Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, tome 11p. 411-422).



CHAPITRE VIII.

l’envoyé d’argyle.


Votre plan est aussi bon que tous ceux qui ont jamais été dressés. Nos amis sont constants et fidèles ; un bon plan, de bons amis et de grandes espérances ; un excellent plan, d’excellents amis.
Shakspeare. Henri V, première partie, acte II, scène 3.


Les acclamations universelles de la joie et de la surprise ne furent pas plus tôt apaisées, qu’on réclama généralement le silence pour lire la commission royale ; et les chefs, qui avaient jusqu’ici gardé leurs bonnets, probablement parce qu’aucun ne voulait ôter le sien le premier, se découvrirent la tête tous à la fois en honneur du brevet royal. Il était conçu dans les termes les plus flatteurs : on autorisait le comte de Montrose à assembler les sujets écossais sous les armes pour faire cesser la rébellion que divers traîtres et séditieux avaient excitée contre le roi en violant leurs serments de fidélité et en rompant la paix entre les deux royaumes. Il était enjoint aux autorités subalternes d’obéir à Montrose, et de l’assister dans son entreprise ; on lui donnait le pouvoir de rendre des ordonnances et de faire des proclamations, de punir les fautes, de pardonner aux criminels, de nommer et de destituer les gouverneurs et les commandants. Enfin c’était une commission aussi étendue et aussi ample que jamais prince ait confiée à un sujet. Lorsque la lecture fut finie, un murmure qui partit du milieu de l’assemblée témoigna que les chefs se soumettaient à la volonté de leur souverain. Ne se contentant pas de les remercier en général de l’accueil favorable qu’ils lui faisaient, Montrose se hâta de s’adresser à chacun d’eux en particulier. Les chefs les plus importants lui étaient personnellement connus déjà depuis long-temps ; mais il se présenta lui-même à ceux d’un ordre inférieur, et, par les connaissances qu’il déploya dans leurs noms particuliers, dans les aventures et l’histoire de leurs clans, il montra combien il avait long-temps étudié le caractère des montagnards, et combien il était préparé au rôle qu’il jouait alors.

Tandis qu’il s’acquittait de ces actes de courtoisie, ses manières gracieuses, ses traits expressifs, la dignité de son maintien, faisaient un contraste frappant avec la grossièreté et la simplicité de son habillement. Montrose avait cette forme de corps et de visage dans laquelle l’observateur, au premier coup d’œil, ne voit rien d’extraordinaire, mais qui intéresse davantage à mesure qu’on la regarde plus long-temps. Sa taille était très-peu au-dessus de la moyenne, mais il était très bien fait, et capable de déployer une grande force et de soutenir une grande fatigue. En effet, il avait une constitution de fer sans laquelle il n’aurait pu supporter les pénibles fatigues de ces campagnes extraordinaires, et durant lesquelles il ne se ménagea pas plus qu’un simple soldat. Il était profondément versé dans les arts de la paix et de la guerre, et possédait naturellement cette manière aisée de se présenter que l’habitude donne aux personnes de qualité. Ses longs cheveux bruns séparés sur le haut de la tête, selon la mode des hommes de rang parmi les royalistes, descendaient de chaque côté de sa figure en boucles, dont l’une, tombant deux ou trois pouces plus bas que les autres, montrait que Montrose suivait une mode contre laquelle M. Prynne le puritain avait jugé convenable d’écrire un traité ayant pour titre : la mode disgracieuse des boucles d’amour.

Sa figure, entourée de ces longues tresses, avait ces traits qui inspirent l’intérêt plutôt par le caractère de l’homme que par la régularité de leur forme ; mais un nez aquilin, un œil gris, vif, décidé et bien ouvert, un teint animé, rachetaient le peu de délicatesse et l’irrégularité de la partie inférieure de son visage ; ainsi, en général, Montrose pouvait passer pour un beau cavalier. Mais ceux qui le voyaient lorsque son âme passait dans ses yeux avec toute l’énergie et le feu de son génie, ceux qui l’entendaient parler avec cette puissance de talent et l’éloquence de la nature, concevaient, même de son extérieur, une opinion plus enthousiaste et plus favorable que les portraits qui restent de lui ne pourraient le faire penser. Telle fut du moins l’impression qu’il produisit sur les chefs montagnards assemblés, pour lesquels, comme pour toutes les personnes de leur genre, l’extérieur possède un haut degré d’influence.

Dans la discussion qui suivit, Montrose raconta les différents dangers qu’il avait courus pour l’entreprise qu’il méditait. Ses premiers efforts avaient été pour assembler un corps de royalistes dans le nord de l’Angleterre, qu’il s’attendait à voir marcher en Écosse sous les ordres du marquis de Newcastle ; mais l’aversion des Anglais à passer le Border[1], le délai du comte d’Antrim qui devait débarquer avec ses troupes irlandaises dans le Firth de Solway, l’avaient empêché d’exécuter ses projets ; et d’autres plans ayant échoué de la même manière, il s’était trouvé dans la nécessité de se cacher sous un déguisement pour traverser les Lowlands, et le jeune Menteith, son parent, l’avait aidé comme un véritable ami. Il lui était impossible d’expliquer comment Mac-Aulay était parvenu à le connaître. Ceux qui connaissaient les prétentions et les talents prophétiques d’Allan, sourirent d’un air mystérieux ; mais Allan répondit que le comte de Montrose ne devait pas être étonné d’être connu d’un millier de personnes qu’il ne pouvait se rappeler lui-même.

« Sur mon honneur de cavalier, » dit le capitaine Dalgetty, trouvant à la fin occasion de parler, « je suis orgueilleux et heureux de pouvoir tirer l’épée sous les ordres de Votre Seigneurie, et je dois bannir de mon cœur toute haine, tout ressentiment et toute idée de vengeance contre Allan Mac-Aulay, qui m’a jeté au bas bout de la table hier soir. Certes, aujourd’hui il a si bien parlé comme un homme qui jouit pleinement de l’usage de ses sens, que j’ai pensé qu’il ne peut nullement, quant à présent, réclamer le privilège de la folie. Mais puisque c’était pour le noble comte, mon futur commandant en chef, je dois devant vous tous reconnaître la justice de cette préférence, et saluer de grand cœur Allan comme un homme qui veut être son buen camarado. »

À ces mots, qui furent peu entendus et auxquels on fit peu d’attention, le capitaine, sans ôter son gantelet militaire, saisit la main d’Allan, et commença à la serrer avec force. Mais Allan, d’une poignée aussi ferme que l’étau d’un serrurier, la lui serra à son tour avec une telle violence qu’il fit entrer les lames du gantelet dans la main de Dalgetty.

Le capitaine aurait regardé cette action comme un nouvel affront, si son attention, au moment où il secouait sa main en soufflant dessus, n’eût été réclamée par Montrose lui-même.

« Écoutez ces nouvelles, dit-il, capitaine, ou plutôt major Dalgetty ; les Irlandais, qui doivent profiter de votre expérience militaire, ne sont plus qu’à quelques lieues de nous. — Nos chasseurs de daims, dit Angus Mac-Aulay, que j’avais envoyés dans la montagne chercher du gibier pour l’honorable compagnie, ont appris qu’il arrivait une troupe d’étrangers qui ne parlent ni saxon, ni pur gaélique, et qui ont bien de la peine à se faire entendre du peuple de ce pays ; ils sont en armes, et leur chef est, dit-on, Alaster Mac Donald, qu’on appelle communément le jeune Colkitto. — Ce doit être nos hommes, dit Montrose ; il faut nous hâter de leur envoyer des gens pour leur servir de guides et pour leur donner ce qui leur manque. — Cette dernière chose, dit Angus Mac-Aulay, ne sera pas la plus aisée ; car je sais qu’excepté quelques mousquets et très-peu de munitions, ils manquent de tout ce qui est nécessaire à un soldat ; ils n’ont ni argent, ni souliers, ni vêtements. — Rien n’obligeait, dit Montrose, de proclamer cela si haut. Les tisserands puritains de Glascow leur fourniront du drap en abondance lorsque nous descendrons des Highlands. Et puisque les ministres ont pu, par leurs sermons, engager les vieilles femmes des bourgs écossais à se priver de leur toile pour faire des tentes à ceux qui combattaient pour elles à Dunse-Law, j’essaierai si mon éloquence aura assez de pouvoir pour faire renouveler à ces bonnes dames leur don patriotique, et pour forcer leurs brigands de maris aux oreilles droites à nous ouvrir leur bourse. — Et quant aux armes, dit le major Dalgetty, si Votre Seigneurie veut permettre à un vieux cavalier de lui donner son avis, un tiers seulement porterait des mousquets : mon arme favorite pour les autres serait la pique, soit pour résister aux charges de cavalerie, soit pour enfoncer l’infanterie. Un forgeron, le premier venu, vous fera cent fers de pique par jour ; il ne manque pas de bois ici pour faire des manches, et je réponds que, suivant les meilleurs usages de la guerre, un fort bataillon de piquiers formé à la façon du Lion du Nord, l’immortel Gustave, battrait la phalange macédonienne dont j’ai lu les exploits lorsque j’étudiais au collège de Mareschal à Aberdeen. De plus, je me permettrais de vous dire… »

La leçon de tactique que donnait le major fut tout à coup interrompue par Allan Mac-Aulay, qui s’écria : « Place pour un hôte qu’on n’attendait pas, et dont la présence ne sera pas trop bien accueillie ! »

Au même instant la porte de la salle s’ouvrit, et un homme à cheveux gris, d’un extérieur noble, se présenta devant l’assemblée. Il y avait autant de dignité que de majesté dans ses manières. Sa taille était au-dessus de la moyenne, et il paraissait habitué à commander. Il jeta un regard sévère et presque menaçant sur les chefs assemblés ; ceux d’un rang élevé le lui rendirent avec une indifférence méprisante ; mais quelques-uns des gentilshommes de l’ouest, qui avaient moins d’autorité, paraissaient désirer être ailleurs. » À qui, dit l’étranger, dois-je m’adresser comme au chef de cette assemblée, ou n’avez-vous pas encore désigné la personne qui doit remplir un poste pour le moins aussi périlleux qu’il est honorable ? — C’est à moi qu’il faut s’adresser, sir Duncan Campbell, » dit Montrose en s’avançant vers lui.

« À vous ! » reprit sir Duncan d’un air de mépris.

« Oui, à moi, répéta Montrose ; au comte de Montrose, si vous l’avez oublié. — J’aurais eu du moins quelque peine à le reconnaître sous le déguisement d’un palefrenier ; et cependant je puis dire qu’il ne fallait pas une influence moindre que celle dont malheureusement jouit Votre Seigneurie, que celle d’un homme reconnu pour un des perturbateurs d’Israël, pour réunir en une telle assemblée des hommes égarés. — Je vous répondrai, répliqua Montrose, dans le style de vos puritains. Je n’ai point porté le trouble dans Israël ; c’est toi et la maison de ton père. Mais quittons ces débats, qui sont de peu d’importance pour nous-mêmes, et écoutons les nouvelles que vous nous apportez de la part d’Argyle votre chef ; car je dois croire que c’est en son nom que vous vous êtes présenté devant cette assemblée. — Ce n’est pas seulement au nom du marquis d’Argyle, c’est au nom du parlement écossais que je demande à connaître les projets qui ont amené cette singulière convocation. Si son but est de troubler la paix du pays, comme voisins, comme hommes d’honneur, vous deviez nous avertir de nous mettre sur nos gardes. — Il est bien étonnant, et c’est une chose toute nouvelle en Écosse, » dit Montrose en se tournant vers l’assemblée, « que les premiers entre les chefs écossais ne puissent se réunir dans la maison d’un ami commun, sans être soumis à une visite et à des questions inquisitoriales de la part de nos gouvernants, pour connaître les motifs de notre conférence. Il me semble que nos ancêtres avaient l’habitude de se réunir pour des parties de chasse dans les Highlands, ou pour tout autre motif, sans en demander la permission, soit au grand Mac Callum More, soit à quelqu’un de ses émissaires ou de ses dépendants. — Il en a été ainsi en Écosse pendant un temps, » répondit un des chefs des montagnes de l’ouest ; « et ce temps reviendra lorsque les usurpateurs de nos anciennes possessions seront réduits à n’être que lairds de Lochow, au lieu de se répandre sur nous comme une nuée de sauterelles dévorantes. — Dois-je donc comprendre, répondit sir Duncan, que c’est contre mon clan seul que ces préparatifs sont dirigés ? ou souffrirons-nous en commun avec les pacifiques et tranquilles habitants de l’Écosse ? — Je ferai, » dit en se levant un chef aux regards farouches, « je ferai une question au chevalier d’Ardenvohr, avant qu’il soit plus avancé dans son insolent catéchisme. A-t-il apporté plus d’une vie dans ce château, pour oser ainsi venir parmi nous nous insulter ? — Gentilshommes, dit Montrose, un peu de patience, je vous en prie ; un envoyé qui vient ici s’acquitter d’une ambassade, a le droit de parler librement, et son sauf-conduit le protège. Mais puisque sir Duncan Campbell est si pressant, je consens à l’informer, pour sa gouverne, que l’assemblée où il se trouve est une assemblée de loyaux sujets du roi, convoqués au nom et avec l’autorité de Sa Majesté, par moi, qu’elle a investi de sa royale confiance. — Nous aurons donc, je le présume, dit lord Duncan Campbell, une guerre civile dans les formes. J’ai été trop longtemps soldat pour voir ces préparatifs avec inquiétude ; mais il aurait été beau, pour l’honneur du comte de Montrose, qu’il eût en cette occasion consulté moins son ambition et davantage la paix de son pays. — Ceux qui ont consulté leur ambition et leur intérêt personnel, sir Duncan, ce sont ceux qui ont mis le royaume dans la position où il se trouve aujourd’hui, et rendu nécessaires les remèdes violents que nous sommes sur le point d’employer malgré nous. — Et quel rang parmi ces ambitieux, dit sir Duncan Campbell, assignerons-nous à ce noble comte, si ardemment attaché au Covenant, qu’il fut le premier, en 1639, à traverser la Tweed au milieu des flots, à la tête de son régiment, pour charger les troupes royales ? C’est encore lui, je crois, qui imposa le Covenant aux bourgeois et au collège d’Aberdeen, à la pointe de l’épée et de la lance. — Je comprends vos sarcasmes, sir Duncan, répondit Montrose avec calme, et je dois seulement ajouter que si un sincère repentir peut effacer les erreurs de jeunesse et l’obéissance aux insinuations artificieuses d’ambitieux hypocrites, les crimes que vous me reprochez me seront pardonnés. Je suis ici, l’épée à la main, prêt à répandre le plus pur de mon sang pour expier mes erreurs, et un homme ne peut rien faire de plus. — Milord, je suis fâché de n’avoir pas d’autre réponse à porter au marquis d’Argyle. J’avais de plus à vous annoncer de sa part, que, pour prévenir les sanglantes représailles qui doivent nécessairement accompagner une guerre dans les Highlands, il désirait que l’on fît une trêve dans le nord des montagnes. L’Écosse est assez grande pour nous offrir des champs de bataille, sans que des voisins détruisent mutuellement leurs domaines et leurs propriétés. — C’est une proposition pacifique, dit Montrose en riant, que l’on devait entendre d’un homme dont les actions ont toujours été plus pacifiques que ses intentions. Cependant, si les termes d’une pareille trêve pouvaient être fixés également, si nous pouvions obtenir des garanties (car, sir Duncan, cela est indispensable) que votre marquis observerait ces conditions avec une stricte fidélité, pour ma part je serais charmé de laisser la paix derrière nous, puisque nous devons porter la guerre en avant. Mais vous êtes trop vieux soldat et trop expérimenté, pour qu’il soit prudent à nous de vous permettre de rester dans cette maison et d’y être témoin de nos préparatifs ; en conséquence, lorsque vous vous serez reposé et rafraîchi, nous vous prions de retourner en toute hâte à Inverary, et nous enverrons avec vous un gentilhomme de notre parti, pour arrêter les conditions d’un armistice dans les Highlands, en cas que le marquis n’ait pas changé d’avis à cet égard. »

Sir Duncan se contenta de saluer pour marquer son approbation. « Milord de Menteith, continua Montrose, voulez-vous avoir la bonté de suivre sir Dumcan Campbell d’Ardenvohr, tandis que nous déciderons quel cavalier l’accompagnera. Mac-Aulay, permettez que je réclame pour sir Duncan tous les égards de l’hospitalité. — J’ai donné des ordres en conséquence, » dit Allan Stuart en se levant et en s’avançant. « J’aime sir Duncan Campbell ; nous avons été compagnons d’infortune dans d’autres temps, et je ne l’oublierai pas aujourd’hui. — Milord Menteith, je suis fâché de vous voir, si jeune, engagé dans une entreprise si désespérée et avec des rebelles. — Je suis jeune, il est vrai, répondit Menteith ; mais je suis assez vieux pour distinguer ce qui est juste d’avec ce qui ne l’est pas, la loyauté et la rébellion ; et si j’entre dans la meilleure route de bonne heure, j’ai l’espoir de la parcourir plus long-temps. — Et vous aussi, mon ami Allan Mac-Aulay, » dit sir Duncan en lui pressant la main ; « serons-nous donc ennemis, nous qui avons été si souvent alliés contre un ennemi commun ? » Puis se tournant vers l’assemblée, il dit : « Adieu, messieurs ; il y en a parmi vous un si grand nombre auxquels je souhaite du bien, que votre rejet de toutes les conditions d’accommodement me plonge dans un profond chagrin. Le ciel, » ajouta-t-il en levant les yeux, « jugera entre nous et les instigateurs de cette guerre civile. — Amen, dit Montrose ; nous nous soumettons à ce tribunal. »

Sir Duncan Campbell quitta la salle, accompagné par Allan Mac-Aulay et lord Menteith.

« Voilà un vrai Campbell, » dit Montrose lorsque l’envoyé fut parti ; « promettre beaucoup et ne tenir jamais, telle est leur devise. — Pardonnez-moi, milord, dit Evan Dhu ; tout ennemi héréditaire que je suis de leur nom, j’ai toujours trouvé le chevalier d’Ardenvohr brave dans la guerre, honnête dans la paix, et sincère dans ses conseils. — Tel est son caractère personnel, dit Montrose, je le sais ; mais il agit comme l’organe et l’interprète de son chef, le marquis d’Argyle, l’homme le plus faux qui ait jamais existé. Eh, Mac-Aulay, » continua-t-il en parlant à voix basse à son hôte, « de peur qu’il ne fasse quelque impression sur l’inexpérience de Menteith ou sur le caractère singulier de votre frère, vous feriez bien d’envoyer des musiciens dans leur appartement pour empêcher qu’il ne les engage dans une conversation particulière. — Que diable ! je n’ai pas de musiciens, répondit Mac-Aulay, si ce n’est le joueur de cornemuse, qui a presque perdu son souffle en faisant par orgueil assaut de supériorité avec trois autres de ses confrères ; mais je puis envoyer Annette Lyle avec sa harpe. » Et il sortit pour donner ses ordres.

Pendant ce temps il s’éleva une chaude discussion pour savoir qui se chargerait de la tâche périlleuse de retourner avec sir Duncan à Inverary. Les chefs du premier rang se regardaient comme égaux en dignité à Mac Callum More, on ne pouvait donc leur proposer de servir d’ambassadeurs ; les autres, quoique n’ayant pas la même excuse à donner, ne voulurent pas non plus s’en charger. On aurait pu penser qu’Inverary était la vallée de l’ombre de la mort, tant les chefs inférieurs montraient de répugnance à y aller. Après une longue hésitation, on en dit à la fin le véritable motif : si un Highlander, n’importe de quel rang, se chargeait d’un message si désagréable pour Mac Callum More, il était sûr que ce chef conserverait le souvenir de cette offense, et qu’un jour ou l’autre il le ferait repentir de sa démarche.

Dans cet état de choses, quoique Montrose regardât l’armistice proposé par Argyle comme un pur stratagème, il ne voulut pas le jeter brusquement devant ceux qu’il intéressait de si près ; il résolut donc de conférer la dignité dangereuse d’ambassadeur au major Dalgetty qui n’avait dans les Highlands ni clan ni domaine sur lesquels Argyle pût décharger sa colère.

« Mais j’ai un cou, dit brusquement Dalgetty, et qu’arrivera-t-il s’il veut se venger sur lui ? Je connais plus d’un cas où un honorable ambassadeur a été pendu comme un espion. Et les Romains, au siège de Capoue, n’agirent pas avec plus de merci envers les ambassadeurs, quoique j’aie lu qu’ils ne firent que leur couper les mains et le nez, et leur arracher les yeux, et qu’ensuite ils les laissèrent partir en paix. — Sur mon honneur, major Dalgetty, dit Montrose, si le marquis, contre toutes les lois de la guerre, osait user de quelque cruauté contre vous, vous pouvez être sûr que j’en tirerais une vengeance tellement éclatante qu’elle retentirait dans toute l’Écosse. — Cela servirait peu à Dalgetty, répondit le major ; mais corragio, comme dit l’Espagnol : avec la terre promise devant les yeux, c’est-à-dire la terre de Drumthwacket, mea paupera regna, comme nous disions au collège Mareschal, je ne refuserai point la commission de Votre Excellence, sachant que le devoir d’un honorable cavalier est d’obéir aux ordres de son commandant, au risque de la potence ou du tranchant du sabre. — Bravement résolu ! dit Montrose, Suivez-moi à l’écart, je vous donnerai les conditions que vous devez porter à Mac Callum More, conditions auxquelles nous voulons bien lui accorder une trêve pour ses domaines des Highlands. »

Nous épargnerons à nos lecteurs la communication de ces instructions. Elles étaient d’une nature évasive, car Montrose ne regardait les propositions du marquis que comme faites dans l’intention de gagner du temps. Lorsqu’il eut donné au major toutes les instructions convenables, et que ce digne vétéran, après l’avoir salué militairement, se dirigeait vers la porte de la salle, Montrose lui fit signe de revenir.

« Je pense, dit-il, que je n’ai pas besoin de rappeler à un officier qui a servi sous le grand Gustave, que l’on demande à un parlementaire plus que l’exécution entière de ses ordres, et que son général attend de lui à son retour quelque rapport sur l’état des affaires de l’ennemi, autant qu’il pourra les observer. En un mot, major Dalgetty, vous devez être un peu clairvoyant[2]. — Ah ; ah ! Votre Excellence, » dit le major, donnant à ses traits, par une légère contraction, une expression inimitable de ruse et d’intelligence, « s’ils ne mettent point ma tête dans un sac, ce que j’ai vu faire envers de braves soldats qui étaient soupçonnés de venir dans de pareilles intentions, Votre Excellence peut compter sur le rapport exact de tout ce que Duglad Dalgetty aura vu ou entendu, quand même il devrait vous rendre compte de tous les airs du pibrock Mac Callum More, ou de toutes les couleurs bariolées de son plaid et de son jupon. — C’est assez répondit Montrose ; adieu ; major Dalgetty : et comme on dit que la pensée d’une dame est toujours exprimée dans le post-scriptum de sa lettre, de même pensez que la partie la plus importante de votre commission est dans les dernières instructions que je vous ai données. »

Dalgetty fit un nouveau signe d’intelligence, et se retira pour songer à se mettre, ainsi que son coursier, en état de supporter les fatigues de la mission qu’il allait remplir.

À la porte de l’écurie (car Gustave avait toujours ses premiers soins), il rencontra Angus Mac-Aulay et sir Miles Musgrave qui examinaient son cheval ; après avoir loué son encolure et sa beauté, ils unirent leurs efforts pour persuader au major de ne pas emmener avec lui un cheval d’un si grand prix dans un voyage aussi fatigant que celui qu’il allait entreprendre.

Angus lui peignit, sous les couleurs les plus alarmantes, l’état des routes ou plutôt les solitudes sauvages qu’il serait obligé de traverser pour se rendre dans le comté d’Argyle, et les misérables huttes ou cabanes dans lesquelles il serait condamné à passer la nuit, et où il ne pourrait se procurer d’autre fourrage pour son cheval que des racines de vieille bruyère. En un mot, il était absolument impossible qu’après un tel voyage l’animal pût être encore propre au service militaire. L’Anglais confirma tout ce qu’Angus avait dit, et se donna corps et âme au diable, s’il pensait que ce ne fût pas une espèce de meurtre d’emmener seulement un cheval qui vaudrait un farthing, dans des déserts aussi vastes qu’inhospitaliers. Le major Dalgetty les regarda fixement l’un après l’autre, et leur demanda, comme s’il eût été indécis, ce qu’ils lui conseillaient de faire de Gustave en de telles circonstances.

« Par la main de mon père, mon cher ami, répondit Mac-Aulay, si vous confiez l’animal à ma garde, vous pouvez compter qu’il sera nourri et soigné selon sa valeur et ses qualités, et que lors de votre heureux retour, vous le trouverez aussi poli qu’un oignon bouilli dans le beurre. — Ou plutôt, dit sir Miles Musgrave, si ce digne cavalier préfère s’en séparer pour un prix raisonnable, il me reste encore une partie de mes candélabres d’argent qui dansent dans ma bourse, et je les ferais volontiers passer dans la sienne. — Bref, mes honorables amis, dit le major Dalgetty en les regardant d’un air de pénétration comique, « il me semble que vous ne refuseriez pas d’avoir quelque gage qui pût vous rappeler le vieux soldat, en cas qu’il plût à Mac Callum More de le faire pendre à la porte de son château ? Et sans doute ce ne serait pas une petite satisfaction pour moi, si pareille chose arrivait, qu’un noble et loyal cavalier comme sir Miles Musgrave, ou un digne et excellent chieftain comme notre bon hôte, fût mon exécuteur testamentaire. »

Tous deux se hâtèrent de protester que telle n’avait pas été leur intention, et ils insistèrent de nouveau sur l’état pitoyable des routes dans les Highlands. Angus Mac-Aulay énuméra, en les désignant par leurs noms gaéliques, une grande quantité de passages difficiles, de précipices, de torrents, de gués à travers lesquels passait la route qui conduisait à Inverary, tandis que le vieux Donald, qui venait d’arriver, confirmait ce que disait son maître en élevant les mains et les yeux vers le ciel, et secouant la tête à chacun de ces mots rudes et rocailleux qu’Angus tirait de son gosier. Mais rien ne put émouvoir l’inflexible major.

« Mes dignes amis, dit-il, Gustave est accoutumé aux dangers d’un voyage, et les montagnes de Bohème peuvent soutenir la comparaison avec toutes celles de l’Europe pour les mauvaises routes : je crains donc peu les vallons et les torrents que M. Angus a cités, et dont les difficultés sont confirmées par sir Miles Musgrave qui ne les a jamais vues. Sachez que mon cheval a des qualités précieuses et tout à fait sociales : à la vérité, il ne peut boire avec moi dans la même coupe, mais nous partageons notre pain ensemble, et il sera difficile qu’il souffre de la famine partout où je trouverai des cakes ou des bannoks[3]. Mais, pour couper court à cette discussion, je vous prie, mes bons amis, d’observer l’état du palefroi de sir Duncan Campbell que voici dans l’écurie devant nous : voyez comme il est gras et bien luisant. Je vous remercie donc des inquiétudes que vous avez pour le mien ; mais je vous réponds que tant que nous suivrons la même route, ce palefroi et son cavalier manqueront de vivres avant Gustave et moi. »

À ces mots, il remplit une grande mesure d’avoine et la donna à son cheval qui, hennissant doucement et avec joie, dressant ses oreilles, et piaffant, montra l’étroite intimité qui régnait entre lui et son maître : il ne mangea point avant d’avoir répondu à ses caresses, en lui léchant les mains et le visage. Après cet échange amical, le coursier commença à manger sa provende avec un empressement et une vivacité qui montraient ses vieilles habitudes militaires ; son maître, après l’avoir regardé avec une grande complaisance, pendant environ cinq minutes, lui dit : « Puisse cette avoine te faire grand bien, Gustave ! maintenant je vais à mon tour aller prendre des vivres pour la campagne. »

Il s’éloigna à ces mots, ayant auparavant salué l’Anglais et Angus, qui restèrent un moment silencieux en se regardant, puis partirent d’un grand éclat de rire.

« Le camarade, dit sir Musgrave, est taillé pour faire son chemin dans le monde. — Je le crois aussi, dit Mac-Aulay, si toutefois il peut s’échapper des mains de Mac Callum More aussi facilement que des nôtres. — Pensez-vous, dit l’Anglais, que le marquis ne respectera pas en la personne de Dalgetty les lois de la guerre établies chez les nations civilisées ? — Pas plus que je ne respecterais une proclamation des lords écossais, répondit Angus Mais rentrons ; il est temps de retourner vers mes hôtes. »


  1. La frontière qui sépare l’Angleterre de l’Écosse. a. m.
  2. Ces mots sont en français dans l’original. a. m.
  3. Cakes, Gâteaux d’avoine. — Bannocks, gâteaux de farine de pois. a. m.