Vie de Mohammed/Maladie du prophète
Maladie du prophète.
Le prophète, de retour du pèlerinage d’adieu, ne sortit plus de Médine pendant tout le reste de la dixième année, plus le mois de moharrem, et la plus grande partie du mois de safar de la onzière. Ce fut, dit-on, deux jours avant la fin de ce dernier mois que commença sa maladie. Il était alors dans la maison de Zainab, fille de Djahsch, car il passait tour à tour une nuit chez chacune de ses femmes ; son état ayant empiré le jour qu’il se trouva dans la maison de Maimouna, fille de Harith, il assembla toutes ses femmes et leur demanda à être soigné dans la maison de l’une d’elles. Elles y consentirent, et on le porta dans la maison d’Aiescha. Malgré la gravité de sa maladie, il pressait le départ d’une expédition dont il avait confié le commandement à sou affranchi Oçama, fils de Zeid. Voici ce que la tradition rapporte d’après le témoignage d’Aiescha : « Lorsque le prophète, dit-elle, vint chez moi, je me plaignais d’un violent mal de tête, et il me dit : Aïescha, c’est moi bien plutôt qui pourrais me plaindre du mal de tête ; puis il ajouta : Il ne devrait pas t’être pénible de mourir avant moi, car je serais là tout prêt pour t’envelopper d’un linceul, prier sur toi et te déposer dans la tombe. — Sans doute, répondis-je, mais je crois déjà te voir, après l’avoir fait, revenir chez moi, et prendre tes ébats avec quelque autre de tes femmes. » Le prophète se mit à rire.
Pendant le cours de sa maladie, tandis qu’il était dans la maison d’Aiescha, il sortit soutenu par Fadhl, fils d’Abbas, et Ali, fils d’Abou-Taleb, pour aller se placer dans la chaire d’où il instruisait le peuple. Là il adressa des louanges au ciel, puis il dit : « O vous qui m’écoutez, si j’ai frappé quelqu’un « sur le dos, voici mon dos, qu’il frappe ; si j’ai nui à la réputation de quelqu’un, qu’il se venge sur ma réputation ; si j’ai dépouillé quelqu’un de son bien, voici mon bien, qu’il se « paye, et que pour cela il ne craigne pas de s’attirer ma haine ; a la haine n’est pas dans mon caractère. » Il descendit alors et fit la prière de midi, puis il remonta ; et comme il reprenait son discours, un homme vint lui demander le payement d’une dette de trois dirhems qu’il lui rendit en disant : « La honte de ce monde est plus facile à supporter que celle a du monde à venir. » Il pria ensuite pour ceux qui avaient combattu avec lui à la bataille d’Ohod et demanda au ciel de leur pardonner. Il ajouta : « Dieu a donné à son serviteur le
- choix entre les biens de ce monde et ceux qu’on goûte auprès
de lui, et ce sont ces derniers qu’il a choisis (162), A ces mots, Abou-Bekr pleura et dit : « Que ne pouvons-nous racheter ta vie au prix de la nôtre ! » Le prophète recommanda ensuite les Ansariens aux Musulmans. La maladie étant devenue plus forte, il dit : « Apportez-moi a de l’encre et du papier ; je vais écrire un livre qui vous empêchera, après ma mort, de tomber jamais dans l’erreur. Ses compagnons se disputant entre eux à ce sujet, il leur dit : « Retirez-vous, il ne convient pas de se disputer auprès d’un « prophète. » Ils pensèrent alors qu’il était en délire ; cependant ils lui demandèrent de nouveau ce qu’il voulait, mais il dit : « Laissez-moi ; ce qui m’occupe vaut mieux que ce que « vous m’engagez à faire. » Chaque jour, pendant sa maladie, il fit la prière en présence du peuple, à l’exception des trois derniers jours : le premier de ces jours-là, lorsqu’on lui annonça que le moment de prier était venu, Mohammed dit : « Qu’Abou-Bekr fasse la prière au peuple.
(162) Mahomet voulait faire pressentir sa mort par les paroles qu’il venait de prononcer. Ce sens est complété dans le Sirat par le passage suivant : Abou-Bekr sentit toute .la portée des paroles du prophète et comprit qu’il voulait parler de lui- même. »