Voyage dans l’Asie centrale, de Téhéran à Khiva, Bokhara et Samarkand/01

Première livraison
Traduction par Forgues.
Le Tour du mondeVolume 12 (p. 33-48).
Première livraison


Première entrevue de l’auteur avec des pèlerins tartares (sunnites) à Téhéran. — Dessin de Émile Bayard d’après Vambéry.

VOYAGE DANS L’ASIE CENTRALE,

DE TÉHÉRAN À KHIVA, BOKHARA ET SAMARKAND,


PAR ARMINIUS VAMBÉRY,
SAVANT HONGROIS DÉGUISÉ EN DERVICHE.
1863. — TEXTES ET DESSINS INÉDITS.


I

But de mon voyage. — Constantinople. — La Perse. — Hospitalité de l’ambassade turque. — Derviches et Hadjis sunnites tartares. — J’entre en rapport avec l’une de leurs caravanes. — Les quatre routes. — Je me fais Turc. — pronostics sinistres. — Je pars.

Je suis né en 1832 dans la petite ville hongroise de Duna Szerdahely, située sur une des plus grandes îles du Danube. Porté de bonne heure, et par un instinct particulier, à l’étude de la linguistique, je m’étais occupé des différents idiomes qui se parlent en Europe et en Asie ; j’explorai tout d’abord avec ardeur les riches domaines des littératures orientales et occidentales. Plus tard, je m’intéressai aux influences réciproques que les langues exercent les unes sur les autres, et on ne doit pas s’étonner qu’en vertu du vieux proverbe Nosce teipsum[1], mon attention se soit principalement dirigée sur l’origine et les affinités de ma langue natale.

On n’ignore pas que le hongrois appartient à la tige dite altaïque ; en revanche on n’a pas encore tranché la question de savoir s’il est de la branche tartare ou de la finnoise. Cette solution qui nous intéresse, nous autres Hongrois, au double point de vue de la science et de la nationalité, fut le principal mobile qui me conduisit vers l’Orient[2]. Je me proposais de déterminer, par une étude pratique des langues vivantes, le degré de parenté qui m’avait tout d’abord frappé comme existant d’une manière positive entre les dialectes hongrois et turco-tartare.

Je me rendis d’abord à Constantinople. Une résidence de plusieurs années dans des familles turques et de fréquentes visites dans les écoles et les bibliothèques de l’Islam firent bientôt de moi un véritable Turc, je pourrais même dire un Effendi[3]. Le progrès de mes recherches linguistiques excitait de plus en plus mon désir de pénétrer dans les profondeurs les moins accessibles des régions orientales, et lorsque je fus ainsi amené à risquer un voyage dans l’Asie centrale, il me sembla convenable de conserver ce caractère d’Effendi et de parcourir l’Orient sous les dehors d’un indigène.

De Constantinople j’allai en Perse, et je fis mon entrée à Téhéran le 13 juillet 1862. Je n’oublierai certainement pas de sitôt les mille obstacles à travers lesquels il fallut me frayer passage. Ânes, chameaux, mulets chargés de paille, d’orge ou de ballots de marchandises tant européennes qu’indigènes, s’avançaient de toutes parts dans la plus étrange confusion et obstruaient l’accès même de la porte. Ramenant mes jambes sous moi sans quitter la selle, et criant à tue-tête comme mes voisins : Khaberdar ! khaberdar ! (prenez garde !) je réussis, mais non sans difficulté, à pénétrer dans la ville. Je longeai le bazar et j’arrivai enfin au palais de l’ambassade turque, sans avoir reçu aucune atteinte sérieuse, dans cette foule compacte où les coups de bâton, et même les coups de sabre, s’échangeaient avec une libéralité surprenante.

Qu’allait faire à l’ambassade turque un sujet du royaume de Hongrie, missionnaire scientifique de l’Académie de Pesth ? Ce que j’ai confié au lecteur répond à cette question.

Haydar Effendi, autrefois chargé de missions diplomatiques à Saint-Pétersbourg et à Paris, représentait alors le sultan à la cour du shah. Il était au nombre des personnes que mon séjour à Constantinople m’avait fait connaître. Mais, outre ces relations personnelles, je lui apportais plusieurs lettres de ses amis les plus intimes, et comptant sur l’hospitalité turque mainte et mainte fois mise à l’épreuve, j’étais à peu près sûr de trouver bon accueil auprès de lui. Je pensais donc que je serais logé comme un hôte à l’ambassade ottomane ; aussi, en apprenant que les membres dont elle était composée habitaient déjà leur yailar, ou résidence d’été, à Djizer (huit milles de Téhéran), je me bornai à changer d’habits, et après un repos de quelques heures que je m’accordai en compensation de plusieurs nuits d’insomnie, je me remis en route sur un âne que j’avais loué pour une promenade à la campagne.

Au bout de deux heures, je me trouvais sous une magnifique tente de soie, en présence des effendis qui étaient sur le point de se mettre à table. Amicalement reçu par l’ambassadeur et par ses secrétaires, je pris place à leur banquet que le contraste me faisait trouver splendide, et l’entretien, qui ne tarissait guère, nous ramena bientôt sur les rives enchantées du Bosphore.

Notre conversation se prolongea fort avant dans la nuit. Le lendemain et les jours suivants je fus présenté aux diverses ambassades.

Mon séjour à Djizer et à Téhéran se prolongea plus que je ne l’aurais désiré. Grâce à mes bons amis de l’ambassade ottomane, j’y menais une existence fort mal assortie au rôle que je comptais prendre pendant mon voyage, celui d’un derviche mendiant.

Je voulus enfin m’arracher à ce bien-être dangereux, et en janvier 1863, hâtant mes préparatifs, je résolus, sans m’arrêter aux sacrifices qu’il en pourrait coûter, de donner suite à mes desseins.

L’ambassade ottomane est dans l’usage d’accorder un modique subside aux hadjis (pèlerins musulmans) et derviches qui, chaque année, en nombre très-considérable, traversent la Perse pour se rendre en Turquie. Cette mesure bienfaisante est à peu près indispensable aux pauvres mendiants sunnites qui, vu la différence de secte, n’obtiendraient pas un liard des shiites persans[4]. Il s’ensuivait que l’hôtel de l’ambassade s’ouvrait presque chaque jour à de pauvres pèlerins arrivant des plus lointaines régions du Turkestan. J’éprouvais une grande satisfaction chaque fois qu’un de ces Tartares en haillons franchissait le seuil de mon appartement ; je tirais d’eux, en effet, beaucoup de renseignements positifs sur leur pays natal, et leur conversation m’était fort utile pour mes études philologiques ; de leur côté, ne pouvant même soupçonner ce que j’avais en perspective, ils étaient naturellement surpris et charmés de me trouver si affable.

Il circula bientôt, dans le caravansérail ou résidaient ces hôtes éphémères, que Haydar Effendi, l’ambassadeur du sultan, montrait un cœur généreux ; que Reshid Effendi (c’était là mon nom de guerre), traitant les derviches comme ses frères, était probablement lui-même un derviche déguisé.

Une fois ces notions répandues dans le public, je n’avais pas à m’étonner que tout Hadji survenu à Téhéran se présentât chez moi d’abord, et seulement au sortir de là chez le ministre de Turquie ; ce dernier, en effet, n’était pas toujours accessible, tandis que par mon entremise, ils obtenaient aussitôt soit leur modeste viatique, soit la réalisation des autres vœux qu’ils pouvaient former et qui n’excédaient pas la mesure du possible.

Ce fut ainsi que dans la matinée du 20 mars quatre de ces pèlerins se présentèrent à moi, demandant que je voulusse bien les accompagner chez l’envoyé du sultan et appuyer la plainte qu’ils comptaient porter contre les employés persans de Hamadan qui avaient prélevé sur eux, à leur retour de la Mecque, la taxe abusive dont on frappait jadis les sunnites, pure exaction, réprouvée par le shah de Perse et depuis longtemps interdite par le sultan. Remarquons ici que, dans la pensée de ces bons Tartares, le monde entier est tenu d’obéir à leur chef religieux, le maître de Constantinople. Nos gens, formulant leurs griefs, s’exprimaient ainsi : « Nous ne demandons point d’argent à Son Excellence l’ambassadeur : l’unique objet de nos prières, c’est qu’à l’avenir les sunnites comme nous puissent visiter les Saints Lieux sans être molestés. »

Un langage si peu personnel avait droit de me surprendre, tenu par un natif d’Orient. Aussi étudiais-je avec soin la sauvage physionomie de mes hôtes, et je dois avouer que, malgré leur extérieur inculte, malgré leurs misérables vêtements, j’entrevis chez eux je ne sais quelle noblesse native qui tout d’abord me prédisposa favorablement. Dans le cours du long entretien que nous eûmes ensemble, je pris des renseignements plus complets sur leurs collègues, sur la route qu’ils avaient suivie en se rendant à la Mecque, et sur celle qu’ils comptaient prendre au sortir de Téhéran.

L’orateur de la bande était, la plupart du temps, un Hadji de la Tartarie chinoise, dont les haillons se dissimulaient sous un djubbe (ou surtout) vert fraîchement sorti de chez le tailleur ; il était coiffé d’un énorme turban blanc, et la flamme de son regard, l’intelligente vivacité de ses yeux attestaient sa supériorité, reconnue d’ailleurs par le reste de ses compagnons. Chapelain ou Imam du Vang d’Aksu[5], il prétendait avoir double droit au titre de Hadji, puisqu’il avait fait deux fois le pèlerinage du Saint-Sépulcre ; il me présenta officiellement celui de ses associés qui s’était placé auprès de lui et me fit comprendre que mes quatre interlocuteurs devaient être considérés comme les chefs d’une petite caravane composée en tout de vingt-quatre pèlerins.

« Notre société, poursuivit l’orateur, comprend à titre égal des jeunes gens et des vieillards, des riches et des pauvres, ceux-ci connus pour leur piété, ceux-là pour leur instruction, les uns clercs, les autres laïques. Nous n’en vivons que de meilleur accord, étant tous natifs du Khokand ou du Kashgar, et n’ayant parmi nous aucun serpent de la race bokhariote. »

Je connaissais déjà de longue date l’hostilité que les tribus osbeg (ou tartares) de l’Asie centrale professent envers les Tadjiks (les anciens indigènes de race persane) ; aussi écoutai-je, sans le moindre commentaire, cette déclaration de principes, ayant surtout à cœur de savoir à quoi m’en tenir sur les projets ultérieurs de mes hôtes.

« De Téhéran chez nous, disaient-ils, il existe quatre routes : la première nous mène jusqu’à Bokhara par Astrakhan et Orenburg, la seconde par Mesbid et Hérat, la troisième par Meshid et Merv, la quatrième enfin par les déserts Turkomans et le pays de Khiva. Les deux premières sont beaucoup trop coûteuses et la guerre d’Hérat y sème aussi trop d’obstacles ; il est vrai que les deux dernières offrent une foule de dangers ; néanmoins c’est entre elles qu’il faut choisir, et nous vous demanderons à ce sujet un conseil d’ami. »

Nous causions déjà depuis près d’une heure ; je n’avais pu que goûter leurs franches explications, et, malgré la singularité de traits qui signalaient leur origine étrangère, malgré leurs grossiers vêtements ou étaient inscrites les traces d’un long et pénible voyage, — bref, malgré tout ce que leurs dehors avaient de répulsif, — je me demandais déjà si je ne me joindrais pas à ces hommes pour pénétrer avec eux dans l’Asie centrale. En leur qualité de natifs, je ne pouvais trouver de meilleurs guides ; ils me connaissaient déjà comme derviche, ils m’avaient vu accepter à ce titre par l’ambassade ottomane ; ils avaient enfin de nombreuses relations à Bokhara, la seule ville dont le séjour me parût redoutable quand je songeais au sort tragique des voyageurs qui m’y avaient précédé.

Mon parti fut pris sans beaucoup d’hésitation.

Je savais que j’allais être questionné sur les motifs qui pouvaient me faire entreprendre un pareil voyage. Un Oriental pur sang, je le savais aussi, n’accepterait jamais comme valable un mobile simplement scientifique ; il lui semblerait absurde, et même suspect, qu’un effendi voulût encourir tant de risques et d’ennuis pour la réalisation d’une pensée abstraite. Les Orientaux ne comprennent pas l’inquiète curiosité des savants et ne croient pas volontiers qu’elle puisse exister. Il eût donc été fort maladroit de heurter de front, dans leurs convictions les plus chères, ces fanatiques musulmans ; et je me trouvais réduit, par là même, à user de quelque subterfuge vis-à-vis d’eux, ce dont je me serais fait scrupule en toute autre circonstance. Ceux auxquels j’eus recours étaient de nature à flatter mes futurs compagnons et calculés de manière à servir mes secrets desseins. Je leur dis, par exemple, que je nourrissais en moi depuis longtemps, sans en avoir jamais parlé à personne, l’ardent désir de visiter le Turkestan (l’Asie centrale), non pas seulement comme la source unique où la vertu de l’islam fût demeurée à l’abri de toute souillure, mais aussi afin de contempler les saints de Khiva, de Bokhara et de Samarkand. C’était avec cette idée, leur assurai-je, que j’avais quitté le pays de Roum (la Turquie) pour me rendre en Perse, ou j’attendais depuis un an les compagnons prédestinés par Dieu à faciliter mon pèlerinage.

Quand j’eus fini de parler, ces braves Tartares, un moment fort étonnés, parurent se remettre peu à peu de leur stupéfaction. Désormais, disaient-ils, tous leurs doutes étaient levés ; j’étais bien ce derviche qu’ils avaient soupçonné dès l’abord. Ils se déclaraient heureux de l’amitié que je leur témoignais en les prenant pour guides et pour protecteurs dans une entreprise si lointaine et si périlleuse.

« Vous trouverez en nous, non-seulement des amis, mais des serviteurs, poursuivit Hadji Bilal (l’orateur en titre dont j’ai parlé). Nous devons cependant vous rappeler que les routes du Turkestan ne sont ni aussi commodes ni aussi sûres que celles de la Perse ou de la Turquie. Sur celle que nous allons prendre, on voyage souvent des semaines entières sans rencontrer une maison, sans pouvoir se procurer un morceau de pain, ni même une goutte d’eau potable. On court de plus le risque d’être assassiné ou fait prisonnier et vendu comme esclave, sans parler de celui auquel vous exposent les « tempêtes de sable » par lesquelles on peut être enterré vif. Veuillez peser, Effendi, les conséquences de votre démarche. Peut-être la déplorerez-vous un jour, et nous ne voulons à aucun prix prendre sur nous la responsabilité des malheurs qui vous arriveraient. Par-dessus tout, vous devez avoir présent à l’esprit que la plupart de nos compatriotes nous sont bien inférieurs en expérience acquise et en connaissance du monde ; nonobstant tout ce qu’on a pu vous dire de leur hospitalité, ils se méfient invariablement de l’étranger que leur envoie un pays lointain. Vous êtes-vous demandé, d’ailleurs, comment vous feriez, privé de notre assistance et livré à vos seules ressources, pour effectuer la longue traversée du retour ? »


Hadji Bilal, pèlerin tartare, compagnon de Vambéry. — Dessin de É. Bayard d’après Vambéry.

Il est facile de concevoir que ces paroles produisirent sur moi une impression assez forte. Cependant elles ne réussirent pas à m’ébranler.

« Je le sais, leur disais-je, le monde terrestre est l’équivalent d’une hôtellerie[6] que nous habitons à peine quelques jours et d’où il faut sortir pour faire place à d’autres. Je me ris des musulmans contemporains qui ne bornent pas leurs soucis à l’heure présente, et dont les prévisions insensées embrassent un long avenir. Emmenez-moi, chers amis !… Ce royaume infime où l’erreur domine n’a plus aucun charme pour moi. J’en suis las, croyez-le bien, et ne demande qu’à le quitter. »

Mes instances prévalurent contre des objections de plus en plus faibles. Les chefs de la caravane m’acceptèrent immédiatement pour compagnon de voyage, et, en signe d’adoption, nous échangeâmes une affectueuse accolade. Je ne saurais dire que l’accomplissement de ces rites fût de tout point agréable ; il fallut dompter la répugnance que n’inspirait naturellement le contact de ces vêtements sordides, imprégnés de mille odeurs fâcheuses. N’importe, mon affaire était réglée. Il ne restait plus qu’à voir mon hôte, Haydar Effendi, à lui communiquer mes intentions, et à obtenir qu’il me recommandât aux Hadjis, pour lesquels je solliciterais immédiatement une audience.

J’avais prévu que mes projets rencontreraient une vive opposition ; effectivement on me taxa de folie, en me remontrant combien il était rare qu’un étranger sortît sain et sauf des pays ou je voulais me rendre. — N’était-ce pas assez de cette imprudence, et fallait-il, de plus, prendre pour guides des hommes que l’espoir du moindre profit porterait sans peine à m’assassiner ?

Ainsi parlaient mes amis de l’ambassade.

Cependant, une fois certains qu’ils ne parviendraient jamais à me détourner de mes idées favorites, ils substituèrent de bons conseils à leurs sinistres pronostics et cherchèrent par quels moyens ils pourraient le mieux seconder mon entreprise.

Haydar Effendi donna audience aux Hadjis, et, confirmant les discours que je leur avais tenus, me recommanda vivement à leur hospitalité ; il ajouta qu’une récompense leur serait acquise pour tout service rendu par eux à un effendi, à un serviteur du sultan, désormais confié à leur loyauté. Je n’assistais pas à cette entrevue, mais on m’apprit qu’ils avaient solennellement promis de remplir fidèlement leur mandat. On verra plus tard qu’ils tinrent parole. Haydar Effendi, dans le cours de la conversation, avait hautement blâmé la politique de l’émir de Bokhara[7]. Il voulut ensuite avoir la liste complète des pauvres voyageurs entre lesquels il répartit une somme d’environ quinze ducats, — magnifique présent pour des hommes qui se nourrissent d’eau et de pain !

Il était convenu que nous partirions dans un délai de huit jours. Hadji Bilal, en attendant, venait seul me visiter, m’amenant de temps à autre quelques-uns de ses compatriotes de l’Aksu, du Yarkend et de Kashgar. On eût dit, à mon sens, des aventuriers étrangement déguisés, et non des pèlerins obéissant à une inspiration dévote. Celui d’entre eux auquel ils témoignaient le plus d’intérêt, Abdul-Kader, espèce de rustre âgé d’environ vingt-cinq ans, me fut recommandé par lui à titre de serviteur.

« Je vous le donne, disait Hadji Bilal, pour un bon et fidèle camarade, assez gauche, j’en conviens, mais susceptible d’apprendre ce que vous voudrez lui enseigner… Tirez parti de lui pendant le voyage ; il fera votre pain et votre thé, deux métiers auxquels il s’entend fort bien. »

Je montrai à Hadji Bilal la petite somme d’argent que j’emportais avec moi pour les dépenses du voyage ; en même temps, je le priai de me renseigner sur le costume, l’attitude, la manière de vivre que je devais adopter pour n’assimiler le plus possible à mes compagnons de route et me dérober ainsi à l’incessante curiosité dont j’allais être l’objet.

Avant tout il me conseilla de raser mes cheveux et de changer, contre un costume bokhariote, les vêtements turco-européens dont j’étais encore pourvu ; il fallait autant que possible supprimer les objets de literie, le linge de corps, et tout ce qui de près ou de loin ressemblait à du superflu. Je suivis exactement ses conseils, et mon nouvel équipement, qui ne demandait pas de nombreux préparatifs, se trouva bientôt au complet ; trois jours avant celui qu’on avait fixé pour le départ j’étais à même de tenter les hasards de ma grande aventure.

Dans l’intervalle je crus devoir rendre à mes futurs associés la visite qu’ils m’avaient faite, et je les allai chercher dans le misérable caravansérail ou ils étaient établis. Ils y occupaient deux petites cellules : quatorze personnes logeaient dans l’une, dix dans l’autre, et je n’avais pas encore vu tant de misère et de saleté entassées dans un aussi étroit espace. L’impression que je ressentis alors ne s’effacera jamais de ma mémoire. Fort peu d’entre eux avaient de quoi se suffire jusqu’au terme de leur voyage ; le bâton du mendiant constituait l’unique ressource de presque tous. Je les trouvai se prêtant un secours mutuel pour certaine toilette dont les détails offusqueraient l’imagination de mes lecteurs, mais qui me devint nécessaire lorsque. j’eus quitté cet antre immonde.

Leur réception fut d’ailleurs des plus cordiales ; ils m’offrirent le thé, selon la coutume, et j’endurai tout au long le supplice d’avaler sans sucre un grand bol de l’eau verdâtre à laquelle ils donnent ce nom. Pour surcroît de malheur, ils voulaient me contraindre à renouveler l’opération, mais je les suppliai de m’excuser. Alors il me fut permis de serrer tour à tour dans mes bras chacun de mes nouveaux collègues. Je reçus de tous le baiser fraternel, et quand j’eus rompu le pain séparément avec chaque membre de l’association, nous nous assîmes en cercle pour délibérer sur la route à prendre.

Ainsi qu’on l’a vu, nous n’avions à choisir qu’entre deux chemins, l’un et l’autre semés de périls et traversant le Désert dont les Turkomans se sont fait une patrie ; nulle autre différence que celle des tribus au milieu desquelles il faudrait passer. En prenant par Meshid, Merv et Bokhara nous abrégions très-certainement, mais il fallait affronter les tribus tekké, les plus sauvages de leur race, connues pour n’épargner qui que ce soit, et qui n’hésiteraient pas à vendre comme esclave le Prophète lui-même s’il venait à tomber entre leurs mains. Sur l’autre route, se trouvent les Turkomans Yomut, peuple relativement honnête et hospitalier ; mais celle-ci nous condamnait à traverser le Désert sur un espace équivalant à quarante stations, sans espoir d’y trouver une seule source d’eau douce et potable. Après quelques observations, ce fut à cette seconde alternative que s’arrêtèrent nos chefs :

« Mieux vaut, disaient-ils, lutter contre la perversité des éléments que contre celle des hommes. Nous sommes sur les voies de Dieu, et ce Dieu toujours clément ne nous abandonnera certainement pas. » Pour mettre le sceau à cette résolution définitive, Hadji Bilal implora les bénédictions d’en haut. Tandis qu’il parlait nous avions tous levé les mains vers le ciel ; et lorsqu’il eut fini, chacun de nous, empoignant sa barbe, prononça tout haut le mot « Amen ! »

La séance levée, on m’avertit que je devrais me trouver au même endroit deux jours après et de très-bonne heure, si je voulais partir en même temps que le reste de la caravane.

Je revins à l’ambassade, et pendant ces deux journées, j’eus à soutenir contre moi-même une lutte des plus pénibles. Je ne pouvais m’empêcher de comparer les dangers vers lesquels j’allais courir aux résultats que mon voyage pouvait avoir ; je soumettais à l’examen le plus rigoureux les mobiles qui me poussaient en avant, n’étant pas bien certain qu’ils légitimassent une témérité comme la mienne ; mais j’étais sous une espèce de charme qui ne me permettait guère de réfléchir. En vain s’efforçait-on de me persuader que le masque religieux de mes nouveaux compagnons me dissimulait seul leur dépravation réelle ; en vain me rappelait-on, pour m’effrayer, le sort tragique de Conolly, de Stoddart et de Moorcroft, ainsi que les désastres plus récents de M. de Blocqueville, qui, tombé dans les mains des Turkomans, avait eu dix mille ducats à payer pour se racheter de l’esclavage : je ne voulais voir dans tout ceci que des infortunes accidentelles, et ce qui était arrivé à d’autres m’inspirait je ne sais comment assez peu de crainte pour moi-même. Je me demandais seulement si j’aurais assez de forces physiques pour supporter en même temps la rigueur du climat, un régime alimentaire dont je n’avais pas l’habitude, l’insuffisance du vêtement, les nuits passées en plein air, et surtout la fatigue des longues marches qu’une infirmité accidentelle devait me rendre particulièrement intolérable[8]. C’était là ce qui m’inquiétait le plus et me causait le plus de souci pour le succès de mon aventureuse expédition. Je n’ai pas besoin de dire quelle fut l’issue de ce combat intérieur.

Dans la soirée qui précéda le départ, je fis mes adieux à mes bons amis de l’ambassade ; deux d’entre eux seulement possédaient le secret de mon voyage ; et tandis que les résidents européens me supposaient parti pour Meshid[9], j’allais, au sortir de Téhéran, continuer ma route dans la direction d’Astrabad et de la mer Caspienne.


II

Voyage au nord-est de Téhéran. — Les hymnes de marche. — Liste des membres de la caravane. — Traversée des monts Elburz. — Nous entrons dans le Mazendran. — Paradis printanier. — Souvenirs exotiques. — Indiscrétions nocturnes des chacals. — Les Babis. — Sari. — Une colonie sunnite. — Karatepe.

Dans la matinée du 28 mars 1863, et dès la pointe du jour, je m’acheminai vers le karavanséraï où nous avions pris rendez-vous. Ceux de mes nouveaux amis à qui le bon état de leurs finances avait permis de louer un âne ou un mulet pour les transporter jusqu’aux frontières de la Perse, se trouvaient déjà là tout bottés, tout éperonnés ; les pauvres piétons, non moins exacts, avaient chaussé le jaruk, et tenant à la main leur long bâton de dattier, semblaient attendre avec impatience le signal du départ. Je constatai, à ma grande surprise, que les misérables vêtements dont je les avais vus affublés à Téhéran étaient en réalité leur costume de ville, autant vaut dire leurs habits de fête. Ils y avaient substitué leur appareil de voyage, c’est-à-dire un nombre illimité de haillons, variés de forme et de couleur, qu’un brin de corde fixait tant bien que mal autour de leur taille. La veille encore, devant mon miroir, je m’étais cru le plus déguenillé de tous les mendiants ; maintenant, au milieu de ces porte-loques, je ressemblais à un roi sous sa pourpre.

Hadji Bilal, levant les mains, nous donna la bénédiction du départ, et à peine avions-nous prononcé, barbes au poing, l’amen sacramentel, que nos piétons, se précipitant à grands pas hors des portes, prirent une bonne avance sur la cavalerie pacifique destinée désormais à former l’arrière-garde.

Notre marche nous conduisait dans la direction du nord-est, c’est-à-dire de Téhéran vers Sari, où nous devions arriver en huit stations. Nous tournâmes donc vers Djadjerud et Firuzkuh, laissant à notre gauche Taushantepe, le petit rendez-vous de chasse du monarque ; et une heure après nous étions à l’entrée du défilé montagneux où on perd de vue la plaine et la cité royale de Téhéran. Là, je ne pus m’empêcher de tourner la tête. Le soleil, pour me servir d’une expression orientale, était déjà « haut d’une lance ; » et ses rayons éclairaient, par delà les toits de Téhéran, le dôme doré de Shah Abdul-Azim. À cette époque de l’année, la nature a déjà revêtu, dans ces districts, l’éclatante verdure du printemps, et je dois avouer que la capitale, dont l’aspect général m’avait si désagréablement impressionné l’année d’avant, m’éblouissait alors de sa beauté radieuse. Ce regard que je jetais sur elle, était comme un adieu aux derniers confins de la civilisation européenne. J’allais affronter désormais ce que la vie sauvage et barbare a de plus excessif. Cette pensée m’avait profondément ému, et, pour ne pas trahir devant mes compagnons les sentiments qui m’agitaient, je poussai mon cheval dans les sinuosités encore désertes de la passe que nous allions franchir.

Les gens de la caravane, cependant, s’étaient mis à réciter tout haut des passages du Koran et à chanter des telkins (hymnes), comme il sied à de véritables pèlerins. Ils me pardonnaient de ne pas accomplir ces rites, sachant que les Roumis (osmanli) ne sont pas élevés dans des principes aussi strictement religieux que les gens du Turkestan ; ils comptaient d’ailleurs qu’à la longue, et par l’effet naturel de mon affiliation avec eux, l’inspiration nécessaire ne pouvait manquer de me venir. Voici la liste de ces braves gens en compagnie desquels j’allais franchir tant de pays à peine connus des Européens.

1. Hadji Bilal, dont on connaît déjà le lieu de naissance et la profession. Avec lui étaient ses fils adoptifs :

2. Hadji Isa, jeune garçon de seize ans, et

3. Hadji Abdul-Kader, mentionné plus haut.

Venaient ensuite :

4. Hadji Yusuf, riche paysan de la Tartarie chinoise, avec son neveu

5. Hadji Ali, enfant de dix ans dont les petits yeux kirghiz percés comme avec une vrille avaient le privilége de m’égayer. Ils possédaient à eux deux un viatique de quatre-vingts ducats, ce qui les classait parmi les riches de la compagnie ; ceci pourtant ne se disait qu’à voix basse. Un cheval loué à frais communs les portait alternativement, l’un marchant tout le jour tandis que l’autre était en selle.

6. Hadji Amed, pauvre Mollah qui accomplissait son pèlerinage sans autre aide qu’un bâton de mendiant. Ainsi faisait son collègue

7. Hadji Hasan, dont le père était mort en route et qui revenait, orphelin, vers son pays natal ;

8. Hadji Yakoub, mendiant de profession et tenant de son père cet honorable métier ;

9. Hadji Kurban (l’aîné), paysan de naissance qui avait traversé comme rémouleur la presque totalité de l’Asie, poussé jusqu’à Constantinople et la Mecque, visité à diverses époques le Thibet et Calcutta, parcouru deux fois les steppes kirghizes jusqu’à Orenburg et Taganrok.

10. Hadji Kurban (le cadet), qui, lui aussi, pendant le voyage, avait vu mourir son père et son frère ;

11. Hadji Said, et

12. Hadji Abdul-Rahman, pauvre garçon de quatorze ans, déjà éclopé, dont les pieds avaient été gelés dans les neiges du Hamadan et qui jusqu’à Samarkand resta sujet à de cruelles souffrances.

Les pèlerins que je viens de nommer étaient natifs du Khokand, du Yarkand et de l’Aksu, deux districts adjacents ; c’étaient par conséquent des Tartares chinois appartenant à la suite d’Hadji Bilal, lequel se trouve d’ailleurs dans de bons termes avec

13. Hadji Sheikh Sultan Mahmoud, natif de Kashgar où se voit la tombe d’un saint renommé, Hazreti Afak, à la famille duquel il appartient. Ce jeune Tartare enthousiaste avait pour père un poëte dont l’imagination ardente caressait depuis longtemps l’idée d’un pèlerinage à la Mecque ; après de longues années de souffrances, il réalisa les rêves de toute sa vie et mourut dans la cité sainte qu’il avait enfin pu visiter. Le pèlerinage de son fils avait eu par conséquent un double objet ; il était allé prier en même temps sur la tombe de son père et sur celle du Prophète. Avec lui voyageaient

14. Hadji Husein, son parent, et

15. Hadji Ahmed, naguère soldat au service de la Chine et faisant partie du régiment Shiiva, lequel est composé de musulmans armés de fusils.

Étaient nés dans le Khanat ou la principauté de Khokand :

16. Hadji Salih Khalifed, candidat à l’ishan, c’est-à-dire au titre de sheikh, et appartenant par conséquent à un ordre demi-religieux ; excellent homme, d’ailleurs. Il était accompagné de son fils

17. Hadji Abdul-Baki, et de son frère

18. Hadji Abdul-Kader, surnommé le Medjzub[10], et qui, lorsqu’il a crié deux fois le nom d’Allah, tombe, l’écume à la bouche, dans un état de bienheureuse extase. — C’est tout simplement ce que les Européens appellent épilepsie.

19. Hadji Kari Messud (Kari, en langue turque, offre le même sens que Hafiz en persan : Celui qui sait tout le Koran par cœur). Il voyageait avec son fils

20. Hadji Gayaseddin ;

21. Hadji Mirza Ali et

22. Hadji Ahrarkuti ; ces deux derniers pèlerins cachaient encore dans leurs sacs quelques débris de leur pécule de voyage, et s’étaient cotisés pour louer une monture en commun.

23. Hadji Nur Mohammed, négociant qui était allé douze fois à la Mecque, mais seulement comme délégué d’un autre, et jamais pour son propre compte.

Nous montions les pentes des monts Elburz qui se succédaient de plus en plus élevés. L’accablement où j’étais fut remarqué par mes nouveaux amis, et ils mirent tout en œuvre pour me consoler. Hadji Salih, particulièrement, me rendit un peu de courage en m’assurant que je trouverais chez tous mes compagnons une affection fraternelle : « Dieu aidant, ajoutait-il, nous serons bientôt libres, une fois franchies les frontières de ces shiites hérétiques ; et nous parcourrons à notre aise les domaines des Turkomans sunnites qui sont, après tout, nos coreligionnaires. » — Belle perspective, à coup sûr ! me disais-je in petto ; mais j’éperonnai mon cheval afin de rejoindre, à l’avant-garde, ceux de nos piétons qui avaient pris les devants. Une demi-heure plus tard je me trouvais parmi eux, et je remarquai avec quelque surprise la gaieté de ces marcheurs intrépides après deux voyages de si longue haleine. Plusieurs d’entre eux chantaient de joyeuses ballades qui ressemblaient fort à celles de la Hongrie ; d’autres racontaient les aventures qui avaient marqué le cours de leurs vagabondages, et je prenais grand plaisir à ces conversations où se révélaient à moi la manière de voir, les pensées, les préoccupations de ces lointaines tribus, et qui me transportèrent, dès les portes de Téhéran, au cœur même de l’Asie centrale.

Pendant la journée le temps était assez chaud, mais les gelées du matin, surtout dans les districts montagneux, avaient de quoi me transir. Aussi, trop légèrement vêtu pour rester à cheval, il m’arrivait souvent de descendre afin de me réchauffer en marchant. Je passais alors ma monture à celui de nos piétons qui me semblait le plus fatigué ; il me confiait en échange son bâton de pèlerin, et je faisais ainsi de longues étapes durant lesquelles ces êtres naïfs me décrivaient avec enthousiasme les beautés de leur pays natal. Lorsque leurs réminiscences patriotiques les avaient exaltés à un certain point, lorsqu’ils avaient célébré à satiété les jardins fertiles de Mergolan, de Namengan et du Khokand, ils entonnaient unanimement, par une sorte d’accord tacite, quelqu’un de leurs chants religieux (telkins), et je m’y associais moi-même, entraîné par l’exemple, en poussant de toutes mes forces le cri d’Allah, Ya Allah !

Chaque fois qu’il m’arrivait d’entrer avec eux dans cette espèce de communion, les jeunes voyageurs ne manquaient pas d’en rendre compte aux plus âgés. Et ces derniers, se montrant fort satisfaits, ne cessaient de se répéter l’un à l’autre que Hadji Reshid (mon nom d’emprunt) était un derviche de la bonne espèce et qu’ils feraient quelque chose de lui.

Le quatrième jour, après une marche prolongée, nous atteignîmes Firuzkuh, où l’on monte péniblement par des chemins détestables.

La ville de Firuzkuh est située au pied d’une montagne que couronnent d’anciennes fortifications aujourd’hui démantelées ; elle tire quelque importance de ce fait qu’elle marque la limite de la province Arak Adjémi. Nous étions désormais dans le Mazendran.

Le lendemain matin, tournant décidément vers le nord, nous ne marchâmes guère que trois ou quatre heures avant d’atteindre le seuil de la grande passe (plus spécialement appelée Mazendran) qui s’étend jusqu’aux rives de la mer Caspienne. Dès qu’on a laissé derrière soi le karavanséraï bâti à la cime de la montagne, la stérilité, la nudité des pays que le voyageur vient de traverser font place aux richesses de la végétation la plus luxuriante.

On serait tenté de ne plus se croire en Perse quand on voit déborder de toute part la splendeur de ces forêts vierges et leur magnifique verdure. Elles étaient dans tout leur éclat printanier, et leur influence prestigieuse effaça jusqu’à la dernière trace des pressentiments sinistres qui m’avaient jusqu’alors troublé.

La station Zirab est à l’extrémité nord de cette longue passe que nous venions de franchir. Ici commencent d’interminables forêts qui cernent les rivages de la mer Caspienne. Nous longeâmes une chaussée construite par Shah Abbas, mais dont la ruine marche à grands pas. Heften, où nous devions passer la nuit, est au centre d’une belle forêt de buis. Nous y étions arrivés de bonne heure, et avant de préparer notre thé, nos jeunes gens se mirent en quête d’une source d’eau douce. Presque aussitôt nous entendîmes un cri de détresse et nous les vîmes revenir à toute course. Ils avaient vu, disaient-ils, dans le voisinage de la fontaine, certains animaux que leur approche avait fait fuir et qui s’étaient éloignés en bondissant. C’étaient des chacals qui, pendant la nuit, nous assaillirent, mais sans nous tourmenter beaucoup, bien qu’ils fussent trop nombreux pour qu’on pût songer à les écarter, ce qui d’ailleurs est facile, car ils ont peur du bâton. Ces animaux infestent la Perse tout entière. En ce qui me concerne, je fus harcelé du soir au matin. Pour les empêcher d’emporter mes souliers et mon sac à provisions, il ne fallut rien moins qu’une véritable lutte à coups de pied et à coups de poing.

Nous devions le lendemain gagner Sari, la capitale du Mazendran. À peu de distance de la route est Sheikh Tabersi, place forte longtemps défendue par les Babis[11] qui s’étaient rendus la terreur du voisinage. Ici encore nous trouvons de beaux jardins où les oranges et les citrons se récoltent par moissons abondantes. Leurs fruits jaunes et rouges contrastent d’une manière admirable avec la verdure qu’ils étoilent.

La ville même de Sari ne se recommande par aucun genre de beauté, mais on me la signale comme le centre d’un commerce important. Pendant que nous traversions le bazar de cette cité, la dernière du territoire persan, nous reçûmes aussi une dernière volée d’imprécations et d’injures. Je me laissai aller, cette fois, à témoigner le juste ressentiment d’une pareille insolence. Cependant, et après réflexion, il me parut à propos de ne pas garder l’attitude menaçante que me donnaient mon bâton et mon sabre alternativement levés sur les shiites dont plusieurs centaines encombraient le bazar.

Nous ne demeurâmes à Sari que juste le temps de louer des chevaux pour nous transporter en un jour au bord de la mer. La route traverse plusieurs marécages entrecoupés d’étangs ; la suivre à pied serait impossible. Il existe, du reste, différents chemins qui mènent d’ici à la mer Caspienne. On y va par Ferahabad (les Turkomans disent Parabad) aussi bien que par Gez ou Karatepe. Nous choisîmes néanmoins la dernière, qui devait nous conduire au sein d’une colonie sunnite où nous étions certains de trouver un accueil hospitalier, ayant pratiqué, à Sari même, plusieurs membres de cette colonie qui nous avaient paru de fort braves gens.

Nous nous étions reposés deux jours, quand nous partîmes pour Karatepe. Nous y arrivâmes le soir seulement, et après neuf heures d’une marche pénible. C’est là que commencent à se manifester les terribles impressions produites par le voisinage des Turkomans. Leurs barques de pirates, abritées le long de la côte, mettent à terre des bandes armées, dont les expéditions s’étendent à plusieurs lieues et qui ramènent au rivage de nombreux prisonniers.


Arminius Vambéry. — Dessin de Émile Bayard, d’après une photographie.


III

Mon hôte afghan, Nur-Ullah. — Je suis soupçonné. — Un Tiryaki. — Souvenirs de Nadir-Shah. — Premier coup d’œil sur la mer Caspienne. — Le capitaine Yakoub. — Talisman d’amour. — Nous nous embarquons pour Ashourada. — Les Russes et leur marine. — Un amiral turkoman. — Anxiétés inutiles. — Les Inghiliz et leurs balises. — L’embouchure de la Görghen. — Nous débarquons à Gömüshtepe. — Un chef turkoman. — Bonne réception.

Dès mon arrivée à Karatepe, un Afghan de haute classe, nommé Nur-Ullah, avec lequel j’avais noué connaissance pendant mon séjour à Sari, voulut absolument m’emmener dans sa maison, et comme je faisais quelque difficulté de fausser compagnie à mes collègues, il comprit Hadji Bilal dans ses pressantes invitations, ce qui ne me laissait aucun prétexte pour refuser son hospitalité. Je ne pouvais d’abord m’expliquer des prévenances si extraordinaires ; mais je m’assurai, un peu plus tard, qu’il avait appris sur quel pied je vivais à l’ambassade ottomane, et comptait obtenir de moi, par ses bonnes grâces, une lettre de recommandation, que je lui donnai du reste très-volontiers avant de le quitter.

À peine avais-je pris possession de ma nouvelle résidence que la chambre où j’étais s’emplit de visiteurs accroupis en demi-cercle le long des murailles, et qui tantôt me contemplant avec des yeux hagards, tantôt se communiquant l’un à l’autre le résultat de leurs observations, finirent par exprimer tout haut leurs opinions sur l’objet de mon voyage :

« Ce n’est point un derviche, disait la majorité ; il n’a aucunement les dehors de la profession ; les guenilles dont il est couvert font avec ses traits et son teint un contraste par trop frappant. Les Hadjis ne nous ont pas trompés en nous le signalant comme un des parents de l’ambassadeur qui représente notre sultan à Téhéran… »

Sur ce, tous se levèrent à la fois.

« Allah seul peut savoir, continua l’un d’eux, ce que vient faire parmi les Turkomans de Khiva et de Bokhara un personnage de si haute lignée. »

Tant d’impudence ne laissa pas que de me troubler quelque peu ; je ne m’attendais guère à me voir arracher ainsi, de prime abord, le masque dont je couvrais mes desseins. Malgré tout, gardant l’attitude impassible d’un véritable Oriental, je demeurai assis, comme abîmé dans mes réflexions, et feignis de n’avoir rien entendu. Quand ils virent que je ne prenais aucune part à la conversation, ils interpellèrent Hadji Bilal, et celui-ci affirma que j’étais réellement un effendi, un fonctionnaire du sultan, mais qu’obéissant à l’inspiration divine, et pour me soustraire aux déceptions du monde, je venais d’entreprendre un ziaret, c’est-à-dire un pèlerinage au tombeau des saints…

La plupart, ceci dit, hochèrent la tête, mais sans ajouter un mot sur un sujet si délicat. En effet, quand on lui parle de l’inspiration divine (Ilham), un bon musulman ne doit jamais exprimer le moindre doute. Il lui faut, même alors qu’il se croit dupe d’un imposteur, témoigner son admiration par un « mash allah » deux fois répété. Je n’en voyais pas moins que, sans avoir encore mis le pied hors du territoire persan, je touchais enfin aux frontières de l’Asie centrale. Ces questions, les méfiances de quelques sunnites isolés, me donnaient fort à penser sur ce qui pourrait m’arriver, une fois perdu dans la foule de ces farouches sectaires. Nos visiteurs nous firent perdre environ deux heures en bavardages de toute espèce, et seulement après leur départ nous fûmes libres de préparer le thé, pour nous livrer ensuite au repos.

J’essayais de m’endormir, lorsqu’un individu portant le costume des Turkomans, et que j’avais jusqu’alors regardé comme un membre de la famille, vint à petit bruit s’installer près de moi. Il m’apprit, en confidence, que ses affaires avaient nécessité pour lui, depuis une quinzaine d’années, des allées et venues continuelles entre Khiva et Karatepe ; bien que né à Kandahar, il connaissait à fond le pays des Ozbegs et de Bokhara ; en fin de compte, il me proposa de lier amitié avec lui, moyennant quoi nous traverserions ensemble le grand désert.

« Tous les fidèles sont frères[12], » lui répondis-je d’un ton sentencieux ; et en le remerciant de ses bonnes dispositions, je lui fis remarquer qu’en ma qualité de derviche, je devais respecter le lien qui m’attachait à mes compagnons de route. Il semblait vouloir prolonger la conversation, mais en lui manifestant le besoin que j’avais de m’abandonner au sommeil, je finis par obtenir qu’il me laissât tranquille.

Nur-Ullah m’apprit, le lendemain matin, que cet homme était un Tiryaki (un mangeur d’opium), un vaurien de la pire espèce, avec lequel, autant que possible, je devais éviter d’avoir aucun rapport. Il m’avertit en même temps que nos provisions de farine pour un voyage de deux mois ne pouvaient être faites que dans la ville ou nous étions, les Turkomans eux-mêmes étant réduits à venir s’y ravitailler, et que jusqu’à Khiva, il nous serait impossible de nous procurer du pain. Je m’en remis pour ce genre de préparatifs à Hadji Bilal, et, tandis qu’il s’en occupait, je montai au sommet de la « noire colline, » qui donne son nom au village. Un des côtés est peuplé de Persans ; cent vingt-cinq à cent cinquante familles afghanes se groupent sur l’autre revers. On affirme que cette dernière colonie était, au commencement du siècle, d’une importance bien supérieure à celle qu’on lui voit aujourd’hui, et qu’elle doit sa fondation au dernier des conquérants asiatiques, Nadir-Shah. Je ne pourrais dire dans quel but précis avait eu lieu la transplantation de cette colonie sunnite, mais son existence a fini par être fort utile, attendu que les Afghans se sont chargés de servir d’intermédiaires aux habitants de la Perse dans leurs négociations, souvent difficiles, avec ceux du Turkestan. Sans eux, on ne saurait comment traiter la délivrance de maint et maint prisonnier mis à rançon par les Turkomans. À l’est de la Perse, les sunnites de Khaf, de Djam et de Bakhyrz rendent des services analogues, mais ces derniers ont affaire à la tribu des Tekké, bien autrement dangereuse que celle des Yomuts.

Du haut de la « colline noire, » on a vue sur la mer Caspienne, ou pour mieux dire sur la portion de cette nappe d’eau qu’on appelle « la mer Morte, » limitée à l’ouest par une langue de terre à l’extrémité de laquelle est Ashourada. De loin, cet étroit promontoire semble un mince ruban à la surface des eaux, et porte une seule rangée d’arbres qui s’étend à perte de vue. L’ensemble de ces lieux déserts n’a rien de très-particulièrement encourageant, et je rentrai précipitamment au logis pour vérifier par moi-même l’état des préparatifs qui se faisaient en vue d’un embarquement plus ou moins prochain.

On nous avait dit, la veille au soir, que pour un kran (un franc) par tête, un navire afghan, lequel est d’ordinaire employé à l’approvisionnement de la garnison russe, nous conduirait au port d’Ashourada, et qu’une fois là nous pourrions en quelques heures, avec le secours des Turkomans, nous rendre à Gömüshtepe. « Dans Ashourada même, nous disait-on, vous devez trouver Khidr-Khan, chef turkoman au service de la Russie, toujours prêt à venir en aide aux pauvres Hadjis, et de qui vous recevrez sans doute le meilleur accueil. »

Ces propos nous avaient tous mis en joie, et furent salués d’une acclamation unanime. Qu’on juge pourtant de ma surprise lorsqu’il me fut déclaré que le capitaine afghan était prêt à partir, — qu’il laisserait volontiers les Hadjis s’embarquer avec lui, — mais qu’il refusait cette faveur à Mon Altesse, attendu que je devais être, selon lui, un secret émissaire de Sa Majesté le sultan ; — en prenant à son bord un personnage tel que moi, il craignait de compromettre les bénéfices réguliers de son commerce avec les Russes.

Cette déclaration m’avait jeté dans un grand embarras, et j’entendis avec joie mes compagnons protester que, s’il persistait dans son refus, ils préféraient attendre une autre occasion, ne voulant à aucun prix se séparer de moi. Ainsi s’exprima notamment, avec une emphase toute particulière, notre fumeur d’opium, l’émir Mehemmed. L’Afghan lui-même (il s’appelait Anakhan) vint un peu plus tard nous exprimer ses regrets, nous promettre la discrétion la plus absolue, et solliciter de moi une lettre de recommandation pour Haydar Effendi. Je regardai comme très-politique de lui laisser toutes ses appréhensions, et me bornant à railler ses idées absurdes, je lui promis de laisser à Nur-Ullah quelques lignes pour Téhéran, promesse que je me gardai bien d’oublier.

Je comprenais toujours mieux la nécessité de laisser planer sur mon véritable rôle un nuage de doutes et de mystère. Les Orientaux, en général, plus particulièrement les sectateurs de l’islam, élevés au sein des mensonges et des trahisons, prennent invariablement le contre-pied de ce dont un inconnu prétend les convaincre, et la plus légère protestation de ma part n’aurait servi qu’à confirmer les soupçons dont j’étais l’objet.

On n’y fit plus aucune allusion, et nous apprîmes, le soir même, que le patron d’un bateau turkoman frété pour Gömüshtepe ne demandait pas mieux, par esprit de religion et à titre gratuit, que de prendre à son bord la caravane entière ; nous n’avions qu’à nous trouver de bon matin sur le rivage pour profiter d’un vent assez favorable. Hadji Bilal, Hadji Salih et moi, — le triumvirat reconnu de la bande nomade, — nous partîmes aussitôt pour aller rendre visite à ce Turkoman nommé Yakoub. C’était un jeune homme d’une physionomie singulièrement audacieuse ; il nous embrassa tour à tour, et ne se refusa nullement à retarder son départ de vingt-quatre heures pour nous laisser le temps de parfaire nos provisions. Hadji Bilal et Hadji Salih l’ayant déjà honoré de leurs bénédictions, nous nous levions pour nous en aller ensemble, lorsqu’il me prit à part et me supplia de passer encore quelques moments avec lui. Je me laissai donc devancer par mes deux acolytes. Yakoub me dit alors avec un certain embarras qu’il nourrissait depuis longtemps pour une jeune fille de sa race un attachement assez mal payé de retour ; un juif, magicien accompli, résidant pour le moment à Karatepe, avait promis de lui préparer un nuskha (un talisman) des plus efficaces, mais à condition de lui procurer trente gouttes d’attar ou d’essence de rose arrivant en droite ligne de la Mecque. La formule exigeait de la manière la plus impérieuse cet ingrédient accessoire.

Nous savons, poursuivit Yakoub, que les Hadjis ne quittent jamais la cité sainte sans emporter avec eux une certaine quantité d’essence de rose et d’autres parfums recherchés. Vous êtes le plus jeune de leurs chefs, c’est pour cela que je m’adresse à vous, et je compte bien que vous prêterez une oreille favorable à ma prière. »

La superstition de ce fils du Désert me surprit moins encore que sa confiance dans les vaines promesses d’un fourbe israélite, et comme mes associés avaient effectivement avec eux une petite provision de cette essence, objet de tous ses désirs, je pus faire droit à sa requête. La joie qu’il en témoigna était celle d’un véritable enfant.

Deux jours plus tard et de fort bon matin, nous nous retrouvâmes au rivage, ayant chacun sur le dos, outre notre équipement de gueux, un sac de farine. Il se perdit beaucoup de temps avant qu’une petite barque appelée teimil, creusée dans un simple tronc d’arbre, nous eût tour à tour transportés sur un autre, de médiocre tonnage, que les Turcs appellent mauna et qui représente à peine une grande chaloupe. Ce dernier, les eaux étant très-basses dans le voisinage de la côte, avait dû s’amarrer à un mille du point d’embarquement. Le passage d’un bord à l’autre m’a laissé des souvenirs ineffaçables. Ce tronc creusé dans l’épaisseur duquel s’entassaient pêle-mêle les passagers et leurs bagages menaçait continuellement de couler à fond. Nous eûmes à remercier le ciel qui nous préserva de tout incident fâcheux. Peut-être est-il à propos de remarquer ici que les Turkomans ont trois sortes de navires : 1o le keseboy, ayant un mât et deux voiles, l’une grande et l’autre petite ; celui-ci est spécialement employé au transport des cargaisons ; 2o le karyuk à voile simple, dont ils se servent généralement pour leurs expéditions de pirates ; enfin le teimil ou esquif dont nous venons de parler.

Celui que Yakoub avait mis à notre service était un keseboy parti de l’île Tchereken pour porter à la côte persane une cargaison de naphte, de goudron et de sel ; il s’en revenait lesté de blé.

Ce bâtiment n’ayant point de pont, aucune place distincte n’y pouvait être attribuée à personne ; chacun, au fur et à mesure des arrivées, s’installait selon ses convenances ; Yakoub, pourtant, s’aperçut que ce désordre nuirait à la manœuvre, et nous dûmes, avec nos paquets et nos provisions, nous former sur deux rangs très-serrés le long des bordages, laissant ainsi entre nous une espèce de passage libre ou l’équipage pouvait circuler. À partir de là, notre position n’eut rien de très-flatteur. Pendant le jour, à la rigueur, on pouvait s’y faire, mais la nuit venue — et quand mes compagnons endormis, au lieu de garder leur position perpendiculaire, ballottaient de droite et de gauche au gré du roulis, — on ne savait littéralement plus que devenir, et je dus souvent, plusieurs heures de suite, servir de matelas à quelqu’un de nos Hadjis dont les ronflements en faux-bourdon m’empêchaient moi-même de dormir. Parfois aussi, mon voisin de droite et mon voisin de gauche se donnaient rendez-vous sur mes genoux ou sur ma poitrine, sans qu’il me fût permis de les réveiller, sous peine de commettre un péché des plus graves.

Vers midi, le 10 avril 1863, un vent favorable gonfla les voiles de notre petit navire qui glissait sur l’eau comme la flèche. À notre gauche, courait l’étroite langue de terre dont j’ai parlé ; nous avions à droite, couverte de forêts et poussant jusque dans la mer elle-même ses derniers contre-forts, la montagne sur laquelle s’éleva naguère le palais Eshref, bâti par Shah Abbas, le plus illustre des rois de Perse. La beauté de la saison printanière ajoutait au charme de notre expédition qui pour moi ressemblait à celle des Argonautes, et, malgré la gêne à laquelle j’étais soumis, je me sentais dans les dispositions d’esprit les plus favorables.


Arminius Vambéry et ses compagnons sur la mer Caspienne. — Dessin de Émile Bayard, d’après Vambéry.

Il y eut vers le soir une accalmie ; nous jetâmes l’ancre près du rivage et on nous permit de venir tour à tour faire notre thé sur le petit fourneau du navire. Ayant quelques morceaux de sucre dans les plis de ma ceinture, j’invitai Yakoub, qui se trouva fort honoré de prendre un bol de thé avec nous, car Hadji Salih et Sultan Mahmoud étaient de la partie. Le jeune Turkoman se montra fort bavard et se mit à nous raconter une foule d’anecdotes, la plupart relatives à ces Alaman (les Turkomans appellent ainsi leurs expéditions de maraude) qui sont ici le sujet favori de tous les entretiens. Ses yeux, habituellement très-vifs, rivalisaient alors d’éclat avec les étoiles scintillant au-dessus de nos têtes ; sa verve, en effet, se trouvait stimulée par le désir de se concilier les pieux Mollahs sunnites auxquels il croyait avoir affaire ; il insistait pour cela sur les détails des combats livrés par lui aux mécréants shiites et sur le nombre des hérétiques maudits qu’il avait su réduire à la condition d’esclaves. Mes deux amis ne tardèrent pas à s’endormir à côté de moi. Pour mon compte particulier, je ne me lassais pas de ces récits dramatiques, et ce fut seulement vers minuit que le narrateur battit en retraite. Il me dit, avant de se retirer, qu’il était chargé par Nur-Ullah de me conduire sous la tente de Khandjan, chef turkoman, à l’hospitalité duquel j’étais spécialement recommandé. Yakoub ajouta que l’idée de Nur-Ullah lui paraissait bonne, car je ne ressemblais pas au reste des Hadjis et ne devais pas être confondu avec eux.

« Khandjan, poursuivit-il, est l’Akasakal (ou chef) d’une race puissante, et, même du vivant de son père, pas un derviche, pas un Hadji, pas un étranger n’aurait osé traverser Gömüshtepe sans goûter de son pain et de son eau. Puisque vous venez du pays de Roum (la Turquie), il vous fera certainement bon accueil et vous me saurez gré de vous avoir présenté à lui. »

Le temps devint mauvais dans la matinée du lendemain et notre marche en fut beaucoup plus lente ; il était déjà presque nuit quand nous arrivâmes devant Ashourada, la plus méridionale des possessions russes en Asie. Il y a vingt-cinq ans à peu près que ce poste est définitivement tombé des mains du czar ; peut-être serait-il plus exact de dire qu’il lui appartient depuis l’époque où les Russes, lançant des bateaux à vapeur sur la mer Caspienne, ont peu à peu limité les pirateries des Turkomans et gêné la marche de ces hardis croiseurs, qui débarquaient tour à tour sur divers points de la côte des bandes de maraudeurs, l’effroi des provinces adjacentes. Le nom même d’Ashourada dérive du dialecte turkoman. C’était jadis un endroit désert, simple rendez-vous où se rencontraient les embarcations destinées écumer la mer Caspienne. Aujourd’hui, le voyageur qui vient de Perse trouve là une petite cité maritime dont le premier aspect produit une impression favorable. Les maisons groupées à l’extrémité orientale de ce long promontoire que nous avons décrit ne sont pas, il est vrai, très-nombreuses ; mais la tournure européenne des constructions, et surtout cette église dont le clocher attire l’œil, ne me laissèrent pas indifférent. Les steamers de la marine militaire me rendaient encore plus présents les souvenirs du monde civilisé. Les Russes en ont attaché trois, deux grands et un petit, au service de cette station lointaine. C’est à ce prix, et moyennant leur protection continuellement requise, que les colons russes et les bâtiments de commerce, venus d’Astrakhan, peuvent braver l’attaque des pirates indigènes. Ce n’est pas en pleine mer, remarquons-le, que les bateaux marchands ont quelque chose à craindre ; mais ils ne sauraient approcher la côte sans être escortés par un de ces vapeurs dont la protection leur est également nécessaire pour la traversée de retour. Le gouvernement moscovite fait naturellement les plus grands efforts et se soumet aux dépenses les plus considérables pour réformer les habitudes déprédatrices des Turkomans. L’intensité du fléau, grâce à lui, n’est plus tout à fait la même ; mais l’établissement d’une sécurité complète sera longtemps impossible, et Gömüshtepe voit encore arriver, chargés de chaînes, maints et maints captifs persans, parfois même quelques matelots russes. Dans les eaux turkomanes, cependant, les croisières de jour et de nuit sont littéralement incessantes, et toute embarcation indigène qui de la côte orientale veut se rendre au midi sur quelque point des rivages persans, doit être pourvue d’une passe dont le prix annuel varie, suivant l’importance du navire, de huit à dix ou même quinze ducats. Ce permis de circulation, renouvelable à la fin de chaque année, doit être exhibé toutes les fois que le bâtiment fait escale devant Ashourada. Les agents russes le visitent alors pour s’assurer qu’il ne porte ni captifs ni armes de guerre, ni autres marchandises de contrebande. Cette réglementation salutaire a eu pour conséquences l’enregistrement régulier et l’inspection fréquente de presque toute la marine du commerce turkoman ; les bateaux, en petit nombre, qui veulent encore s’y soustraire sont réduits à une navigation interlope, irrégulière, indirecte, qui les expose, en cas de rencontre, à devenir la proie des croiseurs russes, toujours prêts à les couler en cas de résistance. Un double but se trouve atteint par ces vigoureuses mesures ; on rappelle le commerce sur certains points d’où le brigandage l’avait éloigné, tandis que d’autre part on noue des relations amicales avec telle ou telle tribu indigène dont on se fera plus tard un point d’appui contre celles qui s’obstinent à demeurer hostiles.

À l’époque où je visitai Ashourada, Khidr-Khan, issu de la race de Gazili Kör, portait déjà depuis trente ans le titre de derya bêghi (amiral) au service de Russie, moyennant un salaire d’environ quarante ducats par mois, sur lesquels une dizaine étaient prélevés au profit de son mirza (ou secrétaire). Khidr-Khan, au milieu de cette colonie demi-européenne, n’en continuait pas moins à vivre sous la tente. Le plus clair de ses fonctions consistait à user de son influence sur les Turkomans en général, pour les détourner de leurs pirateries. Ce personnage, jadis si bon musulman, s’était peu à peu familiarisé avec le vodki (eau-de-vie russe), au point de passer ses jours et ses nuits dans un état de complète ivresse.

Notre ami Yakoub eut à produire son passe-port et à faire halte pour attendre la visite indispensable. Comme nous arrivions un peu tard, elle fut ajournée au lendemain par les autorités compétentes. Nous jetâmes l’ancre fort près de terre. Mes amis semblaient regretter amèrement qu’on les empêchât de se rendre auprès de Khidr-Khan, que sa mauvaise réputation n’empêchait pas d’être le Mécène attitré des derviches et des Hadjis. Pour moi, j’étais intérieurement ravi de ce contre-temps apparent ; il m’eût été presque impossible de me dérober à la visite commune, et notre hôte, familiarisé avec les physionomies européennes, aurait pénétré sans peine le mystère de mon déguisement ; à tout le moins me serais-je trouvé fort mal à mon aise devant lui. Le contrôle qui devait avoir lieu le matin suivant m’inquiétait déjà bien assez ; le contraste frappant de mes traits européens avec ceux de mes compagnons de route, mon teint, que le ciel d’Orient n’avait pas encore bronzé suffisamment pour le rendre semblable au leur, devaient me trahir et révéler aux agents russes la véritable situation des choses. Bien loin de craindre la moindre inhumanité de leur part, je comptais au contraire que, par intérêt pour moi, ils voudraient, une fois découvert, m’arrêter au seuil de ma périlleuse aventure ; je craignais surtout que l’affaire ne vînt à s’ébruiter et que les Turkomans n’eussent vent de mon incognito. Le souvenir de Blocqueville me revenait en tête, et je calculais à part moi le chiffre de la rançon que j’aurais sans doute à payer pour m’affranchir d’un esclavage cruel entre tous. Ces anxiétés de plus en plus vives ôtaient quelque peu de son charme au dernier tableau de la vie civilisée que j’avais alors sous les yeux.

Je m’éveillai le lendemain dans une extrême agitation ; un bruit de cloches arrivait d’Ashourada ; mes compagnons de voyage m’apprirent qu’on y célébrait le dimanche, le jour férié des infidèles. J’ignorais de quel dimanche il pouvait être question[13]. Nous étions auprès d’un vaisseau de guerre pavoisé du haut en bas ; tout à coup une chaloupe gagna le rivage, montée par des matelots en grande tenue et ramant avec un ensemble merveilleux ; un officier y prit place, également en grand uniforme et fut transporté en quelques minutes à bord du steamer. Un quart d’heure n’était pas écoulé quand l’ordre d’amener nous arriva, et je vis alors groupés sur le pont, dans le voisinage du passe-avant, plusieurs officiers à tête blonde. Le cœur me battait, je l’avoue, à mesure que nous nous rapprochions davantage ; j’employais tout l’effort de ma volonté à garder une attitude qui, le moins possible, appelât sur moi l’attention, afin d’éviter, autant que faire se pourrait, un redoutable tête-à-tête. Par un hasard favorable, au moment où nous arrivions bord à bord, le banc où j’étais assis se trouva du côté des Russes, qui, de cette façon, voyaient à peine la partie postérieure de mon cou.

Vu la solennité du jour, le contrôle fut réduit à un petit nombre de formalités très-sommaires. C’est à peine si le dollmetsh échangea quelques paroles avec Yakoub. Notre confrérie de mendiants arrêta les regards des officiers. J’entendis, entre autres choses, ces mots prononcés par l’un d’eux : « Voyez donc, comme ce Hadji a la peau blanche[14] ! » Cette allusion était sans doute à mon adresse, et, si je ne me trompe, ce fut la seule observation à laquelle m’exposèrent mes dehors un peu trop civilisés. En effet, dès que Yakoub fut expédié, nous nous éloignâmes du vaisseau russe. Penché en avant jusqu’alors et feignant d’être à moitié endormi, je me redressai enfin avec un soupir de satisfaction, car mes inquiétudes avaient cessé. Le vent se mit à bientôt souffler de l’ouest. Il semblait que ce fût le signal d’ouvrir nos voiles et de mettre en toute hâte le cap sur Gömüshtepe dont trois lieues nous séparaient à peine ; mais Yakoub ne perdait pas de vue un point blanc qu’on voyait se mouvoir dans le lointain et à propos duquel l’équipage tout entier fut appelé à tenir conseil. On attendit qu’il eût entièrement disparu de l’horizon pour aplester notre grande voile, et nous courûmes alors dans la direction de l’est avec la rapidité de la flèche.

À quelque demi-lieue d’Ashourada, nous passâmes dans le voisinage de certaines balises formées par de longs pieux enduits de couleurs diverses. Yakoub m’affirma qu’ils avaient été placés là par les « Inghiliz » pour marquer la limite des eaux russes et des parages turkomans, ces derniers devant être au besoin protégés par les « Inghiliz » contre les entreprises de la marine moscovite. Je n’ai pas encore pu me rendre compte des moyens par lesquels on avait inculqué à ces fils du Désert les notions d’une politique si profonde. Au reste, il ne m’appartient pas de vider ici la question soulevée par ces balises, encore moins de rechercher jusqu’où vont les sympathies anglaises à l’égard des Turkomans[15].

Les rives du Turkestan commencèrent en moins d’une heure à se dessiner devant nous, plages à fleur d’eau interrompues çà et là par quelques hauteurs. Nous nous dirigions d’après la marche de bateaux qui précédaient le nôtre, et bientôt il fallut carguer les voiles, nous trouvant sur la limite des eaux navigables. À un mille et demi de l’embouchure de la Görghen, sur l’un et l’autre bord de cette rivière, nous apercevions le campement de Gömüshtepe dont l’aspect était celui d’une centaine de ruches circonscrites dans un étroit espace.

Il en était ici comme à Karatepe, où les eaux très-basses ne permettent l’accès du rivage qu’à des barques d’un faible tirant. Ainsi se trouve obstruée l’entrée de la rivière Görghen, elle-même assez profonde, et où la disette d’eau ne se fait jamais sentir. Il nous fallut donc attendre, à bonne distance de la côte, que Yakoub, préalablement débarqué, eût fait connaître notre arrivée, et nous envoyât trois teimils, qui vinrent après quelques retards nous prendre tour à tour les uns et les autres pour nous descendre à terre, ce qui leur demanda plusieurs voyages.

Nous abordâmes les derniers, Hadji Bilal et moi, et il nous fut très-agréable en débarquant d’apprendre que Khandjan, informé de mon arrivée par notre honnête ami Yakoub, s’était hâté de venir à ma rencontre ; je le trouvai sur la jetée, un peu en arrière de la foule qui l’encombrait, et dans l’attitude voulue pour la récitation de la prière du soir (Azr-Namazi).

Sa prière finie, Khandjan se leva, et je vis devant moi un bel homme de taille haute et svelte, approchant de la quarantaine, vêtu avec une extrême simplicité, dont la barbe descendait à longs flots sur sa poitrine. Il s’avança vers moi, se hâta de m’embrasser, et dans ses compliments de bienvenue répéta mon nom à plusieurs reprises. Les hadjis Bilal et Salih furent reçus de même, après quoi, lorsque les gens de la caravane eurent opéré la répartition de leurs sacs, nous prîmes à pied la route des tentes, notre hôte et les plus notables d’entre nous demeurant à la queue du cortége.


Accueil fait à Vambéry par Khandjan, chef turkoman à Gomüshtepe, sur le bord de la mer Caspienne.

Le bruit de notre arrivée s’était déjà répandu de toutes parts ; on s’exagérait le nombre des pèlerins, et les femmes, les enfants, les chiens sortaient à l’envi de toutes les habitations, pour se précipiter dans le plus grand désordre au-devant de nous. La curiosité n’était pas seule de la partie ; il s’agissait aussi d’acquérir (selon la doctrine prêchée par les Mollahs) une participation spirituelle aux mérites et aux récompenses des pèlerins, en témoignant du respect à leur œuvre sainte. Ces premières scènes de la vie centro-asiatique m’avaient pris tellement au dépourvu, que je ne savais s’il fallait n’arrêter d’abord pour admirer la solide construction de ces tentes de feutre et ces femmes, vêtues de longues blouses de soie tombant jusqu’à l’orteil, ou bien satisfaire sans retard à l’empressement que nous témoignaient leurs mains et leurs bras tendus vers nous. Parmi cette étrange population, jeunes gens et vieillards, sans distinction de sexe ou de famille, ambitionnaient tous le contact de ces hadjis auxquels était encore attachée la sainte poussière de la Mecque et de Médine. Ma stupéfaction déjà grande ne diminua pas, comme on pense, lorsque des femmes remarquablement belles, dont quelques-unes trop jeunes encore pour être mariées, vinrent m’envelopper de leurs bras et me serrer contre leur poitrine. Ces démonstrations de respect, où la religion et l’hospitalité avaient une part à peu près égale, ne laissaient pas à la longue d’être un peu fatigantes. J’en avais assez, pour ce qui me regarde, quand nous arrivâmes devant la tente du principal ishan (prêtre) où notre petite caravane devait se réunir pour la distribution des billets de logement. J’assistai alors à une des scènes les plus curieuses qui aient jamais passé sous mes yeux. Le zèle passionné, l’ardeur fébrile avec lesquels nos braves gens se disputaient l’honneur et le privilége de fournir un gîte à un ou plusieurs de ces pauvres étrangers, me surprit au delà de toute expression. J’avais ouï parler, il est vrai, de l’hospitalité nomade, mais je n’avais jamais rêvé qu’elle pût s’étendre aussi loin.


Tente turkomane[16]. — D’après Vambéry.

Khaudjan apaisa de son mieux les dispositions querelleuses que le beau sexe commençait à manifester. Lorsqu’il eut rétabli l’ordre et assigné à chacun les hôtes qu’il devait emmener, il conduisit vers son ova (ou tente) ceux qu’il s’était spécialement réservés, c’est-à-dire Hadji Bilal et moi. Comme il habitait à l’extrémité de Gömüshtepe, nous eûmes à traverser le campement tout entier, situé, je l’ai dit, sur les deux rives de la Görghen et composé de tentes fort voisines l’une de l’autre. Le soleil était à peu près couché, lorsque, épuisés de fatigue, nous arrivâmes sur le seuil de sa demeure, espérant qu’il nous serait enfin permis de prendre quelque repos ; là, nous attendait une déception nouvelle. La résidence qu’on nous avait assignée se composait, il est vrai, d’une tente spécialement dressée pour nous à deux pas de la rivière ; mais nous en avions à peine pris possession avec le cérémonial accoutumé (on en fait deux fois le tour en glissant un regard furtif aux parties obscures), quand elle se remplit de visiteurs impitoyables qui jusqu’à une heure avancée de la nuit s’amusèrent à nous harceler de questions : Hadji Bilal lui-même, nonobstant sa longanimité orientale, semblait à bout de patience.


Intérieur d’une tente turkomane. — Dessin de Émile Bayard d’après Vambéry.

Le repas du soir nous fut servi par Baba Djan, le fils de notre hôte, jeune garçon d’une douzaine d’années. Ce souper consistait en poisson bouilli et en lait caillé, le tout servi dans grande écuelle de bois. Un esclave persan chargé de lourdes chaînes l’avait d’abord apportée près de nous : Baba Djan la reçut de ses mains, et après nous l’avoir servie, alla s’asseoir auprès de son père sur un banc voisin du nôtre, tous deux regardant avec un plaisir visible la prompte disparition des mets qui nous étaient offerts. La prière suivit le repas. Elle fut inaugurée par Hadji Bilal, que nous imitâmes tous lorsqu’il éleva ses mains vers le ciel, et quand plus tard après avoir prononcé le : Bismillah Allah Eker, en passant sa main sur sa barbe, il remercia Khandjan au nom des convives.

A. Vambéry.
Traduction de Forgues.

(La suite à la prochaine livraison.)



  1. Connais-toi toi-même.
  2. Tel avait été aussi l’un des motifs du voyage entrepris il y a quarante ans par Csoma de Körös.
  3. À peu près ce qu’on entend, en Angleterre, par le mot gentleman, un homme bien élevé.
  4. 1o  Les Shiites sont essentiellement ennemis de la tradition. Ils admettent Ali et les douze Imans comme les seuls successeurs de Mahomet. Abou-Bekr, Omar, Osman ne sont à leurs yeux que des usurpateurs et des bandits. La Perse et le Khorassan (réunis sous le nom d’Iran) sont presque entièrement peuplés de shiites. Vient ensuite le Touran, qui comprend les royaumes ou principautés de Bokhara, Khiva, Khokand, Tashkand, Hasrat Sultan, Maïmone, Ankhoy et Hérat. Si on retranche ce dernier pays, on a le Turkestan tout entier. Ses habitants (Osbegs, Tadjiks, Kalmouks) appartiennent tous au culte sunnite ainsi que les Arabes et les Turcs.

    2o  Les Sunnites — traditionalistes ou catholiques de l’Islam — reconnaissent Omar, Osman, Abou-Bekr et Ali pour successeurs du Prophète. Les shiites sont à leurs yeux de véritables hérétiques « faits pour être vendus comme des ânes ou des chevaux. » Chaque année, l’émir et les Mollahs du Bokhara lancent un fetwa (une espèce de bulle pontificale) qui enjoint aux Hazaras et aux Turkomans de « faire tchapao » dans le Khorassan et dans la Perse ; autant vaut dire de mettre à sac les villages et cités, capturer les caravanes, ramener les esclaves, etc. Cette espèce de lettre de marque trouve des corsaires toujours prêts.

  5. L’Aksu est une province de la Tartarie chinoise. Le titre de Vang équivaut à celui de gouverneur.
  6. Mihmankhanei pendjruzi, mot à mot : « une hôtellerie de cinq jours, » expression employée par les philosophes orientaux pour caractériser le séjour de l’homme ici-bas.
  7. Le souverain de Bokhara porte le titre d’Émir. Les princes du Khiva et du Khokand sont plus simplement qualifiés de Khans.
  8. Le voyageur fait ici allusion — une allusion très-discrète, on le voit — aux suites d’une blessure reçue, à ce qu’il paraît, sur les barricades viennoises de 1849, et qui l’a laissé boiteux pour le reste de ses jours.
  9. Voyez la description de Meshid ou Meshed, la ville sainte des Perses, par M. de Kanikhoff, dans notre 2e  semestre de 1861.
  10. Ce mot signifie : Poussé par l’amour de Dieu.
  11. Secte fanatique qui niait la mission de Mahomet et cherchait à propager les doctrines d’un socialisme sauvage.
  12. Kulli mumenin ihvetun.
  13. Pendant mon voyage, j’ai souvent perdu de vue les diverses dates. Celle-ci était, je l’appris plus tard, le dimanche de Pâques (style russe).
  14. Smotrite kakoi bieloi etot Hadji.
  15. Ces sympathies nous paraissent fort problématiques ; mais pour s’assurer que les Anglais surveillent de fort près le progrès des Russes dans la mer Caspienne, il suffit d’avoir lu les Souvenirs diplomatiques publiés, en 1864, par M. E. B. Eastwick, chargé d’affaires de Sa Majesté Britannique à la cour de Téhéran. Voir le Journal of a Diplomate’s Three Years’ residence in Persia, chap. IX et suivants du premier volume.
    (Note du traducteur.)
  16. Ces tentes, construites par les femmes turkomanes, se transportent par pièces sur les chameaux. On appelle akoy la tente neuve et blanche : elle sert aux hôtes ou aux nouveaux mariés. On appelle karaoy les vieilles tentes, brunies ou noircies par l’usage.