Vie et opinions de Tristram Shandy/1/6

Traduction par Joseph-Pierre Frenais.
Chez Jean-François Bastien (Tome premier. Tome secondp. 14-16).



CHAPITRE VI

Les volontés sont libres.


Le moment de ma naissance est, ce me semble, connu du lecteur d’une manière assez exacte ; mais je ne lui ai point dit comment je suis né. C’est que cela vaut un chapitre particulier. D’ailleurs, il y a encore, monsieur, si peu de familiarité entre nous, qu’il auroit peut-être été hors de propos que je vous eusse fait part, en si peu de temps, d’un trop grand nombre de mes aventures. — Ayez un peu de patience, et vous les saurez toutes. Je ne me borne pas à écrire simplement ma vie ; mes opinions ne sont pas moins singulières, et elles font plus de la moitié de ma tâche. Ce n’est qu’en vous les faisant connoître, que vous connoîtrez mon caractère, et que vous saurez quelle espèce de mortel je suis parmi le genre humain. — Ma façon de penser alors vous en plaira peut-être davantage… au moins je le souhaite. La conformité des goûts fait naître la familiarité, et la familiarité produit souvent l’amitié ; et j’espère que nous en goûterons les douceurs. — O diem praeclarum ! Que ce jour sera heureux ! — Rien, alors, de ce qui me regarde, ne vous paroîtra frivole, ni ennuyeux ; tout vous intéressera, — Mais, dans les premiers temps de notre connoissance, ne soyez pas surpris, mon cher camarade, si je suis un peu réservé. — Ce n’est que petit à petit que l’oiseau fait son nid. — Écoutez-moi seulement avec complaisance, et laissez-moi vous conter mon histoire à ma mode. — Si vous voyez que je m’amuse à folâtrer de temps en temps sur la route, laissez-moi faire, et ne vous enfuyez pas. — Imaginez-vous, au contraire, que je suis intérieurement beaucoup plus sage que ces apparences ne semblent l’annoncer. — Mettez-vous à votre aise. — Riez avec moi, si bon vous semble ; et même si cela vous est plus agréable, riez de moi. — Faites, en un mot, ce qu’il vous plaira ; mais ne vous fâchez pas.