissement de quelque importance distant de moins de cinquante milles d’ici, et il en faudrait faire plus de trente avant de rencontrer une simple hutte ; un long temps se passera avant qu’ils aient pu gagner un lieu de sûreté, en supposant qu’ils échappent aux sauvages qui, comme nous le savons, errent dans les bois. Les femmes et les enfants n’auront, ni l’art de cacher leur marche, ni les forces suffisantes pour résister à la fatigue et à la faim pendant plusieurs heures. Que Dieu leur pardonne ce qu’ils ont fait et les guide à travers les difficultés et les peines dont ils sont menacés ! Quant à nous, il faut que nous remplissions dignement notre devoir. S’il y en un parmi vous qui appréhende de rester armé ici, et de défendre cette maison, qu’il l’avoue franchement ; je le laisserai partir, il pourra emporter tout ce qui lui appartient et prendre des moyens de subsistance et de défense. Je ne veux avec moi que des hommes de bonne volonté. La nuit est sombre, ce serait un moment propice pour quitter la Hutte, on s’en trouverait assez éloigné quand le jour paraîtra. Si quelqu’un veut partir, qu’il le dise simplement, sans rien craindre, la porte lui sera ouverte.

Le capitaine s’arrêta, mais pas une voix ne répondit. Un sentiment commun de loyauté semblait engager ses auditeurs à rester fidèles à leur devoir. Les yeux noirs des nègres suivirent la petite rangée d’hommes pour voir quel serait le premier qui abandonnerait le maître, et une grimace de plaisir montra la satisfaction avec laquelle ils remarquaient l’inutilité d’un tel appel. Quant à Mike, il était trop fortement ému pour garder le silence.

— Och ! s’écria l’homme du comté de Leitrim, je leur souhaite un bon voyage. Les voilà maintenant errants à travers les bois avec le remords de leur conscience. Jamais je ne ferais pareille chose non, pas même quand on devrait me scalper toute la tête, et qu’un Indien serait à quelques pouces de moi pour tailler ses draps dans ma propre peau. C’est le manque de religion qui a perdu ces créatures ! Quoi, il n’y en a pas un qui soit porté à réciter la plus courte prière que le Seigneur nous a recommandé de lui faire ! Si le diable les brûle, ils n’auront que ce qu’ils méritent.

Le capitaine attendit patiemment que ce monologue fût terminé ; puis il congédia les hommes avec quelques mots d’encouragement, et les félicita de la fidélité qu’ils avaient montrée. Comme il se tournait vers Joyce pour lui donner ses dernières instructions, il découvrit, à l’aide de la lumière de la lanterne que tenait le sergent, une forme humaine arrêtée à une petite distance, mais trop près des murs de la Hutte pour qu’il pût la bien distinguer. C’était certainement un homme ; et comme, à l’exception de la sentinelle placée en dehors de la cour, tous ceux qui étaient capables de porter les armes se trouvaient encore réunis en groupe, la nécessité de s’assurer du caractère de ce visiteur inconnu traversa l’esprit des deux vieux soldats au même instant. Joyce élevait sa lanterne, tandis qu’ils marchaient rapidement vers la forme immobile ; quand ils en furent tout près, la lumière brilla dans les yeux noirs et ardents d’un Indien.

— Nick ! s’écria le capitaine, est-ce vous ? Qu’est-ce qui vous a amené encore ici ? et comment avez-vous franchi les palissades ? Venez-vous comme un ami pour nous visiter, on comme un ennemi ?

— Trop, beaucoup de questions capitaine ; demander tout ensemble. Aller à la chambre aux livres, Nick vous suivre ; dire tout ce qu’il faut.

Le capitaine parla quelque temps à voix basse au sergent pour lui recommander de veiller attentivement à la garde. Quand il arriva dans la bibliothèque, il trouva sa femme et ses filles qui l’attendaient avec anxiété.

— Ah ! Hugh, j’espère qu’il n’y a pas autant de mal que nous le craignions, s’écria la mère quand le capitaine entra dans la chambre suivi du Tuscarora ; nos gens ne peuvent pas être assez lâches pour nous abandonner dans un tel moment.

Le capitaine embrassa sa femme, lui adressa quelques paroles d’encouragement et montra l’Indien.

— Nick ! s’écrièrent les trois femmes d’une seule voix, quoique le ton de chacune dénotât une sensation différente.

L’exclamation de mistress Willoughby n’était pas sans plaisir, car elle le croyait son ami ; celle de Beulah était pleine de crainte, car la pensée du petit Evert et des massacres des sauvages traversa soudain l’esprit de la jeune mère ; le ton de Maud était empreint de la résolution énergique qu’elle avait prise pour se soutenir dans ces terribles épreuves.

— Oui, Nick, Saucy Nick, répéta l’indien de sa voix gutturale. Vieil ami ; vous pas contents de le voir ?

— Cela dépend de ce que vous venez faire ici, dit le capitaine. Faites-vous partie de ceux qui sont maintenant au moulin ? Mais un moment ; comment êtes-vous entré en dedans des palissades ? Répondez-moi d’abord à cela.

— Arbres pas bons pour arrêter Indien. Faut beaucoup de mousquets, beaucoup de soldats, capitaine ; pauvre garnison ici pour Nick. Toujours lui dire, trouver trous assez pour passer.

— Ce n’est pas répondre à ma question, camarade. Par quels moyens ayez-vous passé de l’autre côté des palissades ?

— Quels moyens ? moyens Indiens sûrement. Venir comme un chat, comme une bête fauve, comme un serpent. Nick, grand chef Tuscarora ; bien connaître comment marche le guerrier quand la hache est déterrée.

— Et Nick doit connaître bien aussi l’usage que je pourrais faire de son dos. Vous vous souvenez, Tuscarora, que je vous ai flagellé plus d’une fois dans ma vie.

Ceci fut dit d’un ton menaçant, et avec plus de chaleur peut-être que de prudence. Les femmes tressaillirent comme si un nouveau danger leur apparaissait, et leurs regards pleins d’anxiété se levèrent sur le capitaine pour l’avertir qu’il allait trop loin. Quant à Nick, le nuage qui annonce l’orage n’est pas plus sombre que ne devint son visage quand il eut entendu ces paroles ; il lui sembla que chaque coup déshonorant qu’il avait reçu torturait de nouveau sa chair, et la pensée de son ignominie blessa profondément l’orgueil du fier Tuscarora. Le capitaine Willoughby fut surpris de l’effet que sa menace avait produit sur Nick, mais il était trop tard ; et il attendit tranquillement ce qui pourrait en résulter. Nick resta plus d’une minute sans répondre. Graduellement, mais avec lenteur, l’expression de son visage changea. Elle reprit enfin son calme stoïque, son immobilité de marbre. Il put alors prendre la parole.

— Écoutez, dit l’Indien sérieusement. Capitaine vieil homme, sa tête comme la neige sur les rochers. Bon soldat ; mais pas avoir sagesse assez pour cheveux blancs. Pourquoi mettre la main rudement sur l’endroit que le fouet frappe ? Sage homme jamais faire cela. Hiver froid, besoin de feu pour le réchauffer. Beaucoup de glace, beaucoup d’orage, beaucoup de neiges. Tout sembler affreux. Hé bien, hiver s’en va, glace s’en va, neige s’en va, orage s’en va. Été venir à la place. Tout sembler bon, tout agréable. Pourquoi, quand l’été venir, faire oublier le beau ciel et rappeler l’hiver ?

— C’est afin de se précautionner pour son retour. Celui qui ne penserait jamais aux mauvais jours, à l’heure de sa prospérité, oublierait non-seulement un devoir, mais aussi manquerait de sagesse.

— Lui pas sage ! dit Nick avec énergie. Capitaine chef des Faces-Pâles. Avoir garnison, bons soldats, bons mousquets, hé bien, flageller le guerrier, lui faire le sang venir. Cela méchant assez ; plus méchant encore de mettre le doigt sur vieilles marques et faire douleur et honte venir encore.

— Peut-être aurait-il été plus généreux, Nick, de ne pas rappeler cela ; mais vous voyez quelle est ma situation : me voilà avec un ennemi au dehors, mes hommes ont déserté, tout me paraît aller mal ; enfin je trouve un homme dans ma cour et je suis ignorant des moyens qu’il a pris pour y arriver.

— Nick dire au capitaine les moyens. Si les Hommes Rouges dehors, tuer eux ; si la garnison s’en aller, flageller la garnison ; si Nick ne sait pas, apprendre à Nick, mais pas frapper encore sur l’ancien mal.

— Bien, bien, ne disons plus rien là-dessus, Nick. Voilà un dollar pour prendre du rhum, et nous allons parler, j’espère, d’une autre manière.

Nick ne parut pas remarquer la pièce, que pourtant le capitaine tint devant lui pendant quelque temps pour le tenter. S’apercevant que le Tuscarora agissait alors comme un guerrier et un chef, il remit le dollar dans sa poche et se conduisit en conséquence.

— À tout événement, dit-il, j’ai le droit d’insister pour savoir d’abord par quels moyens vous êtes entré en dedans des palissades, et en second lieu, pour quelle raison vous êtes venu ici à la nuit et si soudainement.

— Demander à Nick tout ce que capitaine avoir droit pour demander, mais pas toucher aux anciennes blessures. Comment moi traverser palissades ? Où est sentinelle pour arrêter Indien ? Une à la porte, bien, aucune à une autre place. Dix, vingt, trois autres endroits. Supposer arbre ? grimper après ; supposer palissade ? grimper aussi. Soldat hors la porte quand Nick passer de l’autre côté. Si aisé à faire, Nick honteux de s’en vanter. Capitaine une fois ami de Nick, aller ensemble sur le sentier de la guerre, cela dans l’ancien temps. Tous deux guerriers ; tous deux marcher contre garnison française. Eh bien, qui ramper pour arriver dans leur garnison entourée de canons ? qui ouvrir la porte et faire entrer les Hommes Pâles ? Grand Tuscarora faire cela : pas flageller alors ; pas parler d’anciennes plaies cette nuit-là.

— Tout cela est vrai, Wyandotté. — C’était le plus glorieux des noms de Nick ; et un sourire de satisfaction illumina son visage quand il l’entendit dans la bouche de celui qui l’avait connu lorsque ce nom portait la terreur dans les cœurs de ses ennemis. Tout cela est vrai, Wyandotté. Dans cette occasion, vous vous êtes montré hardi comme un lion et adroit comme un renard. Cet exploit vous a fait beaucoup d’honneur.

— Pas d’anciennes plaies dans cela, s’écria Nick avec un accent qui fit tressaillir jusqu’au cœur mistress Willoughby. — Pas appeler Nick chien cette nuit-là. Lui guerrier alors, lui avoir visage, pas de dos.

— J’ai dit que cette conduite vous fit honneur, Nick, et vous en avez été récompensé. Maintenant, faites-moi donc connaître pourquoi vous êtes venu ici à la nuit, et d’où vous êtes venu ?

Il y eut encore à ce moment quelques instants de silence. La physionomie de l’Indien devint de moins en moins fière, jusqu’à ce qu’enfin elle perdît son expression de ressentiment pour en prendre une autre, dans laquelle dominaient des émotions d’une meilleure nature.

— Squaw bonne, dit-il avec un sourire en tendant sa main vers mistress Willoughby. — Avoir un fils, aimer lui comme petit enfant à la mamelle. Nick venir six, deux fois avant, Nick coureur de son fils.

— Mon fils, Wyandotté ! s’écria la mère. M’apportez-vous des nouvelles de mon fils ?

— Pas apporter nouvelles trop lourdes : Indien pas aimer à être chargé ; apporter une lettre.

Les trois femmes ne jetèrent qu’un seul cri, et chacune tendit la main par un mouvement involontaire pour recevoir le billet. Nick tira la missive d’un pli de son vêtement et la mit dans la main de mistress Willoughby avec la grâce d’un courtisan.

La lettre était courte, et avait été écrite au crayon sur une feuille de papier grossier arrachée de quelque livre. On reconnut bien l’écriture de Robert Willoughby, quoiqu’il n’y eût ni adresse ni signature. Le papier contenait simplement ces mots :

« Comptez sur vos moyens de défense. Il y a ici plusieurs hommes blancs déguisés en Indiens. Je leur suis suspect, peut-être connu. On voudra vous faire capituler ; le plus sage est de tenir ferme. Si Nick est fidèle, il vous en dira davantage ; sinon, il montrera cette lettre avant de vous la remettre. Que les portes intérieures soient bien défendues ; pensez plus à mettre la maison en sûreté que les palissades. Ne craignez rien pour moi, ma vie ne peut être en danger. »

Chacun lut ce billet tour à tour. Maud se détourna pour cacher les larmes qui tombaient sur le papier. Comme ce fut elle qui le lut la dernière, elle put le garder. C’était un trésor précieux pour son cœur dans un moment où elle n’avait de pensées que pour le captif.

— Il nous est conseillé de vous demander des informations, Nick, dit le capitaine. J’espère que vous ne nous direz rien que la vérité. Un mensonge est indigne de la bouche d’un guerrier. Personne n’a-t-il vu cette lettre que nous, vous-même et celui qui l’a écrite ?

— Pourquoi demander cela ? Si Nick dit non, capitaine penser qu’il ment. Même le renard dit la vérité quelquefois ; pourquoi pas Indien ? Nick dit non.

— Où avez-vous laissé mon fils, et depuis quand ? Où sont les Peaux Rouges en ce moment ?

— Toutes les Faces Pâles pressées ! Demander dix, une, quatre questions à la fois. Hé bien, répondre de même. Là bas, au moulin ; ici, au moulin ; une demi-heure, six, deux, dix heures.

— Je vous comprends vous voulez dire que le major Willoughby était au moulin quand vous l’avez quitté, et qu’il y a de cela une demi-heure.

Le Tuscarora fit de la tête un signe d’assentiment, mais ne répondit pas d’une autre manière. Ses yeux perçants parcoururent alors les visages pâles des trois femmes, de telle sorte que le capitaine sentit des soupçons s’éveiller en lui, et il reprit ses questions avec un ton qui appartenait plus à la sévérité militaire de ses anciennes habitudes qu’à la bienveillance qui lui était habituelle depuis ces dernières années.

— Vous me connaissez, Nick, dit-il sévèrement, et vous devriez redouter mon mécontentement.

— Que veut dire capitaine maintenant ? demanda tranquillement l’Indien.

— Que le même fouet que j’avais dans l’autre fort est dans celui-ci, et que je n’ai pas oublié la manière de s’en servir.

Le Tuscarora regarda fixement le capitaine, mais avec une expression plutôt ironique que fière.

— Pourquoi parler de fouet maintenant ? dit-il. Même le général des Yankees cacher fouet quand voit ennemi. Soldat peut pas combattre quand dos fait mal. Quand bataille près, alors bons amis ; quand bataille passée, alors battre, battre, battre encore. Pourquoi parler ainsi ? Capitaine jamais frapper Wyandotté.

— Il faut que votre mémoire soit courte pour dire cela. Je pensais qu’un Indien a meilleure mémoire.

— Aucun homme frapper Wyandotté ! s’écria l’Indien avec énergie. Aucun homme, Face Pâle ou Peau-Rouge peut donner coup sur le dos de Wyandotté.

— Bien, bien, Nick, nous ne voulons pas disputer sur ce point ; mais cependant à qui cela est-il arrivé et arrivé souvent ?

— Cela arriver à Nick, Saucy Nick, pauvre buveur de Nick ; à Wyandotté, jamais !

— Je vous comprends maintenant, Tuscarora, et je suis content d’avoir chez moi un guerrier au lieu d’un pauvre misérable. Aurai-je le plaisir de vous remplir un verre en l’honneur de nos anciennes campagnes ?

— Nick, toujours altéré ; Wyandotté, connaît pas la soif. Nick, mendier pour rhum, prier pour rhum, rêver de rhum, parler de rhum, rire pour rhum, crier pour rhum. Mais quand Wyandotté voir rhum, pas connaître ; Wyandotté demande rien.

— Voilà qui est fort bien, et je suis doublement satisfait, chef, de vous recevoir avec le caractère dans lequel vous me faites comprendre que vous venez maintenant. Un guerrier du nom glorieux de Wyandotté est trop fier pour vouloir me tromper, et je n’entendrai de lui que la vérité. Dites-moi alors tout ce que vous savez sur ces Indiens qui sont au moulin ; que sont-ils venus faire ici ? comment avez-vous rencontré mon fils, et quelle direction les sauvages vont-ils prendre ? Répondez à toutes ces questions.

— Wyandotté, pas gazette, pour dire tant à la fois. Que le capitaine parle comme un chef à un autre chef.

— Dites-moi d’abord ce que vous savez de ceux qui sont au moulin. Y a-t-il beaucoup de Faces Pâles parmi eux ?

— Mettez-tes dans la rivière, répondit l’Indien d’un ton sentencieux, eau dira la vérité.

— Vous croyez qu’il y en a plusieurs qu’elle rendrait blancs ?

— Quand donc guerriers rouges voyager jamais comme une troupe de bestiaux ? Un Homme Rouge là, comme Grand-Esprit l’a fait ; de chaque côté de lui deux Hommes Rouges, comme peinture les a faits. Cela se voit à leurs traces.

— Vous les avez donc suivis et rejoints ensuite ?

Un autre signe indiqua l’assentiment de l’Indien. S’apercevant que le Tuscarora ne paraissait pas disposé à parler, le capitaine continua son interrogatoire.

— Et comment leurs traces ont-elles trahi ce secret, chef ? demanda-t-il.

— Orteil tourné dehors, pas trop court, trace trop large, trace trop pleine, marche trop-courte.

— Il faut que vous les ayez suivis à quelque distance, Wyandotté, pour apprendre cela ?

— Depuis les Mohawks, joindre eux au moulin. Tuscarora n’aime pas trop voyager avec Mohawks.

— Mais, selon votre récit, ils ne peuvent pas être beaucoup de Peaux Rouges ?

Nick alors éleva la main droite, montrant tous les doigts et le pouce, et cela six fois. Ensuite il l’éleva encore une fois et montra seulement l’index et le pouce.

— Cela fait trente-deux, Nick. Vous comprenez-vous dans le nombre ?

— Wyandotté un Tuscarora. Compter les Mohawks.

— Y a t-il quelques autres Hommes Rouges parmi eux ?

— Oneidas aussi. — Et il leva quatre doigts seulement ; après il éleva un seul doigt en ajoutant : Onondaga aussi.

— Trente-deux Mohawks, quatre Oneidas et un seul Onondaga, font trente-sept en tout. Combien de blancs ai-je à ajouter ? Les avez-vous comptés ?

L’Indien leva les deux mains avec tous les doigts étendus, et répéta ce geste quatre fois ; puis il montra une main entière et deux doigts de l’autre.

— Quarante-sept. Ajoutons cela aux Peaux-Rouges, et nous en aurons soixante-quatorze. Je les supposais plus forts, Wyandotté ?

— Pas plus forts, pas plus faibles, juste ainsi. Plusieurs vieilles femmes aussi, parmi les Faces Pâles.

— Des vieilles femmes ! Vous vous trompez, Kick, je n’ai vu que des hommes.

— Avoir de la barbe, mais vieilles femmes aussi. Parler, parler, parler, faire rien. Cela l’Indien appelle vieilles femmes. Pauvres guerriers ! capitaine les battre, s’il combat comme au vieux temps.

— Hé bien, c’est encourageant, Wilhelmina, et Nick me semble agir franchement avec nous.

— Maintenant, informez-vous encore de Robert, Hugh, dit mistress Willoughby dont le cœur maternel ne voyait rien au delà de son enfant.

— Vous entendez, Nick, ma femme désire apprendre quelque chose sur son fils.

Pendant le dialogue précédent, il y avait eu quelque chose d’équivoque dans l’expression du visage de l’Indien. Mais ce qu’il dit sur les sauvages, les nombres qu’il précisa, et la manière dont il les avait joints, tout cela était vrai, sa physionomie l’indiquait bien. Cependant le capitaine s’imaginait voir dans ses regards et dans ses manières un air de fierté farouche qui l’alarmait malgré lui. Mais dès que mistress Willoughhy se fut interposée, la lueur de férocité qui passait si naturellement et si vite sur les traits basanés du sauvage, se fondit dans une expression de douceur et de bienveillance.

— Bon avoir mère, dit Nick. Wyandotté n’a pas de squaw : épouse morte, mère morte, sœur morte, toutes parties pour la terre des Esprits, chef les suivra. Avoir été sur le sentier de mort aussi, mais femme du capitaine dire : Arrêtez, Nick ; un peu trop tôt maintenant, prenez médecine et allez bien. Chef toujours aimer la squaw, quand son esprit pas rendu farouche par la guerre.

— Et la guerre, Wyandotté, ne rend pas votre esprit farouche maintenant ? répondit mistress Willoughby avec vivacité. Vous aiderez donc une mère à retirer son fils des mains des impitoyables ennemis.

— Pourquoi penser impitoyables ? parce que Faces Pâles habillés comme Indiens et essayer de tromper ?

— Cela pourrait être une raison, mais je crains qu’il n’y en ait beaucoup d’autres. Dites-moi, Wyandotté, comment avez-vous découvert que Robert était prisonnier, et par quel moyen a-t-il pu vous donner sa lettre ?

L’Indien reprit une contenance fière, persuadé qu’il montrait la supériorité d’un Homme Rouge sur une Face Pâle en indiquant les moyens à l’aide desquels il avait fait ses découvertes.

— Lire livre sur terre, répondit Nick gravement. Deux livres toujours ouverts devant chef, un dans le ciel, l’autre sur la terre. Livre du ciel dit : le temps neige, pluie, vent, tonnerre, éclairs, guerre ; livre sur terre dit qui est arrivé.

— Et quel rapport le livre de la terre a-t-il avec mon fils, Wyandotté ?

— Dit tout sur lui. Trace du major d’abord vue au moulin. Pas mocassin, mais botte. Botte de soldat, comme lettre, dit grande quantité en peu de mots. D’abord penser pied du capitaine, mais trop petit. Alors connaître pied du major.

— Voilà qui est très-bien, Nick, interrompit le capitaine, mais vous m’excuserez si je dis que c’est aller un peu trop loin. Il me semble impossible que vous ayez pu reconnaître que l’empreinte était celle du pied de mon fils ? Comment pouvez-vous en être certain ?

— Comment pouvoir, hein ? Qui suivit ses traces de la maison à la rivière de l’Hudson ? Penser Nick aveugle et pas voir ? Tuscarora lira son livre aussi bien que Face Pâle lira la Bible.

Ici Nick regarda un moment autour de lui, leva l’index, et ajouta avec vivacité : — L’ai vu à Bunker-Hill, le connaître parmi dix, six, deux mille guerriers. Connaître ce pied, si je rencontrais dans l’Heureuse Terre.

— Et pourquoi celui de mon fils, en particulier ? On change souvent de chaussure, une botte ne peut pas être exactement semblable à la précédente, cela me semble impossible. Ce récit de la botte, Nick, vient jeter du soupçon sur toute votre histoire.

— Quel soupçon ? demanda l’Indien avec la rapidité de l’éclair. Que cela me donne des doutes, des soupçons.

— Pas croire, ha ?

— Il n’en faut peut-être croire que la moitié.

— Pourquoi vieux soldat toujours des soupçons, squaw jamais ? Demandez à mère, — ha ! — Penser que Nick pas connaît trace de fils, jolie trace comme celle de jeune chef ?

— Je crois réellement que Nick a pu reconnaître la marque du pied de Bob, Hugh, dit mistress Willoughby. Il est reconnaissable entre mille. Vous pouvez vous souvenir combien on vantait son pied quand il était enfant. Pour un homme, je pense qu’il est encore plus remarquable.

— Oui, allez toujours dans cette voie, Nick, et ma femme croira tout ce que vous direz. Il n’y a pas de soupçon dans la partialité d’une mère, certainement. Vous êtes un vieux courtisan, et vous feriez votre chemin à Saint-James. Enfin vous voyez l’empreinte d’un pied, et vous reconnaissez que c’est celui de mon fils. Ensuite. Avez-vous demandé à être admis dans sa prison ? ou votre entrevue fut-elle secrète ?

— Wyandotté trop sage pour agir comme femme ou enfant. Voir sans regarder, converser sans parler, entendre sans écouter. Major écrire lettre, Nick prendre. Tout fait par œil et main, rien par langue. Mohawk aveugle comme hibou.

— Puis-je vous croire, Tuscarora ou, excité par les démons, venez-vous pour me tromper ?

— Vieux guerrier regarder deux fois avant d’aller ; penser dix fois avant dire oui. Tout est bon. Capitaine peut croire tout ce que Nick dit.

— Mon père ! s’écria Maud avec une énergique simplicité, je réponds de la franchise de l’Indien. Il a si souvent guidé Robert, qu’il ne peut pas avoir le cœur de trahir lui ou nous. Fiez-vous donc à lui, il peut nous servir.

Le capitaine Willoughby, peu disposé cependant à juger Nick favorablement, fut frappé de l’expression de reconnaissance et de bonté qui traversa le visage noir de l’Indien, à ces paroles de la charmante fille.

— Nick semble disposé à faire une trêve avec vous toutes, Maud, dit-il, en souriant, et je saurai maintenant où trouver un médiateur si quelques troubles s’élèvent entre nous.

— Je connais Wyandotté depuis mon enfance, cher monsieur, et il a toujours été mon ami. Il m’a promis en particulier d’être fidèle à Bob, et je suis heureuse de dire qu’il a toujours tenu sa parole.

Maud ne disait pas tout. Elle avait fait souvent des présents à l’Indien, et surtout pendant l’année qui avait précédé le retour de Robert à Boston, parce qu’elle savait que Nick devait être son guide. Nick avait connu le vrai père de Maud, il était présent à sa mort. Il connaissait donc la position actuelle de la jeune fille dans la famille de la Hutte, et même il avait approfondi le secret de son cœur plus que notre héroïne elle-même. La sollicitude de Maud l’avait trahie, et le pénétrant Tuscarora avait discerné ce qui avait échappé à l’observation du père, de la mère et de la sœur. Si Nick eut été une Face Pâle de la classe de ceux qu’il fréquentait habituellement, il n’aurait pas manqué de livrer sa découverte aux railleries de tout l’établissement ; mais cet hôte des forêts, malgré sa dégradation et ses nombreuses fautes, avait trop de respect pour les affections d’une femme pour en faire le sujet de ses plaisanteries. Un père n’eût pas mieux gardé le secret de Maud que ne le fit Saucy Nick.

— Nick ami, dit l’Indien tranquillement ; cela suffit ; ce que Nick dit, Nick pense. Allons, capitaine ; il est temps de quitter squaw pour parler de guerre.

À cet avis, qui était trop clair pour n’être pas compris, le capitaine Willoughby dit à l’Indien de se rendre dans la cour, lui promettant d’aller le rejoindre après qu’il aurait eu une courte conférence avec Joyce qu’il avait fait demander. C’est la manière dont le Tuscarora avait escaladé la palissade, et la crainte qu’il n’eût été vu, qui firent le sujet de la discussion. Le sergent était disposé à se méfier de tous les Hommes Rouges, et il conseilla de retenir Nick prisonnier, au moins jusqu’au retour du jour.

— Je puis dire à Votre Honneur que ce serait dans l’ordre. L’avis des soldats en guerre avec les sauvages est de payer la trahison par la trahison ; et la trahison est un exercice familier à l’Homme Rouge. O’Hearn ferait une bonne sentinelle. La chambre de M. Woods est disponible, et rien ne sera plus facile que de tenir le sauvage sous notre dépendance. D’ailleurs, avec un peu de ménagement, il pourra s’imaginer que nous lui faisons l’honneur de le retenir près de nous par bienveillance.

— Nous verrons, sergent répondit le capitaine. Cela ne me paraîtrait pas très-loyal, et c’est peut-être cependant ce que nous aurions de mieux à faire. Allons d’abord faire notre ronde ; prenons Nick avec nous pour plus de sûreté, et nous-nous déciderons après.