Traité élémentaire de physique (Haüy)/1803/Chapitre VII

VII. DE LA LUMIÈRE.

612. Après avoir développé les différens phénomènes produits par les fluides répandus autour de nous et dans les régions voisines de notre globe, nous nous élèverons maintenant jusqu’à la considération de la Lumière qui a sa source dans les astres, et dont l’action embrasse la sphère entière de l’univers.

La physique ne nous offre nulle part un objet plus digne de notre étude, soit par la beauté, soit par le nombre des phénomènes. Les services que nous tirons du fluide qui nous éclaire, seroient seuls capables d’exciter toute notre attention pour bien connoître ses propriétés. Si l’air, en servant de véhicule à la parole, nous met en commerce de pensées avec nos semblables, la lumière ajoute un grand prix à ce commerce, en nous rendant présente leur image, qui elle-même a tant de choses à nous dire. Plus susceptible d’impressions variées que les autres sens, l’œil, par le secours de la lumière, saisit tout à la fois dans les corps, les formes qui les terminent, les couleurs qui les embellissent, les rapports de leurs positions, les mouvemens qui les transportent dans l’espace, il démêle, sans aucune confusion, toutes ces modifications qui semblent se jouer de mille manières dans cette grande diversité d’objets auxquels s’étend le pouvoir d’un simple regard.

Mais si la vision n’étoit que directe, la partie même dans laquelle l’œil a son siége, celle qui nous caractérise et qui nous fait reconnoître par les autres, seroit restée inconnue pour nous-mêmes : la lumière y supplée, en nous offrant notre portrait fidèle derrière les surfaces réfléchissantes dont l’action multiplie tout ce qui se présente devant elles.

Ce n’est point encore là que se bornent les services que nous tirons de ses propriétés. Au delà des globes qui brillent sur nos têtes, il en existe d’autres qui se dérobent à notre vue par l’immensité de leur éloignement, tandis que près de nous des milliers d’êtres organiques échappent de même à nos yeux par leur extrême petitesse. La lumière, en se repliant dans les corps diaphanes terminés par des faces curvilignes, nous a mis à portée d’apercevoir ces deux espèces d’infinis ; elle a ouvert un nouveau ciel à l’astronomie, et un nouveau champ à l’histoire naturelle.

613. On a cet avantage dans la théorie de la lumière, que la marche de ce fluide est géométrique, en sorte qu’en partant d’un petit nombre de lois, on parvient à déterminer les résultats par des méthodes précises et rigoureuses. On sait que le célèbre Saunderson, quoi qu’aveugle depuis sa première enfance, donnoit des leçons publiques d’optique ; il considéroit les rayons de la lumière comme de simples lignes matérielles, qui agissoient sur l’œil par contact, et en voyant ces lignes par la pensée, il faisoit concevoir aux autres comment leurs yeux voyoient les objets mêmes dont elles excitoient en eux l’impression.

614. On peut considérer la lumière, dans l’état de composition qui lui est naturel, et sous lequel on la voit d’une blancheur éclatante, ou comme étant décomposée en différentes espèces de rayons diversement colorés. Les propriétés relatives au premier état conduisent à déterminer ce qu’on peut appeller les routes de la lumière. Ce fluide tend toujours par lui-même à se mouvoir en ligne droite. Mais il arrive souvent qu’il rencontre un obstacle qui lui refuse le passage, et lui permet seulement de se réfléchir sur sa surface, ou bien un milieu, c’est-à-dire, un corps transparent, qu’il pénètre en éprouvant une déviation, à laquelle on a donné le nom de réfraction. En comprenant sous la dénomination générale d’optique, tout ce qui concerne la science de la lumière, on a appliqué plus spécialement cette dénomination à la partie qui traite de la lumière directe : on a appelé ensuite catoptrique celle qui considère la lumière réfléchie par les surfaces des miroirs, et dioptrique celle qui a pour objet la lumière réfractée à son passage d’un milieu plus dense dans un autre plus rare, ou réciproquement. Plusieurs physiciens, pour s’être attachés à suivre rigoureusement l’ordre prescrit par cette soudivision, ont manqué un but plus essentiel, qui est de ramener les idées elles-mêmes à la méthode analytique, et d’éviter de faire entrer, dans l’explication d’un phénomène, des connoissances qui ne seront exposées que dans la suite. Ainsi on a compris dans l’optique proprement dite plusieurs effets de la vision qui supposent l’intelligence de la structure de l’œil, tandis que cette structure elle-même ne peut être bien conçue que d’après les principes de la dioptrique.

Voici l’ordre que nous nous sommes proposé de suivre pour conserver, autant qu’il sera possible, la liaison des idées, et ne point laisser prendre l’avance aux vérités dont le tour n’est pas encore venu.

Nous examinerons d’où provient la lumière, sous quelle forme elle se répand, quelle est sa vîtesse, et suivant quelle loi son intensité diminue à mesure qu’elle s’éloigne du corps lumineux.

De ces principes, qui ont rapport à la lumière directe, nous passerons aux lois générales de la réflexion et de la réfraction ; nous exposerons ensuite les phénomènes qui concernent la lumière décomposée et les couleurs.

Ces principes une fois établis, nous en ferons l’application à la vision, soit naturelle, soit aidée par les instrumens de catoptrique et de dioptrique.

1. De la Nature et de la Propagation de la Lumière.

615. Lorsqu’un corps lumineux répand sur tous les autres corps renfermés dans sa sphère un éclat qui affecte nos yeux, et rend ces corps visibles pour nous, cet effet suppose nécessairement l’existence d’un fluide dont l’action s’exerce, et sur les objets éclairés, et sur l’organe qui les aperçoit. Ce fluide est-il une matière subtile qui remplit toute la sphère de l’univers, et à laquelle le corps lumineux imprime une agitation qui se transmet ensuite de proche en proche, comme les vibrations du corps sonore se propagent par l’intermède de l’air ? Telle étoit l’hypothèse de Descartes, admise par plusieurs physiciens modernes qui, pour l’adapter au phénomène de la réflexion et à celui de la propagation de la lumière, y ont fait quelques changemens, en supposant que les particules de ce fluide, au lieu d’être inflexibles et tout-à-fait contiguës, comme le vouloit Descartes, étoient élastiques et laissoient entre elles de petits intervalles. La lumière provient-elle, au contraire, d’une émission ou d’un écoulement des particules propres du corps lumineux qu’il lance sans cesse de tous côtés, par un effet de l’agitation continuelle que lui-même éprouve ? Dans cette hypothèse, qui est celle de Newton, il en seroit de la lumière, du moins quant à la manière dont elle est produite, comme des corpuscules émanés des corps odorans.

Un rayon de lumière, selon Descartes, est une file de molécules dont les mouvemens consistent dans de très-petites oscillations, qui se répètent continuellement ; suivant Newton, c’est une file de molécules qui ont toutes un mouvement de transport, et se succèdent sans interruption.

Dans les deux hypothèses, on considère chaque point d’un corps lumineux comme le sommet commun d’une infinité de cônes d’une très-petite épaisseur, composés de rayons qui s’étendent indéfiniment tant que rien ne les arrête. On donne quelquefois à ces cônes eux-mêmes le nom de rayons, et alors l’axe du cône est la ligne à laquelle on rapporte la direction du mouvement de la lumière.

616. Les deux hypothèses ont chacune en leur faveur des autorités d’un grand poids. Cependant, si on les compare sous tous les rapports, on ne pourra refuser la préférence à celle de Newton. Celle de Descartes a d’abord contre elle une objection très-forte, à laquelle on a tenté en vain de répondre d’une manière satisfaisante ; car dans cette hypothèse, la lumière ne se répandroit pas seulement en ligne directe, mais son mouvement se transmettroit dans tous les sens comme celui du son, et iroit porter l’impression des corps lumineux dans les espaces situés au delà des obstacles qui se présenteroient pour l’arrêter. Nous devrions donc avoir un jour perpétuel ; et jamais, dans les éclipses totales de soleil, nous n’aurions cette disparition de la lumière qui change tout d’un coup l’éclat d’un jour serein en une nuit profonde.

617. Les difficultés qu’on oppose à l’hypothèse Newtonienne n’ont pas, à beaucoup près, la même force. On a objecté que les rayons de la lumière, qui nous sont envoyés par les astres sous une infinité de directions différentes, se feroient obstacle les uns aux autres, et ne pourroient continuer leur mouvement rectiligne. Mais on peut supposer que les molécules de la lumière étant d’une ténuité extrême, comme tout nous porte à le croire, leurs distances respectives sont incomparablement plus grandes que leurs diamètres ; et comme les molécules d’un rayon trouvent un passage d’autant plus libre entre celles des autres rayons, ou sont d’autant moins exposées à les rencontrer, que le rapport entre les distances et les diamètres est plus considérable, l’obstacle deviendra sensiblement nul, si l’on conçoit que le rapport soit presqu’infini[1].

Par une suite nécessaire, la quantité de lumière fournie par les astres, même pendant une durée immense, sera si petite que leur volume n’en sera pas sensiblement diminué.

Les partisans de l’autre hypothèse n’ont point à résoudre ces difficultés, parce qu’il en est des vibrations de la lumière, dans cette hypothèse, comme de celles de l’air, et ainsi on peut leur appliquer ce que nous avons dit de la propagation des sons simultanés, qui se croisent sans se confondre : mais l’avantage qu’elle paroît avoir à cet égard est déjà plus que balancé par l’objection que nous avons citée ; et tous les faits que nous exposerons, dans la suite, tendront à établir, de plus en plus, la supériorité de l’hypothèse Newtonienne. En général, on ne pourroit reprocher à celle-ci que de mener à des conséquences qui étonnent l’imagination, et elle a cela de commun avec plusieurs vérités incontestables.

Au reste, quand même on ne la regarderoit pas comme suffisamment démontrée, elle mériteroit d’être adoptée, par cela seul qu’elle conduit à une explication aussi heureuse que satisfaisante des phénomènes, entre autres, de ceux de la réfraction et de l’aberration, tandis qu’il est très-difficile de les concevoir dans l’hypothèse de Descartes.

618. Considérons maintenant un des cônes de lumière qui ont leurs sommets aux différens points d’un corps lumineux, et concevons un plan qui coupe ce cône dans un sens que nous supposerons, pour plus grande simplicité, être perpendiculaire à l’axe du cône. Si nous faisons mouvoir ce plan parallèlement à lui-même, en allant du sommet vers la base, il interceptera des cercles dont les surfaces iront en croissant comme le carré de la distance au sommet, laquelle est mesurée par la partie de l’axe qu’il intercepte en même temps ; et puisqu’il reçoit toujours un même nombre de rayons, il en résulte que l’intensité de la lumière dans un espace donné, pris sur ce plan, est en raison inverse du carré de la distance. Donc si l’on suppose que le plan dont il s’agit soit le cercle de la prunelle de l’œil, on en conclura que la lumière reçue par cet œil doit s’affoiblir dans le même rapport, à mesure qu’il s’éloigne du corps lumineux.

Concevons que l’œil placé d’abord à une certaine distance d’un flambeau, s’en écarte ensuite à une distance trois fois plus grande ; les rayons qui passoient par la prunelle, dans le premier cas, se répandront sur un espace neuf fois plus grand, d’où il suit que la prunelle en recevra neuf fois moins ; et par conséquent si l’on vouloit que l’impression faite sur l’œil fût toujours la même, il faudroit remplacer le premier flambeau par un autre, dont la lumière fût neuf fois plus forte, c’est-à-dire, neuf fois plus abondante sur un même espace.

619. Un corps opaque ne peut jamais être éclairé qu’en partie par un corps lumineux, et l’espace privé de lumière, qui est situé du côté de la partie non éclairée, est ce qu’on appelle ombre. Ainsi l’ombre, proprement dite, représente un solide, dont la forme dépend à la fois de celle du corps lumineux, de celle du corps opaque, et de la position de celui-ci à l’égard du corps lumineux.

620. Supposons que les deux corps soient des globes r et z (fig. 82, Pl. XII), et que le diamètre du corps lumineux r soit plus grand que celui du corps opaque z. L’ombre sera un cône que l’on déterminera en supposant une ligne droite oc qui joigne les centres des deux globes, puis en menant une tangente db commune aux deux globes, jusqu’à la rencontre en a de cette même ligne prolongée. Si l’on conçoit que la tangente, en restant fixe par le point a, où elle coupe la ligne qui joint les centres, tourne autour de cette ligne, de manière à faire toujours le même angle avec elle, elle décrira évidemment la surface d’un cône qui aura pour base le cercle du globe opaque, terminé par tous les points de contact ; d’où l’on voit que la partie éclairée du globe opaque sera plus grande que la partie obscure, le plan qui distingue l’une de l’autre étant un des petits cercles de ce globe, situé dans l’hémisphère opposé au corps lumineux.

621. Si les deux globes sont égaux, l’ombre sera un cylindre d’une longueur indéfinie, et la partie éclairée du globe opaque sera un hémisphère ainsi que la partie obscure.

622. Si le globe opaque est plus gros que le globe éclairant, l’ombre deviendra un cône tronqué d’une longueur pareillement indéfinie, dont les points de contact avec le globe opaque seront sur la circonférence d’un de ses petits cercles, en sorte que la partie éclairée de ce globe sera moindre que sa partie obscure.

623. L’ombre, considérée sur un plan situé derrière le corps opaque qui la produit, n’est autre chose que la section de ce plan dans le solide qui représente l’ombre ; d’où il suit que, dans le cas des deux globes que nous avons cités pour exemple, la figure de l’ombre sur un plan sera un cercle, une ellipse ou quelqu’autre section conique, suivant les positions du plan à l’égard du cône d’ombre formé par l’interposition du corps opaque entre ce plan et le corps lumineux.

624. Lorsque l’ombre d’un corps est projetée sur un plan, elle ne succède point par un passage nettement tranché à la lumière qui éclaire les parties environnantes ; mais celle-ci éprouve une sorte de dégradation, au moyen de laquelle son intensité va toujours en diminuant, depuis les points le plus fortement éclairés, jusqu’à l’espace occupé par l’ombre pure, ou proprement dite. Soit de nouveau r (fig. 83) le corps lumineux, z le corps opaque, et uy un plan situé derrière celui-ci ; px représentera la projection de l’ombre pure. Maintenant menons les lignes nl, qs, fh, etc., tangentes au globe opaque z, et qui aillent rencontrer le globe lumineux, et bornons-nous à considérer ce qui se passe à la gauche du point p en allant vers u. La ligne fh étant à la plus grande distance possible de p, parmi toutes les tangentes susceptibles d’atteindre le globe r, il est facile de voir que le point f, et à plus forte raison les points plus reculés vers u, reçoivent autant de rayons que si le globe z n’existoit pas, savoir, tous ceux qui partent des points compris depuis h jusqu’en d ; mais que le point q ne reçoit aucun des rayons envoyés par les points situés entre h et s ; que le point m est privé de tous ceux qui ont pour origine les points compris entre h et l ; et qu’enfin, tous les rayons qu’envoie la partie du globe r, tournée vers le plan uy, sont perdus pour le point p ; d’où il suit que l’effet de la lumière décroît progressivement depuis f jusqu’en p, qui est la limite de l’espace px, occupé par l’ombre vraie. On a donné le nom de pénombre à cette lumière graduellement décroissante, qui s’étend, d’une part, depuis f jusqu’en p, et d’une autre part, depuis g jusqu’en x. Les astronomes emploient la considération de la pénombre dans la théorie des éclipses, et nous en ferons usage, lorsque nous parlerons de la lumière décomposée par l’intermède du prisme.

625. L’ombre pure d’une verge perpendiculaire ou oblique sur un plan, est un triangle que l’on déterminera, en menant par le sommet de la verge une droite qui aille toucher le corps lumineux, en faisant le plus petit angle possible avec la verge. Les côtés du triangle seront : 1°. la partie de cette droite, comprise entre le sommet de la verge et le plan donné ; 2°. la verge elle-même ; 3°. la ligne menée par le pied de la verge jusqu’à la rencontre de la droite dont nous avons parlé : cette dernière ligne sera l’ombre considérée sur le plan donné : elle croîtra et décroîtra à mesure que l’angle dont le sommet se confond avec celui de la verge sera plus ou moins grand, c’est-à-dire, à mesure que le corps lumineux s’abaissera ou s’élèvera par rapport au plan donné ; et si ce même corps s’écarte à droite ou à gauche de la position qu’avoit d’abord le triangle qui détermine l’ombre, celle-ci fera sur le plan des mouvemens en sens contraire. C’est sur ces principes qu’est fondée la gnomonique, ou l’art de tracer des cadrans[2].

626. On a cru pendant long-temps que le mouvement de la lumière étoit instantané ; mais cette opinion étoit uniquement fondée sur ce que la vîtesse de ce mouvement paroissoit échapper à tous les moyens qu’on auroit pu employer pour la déterminer. Roëmer et Cassini découvrirent enfin une mesure de ce mouvement dans l’observation des éclipses du premier satellite de Jupiter : cette planète ayant un diamètre plus petit que celui du soleil, le cercle qui sépare sa partie éclairée de sa partie obscure est la base d’une ombre conique située vers cette dernière partie. Les satellites qui tournent autour de la planète principale entrent dans ce cône et en sortent successivement, de manière que leur partie éclairée devient elle-même obscure, et disparoît à mesure qu’ils se plongent dans le cône d’ombre, pour reparoître ensuite au moment où ils s’en dégagent. Supposons que la terre approche de sa conjonction avec Jupiter, c’est-à-dire, du terme où elle seroit placée sur une même ligne droite entre cette planète et le soleil ; dans ce cas, il s’écoulera environ 42 heures ½ entre la fin d’une éclipse du premier satellite de Jupiter et celle de l’éclipse suivante. Concevons maintenant que la terre, en parcourant la moitié de son orbite, ait été se placer vers l’opposition, c’est-à-dire, vers le point où elle se trouveroit derrière le soleil, par rapport à Jupiter. Si la lumière n’avoit aucun mouvement progressif, un spectateur situé sur la terre verroit le premier satellite de Jupiter sortir de l’ombre, après un temps égal à autant de fois 42 heures ½ qu’il y auroit eu d’éclipses depuis le moment de la conjonction. Mais il n’en est pas ainsi, et le spectateur voit, dans ce cas, la fin de l’éclipse environ 16 minutes plus tard que ne la donne le calcul ; de manière que, dans toutes les positions intermédiaires, la différence a toujours été en croissant jusqu’à cette limite. Or, le spectateur est alors à une distance de sa première position mesurée par le diamètre de l’orbite terrestre dont il a parcouru la moitié, et l’on sait que ce diamètre est d’environ soixante-six millions de lieues. On en a conclu que la lumière emploie 16 minutes à parcourir cette distance, ce qui fait plus de quatre millions de lieues par minute. Ainsi la lumière qui nous vient immédiatement du soleil, ne parvient à nos yeux qu’au bout de huit minutes. C’est en combinant le mouvement progressif de la lumière, avec celui de la terre dans son orbite, que l’on explique l’aberration des étoiles, c’est-à-dire, le mouvement apparent qui les écarte du point auquel nous devrions les rapporter dans le ciel. D’après la vîtesse de la lumière, telle que nous venons de l’indiquer, on trouve, pour l’aberration, une quantité égale à celle que donne l’observation, ce qui garantit à la fois et la justesse de l’explication, et celle de la conséquence déduite du retard que subissent les éclipses de Jupiter. Nous reviendrons dans la suite avec plus de détail sur le phénomène de l’aberration.

627. Nous placerons ici la description d’un météore que les modernes ont appelé aurore boréale, et que nous ne considérons que comme un simple phénomène de lumière, dont la cause n’est pas encore bien connue. On trouve dans les anciens auteurs un grand nombre de passages, qui prouvent que ce phénomène avoit été remarqué depuis très-long-temps. Chacun le décrivoit à sa manière ; et, suivant les divers aspects sous lesquels il se présentoit, on lui donnoit différens noms, tels que ceux de lampes, de torches ardentes, de lances, etc. Ce n’est que dans le siècle dernier que l’on a commencé à l’étudier, d’après les règles d’une saine physique, et personne ne s’est plus attaché que Mairan à en déterminer les diverses circonstances, dont voici les principales[3]. Ce phénomène se montre presque toujours du côté du Nord, en tirant un peu vers l’Ouest. Il commence ordinairement trois ou quatre heures après le coucher du soleil. Il s’annonce par une espèce de brouillard qui présente à peu près la figure d’un segment de cercle dont l’horizon forme la corde. La partie visible de sa circonférence paroît bientôt bordée d’une lumière blanchâtre, d’où résulte un arc lumineux, ou plusieurs arcs concentriques, dont la distinction est marquée par des bordures composées de la matière obscure du segment. Des jets et des rayons de lumière diversement colorés s’élancent ensuite de l’arc ou plutôt du segment nébuleux, où il se fait presque toujours quelque brèche éclairée, qui semble leur donner une issue. Quand le phénomène augmente et qu’il doit occuper une grande étendue, son progrès se manifeste par un mouvement général et une espèce de trouble dans toute la masse. Des brèches nombreuses se forment et disparoissent à l’instant dans l’arc et dans le segment obscur ; des vibrations de lumière et des éclairs viennent frapper, comme par secousses, toutes les parties de la matière du phénomène, qui occupent l’hémisphère visible du ciel. Enfin, lorsque cette matière parvient à sa plus grande extension, il se forme au zénith une couronne enflammée, qui est comme le point central dans lequel tous les mouvemens d’alentour paroissent concourir. C’est là le moment où le phénomène se développe dans sa plus grande magnificence, tant par la variété des figures lumineuses qui se jouent de mille manières au haut de l’atmosphère, que par la beauté des couleurs dont plusieurs d’elles sont ornées. Le phénomène diminue ensuite par degrés, de manière cependant que les jets lumineux et les vibrations se renouvellent de temps en temps : mais enfin le mouvement cesse ; la lumière qui occupoit les parties méridionales et celles de l’Orient et de l’Occident, se resserre et se concentre dans la partie boréale ; le segment obscur s’éclaircit et finit par s’éteindre, tantôt subitement, et tantôt avec lenteur, à moins qu’il ne se prolonge jusqu’à se fondre, en quelque sorte, dans le crépuscule du matin, comme cela a lieu dans la plupart des grandes aurores boréales.

628. Ce phénomène a été d’abord attribué aux vapeurs et aux exhalaisons de la terre, qui, après s’être mêlées, entroient en fermentation et finissoient par s’enflammer. D’autres ont imaginé que les glaces et les neiges de la zône polaire réfléchissoient les rayons solaires vers la surface concave des couches supérieures de l’atmosphère, d’où ces rayons étoient ensuite renvoyés vers nous, et produisoient toutes les apparences que présente l’aurore boréale. Quelques-uns ont considéré le fluide magnétique comme l’agent de ce phénomène, et la correspondance que l’on avoit remarquée, dans certains cas, entre les apparitions de l’aurore boréale et les agitations de l’aiguille aimantée (586), sembloit être favorable à cette opinion. Parmi les diverses causes dont on faisoit dépendre le phénomène dont il s’agit, l’électricité ne pouvoit être oubliée, et le développement d’une théorie fondée sur cette cause appartenoit, comme de droit, à Francklin. Suivant ce célèbre physicien, le fluide électrique transporté de l’Equateur vers les régions pôlaires, par les nuages qui en étoient chargés, descendoit avec la neige sur la glace qui couvre ces régions, et après s’y être accumulé, remontoit à travers l’atmosphère. Arrivé ensuite dans le vide qui étoit au-dessus, il se dirigeoit du côté de l’Equateur, en divergeant comme les méridiens. Là il formoit ces jets de lumière et toutes ces variétés de figures qu’on observe dans le spectacle d’une aurore boréale[4]. Au reste, Francklin ne propose cette idée qu’en doutant ; et dans le premier ouvrage où il l’ait publiée, il finit par cette phrase qui renferme le jugement qu’il en portoit lui-même : « cela pourroit passer pour une explication de l’aurore boréale[5] ».

Mairan n’avoit étudié, avec tant de soin, les circonstances de l’aurore boréale, que pour chercher à mieux étayer l’opinion particulière qu’il s’étoit formée sur l’origine de ce phénomène ; voici les principes sur lesquels étoit fondée cette opinion.

Diverses observations indiquent que le soleil est environné d’une atmosphère lumineuse par elle-même, ou seulement éclairée par les rayons de cet astre, et l’on a regardé cette atmosphère comme la cause d’un autre phénomène, qui porte le nom de lumière zodiacale. Cette lumière, qui est foible et blanchâtre, paroît surtout vers le printemps, quelque temps après le coucher du soleil, ou avant le lever, vers la fin de l’automne[6]. Mairan suppose que l’aurore boréale a lieu, lorsque la matière de l’atmosphère solaire s’approche assez de la terre, pour être plus en prise à l’attraction de cette planète qu’à celle du soleil. Une fois entrée dans la sphère d’activité de la terre, elle tombe dans notre atmosphère, et bientôt le mouvement circulaire plus rapide des particules d’air situées vers l’Equateur, la repousse vers les pôles où la vîtesse de rotation est moindre. C’est pour cela que l’aurore boréale paroît le plus souvent du côté du Nord. Mairan s’efforce ensuite d’expliquer, d’après les mêmes principes, toutes les circonstances du phénomène.

Comme la position de l’aurore boréale, qui, selon Mairan, a son siége dans l’atmosphère, est quelquefois élevée à plus de 260 lieues au-dessus de la surface de la terre[7], ce physicien avoit été obligé de supposer à cette atmosphère une hauteur incomparablement plus grande que celle qu’on lui attribuoit communément. L’objection lui en fut faite par le célèbre Euler, qui en même temps proposa, sur la cause des aurores boréales, une nouvelle opinion[8] que Mairan, à son tour, s’efforça de combattre[9]. Suivant cette opinion, les rayons solaires, exerçant leur impulsion sur les particules de l’atmosphère, les chassent à une grande distance, et les rendent lumineuses, en se réfléchissant sur leur surface. Euler étendoit cette explication à l’apparition des queues des comètes, et à celle de la lumière zodiacale, en vertu d’une impulsion semblable, qui agissoit, d’une part, sur l’atmosphère des premières, et de l’autre, sur celle du soleil lui-même.

D’après les détails dans lesquels nous venons d’entrer, il semble que toutes les hypothèses aient été épuisées pour expliquer l’aurore boréale. Parmi les différentes causes qui en ont été assignées, on pourroit être tenté de donner la préférence à l’électricité ; mais jusqu’ici cette préférence n’est fondée sur aucune observation décisive, et l’incertitude qui reste encore sur tout ce qui concerne le phénomène dont il s’agit, sera une nouvelle preuve que ce qu’il y a de plus anciennement connu n’est pas toujours ce qui l’est le mieux.

2. De la Réflexion et de la Réfraction de la Lumière.

629. Nous allons maintenant considérer les changemens qu’éprouve la lumière dans la direction de son mouvement, à la rencontre des corps qui se présentent sur son passage. Lorsqu’un rayon de lumière, au moment où il arrive à la surface d’un corps, se replie vers le milieu qu’il avoit traversé, cette déviation se nomme réflexion. L’angle formé par la première direction du rayon avec un plan tangent au point de la surface où le rayon la rencontre, est ce qu’on appelle l’angle d’incidence ; et l’angle formé par la nouvelle direction du rayon avec le même plan, se nomme l’angle de réflexion. L’observation prouve que l’angle de réflexion est toujours égal à l’angle d’incidence.

630. Il suit de là que si des rayons parallèles entre eux rencontrent, sous un angle quelconque, une surface réfléchissante qui soit plane, ils resteront parallèles après leur réflexion.

631. Si les rayons, au lieu d’être parallèles, sont convergens ou divergens, la surface réfléchissante étant toujours plane, ils conserveront, après leur réflexion, le même degré de convergence ou de divergence : par exemple, dans le cas où les rayons sont convergens, on peut considérer l’ensemble des rayons incidens comme un cône tronqué, et les rayons réfléchis comme formant la partie détachée du cône, qui s’est placée au-dessus de la surface réfléchissante, de manière que sa base continue de se confondre avec la plus petite base du cône tronqué. Il est facile d’appliquer cette considération aux rayons divergens. On voit par là que, dans la réflexion sur les surfaces planes, les rayons ne font que changer de route, sans que leur position respective soit dérangée. Il n’en est pas de même de la réflexion sur les surfaces courbes : elle fait varier à la fois les directions et les positions respectives des rayons.

632. Concevons que la surface réfléchissante (fig. 84) soit concave et fasse partie d’une surface sphérique : soient hm, ac deux rayons incidens parallèles ; ayant mené les tangentes tms, ocy, aux points d’incidence, et par le point c, la sécante nz parallèle à ts, nous remarquerons que si l’incidence du rayon ac se faisoit sur la sécante nz, mg étant le rayon réfléchi qui appartient au rayon incident hm, la ligne ck parallèle à mg seroit le rayon réfléchi, relatif au rayon incident ac. Si l’on considère maintenant l’incidence du rayon ac sur la tangente oy, il est évident que l’on aura l’angle kcy plus petit que l’angle d’incidence aco. Donc pour donner à ck la position qui convient à la réflexion sur oy, il faut augmenter l’angle kcy, et par conséquent le rayon réfléchi, tel que cb, convergera avec mg, et ira le couper.

633. Supposons que ac, en restant fixe par l’extrémité c, s’écarte du rayon mh par son extrémité a, auquel cas les rayons incidens convergeront entre eux, l’angle d’incidence aco étant augmenté, il faudra que l’angle de réflexion bcy augmente aussi ; d’où il suit que les rayons réfléchis convergeront davantage que les rayons incidens, puisque ceux-ci sont partis du parallélisme où la convergence étoit nulle, tandis que cb convergeoit déjà avec mg.

Si, au contraire, ac se rapproche de hm par son extrémité a, auquel cas les rayons incidens divergeront, alors l’angle d’incidence aco se trouvant diminué, l’angle de réflexion bcv diminuera aussi ; d’où il suit que les rayons réfléchis mg, cb, convergeront toujours de moins en moins, à mesure que ac s’inclinera vers hm, de manière qu’à un certain terme mg et cb deviendront parallèles, et qu’au delà de ce terme ils seront eux-mêmes divergens, quoique d’une moindre quantité que les rayons incidens qui sont partis du parallélisme.

634. Tout ce que nous venons de dire renferme le développement et la preuve des principes suivans : la réflexion sur les surfaces concaves sphériques rend convergens les rayons qui étoient parallèles avant leur incidence ; elle augmente la convergence de ceux qui convergeoient déjà ; et quant à ceux qui divergeoient, elle peut, suivant les circonstances, les rendre convergens, ou parallèles, ou même divergens, quoique toujours moins que les rayons incidens.

635. Considérons maintenant la réflexion de deux rayons incidens ns, rp (fig. 85), parallèles entre eux et au rayon ac de la sphère à laquelle appartient la surface réfléchissante ; ayant mené un second rayon cs au point d’incidence du rayon ns, nous aurons l’angle csn égal à l’angle csm, puisque ces angles sont les complémens des angles d’incidence et de réflexion nsy et mst ; de plus, à cause de ns parallèle à ca, l’angle csn est égal à scm ; donc le triangle cms est isocèle, d’où il suit que ms est égal à cm ; et puisque ms est plus grande que ma, on aura aussi cm plus grande que ma ; donc les rayons parallèles ns, rp se réfléchiront toujours dans un point situé en dessous de la moitié supérieure cf du rayon ca.

Or, si l’on suppose que les rayons ns, rp se rapprochent du rayon de la sphère, le point m, où se fait la réflexion, se rapprochera aussi du point f, en sorte que quand ils ne seront plus qu’à une distance infiniment petite de ca, le point où ils se réfléchiront se confondra sensiblement avec le point f.

636. D’une autre part, si l’on conçoit différens rayons incidens ns, db, ki, etc. (fig. 86), tous parallèles à l’axe et également distans les uns des autres, les angles d’incidence de ceux qui sont sensiblement éloignés de l’axe, différeront beaucoup plus entre eux, à mesure qu’ils s’en écarteront, que ceux des rayons voisins du même axe, parce que les inclinaisons des petits arcs sur lesquels tombent les premiers rayons vont en croissant rapidement, au lieu que dans le voisinage de l’axe, les arcs s’écartent peu de la direction perpendiculaire à l’égard des rayons qui leur correspondent. Il suit de là que dans un faisceau de rayons qui tombent parallélement au rayon de la sphère sur la courbure oag, tous ceux qui sont peu distans de l’axe concourent après leur réflexion sur un très-petit espace situé à peu près au milieu f du rayon de la sphère. On considère ce petit espace comme un point que l’on appelle le foyer des rayons parallèles, et dont nous exposerons dans la suite les propriétés.

637. Tous les effets précédens ont lieu en sens contraire dans la réflexion sur les surfaces convexes qui font partie de celle d’une sphère ; car, si l’on prolonge derrière la surface concave les rayons incidens et les rayons réfléchis qui ont rapport à cette dernière surface, on aura la répétition des mêmes angles d’incidence et de réflexion, relativement à la convexité de la même surface, sur des tangentes communes, avec cette différence, que les rayons qui étoient considérés comme convergens dans le premier cas, seront censés diverger dans le second, et réciproquement. Par exemple, si l’on prolonge derrière la surface ucz (fig. 87) les rayons hm, ac, gm, bc, les rayons incidens relatifs à la convexité de la surface seront h′m, a′c, parallèles entre eux comme les premiers, et les rayons réfléchis seront mg′, cb′, qui divergeront entre eux.

638. D’après cela les principes relatifs à la réflexion sur les surfaces convexes sphériques se déduisent de ceux qui ont rapport à la réflexion sur les surfaces concaves, par une simple inversion de termes, en sorte qu’ils doivent être ainsi énoncés. La réflexion sur les surfaces convexes rend divergens les rayons qui étoient parallèles avant leur incidence ; elle augmente la divergence de ceux qui divergeoient déjà, et à l’égard de ceux qui convergeoient, elle peut, suivant les circonstances, les rendre divergens, ou parallèles, ou même convergens, quoique dans un moindre degré que les rayons incidens.

639. Dans le même cas, la réflexion des rayons parallèles entre eux et à l’axe avant leur incidence, se fera toujours de manière que si l’on prolonge les rayons réfléchis, en dessous de la convexité, ils iront se réunir en un point situé entre le milieu du rayon de la sphère et le point où ce rayon coupe la surface réfléchissante ; et en appliquant ici le raisonnement que nous avons fait par rapport à la réflexion sur une surface concave, on en conclura que dans un faisceau de rayons qui tombent sur une surface convexe, parallélement entre eux et à l’axe, ceux qui seront voisins de cet axe tendront à se réunir en un foyer imaginaire, situé à peu près à la moitié du rayon de la sphère.

640. Lorsque la lumière rencontre un corps diaphane qui lui donne accès dans son intérieur, elle subit une autre espèce de déviation, dont nous allons pareillement exposer les lois. Ces corps, que la lumière pénètre, portent en général le nom de milieu. Le point par lequel un rayon de lumière entre dans un milieu, s’appelle point d’immersion ; et celui par lequel il en sort, s’appelle point d’émergence. Si le rayon rencontre perpendiculairement la surface d’un milieu, il continue sa route dans ce milieu ; mais si l’incidence est oblique à la surface du milieu, le rayon se détourne de sa route, en sorte qu’il paroît rompu au point d’émergence : ce détour s’appelle réfraction, et la partie du rayon qui le subit, se nomme rayon rompu ou rayon brisé. L’angle d’incidence est celui que fait le rayon incident avec une perpendiculaire menée par le point d’immersion sur la surface du milieu, et l’angle de réfraction est celui que fait le rayon rompu avec la même perpendiculaire.

641. Cela posé, il peut arriver que la lumière passe d’un milieu plus rare dans un milieu plus dense, ou d’un milieu plus dense dans un milieu plus rare. Dans le premier cas, le rayon rompu se rapproche de la perpendiculaire au point d’immersion, et dans le second il s’en écarte. De plus, l’observation prouve que le sinus de l’angle d’incidence et celui de l’angle de réfraction sont en rapport constant, lorsque le milieu que quitte la lumière et celui où elle entre restent les mêmes, quelle que soit l’obliquité du rayon incident. Si la lumière passe de l’air dans le verre, le sinus d’incidence sera celui de réfraction comme 3 est à 2 ; si elle passe de l’air dans l’eau, le rapport sera celui de 4 à 3.

Le même rapport a lieu en sens contraire, lorsque la lumière se réfracte de nouveau au point d’émergence en rentrant dans le premier milieu, c’est-à-dire, que si le retour se fait du verre dans l’air, le rapport des sinus sera celui de 2 à 3, et s’il se fait de l’eau dans l’air, le rapport sera celui de 3 à 4.

Il suit de là que si le milieu dans lequel la lumière a passé d’abord est terminé par deux surfaces parallèles, la lumière, en quittant ce milieu, prendra une direction qui sera elle-même parallèle à celle du rayon incident. Plusieurs substances minérales ont la propriété singulière de solliciter le rayon qui les pénètre à se diviser en deux parties qui suivent deux routes différentes : c’est ce que l’on appelle double réfraction ; nous reviendrons dans la suite sur cette propriété, et nous essayerons d’en donner la théorie, relativement au minéral connu sous le nom de spath d’Islande, qui se prête plus facilement que les autres à l’observation du phénomène.

642. Considérons maintenant les effets de la réfraction dans les milieux terminés par des surfaces courbes : soit daop (fig. 88) une portion de surface sphérique, et soient ca, ko deux rayons incidens parallèles l’un à l’autre et à un axe yx qui divise en deux parties égales l’arc daop ; supposons de plus que les rayons ca, ko soient également distans de l’axe, auquel cas ils rencontreront la surface daop sous le même degré d’obliquité ; les perpendiculaires ba, ho, aux points d’immersion, sont nécessairement sur les directions de deux rayons de la sphère à laquelle appartient la surface dont il s’agit ; donc ces perpendiculaires convergeront l’une vers l’autre, et si nous supposons que le milieu auquel elles appartiennent soit plus dense que celui dans lequel se meuvent les rayons incidens, il sera facile de voir que les rayons rompus ai, ol, en se rapprochant des perpendiculaires, convergeront aussi l’un vers l’autre.

643. Concevons une seconde surface courbe dilp semblable à la première, et située de manière que les deux concavités se regardent. Les rayons ai, ol, en repassant dans le premier milieu, s’écarteront au contraire des perpendiculaires ei, tl, aux points d’émergence ; d’où l’on voit qu’ils convergeront encore davantage vers un même point x situé sur l’axe yx.

644. Supposons que les rayons incidens ca, ko (fig. 89, Pl. xiii), étant toujours parallèles, rencontrent la surface daop sous différens degrés d’obliquité, et cela de manière que l’un soit en dedans et l’autre en dehors des perpendiculaires ba, ho. Si le milieu réfringent est toujours plus dense que celui dans lequel la lumière se mouvoit d’abord, les rayons rompus convergeront encore en se rapprochant des perpendiculaires : pour le prouver, imaginons que les rayons ca, ko tombent d’abord sur deux petites surfaces de, mp (fig. 90), parallèles entre elles : il est évident que les rayons rompus af, ot seront aussi parallèles. Concevons maintenant que la petite surface mp tourne autour du point d’immersion o, de manière à prendre la position nr, et qu’en même temps la perpendiculaire ho tourne d’une quantité égale, et prenne la position zu, tandis que les rayons ko, ot resteront fixes : les deux petites surfaces de, nr pourront être alors considérées comme faisant partie d’une surface courbe. Or, l’angle d’incidence koh sera augmenté de la quantité hoz, et l’angle de réfraction sot le sera d’une quantité égale uos, et il est évident que si les sinus varioient comme les angles, le sinus de réfraction seroit trop augmenté, pour que le rapport restât le même. Par exemple, si ce rapport étoit celui de 3 à 2, l’accroissement de l’angle de réfraction ne devroit être que les ⅔ de celui de l’angle d’incidence, au lieu de lui être égal. Mais le sinus de réfraction se trouve encore plus augmenté à proportion de celui d’incidence, que dans l’hypothèse précédente, parce que si l’on augmente deux angles de la même quantité, le sinus du plus petit angle croîtra dans un plus grand rapport que celui du plus grand angle : donc, pour que le rapport entre les sinus reste le même, il faut que l’angle uot diminue, et par conséquent le rayon rompu ot se rapprochera de la nouvelle perpendiculaire ou, c’est-à-dire, qu’il convergera vers l’autre rayon rompu af.

En général, la réfraction des rayons parallèles dans un milieu convexe et plus dense que celui qu’ils quittent, tend à rendre convergens les rayons rompus ; c’est le contraire lorsque la lumière passe dans un milieu plus rare ; les rayons rompus deviennent divergens.

645. Si le milieu réfringent est concave, on aura des effets contraires à ceux qui ont lieu pour un milieu convexe, c’est-à-dire, qu’au passage d’un milieu plus rare dans un milieu plus dense, les rayons, de parallèles qu’ils étoient, deviendront divergens ; ils convergeront, au contraire, si le second milieu est plus rare que le premier. Tous ces différens principes nous serviront, dans la suite, pour l’explication des phénomènes.

646. En appliquant à la réfraction ce que nous avons dit de la réflexion (636), on concevra que dans un faisceau cylindrique de rayons qui rencontrent un milieu convexe plus dense que celui qu’ils quittent, et qui sont parallèles à l’axe, ceux qui sont voisins de cet axe doivent tendre à se réunir au delà du second milieu, sur un petit espace qui sera leur foyer commun. Ce foyer aura également lieu pour les corps diaphanes terminés d’un côté par une surface convexe, et de l’autre par une surface plane, et pour ceux qui sont convexes des deux côtés. La position de ce foyer dépend de la courbure du milieu et en même temps de sa nature, et les géomètres ont des méthodes pour la déterminer.

On peut supposer aussi que les rayons incidens soient convergens ou divergens, et l’on trouvera, dans chaque cas, la position respective que les rayons rompus doivent prendre en vertu de la réfraction.

Nous nous réservons à exposer ceux des différens résultats relatifs à ces suppositions, dont nous aurons besoin pour la suite, à mesure qu’ils seront amenés par le sujet même, parce qu’il sera facile de les déduire de ce qui précède.

647. Jusqu’ici nous avons considéré la réflexion et la réfraction comme deux effets séparés et qui avoient lieu indépendamment l’un de l’autre. Mais l’observation prouve que les rayons qui tombent sur la surface d’un milieu réfringent d’une densité différente de celle du milieu dans lequel ils étoient mus, ne pénètrent pas tous le second milieu, en sorte qu’une partie est réfléchie au contact des deux milieux. Supposons d’abord que le second milieu soit plus rare que le premier : à mesure que les rayons, en partant de l’incidence perpendiculaire, s’inclineront davantage sur la surface du second milieu, le nombre des rayons qui échappent à la réfraction deviendra plus considérable, et il y aura un terme où ils seront tous réfléchis. Ce dernier effet est donné immédiatement par la loi même de la réfraction, en sorte que l’on peut déterminer, d’après le rapport entre les sinus d’incidence et de réfraction, l’inclinaison sous laquelle il a lieu ; car puisque dans le cas dont il s’agit, le sinus de réfraction est toujours plus grand que celui d’incidence, il est clair qu’il y a tel degré d’inclinaison où l’angle d’incidence étant encore aigu, l’angle de réfraction est droit, en sorte que la direction des rayons rompus coïncide avec la surface de contact des deux milieux ; et si l’on augmente encore l’angle d’incidence, celui de réfraction deviendra obtus, et les rayons se relèveront au-dessus de la surface de contact. Chacun de ces rayons ne se dirige point alors comme le côté de l’angle obtus qui résulte de la loi de la réfraction, mais il fait son angle de réflexion égal à l’angle d’incidence. Nous en donnerons bientôt la raison.

648. Il suit de ce qui vient d’être dit, que pour un milieu donné le rapport entre le sinus de l’angle d’incidence, sous lequel commence la réflexion totale, et le rayon, est le même que celui des sinus qui mesurent la réfraction dans le même milieu : par exemple, lorsque la lumière passe de l’eau dans l’air, les sinus étant en général comme 3 est à 4, la réflexion totale aura lieu sous l’angle d’incidence de 48d 35′, dont le sinus est les ¾ du rayon.

649. Si le second milieu est, au contraire, plus dense que le premier, il y aura aussi une partie des rayons qui seront réfléchis au contact des deux milieux ; mais cette partie est en général moins considérable que dans le cas précédent, et quelqu’oblique que soit l’incidence, il y a toujours des rayons réfléchis et d’autres qui sont réfractés ; de manière cependant que le nombre des premiers va en augmentant et celui des seconds en diminuant, à mesure que l’obliquité des rayons incidens devient plus grande. On conçoit qu’alors cette obliquité ne peut jamais être telle que le sinus de réfraction devienne égal au rayon, parce qu’il est toujours plus petit que celui d’incidence.

C’est en conséquence de cette portion de rayons qui se réfléchissent en échappant à la réfraction, que la surface d’une eau tranquille et celle des autres corps transparens font, jusqu’à un certain point, l’office de miroirs.

Reprenons maintenant tous les faits qui viennent d’être exposés, et voyons jusqu’où la théorie est parvenue dans la recherche des causes d’où dépendent la réflexion et la réfraction.

650. On a d’abord essayé d’expliquer ces effets, comme beaucoup d’autres, d’après les lois ordinaires de la mécanique. On a raisonné par rapport à la réflexion, comme si les molécules de la lumière ayant un ressort parfait, les surfaces qui la réfléchissent régulièrement étoient elles-mêmes parfaitement polies. Dans cette hypothèse, rien n’étoit si simple à concevoir que l’égalité des angles de réflexion et d’incidence, si en même temps on considéroit les molécules de la lumière comme étant d’une forme globuleuse. La force de chaque globule étant oblique sur le plan de réflexion se décomposoit en deux autres forces, dont l’une, perpendiculaire au plan, étoit d’abord détruite par la résistance de ce plan, puis restituée toute entière en sens contraire par l’effet du ressort ; l’autre, parallèle au plan, subsistoit sans altération, et se combinant avec la précédente, produisoit un nouveau mouvement en diagonale, incliné sur le plan précisément de la même quantité que le mouvement primitif.

651. Mais ces explications, et d’autres du même genre, qui réduisoient tout aux lois ordinaires du choc des corps, pouvoient paroître satisfaisantes, lorsque l’on considéroit la réflexion sous un point de vue isolé, et que l’on attribuoit aux actions des forces qui la produisent une précision mathématique. Newton, accoutumé à porter ses regards sur l’ensemble des faits, trouva dans leur rapprochement de fortes raisons à alléguer contre la théorie adoptée jusqu’alors ; et examinant ensuite la réflexion en elle-même, il jugea que le mécanisme dont on l’avoit fait dépendre ne pouvoit être celui de la nature.

652. Voici les principales considérations sur lesquelles il fonde son sentiment[10]. Lorsque la lumière passe du verre dans l’air, le nombre des rayons qui échappent à la réfraction et se réfléchissent au contact des deux milieux, est aussi grand ou même plus grand que quand le passage se fait de l’air dans le verre. Il faudroit donc dire que l’air est plus propre à la réflexion que le verre, ce qui n’est nullement vraisemblable ; mais quand cela seroit, on n’y gagneroit rien, car si le verre est placé sous un récipient purgé d’air, la réflexion au passage du verre dans le vide, sera aussi forte ou même plus forte que quand l’air existoit.

653. De plus, lorsque la lumière passe du verre dans l’air sous un angle d’incidence moindre que 40 ou 41d, une partie des rayons pénètre l’air en s’y réfractant, et lorsque l’angle d’incidence surpasse 41d, tous les rayons sont réfléchis. Croira-t-on qu’un simple changement d’obliquité suffise pour que la lumière, qui trouvoit jusqu’alors dans l’air un certain nombre de routes ouvertes, n’y rencontre plus que des parties solides qui la réfléchissent, surtout si l’on considère qu’au passage de l’air dans le verre, quelque grande que soit l’obliquité, il y a toujours un certain nombre de rayons qui pénètrent le verre ? On se figurera peut-être que dans le premier cas ce n’est point l’air, mais la dernière surface du verre qui produit la réflexion. Mais si l’on met le verre en contact avec de l’eau, une grande partie des rayons se transmettront à travers l’eau, sous la même incidence qui déterminoit une réflexion totale lorsque l’air existoit à la place de l’eau. Il paroît donc que la réflexion et la transmission des rayons ne dépendent point de la manière dont ils rencontrent les parties propres du verre, mais d’une certaine disposition de l’air ou de l’eau qui avoisine le verre.

654. Newton, après avoir exposé plusieurs autres raisons qui supposent la connoissance de certains effets dont nous parlerons dans la suite, remarque que, dans l’hypothèse où la réflexion se feroit en vertu du choc des rayons contre les molécules solides des corps, les surfaces des miroirs ne pourroient renvoyer la lumière avec cette exactitude et cette régularité qui ont lieu dans la nature. On ne peut présumer que le travail de l’art, en employant le sable, et d’autres matières analogues, réussisse tellement à polir le verre, que les dernières molécules de cette substance deviennent parfaitement lisses, que leurs surfaces soient exactement planes ou sphériques, qu’elles se trouvent toutes tournées dans le même sens, et composent une surface unique qui soit partout semblable à elle-même. Ce qu’on appelle polir le verre, n’est autre chose que rendre imperceptibles pour nos yeux les aspérités qu’ils y apercevoient et les remplacer par d’autres aspérités plus petites. Il en résulte que si la lumière étoit réfléchie par les parties propres du verre, elle se disperseroit de tous côtés sur les surfaces polies avec le plus de soin, comme sur les plus raboteuses. Comment donc arrive-t-il que la réflexion se fasse si régulièrement sur les premières ? Il ne paroît pas que l’on puisse sortir autrement de cette difficulté, qu’en faisant dépendre la réflexion d’une certaine force répandue uniformément sur toute la surface du verre, et dont l’action s’exerce à une très-petite distance. Nous parlerons, dans la suite, de quelques observations qui prouvent que les corps agissent sur les rayons de la lumière.

655. Tout ce qui vient d’être dit acquerra un nouveau degré de vraisemblance, par les détails dans lesquels nous allons entrer sur la théorie de la réfraction. On a tenté de ramener aussi cette inflexion de la lumière aux lois de la mécanique, en la faisant dépendre de la résistance plus ou moins grande des milieux qu’elle pénétroit. Mais ici la théorie paroissoit être en opposition avec ces mêmes lois ; car on démontre qu’un corps qui passe, par exemple, de l’air dans l’eau sous une direction oblique à la surface de ce liquide, s’y réfracte en s’écartant de la perpendiculaire, et cela en conséquence de ce que le second milieu est plus résistant que le premier. La lumière, au contraire, en passant de l’air dans l’eau, se rapproche de la perpendiculaire, d’où il paroît s’ensuivre que les milieux plus denses résistent moins au mouvement de la lumière que ceux qui sont plus rares. Comme on ne pouvoit attribuer cette moindre résistance à la nature même du milieu, on a imaginé que la réfraction se faisoit par l’intermède d’un fluide subtile qui occupoit les pores du milieu, et qui étant d’autant plus pur et plus dégagé de tout mélange avec les fluides plus grossiers, que les pores étoient plus petits, devenoit par là même moins résistant dans les milieux plus denses.

Newton a proposé une manière beaucoup plus heureuse d’expliquer la réfraction, à l’aide de l’attraction dans les petites distances ; voici en quoi consiste cette explication.

656. Soit sy (fig. 91) un rayon de lumière qui pénètre l’air suivant une direction oblique à la surface du milieu ABCD, que nous supposerons plus dense que l’air. Ayant prolongé CB jusqu’à ce que Br soit égale au rayon de la sphère d’activité du milieu ABCD[11], puis ayant pris sur BC la partie Bz égale à Br, menons rp et zu parallèles à AB. Dès que le rayon aura touché la ligne rp, il commencera à être plus attiré par le milieu AC que par l’air ; et cette attraction s’exerçant suivant yn perpendiculaire sur AB, se combinera avec la vîtesse suivant sy, en sorte que le rayon se détournera de sa route, en décrivant la diagonale d’un petit parallélogramme formé sous les directions des deux forces qui le sollicitent. À mesure qu’il s’approchera de AB, il sera attiré plus fortement par le milieu AC, en sorte que sa vîtesse, pour s’approcher de ce milieu, s’accélérera par des degrés qui iront en augmentant, sans que la vîtesse horizontale soit changée, et qu’en même temps son mouvement continuera de s’infléchir à chaque instant ; d’où l’on voit qu’il décrira une ligne courbe yt, dont la concavité sera tournée vers AB ; lorsque le rayon sera arrivé au-dessous de la ligne AB, il se trouvera attiré à la fois de haut en bas par les parties du milieu qui lui seront inférieures, et de bas en haut par les parties supérieures ; et comme l’attraction de ces dernières parties s’étend d’abord à une distance moindre que le rayon Bz de la sphère d’activité du milieu, tandis que celle des parties inférieures agit dans toute l’étendue du même rayon, il s’ensuit que le mouvement du rayon de lumière yt continuera de s’accélérer, mais par des degrés dont les différences iront en décroissant, et ainsi la nouvelle portion de courbe tf qu’il décrira, sera tournée dans le même sens que la première ; mais aussitôt que le rayon touchera la ligne uz, il se trouvera entièrement plongé dans la sphère d’activité du milieu, et alors étant attiré également de tous côtés, il prendra un mouvement rectiligne dirigé selon la tangente fk à l’extrémité de la courbe ytf.

Il est clair que le rayon, en décrivant cette courbe, se rapproche de la perpendiculaire ctm, au point d’immersion ; et comme la courbe est extrêmement petite, la route du rayon paroît n’être composée que de deux lignes droites, situées comme sy et fk, et qui se coupent au point d’immersion.

Les mêmes effets se répètent dans un ordre inverse, depuis le point k, dont la distance à la ligne DC est égale au rayon Bz de la sphère d’activité du milieu, en sorte que le rayon de lumière décrit ici une seconde courbe kie semblable à la première, mais dont la concavité est tournée en sens opposé ; d’où il suit que quand le rayon n’est plus attiré que par l’air environnant, il se meut en ligne droite suivant el, en s’écartant de la perpendiculaire gio, au point d’émergence, en sorte que l’angle formé par el avec oi est égal à celui que forment entre elles les lignes sy, ct, c’est-à-dire, que el est parallèle à sy.

657. L’attraction de l’air se combine avec celle du milieu AC jusqu’à une certaine limite située à une distance de AB ou de CD moindre que Br ; et comme elle agit toujours plus foiblement que celle du milieu AC, à laquelle sa direction est contraire, son effet se borne à modifier un peu la figure de la courbe ytf ou kie, dont la concavité restera tournée dans le même sens. D’ailleurs, il est facile de voir que les petites altérations que subit la force du milieu AC, de la part de celle de l’air, étant les mêmes de part et d’autre à des distances respectivement égales de AB et de CD, les deux courbes ytf, kie ne laisseront pas de se ressembler ; en sorte que, tout compensé, le mouvement du rayon peut être considéré comme produit par une seule force accélératrice variable entre certaines limites voisines des lignes AB, CD, et qui éprouve, de part et d’autre, les mêmes changements en sens opposé[12].

La théorie précédente suppose que la lumière se propage par émission ; et ainsi, dans cette hypothèse, la réfraction s’explique plus heureusement que dans celle de pression.

658. Comme la lumière est transmise par un milieu quelconque dans toutes les directions possibles, il faut concevoir qu’il en est des molécules des corps diaphanes, comme de celles de la lumière elle-même, c’est-à-dire, que les distances entre ces molécules sont incomparablement plus grandes que leurs épaisseurs. Les physiciens qui admettent la propagation de la lumière par pression, sont conduits à la même conséquence. Bouguer a cru pouvoir éluder la difficulté en supposant que les parties solides des corps diaphanes, qui se trouvoient sur la direction des rayons de lumière, transmettoient l’action de ces rayons en suppléant à la matière subtile, dans les petits espaces où celle-ci se trouvoit interrompue ; mais il n’est nullement probable que ces parties aient la figure, la disposition et le degré d’élasticité nécessaires pour propager aussi exactement les vibrations de la lumière, que si les rayons de ce fluide formoient des lignes continues.

La même théorie nous conduit à plusieurs nouvelles considérations sur les causes de la réflexion et de la réfraction.

659. Nous avons vu (647) que les rayons qui se présentent sous un certain degré d’obliquité, pour pénétrer un milieu plus rare que celui qu’ils traversent, sont réfléchis tous à la fois au contact des deux milieux. Or, l’explication que nous avons donnée de la réfraction peut servir à faire concevoir la raison de cet effet ; car le rayon de lumière, parvenu à une distance du contact des deux milieux, moindre que le rayon de la sphère d’activité du milieu qu’il pénètre, et se trouvant plus attiré par les molécules situées au-dessus de lui que par celles qui sont en dessous, commencera à infléchir son mouvement et à décrire une courbe qui tournera sa convexité vers la surface de contact. Si telle est l’inflexion de la courbe, que celle-ci coupe la surface de contact, il n’y aura qu’une partie des rayons qui soit réfléchie au contact, et le reste sera transmis. Mais si l’obliquité du rayon incident est assez grande pour qu’il y ait un arc de la courbe, dont la tangente soit parallèle à la surface de contact, le rayon, après avoir décrit cet arc, se relèvera en décrivant une seconde branche de courbe semblable à la première, après quoi il prendra un mouvement uniforme, suivant la tangente au dernier arc de la courbe, et il est évident que cette tangente se trouvera inclinée sur la surface de contact de la même quantité que le rayon incident ; d’où il suit que l’angle de réflexion sera égal à l’angle d’incidence[13].

Cette réflexion est donc produite immédiatement en vertu de la cause d’où dépend la réfraction, en quoi elle paroît distinguée des réflexions qui ont lieu sous les incidences précédentes, et que l’on seroit porté à considérer, au contraire, comme des espèces d’exceptions à la loi de la réfraction : cependant il est très-probable, et c’est l’opinion de Newton, que la réflexion et la réfraction proviennent, en général, d’une même puissance qui agit diversement, suivant la diversité des circonstances[14] ; car, dans toutes les incidences qui précèdent celle où la réfraction se change en réflexion totale, le nombre des rayons réfléchis est aussi plus grand en général, lorsque l’obliquité requise pour la réfraction totale est plus petite. Or, elle l’est d’autant plus que les deux milieux diffèrent davantage en densité, ou, ce qui revient au même, que la force de la réfraction, qui dépend de la grandeur de l’angle de réfraction, est plus considérable ; et comme d’une autre part, la force de la réflexion dépend du nombre des rayons réfléchis, il sera vrai de dire qu’en général les milieux qui réfractent le plus fortement la lumière, sont aussi ceux qui la réfléchissent le plus fortement.

660. Newton, pour désigner la puissance dont il s’agit, emploie tantôt le nom d’attraction, tantôt celui de répulsion : par exemple, lorsque la lumière rencontre, sous un certain degré d’obliquité, la dernière surface d’une masse de verre placée dans le vide, et qu’elle se réfléchit en entier, il est visible que cet effet ne peut être attribué qu’à l’attraction du verre, puisque le vide est incapable d’exercer aucune action ; mais si l’on enduit la surface du verre de quelque liquide, comme l’eau ou l’huile, un certain nombre de rayons qui étoient réfléchis dans le cas précédent, pénétreront le liquide, parce que l’attraction du verre est balancée en partie par l’attraction contraire de l’eau ou de l’huile[15].

D’une autre part, lorsque la lumière se réfléchit à la rencontre d’un corps, les molécules propres de ce corps paroissent exercer sur elle une action répulsive, et parce que ce corps, lorsqu’il est diaphane, agit en même temps par attraction sur la portion de lumière qui se réfracte, on peut concevoir que cette attraction s’étend jusqu’à un plan situé à une très-petite distance de la surface du corps, parallélement à cette surface, et qu’au delà de ce plan la répulsion a lieu jusqu’à une autre distance presqu’infiniment petite ; et comme en algèbre les quantités négatives s’évanouissent lorsque les quantités positives commencent à avoir lieu, de même dans les effets physiques dont il s’agit ici, la force répulsive succédera immédiatement à la force attractive[16].

Parmi les rayons qui se meuvent vers la surface du milieu réfringent, il arrivera le plus souvent que les uns seront repoussés, et les autres attirés, pour être ensuite transmis par le milieu, et cette différence paroît tenir à certaines circonstances que Newton a de même déterminées, et dont nous parlerons à l’article des couleurs.

661. Newton ne s’en est pas toujours tenu aux actions à distances, pour y ramener les effets dus à la réflexion et à la réfraction. Il a présumé que ces effets pourroient bien dépendre de l’action d’une matière très-subtile, répandue partout et jusque dans l’intérieur des corps diaphanes ; et en concevant que cette matière avoit plus de densité dans les corps plus rares, et que sa densité augmentoit peu à peu, en allant d’un milieu plus dense vers un milieu plus rare, il pensoit qu’on pourroit expliquer, d’après cette hypothèse, comment la lumière se réfractoit dans certaines circonstances, en infléchissant son mouvement par degrés, et comment elle se réfléchissoit dans d’autres circonstances, en cherchant à s’écarter des espaces où la matière subtile étoit plus dense, pour se porter vers ceux où elle étoit plus rare[17].

662. Au reste, il n’est pas surprenant de voir ici Newton se donner cette espèce de liberté de conjecturer. Il ne propose ses opinions que comme de simples doutes, dans ses questions d’optique, où il semble faire l’histoire des pensées qui se sont présentées successivement à son esprit dans ses profondes méditations sur la nature, comme pour inviter les philosophes qui le liront à les discuter et à les éclaircir.

Il résulte du moins de leur ensemble, que la réflexion et la réfraction de la lumière sont produites très-vraisemblablement par des forces particulières, du genre de celles qui s’exercent de molécule à molécule, et qu’en se bornant aux effets, tels qu’ils se présentent à nous, on peut employer les mots d’attraction et de répulsion pour désigner ces mêmes forces, comme en chimie on se sert du mot affinité pour exprimer la tendance qui sollicite les unes vers les autres les molécules constituantes des corps. C’est une nouvelle classe de phénomènes infiniment variés qui rentre dans le domaine des forces dont il s’agit, et ce domaine est déjà si étendu, d’après tout ce que nous avons dit dans les articles précédens, que tout ce qui tend à en reculer les limites contribue par cela seul à la perfection de la physique, en simplifiant le tableau de la nature. L’espèce de refus que les physiciens ont fait pendant long-temps, et que quelques-uns font encore d’admettre de pareilles forces, ne vient que de la pente qu’ils ont à chercher, dans les effets naturels, des actions analogues à celles qu’exercent continuellement sous nos yeux les corps qui se choquent, et les différens mobiles qu’emploie notre mécanique. Comme ces actions ont lieu au contact et qu’elles nous sont familières, elles paroissent offrir à l’esprit des conceptions plus nettes, quoiqu’au fond l’impulsion, considérée attentivement, ait ses mystères comme l’attraction. On a accusé en conséquence les partisans des forces qui agissent à distance, de reproduire les qualités occultes des anciens philosophes. Cependant la différence est immense entre ces sympathies et ces antipathies, qu’il suffisoit de nommer pour que tout fût dit, et ces principes qui expriment des faits généraux dont le développement conduit au rapprochement de tous les autres faits qui en dépendent. Là tout restoit inconnu, pour le physicien : ici, en partant d’un fait général qu’il prend pour cause, il en déduit, par rapport à tout le reste, des connoissances claires et précises. Les qualités occultes plongeoient tous les phénomènes de la nature dans une obscurité profonde et impénétrable ; les forces admises par Newton les placent au milieu d’un espace bien éclairé, excepté dans un point, où se trouve un nuage qu’il n’a point été donné à l’œil du génie de pouvoir percer.

663. Passons à un autre effet qui a beaucoup d’analogie avec les précédens, et semble offrir une preuve directe de l’action des corps sur la lumière, dans les petites distances. Grimaldi avoit observé que, si l’on faisoit passer un rayon de lumière par un très-petit trou dans une chambre obscure, les ombres des corps exposés à cette lumière étoient plus larges qu’elles n’auroient dû l’être, si les rayons avoient été raser les extrémités de ces corps.

664. Newton répéta cette expérience avec un cheveu dont l’ombre se projetoit sur un plan, qu’il plaça successivement à différentes distances du cheveu, et il observa qu’à une distance de quatre lignes, la largeur de l’ombre étoit quadruple de celle du cheveu, qu’elle devenoit dix fois plus grande à une distance de deux pieds, et trente-cinq fois plus grande à une distance de dix pieds.

Mais comme plusieurs physiciens avoient attribué cette augmentation de l’ombre à la réfraction de l’air voisin du cheveu, Newton, pour reconnoître si cette explication étoit la véritable, enduisit d’eau une plaque de verre, sur laquelle il étendit le cheveu, et qu’il recouvrit ensuite d’une autre plaque semblable, de manière que le cheveu étoit plongé dans l’eau qui remplissoit l’intervalle entre les deux verres, et il trouva que l’ombre du cheveu, à distance égale, avoit encore la même largeur[18].

Cette expérience faisoit voir que la lumière parvenue à une petite distance du cheveu, évitoit de le raser, en se repliant de part et d’autre ; et cet effet ne pouvoit être attribué qu’à une espèce de répulsion que le cheveu exerçoit sur la lumière[19].

Newton fit d’autres expériences sur le même sujet, d’où il conclut que les corps agissoient aussi par attraction sur les rayons qui passoient près d’eux. Ces effets contraires se concilient d’après les expériences de Sgravesande[20], dont nous allons donner une idée.

665. Concevons que bac (fig. 93) soit une section faite par un plan horizontal dans une lame tranchante située verticalement : si l’on présente le bord aigu c de cette lame à un faisceau de lumière dmke, dirigé horizontalement, la lame attirera les rayons de, fh qui s’infléchiront vers elle de moins en moins, à mesure qu’ils seront plus éloignés, en sorte qu’à une certaine distance, qui déterminera la limite de l’attraction, il y aura un rayon gi qui passera sans inflexion : au delà de ce terme, l’attraction se changera en répulsion, et les rayons ultérieurs lk, mn s’infléchiront en sens opposé, de manière que lk croisera mn, pour obéir à la force qui le repousse à une plus grande distance.

666. Supposons maintenant que l’on place vis-à-vis de la lame acb (fig. 94) une autre lame semblable a′c′b′, qui tourne vers elle son bord aigu, et que l’on introduise dans l’espace intermédiaire un faisceau de lumière dee′d′ ; si la distance entre e et e′ est d’abord un peu considérable, comme 1/10 de pouce, chacun des deux tranchans n’aura aucune action sur les rayons repoussés par l’autre, et tout se passera, par rapport à chaque tranchant, comme dans le cas d’une seule lame. On s’est dispensé de représenter ici les rayons repoussés qui sont censés se confondre avec la lumière directe op, rs. Si l’on reçoit le faisceau sur un plan AB, il y produira une tache blanche, aux deux côtés de laquelle la lumière s’épanouira sous la forme d’une espèce de frange, par une suite de l’inflexion des rayons dans le voisinage des tranchans.

Que l’on rapproche ensuite les deux lames, en diminuant l’espace cc′ ; tant que les rayons attirés ou repoussés par chaque tranchant seront hors de la sphère d’activité de l’autre, ceux qui passoient le plus près des tranchans, tels que de, d′e′, se trouvant interceptés, et cette perte n’étant compensée par aucun accroissement de force, la tache blanche se contractera. Si l’on continue de rapprocher les deux lames, il y aura un terme où chacune repoussera les rayons sur lesquels l’autre agit par attraction, ce qui augmentera les inflexions de ces rayons ; en sorte que les franges lumineuses se rapprocheront de plus en plus des points A, B, et que l’espace intermédiaire s’élargira. En même temps cet espace s’obscurcira vers le milieu, parce que les rayons directs qui l’éclairoient en cet endroit se détourneront à droite et à gauche, par l’effet de la double force qui les sollicite.

Ces expériences sont très-intéressantes, en ce qu’on y voit la répulsion succéder à l’attraction, qui devient zéro dans le point où les rayons passent en ligne droite, et au delà duquel les quantités négatives remplacent les positives.

L’action des deux forces ne se borne pas à changer la direction des rayons, elle décompose la lumière ; en sorte que les franges présentent différentes séries de couleurs, à peu près comme dans le phénomène des anneaux colorés que nous exposerons à l’article des couleurs.

L’effet dont nous venons de parler a été appelé par plusieurs physiciens diffraction de la lumière. Newton lui a conservé le nom d’inflexion, et l’attribue à la même cause générale qui produit la réflexion et la réfraction.

667. Nous terminerons cette théorie des forces que les corps exercent sur la lumière, par l’exposé d’un autre genre de résultats dont nous sommes encore redevables à Newton. Ce célèbre géomètre entreprit de comparer les puissances réfractives des différens corps diaphanes avec leurs densités[21]. Voici comme il évalue les premières : il suppose que la lumière cr (fig. 95) rencontre la surface ab de chaque corps sous un angle presqu’infiniment petit cra, ou, ce qui revient au même, il suppose que l’angle d’incidence crm soit sensiblement droit. Il décompose ensuite le mouvement rg du rayon rompu en deux directions, dont l’une rn est située sur la surface réfringente, et l’autre gn lui est perpendiculaire. Comme le rayon incident cr avoit une vîtesse censée nulle dans le sens de la même perpendiculaire, tout l’effet du mouvement qui a lieu suivant cette direction provient de la force accélératrice, ou de la puissance réfractive du milieu ; et l’on prouve, d’après la théorie des forces accélératrices, que si l’on suppose la ligne rn constante, la puissance réfractive sera comme le carré de la perpendiculaire gn[22] : quant à la densité, elle s’estime, comme l’on sait, d’après la pesanteur spécifique de chaque corps.

668. Newton a trouvé que les puissances réfractives varient en général suivant le rapport des densités, mais que les corps, considérés sous ce point de vue, forment comme deux classes distinctes, l’une de ceux qu’il regarde comme fixes, tels que les pierres, l’autre de ceux qu’il appelle gras, sulfureux et onctueux, tels que les huiles, le succin, etc. Dans chaque classe, la puissance réfractive est, ainsi qu’on l’a dit, à peu près proportionnelle à la densité ; mais les corps de la seconde classe, à densité égale, ont une puissance réfractive beaucoup plus considérable que ceux de la première.

669. Or, la grande puissance réfractive du diamant plaçoit cette substance parmi les corps onctueux et sulfureux ; et dans la table où Newton avoit présenté la série des rapports entre les puissances réfractives et les densités, le diamant se trouve à la suite de l’huile de térébenthine et du succin.

Newton avoit conclu de ce résultat, que le diamant étoit probablement une substance onctueuse coagulée, expression qui, dans le sens que Newton lui-même y attachoit, est un synonyme d’inflammable.

670. Ce grand géomètre va plus loin ; il remarque que l’eau a une puissance réfractive moyenne entre celle des corps des deux classes, et que vraisemblablement elle participe de la nature des uns et des autres, car elle fournit à l’accroissement des plantes et des animaux, qui sont composés en même temps et de parties sulfureuses, grasses et inflammables, et de parties terrestres, sèches et alkalisées.

Ainsi, Newton avoit presque lu dans les résultats de la réfraction que le diamant est un corps combustible, et que l’eau renferme un principe inflammable. En énonçant ces aperçus, il s’exprime dans le langage de la chimie de son temps, et c’est une raison de plus pour admirer comment son génie, placé dans un si grand éloignement, a été aborder de si près, et par une route en apparence si détournée, des vérités importantes que l’état des connoissances humaines, à cette époque, sembloit devoir rendre inaccessibles.

3. De la Lumière décomposée, ou des Couleurs.

671. Les rayons que les corps lumineux envoient immédiatement vers nos yeux, nous apportent les images de ces corps accompagnées de cette vive clarté que nous désignons souvent par l’expression même de lumière. Ceux de ces rayons qui sont réfléchis par les corps susceptibles de les repousser, viennent de même nous avertir de la présence de ces derniers corps, en nous offrant leurs images, mais sous une apparence particulière que nous exprimons par le mot de couleur. Les physiciens en ont conclu que la réflexion ne se bornoit pas à renvoyer vers nous les rayons dans le même état où ils sont reçus par la surface réfléchissante, et qu’il faut que cette surface ait une certaine disposition propre à modifier l’action des rayons, et en vertu de laquelle ils nous font apercevoir les images des corps comme parées et habillées de leurs couleurs. Mais en quoi consiste cette espèce de modification, soit qu’on la considère dans les rayons eux-mêmes, ou dans les objets qui la déterminent ? De quelle nature est cette puissance, dont l’inépuisable fécondité donne naissance à ces teintes si diversifiées, qui distinguent les surfaces des différens corps, et qui admettent entre elles des gradations de nuances si délicates, souvent réunies et comme fondues ensemble dans la coloration d’un même corps ? Telles sont les questions importantes dont nous devons la solution aux découvertes de Newton.

Des Couleurs considérées dans la Lumière.

Tant que l’on a regardé la lumière comme homogène, et ses rayons comme indifférens par eux-mêmes par rapport à telle ou telle couleur, on a attribué la différence des couleurs à celle des mouvemens que les molécules des corps imprimoient aux rayons réfléchis sur leur surface, ou réfractés dans leur intérieur. Quelques physiciens, assimilent les couleurs aux sons, les faisoient consister dans la fréquence plus ou moins grande des vibrations de la matière subtile qui leur servoit comme de véhicule.

672. Cependant, Grimaldi avoit remarqué qu’un rayon solaire se dilatoit en passant à travers le prisme ; mais il regardoit cette dilatation comme l’effet d’une cause accidentelle, qui agissoit de la même manière sur tous les rayons : ainsi, après avoir fait une observation importante, il passa à côté du but, et céda le prisme à Newton.

Cet instrument, manié par une main si habile, et suivi dans tous ses résultats par l’œil du génie, a servi à dévoiler enfin la vraie théorie des couleurs. Newton a développé lui-même cette théorie dans son Traité d’Optique, où le physicien paroît avec tant de dignité à côté du géomètre, déjà immortel par la théorie de l’attraction, et où l’on admire partout ce choix heureux d’expériences décisives, cet art de les placer dans l’ordre où elles s’éclairent mutuellement, et cette justesse de raisonnement qui ne présente, dans les conséquences que la traduction fidèle du langage des faits.

673. Avant d’exposer les résultats des expériences dont il s’agit, il ne sera pas inutile de donner quelques notions générales sur la forme et sur les effets du prisme qu’on emploie pour les faire. Ce prisme, est droit et triangulaire ; on le fait ordinairement de verre blanc, que l’on choisit le plus exempt qu’il est possible de bulles, de veines et autres défauts semblables ; ses faces latérales doivent être exactement planes et d’un beau poli ; l’angle formé par les deux faces, dont l’une reçoit le rayon de lumière qui se réfracte dans le prisme, et l’autre lui offre une issue à son retour dans l’air, se nomme l’angle réfringent du prisme.

674. Nous avons vu (641) qu’un rayon de lumière qui pénètre un milieu terminé par deux faces parallèles, prend, en repassant dans l’air, une direction qui est elle-même parallèle à celle qu’il avoit avant d’entrer dans le milieu. Il n’en est plus de même lorsque le milieu est un prisme dont les faces sont inclinées entre elles. Le rayon émergent fait nécessairement un angle avec le rayon incident. Il faut en excepter le cas où le rayon incident et la perpendiculaire au point d’incidence, sont dans un plan dont la section, avec la face sur laquelle tombe le rayon, est parallèle à l’arête qui passe par le sommet de l’angle réfringent. Car si l’on prolonge ce plan jusqu’à la rencontre de la face par laquelle sort le rayon, sa section avec cette face sera parallèle à la première section ; et comme le rayon reste sur ce plan, il s’ensuit qu’il est ici dans le même cas que si les deux faces dont il s’agit étoient parallèles entre elles, et ainsi il sortira du prisme parallélement à sa première direction.

675. Supposons maintenant que abc (fig. 96, Pl. XIV) représente une tranche infiniment mince du prisme située dans un plan perpendiculaire à l’axe ; que b soit le point qui appartient à l’angle réfringent, et hg le rayon incident. Si l’on fait tourner le prisme autour de son axe, tandis que le rayon hg reste fixe, et si tel est le mouvement de ce prisme, qu’il détermine le rayon émergent nm à s’abaisser de plus en plus au dessous de sa première position, on arrivera à un terme, passé lequel, l’extrémité m, qui jusqu’alors étoit descendue, commencera, au contraire, à monter. Ce terme aura lieu lorsque le rayon émergent nm fera, avec la perpendiculaire or, un angle mnr égal à l’angle hgs, formé par le rayon incident hg avec la perpendiculaire ps ; d’où il suit que les angles anm, cgh, que feront les deux rayons avec les faces correspondantes du prisme, seront pareillement égaux. Si le point b étoit tourné vers le haut, les mouvemens du rayon nm se feroient en sens contraire de ceux dont nous avons parlé.

La position qui donne l’égalité entre les angles anm, cgh doit donc être regardée comme la limite de toutes les autres positions. Or, on sait que quand une quantité varie en allant vers sa limite, ses variations diminuent de plus en plus, à mesure qu’elle-même s’approche de la limite, de manière qu’il y a un petit espace en deçà et au delà, où elle peut être regardée comme sensiblement constante. Il en est de ces sortes de quantités à peu près comme de la longueur du jour, qui augmente par des degrés presque insensibles, lorsque le soleil n’est plus qu’à une petite distance des Tropiques, qui sont les limites de son mouvement dans l’Écliptique.

Il résulte de là que dans les positions du prisme qui avoisinent celle où les réfractions des rayons mn, gh sont égales de part et d’autre, le rayon mn reste presque parallèle à lui-même, de manière que son extrémité m est à peu près stationnaire pendant un instant. Ces différentes notions nous seront utiles pour la suite.

676. Passons maintenant aux expériences à l’aide desquelles Newton a établi sa théorie. Ces expériences sont de deux genres : les unes, qui sont les plus importantes, ont pour objet les couleurs considérées dans la lumière ; les autres sont relatives aux circonstances qui déterminent les corps à réfléchir les différentes couleurs sous lesquelles ils se présentent à nos yeux.

Pour donner aux expériences du premier genre toute l’extension dont elles étoient susceptibles, Newton a examiné la lumière dans trois états différens, en opérant successivement sur celle qui vient des corps colorés, sur celle que le soleil nous envoie immédiatement et enfin sur celle qui est réfléchie sur des surfaces polies.

677. Newton prit un papier épais, taillé en forme de rectangle, et d’un noir foncé. Ayant divisé le rectangle en deux moitiés, par une ligne parallèle à ses petits côtés, il teignit une moitié en rouge et l’autre en bleu ; ces deux couleurs étoient elles-mêmes très chargées et avoient une forte intensité. Le papier étoit placé devant une fenêtre[23], de manière que les deux grands côtés du rectangle fussent parallèles à l’horizon et que la ligne qui le divisoit fût perpendiculaire au plan de la fenêtre ; de plus, l’angle formé par la lumière, qui alloit de la fenêtre au plan de papier, étoit égal à celui que faisoit le même plan avec les rayons réfléchis vers l’œil. Les choses étant ainsi disposées Newton regarda le papier à travers un prisme dont l’axe étoit aussi parallèle à l’horizon, et voici ce qu’il observa. Lorsque l’angle réfringent du prisme étoit tourné en haut, auquel cas la réfraction relevoit l’image du papier au-dessus de sa première position, la moitié teinte en bleu paroissoit elle-même plus élevée que celle qui étoit colorée en rouge : c’étoit le contraire lorsque l’angle réfringent regardoit la terre ; la position du bleu, dans ce cas, étoit plus basse que celle du rouge. Newton conclut de cette première expérience que les rayons qui venoient de la moitié teinte en bleu étoient plus réfrangibles que ceux qui partoient de la moitié teinte en rouge ; car il étoit bien évident que les grands côtés du papier étant parallèles aux arêtes du prisme, les rayons des deux couleurs, qui provenoient des soudivisions de ces mêmes côtés et de celles de toutes les lignes intermédiaires, se trouvoient précisément dans les mêmes circonstances à l’égard du prisme ; en sorte que s’ils eussent subi des réfractions égales, tous les points de l’image, qui répondoient à chacun des grands côtés du papier et à chacune des lignes intermédiaires, auroient dû paroître à la même hauteur[24]

Newton entoura ensuite, à plusieurs reprises, le même papier d’un fil de soie très-noir, en sorte que les différentes parties de ce fil paroissoient être autant de lignes noires tracées sur le papier. Il plaça le papier près d’un mur, dans une position verticale, l’une des couleurs étant à droite et l’autre à gauche. Ayant choisi la nuit pour le temps de son expérience, il mit en devant du papier, et à une très-petite distance, une bougie allumée, dont la flamme répondoit à la jonction des deux couleurs, et dépassoit tant soit peu, par sa pointe, le bord inférieur du papier : enfin, il dressa sur le plancher, à l’opposé du papier et à une distance d’environ six pieds, un verre lenticulaire qui rassembloit les rayons partis des différens points du papier, de manière que leurs points de concours, derrière la lentille, se faisoient à la même distance d’environ six pieds, d’où il arrivoit que l’image du papier coloré se peignoit sur un autre papier placé à l’endroit de ces points de concours, comme les images des objets extérieurs se peignent au fond de la chambre obscure.

Newton, en faisant mouvoir le second papier, tantôt vers la lentille, tantôt du côté opposé, cherchoit la distance où l’image de chaque partie colorée du papier fixe avoit le plus de netteté et il jugeoit qu’il étoit parvenu à cette distance, lorsque les images des fils tendus sur le papier étoient elles-mêmes nettement terminées : or à l’endroit où le rouge étoit devenu très distinct, le bleu ne se voyoit que confusément, de sorte que l’on apercevoit à peine les lignes qui le traversoient, et réciproquement le terme où le bleu ressortoit dans toute sa force, n’offroit qu’une image foiblement exprimée du rouge et des lignes noires auxquelles il servoit de fond. Ce second terme avoit lieu à une distance de la lentille moindre d’environ un pouce et demi que celle qui répondoit à la vision distincte du rouge ; et puisque l’incidence des rayons sur la lentille étoit la même dans les deux cas, il s’ensuivoit que les rayons bleus se réfractoient davantage que les rouges.

Il n’est pas nécessaire, pour le succès des expériences, que l’appareil soit disposé précisément comme il a été indiqué : par exemple, dans la première, on réussira de même en inclinant le prisme et le papier à l’horizon. Mais les positions adoptées par Newton sont celles où le phénomène marque davantage, et en général il a ramené toutes ses expériences à ces espèces de termes fixes, qui, par une manière d’opérer plus soignée et plus précise, conduisent à des résultats mieux prononcés. Newton ne prétend pas non plus que toute la lumière qui vient de la partie du papier colorée en bleu soit plus réfrangible que celle qui vient de la partie rouge. On verra dans la suite que chacune de ces deux couleurs est mêlée de rayons, qui sont eux-mêmes différemment réfrangibles ; mais ce mélange, qui n’est que léger, n’empêche pas que l’effet principal ne domine dans le phénomène. 678. De ces expériences, en quelque sorte préliminaires, Newton passe à celles qui ont pour objet la lumière envoyée immédiatement par le soleil. Voici en quoi consiste la première : Newton introduisit un rayon solaire par une ouverture d’environ 4 lignes, ou 9 millimètres de diamètre, pratiquée au volet d’une chambre obscure ; il plaça auprès de cette ouverture un prisme de verre, en sorte que le rayon solaire, après sa réfraction à travers le prisme, alloit projeter, sur le mur opposé à la fenêtre l’image colorée qui est connue sous le nom de spectre solaire. L’axe du prisme étoit perpendiculaire à la direction du rayon, et Newton, en faisant tourner lentement le prisme autour de cet axe, voyoit le spectre descendre et monter alternativement sur le mur. Dans le passage d’un mouvement à l’autre, il y avoit un instant où le spectre paroissoit stationnaire ; et l’on jugera, d’après ce que nous avons dit plus haut, que telle étoit alors la position du prisme, que les réfractions des rayons incidens et celles des rayons émergens étoient égales de part et d’autre. Newton fixa le prisme dans cette même position, qu’il adopta en général pour toutes ses expériences[25].

679. L’image du soleil, peinte sur le mur opposé à la fenêtre, avoit une figure oblongue, dont les bords latéraux étoient deux lignes droites assez distinctes, et les deux extrémités supérieure et inférieure deux demi-cercles mal terminés, dont les couleurs se dégradoient et s’effaçoient insensiblement. La largeur de l’image se trouvoit en rapport avec la grandeur apparente du diamètre du soleil ; car elle étoit de 2 pouces ⅛, y compris la pénombre ; d’ailleurs elle se trouvoit éloignée du prisme de 18 pieds ½. Or, en retranchant de cette largeur le diamètre de l’ouverture faite au volet, qui étoit d’un quart de pouce, et en mesurant l’angle qui, ayant son sommet tourné vers le prisme, étoit sous-tendu par la largeur ainsi réduite, on trouvoit cet angle d’environ ½ degré, ce qui est la mesure du diamètre apparent du soleil.

Pour concevoir ceci, supposons que la fig. 97 représente, en projection horizontale, tout ce qui concerne le phénomène ; que st soit le diamètre du soleil, on celui de l’ouverture faite au volet ; snz, tor, deux rayons qui, en partant des extrémités du diamètre du soleil, aillent, après s’être croisés en y, passer par les extrémités de l’ouverture ; soh, tne, deux autres rayons qui aillent directement vers les mêmes extrémités, de manière qu’ils ne se croisent qu’au point l, situé au delà ; enfin, soit rz la ligne à laquelle ces différens rayons aboutissent sur le mur ; la pénombre sera mesurée par les lignes er, hz.

Soit maintenant abcd la projection du prisme ; cette projection sera un rectangle, à cause de la position horizontale de ce prisme. D’une autre part, il est clair que les rayons rompus et les rayons émergens resteront dans ce même plan, et que de plus ils sortiront du prisme parallélement à leurs premières directions ; et comme les rayons incidens rencontrent le prisme presque perpendiculairement, à cause de la petitesse de l’angle qu’ils font entre eux, on pourra supposer, sans erreur sensible, que les rayons émergens restent sur les directions prolongés des rayons incidens.

Or, Newton ayant retranché de la largeur rz de l’image, la partie gr égale à on, trouva que l’angle gnz, qui est sensiblement égal à l’angle ryz[26] ou à l’angle syt, étoit d’environ un demi-degré. Il en étoit tout autrement de l’image considérée relativement à sa longueur ; elle avoit dans ce sens environ 10 pouces ¼, et l’angle réfringent du prisme qui avoit servi à l’expérience, étoit d’environ 64d. Avec un prisme dont l’angle réfringent étoit moindre, la longueur de l’image se trouvoit diminuée ; mais la largeur restoit la même.

En faisant tourner le prisme sur son axe, de manière que les rayons émergens devinssent plus obliques à la face du prisme par laquelle ils sortoient, on voyoit l’image s’accroître d’environ 2 pouces ou davantage dans le sens de sa longueur.

Si l’on faisoit faire au prisme un mouvement contraire, qui augmentât l’obliquité des rayons incidens sur la surface du prisme par laquelle ils entroient, on voyoit l’image se contracter d’un ou deux pouces, et toujours dans le sens de la hauteur.

680. Or, suivant les lois d’optique reçues jusqu’alors, la longueur de l’image, devenue stationnaire, auroit dû être égale à sa largeur, c’est-à-dire, que l’image auroit dû se présenter sous une figure circulaire ; car soit acb (fig. 98) une coupe verticale du prisme, rf, xm deux rayons incidens partis des extrémités du diamètre du soleil pris aussi dans le sens vertical, et qui se croisent avant de passer par l’ouverture faite au volet ; de plus, soient mh, fi les rayons rompus, hp, iu les rayons émergens, et pu la longueur de l’image peinte sur le mur.

Nous avons dit (675) que quand l’image est devenue stationnaire, les réfractions sont égales de part et d’autre. Cette limite se rapporte à un point t (fig. 99) situé à peu près au milieu de l’image, et qui répond au rayon yrst, dont la réfraction est moyenne entre celles de tous les autres rayons situés en dessus et en dessous, de manière que c’est le rayon émergent st qui est incliné sur ac, de la même quantité que le rayon incident yr sur bc, et que l’on regarde l’image comme stationnaire, quand le point t cesse de monter ou de descendre pendant les deux mouvemens contraires que l’on fait faire au prisme.

Or, dans l’hypothèse où tous les rayons seroient également réfrangibles, la réfraction en m seroit égale à celle en i, et la réfraction en f seroit égale à celle en h[27] ; d’où il suit que l’inclinaison des rayons émergens hp, iu, l’un sur l’autre, seroit la même que celle des rayons incidens ym, yf, c’est-à-dire, d’environ ½ degré ; et comme le petit écart que les rayons mh, fi auroient subi dans l’intérieur du prisme pourroit être négligé, parce que les rayons incidens sont presque parallèles, il en résulte que, dans la même hypothèse, la longueur de l’image devroit être égale à sa largeur, c’est-à-dire, que l’image devroit paroître circulaire, Donc, puisqu’elle est cinq fois plus longue que large, il est nécessaire que les rayons ym, yf, et leurs intermédiaires, soient différemment réfrangibles, et que ceux qui forment la partie supérieure p de l’image (fig. 98), le soient plus que ceux qui forment la partie inférieure u.

681. Or, telle étoit la distribution des couleurs de l’image, que son extrémité p la plus réfrangible présentoit le violet, et que le rouge paroissoit à l’extrémité opposée u, dont la réfraction étoit plus petite ; les parties intermédiaires, en partant du rouge, offroient successivement l’orangé, le jaune, le vert, le bleu et l’indigo.

Si l’on écartoit le prisme à une certaine distance de l’ouverture faite au volet, et qu’on regardât cette ouverture à travers le prisme disposé comme dans l’expérience précédente, on voyoit de même une image oblongue et colorée, dans laquelle la couleur la plus réfrangible étoit le violet, et la moins réfrangible le rouge ; les couleurs intermédiaires, en partant du violet, étoient de même l’indigo, le bleu, le vert, le jaune et l’orangé.

682. Il résultoit de ces expériences que, toutes choses égales d’ailleurs, les rayons de la lumière diffèrent notablement entre eux par leurs degrés de réfrangibilité. Mais d’où provenoit cette différence ? Étoit-elle l’effet d’une loi constante et uniforme qui modifioit diversement la réfraction des divers rayons ? Falloit-il la regarder comme accidentelle ? Enfin, devoit-on adopter l’opinion de Grimaldi, suivant laquelle chaque rayon se dilatoit et s’épanouissoit en forme d’éventail ? Ces questions restoient encore indécises, et il falloit en chercher la solution dans de nouvelles expériences.

Or Newton jugea que si l’allongement de l’image avoit pour cause la dilatation de chaque rayon, ou quelque autre déviation du même genre, l’image réfractée de nouveau dans le sens latéral s’étendroit sur une largeur égale à sa longueur. Pour éprouver l’effet de cette seconde réfraction, ayant laissé l’appareil disposé comme dans l’expérience précédente, il plaça un second prisme derrière le premier, mais de manière que les deux axes se croisoient à angle droit, et que la lumière réfractée de bas en haut par le premier, l’étoit ensuite dans le sens latéral par le second, et il remarqua que l’image conservoit la même largeur ; seulement elle avoit pris une position un peu oblique à l’égard de la première.

683. Ce résultat avoit amené les choses au point où il ne restoit plus qu’à tirer les conséquences dont le développement se présentoit comme de lui-même au génie de Newton. Essayons de tracer ici la marche de ses idées. Le faisceau de lumière qui passe par l’ouverture faite au volet de la fenêtre, est composé de rayons qui, par leur nature, ont différens degrés de réfrangibilité. Ce faisceau, reçu immédiatement sur le mur sans aucun prisme intermédiaire, y forme un cercle lumineux où les extrémités de tous ces rayons, différemment réfrangibles, sont partout réunies et mêlées les unes avec les autres. Placez à la rencontre de la lumière un prisme dont l’axe soit parallèle à l’horizon, l’effet de la réfraction horizontale étant de faire sortir les rayons parallélement à leurs premières directions, quel que soit leur degré de réfrangibilité, il n’en résultera aucune séparation sensible des rayons dans ce même sens. Mais les rayons situés dans un même plan vertical rencontrant, sous différentes inclinaisons, les deux faces du prisme qui forment l’angle réfringent, se démêleront les uns des autres par l’effet de la réfraction. Les plus réfrangibles de tous, s’ils existoient seuls, iroient former, à une certaine hauteur, sur le mur opposé, une image circulaire ou à peu près. Les moins réfrangibles, si de même ils existoient seuls, s’offriroient sous l’aspect d’un cercle dont la position seroit sensiblement plus basse que celle du premier. Imaginez entre ces deux cercles une infinité d’autres cercles projetés par des rayons, dont les réfrangibilités forment une série de degrés intermédiaires entre ceux qui appartiennent aux deux cercles extrêmes, et concevez de plus que tous ces différens cercles tombent à la fois sur le mur ; leurs centres se trouveront sur une même ligne verticale, à de petites distances les uns des autres, et les cercles eux-mêmes se recouvriront mutuellement en grande partie, de sorte que leur assemblage formera une image oblongue dont les extrémités seulement paroîtront circulaires.

684. Maintenant recevez les rayons sortis du prisme, sur une des faces d’un second prisme, dont l’axe soit vertical, et dont la position soit telle, qu’il y ait égalité entre la réfraction des rayons incidens et celle des rayons émergens. Les rayons qui appartiennent à chaque cercle, étant tous également réfrangibles, sortiront du second prisme dans le même ordre où ils étoient entrés ; seulement la réfraction les rejettera de côté, de manière que le cercle qu’ils projetteront sur le mur aura sa nouvelle position un peu à droite ou à gauche de la précédente, et cela d’autant plus que le même cercle sera produit par des rayons qui auront un plus grand degré de réfrangibilité. Supposons qu’en conséquence de la position du second prisme la déviation de chaque cercle se fasse de droite à gauche, et concevons une ligne verticale tracée sur le mur et qui passe par les centres des différens cercles, dont étoit composée l’image provenue du seul prisme horizontal : le centre du cercle produit par les rayons les plus réfrangibles sera le plus écarté de cette verticale, en vertu de la réfraction dans le second prisme ; le cercle qui subira le plus petit écart sera celui qui appartient aux rayons les moins réfrangibles, et tous les centres des cercles intermédiaires s’éloigneront plus ou moins de la verticale, vers la gauche, suivant que les rayons qui produisent ces cercles seront plus ou moins réfrangibles ; d’où il suit que les différens centres se trouveront sur une ligne oblique. On concevra de même que la longueur de l’image doit être un peu augmentée, puisqu’elle se trouve renfermée entre les mêmes lignes horizontales qu’auparavant, et que d’ailleurs elle est inclinée par rapport à ces lignes.

Newton ayant placé un troisième prisme, et même un quatrième, derrière le second, pour multiplier les réfractions latérales, a toujours obtenu le même résultat, sans aucun accroissement sensible de l’image dans le sens de la largeur.

De nouvelles expériences, dont le détail nous meneroit trop loin, viennent à l’appui des précédentes ; et quelle force la vérité n’emprunte-t-elle pas de leur ensemble, lorsqu’il n’en est aucune qui, considérée en elle-même, ne parût pouvoir se passer des autres !

685. Il nous reste à parler de celles qui ont pour objet la lumière réfléchie, et ce n’est encore ici qu’une surabondance de preuves. Newton ayant pris un prisme triangulaire, dont l’angle réfringent étoit de 90d, et chacun des deux autres de 45d, reçut un rayon solaire sur une des faces qui formoient l’angle réfringent, et telle étoit la position du prisme, que les rayons émergens sortoient par sa base, qui regardoit l’horizon. Or, suivant ce que nous avons dit précédemment (647), une partie des rayons qui rencontroient cette base se réfléchissoit sur sa surface intérieure, et sortoit par l’autre face de l’angle réfringent, tandis que la partie qui avoit échappé à la réflexion se réfractoit en repassant dans l’air. Les rayons réfléchis tomboient sur un second prisme, et, après s’être réfractés en le traversant, alloient former une image colorée sur un carton placé à la distance convenable[28].

À mesure que Newton faisoit tourner le premier prisme sur son axe, les différentes couleurs de l’image augmentoient successivement d’intensité, en commençant par le violet et en finissant par le rouge ; et voici les conséquences qui résultoient de cette gradation.

Les rayons qui renforçoient chaque couleur ne produisoient cet effet qu’en se dérobant à la réfraction qui avoit lieu à la sortie du premier prisme, et en se mêlant aux rayons réfléchis qui alloient se rendre au second prisme ; et le moment où le ton de couleur parvenoit à son plus haut degré, étoit celui où la réfraction des rayons qui appartenoient à cette même couleur, se changeoit en réflexion totale (647)[29]. On voit par là que la lumière réfléchie sur la base intérieure du prisme s’associoit, l’un après l’autre, des rayons additionnels relatifs aux différentes couleurs, en allant du violet au rouge, c’est-à-dire, en commençant par les rayons les plus réfrangibles, et en finissant par ceux qui l’étoient le moins. Ainsi, dans cette expérience, la lumière réfléchie se composoit graduellement de rayons diversement réfrangibles. Or, cette lumière ne différoit en aucune manière de celle des rayons incidens qui venoient directement du soleil, puisque la réflexion n’est qu’une simple déviation de la lumière, qui n’altère point sa nature. L’expérience dont il s’agit servoit donc à confirmer, en quelque sorte, par la voie de synthèse, ce que les précédentes avoient établi par une opération contraire que l’on pourroit comparer à l’analyse.

La même expérience faisoit voir que les rayons les plus réfrangibles étoient aussi les plus disposés à se réfléchir, et que les moins réfrangibles étoient ceux qui avoient le moins de tendance à la réflexion.

Les résultats que nous venons d’exposer nous conduisent à de nouvelles considérations, qui nous aideront à approfondir davantage ce sujet important.

686. Lorsque l’on parle en physique de rayons rouges, bleus, violets, etc., on est bien éloigné de supposer que les rayons soient réellement colorés, et ce langage n’exprime autre chose qu’une certaine disposition de ces rayons, pour produire en nous les différentes sensations que nous désignons par ces mêmes noms de rouge, de bleu, de violet, etc. Les expériences que nous avons rapportées ne prouvent autre chose, sinon qu’il existe dans un faisceau de lumière, qui nous vient directement du soleil, une certaine quantité de rayons homogènes, propres à produire en nous l’impression du violet, et que nous appelons rayons violets, pour abréger ; une autre quantité de rayons pareillement homogènes, qui seront les rayons bleus, et ainsi de suite ; et de plus, ces expériences nous apprennent que les rayons violets, bleus, verts, etc., ont différens degrés de réfrangibilité, depuis les violets, qui sont les plus réfrangibles, jusqu’aux rouges, qui le sont moins que les autres.

Mais ici, comme dans un grand nombre d’autres phénomènes naturels, la loi de continuité a lieu, c’est-à dire, que la réfraction va en diminuant, par des différences imperceptibles, depuis le violet jusqu’au rouge ; et ainsi, le cône de lumière qui traverse le prisme s’y résoud en une infinité de cônes, dont les axes font entre eux de très-petits angles, d’où il arrive que les bases se recouvrent, en grande partie, dans l’image colorée qui se forme de leur ensemble. La couleur des rayons varie de même par nuances d’un cône à l’autre, de manière que ces nuances peuvent être rapportées à sept espèces principales de couleurs, qui sont le violet, l’indigo, le bleu, le vert, le jaune, l’orangé et le rouge. Newton s’exprime à cet égard dans les termes les plus clairs[30] ; quoiqu’à en juger par l’exposé que la plupart des physiciens ont fait de sa théorie, il semble n’avoir admis dans la lumière que sept couleurs bien tranchées, qui se succèdent entre elles par un passage subit.

687. Le mélange de toutes ces nuances, qui anticipent les unes sur les autres dans l’image colorée produite par la réfraction, rend donc cette image nécessairement très-composée. S’il est possible, par quelque moyen, de diminuer considérablement le diamètre des cercles, le mélange, par une suite nécessaire, deviendra beaucoup moins sensible ; car on conçoit aisément que si plusieurs cercles s’entre-coupent mutuellement, et que, sans changer les positions des centres, on rétrécisse les circonférences, les parties communes diminueront à proportion, puisque les cercles s’approcheront davantage du terme où leurs circonférences ne feroient plus que se toucher.

Pour remplir cet objet, du moins en grande partie, on pratique une petite ouverture au volet d’une fenêtre, et à quatre mètres, ou environ douze pieds, du volet, on place un verre lenticulaire, puis au delà de ce verre un carton blanc, éloigné convenablement pour que la lumière, réfractée par la lentille, puisse peindre nettement sur ce carton l’image de l’ouverture pratiquée au volet de la fenêtre : or, l’effet de cette lentille est de contracter d’une quantité considérable l’image dont il s’agit. Enfin, on dispose derrière la lentille, à une petite distance, un prisme qui projette de côté, ou de bas en haut, l’image colorée du soleil. Alors les différens cercles qui composent cette image étant eux-mêmes considérablement diminués de grandeur, se dégagent les uns des autres, et cela d’autant plus que la largeur de l’image est plus petite par rapport à sa longueur. Newton est parvenu à rendre l’image soixante et douze fois plus longue que large, en sorte que l’on pouvoit regarder chacune des couleurs de cette image comme approchant beaucoup de la simplicité et de l’homogénéité[31].

Effectivement les couleurs, dans cet état, ne peuvent plus être sensiblement changées par aucune réfraction. Par exemple, si l’on reçoit l’image colorée sur un carton noir, percé d’une petite ouverture circulaire d’environ quatre millimètres ou deux lignes de diamètre, et qu’ayant fait passer à travers un second prisme la portion de l’image transmise par cette ouverture, on la fasse tomber perpendiculairement sur un autre carton de couleur blanche, on ne remarque aucune différence entre sa longueur et sa largeur, et elle paroît être d’une figure exactement circulaire ; ce qui prouve que tous les rayons qui la composent se sont réfractés régulièrement et de la même quantité.

688. Ici se présentoit un nouveau sujet de recherches, pour comparer les lois des réfractions particulières que subissent les différentes couleurs de l’image, soit entre elles, soit avec la loi générale de la réfraction. Lorsque les physiciens avoient assuré, d’après l’expérience, que le sinus d’incidence étoit en rapport constant avec celui de réfraction, ils pensoient que tous les rayons de la lumière se réfractoient de la même quantité sous la même incidence ; mais la vérité est que les rayons sont inégalement réfrangibles, et il faut regarder les résultats obtenus par les physiciens dont il s’agit, comme des espèces de moyens termes entre toutes les réfractions des divers rayons ; de manière qu’on ne peut conclure autre chose de ces résultats, sinon que les rayons verts, qui répondent au milieu de l’image colorée du soleil, étant séparés des autres, doivent avoir leur angle de réfraction en rapport constant avec leur angle d’incidence. Newton a fait des expériences directes qui prouvent que le rapport est de même constant pour les rayons de toutes les couleurs, et c’est ce que l’on peut démontrer rigoureusement par la géométrie, d’après la supposition infiniment probable, que l’action des corps sur la lumière s’exerce perpendiculairement à la surface de ces corps ; car, dans cette hypothèse, on pourra appliquer à une espèce quelconque de rayons, la démonstration générale que nous avons donnée, en parlant de la réfraction. (Note du n°. 657).

689. Restoit à déterminer le rapport particulier qui a lieu pour chaque espèce de lumière homogène, ou du moins la limite de ce rapport, et voici comme Newton y parvint. Il dispose un prisme à l’ordinaire, de manière à produire sur le mur opposé à la fenêtre une image colorée du soleil ; mais comme il étoit nécessaire, pour le succès de l’expérience, que les côtés rectilignes de cette image fussent terminés le plus nettement possible, Newton avoit obtenu cet effet, en plaçant à l’ouverture par laquelle entroit la lumière, l’objectif d’un télescope.

Ensuite, par des observations réitérées, dans lesquelles il fut aidé par un ami qui avoit l’œil exercé à bien distinguer les couleurs, il marqua sur l’image colorée les limites des sept couleurs principales, en menant les diamètres des deux cercles extrêmes, dont l’un donnoit le violet et l’autre le rouge, puis en divisant l’espace intermédiaire en sept parties, par des lignes parallèles à ces diamètres : enfin, ayant prolongé l’un des côtés rectilignes de l’image au delà du rouge, jusqu’à ce que le prolongement fût égal à la distance entre les diamètres des deux cercles extrêmes, il mesura la distance entre chaque ligne transversale et l’extrémité du prolongement, en commençant par le diamètre du cercle violet, et en allant successivement du violet au rouge, ce qui faisoit en tout huit distances. Or, il trouva que ces distances étoient entre elles dans le rapport des nombres 1, 8/9, 5/6, 3/4, 2/3, 3/5, 9/16, 1/2, et la série de ces nombres avoit cette propriété singulière, qu’elle étoit semblable à celle qui représente les intervalles des sons ut, re, mi bémol, fa, sol, la, si, ut, dont est formée notre échelle musicale, prise dans le mode mineur[32].

Il résulte de ce qui vient d’être dit, que la division de la ligne sur laquelle Newton avoit marqué les limites des sept couleurs principales, étoit la même que dans un monocorde dont les différentes longueurs rendroient les sept sons de la gamme qui appartient au mode mineur. Cette conformité de rapports a fait penser à quelques physiciens qu’il y avoit une analogie réelle entre les sons et les couleurs ; mais c’est plutôt ici une analogie de rencontre, et il y a d’ailleurs de fortes raisons qui s’opposent à la prétention de faire chanter les couleurs.

Newton avoit déterminé précédemment, à l’aide d’une autre expérience, le rapport entre le sinus de réfraction des rayons les moins réfrangibles du spectre solaire, et celui des rayons les plus réfrangibles, sous une même incidence. Si l’on désigne par 50 le sinus d’incidence, on aura 77 pour le sinus de réfraction des rayons rouges, et 78 pour celui des rayons violets.

Or, dans la division de l’image colorée, qui donnoit les limites des couleurs voisines, les positions des lignes transversales, qui répondoient à ces limites, étoient déterminées par les points du mur sur lesquels tomboient les extrémités des rayons rompus relatifs aux mêmes limites ; et à cause de la petitesse des angles que formoient entre eux ces rayons rompus, on pouvoit prendre, sans erreur sensible, les distances entre les points du mur où ils aboutissoient, ou, ce qui revient au même, les distances entre les limites tracées sur l’image, pour les différences successives entre les sinus des angles de réfraction au passage du verre dans l’air ; ainsi, en divisant la différence entre les nombres 77 et 78, en parties proportionnelles aux intervalles entre les limites des couleurs de l’image, on avoit 77, 77 ⅛, 77 ¹⁄₅, 77 ⅓, 77 ½, 77 ⅔, 77 ⁷⁄₉, 78, pour les expressions des sinus de réfraction des divers rayons relatifs à un même sinus d’incidence exprimé par 50. Il résultoit de là que les sinus de réfraction des rayons rouges, relatifs à toutes les nuances de cette couleur, s’étendoient depuis 77 jusqu’à 77 1/8, ceux des rayons orangés depuis 77 ⅛ jusqu’à 77 ¹⁄₅, ceux des rayons jaunes depuis 77 ¹⁄₅ jusqu’à 77 ⅓, et ainsi de suite, pour les rayons verts, bleus, indigos et violets.

690. Il y a donc, dans la lumière, des rayons d’une infinité de nuances différentes de couleurs, dont chacune est soumise dans sa réfraction à un rapport entre le sinus qui lui est comme inhérent et qui ne souffre aucune altération. Ces rayons, qui diffèrent et par leurs teintes et par les quantités de leurs réfractions, doivent être considérés comme hétérogènes, puisque quand ils rencontrent tous à la fois, sous une même incidence, la surface d’un même milieu réfringent, ils éprouvent de la part de ce milieu différentes attractions qui supposent des diversités dans leur manière d’être. Le mélange de toutes les couleurs forme la lumière que nous appelons blanche, en sorte qu’il suffit de supprimer dans cette lumière quelqu’une des couleurs qui la composent, pour produire une couleur particulière qui variera suivant le nombre et les espèces de celles qu’on laissera subsister ; ainsi, lorsque l’on reçoit sur une lentille les rayons diversement colorés qui divergent au sortir du prisme, et que l’on place un carton blanc au delà de cette lentille, à l’endroit où les rayons qu’elle a rendus convergens se réunissent en un foyer commun, le cercle lumineux qu’ils forment sur le carton est d’une couleur blanche ; les choses étant dans cet état, si l’on place entre la lentille et le prisme un corps opaque qui intercepte une ou plusieurs des couleurs réfractées par le prisme, à l’instant la lumière blanche reçue par le carton fera place à une couleur ou simple, ou mélangée ; par exemple, si l’on intercepte le violet, le bleu et le vert, les autres couleurs, savoir, le jaune, l’orangé et le rouge, formeront une couleur composée qui sera d’un beau jaune : supprimez, au contraire, les trois dernières couleurs, et vous aurez un mélange de violet, de vert et de bleu qui tirera sur la couleur verte. Dans toutes ces variations de couleurs, les rayons ne changent point de qualité ; ils n’agissent point les uns sur les autres ; ils ne font que se mêler en diverses proportions.

691. Ces conséquences se trouvent confirmées par une nouvelle expérience de Newton, dont il a puisé l’idée dans une observation très-connue. Voici en quoi elle consiste. L’impression de la lumière sur la rétine n’est pas un effet instantané, et de là vient que si l’on fait tourner rapidement dans l’air un charbon ardent, l’œil verra un cercle de feu qui paroîtra fixe pendant tout le temps du mouvement ; car alors l’impression faite, dès le premier instant, sur un point déterminé de l’organe, par la lumière que lance le charbon, persiste jusqu’à ce que le rayon revienne à l’endroit où il étoit, quand cette impression a eu lieu ; et ainsi la sensation se renouvelle sans cesse avant d’avoir été détruite. D’après cette observation, Newton se proposa d’essayer si les différentes couleurs du spectre solaire ne pourroient pas agir sur l’œil, en se succédant avec tant de rapidité, qu’au moment de chaque impression, les traces des impressions précédentes n’étant pas encore effacées, le résultat fût le même que celui d’une sensation unique produite par une couleur blanche permanente[33].

Pour vérifier cette idée, Newton s’étoit pourvu d’un instrument qui avoit la forme d’un peigne composé de seize dents, larges d’environ 40 millimètres, ou un pouce et demi, et écartées l’une de l’autre à peu près de 54 millimètres, ou deux pouces. Ayant fait tomber sur une lentille les rayons qui avoient traversé un prisme, il disposa au delà de cette lentille un papier, à une telle distance, que l’image du soleil y paroissoit blanche, lorsque les rayons alloient librement du prisme à la lentille. Il plaça ensuite successivement les dents du peigne immédiatement avant la lentille, de manière à intercepter une partie des rayons colorés qui étoient sur le point d’y entrer, tandis que les autres rayons, que rien n’empêchoit de la traverser, alloient peindre sur le papier l’image circulaire du soleil. Cette image alors perdoit sa blancheur, et prenoit toujours une couleur composée de toutes celles des rayons qui n’avoient pas été interceptés, et cette couleur varioit continuellement avec la position du peigne, Mais lorsque Newton imprimoit au peigne un mouvement assez rapide pour que la précipitation, avec laquelle les impressions des diverses couleurs se succédoient, ne laissât plus à l’œil le temps de les distinguer, on ne voyoit plus ni rouge, ni jaune, ni vert, ni bleu, ni violet ; mais le mélange confus de toutes les couleurs donnoit naissance à une blancheur uniforme, dont cependant aucune partie n’étoit blanche ; chaque couleur y conservoit encore son existence à part. Or, lorsqu’ensuite on retiroit le peigne, rien n’étoit changé dans la manière d’être de la lumière blanche que l’œil apercevoit encore sur le papier ; seulement toutes les couleurs, dans ce cas, agissoient à la fois sur l’organe, au lieu que quand on employoit le peigne, elles agissoient successivement, mais à des intervalles de temps si petits, qu’elles équivaloient à un concours d’actions simultanées.

692. Dans l’image colorée produite par la réfraction du prisme, l’orangé se trouve placé entre le jaune et le rouge, et le vert entre le bleu et le jaune. Or, on sait qu’en mêlant artificiellement du jaune avec du rouge, on obtient une couleur orangée, et si l’on mêle du jaune avec du bleu, on aura une couleur verte. Cette observation a fait penser à quelques physiciens que l’orangé et le vert produits par la réfraction de la lumière à travers le prisme, provenoient du mélange de deux couleurs voisines, et devoient être supprimés dans l’ordre des couleurs homogènes. Mais cette idée est visiblement démentie par l’expérience ; car si vous isolez les rayons verts de l’image, en interceptant les autres couleurs, et que vous fassiez passer ces rayons à travers un second, un troisième, un quatrième prisme, ils conserveront constamment leur couleur verte. Au contraire, si vous interceptez les rayons verts, rouges et violets, pour ne laisser subsister que le jaune et le bleu mêlés ensemble, au foyer d’une lentille, à l’aide du procédé que nous avons décrit précédemment (687), vous aurez d’abord une couleur verte ; mais faites passer cette couleur à travers un nouveau prisme, et à l’instant elle va se résoudre en ses couleurs composantes, de manière que le bleu et le vert se peindront séparément sur un carton placé au delà du second prisme. Il est fâcheux pour l’opinion dont il s’agit, que le rouge soit si éloigné du violet, qui se trouve placé à côté du bleu ; car le violet se forme artificiellement par un mélange de rouge et de bleu ; et ainsi on peut composer en peinture une espèce d’imitation de l’image colorée donnée par l’expérience, en employant seulement trois couleurs, savoir, le rouge, le jaune et le bleu ; et effectivement, l’histoire nous apprend que les anciens peintres ont opéré, pendant long-temps, avec ces seules couleurs[34]. Il est possible que cette faculté de faire beaucoup avec peu soit pour l’art une véritable richesse ; mais c’est appauvrir la nature, que de vouloir la resserrer dans les limites de nos moyens artificiels.

Passons maintenant à l’explication de quelques phénomènes produits par le dégagement des différentes couleurs, dont la lumière directe est l’assemblage.

693. Supposons que l’on regarde à travers un prisme abc (fig. 96, Pl. XIV) un objet voisin, tel qu’un carton blanc d’une certaine étendue, situé verticalement, et d’une figure rectangulaire, qui ait deux de ses bords parallèles à l’axe du prisme ; le choix de cette position et de cette figure n’a pour but que de ramener l’expérience à un cas simple ; et ce que nous en dirons peut s’appliquer, proportion gardée, à tous les autres cas.

D’après ce que nous avons dit (678) de la réfraction des rayons à travers un prisme qui tourne sur son axe, on conçoit que, suivant les divers mouvemens que l’on fera faire au prisme, l’image du carton pourra être vue dans la position où elle devient stationnaire, ou se relever vers cette position, ou enfin s’abaisser en dessous. Or, dans chaque position, le bord supérieur présentera successivement, et en descendant, quatre bandes de diverses couleurs, dont la plus élevée sera le rouge pur, et les trois autres seront mélangées de rouge et d’orangé, d’orangé et de jaune, et de ces trois couleurs unies au vert. Le bord inférieur offrira quatre autres bandes qui, étant prises en remontant, donneront le violet pur, le violet mêlé d’indigo, puis ces deux couleurs unies au bleu, et enfin ces trois dernières couleurs unies au vert, et l’espace intermédiaire restera blanc.

Pour expliquer cet effet, nous observerons qu’il part de tous les différents points du carton des rayons de toutes les couleurs qui, après s’être réfractés en traversant le prisme, se dirigent vers l’œil sous la forme d’une espèce de pyramide, dont le sommet est dans la prunelle. Supposons qu’il n’existe que des rayons rouges, la surface entière du carton paroîtra teinte de cette même couleur ; chacune des autres espèces de rayons, si elle existoit seule, feroit voir de même la surface du carton sous la couleur particulière à cette espèce. Réunissons maintenant toutes les couleurs ; on pourra considérer les images qu’elles tendent à produire chacune séparément, comme autant de rectangles de sept couleurs différentes, qui anticipent les uns sur les autres d’une certaine quantité, par leurs bords supérieurs ou inférieurs, à cause de la différence des réfractions. Dans cette espèce d’enjambement d’une couleur sur l’autre, le rouge sera un peu relevé au-dessus de l’orangé, celui-ci au-dessus du jaune, et ainsi de suite, de manière que, vers le bord opposé, le violet descendra au-dessous de l’indigo, celui-ci au-dessous dur bleu, etc.

Il résulte de là que la partie supérieure du carton se terminera par une bande de rouge pur ; qu’en dessous de cette bande il y en aura une seconde mêlée de rouge et d’orangé, puis une troisième mêlée de rouge, d’orangé et de jaune, et une quatrième mêlée de rouge, d’orangé, de jaune et de vert. Si l’on reprend ensuite les couleurs de bas en haut, on conçoit que la partie inférieure doit être bordée d’une bande de violet pur, au-dessus de laquelle il s’en trouvera une seconde mêlée de violet et d’indigo, puis une troisième mêlée de violet, d’indigo et de bleu, et enfin une quatrième mêlée de violet, d’indigo, de bleu et de vert. Dans l’espace compris entre cette quatrième bande et celle qui tient le même rang parmi les bandes supérieures, toutes les couleurs se trouvant mélangées produiront le blanc.

Tout ceci suppose que le carton ait une certaine étendue, ainsi que nous l’avons dit ; moins sa hauteur sera considérable, et plus les couleurs se dégageront les unes des autres, et approcheront de l’arrangement qui a lieu dans l’image colorée produite par la réfraction du prisme, au moyen de l’expérience ordinaire ; en sorte que la hauteur peut être assez petite pour que les différentes couleurs se succèdent, sans laisser aucun espace blanc intermédiaire.

De l’Arc-en-ciel.

694. La lumière qui embellit avec tant de magnificence un ciel pur et serein, par le spectacle des astres qui la répandent, devient aussi quelquefois, pour un ciel sombre et nébuleux, un ornement qui, par la pompe et la variété de ses riches couleurs, semble appeler les regards et l’attention de tous ceux qui sont à portée de le voir. Dans ce peu de mots, on reconnoît déjà l’arc-en-ciel. Nous savons que ce phénomène n’a jamais lieu que quand un nuage opposé au soleil luisant se résout en pluie, d’où il suit que le spectateur a toujours le dos tourné au soleil. Assez ordinairement on aperçoit deux arcs ; l’un intérieur, dont les couleurs sont plus vives ; l’autre extérieur et plus pâle : tous deux présentent la même suite de couleurs que l’image produite par le prisme, c’est-à-dire, le rouge, l’orangé, le jaune, le vert, le bleu, l’indigo et le violet ; mais dans l’arc intérieur le rouge est le plus élevé, et dans l’arc extérieur c’est le violet. Ces deux arcs dépendent de la réfraction de la lumière combinée avec sa réflexion, et on ne les aperçoit que quand les rayons incidens font, avec les rayons émergens, un certain angle que nous indiquerons bientôt.

695. Antoine de Dominis paroît être le premier qui ait tenté, avec quelque succès, d’expliquer physiquement l’arc-en-ciel. Il l’imita à l’aide d’une expérience que nous ferons connoître, et détermina les différentes inflexions de la lumière dans les gouttes de pluie ; mais cette détermination n’est point exacte, relativement à l’arc extérieur. Descartes la réforma et mit, en général, plus de précision dans la manière de tracer la marche des rayons. Enfin, Newton ayant repris cette explication, y ajouta le degré essentiel de perfection dont elle manquoit, en analysant la distribution du coloris, qui est comme l’ame du phénomène : c’est d’après ses principes que nous allons la développer.

696. Soit fzpq (fig. 100) la circonférence d’un grand cercle provenant d’une section faite dans un globe transparent d’une densité plus grande que celle de l’air. Ayant mené un diamètre quelconque fp, supposons qu’un faisceau yf de rayons incidens homogènes, d’abord situé sur la direction de fp, monte parallélement à lui-même le long du quart de cercle fz : ce faisceau étant parvenu, par exemple, en ab, se réfractera au point d’incidence suivant une direction telle que bd, puis se soudivisera en deux parties, dont l’une repassera dans l’air en s’y réfractant de nouveau, et l’autre échappera à la réfraction en se réfléchissant sur la concavité intérieure du cercle, suivant une direction dt, de manière que l’arc dqt sera égal à l’arc dzb. Cette même partie, en repassant à son tour dans l’air, s’y réfractera suivant une direction tm qui fera, avec la perpendiculaire au point t, un angle égal à l’angle d’incidence du faisceau ab.

Prolongeons les lignes ab, mt jusqu’à ce qu’elles se rencontrent en x. L’angle axm sera celui que fait le rayon incident avec le rayon émergent. Or, le calcul fait voir que pendant le mouvement du rayon incident le long du quart de cercle fhz, l’angle axm augmente jusqu’à une certaine limite, passé laquelle il décroît.

Pour concevoir que cela doit être, il faut observer que la valeur de l’angle axm est double de l’arc dp[35]. Or, à mesure que ab monte le long de fhz, dp lui même va en augmentant jusqu’à un certain terme, passé lequel il diminue. C’est ce qu’on apercevra, en faisant attention que l’angle d’incidence croissant toujours à mesure que yf s’élève, si l’on prend deux rayons incidens, tels que eh, ab, le rayon rompu hr, qui appartient au premier, s’inclinera nécessairement vers bd, qui est le rayon rompu relatif au second. Or, tant que la partie du quart de cercle fhz que rencontrent les rayons incidens, est peu inclinée sur le diamètre fp, le rayon hr est tout entier au-dessus du rayon bd, même en supposant l’arc bh extrêmement petit ; mais à mesure que l’arc devient plus oblique, le rayon hr s’incline davantage vers bd, en sorte qu’il y a un terme où les extrémités des rayons rompus se confondent en un point commun ; et au delà de ce terme, l’obliquité de l’arc augmentant toujours, les deux rayons rompus, tels que hd, su (fig. 101, Pl. XV), qui appartiennent aux rayons incidens eh, ns, se croisent ; d’où l’on voit que dp (fig. 100, Pl. XIV) va en augmentant jusqu’au terme où les points r, d deviennent contigus, et diminue ensuite depuis ce même terme, auquel répond le maximum de l’angle axm[36].

697. Rappelons-nous maintenant l’observation déjà faite précédemment (675), que les variations d’une quantité qui approche de sa limite, ou qui commence seulement à s’en écarter, sont presque insensibles. Nous en conclurons que dans le voisinage du point d, où les quantités dont les rayons rompus s’inclinent les uns sur les autres augmentent presque infiniment peu, la densité de la lumière réfractée et celle de la lumière réfléchie sur la concavité du cercle sont beaucoup plus grandes que partout ailleurs ; d’où il suit que les rayons émergens provenus de cette même lumière, tels que am, ik, etc. (fig. 101), seront eux-mêmes beaucoup plus abondans sur un petit espace donné.

D’une autre part, tous ces rayons émergens seront sensiblement parallèles entre eux, à cause du concours des rayons rompus dans un même point. Donc si l’on suppose qu’il tombe en même temps des rayons rompus sur tous les points du quart de cercle fhz, et qu’il y ait un spectateur dont l’œil soit situé au point o, pris sur une ligne qui passe entre mt et ki, cet œil recevra beaucoup plus de rayons que s’il étoit placé partout ailleurs, tant parce que ceux sur la direction desquels il se trouve sont beaucoup plus ramassés, que parce qu’étant parallèles, ils entreront en plus grand nombre dans la prunelle, que si l’œil n’étoit à portée que de ceux qui sortent en divergeant par les autres points compris entre f et q.

On a donné à ces rayons qui s’accumulent, en quelque sorte, dans le voisinage de la limite, le nom de rayons efficaces, parce qu’ils sont les seuls dont l’impression soit bien sensible, On peut les assimiler à ceux qu’un miroir concave ou une lentille rassemblent dans un foyer commun où leur activité se concentre.

698. Les rayons qui se réfléchissent du point d au point t, ne repassent pas tous dans l’air ; mais une partie se réfléchit de nouveau sur la concavité du cercle, en sorte que la lumière subit successivement deux, trois, quatre, etc., réflexions, à chacune desquelles il y a un certain nombre de rayons qui rentrent dans l’air environnant.

699. Concevons donc qu’un faisceau hp (fig. 102) de lumière subisse dans l’intérieur du cercle deux réflexions, en vertu desquelles une partie des rayons rompus, qui se meuvent suivant pf, soient renvoyés de f en o, puis de o en n, et rentrent dans l’air suivant la direction nm qui croise au point z le rayon incident hp ; l’angle mzh, ou nzp, aura aussi une limite qui, dans le cas présent, sera un minimum ; et il se trouvera parvenu à cette limite, lorsqu’en prenant un second rayon incident rq, très-voisin du premier, et qui par conséquent subira de même deux réflexions, l’une de g en d, l’autre de d en b, on aura of parallèle à dg ; d’où il suit que le rayon émergent ba sera aussi parallèle au rayon émergent mn ; et en appliquant ici ce que nous avons dit (697) des rayons qui ne subissent qu’une seule réflexion, on concevra qu’un œil placé sur la direction d’une ligne menée entre mn et ba, recevra beaucoup plus de rayons que dans toute autre position, c’est-à-dire, qu’il sera à portée des rayons efficaces.

700. Maintenant si l’on suppose que le passage de la lumière incidente se fasse de l’air dans l’eau, le maximum de l’angle axn (fig. 100, Pl. XIV) aura lieu pour les rayons rouges, lorsque cet angle sera de 42d 2′ ; et pour les rayons violets, lorsqu’il sera de 40d 17′. Dans le même cas, l’arc bf qui mesure l’angle d’incidence du rayon ab, à cause du parallélisme entre ab et le diamètre fp, est de 59d 24′.

D’une autre part, le minimum de l’angle mzh (fig. 102, Pl. XV), relativement aux rayons rouges, est de 50d 57′, et relativement aux rayons violets, de 54d 7′ ; l’angle d’incidence du rayon hp est alors de 71d 54′.

701. Concevons maintenant un spectateur dont l’œil soit placé en O (fig. 103, Pl. XVI), et quatre globules d’eau df, ac, kr, gl, tellement situés que les rayons solaires Sd, Sa, Sr, Sl, après deux réfractions et une réflexion dans les globules inférieurs, ou après deux réfractions et deux réflexions dans les globules supérieurs, fassent avec les rayons émergens des angles égaux à ceux que nous venons de citer, savoir, OxS de 40d 17′, OzS de 42d 2′, OyS de 50d 57′, et OuS de 54d 7′ : on suppose ici que les rayons partent du centre du soleil ; et comme la distance qu’ils parcourent est presque infinie relativement à celle qui sépare les globules d’eau, ils sont censés parallèles entre eux.

Or il est clair, d’après ce que nous avons dit précédemment (700), que l’angle OzS de 42d 2′ étant celui que font entre eux les rayons rouges incidens et émergens, dans le cas où ces rayons sont le plus condensés, l’œil apercevra le rouge le plus vif dans le globule ac, ainsi que dans tous les autres situés semblablement sur la direction Oc. D’une autre part, l’angle OxS étant celui qui se rapporte aux rayons violets efficaces, l’observateur verra le violet le plus intense dans le globule df, et dans tous ceux qui seront sur la direction Of ; de plus, il ne verra que le rouge dans les premiers globules, et que le violet dans les seconds ; car les rayons orangés, par exemple, dont la réfraction est plus grande que celle des rayons rouges, doivent, pour être efficaces, se réfracter, de manière que l’angle formé par les incidens avec les émergens soit moindre que 42d 2′, et plus grand que 40d 17′ ; et puisque l’angle dont il s’agit est le plus grand parmi tous ceux que peuvent faire les mêmes rayons, cet angle ne peut avoir lieu à l’égard du globule ac ou du globule df, mais il existera dans quelqu’un des globules intermédiaires. Il suit de là que les couleurs comprises entre le rouge et le violet, ainsi que les nuances de ces couleurs, seront vues alternativement dans les globules situés entre ac et df, suivant l’ordre prescrit par leurs divers degrés de réfrangibilité ; en sorte que la succession de toutes les couleurs, prise en descendant, sera celle-ci : rouge, orangé, jaune, vert, bleu, indigo, violet ; mais le violet étant mêlé avec la couleur blanchâtre des nuages adjacens, se trouvera affoibli par ce mélange, et tirera sur la couleur pourprée.

702. Soit maintenant OP une droite parallèle aux rayons solaires, et que l’on appelle l’axe de la vision. Concevons que les rayons Ox, Oz, et tous les autres qui appartiennent aux globules intermédiaires, restant fixes par leur point commun O, tournent autour de OP en continuant de faire le même angle avec cette ligne : ces rayons décriront une bande curviligne CDfEGa qui se terminera à l’horizon, et tous les globules situés dans les limites de cette bande, ainsi que ceux qui se trouvent sur les surfaces coniques décrites par le mouvement des rayons Ox, Oz, etc., feront voir à l’œil des couleurs qui s’étendront circulairement sur toute la surface CDfEGa, dans le même ordre que celui des couleurs comprises depuis a jusqu’en f : telle est la manière dont se forme l’arc intérieur.

703. En appliquant le même raisonnement à l’arc extérieur, on concevra que l’angle OuS de 54d 71′ étant celui que font entre eux les rayons violets incidens et émergens, qui agissent le plus efficacement, l’observateur verra le violet foncé dans le globule gl. De plus, l’angle OyS de 50d 57′ faisant la même fonction à l’égard des rayons rouges, l’observateur apercevra le rouge le plus vif dans le globule kr : les autres couleurs s’offriront successivement avec toutes leurs nuances dans les globules intermédiaires, et s’étendront, ainsi que le violet et le rouge, sur la surface d’une bande curviligne ABrHNg, qui formera l’arc extérieur. Mais toutes ces couleurs se présenteront dans un ordre renversé, par rapport à celles de l’arc intérieur ; en sorte qu’en allant de haut en bas, leur succession sera celle-ci : violet, indigo, bleu, vert, jaune, orangé, rouge. D’ailleurs elles seront beaucoup plus foibles, parce que les rayons qui les produisent subissent deux réflexions, à chacune desquelles il y en a toujours une partie qui repassent dans l’air.

704. La largeur apparente de l’arc intérieur, d’après les mêmes principes, est de 1d 45′, différence entre les angles OxS, OzS ; celle de l’arc extérieur est de 3d 10′, différence entre les angles OyS, OuS ; et la distance entre les deux arcs est de 8d 55′, différence entre les angles OyS, OzS.

705. Telles seroient effectivement les dimensions des deux arcs si le soleil n’étoit qu’un point, ou s’il n’en voyoit vers les gouttes de pluie que des rayons partis de son centre ; mais il en vient également de tous les points de son disque, ce qui augmente un peu la largeur de l’un et l’autre arc.

Pour concevoir la manière dont cette augmentation a lieu, observons que le diamètre du soleil, vu à la distance immense où nous sommes de cet astre, sous-tend un angle d’environ 30 minutes (679). Or, si nous nous bornons à considérer les deux rayons qui partent des extrémités du diamètre pris dans le sens vertical, il est facile de juger que l’effet du rayon supérieur est le même à l’égard de celui du rayon central, que si le soleil, après avoir produit les deux arcs en vertu de ce seul rayon, se trouvoit tout d’un coup relevé d’un quart de degré au-dessus de l’horizon, et que pour avoir pareillement l’effet du rayon inférieur, il suffit de supposer que le soleil s’abaisse d’un quart de degré vers l’horizon.

Cela posé, soit s′s″ (fig. 104, Pl. XV) le diamètre vertical du soleil, et sz le rayon qui donne le rouge de l’arc intérieur, comme nous l’avons expliqué précédemment ; soit toujours o la position de l’œil, oz le rayon émergent, et op l’axe de la vision. Concevons le point s transporté en s′, de manière que l’arc s′s″ soit de 15′ ; pour que les rayons incident et émergent relatifs au point s′ fassent toujours entre eux l’angle s′z′o de 42d 2′, il faut supposer que le rayon incident s′z′, au lieu d’être tout entier au-dessus du rayon sz, comme on le voit fig. 105, le croise en quelque point g (fig. 104) de l’atmosphère. De même le rayon inférieur s″z″ doit croiser le rayon sz ; d’où il suit qu’il fera voir le rouge dans un globule d’eau a″c″ placé au-dessus du globule ac, qui donne cette couleur en vertu de la réfraction du rayon central sz, et que le rayon supérieur fera voir la même couleur dans un globule a′c′ situé en dessous du globule ac[37].

Maintenant les angles z″gz, zgz′ (fig. 104) étant chacun de 15′, les angles z″oz, zoz′ auront la même valeur. Or, le rayon oz′ étant compris dans l’angle que sous-tend la largeur de l’arc intérieur produit par les rayons qui partent du centre s, il n’en résultera aucun accroissement dans le sens de cette largeur ; mais le rayon oz″ étant élevé au-dessus du rayon oz, augmentera, de ce côté, l’angle que sous-tendoit la largeur, d’une quantité égale à 15′. En faisant le même raisonnement pour la couleur violette, on en conclura que la réfraction du rayon supérieur doit augmenter aussi la largeur de l’arc d’une quantité égale à 15′, qui doit être ajoutée en dessous ; d’où il suit que la largeur totale surpassera de 30′ celle qui avoit lieu en vertu de la seule réfraction du rayon central, et ainsi elle sera de 21d 5′.

Par une suite nécessaire, la largeur de l’arc extérieur recevra les mêmes accroissemens, et sera en totalité de 3d 40′, et la distance entre les deux arcs se trouvant diminuée de 30′, ne sera plus que de 8d 25′. Newton a vérifié ces dimensions par des observations directes[38].

706. On voit une partie plus ou moins grande de l’arc-en-ciel, suivant que le soleil est plus ou moins élevé au-dessus de l’horizon. Lorsque cet astre est près du plan même de l’horizon, l’axe OP (fig. 103, Pl. XVI) de la vision, qui est en même temps celui du cône formé par tous les rayons efficaces, coïncide aussi avec l’horizon, ou à peu près, et dans ce cas l’arc-en-ciel paroît sous la figure d’un demi-cercle. À mesure que le soleil s’élève, l’axe OP s’abaisse de la même quantité en dessous de sa première position, et l’arc va en diminuant. Enfin, lorsque le soleil est à 42d au-dessus de l’horizon, l’axe se trouvant abaissé en dessous de ce cercle du même nombre de degrés, le sommet de l’arc-en-ciel touche l’horizon ; d’où il suit que si le soleil s’élève davantage, l’arc intérieur disparoîtra ; il ne restera plus qu’une portion de l’arc extérieur, qui ne cessera d’être visible que quand la hauteur du soleil sera de 54d.

707. Si l’on se trouve sur une éminence, lorsque le soleil est à l’horizon, ou même au-dessous, l’axe OP se relèvera en dessus du même horizon, et ainsi l’arc surpassera un demi-cercle ; et si le lieu étant très-élevé, le nuage est à une petite distance de l’observateur, il pourra arriver que celui-ci voye le cercle entier[39].

708. Nous avons dit (698) que les rayons qui sont entrés dans chaque goutte de pluie subissent des réflexions continuelles, en vertu desquelles ils décrivent une espèce de polygone qui se replie sur lui-même ; mais à chaque contact des rayons avec la concavité du globule, une partie échappe à la réflexion pour repasser dans l’air, en sorte que le nombre de ceux qui continuent de se réfléchir d’un point à l’autre de la même concavité, va toujours en diminuant. On peut donc supposer des rayons incidens, dont telle soit la position relativement à l’arc qu’ils rencontrent, qu’après trois réflexions ceux d’une couleur déterminée qui rentreront dans l’air étant dans le cas des rayons efficaces (697), se dirigent vers l’œil ; et ainsi, il se formera un troisième arc-en-ciel plus élevé que le second ; mais les couleurs, dans ce cas, sont tellement affoiblies par les pertes qu’elles ont faites à chacune des trois réflexions, qu’il est rare que l’on puisse distinguer ce troisième arc, à moins que le ciel ne soit très-sombre dans la partie située en face du spectateur, et que le soleil n’éclaire fortement la partie opposée[40]. On conçoit de même la possibilité qu’il se forme un quatrième arc-en-ciel, par des rayons qui subiront quatre réflexions et deux réfractions, et ainsi de suite ; mais tous ces arcs ne peuvent être aperçus qu’à travers la théorie.

On remarque aussi quelquefois au-dessous du premier arc-en-ciel, d’autres arcs qui présentent rarement l’ensemble des couleurs propres à ce phénomène ; le plus communément, il n’y en a qu’une ou deux qui soient visibles. Pemberton attribue ces arcs secondaires à des rayons qui se dispersent, en s’écartant néanmoins assez peu de ceux qui produisent l’arc-en-ciel ordinaire, pour que l’œil se trouve sur leur direction. Parmi les couleurs qui proviennent de ces rayons, les unes se perdent dans la partie violette du premier arc, et les autres sont vues distinctement dans l’espace situé au-dessous[41].

709. L’expérience par laquelle Antoine de Dominis avoit représenté le phénomène de l’arc-en-ciel, consistoit à suspendre une boule de verre remplie d’eau dans un endroit exposé au soleil, et à la faire monter et descendre de manière que les angles formés par les rayons incidens et émergens variassent depuis 42d jusqu’à 51d environ. On voyoit successivement les couleurs des deux arcs se peindre dans la boule, suivant l’ordre où elles se présentent dans les globules de la pluie.

710. D’après l’explication que nous venons de donner de l’arc-en-ciel, il est facile d’y ramener plusieurs effets qui sont comme autant de copies de ce magnifique tableau : on parvient à l’imiter artificiellement, en jetant de l’eau en l’air de manière qu’elle s’éparpille, et en tournant le dos au soleil. On aperçoit souvent ses couleurs dans la cime d’un jet d’eau ; quelquefois il se peint sur l’herbe d’une prairie humectée par la rosée, et mêle ses diverses teintes à celles des fleurs qui embellissent la verdure.

Des Couleurs considérées dans les Corps.

711. Nous avons fait voir, d’après la théorie de Newton, en quoi consistent les couleurs considérées dans la lumière, et nous avons reconnu la cause des impressions variées que produisent sur nos yeux ce que nous appelons le rouge, le jaune, le vert, etc., dans les différentes qualités inhérentes aux rayons, et indiquées par les divers degrés de réfrangibilité dont ils sont susceptibles. Nous avons maintenant à considérer les couleurs dans les corps dont elles accompagnent les images. La diversité de ces couleurs provient en général de la disposition particulière de chaque corps pour réfléchir la lumière. Lorsque cette disposition est telle que le corps réfléchit les rayons de toute espèce, dans l’état de mélange où ils arrivent à lui, ce corps nous paroît blanc, et ainsi, à proprement parler, la blancheur n’est point une couleur particulière ; elle est l’assemblage de toutes les couleurs.

Si le corps est disposé de manière à réfléchir telle espèce particulière de rayons plus abondamment que les autres, en absorbant tout le reste, il paroîtra de la couleur relative à ces mêmes rayons. Ainsi, les corps rouges, bleus, verts, etc., sont ceux qui réfléchissent une grande quantité de rayons rouges, ou bleus, ou verts, etc., et qui éteignent les autres espèces de rayons.

712. Un grand nombre de corps sont propres en même temps à la réflexion de plusieurs espèces de rayons, et, par une suite nécessaire, présentent des couleurs mixtes. Il peut même arriver que de deux corps qui auroient, par exemple, la couleur verte, l’un réfléchisse le vert pur de la lumière, et l’autre le mélange du jaune et du bleu, d’où résultera la même couleur. Ce triage, qui varie à l’infini, donne lieu aux différentes espèces de rayons de se réunir de toutes les manières et dans toutes les proportions ; et de là cette diversité inépuisable de nuances que la nature a répandues, comme en se jouant, sur la surface des différens corps.

713. Lorsqu’un corps absorbe presque toute la lumière qui arrive à lui, ce corps paroît noir ; il envoie à l’œil si peu de rayons réfléchis, qu’il n’est presque pas visible par lui-même, et sa présence, ainsi que sa figure, ne font impression sur nous qu’en ce qu’il interrompt, en quelque sorte, l’éclat de l’espace environnant.

Mais pour qu’un corps réfléchisse plutôt telle espèce de rayons que telle autre, il faut qu’il y ait en lui quelque chose qui détermine cette préférence : en quoi donc le corps rouge diffère-t-il, à cet égard, du corps jaune, ou vert, ou violet ? On a essayé de répondre à ces questions d’après différentes hypothèses. Newton, qui, de son côté, s’est beaucoup occupé de ce sujet intéressant, a continué d’interroger ici la nature avec le même succès, à l’aide d’une très-belle suite d’expériences dont nous allons faire connoître les résultats[42].

714. Ayant pris deux objectifs de télescope, l’un plan convexe, l’autre légèrement convexe des deux côtés, il posa l’une des faces de celui-ci sur la face plane du premier, et pressa d’abord légèrement les deux verres, et ensuite de plus en plus, l’un contre l’autre. L’effet de cette pression graduée fut de faire paroître, dans la lame d’air comprise entre les deux verres, différens cercles colorés, qui avoient le point de contact pour centre commun, et dont le nombre augmentoit en même temps que la pression des verres, de manière que celui qui avoit paru le dernier environnoit toujours le point de contact ; et que ce même cercle, sous un nouveau degré de pression, étendoit sa circonférence en même temps qu’il se contractoit dans le sens de sa largeur, pour former une espèce d’anneau autour d’un nouveau cercle qui naissoit vers son milieu.

La pression ayant été poussée jusqu’à un certain terme, Newton s’arrêta, et voici ce que l’observation lui offrit. Il y avoit au point de contact une tache noire, qui étoit environnée de plusieurs séries de couleurs. Voici l’ordre que gardoient ces couleurs, en allant du centre vers les bords des deux verres : dans la première série, bleu, blanc, jaune et rouge ; dans la seconde, violet, bleu, vert, jaune et rouge ; dans la troisième, pourpre, bleu, vert, jaune et rouge ; dans la quatrième, vert et rouge ; dans la cinquième, bleu-verdâtre, rouge ; dans la sixième, bleu-verdâtre, rouge pâle ; dans la septième, bleu-verdâtre, blanc-rougeâtre. Au delà de ces séries, dont les teintes alloient toujours en s’affoiblissant, la couleur retomboit dans le blanc.

715. Newton mesura les diamètres des bandes annulaires, formées de ces différentes séries, en prenant les endroits où elles avoient le plus d’éclat, et il trouva que les carrés de ces diamètres étoient entre eux comme les termes de la progression 1, 3, 5, 7, 9, 11, etc., d’où il résulte que les intervalles entre les deux verres, aux endroits correspondans, suivoient la même progression[43].

D’après ces rapports, il suffisoit de connoître la longueur absolue d’un seul diamètre pour avoir les longueurs de tous les autres, ainsi que les épaisseurs de la lame d’air aux endroits où l’on voyoit les différentes couleurs. Newton dressa une table de ces épaisseurs, par laquelle on voit que le bleu le plus intense, par exemple, celui de la première série, est donné par une épaisseur de 0pouc.,000,024, en supposant le rayon visuel à peu près perpendiculaire sur les deux objectifs.

716. Newton ayant aussi mesuré les diamètres des anneaux aux endroits intermédiaires où les couleurs s’obscurcissoient, trouva que leurs carrés étoient entre eux comme les nombres pairs 2, 4, 6, 8, 10, 12, etc., et ainsi les intervalles entre les verres, aux endroits correspondans, suivoient une semblable progression.

717. Les diamètres des anneaux augmentoient ou diminuoient, suivant que le rayon visuel étoit plus ou moins incliné à la surface des deux verres, de sorte que la plus grande contraction avoit lieu lorsque l’œil étoit situé perpendiculairement au-dessus des verres. Du reste, les diamètres conservoient entre eux les mêmes rapports.

718. Tels étoient les phénomènes que présentoient les verres vus par réflexion ; mais lorsqu’on regardoit au travers, pour observer l’effet de la lumière réfractée, de nouvelles séries de couleurs remplaçoient les précédentes. La tache centrale devenoit blanche, et l’ordre des couleurs, relativement aux différentes séries, étoit celui-ci : dans la première, rouge-jaunâtre, noir, violet, bleu ; dans la seconde, blanc, jaune, rouge, violet, bleu ; dans la troisième, vert, jaune, rouge, vert-bleuâtre ; dans la quatrième, rouge, vert-bleuâtre ; dans la cinquième et dans la sixième, les deux mêmes couleurs. En comparant ces couleurs vues par réfraction, avec celles qui provenoient de la réflexion, on remarquoit que le blanc répondoit au noir, le rouge au bleu, le jaune au violet, le vert à un mélange de rouge et de violet, c’est-à-dire, que la même partie qui paroissoit noire à la vue simple, devenoit blanche lorsqu’on regardoit à travers les objectifs, et ainsi des autres couleurs. Mais les teintes produites par la lumière réfractée étoient foibles et languissantes, à moins que le rayon visuel ne fût très-oblique : dans ce cas, elles prenoient assez d’éclat et de vivacité.

719. Newton substitua l’eau à l’air entre les deux objectifs ; à l’instant les couleurs s’affoiblirent, et les anneaux se contractèrent, c’est-à-dire, que celui de telle couleur déterminée avoit sa circonférence plus près du centre, que quand cette couleur étoit réfléchie par la lame d’air[44]. Les diamètres de ces anneaux correspondans étoient entre eux à peu près comme 7 est à 8, et par conséquent le rapport de leurs carrés étoient celui de 49 à 64 ; d’où il suit que les épaisseurs des fluides, aux endroits où paroissoient les anneaux, étoient environ comme 3 à 4, c’est-à-dire, dans le rapport du sinus d’incidence à celui de réfraction, lorsque la lumière passe de l’eau dans l’air. Newton pense que ce résultat pourroit être étendu à toutes les espèces de milieux, en sorte que l’on en déduiroit cette règle générale : lorsqu’un milieu plus ou moins dense que l’eau est resserré entre deux verres, l’intervalle entre ces verres, à l’endroit où l’on aperçoit telle couleur, est à l’intervalle qui donne la même couleur, au moyen de l’air, dans le rapport des sinus qui mesurent la réfraction, au passage du même milieu dans l’air. Cette règle pourra également s’appliquer à une lame mince détachée d’un corps quelconque, dont on voudroit déterminer l’épaisseur d’après le ton de sa couleur. Nous donnerons bientôt un exemple de la marche qui doit être suivie dans ces sortes de déterminations.

720. Newton varia l’expérience de plusieurs autres manières ; il fixa son attention sur les couleurs des bulles qui se produisent dans une eau savonneuse, dilatée par l’air qu’on y introduit en soufflant dans un tube[45]. Il observa les changemens qu’elles subissoient, à mesure que la pellicule aqueuse, dont chaque bulle étoit formée, s’amincissoit par l’écoulement de l’eau qui descendoit de sa partie supérieure ; il vit aussi les anneaux composés de ces couleurs se dilater, en s’écartant du sommet de la bulle, lorsqu’il les regardoit plus obliquement ; mais cette dilatation étoit beaucoup moindre, toutes choses égales d’ailleurs, que quand les couleurs étoient réfléchies par l’air. Il conclut de cette observation et de plusieurs autres, que quand la substance colorée avoit une densité incomparablement plus grande que celle du milieu environnant, le changement d’obliquité dans la direction du rayon visuel n’en apportoit aucun qui fût sensible dans la position des couleurs ; en sorte que chaque partie, vue sous tous les degrés d’inclinaison, conservoit constamment sa couleur.

721. Dans toutes ces expériences, les séries de couleurs, produites par la réflexion ou par la réfraction, différoient plus ou moins entre elles, soit par le nombre, soit par la combinaison des teintes. Newton, à l’aide d’une nouvelle expérience, parvint à démêler les effets des différentes couleurs homogènes pour concourir vers l’effet total, et à faire, en quelque sorte, l’analyse du phénomène.

Ayant placé les deux objectifs dans une chambre obscure, où il introduisit un rayon de lumière, il disposa un prisme de manière qu’en le faisant tourner autour de son axe, il déterminoit les différentes couleurs réfractées par ce prisme à tomber successivement, tantôt sur un carton qui les réfléchissoit vers les objectifs, tantôt directement sur ces mêmes verres[46]. De cette manière, chaque couleur produisoit son effet séparément des autres. Alors, pendant le mouvement du prisme, on voyoit paroître tour à tour des suites d’anneaux concentriques, qui étoient tous d’une même couleur pour une même position du prisme. Les anneaux rouges avoient leurs diamètres sensiblement plus grands que les violets ; et Newton dit qu’il avoit un plaisir extrême à voir les anneaux passer tour à tour par différens degrés de dilatation ou de contraction, à mesure que les couleurs se succédoient. Il résultoit de cette observation, que le violet étoit la couleur qui donnoit, en général, les plus petits anneaux, et qu’ensuite les diamètres croissoient graduellement, dans l’ordre où se présentoient les autres couleurs c’est-à-dire, le bleu, le vert, le jaune et le rouge. Ainsi, le premier des anneaux d’une couleur bleue étoit un peu plus éloigné du centre que le premier des violets ; de même le premier des anneaux verts étoit situé un peu au delà du premier des anneaux bleus ; il en étoit de même des seconds, des troisièmes, etc., pris dans les différentes séries.

De plus, la même couleur qui étoit réfléchie à certains endroits de la lame d’air, étoit transmise dans les espaces intermédiaires. Les carrés des diamètres des anneaux qui provenoient de la réflexion, suivoient, ainsi que dans la première observation, les rapports des nombres impairs 1, 3, 5, 7, 9, etc. ; et les carrés des diamètres des anneaux produits par la couleur réfractée, étoient comme les nombres pairs 2, 4, 6, 8, 10, etc.

722. Maintenant, lorsque les deux objectifs étoient exposés à la lumière du jour, les diverses couleurs qui composent cette lumière formoient, toutes à la fois, leurs anneaux aux mêmes distances que quand elles agissoient séparément dans la seconde expérience ; et si telles avoient été ces distances, que les anneaux des différentes couleurs ne pussent anticiper les uns sur les autres, chaque série auroit présenté par ordre autant de couleurs distinctes ; mais les anneaux ayant des largeurs plus ou moins sensibles, et étant plus ou moins serrés entre eux, dans l’espace qu’ils occupoient, se confondoient, du moins en partie, à certains endroits, ce qui avoit lieu spécialement dans la première série, qui renfermoit une petite bande annulaire d’un blanc vif, produit par le mélange de toutes les couleurs. Dans chacune des séries suivantes, les couleurs étoient en général plus distinctes ; mais passé un certain terme, les séries voisines anticipoient elles-mêmes les unes sur les autres : de là les couleurs, tantôt simples ou à peu près, tantôt plus ou moins mélangées et diversement nuancées, que présentoient successivement les différentes séries. Les rayons qui se réfractoient dans les intervalles des anneaux formés par la réflexion des couleurs isolées se combinoient d’une manière analogue ; en sorte que tel degré de ténuité dans un point donné de la lame d’air, étoit propre en même temps à la réflexion de telle couleur simple ou mélangée, et à la transmission de telle autre couleur.

Toutes ces couleurs pâlissoient et s’effaçoient à une certaine distance du centre, parce que les différens rayons, en se mêlant à peu près dans des proportions égales, ne produisoient plus qu’une lumière blanchâtre.

723. Il n’est pas nécessaire que la lame qui présente les anneaux colorés soit d’une matière fluide. Les lames d’un corps solide ont la même propriété, pourvu qu’elles soient réduites à un certain degré de ténuité. Il est possible, par exemple, d’amincir une lame de mica, au point qu’elle devienne capable de réfléchir une ou plusieurs des couleurs qu’offre la lame d’air, dans la première expérience de Newton. Et ce qui est remarquable, c’est que les couleurs dont il s’agit ne dépendent point, quant à leur espèce, de la nature du milieu environnant : que l’on mouille la lame de mica, elles deviendront seulement plus foibles que quand cette lame étoit entourée d’air ; mais il n’y aura que leur intensité qui soit changée.

Ceci nous conduit à parler de quelques expériences faites par Mazéas, et dont les résultats ont paru ne pas s’accorder avec l’explication que donne Newton, du phénomène des anneaux colorés[47]. Dans ces expériences, deux verres superposés ne laissoient pas d’offrir le même phénomène, lorsqu’ils étoient placés sous un récipient purgé d’air, ou lorsqu’on les exposoit à une chaleur assez forte pour chasser ce fluide de l’espace intermédiaire. On peut répondre que, dans le premier cas, on n’obtient jamais un vide parfait, et qu’en supposant la chose possible, dans le second cas, l’espace compris entre les deux verres est occupé au moins par le calorique ; en général, une matière quelconque, quelque rare qu’elle soit, resserrée entre les deux verres, suffit pour faire naître des anneaux de diverses couleurs, et peut-être même les réflexions ou les réfractions des rayons qui produisent ces anneaux, auroient-elles lieu dans le cas où l’espace dont il s’agit seroit entièrement vide de toute matière, en sorte qu’elles dépendroient des seules distances entre les points correspondans des deux surfaces par lesquelles les verres se regardent.

724. Newton appelle accès ou retours de facile réflexion, les dispositions successives d’un même rayon à être réfléchi par différentes épaisseurs d’une lame d’air ou de toute autre substance, et accès ou retours de facile transmission, les dispositions de ce rayon à être transmis par les épaisseurs intermédiaires. Ainsi, un rayon est dans un de ses retours de facile réflexion lorsqu’il tombe sur une lame de quelque substance, dont l’épaisseur est un des termes de la série 1, 3, 5, 7, 9, etc., en prenant pour l’unité la plus petite épaisseur qui soit capable de réfléchir ce rayon ; et de même il est dans un de ses accès de facile transmission, lorsque l’épaisseur de la lame qui le reçoit est un des termes de la série 2, 4, 6, 8, etc.[48]

725. Voici maintenant les conséquences que Newton a déduites de toutes ces observations relativement à la coloration des corps. Les particules de ces corps, même de ceux que nous appelons opaques, sont réellement transparentes ; c’est ce qu’observent tous les jours ceux qui font usage du microscope. Les bords amincis du caillou le plus opaque paroîtront, même à la vue simple, avoir un certain degré de transparence, si on les place entre la lumière et l’œil ; et quant aux substances métalliques blanches qui sembleroient d’abord devoir être exceptées, Newton observe que l’action d’un acide peut les atténuer au point de rendre leurs particules perméables à la lumière[49].

Dans chaque corps, les particules sont séparées entre elles par de petits interstices qu’on nomme pores, et qui renferment différens fluides subtiles. Ces particules ayant une épaisseur déterminée, repoussent les rayons qui, en les pénétrant, se trouvent dans un retour de facile réflexion, et le corps prend ainsi la couleur ou simple, ou mélangée analogue à celle des rayons réfléchis, et qui dépend du degré de ténuité des particules.

Effectivement, nous avons vu (723) que les anneaux colorés naissent aussi-bien dans les lames des corps solides que dans celles des liquides ou des fluides ; et puisque chaque petit espace, compris dans une de ces lames, réfléchit ou réfracte la lumière, il en résulte que si l’on divisoit cette lame en une multitude de petits fragmens, chacun de ceux-ci produiroit encore le même effet que quand il formoit continuité avec les autres. Or, les particules d’un corps pouvant être assimilées aux fragmens séparés d’une lame, tout ce que l’on dit de cette lame s’y applique exactement.

726. En parlant des particules des corps, on ne prétend pas désigner leurs plus petites molécules, ou celles que nous appelons molécules intégrantes. Pour concevoir ce qu’on doit entendre par les particules qui réfléchissent la lumière, on peut supposer, avec Newton, que les molécules intégrantes déjà séparées les unes des autres par des pores forment, au moyen de la réunion d’un certain nombre d’entre elles, d’autres molécules du second ordre, séparées par des pores plus étendus ; que celles-ci, à leur tour, composent des molécules du troisième ordre, avec des interstices toujours plus considérables, et ainsi de suite[50]. Or, les particules qui réfléchissent la lumière, dans l’état ordinaire d’un corps, ont une certaine épaisseur, d’où résultent entre elles des séparations d’une certaine étendue : ces particules sont censées alors isolées relativement à celles qui les avoisinent. Les milieux qui les interceptent, savoir, les fluides subtiles qui occupent leurs pores, et l’air qui environne leur surface extérieure font l’office des deux verres, entre lesquels est comprise la lame d’air dans l’expérience de Newton ; par exemple, dans une lame de mica d’une épaisseur sensible, il y a des particules d’un certain ordre, qui ont la propriété de réfléchir les rayons d’un blanc-jaunâtre ; et ce sont celles qui se trouvent naturellement à des distances respectives suffisantes, pour que la lumière agisse sur elles comme si elles étoient seules. Si vous divisez cette lame par feuillets jusqu’à un certain degré de ténuité, vous isolez des particules d’un autre ordre qui réfléchiront d’autres couleurs, ainsi que le confirme l’observation.

727. Nous avons parlé, à l’article de la divisibilité (16), d’une lame détachée d’un morceau de mica, dont telle étoit le degré de ténuité, que sa couleur primitive, qui étoit le blanc-jaunâtre, avoit passé au bleu le plus intense. Nous sommes maintenant en état de concevoir comment les propriétés de la lumière peuvent être employées à saisir ces petites quantités, qui échappent à nos moyens mécaniques le plus susceptibles de précision. Suivant Newton, l’épaisseur de la lame d’air, à l’endroit qui réfléchit le bleu pur dans le phénomène des anneaux colorés, est égale à 2,4 millionièmes de pouce, pris sur le pied anglais. Or, d’après le principe énoncé plus haut (719), l’épaisseur de la lame de mica, dont nous avons parlé devoit être à celle de la lame d’air à l’endroit qui offre le bleu pur, comme le sinus d’incidence est à celui de réfraction, lorsque la lumière passe du mica dans l’air ; mais comme le mica ne se prête point aux expériences qui donneroient immédiatement la loi de sa réfraction, on y a suppléé en profitant de cette autre observation de Newton, que les puissances réfractives des substances sont à très-peu près proportionnelles à leur densités (668), pourvu que ces substances soient l’une et l’autre inflammables ou non inflammables.

Cela posé, soit cr (fig. 109) un rayon de lumière qui rencontre la surface, d’un morceau de mica, sous un angle infiniment petit, et soit rg le rayon réfracté, dont on détermineroit la direction, si le mica avoit en même temps assez d’épaisseur et de transparence pour que cette détermination fût possible. Soit, dans la même hypothèse, rg′ le rayon réfracté relatif à une seconde substance, dont on connoisse la puissance réfractive, et qui servira de terme de comparaison. Nous avons choisi, pour cet effet, le sulfate de chaux, dont telle est, suivant Newton, la puissance réfractive, que si l’on désigne par l’unité la quantité constante rn, on aura (g′n)²= 1,213.

Maintenant la densité du mica, déterminée d’après la pesanteur spécifique, est à celle du sulfate de chaux comme 2,792 : 2,252. On aura donc (g′n)² ou 1,213 : (g′n)² :: 2,252 : 2,792. Opérant par logarithmes, on trouvera pour celui de gn, 886 039, d’où l’on conclura que l’angle de réfraction rgn est de 39d 11′ ; et parce que, dans le cas présent, l’angle d’incidence est droit, le rapport entre les sinus, lorsque la lumière passe du mica dans l’air, sera celui du sinus de 39d 11′ au sinus total. Or, ce rapport étant le même que celui qui existe entre l’épaisseur de la lame d’air désignée par 2,4 millionièmes de pouce, et celle de la lame de mica qui réfléchit le beau bleu, on trouvera pour cette dernière 1,511 millionième de pouce anglais, ou environ 1,6 millionième de pouce, pris sur le pied français[51], c’est-à-dire, à peu près 43 millionièmes de millimètre.

728. La disposition d’un rayon à être réfléchi ou réfracté par telle particule d’un corps, dépend à la fois des deux surfaces de cette particule, puisqu’il ne tient qu’à une distance plus grande ou plus petite entre ces surfaces, que le rayon ne soit réfléchi au lieu d’être réfracté, ou réciproquement. De là vient que si l’on mouille l’une ou l’autre des faces d’une lame très-mince de quelque substance, telle que le mica, les couleurs s’affoiblissent à l’instant ; d’où il faut conclure que la réflexion ou la réfraction se fait près de la seconde surface ; car si elle se faisoit auprès de la première, ou avant que le rayon eût pénétré dans la particule, la seconde n’auroit aucune influence sur la réflexion ou la réfraction de ce rayon. De plus, la disposition dont il s’agit se propage et persiste dans le rayon, depuis la première surface jusqu’à la seconde ; autrement, lorsque le rayon est parvenu à cette seconde surface, la première n’entreroit plus pour rien dans l’action qui le détermine à être réfléchi ou réfracté[52].

729. La couleur d’un corps est d’autant plus vive et plus pure, toutes choses égales d’ailleurs, de la part des milieux environnans, que les molécules de ce corps sont plus minces ; de même que dans la lame d’air de l’expérience de Newton, les parties les plus déliées ou les plus voisines du centre sont celles où les couleurs se montrent avec le plus de force et d’éclat. De plus, parmi les molécules qui réfléchissent des couleurs d’un seul ordre, celles qui donnent le rouge sont les plus épaisses, et celles qui donnent le violet sont les plus minces.

730. La nature nous offre dans plusieurs pierres un phénomène analogue à celui des anneaux colorés : de ce nombre est l’agathe opaline ou l’opale, qui, dans les reflets qu’elle lance de son intérieur, semble réunir les teintes du rubis, de la topaze, de l’émeraude, du saphir, animées d’une vivacité particulière. Cette pierre ne doit sa beauté qu’à ses imperfections, et à la multitude de fentes et de gerçures qui interrompent la continuité de sa matière propre, et forment des vides occupés par un fluide subtil qui est probablement l’air. Les petites lames de ce fluide sont précisément dans le même cas que la lame d’air renfermée entre les deux objectifs dans l’expérience de Newton : aussi les couleurs de l’opale disparoissent-elles dès qu’on la brise.

Le carbonate de chaux transparent, le sulfate de chaux, le cristal de roche, etc., présentent aussi assez souvent à l’intérieur des reflets diversement colorés, que l’on doit attribuer de même à de légères fissures qui se sont faites naturellement dans la pierre, ou que la percussion y a produites.

731. La densité des molécules des corps surpasse de beaucoup, en général, celle des milieux qui occupent les interstices entre leurs lames composantes, et de l’air qui environne ces corps. De là vient que les couleurs des mêmes corps, vues sous différens degrés d’obliquité, ne changent pas sensiblement ; mais si l’on suppose que les lames n’aient guère plus de densité que les milieux environnans, alors un changement tant soit peu considérable dans leur position, à l’égard de l’œil, fera varier leurs couleurs[53].

Pour saisir la raison de cette différence, supposons que ablk (fig. 110) représente la coupe d’une lame de quelque substance, dont la densité soit incomparablement plus grande que celle du milieu qui environne cette lame : dans ce cas, un rayon de lumière rc, qui rencontrera la surface de cette lame sous une obliquité quelconque, se réfractera dans l’intérieur, suivant une direction ci qui s’écartera très-peu de la perpendiculaire un au point d’immersion, à cause de la grande différence entre le sinus d’incidence et celui de réfraction. Qu’un autre rayon incident r′c rencontre la même surface sous une obliquité sensiblement différente ; le rayon réfracté co ne s’écartera pas beaucoup plus de la perpendiculaire un, et par conséquent les espaces entre ab et kl, mesurés par les deux rayons réfractés, ne différeront que d’une petite quantité ; d’où il suit que la couleur qui dépend de ces espaces ne subira qu’un léger changement. Supposons, au contraire, que la densité de la lame ablk approche d’être égale à celle du milieu environnant : dans ce cas, les rayons incidens dg, sg ne subiront qu’une légère inflexion en traversant la lame ; en sorte que les rayons réfractés gp, gm étant presque sur la direction des rayons incidens, il en résultera une grande différence entre les espaces mesurés par ces rayons, et en même temps entre les couleurs relatives à ces espaces.

732. Ceci peut servir à faire concevoir les changemens que subissent les couleurs de certains corps, sous différentes positions de l’œil : telles sont celles qui embellissent le plumage de plusieurs oiseaux, et en particulier celui du paon. Ces couleurs, déjà si riches et si variées sous le même aspect, se diversifient encore en devenant mobiles avec l’oiseau lui-même, dont chaque position produit un jeu de reflets qui disparoissent sous une autre position, pour faire place à de nouveaux reflets, et aller eux-mêmes se reproduire ailleurs : toutes ces belles apparences proviennent de ce que les barbes qui s’insèrent latéralement sur les rameaux des plumes de l’oiseau sont d’une ténuité qui avive les couleurs, et en même temps d’une densité qui n’étant pas beaucoup plus considérable que celle du milieu environnant, fait varier la position des couleurs, à mesure que l’obliquité du rayon visuel varie elle-même[54].

L’effet que nous venons de considérer a lieu aussi dans l’expérience des anneaux colorés (717), quoiqu’alors la lame d’air interceptée entre les deux verres soit incomparablement moins dense que la matière de ces verres ; mais c’est que dans ce cas la lumière, en s’écartant considérablement de la perpendiculaire au passage du verre dans la lame d’air, prend des positions dont l’obliquité change très-sensiblement, à mesure que la direction du rayon visuel s’incline elle-même plus ou moins, ce qui fait varier à proportion les épaisseurs mesurées par les rayons réfractés. Cet effet est l’opposé de celui que représente la fig. 110, où l’on considère rc, r′c comme les rayons incidens, et co, ci comme les rayons réfractés. Car il est évident que si, au contraire, ces dernières lignes sont censées être les rayons incidens, une variation un peu sensible dans leurs directions en produira une très-grande dans celle des rayons réfractés cr, cr′.

733. On explique aisément, d’après les principes que nous avons exposés, les couleurs produites dans certaines liqueurs qui n’en avoient aucune sensible, par le mélange d’une de ces liqueurs avec l’autre, ou les changemens de couleur que subit, dans le même cas, une liqueur naturellement colorée. Ainsi, l’acide nitrique, versé dans l’alkohol, où l’on a fait infuser assez légèrement des feuilles de rose pour qu’il n’en prit point la teinte, développe tout à coup une couleur semblable à celle qu’avoient les roses avant l’infusion. Le même acide, mêlé à la teinture de tournesol, change le bleu en un rouge vif. Le sirop de violette devient vert par l’addition d’un alkali. Dans tous ces mélanges, la réunion des molécules des deux liquides forme des molécules mixtes, dont l’épaisseur est différente de celle des molécules composantes, et détermine la réflexion de la couleur analogue à cette épaisseur.

734. Considérons maintenant les accès de facile réflexion et de facile transmission dans les corps transparens, et commençons par ceux qui sont limpides et sans couleur. Les particules de ces corps surpassent en ténuité la plus petite épaisseur qui soit capable de réfléchir la lumière, et en conséquence les rayons qui pénètrent les molécules situées à la surface, sont transmis ; car les particules dont il s’agit sont dans le même cas que la petite lame d’air située près du contact des deux objets dans l’expérience des anneaux colorés, et qui transmettoit toutes les couleurs sans en réfléchir aucune. Les rayons qui ont pénétré un milieu limpide continuent donc leur route dans toute l’épaisseur du milieu, sans qu’aucun se réfléchisse près du contact des molécules avec les milieux subtils renfermés dans les pores, comme si ces molécules formoient entre elles une parfaite continuité. Pendant tout ce trajet, les rayons conservent néanmoins leur disposition à être réfléchis ou réfractés, en vertu des accès de facile réflexion ou de facile transmission, de manière que si l’on désigne par e une certaine épaisseur qui auroit déterminé la réflexion de telle espèce de rayon, dans le cas où le milieu n’auroit que cette épaisseur, le même rayon conservera une tendance à être réfléchi à toutes les épaisseurs représentées par 3e, 5e, 7e, 9e, etc., et il sera disposé à être transmis aux distances 2e, 4e, 6e, 8e, 10e, etc., de la première surface. De même si l’on désigne par e′ une certaine épaisseur analogue à la réflexion d’une autre espèce de rayons, en supposant que le milieu n’eût que cette épaisseur, le rayon sera disposé à être réfléchi ou transmis à des distances représentées les unes par 3e′, 5e′, 7e′, etc., les autres par 2e′, 4e′, 6e′, 8e′, etc. Ces distances sont ce que Newton appelle les intervalles de facile réflexion, ou de facile transmission[55].

L’une et l’autre tendance n’ont leur effet que quand la lumière est arrivée à la seconde surface du corps. Là, toute la partie de la lumière qui, à raison de la distance entre les deux surfaces ou du nombre d’intervalles, se trouve dans un accès de facile réflexion, est réfléchie près du contact de la seconde surface avec le milieu adjacent, et la partie qui se trouve dans un accès de facile transmission se réfracte en passant dans le milieu adjacent ; de manière que si le milieu avoit une épaisseur différente, qui donnât pour chaque accès une unité de plus ou de moins, les rayons changeroient de rôle ; ceux qui auroient été dans leur accès de facile réflexion se trouveroient dans leur accès de facile transmission, et réciproquement.

On voit par là pourquoi il y a toujours une partie de la lumière qui se réfléchit au contact de deux milieux de densité différente, en échappant à la réfraction que subit l’autre partie (647).

735. Dans tout ce que nous avons dit jusqu’ici des accès, nous n’avons considéré que ce qui se passe dans le trajet des rayons, depuis la première surface jusqu’à la seconde ; mais la réflexion ramène une partie des rayons de la seconde surface à la première, et il s’agit de savoir quelle sera leur disposition pendant ce retour, et dans quel accès ils se trouveront à cette première surface.

Pour développer ce point de théorie, reprenons les choses dès l’origine, et supposons que ab, cd (fig. 111) soient deux faces exactement parallèles d’un milieu quelconque plus dense que l’air, et environné de ce fluide. Soit gn un faisceau de lumière qui tombe sur la surface ab. Parmi les rayons qui composent ce faisceau, les uns seront dans un accès de facile réflexion, et en conséquence se réfléchiront suivant nx inclinée en sens contraire de la même quantité que gn ; les autres étant dans un accès de facile transmission se réfracteront suivant no.

L’un et l’autre accès seront déterminés par l’espèce d’intervalles que chaque rayon aura parcourus dans l’air ; de manière que si le point radieux est au milieu de ce même fluide, tous les rayons à l’égard desquels le trajet depuis ce point jusqu’au point n sera compris dans la série 1, 3, 5, 7, etc., seront réfléchis, l’unité représentant ici la plus petite épaisseur d’air qui soit capable de réfléchir chaque rayon, et tous ceux à l’égard desquels le même trajet sera compris dans la série 2, 4, 6, 8, etc., seront transmis suivant no.

Ces derniers rayons se trouvant alors dans un milieu différent, où les intervalles ne sont plus les mêmes, les uns en arrivant au point o seront de nouveau dans un accès de facile réflexion, et seront repoussés suivant or, l’angle roc étant égal à l’angle nod ; les autres seront dans un accès de facile transmission, et repasseront dans l’air suivant oz parallèle à gn.

Or, comme nous supposons un parfait parallélisme entre les lignes ab, cd, il en résulte que les rayons réfléchis suivant or parcourent un espace égal à celui qu’ils avoient parcouru dans la direction no. Maintenant les intervalles de facile réflexion qu’a mesurés le rayon qui parcouroit no, ou, ce qui revient au même, les distances auxquelles il s’est trouvé successivement par rapport au point n, à la fin de chaque intervalle, sont compris dans la progression des nombres impairs 1, 3, 5, 7, 9, etc. Or, le rayon conserve, après sa réflexion suivant or, le mouvement qu’il auroit eu en ligne directe, si le milieu eût été prolongé en dessous de cd. Il en résulte que quand il est parvenu, par exemple, en t, sa distance au point n doit être considérée comme étant égale à la somme des lignes on plus ot. Désignons par E l’intervalle ou la distance que mesure on. Les distances suivantes, ou celles qui répondent à la ligne or, seront représentées par E+2, E+4, E+6, etc. Donc si l’on compte ces mêmes distances, seulement depuis le point o, elles formeront la progression 2, 4, 6, 8, etc. ; mais cette progression est celle qui appartient aux accès de facile transmission ; donc le rayon, pendant tout son trajet suivant or, est dans le même cas où se trouvoit un des rayons qui, après avoir parcouru la ligne no égale à or, s’est réfracté en repassant dans l’air suivant la direction oz. Donc le rayon or se réfractera lui-même au point r, suivant une direction rs, qui fera avec ab un angle égal à celui que ng fait en sens contraire avec la même ligne.

Concluons de là que les rayons qui se sont réfléchis sur la seconde surface d’un milieu, subissent dans leur retour vers la première surface des effets inverses de ceux qui avoient lieu dans le trajet depuis la première jusqu’à la seconde ; en sorte qu’après la réflexion, les accès de facile transmission succèdent à ceux de facile réflexion[56].

Cet effet aura lieu, toutes les fois que la série des intervalles qui répondent à on se terminera par un nombre pair ; mais si les deux faces entre lesquelles se meut la lumière n’étoient pas exactement parallèles, ou si elles avoient des inégalités sensibles, alors parmi les rayons réfléchis suivant or, ceux qui auroient à parcourir un intervalle plus grand ou plus petit d’une unité, pour revenir à la surface ab, seroient réfléchis de nouveau vers cd, tandis que les autres seroient transmis par la surface ab.

736. Ce que nous venons de dire a fourni au Père Boscovich la solution d’une difficulté proposée par lui-même contre l’explication de l’arc-en-ciel extérieur[57] ; voici en quoi elle consiste. Soit ng (fig. 112) une des gouttes de pluie qui produisent cet arc, et shgfna la route d’un faisceau de rayons d’une couleur quelconque, pris parmi les rayons efficaces : ce faisceau étant parvenu de h en g, une partie est transmise dans l’air environnant, et l’autre se réfléchit suivant gf. Or, les rayons qui sont entrés par le point h étoient dans un accès de facile transmission, et ceux qui se sont réfléchis en g étoient dans un accès de facile réflexion. Maintenant la corde gf étant égale à la corde hg, mesure la même série d’intervalles ; et puisque les rayons qui partent de la réflexion en g pour aller en f subissent des effets inverses de ceux qui ont eu lieu en partant de la réflexion en h, il s’ensuit qu’ils devroient se trouver en f dans un accès de facile transmission, et par conséquent il n’y auroit aucun de ces rayons qui dût être réfléchi de f en n ; mais ils sortiroient tous par ce point, ce qui rendroit impossible la formation de l’arc extérieur.

Le Père Boscovich répond en observant que la difficulté n’a lieu qu’autant qu’on suppose les gouttes de pluie parfaitement sphériques ; or, c’est ce qui n’est pas à présumer, d’après cela seul, que chaque goutte est un peu comprimée dans sa partie inférieure par la réaction de l’air qu’elle frappe en tombant. Or, la plus légère différence entre les cordes hg, gf suffit pour qu’il y ait une unité de plus ou de moins d’un côté que de l’autre dans les intervalles mesurés par ces cordes, et pour que le rayon arrivé en f se trouve de nouveau dans un accès de facile réflexion, auquel cas il prendra la direction fn, et pourra se trouver en n dans un accès de facile transmission, qui le déterminera à repasser dans l’air suivant la direction na.

737. La lumière qui traverse un milieu transparent ne parvient pas toute entière à la seconde surface de ce milieu ; mais cela provient uniquement de ce qu’il y a toujours des rayons interceptés par le milieu, où ils s’éteignent en se heurtant contre les molécules propres de ce milieu ; et le nombre de ces rayons interceptés augmente continuellement pendant tout le trajet du rayon.

Il résulte de là que l’intensité de la lumière sur un espace donné, à mesure qu’elle s’éloigne du point rayonnant, n’est pas exactement en raison inverse du carré de la distance, mais suit une loi qui diffère de celle-ci jusqu’à un certain point.

Bouguer a recherché cette loi, en supposant d’abord que le milieu eût une densité uniforme, et que les rayons fussent parallèles. Dans ce cas, il prouve que l’intensité de la lumière suit une progression géométrique. Il étend ensuite sa théorie aux milieux dont la densité est variable, et à l’hypothèse d’une divergence entre les rayons, et fait plusieurs applications intéressantes de cette théorie à divers phénomènes[58].

738. L’opacité des corps qui ont cette qualité provient non-seulement de ce que les molécules de ces corps éteignent et absorbent la lumière, mais plus encore de ce que ces molécules se trouvent séparées par de nombreux interstices remplis de quelque fluide d’une densité très-inférieure à la leur ; d’où il résulte qu’il y a beaucoup. de rayons qui sont repoussés près du contact des surfaces des molécules et du milieu adjacent ; et comme ces réflexions se multiplient rapidement, à mesure que les rayons pénètrent le corps, il arrive que bientôt ils échappent à la réfraction qui devroit se propager d’une surface à l’autre pour que le corps fût transparent[59].

739. Ceci nous conduit à expliquer pourquoi la pierre nommée hydrophane acquiert une transparence sensible lorsqu’elle a été plongée dans l’eau, et qu’on la place entre la lumière et l’œil. Nous avons vu (9) que cette pierre est criblée d’une multitude de vacuoles qui, dans l’état naturel de l’hydrophane, sont remplis d’air. Le peu de densité de ce fluide, comparé à la matière propre de la pierre, occasionne la réflexion d’une grande partie des rayons qui la pénètrent, et ne laisse subsister qu’un foible degré de transparence, à l’aide du petit nombre de rayons qui poursuivent leur route jusqu’à la surface tournée du côté de l’œil. Mais si à la place de l’air, l’eau s’introduit dans l’hydrophane, ce liquide ayant une densité qui se rapproche beaucoup plus de celle de la pierre, il y aura un bien plus grand nombre de rayons qui, au lieu d’être réfléchis au contact des deux milieux qui se succèdent dans l’intervalle entre les deux surfaces, seront réfractés et continueront leur trajet jusqu’à la surface située vers l’œil, ce qui fera croître la transparence dans un très-grand rapport. Le papier mouillé ou imbibé d’huile acquiert aussi de la transparence, par une cause semblable.

740. À l’égard des corps transparens et en même temps colorés, ils paroissent offrir un moyen terme entre les corps limpides et les corps opaques. Leurs molécules réfléchissent des rayons de la couleur sous laquelle ils s’offrent à l’œil, et en même temps ces corps transmettent dans toute leur étendue d’autres rayons qui, pour l’ordinaire, ont la même couleur que les rayons réfléchis. Ainsi les molécules situées à la surface réfléchissent une partie des rayons qui arrivent à cette surface, et transmettent le reste ; d’autres molécules, situées un peu plus bas, réfléchissent une partie des rayons qui ont échappé à la première réflexion, puis transmettent les autres ; et ainsi de suite jusqu’à la dernière surface, où il arrive encore un assez grand nombre de rayons qui repassent dans l’air, pour que le corps placé entre l’œil et la lumière ait une transparence très sensible. Il résulte de là que plus le milieu a d’épaisseur, et plus sa couleur est foncée, ce qui s’accorde avec l’observation.

741. Il y a des milieux qui présentent une couleur différente, suivant qu’on les regarde par réflexion ou par réfraction, comme cela a lieu par rapport à chacun des petits espaces pris sur la lame d’air, dans l’expérience des anneaux colorés : telle est l’infusion de bois néphrétique, qui paroît bleue sous l’aspect ordinaire, et qui devient jaune lorsqu’on place entre l’œil et la lumière le vase qui la contient. Une lame d’or extrêmement mince continue de réfléchir le jaune et paroît verdâtre lorsqu’on la regarde par réfraction. Ces phénomènes, et d’autres semblables, suivant l’expression de Newton, n’ont plus besoin d’un Œdipe[60].

742. On voit combien l’observation des anneaux colorés sert à lier de faits différens dans une même théorie ; mais on pourroit désirer que cette théorie remontât encore plus haut, et expliquât, d’après quelqu’hypothèse, pourquoi certains rayons sont transmis, tandis que d’autres sont réfléchis par une épaisseur d’une lame déterminée. On supposera, si l’on veut, d’après Newton[61], qu’il en est des rayons de la lumière à l’égard des différens corps naturels, comme des corps sonores à l’égard de l’air, c’est-à-dire, que les rayons excitent dans les molécules des corps qui les réfractent ou les réfléchissent, certaines vibrations qui se propagent d’une surface à l’autre, mais de manière que leur vîtesse est plus grande que celle des rayons eux-mêmes, en sorte qu’elles prennent, pour ainsi dire, les devants. Or, comme ces vibrations consistent dans de petits mouvemens qui ont lieu alternativement en sens contraire, si au moment où le rayon arrive près du contact de la surface réfléchissante ou réfringente le mouvement de vibration dans lequel il se trouve conspire avec celui du corps, le rayon sera transmis ; et si ce mouvement est opposé à celui du corps, le rayon sera repoussé et réfléchi[62]. Or, telle est la manière dont les mouvemens se combinent, que le rayon est tour à tour dans la circonstance qui détermine la réflexion et dans celle d’où naît la réfraction. Au reste, Newton ne propose cette idée qu’en faveur de ceux qui cherchent à se satisfaire, en imaginant une cause physique aux faits d’où part la théorie. Quant à lui, il lui suffit d’en avoir établi l’existence et la filiation. Les physiciens, qui s’arrêtent sagement sur la limite tracée par l’observation, trouveront assez de quoi se satisfaire dans une théorie qui ramène les phénomènes infiniment variés de la coloration des corps à de simples distances entre les facettes des molécules, et qui leur offre cette admirable diversité de teintes et de nuances dont s’embellissent les productions de la nature et de l’art, sous l’aspect d’un tableau dont il suffit que la toile passe à un nouveau degré de ténuité, pour faire naître à l’instant un nouveau coloris.

Des Rapports entre la Lumière et la Chaleur.

Dans l’exposé que nous allons faire des rapports qui existent, à plusieurs égards, entre la lumière et la chaleur, nous nous bornerons à la considération des faits, sans prétendre en tirer aucune induction sur l’identité des causes. Nous avons cru que cet exposé trouveroit ici d’autant plus naturellement sa place que, dans des expériences récentes, on a essayé d’ajouter à nos connoissances, sur les rapports dont il s’agit, en employant la lumière colorée, comme terme de comparaison.

743. On sait que les rayons solaires échauffent, en général, les corps exposés à leur action ; mais ils ne les échauffent pas tous au même degré, et Schéele avoit saisi, avec la sagacité qui lui étoit ordinaire, les circonstances qui font varier l’intensité de leur action, et le principe qui sert à expliquer cette diversité. Ce célèbre chimiste ayant exposé à cette même action deux thermomètres égaux, dont l’un étoit rempli d’alkohol coloré d’un rouge foncé, et l’autre d’alkohol non coloré, observa que la liqueur rouge montoit plus rapidement que celle qui étoit sans couleur ; mais si l’on plongeoit les deux thermomètres dans l’eau chaude, les mouvemens de la liqueur étoient les mêmes de part et d’autre. Schéele avoit encore remarqué que plus la couleur d’un corps approche du noir, plus aussi ce corps est échauffé promptement par les rayons du soleil ; tandis qu’au contraire les corps les plus blancs sont ceux qui s’échauffent le plus lentement. « La cause de ces phénomènes, ajoute-t-il, se trouve dans le plus ou moins d’affinité que les corps ont pour la lumière[63] ».

744. On voit ici une analogie marquée entre la lumière et le calorique rayonnant, qui ne devient susceptible d’échauffer un corps, qu’en perdant sa propriété rayonnante, pour prendre, par son union avec ce corps, le caractère de calorique combiné ; et c’est alors seulement qu’il devient sensible au thermomètre (118 et suiv.) De même, tant que le mouvement de la lumière n’est point interrompu, il n’en résulte aucune chaleur proprement dite[64] ; et si ce mouvement ne fait que changer de direction, par l’effet de la réflexion, les rayons qui subissent cet effet ne contribuent point à la production de la chaleur, qui ne dépend que des rayons absorbés. De là vient que les corps qui absorbent en plus grande abondance la lumière, comme les noirs, sont ceux qu’elle échauffe le plus ; elle agit beaucoup plus foiblement pour échauffer les corps blancs, parce qu’ils la réfléchissent.

745. Il y a cependant cette différence entre la lumière et le calorique, que les rayons de la première traversent librement le verre et les liqueurs limpides, tandis que les rayons du calorique restent engagés dans ces mêmes corps auxquels ils communiquent de la chaleur[65].

746. Le savant physicien Rochon se proposa, en 1775, de rechercher, par l’expérience, si les rayons qui diffèrent en réfrangibilité produisoient sur le thermomètre des degrés de chaleur sensiblement différens [66]. Il se servit d’un prisme de flint-glass, pour séparer les rayons diversement colorés, qu’il faisoit passer ensuite tour à tour à travers une lentille. Il observa qu’un thermomètre d’air, exposé à l’action des mêmes rayons, montoit à mesure que ceux-ci se succédoient, depuis le violet jusqu’au rouge ; et le rapport de chaleur entre le rouge clair et le violet le plus intense lui parut être à peu près celui de 8 à 1. Mais il avouoit modestement que, malgré toutes les précautions qu’il avoit prises pour mettre de la précision dans ses résultats, il n’étoit pas encore satisfait de son travail[67].

747. Le célèbre astronome Herschell, dont le nom rappelle des découvertes si importantes, a entrepris depuis une belle suite d’expériences dirigées vers le même but, et a étendu ses recherches à tout ce qui pouvoit être l’objet d’un rapprochement entre les propriétés physiques de la lumière et celles du calorique. Dans les expériences relatives à la chaleur produite par les rayons diversement colorés du spectre solaire, il faisoit passer successivement ces rayons par une ouverture pratiquée à un écran, et les recevoit sur la boule d’un thermomètre placé derrière cette ouverture. Il conclut de ses observations, que la faculté calorifique des rayons rouges étoit à celle des rayons violets, à peu près dans le rapport de 7 à 2, beaucoup plus petit que celui auquel étoit parvenu le physicien français[68].

748. Herschell conçut ensuite l’idée de comparer les rayons du spectre relativement à leur force éclairante, et il jugea que le rouge, qui terminoit d’un côté le prisme, étoit surpassé par le jaune, dans lequel résidoit le maximum de clarté ; que le vert éclairoit à peu près aussi bien, et qu’ensuite il y avoit une dégradation sensible jusqu’au violet, qui donnoit le minimum de clarté[69]. Ces résultats diffèrent peu de ceux que Newton avoit annoncés long-temps auparavant[70].

Le même astronome essaya de vérifier une conjecture qui s’étoit offerte à lui dans le cours de ses recherches précédentes, savoir, qu’il existoit, hors des limites du spectre solaire, des rayons soumis aussi à la loi de la réfrangibilité, mais non-lumineux et simplement calorifiques. La conclusion qu’il tira de ses expériences fut que la faculté d’échauffer avoit les mêmes limites que le spectre, du côté du violet ; qu’elle augmentoit progressivement depuis le violet jusqu’au rouge, et ensuite au delà du rouge, où elle résidoit dans des rayons insensibles à l’œil et moins réfrangibles que tous ceux qui étoient lumineux, en sorte que son maximum répondoit environ à un demi-pouce en dehors des rayons rouges[71]. D’après l’hypothèse à laquelle conduisent les expériences dont il s’agit, les émanations du soleil consisteroient dans des rayons de deux natures différentes ; les uns seroient simplement lumineux, et les autres simplement calorifiques : il en résulteroit deux spectres, qui se confondroient en grande partie, de manière que celui qui est produit par les rayons lumineux seroit dépassé par l’autre, du côté du rouge ; et la chaleur qui accompagne la lumière dépendroit d’un mélange de rayons calorifiques. L’auteur a fait aussi de nombreuses recherches sur la chaleur produite par différens corps lumineux, et par d’autres qui étoient simplement chauds sans avoir la faculté de luire, et il lui a paru que les rayons calorifiques étoient soumis aux mêmes lois de réflexion et de réfraction que ceux de la lumière[72]. Toutes ces diverses expériences sont assez intéressantes pour mériter d’être soigneusement répétées, et assez délicates pour en avoir besoin.

749. On sait que la lumière contribue beaucoup aux phénomènes chimiques ; et puisque ses rayons différemment colorés produisoient plus de chaleur les uns que les autres, ne devoient-ils pas aussi avoir une influence différente dans quelques-uns des phénomènes dont il s’agit, et en particulier dans ceux qui dépendent de l’oxygène, dont les fonctions concourent si souvent avec celles du calorique ? Schéele, qui semble avoir eu en partage le droit de prendre l’initiative, avoit observé que le muriate d’argent exposé aux rayons violets du spectre solaire noircissoit bien plus promptement que dans les autres rayons[73]. Ritter, habile physicien d’Iena, a vu cette substance noircir en peu de temps, même en dehors du violet, puis devenir moins noire dans le violet, et perdre toujours de plus en plus sa teinte obscure, à mesure qu’elle approchoit du rouge, où elle restoit sans changement. La même substance un peu noircie, et exposée à la lumière rouge, recouvroit en partie la couleur blanche, et plus encore lorsqu’on la présentoit aux rayons invisibles situés du même côté. Le phosphore placé près du rouge, développoit à l’instant des vapeurs blanches ; transporté ensuite près du violet, il ne donnoit plus de vapeurs et s’éteignoit. Ces observations ont fait penser à l’auteur que le spectre solaire étoit compris entre deux rayons invisibles dont l’un, qui avoisinoit le rouge, favorisoit l’oxygénation, et l’autre, qui étoit contigu au violet, avoit la faculté de désoxygéner ; et les rayons colorés intermédiaires qui composent le spectre, participoient plus ou moins de l’action exercée par les rayons invisibles situés de part et d’autre.

750. De nouvelles observations ont conduit le même savant à un rapprochement remarquable entre les effets des rayons diversement colorés, relativement à l’oxydation, et ceux des électricités vitrée et résineuse produites par la pile de Volta. Nous avons vu que la première espèce d’électricité détermine un métal à s’oxyder, tandis que l’influence de l’autre sur l’oxydation est nulle (522). Ritter mit un œil en contact avec l’extrémité de la pile, qui étoit à l’état résineux, auquel cas la rétine, selon lui, acquéroit l’électricité opposée, et il vit ensuite tous les objets teints en rouge ; il les voyoit, au contraire, colorés en violet, lorsqu’ayant appliqué l’œil à l’extrémité vitrée de la pile, il avoit fait passer la rétine à l’état résineux. On sent tout l’intérêt que mérite d’exciter ce résultat, où l’organe de la vue, soumis aux actions combinées de la lumière et de l’électricité, devient comme le point commun qui sert à lier des phénomènes observés jusqu’alors dans des expériences isolées, et avec des instrumens qui semblent n’avoir aucun rapport entre eux. M. Orsted, jeune chimiste danois, recommandable par ses talens, qui a bien voulu nous communiquer ces détails, y a joint la remarque heureuse, que quand les deux électricités opposées produisent de la lumière blanche, en se réunissant, on a la preuve, comme par synthèse, de ce que les expériences précédentes ont offert par voie d’analyse.

4. De la Vision naturelle.

751. Nous avons considéré successivement la lumière comme lancée par les corps dont elle est une émanation, traversant ensuite l’espace avec une rapidité inconcevable et pourtant susceptible d’être mesurée, reçue enfin par les surfaces des corps, dont les unes la réfléchissent, tandis que les autres la transmettent ; et l’étude des diverses modifications qu’elle reçoit, suivant les différentes manières dont ces corps agissent sur elle, nous a dévoilé les causes de la transparence, de l’opacité et des couleurs.

Les impressions que les objets excitent à leur tour dans l’organe de la vue, et qui nous en font distinguer les différens états, dépendent d’une action immédiate qu’exerce sur cet organe la lumière qu’ils lui envoient, soit qu’elle vienne immédiatement d’un corps lumineux, soit qu’elle ait été réfléchie par la surface d’un miroir ou d’un corps opaque, soit enfin qu’elle ait passé à travers un corps transparent.

Notre but sera maintenant de considérer en quoi consiste cette action, de tracer la marche que suivent dans l’organe les rayons envoyés par les objets, et d’exposer les résultats des différentes recherches faites par les physiciens, sur la manière dont s’opère la vision ; et pour commencer par ce qu’il y a de plus simple, nous supposerons d’abord qu’il n’existe, entre l’œil et les objets, aucun intermédiaire qui modifie l’action de la lumière.

De la Structure de l’Œil.

752. Les anciens philosophes n’avoient, relativement à la manière dont la vision s’opère, que des idées imparfaites ; ils savoient seulement, en général, que les yeux en sont les instrumens ; et cependant les traits de sagesse et de prévoyance répandus sur le peu qu’ils en connoissoient ne leur avoient pas échappé[74] ; ils admiroient la position de l’œil dans le lieu le plus élevé de la tête, d’où, comme une sentinelle, il embrassoit dans un seul regard une multitude d’objets ; son extrême mobilité, et cette facilité qu’il a de se diriger en tout sens, et de se multiplier, en quelque sorte, par la variété de ses situations ; la souplesse des paupières toujours prêtes à s’abaisser comme un voile pour le défendre, soit de l’impression d’une lumière trop vive, soit du choc d’un corps extérieur, ou pour favoriser la puissance du sommeil sur l’ensemble de tous les organes. Mais ces observations, et d’autres du même genre, se bornoient aux alentours de l’œil ; on n’avoit pas pénétré dans le mécanisme intime de la vision. On a reconnu depuis que cet organe étoit un véritable instrument d’optique, au fond duquel la lumière va dessiner, ou plutôt peindre, les portraits en petit de tous les corps situés en présence du spectateur ; et l’on peut dire que parmi tant de sujets d’observation que la nature présente à l’œil de toutes parts, il ne voit rien qui porte plus sensiblement l’empreinte d’une intelligence infinie que la structure de l’œil lui-même.

753. Entrons dans les détails, et commençons par une description de l’œil, qui seroit imparfaite de la part d’un anatomiste, mais qui suffit au physicien, pour prendre une idée des effets de la vision.

La cavité dans laquelle l’œil est logé se nomme l’orbite de l’œil. Les nerfs optiques qui, séparés en partant du cerveau, s’étoient ensuite réunis en un point commun, se séparent de nouveau, et chacun d’eux entre dans l’orbite placée de son côté, où il s’épanouit pour former le globe de l’œil, en sorte que les enveloppes de ce globe ne sont autre chose que les expansions du nerf optique.

On distingue, dans ce nerf, deux tuniques principales, situées l’une sur l’autre autour de la partie médullaire. La tunique extérieure, qu’on appelle la dure-mère, prend, en s’épanouissant, une forme arrondie, dont la partie antérieure, qui est à découvert, représente à peu près un segment de sphère d’un diamètre plus petit que celui de la partie enfoncée dans la cavité de l’œil, ce qui la rend saillante et plus propre à recevoir les rayons qui viennent de côté.

De ces deux portions de sphère, celle qui occupe le fond de la cavité est opaque et d’une forte consistance ; on la nomme sclérotique ou cornée opaque ; l’autre portion, qui forme la partie antérieure, est plus mince, plus flexible, et en même temps diaphane, d’où lui vient le nom de cornée transparente. La seconde tunique du nerf optique s’appelle la pie-mère, et s’épanouit en dessous de la dure-mère : elle est composée de deux lames, dont l’une, qui est une véritable membrane, s’applique exactement sur la cornée opaque, et se confond avec elle près de la cornée transparente ; l’autre, qu’on nomme choroïde, est un assemblage de nerfs et de vaisseaux qui sortent de la surface interne de la première, et qui sont imbibés d’une espèce de liqueur noirâtre. Ces nerfs et ces vaisseaux s’ouvrent en partie et forment ce tissu velouté dont Ruysch a fait une tunique particulière, à laquelle on a donné son nom.

Vers l’endroit où la cornée transparente s’unit à la sclérotique, la choroïde se détache, et de plus se soudivise en deux lames, dont celle qui est antérieure produit cette espèce de couronne colorée ; qu’on appelle l’iris vers le milieu de laquelle est une ouverture ronde connue sous le nom de prunelle. La lame postérieure, qu’on nomme couronne ciliaire, est plissée et comme composée de feuillets oblongs, dont nous verrons bientôt l’usage.

L’iris est un assemblage de fibres musculaires, les unes orbiculaires et rangées autour de la circonférence de la prunelle, les autres dirigées comme autant de rayons. Les premières servent à rétrécir la prunelle, pour modérer l’impression d’une lumière trop vive, et les autres à dilater, pour laisser entrer avec plus d’abondance une lumière foible.

Les couleurs les plus ordinaires de l’iris sont l’orangé et le bleu, et souvent ces couleurs se trouvent mélangées dans un même œil. Les yeux qu’on appelle noirs sont d’un jaune-brun, ou d’un orangé très-foncé.

La couronne ciliaire tient comme enchâssé, vis-à-vis le trou de la prunelle, un corps transparent, assez solide, d’une forme lenticulaire, et plus convexe vers le fond de l’œil que par devant : ce corps porte le nom de cristallin.

La portion médullaire du nerf optique forme, en s’épanouissant, une membrane blanche et très-mince, appliquée sur la choroïde, et qu’on appelle rétine.

L’espace compris entre la cornée transparente et le cristallin se trouve divisé par l’iris en deux espèces de chambres, qui communiquent ensemble au moyen de la prunelle, et qui sont remplies d’une eau limpide, appelée l’humeur aqueuse. Entre le cristallin et le fond de l’œil, est un autre espace beaucoup plus grand, occupé par une sorte de gelée transparente, qui est l’humeur vitrée. Le cristallin est comme enchatoné dans la partie antérieure de cette gelée, dont la puissance réfractive est moindre que la sienne.

Ce qu’on appelle le blanc de l’œil est produit par une tunique particulière, qu’on nomme albuginée, et qui adhère fortement à la cornée ; elle est recouverte par une autre membrane, très-mince, lâche et flexible, appelée conjonctive, qui se replie au bord de l’orbite et forme la surface interne des paupières. Celle-ci est percée d’une multitude de petits trous, par lesquels passe le fluide qui vient de la glande lacrymale.

L’œil a été pourvu de différens muscles destinés à l’avancer ou à le retirer en arrière, à en élargir ou à en resserrer l’ouverture, et à lui procurer une multitude de positions variées, pour le mettre à portée d’apercevoir distinctement les objets situés à différentes distances.

De la manière dont s’opère la Vision.

754. De tous les points d’un objet qui se présente à l’œil, il part des rayons qui divergent dans tous les sens, mais parmi lesquels ceux qui sont dirigés de manière à pouvoir entrer dans la petite ouverture de la prunelle, forment des espèces de pinceaux déliés, en sorte que ceux qui composent un même pinceau approchent du parallélisme. Supposons que l’objet étant d’une forme allongée, soit situé horizontalement, et ne considérons, pour plus de simplicité, que le pinceau qui vient du milieu, et les deux qui viennent des extrémités. L’axe du premier pinceau passant par le centre de la cornée, et tombant à angle droit sur la surface du cristallin, pénètre les différentes humeurs de l’œil, sans y subir de réfraction. Cet axe porte le nom d’axe optique, et est d’un grand usage dans l’explication des phénomènes de la vision. Les autres rayons qui tombent obliquement sur la cornée se réfractent dans l’humeur aqueuse, en convergeant vers l’axe. Leur passage à travers le cristallin augmente cette convergence et en sortant de ce corps lenticulaire pour entrer dans un milieu moins dense, ils prennent un nouveau degré de convergence qui est tel, que le cône qu’ils forment derrière le cristallin a son sommet situé précisément sur le fond de l’œil, où il dessine l’image du point d’où les rayons sont partis pour se rendre à cet organe. Cette marche des rayons est analogue à celle dont nous avons parlé (642), en exposant les effets de la réfraction dans les milieux terminés par des surfaces courbes.

Les axes des deux autres pinceaux en entrant par la cornée se réfractent ainsi que les rayons qui les accompagnent : ces pinceaux se croisent ensuite en passant par le trou de la prunelle, et subissent dans le cristallin et l’humeur vitrée de nouvelles réfractions, dont l’effet est de rapprocher les rayons qui les composent de leurs axes respectifs, en sorte qu’ils forment deux nouveaux cônes dont les bases reposent sur la surface postérieure du cristallin, et dont les sommets tombent sur le fond de l’œil, où ils dessinent de même les images des points qui leur correspondent sur l’objet.

Tous les pinceaux partis des autres points de l’objet font le même office, en sorte qu’il se forme au fond de l’œil une image complète de cet objet, mais qui est renversée, en conséquence de ce que les rayons qui viennent des points situés de part et d’autre de celui du milieu, se croisent en traversant la prunelle. L’opinion la plus commune est que l’image se peint sur la rétine : cependant, de célèbres anatomistes ont pensé que la choroïde étoit la véritable toile du tableau[75].

On peut vérifier, par l’expérience, ce que nous venons de dire sur la cause de la vision, en prenant l’œil d’un bœuf tué récemment, et en le dépouillant par derrière de sa sclérotique. Si l’on place cet œil dans l’ouverture faite au volet d’une chambre obscure, de manière que la cornée soit en dehors, on verra, à travers les membranes transparentes de la partie opposée, les images distinctes des objets extérieurs.

755. Cette vérité une fois reconnue, qu’aussitôt qu’un objet est devant l’œil, cet objet a son portrait au fond de l’organe, il semble d’abord que la vision n’ait plus besoin d’autre explication ; et l’on seroit tenté de croire que nos yeux, à l’instant où ils s’ouvrent pour la première fois, sont déjà tout dressés, et que la seule présence des objets suffit pour que les impressions faites sur la rétine, et transmises par l’intermède du nerf optique jusqu’au cerveau, donnent occasion à l’ame de se représenter ces objets tels qu’ils sont, et aux endroits où ils sont. Mais on concevra qu’il faut quelque chose de plus, si l’on fait attention que l’image qui se peint sur la rétine est une simple surface figurée et revêtue de couleurs, sans aucun reliefs, et que d’ailleurs elle n’est que le résultat de l’action qu’exercent sur l’organe les extrémités des rayons qui le touchent, et ne se rapporte pas d’elle-même aux extrémités opposées, où se trouve situé le corps qui est l’objet de la vision. Ces considérations avoient déjà fait conjecturer à plusieurs physiciens, qu’il existoit un intermédiaire qui nous servoit à lier les impressions produites par les rayons que les corps envoient à l’œil avec les modifications de ces corps eux-mêmes. Ils pensoient que c’étoit le tact qui instruisoit l’œil en quelque sorte, et qui nous aidoit à rectifier les erreurs dans lesquelles cet organe nous entraîneroit, s’il étoit abandonné à lui même. Mais personne n’a mieux développé que Condillac[76], les moyens que le tact emploie dans cette espèce d’enseignement, et c’est en partie d’après ce célèbre métaphysicien que nous allons essayer de les faire connoître.

756. Les premières leçons nous viennent des divers mouvemens que fait la main, qui a elle-même son image au fond de l’œil. Tandis qu’elle s’approche et s’éloigne successivement de cet organe, elle lui apprend à rapporter à une distance plus ou moins grande, à un lieu plutôt qu’à l’autre, l’impression qui se produit sur la rétine, d’après le sentiment que nous avons de chaque position de la main, de la direction et de la grandeur de chaque mouvement qu’elle fait. Tandis qu’une main passe sur l’autre, elle étend en quelque sorte, sur la surface de celle-ci, la couleur dont l’impression est dans l’œil ; elle circonscrit cette couleur entre ses limites, et fait naître dans l’ame la représentation d’un corps figuré de telle manière. Lors qu’ensuite nous touchons différens objets, la main dirige l’œil sur les diverses parties de chacun d’eux, et lui en rend sensibles l’arrangement et les positions respectives ; elle agit sans cesse, à l’égard de l’œil, par l’intermède des rayons de la lumière, comme si elle tenoit une des extrémités d’un bâton qui aboutiroit au fond de l’œil par l’autre extrémité, et qu’elle conduisît successivement ce bâton sur tous les points de l’objet. Elle semble avertir l’œil que le point qu’elle touche est l’extrémité du rayon qui le frappe. Elle parcourt ainsi toute la surface de l’objet ; elle semble en prononcer la véritable forme. Tantôt courbée uniformément sur la surface d’un globe dont elle suit le contour dans tous les sens, elle marque la distinction de la lumière et des ombres, elle donne de la rondeur et du relief à ce que l’œil aperçoit. Tantôt obligée de varier sa propre figure, tandis qu’elle se moule alternativement sur les faces et sur les arêtes d’un corps anguleux, elle fait ressortir les diverses positions et l’assortiment des plans qui en composent la surface.

Dès qu’une fois les yeux sont instruits, alors l’expérience qu’ils ont acquise les met dans le cas de se passer des secours du tact ; et la seule présence des objets détermine le retour des mêmes sensations, à l’occasion des impressions semblables que font sur l’organe les rayons envoyés par ces objets.

757. Nous avons dit (754) que l’image de chaque objet se peint au fond de l’œil dans une situation renversée, et des savans célèbres en ont conclu que chacun voyoit naturellement tous les objets dans cette même situation ; mais il sera aisé de sentir combien cette conséquence est peu fondée, si l’on considère que nous voyons notre propre corps, qui a son image renversée sur la rétine, comme celle des autres objets, en sorte que le seul sentiment que nous avons de notre position détermine la sensation qui nous fait voir tous les objets droits.

En même temps que le tact instruit l’œil à rapporter au dehors les images des objets et à en saisir les formes, il l’exerce sur l’estimation de leur position dans l’espace, de leurs grandeurs et de leurs distances ; et lorsque ces distances surpassent celles jusqu’où s’étendent les mouvemens de la main, nous y suppléons par un autre exercice, qui consiste à nous approcher de l’objet jusqu’au point de le toucher, et à nous en éloigner ensuite, et nous jugeons à peu près de sa distance par l’étendue des mouvemens que nous faisons vers lui, ou en sens contraire. Lorsqu’ensuite la distance surpasse la portée de nos mouvemens ordinaires, les rapports que nous sommes exercés à saisir nous servent comme de règles pour appliquer à des objets plus éloignés les impressions qui se font en nous ; mais à mesure que l’éloignement augmente, les circonstances deviennent toujours moins favorables à ces applications ; et au delà d’un certain terme, les objets se présentent à nous sous des apparences plus ou moins trompeuses, qui nous induisent dans ces espèces d’erreurs que l’on a nommées illusions d’optique, et dont nous parlerons dans la suite. Donnons un nouveau développement à ce sujet intéressant, et essayons de suivre l’œil depuis les espaces où il est dirigé par une sorte de souvenir des leçons qu’il a reçues du tact, jusqu’aux vastes régions qu’il franchit, bien au delà du cercle qu’il a parcouru avec son guide.

758. Lorsque nous regardons un objet, il y a toujours un point de cet objet que nous fixons plus particulièrement que les autres, et vers lequel se dirigent les deux axes optiques, en sorte que ce même point devient le sommet de l’angle qu’ils forment entre eux. À mesure qu’un objet s’approche ou s’éloigne de nous, ou, ce qui revient au même, à mesure que nous avançons vers cet objet, ou que nous nous en écartons, les yeux font des mouvemens continuels pour varier leur figure et leur position, de manière à ce que les deux axes optiques coïncident toujours sur un même point de l’objet. Lorsque les distances dont il s’agit sont de celles que nous pouvons mesurer par les mouvemens de la main, ou en allant toucher l’objet, le sentiment que nous avons des mouvemens que font en même temps nos yeux pour se diriger vers l’objet, nous fait contracter l’habitude de juger des distances d’après les impressions qui sont liées à ces mouvemens, et en même temps d’estimer la position de l’objet[77] ; de là vient que la main va droit à l’objet qui est à sa portée, et que nous voulons toucher ou saisir. Nous parvenons encore à frapper sûrement, avec l’extrémité d’un bâton que nous avons à la main, un objet situé à une certaine distance ; mais dès que nous n’employons plus qu’un œil pour fixer l’objet, alors le point de concours des deux axes optiques n’ayant plus lieu, il nous est beaucoup plus difficile de juger de la position de l’objet, comme on peut s’en assurer à l’aide de l’expérience suivante[78]. On suspend un anneau à la hauteur de l’œil, par le moyen d’un fil délié, de manière que l’on ne puisse en voir l’ouverture. On prend un bâton long d’un mètre, à l’extrémité duquel on attache transversalement un autre bâton plus petit : alors fermant un œil, on essaye d’enfiler l’anneau avec le petit bâton, et c’est presque toujours inutilement. Que l’on se serve des deux yeux, et l’on réussira dès la première tentative.

759. C’est en conséquence de ce que chacun des axes optiques est toujours exactement dirigé vers le point de l’objet que nous fixons de préférence, que quand nous n’avons besoin, relativement à cet objet, que d’un simple alignement, comme quand le chasseur vise l’animal sur lequel il veut tirer, nous fermons un œil, pour mieux estimer la direction sur laquelle se trouve l’objet.

760. Quoique chacun des objets situés devant nos yeux ait son image dans l’un et l’autre de ces organes, cependant nous ne voyons pas les objets doubles, parce qu’ayant reconnu, à l’aide du toucher, que tel objet étoit simple, en même temps que nous dirigions vers lui les deux axes optiques, et que ses deux images se peignoient sur des parties correspondantes des rétines, nous avons lié l’idée de l’unité d’objet avec le sentiment des mêmes impressions, et nous nous sommes accoutumés à identifier deux sensations qui se trouvoient, pour ainsi dire, à l’unisson l’une de l’autre. Mais si les axes optiques ne concourent plus vers un même point, comme lorsque nous pressons légèrement un œil de côté, avec la main, l’objet paroît double, et il est évident qu’alors les deux images ne tombent plus sur des parties correspondantes des rétines[79].

761. Il y a un autre angle dont la considération est importante, relativement aux phénomènes de la vision. Il est formé par les deux rayons qui, en partant des extrémités de l’objet, viennent se croiser dans la prunelle : on l’appelle angle visuel.

Derrière cet angle il s’en forme un second, qui provient des mêmes rayons réfractés à travers le cristallin et les autres humeurs de l’œil ; cet angle sous-tend le diamètre de l’image sur le fond de l’œil, et il est facile de voir qu’il augmente et diminue en même temps que le premier ; et lorsque l’un et l’autre sont petits, les augmentations et les diminutions, ainsi que celles du diamètre de l’image, sont sensiblement en raison inverse des distances de l’objet à l’œil.

Maintenant la grandeur d’un objet peut être conçue sous plusieurs rapports différens. Les véritables dimensions de l’objet, considérées en lui-même, donnent ce qu’on appelle la grandeur réelle, et l’ouverture de l’angle visuel détermine la grandeur apparente ; d’où l’on voit que la grandeur réelle étant une quantité constante, la grandeur apparente varie continuellement avec la distance.

762. Si nous jugions toujours des dimensions d’un objet d’après sa grandeur apparente, tout ce qui est autour de nous subiroit continuellement à cet égard des variations très-sensibles, qui nous entraîneroient dans d’étranges méprises. Par exemple, un géant de vingt-quatre décimètres, vu à la distance de quatre mètres, ne nous paroîtroit pas plus grand qu’un nain de six décimètres vu à la distance d’un mètre, puisque l’un et l’autre seroient vus à peu près sous le même angle.

Mais les expériences que nous avons faites avec le secours du tact, sur la comparaison des distances et des grandeurs, nous ont mis à portée de redresser nos idées, dans les circonstances où nous sommes le plus intéressés à éviter la méprise, c’est-à-dire, dans celles où il s’agit des objets qui sont à notre proximité ; car alors la distance dont nous jugeons assez exactement, entre comme donnée dans notre estimation, et nous empêche de nous en laisser imposer par l’idée fausse qui résulteroit de la considération isolée des grandeurs.

Ainsi les diverses positions des yeux, analogues à la variation des angles formés par les axes optiques, à mesure que les objets sont plus près ou plus éloignés, reproduisent en nous l’impression de la distance, telle que le tact nous a appris à l’estimer ; et cette impression se compose avec celle de la grandeur apparente, ou de l’étendue que l’image occupe au fond de l’organe, en sorte que la sensation qui nous représente la grandeur réelle est comme le produit de ces deux élémens. Par exemple, lorsqu’un géant de vingt-quatre décimètres, qui étoit d’abord à deux mètres de distance, se transporte à quatre mètres, d’une part son image est diminuée de moitié au fond de nos yeux ; mais, d’une autre part, la distance se trouve doublée, et l’espèce de combinaison qui se fait en nous des deux impressions relatives, l’une à la grandeur et l’autre à la distance, qui répondent à chaque position du géant, équivaut, pour ainsi dire, au produit constant de deux quantités, dont l’une augmente à proportion que l’autre diminue ; d’où il résulte que le géant nous paroît toujours de la même taille.

Nous conclurons encore de ce qui vient d’être dit, que quand deux objets inégaux sont placés à la même distance, nous jugeons de leurs grandeurs respectives d’après le rapport entre les angles visuels relatifs à l’un et à l’autre, ou entre les grandeurs de leurs images au fond de l’œil : car alors les deux produits qui résultent de l’impression de la distance combinée avec celle de la grandeur, ont une quantité commune, savoir la première impression, à laquelle on peut substituer l’unité, en sorte qu’ils sont proportionnels à l’autre quantité, qui est l’impression de la grandeur.

763. Tant que les objets sont assez peu éloignés, pour que les angles formés par les axes optiques aient une ouverture sensible, qui permette de les comparer, les mouvemens de nos yeux, relatifs à ces angles, nous aident encore à nous représenter, avec une certaine justesse, les distances, et en même temps les grandeurs dont l’estimation tient en partie à celle des distances ; mais lorsque l’éloignement des objets rend les mêmes angles si petits, qu’ils échappent à la comparaison, les grandeurs jugées dépendent beaucoup des grandeurs apparentes : ainsi un objet situé à une distance considérable, nous paroît beaucoup plus petit qu’il ne l’est réellement.

764. Le plus ou le moins de clarté des objets, et la manière plus ou moins nette et distincte dont nous les apercevons, nous les fait juger encore ou plus proches ou plus éloignés. C’est en se dirigeant d’après ce principe et le précédent, que les peintres diminuent les dimensions des figures, à proportion que les objets qu’elles représentent sont censés être dans un plus grand éloignement, et qu’ils en expriment en même temps les contours par des teintes plus foibles, ou même ébauchent si légèrement ces contours, qu’ils paroissent se perdre dans la couleur du fond, lorsque la distance est supposée très-considérable.

765. Enfin, lorsqu’entre un objet et nous il se trouve plusieurs autres objets, cette nouvelle circonstance nous aide encore à estimer la distance du premier objet, par une sorte d’addition que nous faisons de toutes les distances des objets intermédiaires, pour en composer une distance totale ; d’où il résulte qu’alors un objet nous paroît plus éloigné que dans le cas où l’espace qui nous en sépare seroit nu, et sans aucun point de ralliement qui pût nous servir à sommer toutes les parties de la distance.

766. Pour confirmer tout ce que nous venons de dire au sujet de la vision, nous ajouterons ici un ou deux exemples qui prouvent à quel point l’œil est neuf dans l’art de voir, lorsqu’il donne accès à la lumière pour la première fois. Un jeune homme âgé de 13 ans, auquel M. Chesselden venoit de faire l’opération de la cataracte[80], fut d’abord si éloigné de pouvoir juger en aucune manière des distances, qu’il croyoit que tous les objets indifféremment touchoient ses yeux (ce fut l’expression dont il se servit) comme les choses qu’il palpoit touchoient sa peau. Les objets qu’il trouvoit les plus agréables étoient ceux dont la surface est unie et la forme régulière, quoiqu’il ne pût encore porter aucun jugement sur leur forme, ni dire pourquoi ils avoient pour lui plus d’attrait que les autres. Il se passa plus de deux mois avant qu’il pût reconnoître que les tableaux représentoient des corps solides ; jusqu’alors il ne les avoit considérés que comme des plans diversement colorés ; mais lorsqu’il commença à distinguer les reliefs des figures, il s’attendoit à trouver en effet des corps solides en touchant la toile, et il fut très-étonné lorsque, en passant la main sur les parties qui, par la distribution de la lumière et des ombres, lui paroissoient rondes et inégales, il les trouva planes et unies comme le reste : il demandoit quel étoit donc le sens qui le trompoit, si c’étoit la vue ou le toucher. On lui montra le portrait en miniature de son père, qui étoit peint sur la boîte de la montre que portoit sa mère, et il dit qu’il reconnoissoit bien l’image de son père ; mais il demandoit, avec un grand étonnement, comment il étoit possible qu’un visage aussi large pût tenir dans un si petit espace, que cela lui paroissoit aussi impossible que de faire tenir un muid dans une pinte[81].

La même opération faite par M. Grant à un aveugle âgé de vingt ans, a été suivie de circonstances semblables. Lorsque les yeux de ce jeune homme furent frappés, pour la première fois, des rayons de la lumière, on vit sur toute sa personne l’expression d’un ravissement extraordinaire. L’opérateur étoit devant lui avec ses instrumens à la main : le jeune homme l’examina depuis la tête jusqu’aux pieds ; il s’examinoit ensuite lui-même, et sembloit comparer sa propre figure avec celle qu’il avoit devant les yeux ; tout lui paroissoit, semblable, excepté les mains, parce qu’il prenoit les instrumens du chirurgien pour des parties de ses mains. Il voulut faire un pas, et parut effrayé de ce qui étoit autour de lui. Il ne pouvoit accorder les sensations qu’il éprouvoit par la vue, avec celles que les mêmes objets avoient produites en lui par l’intermède du tact, et ce ne fut que par degrés qu’il parvint à distinguer et à reconnoître les formes, les couleurs et les distances[82].

Des Illusions d’Optique.

767. Nous avons déjà eu occasion de parler des erreurs dans lesquelles nos yeux nous entraînent lorsque les objets sont hors du cercle de nos observations ordinaires, et nous avons vu que, dans ce cas, nous nous trompons également sur les grandeurs et les distances. Une autre cause qui contribue encore à nous en imposer, est la diversité des positions que prennent les corps à notre égard, par une suite des mouvemens qui les transportent dans l’espace, ou de ceux que nous faisons nous-mêmes. Les circonstances qui déterminent ces erreurs, que l’on a nommées illusions d’optique, sont extrêmement variées ; la sphère qui les embrasse est immense ; elles s’étendent jusqu’aux vastes corps qui se meuvent dans les espaces célestes, et l’hypothèse relative à leur influence sur la manière dont plusieurs phénomènes planétaires s’offrent à notre observation, est devenue la base d’une théorie qui ramène à une heureuse simplicité ces phénomènes si embarrassans pour ceux qui vouloient voir des réalités dans de pures apparences. Nous allons donner l’explication de certaines illusions choisies parmi celles qui nous sont le plus familières, ou qui méritent le mieux d’être remarquées.

768. Il n’est personne qui, étant à l’une des extrémités d’une longue avenue, n’ait observé que les deux rangées d’arbres dont elle est composée paroissent converger l’une vers l’autre, au point de se toucher, si l’avenue s’étend assez loin pour cela ; dans ce cas, les intervalles entre deux arbres correspondans sous-tendent des angles visuels qui vont toujours en diminuant, et finissent par être insensibles à une grande distance. Il en résulte que, sur le petit tableau qui est au fond de l’œil, les images des arbres sont situées sur deux lignes inclinées entre elles, et qui concourent en un point, commun, ou, ce qui revient au même, les intervalles entre les images des arbres correspondans diminuent graduellement, de manière que le dernier intervalle est presque nul. Or, si nous supposons que les deux axes optiques se dirigent successivement vers différens arbres toujours plus éloignés, la variation de ces angles, et en même temps celle de l’impression de la distance, deviendra toujours moins sensible ; et, par une suite nécessaire, l’impression de la grandeur, qui dépend ici de l’intervalle entre les arbres correspondans, sera tellement prédominante, qu’elle déterminera presque seule le type de la sensation ; en sorte que deux lignes exactement parallèles s’offriront à nous sous l’aspect de deux lignes convergentes. C’est par une cause semblable que quand on est à l’entrée d’une longue galerie, le plafond paroît aller un peu en s’abaissant, et le parquet en s’élevant.

769. S’il n’existe qu’un seul plan, qui soit situé, à l’égard de l’œil, de la même manière que l’un ou l’autre de ceux qui convergeoient dans le cas précédent, comme quand on est à l’une des extrémités d’une longue pièce d’eau, ce plan paroîtra encore se relever de plus en plus à mesure que ses parties seront plus éloignées du spectateur ; car alors on compare ce plan à la ligne de niveau qui passeroit par l’œil, et qui fait l’office d’un second plan, dont le premier semble se rapprocher par la diminution des angles visuels qui partent des points correspondans pris sur l’un et l’autre plan.

770. Si le spectateur est au pied d’une haute tour dont il regarde le sommet, elle paroîtra pencher de son côté : car il compare la position de cette tour à une verticale qui passeroit par l’œil ; et ainsi cette ligne verticale et la hauteur de la tour sont deux parallèles qui doivent tendre en apparence à concourir vers le haut. Dans ces sortes de cas, la ligne verticale et la ligne horizontale sont des espèces de limites idéales auxquelles l’œil rapporte les angles visuels dont un des côtés est toujours l’une ou l’autre de ces lignes, à peu près comme lorsqu’on veut estimer à l’œil l’inclinaison d’une ligne située dans l’espace, on la compare avec une horizontale ou une verticale imaginaire, qui passe par une des extrémités de la ligne donnée.

771. Lorsque nous nous trouvons à une certaine distance d’un terrain qui s’élève, il nous paroît plus long que dans le cas où il seroit de niveau avec l’horizon ; c’est ce qui est évident par la seule inspection de la fig. 114, où mn représente la position inclinée du terrain, et en même temps sa longueur, mn′ celle qu’il auroit s’il étoit horizontal, et nom, n′om les angles visuels analogues aux deux positions.

772. On pourra expliquer, d’après les mêmes principes, une multitude d’autres illusions d’optique qui se présentent tous les jours à un observateur tant soit peu attentif. Par exemple, s’il est situé vis-à-vis du milieu d’une longue ligne fort éloignée, il la verra s’infléchir à droite et à gauche, en sorte qu’elle lui paroîtra une portion de courbe dont l’axe passeroit par son œil. S’il a devant lui un polygone régulier d’une certaine étendue, les côtés situés parallélement à la surface de son corps lui sembleront plus grands que ceux qui sont obliques, et le polygone deviendra irrégulier en apparence. C’est une observation qu’il est facile de faire, et dont on peut varier à volonté les circonstances, en prenant diverses positions à l’égard du grand bassin des Tuileries.

773. Ce que nous venons de dire nous conduit à quelques considérations générales sur la perspective. Le but de cette science est de représenter sur un plan des corps de toutes les formes. Or, si l’on conçoit, pour plus de simplicité, que le corps dont on se propose de tracer l’image soit terminé par des faces planes, les figures de ces faces différeront nécessairement dans l’image de ce qu’elles sont sur le corps même. Par exemple, si l’on veut représenter un cube, on pourra bien donner la figure d’un carré à l’une des faces de l’image ; mais les deux faces adjacentes qui concourent avec la première à la formation d’un même angle solide, seront évidemment des quadrilatères d’une figure différente, puisque, la somme des trois angles plans dont il s’agit, considérés, dans l’image, doit être équivalente à quatre angles droits, tandis qu’elle n’en vaut que trois sur le solide. Malgré cette différence, on ne laisse pas de parvenir à un certain assortiment de lignes qui fait une sorte d’illusion, et offre à l’œil un portrait fidèle de l’objet original.

Pour concevoir la raison de cette illusion, supposons un cube situé dans l’espace, sous une position déterminée, relativement à l’œil du spectateur, et supposons de plus que le cube soit transparent. Il résulte de ce que nous avons dit sur la manière dont s’opère la vision, que les axes des différens pinceaux de lumière envoyés par tous les points du cube, et qui sont les seules lignes dont nous ayons besoin ici, après s’être croisés dans le trou de la prunelle, formeront une espèce de petite pyramide dont la base reposera sur le fond de l’œil, où elle produira l’image du cube. Maintenant supposons un plan, ou tableau transparent, parallèle au fond de l’œil, et à travers lequel passent tous les axes qui vont des différens points du cube à cet œil, en y laissant chacun leur empreinte. L’image formée par l’ensemble de ces empreintes sera semblable à celle qui se peindra au fond de l’œil, abstraction faite de la petite différence que doit produire la courbure de cet organe. Imaginons enfin que le tableau devienne opaque, et que l’image du cube y subsiste toujours ; celle qui existoit au fond de l’œil sera encore la même, et son objet immédiat sera la première image dont tous les points enverront à l’œil des rayons situés précisément comme ceux qui partoient du cube. Or, cette image est ce qu’on appelle la perspective du cube. On conçoit, d’après cela, comment cette image, dont les traits sont les mêmes au fond de l’œil que ceux qui y seroient formés par les rayons provenus des différens points du cube, doit rendre ce cube aussi fidèlement que puisse le permettre le niveau du plan qui sert de toile au tableau. La géométrie fournit des règles pour tracer les lignes qui composent comme le dessin de ces sortes de portraits ; et lorsqu’à ce dessin, qui a déjà par lui-même un caractère frappant de vérité, l’art de la peinture ajoute la distinction des ombres et de la lumière, et la magie du coloris, il résulte de ce concours une illusion à laquelle il ne semble manquer, pour être parfaite, que ce qu’il faut pour ménager à l’œil, en se faisant sentir, tout le plaisir de la surprise.

774. Une des illusions d’optique les plus remarquables, est celle qui nous fait juger la lune plus grande lorsqu’elle se lève, que quand elle est à une certaine hauteur au-dessus de l’horizon. Il n’est personne qui n’ait été frappé plus d’une fois du contraste que présente le diamètre de cet astre, comparé à lui-même dans les deux circonstances dont nous venons de parler. Pour en concevoir la raison, il faut partir de ce principe, que nous voyons le ciel sous la forme d’une voûte très-surbaissée. Soit T (fig. 113) la moitié du globe terrestre élevée au-dessus de l’horizon ux ; soit uytx la moitié du cercle que parcourt la lune par son mouvement diurne, et acgb la moitié correspondante de la courbe qui termine l’atmosphère[83] : les différentes couches dont celle-ci est composée réfléchissent de préférence les rayons bleus de la lumière du soleil, et ces rayons, renvoyés vers nos, yeux, nous font voir l’atmosphère de cette même couleur. La surface acgb, qui est comme la limite jusqu’où s’étendent toutes ces réflexions, devient ainsi à nos yeux comme une voûte à laquelle tous les astres nous semblent attachés. Supposons un observateur placé au point o, et menons par ce même point un plan poi parallèle à ux. Le spectateur, pour qui la courbure de la terre est insensible, sera dans le même cas que si ce plan existoit réellement, et ainsi la voûte céleste se réduira dans son jugement à l’arc dcge, qui repose sur le même plan ; d’où il suit qu’il verra les points extrêmes d, e de cette voûte, beaucoup plus éloignés que le point culminant l.

D’une autre part, les objets qui sont interposés entre nous et la lune, lorsque cet astre est à l’horizon, contribuent encore à augmenter la distance apparente des points d, e, par rapport au spectateur (765), et à diminuer la courbure qu’il attribuoit à la voûte du ciel.

Supposons que flh soit une coupe de cette voûte, telle que nous nous la représentons par l’effet des deux causes dont on vient de parler. Les arcs pu, ix étant censés infiniment petits, à cause du grand éloignement où se trouve la lune à notre égard, le moment où son centre parvient en n peut être regardé, sans erreur sensible, comme celui de son lever. Le spectateur alors la voit sous l’angle por, et la rapporte en L à la distance of. Lorsqu’ensuite la lune est arrivée en z, c’est-à-dire, au méridien, le spectateur la voit encore sous le même angle p′or′, mais il la rapporte en l, c’est-à dire, à un point situé beaucoup plus près de lui ; ainsi, quoique l’image de la lune occupe toujours le même espace dans l’œil du spectateur, comme cet astre lui paroît à une plus petite distance, il le juge aussi plus petit, à peu près dans le rapport de la ligne ol à la ligne of ; car alors les deux produits qui résultent de l’impression de la grandeur combinée avec celle de la distance (762) ayant une quantité commune, qui est la première impression, sont en quelque sorte proportionnels à la seconde ; et ainsi nous nous formons une idée des grandeurs réelles, d’après le rapport entre les distances apparentes.

Mallebranche, à qui l’on est redevable, au moins en grande partie, de cette explication, l’a vérifiée à l’aide d’une expérience simple et facile à faire ; elle consiste à regarder la lune, lorsqu’elle est à l’horizon, à travers un verre enfumé. Dans ce cas, on ne la voit pas plus grande que quand elle est au méridien, pourvu que le verre soit si près de l’œil, qu’il éclipse entièrement tous les autres objets, et ne nous laisse aucun moyen d’estimer les distances[84].

775. Nous passerons maintenant aux illusions d’optique qui ont leur source dans le mouvement. Concevons d’abord un objet immobile, et un spectateur qui se meuve, par exemple, de gauche à droite, mais d’une manière insensible pour lui-même ; l’objet, dans ce cas, se trouvant situé toujours plus à gauche par rapport au spectateur, l’œil de celui-ci recevra la même impression que si, étant immobile, il avoit vu faire à l’objet un mouvement de droite à gauche ; en général, lorsque nous faisons des mouvemens sans nous en apercevoir, nous les rapportons en sens contraire aux objets qui nous environnent. Ainsi, lorsque nous sommes tranquilles sur un bateau qui se meut, nous voyons les arbres, les édifices et les autres objets venir à nous, passer devant nous ou s’éloigner, suivant que le bateau est emporté par des mouvemens opposés : c’est ce qu’un poëte célèbre a exprimé d’une manière pittoresque, lorsqu’il fait dire au navigateur qui sort de la rade, que les terres et les villes s’éloignent de ses yeux[85].

776. Supposons que le spectateur se croyant toujours en repos, fasse un mouvement représenté par AB (fig. 115, Pl. XVIII), tandis qu’un objet situé à une certaine distance parcourt ab. Dans cette hypothèse, Af sera le rayon visuel sur la direction duquel le spectateur verra l’objet au commencement du mouvement, et Bd celui sur la direction duquel il le verra à la fin du mouvement. Donc si telles sont les positions relatives et les longueurs des lignes AB, ab, que les deux rayons visuels se croisent en quelque point c, l’objet paroîtra au spectateur avoir fait un mouvement de gauche à droite, ou de f vers d, c’est-à-dire, en sens contraire du mouvement réel qui a eu lieu suivant ab.

Pour rendre cette explication plus sensible, nous pouvons supposer qu’au premier instant du mouvement le spectateur regardoit l’objet situé en a, à l’aide d’une lunette dirigée suivant Aa ; il laisse ensuite cette lunette dans la même position pendant tout le temps du mouvement, en sorte que quand l’objet est arrivé en b, la lunette est dirigée suivant Bn parallèle à la ligne Aa. Pour voir alors de nouveau l’objet, le spectateur est obligé de mettre la lunette dans la position Bb, c’est-à-dire, de la faire tourner de gauche à droite, ce qui lui fait juger que l’objet s’est mu dans le même sens.

777. Concevons maintenant que le spectateur parcourre AB (fig. 116) tandis que l’objet fait le mouvement ab situé en sens contraire de AB. Si le spectateur étoit immobile, les rayons visuels relatifs aux deux termes extrêmes du mouvement de l’objet seroient Aaf et Abr, en sorte que le spectateur jugeroit de la grandeur de ce mouvement par l’ouverture de l’angle bAa ; mais parce que lui-même a parcouru AB, les deux rayons visuels seront Af et Bd, et l’angle d’après lequel le spectateur estimera la grandeur du mouvement sera dcf, ou son égal AcB, plus grand que l’angle bAc qui auroit lieu dans le cas où le spectateur seroit immobile, puisqu’il est égal à la somme des angles bAc+Abc. Donc le spectateur jugera le mouvement de l’objet plus rapide qu’il ne l’a été en effet, parce qu’en lui rapportant son propre mouvement le long de AB, suivant une direction BA qui est dans le même sens que celle du mouvement de l’objet, il lui attribue une accélération de vitesse qui lui est étrangère. Dans l’hypothèse où le spectateur employeroit encore ici une lunette pour regarder l’objet, cette lunette, d’abord dirigée suivant Af, ayant à la fin du mouvement une position suivant Bn parallèle à Af, se détourneroit en décrivant l’angle nBd beaucoup plus grand que l’angle fAr, qui auroit eu lieu si le spectateur fût resté immobile.

778. Supposons enfin, que le mouvement AB (fig. 117) du spectateur et le mouvement ab de l’objet aient lieu dans un même sens, et que les directions des deux lignes suivant lesquelles ils se font soient tellement combinées avec les temps employés à parcourir ces lignes, que les rayons visuels Aa, Bb relatifs aux deux termes extrêmes du mouvement, et tous les autres rayons qui se rapportent aux points intermédiaires, soient sans cesse parallèles entre eux : alors l’objet paroîtra immobile au spectateur, qui s’imagine être lui-même en repos, et l’on conçoit aisément qu’il verroit constamment cet objet au bout d’une lunette qui resteroit dans la même position.

L’hypothèse d’un spectateur qui ayant un mouvement insensible pour lui-même, le rapporte en sens contraire à des objets immobiles, a servi à expliquer le mouvement diurne apparent du soleil, en conséquence du mouvement réel qui fait tourner la terre autour de son axe ; on peut déduire aussi du même principe l’explication du mouvement annuel que le soleil nous paroît avoir dans l’écliptique. Les autres hypothèses, relatives aux mouvemens simultanés du spectateur et d’un objet qu’il a sous les yeux, ont fourni la véritable cause des dérangemens apparens que présentent les mouvemens périodiques des planètes, suivant que l’on croit voir ces astres ou rétrograder dans leurs orbites, ou accélérer leur vîtesse, ou enfin rester stationnaires pendant un certain temps.

779. Lorsque nous courons en regardant un objet situé à une très-grande distance, et qui est sans mouvement, ou n’en a qu’un imperceptible pour nous, il nous semble que cet objet court avec nous et du même côté ; c’est ce qui arrive, par exemple, lorsqu’en courant nous portons nos yeux vers la lune. Le rayon visuel, toujours dirigé vers cet astre, fait alors des angles si petits avec lui-même, à mesure qu’il change de position, à cause de l’immensité de la distance, que ses directions sont sensiblement parallèles entre elles, en sorte que la lune nous paroît se mouvoir sur l’extrémité de ce rayon ; et comme nous avons le sentiment du mouvement que fait l’œil, d’où part le même rayon, nous en attribuons un semblable à la lune.

Nous avons dit (626) que le mouvement progressif de la lumière, combiné avec celui de la terre dans son orbite, avoit fourni l’explication du phénomène appelé aberration des étoiles. Cette explication, qui ramène à une simple illusion d’optique le phénomène dont il s’agit, trouve ici naturellement sa place.

780. On avoit remarqué dans les étoiles fixes de petits mouvemens que quelques astronomes avoient été tentés de regarder comme une apparence uniquement produite par le mouvement de la terre dans son orbite. Choisissons le caa le plus simple, qui est celui où l’étoile que nous prenons pour exemple seroit située au pôle de l’écliptique, et supposons que la conjecture des astronomes dont nous venons de parler eût eu quelque fondement. Dans cette hypothèse, où l’observateur rapportera à l’étoile son propre mouvement insensible pour lui-même, il est clair que ses différens rayons visuels, dirigés constamment vers l’étoile, formeront un cône, dont la base sera l’écliptique, et dont le sommet coïncidera avec l’étoile. Les mêmes rayons prolongés formeront au-dessus de l’étoile un second cône opposé au premier par son sommet, et l’observateur rapportant continuellement l’étoile sur la direction de leurs prolongemens, croira voir cette étoile décrire dans le ciel un petit cercle, de manière que l’étoile lui paroîtra toujours dans le point de ce cercle diamétralement opposé au point de l’écliptique qu’il occupera lui-même.

Mais les étoiles fixes sont à une si grande distance de la terre, que l’angle formé par deux rayons visuels, qui, en partant des deux extrémités du diamètre de l’écliptique, iroient passer par un de ces astres, et que l’on appelle angle de la parallaxe annuelle, est d’une petitesse qui le rend inappréciable, en sorte que cette cause ne peut occasionner dans l’étoile aucune apparence sensible de mouvement : aussi le phénomène donné par les observations est-il tout différent ; car l’étoile, au lieu de paroître dans la partie de son cercle annuel opposée à celle de l’écliptique dans laquelle se trouve l’observateur, est à 90d en deçà, de manière que l’étoile retarde toujours de ce même nombre de degrés par rapport au mouvement qu’elle auroit en vertu de la parallaxe. De plus, l’angle formé par le rayon visuel dirigé vers l’étoile, avec la ligne qui passe par le centre du cercle où est la véritable position de l’étoile, est de 20″, d’où il suit que le diamètre du cercle qu’elle paroît décrire dans le cours d’une année est de 40″.

781. Bradley, qui avoit observé avec beaucoup d’assiduité toutes les circonstances de ce mouvement apparent des étoiles fixes, découvrit enfin la véritable explication du phénomène, et l’idée qui la lui suggéra fut un de ces traits de génie qui font époque dans l’histoire des Sciences. Mais avant d’exposer cette explication, il faut établir le principe qui lui sert de base.

Supposons qu’un rayon de lumière en partant du point radieux a (fig. 118) vienne frapper un œil situé en m suivant une direction am, et avec une vîtesse représentée par cette ligne ; supposons de plus qu’au moment où l’œil est frappé par ce rayon il se meuve lui-même suivant une direction mf, et représentons par mn l’espace qu’il parcourt dans chaque instant égal à celui que le rayon emploie à parcourir am. L’œil recevant en m le rayon am, le frappera lui-même avec l’intensité de sa propre vîtesse mesurée par mn, et le spectateur s’imaginera recevoir l’impression d’un mouvement qui lui seroit imprimé dans la direction opposée nm, avec une vîtesse représentée par cette ligne ; et l’on concevra, avec un peu d’attention, que cette impression apparente auroit encore lieu dans l’hypothèse où le rayon seroit immobile dans l’espace. Mais, d’une autre part, l’œil reçoit réellement l’impression du mouvement qu’avoit le rayon dans la direction am ; d’où il suit que si l’on termine le parallélogramme mnda, les deux impressions se composeront de manière que l’œil sera dans le même cas que si le rayon de lumière étoit venu le frapper dans la direction de la diagonale dm. Concluons de là que l’œil verra le point radieux a sur cette même direction.

Il résulte de ce qui vient d’être dit, que si la vîtesse de nos mouvemens ordinaires avoit, avec celle de la lumière, un rapport appréciable, nous ne pourrions aller et venir sans rapporter les objets environnans hors de leurs véritables positions. Mais comme, dans ce cas, la vîtesse de la lumière est censée infinie relativement à la nôtre, l’angle amd étant infiniment petit, la diagonale md coïncide avec la direction réelle am de la lumière, et il n’en résulte aucun déplacement apparent de la part des objets.

Il en est tout autrement du mouvement rapide par lequel la terre nous entraîne en parcourant son orbite annuelle, lorsque ce mouvement se combine avec celui de la lumière qui nous vient des étoiles. L’effet du double mouvement dont il s’agit est de nous faire voir les astres où ils ne sont pas, et de produire ces apparences si heureusement expliquées par Bradley.

782. Soit a (fig. 119) le lieu vrai d’une étoile fixe que nous supposons toujours située au pôle de l’écliptique ; soit tnzm la circonférence de ce cercle, et n le lieu du spectateur. Tandis que l’œil de celui-ci est frappé par un rayon an parti de l’étoile, il le frappe lui-même, de manière qu’à l’égard du spectateur l’impression se transforme en celle qu’il recevroit, si son œil étoit frappé dans la direction rn, qui coïncide avec la tangente au point n. Concevons que an et nr soient entre elles dans le même rapport que celui qui existe entre la vîtesse de la lumière et la vîtesse de la terre dans son orbite, et complétons le parallélogramme anrc. D’après ce que nous avons dit il n’y a qu’un instant, l’œil rapportera l’étoile sur la direction de la diagonale nc. Or, la vîtesse de la lumière est à celle de la terre dans son orbite comme 10 313 à l’unité ; et si l’on calcule d’après ces données la valeur de l’angle anc, on la trouvera de 20″, conformément à l’observation.

Maintenant si le mouvement de l’étoile pouvoit être l’effet de la parallaxe, le spectateur placé en n rapporteroit l’étoile sur la direction de la ligne na, d’où il suit qu’il verroit l’étoile dans la partie qui répond à d sur le diamètre correspondant du petit cercle annuel que l’étoile paroîtroit décrire dans le ciel ; mais il la voit, au contraire, à l’extrémité e du diamètre qui coupe le précédent à angle droit. Le même effet se répétera pendant tout le mouvement du spectateur dans l’écliptique ; et ainsi l’étoile en parcourant son cercle d’aberration gcdb est toujours, comme nous l’avons dit, en arrière de 90d, relativement à la position qu’elle auroit, si la parallaxe annuelle étoit la cause de ses déviations apparentes.

Nous avons ramené le phénomène au cas le plus simple, qui est celui où l’étoile étant située au pôle de l’écliptique, tous les rayons qu’elle envoie au spectateur sont perpendiculaires sur la route de l’œil, en sorte que l’étoile paroît décrire un cercle, parce que la différence entre les deux diamètres de l’ellipse qui représente l’orbite de la terre, peut être négligée dans le cas présent : alors, la quantité de l’aberration est constamment de 20″. Les mouvemens apparens des autres étoiles qui ont des positions différentes, produisent des ellipses plus ou moins allongées, dans chacune desquelles la quantité de l’aberration augmente et diminue alternativement, à mesure que l’étoile s’approche des extrémités du grand axe ou du petit axe de son ellipse.

L’explication que Bradley a donnée du phénomène dont il s’agit ici, en même temps qu’elle confirme la découverte du mouvement progressif de la lumière, ajoute aux preuves que l’on avoit déjà du mouvement de la terre autour du soleil, et c’est ainsi que les vérités empruntent une nouvelle force des résultats qui nous les montrent enchaînées l’une à l’autre.

5. De la Vision aidée par l’Art.

783. Nous avons remarqué, en parlant des sons, la finesse de tact de l’oreille, pour les démêler les uns des autres, lorsqu’ils sont comme fondus ensemble dans une même harmonie. Rien ne paroissoit plus admirable que cette espèce de discernement de l’oreille ; mais nous n’avions pas encore parlé de l’œil. Représentons-nous cet organe en présence d’une scène vaste et parsemée d’objets de toutes les grandeurs, de toutes les formes, de toutes les teintes ; cette scène se transporte toute entière, dans un instant indivisible, au fond de l’œil sur un espace incomparablement plus petit qu’un seul des objets qu’elle embrasse, et les rayons qui, pour remplir ce message, viennent de tous les objets, disons mieux, de tous les points de chaque objet, passent en foule et comme pêle-mêle, par l’ouverture beaucoup plus petite encore de la prunelle, sans que leur harmonie en soit altérée : l’œil, à son tour, sans aucune confusion, saisit, dans cet ensemble immense, tous les détails dont chacun forme seul un ensemble : il les isole ou les groupe à son gré ; et tandis que l’oreille, frappée en même temps par un trop grand nombre de voix, n’entend plus que du bruit, l’œil, au milieu de tous ces langages divers que tant d’objets semblent lui parler, distingue ce que chacun d’eux veut lui dire, et le contraste même que forment les mouvemens des uns avec l’immobilité des autres, ne trouble point cette espèce de commerce. Change-t-il lui-même de position ? Se tourne-t-il d’un autre côté ? Nouvelle scène, nouveau concours d’impressions variées, toujours également nettes et distinctes ; tout a changé pour lui, mais il est encore le même.

Tel est l’organe de la vue, lorsque seul, et sans aucun secours étranger, il exerce ses facultés naturelles. Il nous reste à exposer ce qu’ont fait les arts pour étendre encore sa puissance, et lui procurer de nouvelles manières de voir.

Des Effets de la Lumière régulièrement
réfléchie, relativement à la Vision.

Nous avons expliqué (725 et suiv. ) de quelle manière les rayons de la lumière, réfléchis par les surfaces plus ou moins raboteuses des objets ordinaires, nous en font apercevoir les formes et les couleurs. Mais lorsque la réflexion se fait régulièrement à la surface des corps polis, auxquels on a donné le nom de miroirs, les rayons renvoyés par ces surfaces se dirigent vers nos yeux, comme s’ils partoient des différens points d’un objet imaginaire, qui se présente à cet organe avec tous les caractères de la réalité. Nous allons examiner successivement les propriétés dont jouissent les miroirs plans, les miroirs concaves et les miroirs convexes.

Du Miroir Plan.

784. Si nous supposons un point radieux situé vis-à vis d’un miroir plan, il est d’abord évident que ce point envoie de toutes parts des rayons divergens sur la surface de ce miroir. Tous ces rayons sont repoussés de manière qu’ils font leur angle de réflexion égal à l’angle d’incidence. Concevons maintenant un œil situé en présence du même miroir : parmi les rayons réfléchis suivant une infinité de directions différentes, il y en aura un certain nombre qui se dirigeront vers le trou de la prunelle par lequel ils passeront, et l’on pourra considérer leur ensemble comme un cône tronqué, dont la plus grande base seroit égale au cercle de la prunelle, et dont la plus petite base reposeroit sur la surface du miroir. Or, cette dernière base est commune au cône dont il s’agit, et à un autre cône composé de rayons envoyés par le point radieux ; mais la réflexion n’a fait autre chose que plier les rayons, elle n’en a point dérangé les positions respectives ; d’où il suit qu’ils arrivent à l’œil précisément dans le même ordre et avec le même degré de divergence que s’ils venoient immédiatement d’un point imaginaire situé à l’endroit où concourroient les rayons qui forment le cône tronqué, s’ils étoient prolongés derrière le miroir. L’œil sera donc affecté comme si ces prolongemens étoient réels ; car l’impression qu’il reçoit dépend uniquement de la direction du mouvement qu’ont les rayons à l’instant où ils arrivent ; tout le reste se passe comme à son insçu ; et parce qu’il a l’habitude de rapporter les objets à quelque point de la ligne droite suivant laquelle les rayons viennent le frapper, il verra au sommet imaginaire du cône qui est entré par la prunelle, une image du point radieux, qui produira en lui la même illusion que si ce point avoit été transporté tout à coup derrière le miroir.

De plus, il est facile de concevoir que l’image sera placée au delà du miroir, à la même distance où l’objet se trouve en deçà, puisque le cône imaginaire qui aboutit à cette image est égal et semblable au cône réel qui part de l’objet, et qu’il fait le même angle avec la surface du miroir.

On saisira encore mieux cette explication à l’aide de la fig. 120, où AB représente une ligne prise sur la surface d’un miroir plan, R le point radieux, sRt le cône de rayons qui, après avoir été réfléchi en st, se dirige vers l’œil situé en O, et lui fait voir l’image du point radieux à l’endroit r du concours imaginaire des rayons ms, nt, et de tous les rayons intermédiaires.

785. Au lieu d’un simple point radieux, plaçons devant le miroir un objet étendu dans les trois dimensions ; les résultats de la lumière réfléchie seront encore les mêmes que ceux de la lumière directe, c’est-à-dire, que l’œil verra derrière le miroir une image égale et semblable à l’objet, et tellement située, que tous les points qui se correspondront sur l’un et l’autre seront aux mêmes distances au delà et en deçà du miroir.

786. On jugera aisément que tous les gestes que fait un homme devant un miroir, sont répétés en sens contraire par son image ; et de là vient que quand nous voulons exécuter, à l’aide du miroir, des mouvemens qui exigent que nous nous voyions nous-mêmes, nous avons besoin d’un certain exercice pour éviter de nous laisser séduire par cette imitation trompeuse.

787. Nous ne pouvons voir dans un miroir qu’une partie de nous-mêmes, dont la hauteur soit double de celle du miroir : car la hauteur de l’image représente la base d’un triangle, dont les côtés sont ceux de l’angle visuel qui sous-tend cette hauteur ; et, dans le même cas, la hauteur du miroir représente une ligne qui coupe le triangle parallélement à sa base. Or, cette ligne divise chaque rayon visuel en deux parties égales, puisque le miroir est également éloigné de l’image et de l’œil ; d’où il suit que la ligne dont ils’agit est égale à la moitié de la base du triangle. Donc la hauteur du miroir est aussi la moitié de celle de l’image, et en même temps de la partie de notre corps, laquelle est représentée de grandeur naturelle par cette image.

788. Étant données la distance de l’œil au miroir, et les hauteurs du miroir et de l’objet, on peut facilement déterminer à quelle distance du miroir il faudroit placer l’objet pour l’y voir tout entier dans une position parallèle à celle du miroir ; car supposant la chose faite, et employant la même construction que ci-dessus (787), on concevra que le miroir intercepte, sur le triangle dont la base est la hauteur de l’image et dont les côtés sont ceux de l’angle visuel, un triangle plus petit, qui, ayant pour base la hauteur même du miroir, est semblable au grand triangle. On aura donc cette analogie : la base du petit triangle, ou la hauteur du miroir, est à la base du grand triangle, ou à la hauteur soit de l’image soit de l’objet, comme la hauteur du petit triangle, ou la distance de l’œil au miroir, est à la hauteur du grand triangle, ou à la distance de l’œil à l’image. Les trois premiers termes de la proportion étant connus, on trouvera facilement le quatrième, qui est égal à la distance de l’œil au miroir, plus à celle du miroir à l’image ; d’où il suit qu’en retranchant du quatrième terme la distance de l’œil au miroir, qui est donnée, on aura la distance du miroir à l’image, la même que celle de l’objet au miroir. Par exemple, si la hauteur du miroir est de 1mt.,6, et celle de l’objet de 2mt.,4 et si la distance entre l’œil et le miroir est de 4 mètres, on trouvera 6 mètres pour la distance de l’œil à l’image, d’où ayant retranché 4 mètres, qui donnent la distance de l’œil au miroir, on aura 2 mètres pour la distance à laquelle il faudroit placer l’objet, à l’égard du miroir, pour l’y voir tout entier.

789. Quand l’objet se meut devant le miroir, en s’avançant ou en reculant, l’image fait autant de chemin que lui derrière le miroir ; mais si c’est le miroir même qui s’approche ou s’éloigne de l’objet, l’image fera une fois plus de chemin que lui. Supposons, par exemple, que le miroir recule d’un mètre devant l’objet ; si l’image ne reculoit que d’une égale quantité, sa distance à l’égard du miroir se trouveroit encore la même, et ainsi elle seroit moindre d’un mètre que celle de l’objet au miroir. Il faut donc que l’image parcourre deux mètres, pour qu’il y ait toujours de part et d’autre égalité de distance.

790. Il résulte de ce qui vient d’être dit, que si l’objet est dans une position verticale et que le miroir s’incline de 45d à l’horizon, la position de l’image deviendra horizontale, puisqu’il faudra que chaque point de la hauteur de cette image, qui étoit d’abord située verticalement, ait décrit un arc de 90d, ce qui ne peut avoir lieu sans que la même image ne paroisse parallèle à l’horizon.

791. On voit par là pourquoi les mouvemens des images qui se peignent dans l’eau, sont beaucoup plus sensibles que les agitations du liquide. Ces sortes d’images sont d’ailleurs toujours foibles et comme simplement ébauchées, parce qu’elles ne sont produites que par la réflexion des rayons qui échappent à la puissance réfractive de l’eau (647). Cette réflexion partielle a également lieu pour les miroirs de glace ; et de là vient que ces miroirs donnent deux images de chaque objet, dont l’une est produite par les rayons qui se réfléchissent sur la surface antérieure de la glace, et l’autre par les rayons qui, après avoir pénétré l’épaisseur de la glace, se réfléchissent au contact de la surface postérieure et de l’amalgame métallique dont elle est enduite. Cette dernière image est beaucoup plus vive que l’autre, en sorte qu’elle attire seule l’attention, dans les cas ordinaires. Mais si l’on présente la tête d’une épingle à une petite distance de la glace, et que l’on donne au rayon visuel un certain degré d’obliquité, on apercevra très-sensiblement l’image réfléchie par la surface antérieure de la glace, et il y aura même telle inclinaison où elle sera vue plus distinctement que celle qui provient de la surface postérieure.

792. Si l’on se sert, dans cette expérience, d’une bougie allumée, et que l’on tienne toujours l’œil très-incliné, alors au lieu de deux images de la flamme, on en verra cinq ou six placées à peu près sur une même ligne les unes derrière les autres, et qui paroîtront toujours plus foibles à mesure qu’elles seront plus reculées derrière le miroir. Pour expliquer cet effet, supposons que AB (fig. 121, Pl. XIX) représente la coupe du miroir, que r soit un des points radieux qui composent la flamme de la bougie, et qu’il y ait un œil situé en o. Du point r il part un faisceau de rayons qui se dirige suivant re, et dont une partie em, qui est dans un accès de facile transmission (724), pénètre la glace, tandis qu’une autre partie qui se trouve dans un accès de facile réflexion (ibid.), étant repoussée suivant eh, est perdue pour l’œil. La partie em, après s’être réfléchie au contact de la glace et de l’amalgame, arrive au point n, et si les deux surfaces du miroir étoient parfaitement parallèles, cette partie se trouveroit toute entière dans un accès de facile transmission (735) ; mais comme on ne peut pas supposer que le parallélisme soit rigoureux dans tous les points correspondans des deux surfaces du miroir, il suffit qu’il y ait, dans le petit espace situé autour de u et sur lequel tombe le faisceau de rayons mu, quelques points qui donnent une unité d’intervalle de plus ou de moins, pour qu’une partie des mêmes rayons soit réfléchie de nouveau suivant uy, tandis que l’autre, après s’être réfractée dans l’air, se dirigera suivant uo, et fera voir à l’œil une image du point radieux, située sur la direction ou. Un second faisceau rx se soudivise de même, au point x, en deux parties, dont l’une xz pénètre la glace, et l’autre xo, qui est réfléchie à la surface antérieure, va rencontrer l’œil, et lui fait voir une seconde image du point radieux, située sur la direction ox, et qui est plus foible que la première, lorsque les rayons qui en portent à l’œil l’impression font avec la surface du miroir un angle un peu considérable, parce que dans ce cas le nombre de ceux qui subissent la réfraction est beaucoup plus grand que le nombre de ceux qui échappent à son action. Les deux images que l’on aperçoit, lorsque l’on place une épingle à une petite distance de la glace, sont analogues à celles dont nous venons de parler ; mais un troisième faisceau suit la route ragltno, de manière que, chaque fois qu’il rencontre la surface antérieure de la glace, il s’y soudivise de même en deux parties, dont l’une est réfractée et l’autre réfléchie ; et telle est ici sa position, qu’après avoir subi deux réflexions en g et en t, au contact de la glace et de l’amalgame, il arrive à l’œil, et lui fait voir une troisième image située sur la direction on et moins sensible que les deux précédentes.

En considérant attentivement la figure, on se fera une idée des réfractions et des réflexions partielles qui ont lieu aux différens points d’immersion des rayons partis du point radieux. On conçoit qu’il doit y avoir d’autres faisceaux qui après avoir subi, dans l’intérieur de la glace, trois réflexions, quatre réflexions, etc., iront peindre au fond de l’œil de nouvelles images du point radieux, mais qui s’affoibliront de plus en plus, à mesure que les réflexions et réfractions qui ne concourent pas à l’effet, auront dérobé successivement aux différens faisceaux une plus grande partie des rayons dont ils étoient primitivement composés. Or, comme à mesure que les rayons ont plus de détours à faire entre les deux surfaces de la glace, il est nécessaire que leur incidence ait lieu sur des points e, a, etc., situés toujours plus en arrière, à l’égard de l’œil, et que leur émergence se fasse par des points u, n, situés toujours plus en avant, leur inclinaison sur la glace diminuera à proportion, et chaque faisceau partiel de rayons émergens fera voir l’image qui lui appartient à une plus grande distance derrière la glace, que l’image précédente.

793. Les jugemens que nous portons sur les grandeurs et les distances des images que nous offre un miroir plan, sont les mêmes que si les objets n’avoient fait que changer de position, et se transporter aux endroits où concourent les rayons repoussés vers l’œil par la surface réfléchissante ; et comme la vision dans les miroirs n’a qu’un champ d’une médiocre étendue, l’image d’un objet, à mesure qu’elle s’éloigne par une suite des mouvemens que fait l’objet lui-même, conserve sa grandeur dans nos idées, parce que nous tenons compte en même temps de l’augmentation de distance.

Du Miroir Concave.

794. Le miroir concave, qui va nous occuper maintenant, produit des effets très-particuliers, dont quelques-uns semblent tenir du prestige. Sous un certain point de vue, l’image paroît droite et située derrière le miroir, mais très-amplifiée, et en même temps plus éloignée que ne l’est l’objet en avant. Vient-on à éloigner par degrés cet objet du miroir ? l’image disparoît d’abord, ou ne présente plus qu’un assemblage confus de lumière et de couleurs ; mais tout à coup, à une plus grande distance, l’image reprenant sa forme, se renverse, et sort du miroir en allant vers le spectateur ; et suivant les mouvemens que fait l’objet, elle le touche ou se place à côté de lui ; on diroit que l’objet lui-même a doublé son existence.

795. Pour expliquer ces différens effets, concevons que bnm (fig. 122) représente une portion de la circonférence d’un des grands cercles d’un miroir concave sphérique, et que R soit un point radieux situé dans le plan de ce cercle, et pris au-dessus du centre c : tous les rayons incidens Rd, Rh, Rf, etc., qu’il faut supposer infiniment rapprochés, se réfléchiront du côté de l’axe Rn, de manière que les rayons réfléchis s’entrecouperont, savoir dr et ht au point r, ht et fg au point t, fg et og au point g situé sur l’axe. Or, à mesure que les rayons incidens sont plus près de l’axe, les angles d’incidence de deux rayons voisins diffèrent moins entre eux, parce que les petits arcs qui avoisinent l’axe, tels que no, of, varient très-peu dans leurs inclinaisons par rapport à l’axe ; d’où il suit que les rayons incidens qui répondent à ces petits arcs, font avec eux des angles à peu près égaux, tandis qu’à une certaine distance, telle que d, les inclinaisons des petits arcs éprouvant des variations très-sensibles, à cause que la courbe se relève rapidement en cet endroit, les angles d’incidence doivent varier eux-mêmes dans un grand rapport. Donc aussi les rayons réfléchis par les arcs voisins de l’axe feront entre eux des angles qui varieront très-lentement, et par conséquent il y aura toujours un certain nombre de ces rayons qui se couperont dans un très-petit espace situé vers g, sur l’axe de la courbe. Cet espace, que l’on considère comme un point, est ce qu’on appelle le foyer des rayons partis de R. On voit ici une nouvelle application du principe, que les quantités qui approchent de leur limite varient par de très-petites différences (675), en sorte qu’il y a toujours un certain espace où l’on peut les supposer à peu près constantes, et où leurs actions se condensent en quelque sorte. Dans le cas présent, la limite est l’incidence qui a lieu dans la direction de l’axe cn.

796. Si l’on conçoit une courbe ayg, à l’égard de laquelle les rayons réfléchis soient autant de tangentes, cette courbe se nomme caustique par réflexion, et il est évident qu’il s’en formera de l’autre côté de l’axe une seconde gs semblable à la première, et qui la coupera au foyer g.

797. Si le point radieux R s’écarte du point n, les caustiques se rapprocheront de la circonférence bnm ; car alors les angles d’incidence, et par une suite nécessaire les angles de réflexion, se trouvant diminués, chaque rayon réfléchi, tel que hr, se rejettera davantage du côté de l’arc hn, et par conséquent tous ces rayons s’entrecouperont dans des points moins éloignés de la circonférence bnm.

798. Supposons que le point radieux soit à une distance infinie de n ; dans ce cas, le foyer g se trouvera précisément au milieu du rayon cn. Ce point est ce qu’on appelle le foyer des rayons parallèles, parce qu’à une distance infinie, les rayons incidens qui avoisinent l’axe deviennent sensiblement parallèles.

Au contraire, à mesure que le point radieux s’approchera du centre, les caustiques s’écarteront de la circonférence bnm ; et lorsque le point radieux sera parvenu au centre, alors tous les rayons incidens se réfléchissant sur eux-mêmes, les caustiques se réduiront à un point unique qui se confondra avec le centre c.

Si le point radieux descend ensuite au-dessous du centre, les caustiques s’élèveront au-dessus, de manière qu’elles formeront toujours des angles plus petits avec l’axe, aux endroits où elles s’entrecouperont ; et lorsque le point radieux sera arrivé au milieu du rayon cn, les rayons réfléchis les plus voisins de l’axe devenant parallèles (636), les caustiques se sépareront et s’étendront à l’infini par leurs parties supérieures.

Le point radieux continuant de descendre, les rayons réfléchis se trouveront dans deux cas différens ; car d’une part, les angles d’incidence des rayons ro, ri, etc. (fig. 123), jusqu’à un certain terme, se faisant sur des arcs peu inclinés à l’axe, les rayons réfléchis analogues , , au lieu de s’entrecouper, divergeront entre eux[86] ; d’où il suit que si on les prolonge en dessous de l’arc bnm, ce seront leurs prolongemens qui se couperont, en formant une nouvelle caustique aux endroits p, z, etc. D’une autre part, les angles d’incidence des rayons suivans rk, rx, etc., ayant lieu sur des arcs qui se relèvent rapidement, les rayons réfléchis correspondans se rejetteront les uns vers les autres, et s’entrecouperont de manière à former la caustique μωφ plus ou moins éloignée de celle qui lui correspond de l’autre côté de l’axe, au lieu que les caustiques produites en dessous de l’arc bnm auront en p un point d’intersection.

799. La caustique μωφ descendra vers l’arc bnm, à mesure que le point r se rapprochera lui-même de cet arc ; car alors les angles d’incidence des rayons rk, rx, etc., devenant toujours plus petits, les rayons réfléchis , , feront eux-mêmes avec l’arc km des angles qui iront toujours en diminuant, et par conséquent ils s’inclineront de plus en plus vers le bas, et leurs intersections se feront plus près de l’arc bnm. Ce que nous disons ici de cet arc peut également s’appliquer à tout autre qui feroit partie de la surface concave du miroir. Voici maintenant les conséquences qui résultent de toutes ces différentes propositions, relativement à la vision qui se fait à l’aide des miroirs concaves.

800. Supposons d’abord que l’objet soit le point radieux R (fig. 122), situé au-dessus du centre Dans toutes les positions où l’œil pourra voir l’image, il la rapportera à quelque point de l’une des caustiques ag et gs : par exemple, s’il est situé de manière que les rayons réfléchis ht, ft (fig. 124), après s’être croisés en t, aient le petit degré de divergence convenable relativement à la position de l’œil en o, cet œil verra l’image en t, c’est-à-dire, entre le miroir et le centre c.

Si le point R (fig. 122) est placé dans ce centre, alors l’image se confondra avec l’objet et sera comme absorbée par lui, de sorte qu’en quelque endroit que l’œil soit situé, il ne pourra apercevoir l’image. Par une raison semblable, si l’œil lui-même occupe le centre, l’image d’un point situé quelque part que ce soit, sera invisible pour lui, et il ne pourra apercevoir que sa propre image, qui sera fort confuse et couvrira toute la surface du miroir.

Dans toutes les positions du point R entre le centre et le foyer des rayons parallèles, l’image paroîtra toujours devant le miroir, mais elle sera au-dessus du centre, puisque alors les caustiques sont elles-mêmes plus élevées que ce centre.

L’image sera très-confuse, lorsque le point R se trouvera précisément au foyer des rayons parallèles, parce que ces rayons seront mêlés avec ceux qui, plus éloignés de l’axe, convergeront vers l’œil, et auront ainsi des positions respectives contraires à celles qu’exige la netteté de la vision.

801. Concevons enfin que le point r (fig. 123) descende au-dessous du foyer des rayons parallèles : alors, suivant les différentes positions de l’œil, l’image paroîtra ou par devant le miroir, ou par derrière, ou bien l’œil la verra en même temps des deux côtés de la surface du miroir ; car si cet organe ne peut recevoir que des rayons réfléchis, tels que , , qui divergent entre eux en partant du miroir, l’image sera vue seulement par derrière au point de concours z de ces rayons prolongés, et parce que les rayons , divergent moins que les rayons incidens ro, ri dont ils proviennent, il est clair que op sera plus grand que or, et iz plus grand que ri ; d’où il suit que l’image paroîtra à une plus grande distance derrière le miroir que celle où est situé l’objet en avant.

Si, au contraire, l’œil n’est à portée que de recevoir des rayons convergens, tels que , , prolongés au delà de leur point de concours ω, en sorte que le diamètre de la prunelle occupe la distance ϑk, l’image paroîtra dans ce même point ω.

Enfin si l’œil est placé vers le point ε, de manière que la prunelle puisse donner en même temps accès à des rayons qui appartiennent aux deux caustiques µωφ et pz, il verra une image du point lumineux par devant le miroir, et une seconde par derrière ; et comme chaque caustique a son analogue de l’autre côté de l’axe, il pourra arriver que le spectateur voie l’image quadruple avec les deux yeux.

802. Au lieu d’un simple point radieux, supposons un objet qui ait quelque étendue, et ne considérons que les rayons qui partent des extrémités de cet objet. Tout ce que nous avons dit du point r pourra s’appliquer à chacune de ces mêmes extrémités, ainsi qu’à tous les points intermédiaires.

Lorsque l’image sera vue derrière le miroir, elle paroîtra amplifiée et toujours droite ; car alors le miroir concave ne diffère du miroir plan qu’en ce qu’il rend plus convergens vers l’œil les deux côtés de l’angle visuel qui sous-tend la grandeur de l’image, ce qui ne change rien à la position de cette image, et en augmente seulement l’étendue. L’image, dans le même cas, paroîtra plus éloignée du miroir par derrière, que ne le sera l’objet en avant, puisqu’alors on pourra raisonner de chaque point de l’objet, comme nous avons fait (800) par rapport à un seul point radieux. Enfin, on conçoit que l’image doit être déformée, puisque ses différens points ne peuvent avoir les mêmes positions respectives que les points correspondans de l’objet, comme cela a lieu quand on se sert d’un miroir plan.

803. Une singularité des phénomènes que nous venons d’exposer, est qu’à mesure que l’objet s’approche du miroir, la distance apparente de l’image derrière le miroir augmente en même temps que la grandeur de cette image, en sorte qu’il arrive la même chose à cette image qu’à un objet dont les dimensions s’accroîtroient, tandis que cet objet s’éloigneroit de nous ; et ainsi, au lieu que, dans la vision ordinaire, nous jugeons toujours l’objet de la même grandeur, lorsqu’il recule devant nous, parce qu’en estimant l’augmentation de distance, nous rectifions l’erreur que la diminution de l’image au fond de l’œil pourroit occasionner dans le jugement que nous portons sur la grandeur réelle, ici, au contraire, où la distance et la grandeur de l’image croissent en même temps, la grandeur jugée doit aussi s’accroître dans un rapport considérable, puisque, en supposant que la distance apparente restât la même, il suffiroit que l’image augmentât dans ses dimensions, pour nous la faire juger effectivement plus grande.

804. Lorsque l’objet est au-dessus du foyer des rayons parallèles, auquel cas l’image est vue par devant le miroir, cette image est toujours renversée. Pour en concevoir la raison, il suffit de considérer qu’en même temps que le point radieux R (fig. 122) descend vers le miroir, jusqu’au foyer des rayons parallèles, les caustiques s’écartent, au contraire, du miroir. Or, on peut considérer deux points radieux situés l’un au-dessus de l’autre, comme les extrémités antérieure et postérieure d’un même objet. Donc la caustique qui produira l’image de l’extrémité antérieure, ou de celle qui est plus près du miroir, sera à une plus grande distance de ce miroir que la caustique relative à l’extrémité postérieure ; d’où il suit que l’image entière sera elle-même située en sens contraire de l’objet.

Mais pour mieux saisir la raison de ce renversement, supposons que R (fig. 125) étant un point radieux, il y ait un œil situé en o, de manière que Rz soit l’axe du pinceau de rayons incidens, et zo celui du pinceau de rayons réfléchis, à l’aide desquels l’œil voit l’image r du point R sur la caustique ag. Concevons que l’axe Rn fasse un mouvement vers la droite, en tournant sur le centre c, pour prendre la position R′n′, la caustique suivra ce mouvement, sans changer de situation relativement à l’axe, et l’œil verra l’image du point R′ à quelque endroit r′ de cette caustique a′g′ ; c’est-à dire, à l’endroit où elle sera touchée par l’axe z′o du pinceau de rayons réfléchis, provenant de l’incidence suivant R′z′ ; d’où il est aisé de juger que l’image du point radieux a fait un mouvement en sens contraire de celui de ce même point. Donc si l’on suppose que R, R′ soient les deux extrémités d’une flèche, la position de l’image rr′ de cette flèche sera renversée, et l’on conçoit en même temps que ce renversement tient à ce que les axes Rz, R′z′ des pinceaux de rayons incidens se croisent en un point x, avant de rencontrer le miroir, ce qui n’a pas lieu lorsque l’image est vue sans renversement.

Dans le même cas, l’image est plus petite que l’objet, parce que les rayons incidens xz, xz′ étant divergens vers le miroir, ne peuvent, en passant à l’état contraire par l’effet de la réflexion, prendre une convergence égale à cette divergence, en sorte que l’angle ror′, sous lequel l’œil voit l’image, est plus petit que celui sous lequel il verroit l’objet à la même distance.

805. Supposons maintenant l’objet placé au-dessous du foyer des rayons parallèles, et l’œil dans une des positions où il voit l’image par devant le miroir : dans ce cas l’image sera droite ; car nous avons vu qu’alors le mouvement des caustiques se faisoit dans le même sens que celui du point radieux (799), tandis que ce point s’approchoit du miroir. Il en résulte que les parties antérieure et postérieure de l’image auront la même position, relativement au miroir, que les parties correspondantes de l’objet, et ainsi l’image entière sera tournée du même côté que l’objet.

Dans ce même cas, l’image sera plus grande que l’objet, parce que les axes des pinceaux de rayons incidens qui partent des extrémités de l’objet, ne s’étant pas croisés avant d’arriver au miroir, cette circonstance les rend beaucoup plus susceptibles de converger après la réflexion, et augmente dans un rapport très-sensible la grandeur de l’angle sous lequel l’image est aperçue.

Cette image paroît sur le côté du miroir, comme il est facile d’en juger par la position de la caustique µωφ (fig. 123), et des autres qui concourent à la formation de cette image. Au contraire, on peut toujours se placer de manière à apercevoir, dans l’espace qui répond au milieu du miroir, les images des objets situés au-dessus du foyer des rayons parallèles, et ce sont aussi ces dernières images qui produisent l’illusion la plus séduisante. On peut tellement disposer le miroir et l’objet qui sera, par exemple, un bouquet de fleurs, que l’un et l’autre étant masqués par quelque corps étranger, ceux qui entrent dans l’appartement n’aperçoivent que l’autre bouquet produit par la lumière réfléchie, et soient bientôt surpris de sa disparition, lorsqu’en s’avançant vers lui, ils s’écartent de la position sous laquelle il étoit visible pour eux.

806. Les miroirs concaves sont employés dans la construction de plusieurs télescopes, dont nous donnerons une idée dans la suite. On préfère ceux de métal, qui n’offrent jamais qu’une seule image de l’objet, et on les fait communément au moyen de différens alliages, dont le choix et les rapports de quantité sont tels, que la surface du métal mélangé est blanche, et par là même disposée à réfléchir abondamment la lumière. Mais ces miroirs sont sujets à se ternir, et le cèdent beaucoup à ceux que l’on fabrique avec le platine, par le double avantage qu’a ce métal de résister à toutes les causes d’altération, et d’être d’une densité considérable qui en augmente le pouvoir réfléchissant.

Pour que les miroirs métalliques remplissent le but de l’observateur, il faut que leur forme, qui est une portion de sphère, soit travaillée avec une grande précision, et que leur poli soit très-parfait, sans quoi ils rendent les images confuses en absorbant une grande quantité de rayons. La difficulté de réunir ces conditions avoit fait penser à Newton que les miroirs de verre étamés méritoient la préférence lorsqu’ils étoient construits avec soin[87] ; mais le succès n’a pas répondu à l’attente de ce célèbre géomètre, et l’on ne se sert guère aujourd’hui que de miroirs métalliques pour les télescopes et autres instrumens dans lesquels l’effet de la réflexion se combine avec celui de la réfraction.

807. Lorsque les rayons du soleil qui arrivent à nous dans des directions peu différentes du parallélisme, tombent sur la surface d’un miroir concave, de manière que celui qui part du centre de l’astre se confond avec l’axe de ce miroir, la réflexion les fait coïncider à peu près au foyer des rayons parallèles ; là leurs actions concentrées excitent dans les corps qui s’y trouvent exposés une chaleur assez puissante pour enflammer ces corps, les fondre, ou les vitrifier, suivant les différentes natures des mêmes corps. C’est ce qui a fait donner à cette espèce de miroir le nom de miroir ardent.

808. Un corps enflammé, situé en présence d’un miroir concave, envoie aussi vers la surface de ce miroir des rayons qui, après leur réflexion, se réunissent en un foyer commun ; mais, outre qu’ils ont par eux-mêmes beaucoup moins d’énergie que les rayons solaires, il résulte de leur divergence sensible, que ceux qui tombent très-près de l’axe sont beaucoup moins condensés dans un espace donné, ce qui ôte au foyer une grande partie de son activité. On peut déterminer leur incidence à se faire suivant des directions parallèles, en employant deux miroirs, dont le diamètre soit d’environ 49 centimètres (15 pouces), et dont telle soit la courbure, que la distance entre le foyer et la surface réfléchissante se trouve aussi à peu près de 40 centimètres. On élève ces miroirs verticalement, de manière que leurs concavités se regardent, et on peut les éloigner l’un de l’autre de 10 mètres (30 pieds) ou davantage. On place au foyer de l’un un charbon allumé, dont on entretient l’ardeur par un souffle bien égal, dirigé du côté qui est situé vers le miroir. Les rayons qui tombent sur ce miroir devenant parallèles après leur réflexion, rencontrent sous ces mêmes directions la surface de l’autre miroir, où une seconde réflexion les fait concourir au foyer des rayons parallèles, en sorte qu’ils deviennent assez actifs pour allumer un morceau d’amadou, ou des grains de poudre à canon, que l’on présente à ce foyer.

809. Le Père Kirker a imaginé le premier de substituer à un miroir concave plusieurs miroirs plans, tellement disposés, que les rayons du soleil réfléchis sur leurs surfaces convergeassent vers un même point. Il n’employa que cinq de ces miroirs, en les plaçant de manière que le concours des rayons se faisoit à plus de 32mt.,5 (100 pieds) de distance, et il trouva que la chaleur y étoit presque insupportable. « Or, ajoute ce physicien, si cinq miroirs produisent un si grand effet, que ne feront pas cent ou mille miroirs arrangés de la même manière ? la chaleur qu’ils exciteront sera si violente, qu’elle brûlera tout, et réduira tout en cendres[88] ».

Plusieurs physiciens ont entrepris depuis des expériences dirigées vers le même but ; mais l’espèce de miroir polygone, exécuté au Jardin des Plantes, en 1747, d’après l’idée qu’en avoit conçue le célèbre Buffon, efface tout ce que l’on avoit tenté jusqu’alors en ce genre, soit par la grandeur des effets, soit par l’ordonnance ingénieuse de la construction[89]. Ce miroir étoit composé de cent soixante-huit glaces étamées, susceptibles de se mouvoir en tout sens, de manière que l’on étoit le maître de les fixer à différens degrés d’inclinaison ; il en résultoit que l’on pouvoit donner à l’ensemble une forme plus ou moins concave, et porter le foyer à différentes distances. Ce miroir brûloit le bois à 65 mètres (200 pieds), fondoit les métaux à 14mt.,5 (45 pieds), et son auteur étoit persuadé qu’en multipliant les glaces on pourroit produire les mêmes effets à une distance beaucoup plus grande.

810. On lit dans les anciennes histoires, qu’Archimède mit le feu aux vaisseaux des Romains, en se servant de miroirs ardens. Plusieurs physiciens ont traité ce récit de fabuleux, d’après le peu d’apparence que le savant Syracusain eût pu construire des miroirs concaves d’une assez grande étendue, pour que leurs foyers parvinssent à la distance où devoit se trouver la flotte romaine. Mais le fait n’a plus rien d’impossible, si l’on suppose qu’Archimède ait employé les actions combinées de plusieurs miroirs plans, et ce célèbre géomètre avoit donné d’ailleurs des preuves plus que suffisantes, qu’il étoit capable de concevoir une pareille idée.

Du Miroir Convexe.

811. Les effets du miroir convexe sont beaucoup moins variés que ceux du miroir concave ; ils se réduisent à faire voir l’image derrière le miroir, plus petite que l’objet et plus voisine de la surface réfléchissante. C’est l’inverse de ce qui a lieu, lorsque l’image est vue aussi derrière le miroir concave ; mais dans le même cas, les deux miroirs s’accordent à présenter l’image dans une position droite.

Soit bnm (fig. 126) une partie de la circonférence d’un des grands cercles du miroir convexe, et R un point radieux placé dans le plan de ce cercle. Si l’on suppose que les rayons réfléchis qui appartiennent aux rayons incidens Rn, Ro, Rf, etc., se prolongent derrière la surface du miroir, jusqu’à ce que chacun soit coupé par le suivant, les intersections g, r, p, etc., de ces rayons produiront une caustique gs située du même côté de l’axe, et il s’en formera une seconde ga toute semblable du côté opposé, en sorte que les deux caustiques se couperont dans un point g situé sur l’axe.

À mesure que le point radieux s’éloignera ou s’approchera de l’arc bnm, les caustiques elles-mêmes s’en éloigneront ou s’en approcheront par des mouvemens contraires ; et si le point radieux est supposé à une distance infinie, le point g où se coupent les caustiques sera situé au milieu du rayon cn ; d’où il suit que c’est à ce même endroit que se trouve le foyer des rayons parallèles.

812. Si l’observateur a son œil situé dans le plan de l’arc bnm, cet œil verra l’image du point radieux dans quelque point de l’une ou l’autre caustique : par exemple, si telle est la position de l’œil, que les rayons Rf, Rh, après s’être réfléchis suivant les lignes fx, hu, parviennent à la prunelle, l’image sera vue au point de concours p de ces mêmes lignes prolongées derrière le miroir.

813. L’image paroîtra toujours plus près du miroir que l’objet ; car, à cause de la propriété qu’a le miroir convexe d’occasionner en général une tendance des rayons vers la divergence (638), il est évident que les rayons réfléchis divergeront plus entre eux que les rayons incidens, ce qui rapprochera leur point de concours imaginaire de la surface du miroir. On peut tirer la même conséquence de ce que le point g dans lequel se coupent les caustiques, et qui présente l’image du point radieux, lorsque l’œil est placé sur l’axe cR, ne parcourt que la moitié du rayon nc, tandis que le point radieux s’éloigne jusqu’à une distance infinie du miroir.

814. Si nous substituons à un simple point un objet d’une certaine étendue, son image sera vue de même derrière le miroir, à une moindre distance que celle où est placé l’objet par devant : en même temps elle paroîtra droite ; car, supposons que l’axe cR, en restant fixe par son extrémité c, fasse un mouvement qui ait lieu, par exemple, de gauche à droite, en entraînant avec lui le point radieux R ; il est évident que le mouvement de la caustique gs se fera dans le même sens ; donc si l’on suppose un objet dont les deux extrémités correspondent, l’une au point R, tel qu’on le voit sur la figure, l’autre à l’endroit ou le même point a été transporté par le mouvement de l’axe, l’image de cet objet sera située, derrière le miroir, dans une position semblable à celle que l’objet occupe lui-même par devant ; et ainsi le miroir, à cet égard, ne différera pas du miroir plan, qui représente les objets dans leur véritable situation.

815. Enfin, l’image comparée à l’objet paroîtra rétrécie dans toutes ses dimensions ; car l’effet de la réflexion sur les surfaces convexes étant de diminuer la convergence des rayons, il en résulte que les côtés de l’angle visuel sous lequel l’œil aperçoit l’image, convergent moins que ceux de l’angle sous lequel il verroit l’objet à la même distance ; et ainsi l’ouverture de l’angle et en même temps la grandeur apparente de l’objet doivent être diminuées.

Ici se présente une observation qui est, en quelque sorte, l’inverse de celle que nous avons faite en parlant des miroirs concaves (803). La distance et la grandeur apparente ayant diminué à la fois, la grandeur jugée doit être de même plus petite.

816. On fait aussi des miroirs d’une forme cylindrique ou conique, dont les effets sont piquans pour la curiosité. On place leur base au milieu d’un dessin qui ne présente que des traits irréguliers, des espèces d’énigmes pour l’œil, dont le mot est dans le miroir même, où l’on aperçoit la figure régulière de quelque objet familier. La géométrie fournit des règles pour combiner les traits du dessin avec la courbure du miroir, de manière qu’il en résulte l’effet qu’on se propose. Comme le miroir représente les objets tout autres qu’ils ne sont, on profite de son infidélité même pour lui donner une image vicieuse à rectifier.

Des Effets de la Lumière réfractée,
relativement à la Vision.

817. Les progrès de la dioptrique ou de la science des rayons réfractés, dont nous allons maintenant nous occuper, ont été beaucoup plus lents que ceux de la catoptrique, qui a pour objet la lumière réfléchie. La loi fondamentale de cette dernière science, qui consiste dans l’égalité des angles d’incidence et de réflexion, devoit, par sa seule simplicité, se présenter plus aisément ; et il y a tout lieu de présumer qu’Euclide, qui l’a appliquée aux effets des miroirs, dans son Traité d’Optique, n’avoit fait que profiter des connoissances établies, depuis long-temps, dans l’école platonicienne, dont il suivoit la doctrine. La loi à la quelle est soumise la réfraction de la lumière étoit encore inconnue, lorsque vers la fin du treizième siècle un Florentin, nommé Salvino Degl’Armati, inventa les lunettes à lire, découverte admirable, à l’aide de laquelle l’œil, plus prompt à vieillir que les autres organes, retrouve tout à coup des années qui sembloient perdues sans retour. On attribue la première ébauche du télescope aux enfans d’un lunettier de Middelbourg en Zélande, qui s’étant avisés de disposer entre leurs doigts deux verres de lunette l’un derrière l’autre, firent remarquer à leur père que les objets vus par l’intermède de ces verres paroissoient beaucoup plus gros qu’à la vue simple. Le lunettier, frappé de cet effet singulier, imita, par une construction plus commode, le modèle que ses enfans venoient de lui présenter. D’autres artistes de la même ville s’appliquèrent à perfectionner cet instrument, qui porta d’abord le nom de lunette de Hollande.

Mais pour tirer du télescope tous les avantages qu’il sembloit promettre, il falloit connoître la loi de la réfraction. Kepler la chercha inutilement, mais il trouva, par l’observation, une espèce de règle qui étoit au moins un à peu près, et qui lui apprit que l’on pouvoit substituer un oculaire convexe à l’oculaire concave que l’on avoit employé jusqu’alors. Scheiner et Rheita enchérirent sur cette amélioration, et le dernier parvint à une combinaison de verres lenticulaires qui réunissoit divers avantages à celui de redresser les objets que l’on voyoit renversés avec un seul oculaire.

Enfin Snellius, géomètre hollandais, détermina la loi fondamentale de la dioptrique, qui, d’après la manière dont il l’envisageoit, consiste en ce que les cosécantes des angles d’incidence et de réfraction sont en rapport constant. Descartes substitua à ce rapport celui des sinus dont il est l’inverse, et qui présente la même loi sous une forme plus simple ; muni de ce résultat, il fit de savantes recherches sur les courbes les plus propres à concentrer dans un même point les rayons devenus convergens par la réfraction. Mais la difficulté d’exécuter des verres dont la forme fût assujettie aux lois de ces courbes, a fait revenir à la figure sphérique, en sorte que la science a plus gagné que l’art aux travaux de Descartes sur la dioptrique. Barrow, auquel avoit été réservée la gloire de servir de maître à Newton, si cependant Newton a eu besoin de maître, a publié sur la même science un ouvrage estimé, dans lequel il éclaircit plusieurs points qui n’avoient encore été traités qu’imparfaitement[90]. La pratique, trop négligée jusqu’alors, fit de grands progrès entre les mains d’Huyghens, et l’art de tailler les verres lui doit une grande partie de sa perfection.

Newton qui avoit expliqué si heureusement la loi de la réfraction, par l’attraction du milieu réfringent, a aussi développé les principes de la dioptrique dans un ouvrage particulier[91], et a imaginé une espèce de télescope qui porte son nom, dans lequel il combinoit les effets des verres convexes avec ceux du miroir concave. Mais il n’avoit proposé cette construction que parce qu’il regardoit comme impossible de détruire un défaut frappant qu’ont les télescopes et les lunettes ordinaires, qui est de décomposer la lumière comme le fait le prisme, et de produire ces franges de fausses couleurs dont les objets paroissent bordés, lorsqu’on les regarde au travers des instrumens dont il s’agit. Newton fut conduit à cette conséquence par une autre qu’il se pressa trop de tirer d’une expérience dont nous parlerons dans la suite ; expérience simple et facile à faire, mais dont le véritable résultat échappa à son attention. Pendant près d’un demi-siècle on ne pensa point à la répéter, tant il étoit difficile de démêler une erreur perdue dans une foule de vérités importantes. Enfin, une expérience faite par Dollond, célèbre opticien anglais, dans les circonstances convenables pour la rendre décisive, et qui offroit un résultat opposé à celui de Newton, donna naissance aux lunettes achromatiques, dont nous ferons l’histoire dans un plus grand détail, lorsque nous y serons conduits par la suite des matières que nous avons à traiter ; et cette découverte ouvrit une nouvelle carrière au génie des plus illustres géomètres, et aux talens des plus habiles artistes.

Nous parlerons successivement des effets de la réfraction dans les milieux terminés par des faces planes, et dans ceux dont les faces sont curvilignes ; et, après avoir considéré les effets des verres simples, nous exposerons ceux des instrumens dans lesquels on combine entre eux, soit des verres courbes et des miroirs, soit seulement des verres sans miroirs.

De la Réfraction simple, dans les Milieux
terminés par des Faces planes.

818. Soit a (fig. 127, Pl. XX) point radieux pris dans un milieu quelconque terminé par la surface ef, et qui envoie vers cette surface des rayons dans une infinité de directions différentes. Supposons que an représente un de ces rayons, et que nt soit le rayon réfracté, lequel se rapprochera de la perpendiculaire nx, si le milieu situé au-dessus de ef est plus dense que celui qui est en dessous, ou s’en écartera (fig. 128) dans le cas contraire.

Du point a menons ab perpendiculaire sur ef, et prenons entre a et b, ou du côté opposé (fig. 127), un point z tellement situé, que zb soit à ab comme le sinus d’incidence est au sinus de réfraction, relativement au milieu situé au-dessus de ef. On prouve par la géométrie que si l’on prolonge un rayon réfracté quelconque tn, jusqu’à ce qu’il rencontre l’axe ab de la radiation, le point k, où il coupera cet axe, sera toujours situé en deçà (fig. 128), ou au delà (fig. 127) du point z, en sorte que ce dernier point sera la limite de tous les rayons réfractés provenus du point a[92].

Concevons que le rayon incident an en restant fixe par son extrémité a, se rapproche de l’axe bk par son extrémité n. L’angle d’incidence ban étant diminué, l’angle de réfraction xnt le sera pareillement ; de plus, le point k se sera rapproché du point z. Concluons de là que quand les rayons qui, en partant du point a, tombent sur la surface ef, sont à une petite distance de l’axe, les rayons réfractés forment à peu près à l’endroit du point z une espèce de foyer imaginaire ; car, d’après le principe que toute quantité qui approche de sa limite varie par des degrés extrêmement petits (675), les rayons qui ont leur concours près du point z doivent être plus denses que partout ailleurs, ou abonder davantage dans un espace donné[93].

819. Supposons que différens rayons an, ai, etc. (fig. 129), partis du point a tombent en même temps sur la surface ef, à des distances sensibles du point b, et du même côté de l’axe. Leurs prolongemens en dessous de ef iront couper cet axe successivement en des points qui s’éloigneront du point z, d’où il suit qu’ils s’entrecouperont en divers points d, c, m, etc., situés à la gauche de l’axe (fig. 129), ou à la droite (fig. 130).

Si l’on considère les rayons an, ai comme les rayons extrêmes, parmi tous ceux qui, en partant du point a, tombent sur le petit espace in situé dans le plan abf, leur point de concours imaginaire sera au point d, que l’on détermine à l’aide du calcul. Mais il y a d’autres rayons partis du même point a qui tombent sur d’autres plans, et qui se dispersent par l’effet de la réfraction, de manière que tous ceux qui appartiennent à un petit cône dont la base auroit un diamètre égal à in, ont leurs points de concours comme disséminés dans un petit espace voisin du point d, en sorte qu’il n’y a point alors de foyer proprement dit[94]. La détermination du point qui est comme le centre d’action de tous ces rayons, de manière qu’ils peuvent être censés partir de ce point comme d’un point radieux, est un problème très-délicat qui a fort exercé les physiciens, et qu’ils ont résolu de différentes manières. Newton place ce point à peu près au milieu de la distance entre le point de concours d des rayons extrêmes, et le point p de l’axe[95].

Ce qui précède nous fournit l’explication de différens phénomènes dûs à la réfraction des milieux séparés par des surfaces planes. Nous nous bornerons au cas où la lumière passe d’un milieu plus rare dans un plus dense.

820. Si l’on place un petit objet dans l’eau et que l’œil soit situé verticalement au-dessus de cet objet, il enverra l’image à une distance de la surface de l’eau, qui ne sera que les trois quarts de la distance réelle ; car la première distance est à la seconde, d’après ce qui a été dit (118), comme le sinus d’incidence est au sinus de réfraction, c’est-à-dire, comme 3 est à 4, quand la lumière passe de l’eau dans l’air.

En général, la réfraction des rayons qui passent d’un milieu plus rare dans un autre plus dense, dont la surface située du côté de l’œil est plane, fait voir l’image plus rapprochée de cette surface. Car si l’on suppose un point radieux situé en a (fig. 130), et que tl représente le diamètre de la prunelle, le point de concours imaginaire d des rayons réfractés tn, li, sera toujours situé dans l’intérieur du triangle ban, d’où il suit qu’il sera toujours plus près de l’œil que le point a.

821. Placez un corps au fond d’un bassin vide, et que plusieurs personnes s’écartent du bassin jusqu’à ce que son bord leur cache le corps dont il s’agit : versez ensuite de l’eau dans le bassin ; à l’instant le corps sera aperçu par tous les observateurs, dont on suppose que l’œil est resté fixe dans sa position.

Il suit encore de là qu’un bassin rempli d’eau paroît moins profond que quand il étoit vide, parce que tous les points de la surface du fond se rapprochent de l’œil.

822. Si l’objet a une certaine longueur, telle que ab (fig. 131), et qu’il soit situé parallélement à la surface du milieu réfringent, sa longueur paroîtra augmentée ; car alors l’angle visuel aob, à l’aide duquel l’œil aperecevroit l’objet à la vue simple, aura ses côtés compris entre ceux de l’angle mon sous lequel l’œil voit l’image de l’objet ab.

823. Un bâton que l’on plonge en partie dans l’eau, sous une direction oblique à la surface de ce liquide, paroît rompu à l’endroit de son immersion, en sorte que l’image de la partie plongée se relève au-dessus de cette même partie. Car soit ef (fig. 132, Pl. XXI) la surface de l’eau, ha le bâton, et o la position de l’œil. Parmi tous les rayons que le point a, considéré comme point radieux, envoie vers la surface ef, il y en aura un tel que an, qui, après sa réfraction au point n, se dirigera vers l’œil, et lui fera voir l’image du point a quelque part en x ; d’où il suit que la partie plongée ga aura pour image une ligne gx qui fera paroître le bâton brisé au point g.

Concevons que le bâton, en restant fixe par l’extrémité a, se relève par l’extrémité opposée, jusqu’à ce qu’il coïncide avec la ligne ab perpendiculaire sur ef, et supposons que l’œil soit toujours situé en o ; la grandeur apparente de la partie plongée sera égale à xb, beaucoup plus courte que la grandeur réelle ab. En général, un objet plongé verticalement dans l’eau paroît toujours raccourci, et cela d’autant plus que son extrémité supérieure se rapproche davantage de la surface de l’eau ; en sorte que le minimum a lieu, pour une même position de l’œil, lorsque l’extrémité supérieure de l’objet est de niveau avec le liquide.

Les choses étant dans ce dernier état, si l’on retire de l’eau l’objet dont il s’agit, et qu’il soit d’une forme déliée, on le verra, avec une espèce de surprise, s’allonger comme par un développement rapide de toutes ses parties.

À mesure que l’objet sort de l’eau, on aperçoit, à l’aide de la réflexion, l’image de sa partie extérieure, et cette image est d’abord plus courte que celle de la partie intérieure, vue par réfraction ; mais comme cette dernière diminue, tandis que l’autre augmente, il y a un terme où elles sont de la même longueur. Or, l’image vue par réflexion est égale, dans tous les instans, à la partie de l’objet située hors de l’eau, ce liquide faisant ici l’office d’un miroir plan (785). Supposons qu’au moment où les deux images ont la même longueur, on mesure la partie située hors de l’eau, et qu’ayant ensuite retiré tout-à-fait l’objet, on mesure aussi la partie qui étoit plongée dans l’eau. On pourra toujours déterminer, d’après le rapport entre l’une et l’autre, la quantité dont la partie plongée dans l’eau paroissoit, par l’effet de la réfraction, plus petite qu’elle ne l’étoit réellement ; par exemple, si la partie située hors de l’eau est la moitié de la partie plongée, on en conclura que la longueur apparente de cette dernière partie étoit aussi la moitié de sa longueur réelle.

De la double Réfraction.

824. Nous devons la connoissance du phénomène de la double réfraction (641) à Erasme Bartholin qui, ayant regardé l’image d’une ligne à travers un rhomboïde transparent de chaux carbonatée (spath calcaire), observa que cette image étoit double. Ce rhomboïde venoit de l’Islande, où l’on en trouve qui sont d’une limpidité parfaite. Bartholin fut extrêmement surpris de l’observation dont nous venons de parler, et enchérissant, par l’imagination, sur ce qu’elle avoit par elle-même de merveilleux, il disoit que ce phénomène enseveli dans l’Islande, où abondoient les corps destinés à le produire, offroit aux naturalistes la preuve d’une vérité jusqu’alors ignorée, savoir que le froid des climats septentrionaux, loin d’affoiblir les rayons de la lumière, leur donnoit, au contraire, un nouveau degré d’énergie[96]. La vérité est, que tous les climats fournissent de la chaux carbonatée transparente susceptible de doubler aussi les images des objets, et que beaucoup d’autres substances que nous citerons dans la suite partagent cette même propriété.

L’explication de l’effet singulier dont il s’agit ici a exercé la sagacité de plusieurs savans distingués, à la tête desquels paroissent Huyghens et Newton ; et ce qui prouve la difficulté du sujet, c’est la variété des opinions entre tous ces savans, dont chacun, sans s’arrêter à ce qui avoit été fait par les autres, essayoit de se frayer une route particulière ; en sorte qu’au milieu de ce conflit d’autorités et de résultats sur un sujet qui a été retourné de tant de manières différentes, il paroît également difficile soit de choisir dans ce qui a été dit, soit de dire quelque chose de nouveau. Nous commencerons par décrire les principales circonstances du phénomène ; nous donnerons ensuite une idée des théories les plus remarquables parmi celles qui ont été imaginées pour l’expliquer, et nous ajouterons les résultats auxquels nous avons été conduits par nos recherches particulières, et qui nous ont servi de données soit pour apprécier ces théories, soit pour ébaucher celle qui nous paroît devoir donner la solution complète de ce problème si délicat.

825. Concevons que eb (fig. 133) représente un rhomboïde de chaux carbonatée, dans lequel a et n soient les deux grands angles solides[97] ou ceux qui sont composés de trois angles plans obtus égaux entre eux[98] ; menons les petites diagonales ae, bn, des deux faces hade, gbcn, que nous regarderons comme les bases du rhomboïde, en les supposant situées horizontalement. Le quadrilatère aenb (fig. 133 et 134) formé par les petites diagonales des bases et par les arêtes intermédiaires ab, en, sera ce que nous appelons la section principale du rhomboïde.

826. Soit st (fig. 133 et 134) un rayon de lumière qui tombe perpendiculairement sur la base supérieure du rhomboïde. Il se divisera au point d’immersion en deux parties, dont l’une tl sera sur le prolongement du rayon incident, comme dans le cas ordinaire, et l’autre tf s’écartera de la précédente, en se rejetant vers le petit angle solide b, c’est-à-dire, qu’il y aura une double réfraction du rayon de lumière.

827. Nous appellerons désormais le rayon tl, rayon ordinaire, le rayon f, rayon d’aberration, et la distance fl de l’un à l’autre, prise sur la base inférieure du rhomboïde, amplitude d’aberration.

828. Si le rayon incident st tombe obliquement sur la surface du rhomboïde, il se divisera toujours en deux parties, dont l’une, qui sera le rayon ordinaire, se réfractera en se rapprochant de la perpendiculaire au point d’immersion, suivant une loi analogue à celle des réfractions communes, et qui est telle que le sinus de réfraction est à celui d’incidence constamment comme 3 à 5 ; l’autre partie, qui sera le rayon d’aberration, s’écartera toujours de la précédente, pour se rapprocher de l’angle b, quelle que soit la direction du rayon incident. Nous verrons dans la suite quelle est la loi de cette seconde réfraction.

829. Si le rayon incident est dans le plan de la section principale aenb, le rayon ordinaire et le rayon d’aberration seront aussi l’un et l’autre dans ce même plan : toutes les théories sont d’accord sur ce résultat.

830. Supposons à présent qu’un rayon de lumière traverse deux rhomboïdes situés l’un au-dessus de l’autre. Si les sections principales coïncident dans le même plan, ou sont respectivement parallèles, soit que leurs bords latéraux ab, en, s’inclinent dans le même sens, ou en sens contraire, comme on le voit (fig. 135), chacun des rayons ordinaire et d’aberration qui seront sortis du premier rhomboïde ne se décomposera pas en passant dans le second, mais s’y réfractera suivant la même loi que dans le premier.

831. Si les deux rhomboïdes sont tellement disposés que leurs sections principales se croisent à angle droit, alors chacun des deux rayons sortis du premier rhomboïde restera encore simple en pénétrant dans le second ; mais ces rayons changeront de fonction, c’est-à-dire, que celui qui étoit rayon ordinaire dans le premier rhomboïde, se dirigera dans le second comme rayon d’aberration, et réciproquement.

Mais dans toutes les positions intermédiaires, c’est-à-dire, dans celles où les sections principales seront inclinées entre elles, chacun des deux rayons sortis du premier rhomboïde se partagera de nouveau dans le second, en un rayon ordinaire et un rayon d’aberration, qui se dirigeront conformément à l’incidence du rayon dont ils seront les soudivisions. Ces résultats intéressans sont de Newton[99].

Il est à remarquer que les rayons d’aberration ont cela de commun avec les rayons ordinaires, qu’en repassant du rhomboïde dans l’air par une face parallèle à celle par laquelle ils étoient entrés, ils prennent une direction qui est elle-même parallèle à celle du rayon incident.

Il est facile d’expliquer, d’après les même résultats, les phénomènes qui ont lieu lorsqu’on regarde un objet à travers un rhomboïde, ou à travers deux rhomboïdes superposés.

832. Considérons d’abord le premier cas, et supposons, pour plus de simplicité, que aenb (fig. 136) étant la coupe principale du rhomboïde, il y ait un point visible p placé à une certaine distance en dessous du rhomboïde, et un œil situé en s, au-dessus de la base supérieure. Parmi tous les rayons que le point p envoie vers le rhomboïde, il y en a un, tel que pl, dont la partie lt, considérée comme rayon ordinaire, après avoir repassé dans l’air, parvient à l’œil suivant une direction ts, parallèle à pl. L’autre partie, qui est le rayon d’aberration, prend une direction telle que lz, en se rejetant vers l’angle aigu e ; et comme après son émergence en z, suivant une ligne zx, ce rayon redevient parallèle à pl, il est perdu pour l’œil. Maintenant, entre tous les autres rayons qui partent du point p, il y en a un second, dont la direction po se rapproche tellement de pl, que or étant le rayon ordinaire qui en provient, le rayon d’aberration ou croise le rayon lt au point k, et, après son émergence en u, suit une direction us parallèle à po, et qui va aboutir à l’œil. On conçoit que cette supposition est toujours possible, puisque l’on est le maître de prendre le rayon po sous telle inclinaison que l’on voudra par rapport à pl. L’œil verra donc deux images du point p, l’une sur la direction st, et qui sera l’image ordinaire ; l’autre sur la direction su, et qui sera l’image d’aberration. Quant au rayon or, il est évident, qu’à cause de son parallélisme avec po, après son émergence en r, suivant une ligne telle que rm, il ne peut passer par l’œil.

À mesure que le point p se rapprochera de la ligne bn, le point k descendra vers cette même ligne ; et lorsque le point p touchera bn, le point k se confondra avec lui, de manière que la double image subsistera toujours.

833. Il est remarquable que l’une des deux images, savoir, celle qui est vue sur la direction su, et qui est produite par le rayon d’aberration, paroisse toujours plus éloignée que l’autre de la base supérieure du rhomboïde. On peut rendre très-sensible cette différence de distance, en traçant un cercle sur un papier, et en observant, à travers le rhomboïde, les deux images de ce cercle qui se croiseront, en même temps que l’une sera vue dans une position inférieure à celle de l’autre.

834. Dans l’expérience représentée par la figure 136, l’image d’aberration, vue sur la direction su, paroît plus voisine de l’angle obtus n que l’image ordinaire, dont le lieu est sur la direction st, ce qui est l’effet inverse de celui que présentent les rayons ordinaire et d’aberration provenus d’un même rayon incident : cette inversion est une suite du croisement des rayons on et lt au point k.

Cette même marche des rayons par des directions croisées sert à expliquer une expérience intéressante, qui est due au célèbre Monge. Prenez le rhomboïde en appliquant l’index sur l’arête ab (fig. 133), et le pouce sur l’arête en, et placez sa base supérieure adeh le plus près possible de l’œil, de manière que l’une des deux images du point p soit située en arrière de l’autre, par rapport à vous. Alors faites glisser doucement, en dessous du rhomboïde, une carte qui, restant appliquée à la base inférieure, s’avance de b vers n, jusqu’à ce qu’elle cache une des deux images. Vous remarquerez, avec surprise, que cette image, dont la carte vous dérobe d’abord la vue, n’est point celle qui est située du côté où vient la carte, mais celle qui est de votre côté. On conçoit, à la seule inspection de la figure 136, que l’arête en étant celle qui regarde l’observateur, la carte qui s’avance de b vers o doit d’abord intercepter le rayon incident po, auquel appartient le rayon émergent su, qui produit l’image la plus voisine de l’observateur.

835. Les changemens que les rayons subissent dans leurs fonctions, lorsqu’on emploie deux rhomboïdes, en occasionnent d’analogues dans la duplication des images, ainsi que l’on peut s’en convaincre au moyen de l’expérience suivante, qui n’a besoin que d’être exposée.

Après avoir mis les deux rhomboïdes en contact par une de leurs bases, posez-les sur un papier marqué d’un point d’encre. Si les faces homologues des deux rhomboïdes sont respectivement parallèles, l’œil ne verra que deux images d’un même point, comme s’il n’y avoit qu’un seul rhomboïde : seulement elles seront plus écartées l’une de l’autre. Les choses étant dans cet état, faites tourner doucement le rhomboïde supérieur au-dessus de l’inférieur. Bientôt vous verrez paroître deux nouvelles images qui d’abord seront très-foibles, et ensuite augmenteront peu à peu d’intensité ; en même temps les deux premières images s’affoibliront par degrés, et finiront par disparoître, ce qui arrivera avant que le rhomboïde mobile ait fait un quart de révolution : passé ce terme, si vous continuez de le faire tourner, les mêmes effets auront lieu dans un ordre inverse ; c’est-à-dire, que les deux premières images reparoîtront, et que leur teinte, d’abord légère, se renforcera peu à peu, tandis que les deux autres diminueront d’intensité, jusqu’à ce qu’elles deviennent nulles vers la fin de la demi-révolution du rhomboïde mobile[100]. Alors les coupes principales étant tournées en sens contraire, mais toujours sur un même plan, comme le représente la figure 135, l’œil ne verra plus que deux images, mais beaucoup plus rapprochées que dans le premier cas ; il n’en verroit même qu’une seule, si les deux rhomboïdes étoient exactement de même hauteur. Si vous achevez la révolution du rhomboïde supérieur, les effets précédens reparoîtront en suivant de même une marche rétrograde.

Nous n’avons considéré jusqu’ici que les résultats d’observations qui s’offrent comme d’eux-mêmes à un œil un peu attentif. Il s’agit maintenant d’examiner les opinions entre lesquelles les physiciens se sont partagés sur la détermination précise de la loi à laquelle est soumis le phénomène, et sur la cause physique dont il dépend.

836. Huyghens, qui faisoit consister en général la propagation de la lumière dans des espèces d’ondulations d’une figure circulaire, avoit ramené à cette considération la loi de la réfraction ordinaire ; et pour expliquer la double réfraction qui avoit lieu dans la chaux carbonatée, il supposoit que la lumière, en pénétrant un rhomboïde de cette substance, y produisoit des ondulations de deux figures, l’une circulaire comme dans les autres corps, l’autre elliptique, particulière au cas présent ; et c’étoit à ces dernières ondulations qu’il attribuoit la réfraction du rayon d’aberration[101]. Il manie cette hypothèse avec beaucoup d’art ; en sorte que les valeurs qui s’en déduisent, relativement aux angles d’incidence et de réfraction du rayon d’aberration, nous ont paru, en général, se rapprocher de la vérité. Huyghens étoit même parvenu à un résultat très-remarquable que nous ferons connoître dans la suite, mais qui s’adapte également à une théorie fondée sur l’émission de la lumière en ligne droite.

Newton, qui, comme nous l’avons vu, adoptoit ce mouvement rectiligne de la lumière (615), et qui faisoit dépendre la réfraction ordinaire de l’attraction qu’exercent sur les molécules de ce fluide les milieux réfringens (656), attribuoit aussi la réfraction d’aberration à une force attractive, mais qui étoit particulière à la substance même de la chaux carbonatée, et avoit son centre d’action situé vers le petit angle solide du rhomboïde ; et voici la détermination à laquelle cet illustre géomètre avoit été conduit, relativement à la loi du phénomène.

837. Supposons que st (fig. 134) soit toujours un rayon incident perpendiculaire à la base du rhomboïde, et situé dans le plan de la coupe principale aenb. Le rayon réfracté ordinaire étant tl, situé sur le prolongement de st, le rayon d’aberration, qui se rejettera nécessairement vers le petit angle solide b, sera situé comme tf, qui fait avec tl un angle de 6d 40′. Or, l’amplitude d’aberration fl, qui résultoit de cette incidence, avoit également lieu, suivant Newton, pour toutes les inclinaisons du rayon st, soit qu’il restât dans le plan de la coupe principale, ou qu’il s’en écartât ; d’où il résultoit que l’amplitude d’aberration étoit constante, non-seulement quant à sa longueur, mais aussi quant à sa direction, qui étoit toujours parallèle à la petite diagonale bn de la base du rhomboïde.

838. D’autres physiciens ont cru pouvoir ramener la réfraction du rayon d’aberration aux lois ordinaires, et voici les principes d’où l’on part dans cette hypothèse. Parmi tous les rayons incidens qui peuvent rencontrer obliquement la base supérieure du rhomboïde, il y en a un, tel que s′t′, qui est tellement situé que le rayon d’aberration t′f′ qui en provient, est sur son prolongement, c’est-à-dire, qu’alors la réfraction d’aberration devient nulle, en sorte que l’image d’aberration donnée par un point f′ placé en dessous du rhomboïde, est vue à sa vraie place. Cette circonstance a lieu lorsque le rayon incident s′t′ est parallèle, à environ deux degrés près, aux arêtes ab, en. Menons t′p perpendiculaire sur s′t′, et supposons un plan qui passe par t′p, et dont la section sur la base supérieure du rhomboïde fasse un angle droit avec la diagonale ae. Il est évident qu’il en sera de ce plan, à l’égard du rayon s′t′, comme des plans ordinaires par rapport aux rayons qui subissent les lois de la réfraction commune, puisque les rayons qui passent sans inflexion sont toujours perpendiculaires à ces plans.

Lahire, qui avoit mesuré les angles d’incidence et de réfraction du rayon d’aberration, relativement à un plan situé comme celui dont nous venons de parler, avoit trouvé que le rapport entre les sinus étoit à peu près celui de 3 à 2, comme quand la lumière passe de l’air dans le verre ; et ce rapport lui ayant paru constant, il en avoit conclu que la réfraction des rayons d’aberration devoit être assimilée à celle des rayons ordinaires, excepté que le plan auquel elle se rapportoit avoit une position différente[102].

839. Plusieurs des physiciens qui ont adopté la même opinion, entre autres le célèbre Buffon[103], ont pensé qu’un rhomboïde de chaux carbonatée étoit composé de couches entrecroisées de deux densités diverses. Pour que cette hypothèse s’accordât avec l’observation, il falloit que, parmi ces couches, les unes s’étendissent parallélement à la base du rhomboïde, et les autres parallélement au plan qui passe par t′p. Lorsqu’un faisceau de lumière tomboit sur la surface du rhomboïde, les rayons dont il étoit composé rencontroient, les uns des molécules de la matière la plus dense, et les antres des molécules de celle qui étoit plus rare, d’où résultoient deux réfractions particulières, dont chacune étoit soumise aux lois ordinaires.

840. Mais cette hypothèse, indépendamment des autres difficultés que nous lui opposerons bientôt, et qui tiennent à des considérations plus délicates, a contre elle un fait qu’il est très-facile de vérifier. Car si l’on regarde à travers le rhomboïde un point visible, en plaçant l’œil de manière que le rayon visuel soit perpendiculaire à la base de ce rhomboïde, l’image du point dont il s’agit sera vue sans déplacement, c’est-à dire, qu’elle paroîtra sur le prolongement du rayon visuel qui, dans ce cas, fera la fonction d’un rayon incident situé perpendiculairement à la surface du milieu réfringent. Or, dans l’hypothèse dont nous avons parlé, le rayon qui, en partant du point visible, apporteroit à l’œil l’image de ce point, subiroit continuellement des inflexions à mesure qu’il rencontreroit obliquement les diverses couches parallèles au plan qui passe par t′p ; d’où il suit que l’image du point visible ne pourroit être aperçue à sa vraie place.

841. Il résulte déjà de ce qui précède, qu’il est très-vraisemblable que la loi à laquelle est soumise la réfraction du rayon d’aberration ne donne point un rapport constant entre les sinus, et cette conséquence s’éclaircira encore davantage d’après ce que nous dirons dans la suite.

La théorie d’Huyghens, qui s’accorde en général avec cette manière de voir, tient d’une autre part à une hypothèse peu naturelle sur la figure elliptique des ondes de lumière auxquelles ce savant attribue la réfraction d’aberration ; et il avoue lui-même son embarras pour ramener à cette hypothèse les résultats des observations faites avec deux rhomboïdes, dans lesquelles les rayons tantôt ne font que changer de fonction, et tantôt se soudivisent de nouveau, en passant d’un rhomboïde dans l’autre[104].

On est bien plus porté à se ranger encore ici du côté de Newton, lorsque l’on considère la grande simplicité de la loi admise par ce célèbre géomètre pour la réfraction du rayon d’aberration. D’ailleurs cette loi est liée à une cause physique que nous exposerons plus bas, et qui fournit une explication heureuse de ce phénomène qui avoit arrêté Huyghens. Mais il y a une correction importante à faire dans cette même loi, d’après les observations que nous allons rapporter, et qui ont cet avantage, qu’il n’y a personne qui ne puisse facilement les répéter.

842. Si l’on pose un rhomboïde de chaux carbonatée sur un papier marqué de deux points, et que l’on fasse varier les distances de ces points, relativement à une position déterminée de l’œil, on trouvera qu’il y a un terme où, au lieu de quatre images, on n’en voit plus que trois ; dans ce cas, deux des premières images se réunissent en une seule, d’une teinte plus foncée.

Si en même temps l’œil est dans le plan abne (fig. 133), il faudra, pour que cet effet ait lieu, que les deux points soient sur la diagonale bn.

Si l’œil s’écarte ensuite de la position où il voyoit deux images se confondre, celles-ci se sépareront, et cela d’autant plus que la position de l’œil changera davantage ; et il faudra, pour les voir de nouveau coïncider, augmenter la distance entre les deux points, si le rayon visuel, en variant son inclinaison, s’est rapproché du point e, et diminuer cette distance, si le rayon visuel s’est incliné en sens opposé vers le point a. Nous supposons toujours que ce rayon ne sorte pas du plan abne, auquel cas il est nécessaire, pour ramener les quatre images à n’en faire plus que trois, de laisser toujours les deux points sur la direction de la diagonale bn.

843. Il n’en sera pas de même si le rayon visuel sort du plan abne. Voici ce que nous avons observé à cet égard : soit bn (fig. 137) la même diagonale que fig. 133, et soient p, r les deux points visibles. Concevons que le rayon visuel étant d’abord incliné vers e, et situé dans le plan abne (fig. 133), l’œil fasse un mouvement circulaire en allant de e vers h ; l’observateur ne pourra voir coïncider deux des images qu’en plaçant les points p, r (fig. 138) sur une direction inclinée à la diagonale. Supposons que le point p reste fixe ; il faudra placer le point r à la droite de la diagonale, comme en r′ ; tandis que le rayon visuel s’approchera de plus en plus d’un plan qui couperoit à angle droit la section principale, la distance nécessaire entre le point r′ et la diagonale bn augmentera : elle sera la plus grande possible, lorsque le rayon visuel se trouvera dans le plan dont nous venons de parler. Au delà de ce plan, en allant de h vers a (fig. 133), il faudra diminuer la distance, en laissant toujours le point r′ (fig. 137) sur une oblique qui diverge du côté de n, par rapport à la diagonale. La distance deviendra nulle, lorsque le rayon visuel tombera de nouveau, mais en sens contraire, sur le plan abne (fig. 133). Si ce rayon continue sa révolution en allant de a vers d, les mêmes effets auront lieu dans un ordre opposé, c’est-à-dire que, pour obtenir la coïncidence des images, il faudra placer le point r de l’autre côté de la diagonale, comme en r″ (fig. 137 ).

844. Maintenant soit st (fig. 138) un rayon de lumière qui tombe, suivant une direction quelconque, sur la base supérieure du rhomboïde. Soit tr le rayon ordinaire, et tp le rayon d’aberration, auquel cas pr sera l’amplitude d’aberration ; soient pp′, rr′ les rayons émergens qui, d’après ce qui a été dit, seront parallèles à st. Au lieu du rayon st, supposons deux points visibles, l’un en r′ et l’autre en p′, qui envoient des rayons vers le rhomboïde, dans toutes sortes de directions. Il est évident que parmi tous ces rayons, celui qui suivra la direction r′r se divisera au point d’émergence, de manière que rt sera encore le rayon réfracté ordinaire ; car, à cause du parallélisme des rayons st, r′r considérés successivement comme rayons incidens, le rayon réfracté rt fera exactement la même fonction à l’égard de l’un et de l’autre. Par une raison semblable, le rayon qui suivra la direction p′p se décomposera dans le rhomboïde, de manière que le rayon d’aberration sera encore pt.

La proposition sera toujours vraie, quelles que soient les positions des points visibles le long des lignes r′r, p′p ; d’où il suit que si l’on suppose l’un en r et l’autre en p, pts et rts seront les routes des rayons qui arriveront en s, et tout se passera encore comme dans l’hypothèse du rayon incident st. Les choses étant dans cet état, supposons un œil placé en s ; cet œil verra deux des quatre images données par les deux points se confondre sur la direction st. Donc toutes les fois que cette réunion a lieu, la distance pr entre les deux points et l’amplitude d’aberration, relativement à un rayon incident qui auroit la direction sous laquelle l’œil voit l’image unique formée par la réunion dont on a parlé.

Or, nous avons vu qu’il étoit nécessaire, dans ce cas, de changer la distance entre les deux points, à mesure que la position du rayon visuel varioit elle-même ; d’où il suit que l’amplitude d’aberration n’est pas une quantité constante, comme Newton l’avoit pensé.

845. Elle n’est pas non plus constamment parallèle à la petite diagonale bn ; car nous avons vu que quand le rayon visuel n’étoit pas dans le plan abne (fig. 133) (et il en faut dire autant de tout autre plan parallèle à celui-ci), on ne pouvoit faire concourir deux images en une seule, qu’en plaçant les deux points visibles sur une ligne inclinée à la diagonale. Donc, dans tous les cas de ce genre, l’amplitude d’aberration, qui mesure la distance entre les deux points, fait elle-même un angle avec la diagonale.

Il paroît que Newton ayant fait ses expériences avec des rhomboïdes d’une hauteur peu considérable, et n’ayant pu mesurer avec assez de précision les distances et les positions des rayons de lumière qu’il introduisoit immédiatement à travers ces corps, aura été entraîné par l’extrême simplicité de la loi qui sembloit s’offrir à son observation.

Nous avons essayé de déterminer la véritable loi à laquelle est soumise la réfraction du rayon d’aberration, mais seulement pour les cas où ce rayon est situé dans le plan abne, le temps ne nous ayant pas permis de poursuivre plus loin ce travail. Nous donnons ici le résultat auquel nous sommes parvenus, représenté à l’aide d’une construction que l’on saisira aisément.

846. Nous avons vu (838) que quand le rayon incident st (fig. 133) étoit perpendiculaire sur adeh, auquel cas le rayon ordinaire continuoit sa route dans le rhomboïde, le rayon d’aberration se rejetoit vers le petit angle solide b. Supposons que la ligne ax (fig. 139, Pl. XXII) abaissée de l’angle a perpendiculairement sur la diagonale bn, représente le rayon ordinaire. Dans ce cas, si l’on prend xy égale au tiers de bx, et que l’on mène ay, cette dernière ligne représentera le rayon d’aberration relatif à l’incidence perpendiculaire sur ae.

Soit maintenant st un rayon incident oblique sur ae, et tl le rayon réfracté ordinaire, dont il est facile de déterminer la position d’après le rapport 5 à 3 entre les sinus. On demande la position du rayon d’aberration tf.

Par le pied de la ligne ax, menez xo, qui fasse, avec ax, un angle de 60d ; puis par le pied du rayon ordinaire tl, menez lm parallèle à xo. Prenez sur lm la partie lu égale à xz. La ligne tf, menée par le sommet du rayon ordinaire et par le point u, sera la direction du rayon d’aberration relatif à l’incidence suivant st.

Si l’on suppose que l’incidence ait lieu en sens contraire, suivant une direction s′t′, alors le rayon ordinaire étant représenté par t′l′, le rayon d’aberration t′f′ sera encore situé entre le précédent et l’angle b, et l’on aura l’amplitude d’aberration par une construction semblable à celle que nous avons indiquée relativement au rayon incident st.

847. On voit par là que lu ou l′u′ est une constante ; mais l’amplitude l ou l′f′ est nécessairement une variable. Si l’on suppose que les deux incidences st, s’t soient égales en sens contraire, on aura f’l’ plus petite que fl, de manière que leur somme sera double de l’amplitude xy relative à l’incidence perpendiculaire. Cette somme est donc elle-même une quantité constante. Huyghens avoit déduit ce même résultat des propriétés de l’ellipse dont il attribuoit la figure aux ondes de lumière, qui produisoient, selon lui, la réfraction ordinaire. Mais dans la théorie que nous proposons, ce résultat se trouve ramené aux propriétés des lignes droites, et il est même démontré qu’il a toujours lieu, quelle que soit la valeur des angles bxo, xay, pourvu que l’on prenne lu ou l’u’ égale à zx. Parmi tous les cas possibles, nous avons choisi celui qui nous a paru s’adapter le mieux à l’observation, et il est remarquable que ce cas soit celui où la ligne ox fait avec ax un angle de 60d, tandis qu’elle fait avec ao un angle qui est à très-peu près de 101d½, c’est-à-dire, égal au grand angle du rhombe primitif[105].

848. Les observations sur lesquelles est fondée la même théorie nous ont paru fournir une explication satisfaisante d’un fait remarquable que nous avons déjà cité, et qui consiste en ce que l’image produite par le rayon d’aberration est toujours plus enfoncée que l’autre en dessous de la base supérieure du rhomboïde.

Pour concevoir la raison de cette différence, remarquons d’abord que les rayons à l’aide desquels on voit l’image d’un point situé derrière un milieu diaphane, forment un cône, dont la base est contiguë à la surface du milieu la plus voisine de l’œil. Au-dessus de cette surface, ils se replient vers l’œil, par l’effet de la réfraction, en formant un cône tronqué, dont la plus petite base se confond avec la base du premier cône, et dont l’autre base, qui est plus dilatée, a un diamètre égal à celui de la prunelle par laquelle les rayons entrent dans l’œil.

Quelque opinion que l’on adopte sur la distance précise à laquelle on aperçoit l’image vue par réfraction (819), il est certain que, toutes choses égales d’ailleurs, cette distance est plus grande lorsque les deux diamètres des bases du cône tronqué diffèrent moins entre eux, ce qui fait que le sommet du même cône prolongé par l’imagination derrière la surface réfringente, est plus éloigné de cette surface.

Cela posé, concevons que an (fig. 140) représente toujours le même rhomboïde, et que p étant un point visible situé sur la base inférieure, poksr soit le cône brisé, à l’aide duquel l’œil aperçoit l’image ordinaire du point p, Nous supposons d’abord cet œil situé de manière que le rayon visuel se trouve dans le plan de la section principale. Tous les rayons d’aberration qui correspondent aux rayons ordinaires, dont le cône pkosr est l’assemblage, sont perdus pour l’œil, d’après ce qui a été dit plus haut. Mais il y a un second cône[106] formé par d’autres rayons d’aberration, à l’aide duquel l’œil voit l’image d’aberration du point p, et de même tous les rayons ordinaires correspondans sont perdus pour l’œil.

Prenons dans le cône kpo les deux rayons pk, po, qui aboutissent à l’extrémité du diamètre situé perpendiculairement à la diagonale ae, et rétablissons pour un instant les deux rayons d’aberration qui leur correspondent : il est facile de voir que ces derniers rayons doivent se trouver aux extrémités n, l de deux lignes obliques par rapport à la diagonale ae, puisque dans ce cas les amplitudes d’aberration divergent à l’égard de cette diagonale, ainsi qu’il a été dit plus haut (843). Donc si l’œil étoit placé de manière à recevoir ces mêmes rayons qui sont perdus pour lui, leur distance nl étant plus grande que la distance ko, le point de concours imaginaire de ces rayons, derrière la surface adeh, seroit plus éloigné que celui des rayons ordinaires kr, os.

Concluons de là que les lois suivant lesquelles se réfractent les rayons d’aberration, tendent, en général, à rendre la distance entre ces rayons, pris de deux côtés opposés, plus grande que celle entre les rayons ordinaires, pris d’après la même condition.

Or, cette augmentation de distance, que nous venons de trouver en comparant ensemble les rayons ordinaires qui composent le cône pkosr et les rayons d’aberration correspondans, devant toujours avoir lieu, proportion gardée, pour les autres rayons d’aberration qui sont à portée de l’œil, et lui font voir l’image d’aberration, il en résulte que la réfraction d’aberration tend à élargir la plus petite base du cône tronqué, plus que ne le fait la réfraction ordinaire. Donc si l’on suppose ce cône prolongé derrière la surface réfringente, le point de son axe, relativement auquel toutes les directions se compensent, doit se trouver plus reculé par rapport à l’œil et à la surface réfringente, que le point correspondant du cône formé par les rayons ordinaires. Donc le lieu apparent de l’image d’aberration sera aussi plus éloigné que celui de l’image ordinaire.

Si l’on conçoit que le rayon visuel soit incliné en sens contraire vers le point a, on aura des conclusions analogues, en appliquant le raisonnement que nous venons de faire.

Si le rayon visuel sort de la section principale et se rejette de côté, de manière que, par exemple, il se rapproche du point h, alors k’o’ (fig. 141) étant la base inférieure du cône tronqué, les lignes k’n’, o’l’ s’inclineront dans le même sens. Mais la ligne o’l’ s’écartera davantage que la ligne k’n’ de la direction parallèle à ae ; d’où il suit que l’on aura encore n’l’ plus grande que k’o’, quoique dans un moindre rapport que quand le rayon visuel coïncidoit avec la section principale. L’image d’aberration sera donc vue aussi, dans ce cas, plus loin que l’image ordinaire ; mais la différence des distances sera moins sensible que dans le premier cas, ce qui nous a paru conforme à l’observation.

849. Nous ajouterons ici quelques détails sur la double réfraction, considérée relativement aux différentes substances naturelles qui partagent cette propriété. Jusqu’ici la chaux carbonatée et le soufre sont les seules, parmi ces substances, qui présentent deux images du même objet vu à travers deux de leurs faces parallèles, ce qui nous paroît provenir de ce que leurs formes primitives sont des parallélipipèdes obliquangles, au lieu que les autres dérivent d’un solide dans lequel les bases sont à angle droit sur les faces latérales. Pour apercevoir la double image, à l’aide de ces dernières, il est nécessaire que les deux faces à travers lesquelles on regarde les objets soient inclinées l’une sur l’autre ; mais il peut arriver que, même dans ce cas, l’effet de la double réfraction devienne nul, et que les deux images se confondent en une seule. Cette limite a lieu lorsque l’une des deux faces qui forment l’angle réfringent est perpendiculaire ou parallèle à l’axe de la forme primitive, ce qui dépend de la nature des substances. Ainsi dans l’émeraude, c’est la première position qui détermine la réunion des deux images en une seule, et dans la baryte sulfatée (spath pesant), c’est la seconde.

À l’égard de la chaux carbonatée, qui fait voir en général la double image d’un objet à travers deux faces parallèles, on peut, en conservant le parallélisme, amener les choses au terme où l’image paroisse simple. Il faut pour cela tailler un rhomboïde de cette substance, de manière à faire naître deux faces triangulaires, qui interceptent les deux angles solides obtus a, n (fig. 133, Pl. XXI), et soient perpendiculaires à l’axe qui passe par ces angles. L’image d’un point vu à travers ces deux faces paroîtra simple, pourvu que le rayon visuel soit perpendiculaire à ces mêmes faces, et que le point soit situé sur sa direction ; car si l’œil s’écarte d’un côté ou de l’autre, les deux images qui coïncidoient en une seule se sépareront.

Pour concevoir la raison de cet effet, il faut remarquer que dans le cas où l’image paroît simple, par une suite des conditions que nous venons d’indiquer, le rayon de lumière qui part du point visible ne pourroit se soudiviser dans l’intérieur du rhomboïde, qu’autant que sa partie d’aberration se rejeteroit de préférence vers quelqu’un des angles solides aigus e, c, g. Mais la position de cette partie étant la même relativement à ces trois angles, il en résulte pour elle une espèce d’équilibre, de manière qu’elle continue sa route conjointement avec le rayon perpendiculaire qui appartient à la réfraction ordinaire, et ainsi l’œil voit les deux images se confondre en une seule ; mais elles se séparent, dès que l’œil venant à s’écarter de la perpendiculaire, le rayon incident qui lui fait voir l’image d’aberration est forcé de prendre, en traversant le rhomboïde, une position inclinée, qui tend davantage vers l’un des angles e, c, g que vers les deux autres.

850. Il ne nous reste plus qu’à donner un aperçu de la cause physique d’où dépend le phénomène. Quoique celle qu’a imaginée Newton paroisse singulière au premier abord, plus on l’étudie, et plus on trouve qu’elle gagne à être examinée de près et comparée avec les faits observés.

Ce grand géomètre supposoit que les molécules de la lumière avoient deux espèces de pôles, sur lesquels la matière de la chaux carbonatée exerçoit une action particulière, dont le centre étoit placé dans la région du petit angle solide. D’après cette idée, il considéroit chaque rayon simple comme un prisme quadrangulaire infiniment délié, dans lequel tous les pôles dont nous venons de parler étoient rangés sur deux pans opposés, que nous appellerons pans d’aberration. Lorsque le rayon, en pénétrant le rhomboïde, par exemple en allant de la base supérieure adeh vers l’inférieure bcng, présentoit l’un de ces mêmes pans à l’angle solide b, la force dont il s’agit l’attiroit à elle, tandis que quand il présentoit à l’angle b l’un des deux autres pans que l’on peut appeler pans de réfraction ordinaire, la matière du rhomboïde n’avoit sur lui d’autre action que celle qui lui étoit commune avec les milieux ordinaires.

Cela posé, parmi tous les rayons simples dont est formé un faisceau de lumière qui tombe sur la surface du rhomboïde, les uns auront leurs pans de réfraction ordinaire, et les autres leurs pans d’aberration tournés vers le petit angle solide. Le faisceau se divisera donc en deux parties, dont l’une ne subira que la réfraction ordinaire, tandis que l’autre, attirée par la force qui réside dans le petit angle solide, sera soumise à la réfraction d’aberration.

Cette hypothèse acquiert un nouveau degré de vraisemblance, lorsqu’on l’applique au phénomène des quatre images produites par la superposition de deux rhomboïdes (835), et aux variations que subissent ces images dans leur intensité, à mesure que s’opère la révolution du rhomboïde supérieur. Ces effets indiquent que le faisceau d’aberration, dans lequel tous les pans d’aberration étoient d’abord exactement tournés vers la région d’où émane la force qui agit sur eux, se soudivise peu à peu, à mesure que, pendant la rotation du rhomboïde, cette région change de position ; en sorte que les molécules échappent, les unes après les autres, à la force attractive, pour subir la réfraction ordinaire. Le contraire arrive par rapport aux rayons de l’autre faisceau, qui avoient d’abord leurs pans d’aberration à angle droit sur la région d’où émane la force qui produit l’aberration ; car ces pans se trouvant peu à peu dans une position plus favorable à l’égard de la force dont il s’agit, subissent son action les uns après les autres, et le faisceau finit par être tout entier dans le cas de l’aberration. On croit voir une affinité dont l’intensité augmente ou diminue, suivant que les corpuscules sur lesquels elle agit, sont plus ou moins en prise à son action, de manière que le nombre des corpuscules attirés s’accroît ou diminue lui-même par des quantités proportionnelles.

De la Vision à l’aide d’un seul verre terminé par
des Surfaces Curvilignes.

Nous commencerons par l’espèce de verre qui est d’une utilité plus générale ; savoir, celle à laquelle on a donné le nom de verre lenticulaire, ou simplement celui de lentille, à cause de sa forme qui représente deux segmens de sphère, appliqués l’un à l’autre par leurs faces planes.

851. Nous avons déjà vu (646) que parmi les rayons qui tombent sur la surface d’un verre lenticulaire, dans des directions parallèles à l’axe, ceux qui sont voisins de cet axe, après avoir subi deux réfractions, l’une en pénétrant le verre, l’autre en repassant dans l’air, concourent à peu près dans un point commun que l’on appelle le foyer des rayons parallèles.

Concevons maintenant qu’il y ait un point radieux r (fig. 142, Pl. XXII) situé à l’endroit de ce même foyer. Parmi les rayons que ce point envoie vers la lentille dans toutes les directions imaginables, ceux qui s’écartent peu de l’axe, tels que rg, ri, sortiront du côté opposé, parallélement au même axe, suivant des directions mp, uz. Mais les rayons plus éloignés de rx, tels que rb, rf, étant plus divergens que les rayons rg, ri, et par là moins disposés à s’infléchir de la quantité nécessaire pour qu’ils deviennent parallèles à l’axe, en repassant dans l’air, sortiront suivant des directions es, ln, qui divergeront soit entre elles, soit par rapport à l’axe, de manière cependant que cette divergence sera moindre que celle des rayons incidens.

Il suit de là que si l’on prolonge les rayons émergens zu, se, yq, leurs prolongemens iront se couper aux points v, a, c, etc., plus éloignés de la lentille que le point r, de manière que leurs intersections formeront une caustique, comme dans le cas de la réflexion sur la surface des miroirs concaves ou convexes. On donne aux courbes du genre de celle qui nous occupe ici, le nom de caustiques par réfraction.

852. Si l’on suppose que le point radieux soit situé entre le foyer des rayons parallèles et la lentille, alors les rayons qui tomberont sur le petit espace gi étant plus divergens que quand ils partoient de ce même foyer, il en résulte qu’à leur retour dans l’air ils continueront de diverger, au lieu d’être parallèles, et en même temps la divergence de tous les autres augmentera.

853. Au lieu d’un simple point radieux, concevons un objet AB (fig. 143) d’une certaine étendu, et placé de même en deçà du foyer des rayons parallèles. Soit o la position de l’œil. En nous bornant encore ici à considérer la marche des rayons qui partent des extrémités A, B de l’objet, nous pourrons toujours supposer deux cônes de lumière cAe, fBh, tellement situés qu’après s’être repliés d’abord en pénétrant dans la lentille, puis en rentrant dans l’air, ils aillent passer par la prunelle de l’œil o. Dans ce cas, les rayons tels que Ao, Ae, qui divergent sensiblement en partant du point A, n’auront plus, après leur émergence suivant les directions ky, pu, que le petit degré de divergence qui s’accorde avec la conformation de l’œil, en sorte que tous les cônes envoyés par les différens points de l’objet iront en peindre l’image sur la rétine.

Si l’on prolonge du côté opposé à l’œil les rayons yk, up, et tous les autres qu’il faut se représenter comme étant compris entre ceux-ci, on pourra appliquer à tous ces rayons ce que nous avons dit des rayons yq, sc, zu (fig. 142), c’est-à-dire, que les intersections de leurs prolongemens ne coïncideront pas en un point commun. Mais comme ceux qui composent le cône parti du point A (fig. 143) sont très-rapprochés, les points de concours des prolongemens dont il s’agit seront resserrés dans un très-petit espace, en sorte qu’ici, comme dans d’autres cas analogues, dont nous avons déjà parlé (819), les directions des différens rayons sont censées concourir vers un point unique, qui est comme leur centre d’action.

854. Dans toutes les circonstances semblables à celle dont il s’agit ici, on voit l’objet droit et en même temps amplifié ; car l’œil l’aperçoit sous l’angle loz sensiblement plus ouvert que l’angle AoB, sous lequel il le verroit à la vue simple.

855. Dans les mêmes circonstances, la clarté de l’objet paroît augmentée. Car soit r (fig. 144) un des points de l’objet que nous supposerons être le point du milieu, et soit hi le diamètre de la prunelle ; tous les rayons compris dans l’angle prs passeront par l’ouverture de la prunelle, suivant les directions qh, li, et les autres intermédiaires. Or, si l’on prolonge rp et rs vers l’œil, et qu’on supprime la lentille, les rayons renfermés dans l’angle prs se répandront sur tout l’espace gk qui est plus grand que le diamètre de la prunelle ; d’où il suit que la prunelle recevra plus de rayons par l’intermède de la lentille, que dans la vision simple ; et quoiqu’il y ait un certain nombre de rayons qui soient interceptés dans leur trajet à travers la lentille, cette perte étant plus que compensée par l’effet de la réfraction, il en résultera toujours un accroissement de lumière.

856. Enfin, le point de concours des rayons qui apportent à l’œil l’image de chaque point de l’objet, est plus éloigné que dans la vision ordinaire ; car le rayon réfracté sl, par exemple, en repassant dans l’air, s’écartera de la perpendiculaire au point l suivant une direction li, de manière que son prolongement lz passera à la droite du point s ; d’où il suit que les rayons il, hq concourront en un point z plus éloigné de l’œil que le point correspondant r de l’objet.

857. À l’égard du jugement que nous portons des dimensions et de la distance de l’image, tout le monde sait qu’elle paroît effectivement plus grande que l’objet, et qu’en même temps on est porté à la juger plus près, quoique les rayons qui la dessinent au fond de l’œil soient dirigés comme s’ils partoient d’un objet fictif plus éloigné de l’œil que le véritable. Mais ce n’est ici qu’un jugement en quelque sorte précipité, dans lequel nous, sommes d’abord entraînés par l’augmentation de grandeur et auquel contribue encore l’augmentation de clarté. Prenez une longue aiguille, et faites la passer doucement sous une lentille, dans une direction transversale et à une distance convenable du verre ; comparez attentivement la position de l’image avec celle de l’objet, et vous remarquerez que l’image est sensiblement plus éloignée, surtout si la lentille a une certaine étendue. En augmentant la distance, et en faisant aller et revenir l’aiguille parallélement à elle-même, vous saisirez encore mieux la différence ; car il est des momens où l’on a encore besoin de se défendre de l’illusion qui tend à nous faire juger que ce qui nous paroît plus grand s’est rapproché de nous.

858. Revenons à la considération d’un simple point radieux r (fig. 142), et supposons que ce point, en partant du foyer des rayons parallèles, s’écarte peu à peu de la lentille : dans ce cas, les rayons qui tomberont sur le petit espace gi étant moins divergens que dans le cas où le foyer des rayons parallèles étoit leur point de départ, seront par là même déterminés à converger, soit entre eux, soit avec l’axe, derrière la lentille : en même temps la divergence des rayons es, qy plus éloignés de l’axe diminuera, et il y aura un terme où tous les rayons émergens se rejetteront vers l’axe, comme on le voit (fig. 145, Pl.XXIII). Dans ce même cas, parmi les rayons situés d’un même côté de l’axe, chacun sera coupé par le suivant, et l’on pourra concevoir une caustique qui passe par tous les points d’intersection.

859. Substituons de nouveau à un simple point un objet AB (fig. 146) d’une certaine longueur, en le supposant toujours placé au delà du foyer des rayons parallèles, et ne considérons, pour plus de simplicité, que ce qui a lieu par rapport au point R du milieu et aux deux points extrêmes A, B. Le point R est encore ici le sommet commun d’une infinité de cônes qui tombent à différens endroits de la surface de la lentille. Or, parmi tous ces cônes, celui dont l’axe Rt est perpendiculaire à la surface réfringente mtn, est composé de rayons qui concourent sensiblement en un point commun r derrière la lentille, en sorte qu’il se forme un foyer en cet endroit.

De même il part de chaque extrémité, par exemple de A, une infinité de cônes plus ou moins obliques, dont les bases correspondent à différens endroits de la surface mtn. Or, parmi tous ces cônes, il y en a un dont les rayons concourent aussi à peu près en un même point derrière la lentille : c’est celui dont l’axe Ac est tellement situé qu’après s’être réfracté suivant ch, il rencontre la surface mxn à l’endroit où la tangente au point d’incidence h sur l’arc concave, est parallèle à la tangente au point d’incidence c sur l’axe convexe. Dans ce même cas, le rayon réfracté ch passe par le milieu de la lentille. On conçoit qu’il y aura toujours un cône envoyé par le point A, qui satisfera à ces conditions ; car si l’on suppose que la ligne xt, qui fait partie de l’axe du cône envoyé par le point R, restant fixe par son milieu, qui coïncide avec le centre de la lentille, tourne autour de ce centre, de manière que son extrémité t parcourre l’arc tm, et que son prolongement se réfracte continuellement dans l’espace situé entre tm et RA, ce prolongement aboutira successivement à différens points placés entre R et A, et il finira par coïncider avec le point A. Or, il est évident qu’à ce terme la ligne xt aura la position hc ; d’où il suit que si l’on considère maintenant Ac comme rayon incident, le rayon réfracté sera ch.

On voit aussi que le rayon Ac, en repassant dans l’air après sa réfraction en h, prendra une direction ha parallèle à celle qu’il avoit d’abord ; et si l’on suppose que la lentille n’ait qu’une petite épaisseur, on pourra considérer le rayon ha comme étant sensiblement sur la direction du rayon Ac, et ne formant avec lui qu’une même ligne.

Il suit de là que le cône auquel appartient l’axe Ao est, parmi tous ceux qu’envoie le point A, celui qui approche le plus de se trouver dans les mêmes circonstances que le cône du milieu, dont l’axe est la ligne Rt : or, ce cône sera aussi celui dont les rayons concourront sensiblement derrière la lentille en un point commun a.

On pourra appliquer le même raisonnement à tous les cônes partis des autres points de l’objet AB, d’où l’on voit que les rayons de tous ces différens cônes auront leurs foyers à peu près sur une ligne bra parallèle à la ligne ARB. Or, partout où il y a un foyer, il se forme une image du point radieux auquel appartient ce foyer ; et de là vient que si l’on expose derrière la lentille un carton à la distance convenable, on verra l’image se peindre sur ce carton. On conçoit pourquoi, dans le même cas, l’image est renversée, puisque les seuls cônes dont les rayons soient ramassés, pour ainsi dire, de manière à produire des foyers, s’entre-coupent au milieu de la lentille. C’est sur ce principe qu’est fondée la construction de la chambre obscure dont nous donnerons, dans la suite, la description.

860. Il est aisé de juger que la lentille de l’expérience que nous venons de citer est à peu près, à l’égard du carton qui présente l’image de l’objet, ce qu’est le cristallin par rapport à la membrane qui tapisse le fond de l’œil et qui reçoit pareillement les images des objets. Seulement cette lentille agit seule pour produire l’image que l’on voit sur le carton, au lieu que les différentes humeurs de l’œil concourent avec le cristallin à la représentation des objets sur la rétine.

861. Les choses étant dans le même état, au lieu de supposer à l’endroit de l’image ab un carton sur lequel l’œil aperçoive cette image, comme sur un tableau, à l’aide des rayons qui se réfléchissent de ses différens points, supprimons le carton, et concevons que l’œil aille se placer lui-même derrière la lentille, pour voir immédiatement l’image de l’objet AB[107]. Il est d’abord évident qu’il ne pourra plus la voir par l’intermède des rayons fb, ha, etc., qui avoient servi à la lui rendre présente lorsqu’elle étoit peinte sur le carton, puisque les axes des cônes auxquels appartiennent ces rayons continuent de diverger, au lieu qu’il seroit nécessaire qu’ils convergeassent vers cet œil.

Aussi la simple observation de l’espèce de changement de scène qui a lieu dans ce cas, suffit-elle pour indiquer que les rayons eux-mêmes ont changé de route ; car on voit alors communément deux images de l’objet ; de plus, chaque image n’est vue que d’un seul œil, et cela de manière que celle qui est située vers la gauche se peint dans l’œil droit et réciproquement ; c’est ce dont on peut s’assurer en fermant et en ouvrant chaque œil tour à tour. Enfin, quoique les rayons qui, dans ce cas, arrivent de chaque point de l’image à l’un ou à l’autre organe continuent de se croiser entre la lentille et cet organe, ainsi que nous le verrons plus bas, nous ne rapportons plus alors cette image à sa vraie place, c’est-à-dire, aux endroits où se croisent les rayons, mais elle nous paroit être derrière la lentille, à peu près comme celle qui a lieu lorsque l’objet est situé en deçà du foyer des rayons parallèles, excepté que dans le cas présent, elle est renversée et plus petite que l’objet. Nous parlerons bientôt d’un cas particulier, dans lequel les deux images se réduisent à une seule, que l’on voit alors des deux yeux.

862. Il s’agit maintenant de prouver que parmi les divers cônes qui des différens points d’un objet AB (fig. 147) se dirigent vers la lentille, il y en aura toujours qui seront repliés par la réfraction, de manière à produire les effets qui viennent d’être décrits. Supposons les deux yeux situés en o et o′. Du point B, il part un faisceau eBu, dont les rayons extrêmes Be, Bu se réfractent dans la lentille suivant es et uz ; et comme le rayon emergent qui sort par s est plus éloigné de l’axe que ce lui qui sort par z, il s’inclinera vers ce dernier ; en sorte que les deux rayons, après s’être croisés en b, se dirigeront vers l’œil, et tendront à lui faire apercevoir dans ce même point ou à peu près l’image du point B. Par un raisonnement semblable, on prouvera que le faisceau Ad tend à produire le même effet sur l’œil o, par rapport à l’image qui se forme en a du point A, et ainsi de tous les autres points intermédiaires de l’image ab. Ce qui vient d’être dit de cette image s’applique, de soi-même, à l’image a′b′ que l’œil o′ aperçoit par l’intermède des faisceaux Ag et Bf, et l’on conçoit sans peine comment les deux images sont l’une et l’autre renversées et plus petites que l’objet.

La circonstance dont il s’agit ici est analogue à celle qui a lieu, lorsqu’à l’aide d’un miroir concave (801) on aperçoit l’image double, soit derrière le miroir, soit par devant, parce que l’œil, qui est accoutumé à rapprocher et à identifier, pour ainsi dire, les deux images dans les cas ordinaires, où elles coïncident presque exactement, les reçoit ici sous des positions tellement séparées, qu’il ne se prête plus à l’illusion qui les lui feroit juger réunies en une seule.

863. Mais il peut arriver que les yeux, en variant leurs mouvemens, parviennent à une position sous laquelle les quatre faisceaux se croisent deux à deux aux endroits où leurs rayons ont eux-mêmes leurs intersections, auquel cas, les points a, a′ d’une part, et les points b, b′ de l’autre se confondront, ainsi que le représente la fig. 148, et alors il n’y aura plus qu’une seule image, qui sera vue des deux yeux à la fois.

Le premier phénomène, savoir celui qui produit les deux images représentées fig. 147, a cela de singulier, que les lieux où l’on rapporte ces images ne sont pas situés entre la lentille et l’objet ; et voici comment on peut expliquer jusqu’à un certain point cette singularité. On ne voit chacune des images dont il s’agit que d’un œil, comme nous l’avons dit, d’où il suit qu’il n’y a qu’un des axes optiques qui soit dirigé vers chaque image ; et ainsi il manque une des conditions qui sont communément nécessaires pour nous aider à bien juger de la position des objets (758), et qui le deviennent surtout lorsque la vision se fait par l’intermède d’un verre qui tire l’œil, en quelque sorte, de son état ordinaire. Ajoutons que, dans le cas présent, la position du véritable objet au delà du verre, nous porte à juger que l’image est située du même côté.

864. Si l’on présente un verre terne en deçà de la lentille, à l’endroit où se forment les foyers des cônes partis des différens points de l’objet, on apercevra les deux images sur ce verre même, comme s’il étoit nécessaire de donner un fond à cette peinture, tracée en quelque sorte au milieu de l’air, pour distraire l’œil de l’illusion où le jette la présence de la lentille ; et ce qui prouve que, dans ce cas, ce sont les prolongemens mêmes des rayons reçus par ce tableau qui, en pénétrant le verre, vont copier au fond de l’œil les traits du dessin, et non pas de nouveaux rayons réfléchis par la surface postérieure du verre, c’est que s’il n’y a qu’une seule image, elle se montre ou disparoît suivant que l’on ferme l’un ou l’autre œil, comme cela auroit lieu sans l’interposition du verre terne. Voilà déjà un moyen de rapporter l’image à sa vraie place.

865. Mais voici une expérience qui produit le même effet sans intermédiaire. Vous placez une lentille dans une position verticale, à une telle distance d’un objet très sensible, par exemple, d’une boule de métal attachée au haut d’un fil de fer vertical, que vous puissiez voir deux images de cette boule à travers la lentille ; vous écartez les yeux ensuite par degrés, et en même temps les deux images se rapprochent et deviennent toujours plus petites. Enfin, il y a un terme où elles concourent en une seule, et alors les deux axes optiques se trouvant dirigés sur cette image unique, vous la voyez très-distinctement en deçà de la lentille. Ce cas est celui que présente la fig. 148.

Maintenant si, en continuant de fixer l’image, vous rapprochez peu à peu les yeux de la lentille, vous voyez toujours l’image simple, quoique vous repassiez par des points où auparavant vous l’aviez vue double, et de plus, elle vient elle-même comme au-devant de vous. Il nous est arrivé quelquefois, en pareille circonstance, d’amener cette image à la proximité de sept ou huit centimètres de l’œil, ce dont il étoit facile de juger en avançant le doigt de manière qu’il se trouvât à côté de l’image ; et pour parvenir de nouveau à la voir double, nous étions obligés de recommencer l’expérience, après avoir regardé d’autres objets, comme pour effacer la dernière impression, et faire naître l’illusion dont elle avoit pris la place.

866. Les yeux naturellement le mieux conformés subissent avec l’âge différentes altérations : leurs humeurs se dessèchent et diminuent de volume ; la cornée et le cristallin s’aplatissent ; la lumière y est moins infléchie par la réfraction ; et, par une suite nécessaire, les sommets des pinceaux qui se forment dans l’œil ne tombent plus sur le fond de cet organe, mais tendent à aboutir au delà. L’image alors au lieu d’être composée de points distincts, n’est plus qu’un assemblage confus de petits cercles qui anticipent les uns sur les autres. On conçoit, d’après cela, pourquoi ceux dont la vue commence ainsi à baisser par l’effet de l’âge, et auxquels on a donné le nom de Presbytes, parviennent à lire encore assez distinctement, en plaçant le livre plus loin de leurs yeux ; car de cette manière les cônes de lumière envoyés par les différens points de l’écriture ayant des axes plus longs, tandis que leur base reste égale au cercle de la prunelle, il en résulte qu’en général les rayons divergent moins en allant vers l’œil, que dans le cas où le livre étoit plus près, et cette divergence les rend plus propres à converger, en vertu de leur réfraction dans les humeurs de l’œil, ce qui peut rapprocher assez leur point de concours, pour le faire correspondre sur la rétine. Mais lorsque le vice de l’œil, venant à augmenter, prive le vieillard de cette dernière ressource, il y supplée au moyen de verres légèrement convexes appelés lunettes, dont l’effet est de diminuer la divergence des rayons qui, dans ce cas, arrivent à l’œil comme s’ils partoient d’un point plus éloigné ; en sorte que quand les verres ont le degré de convexité assorti à l’état de l’œil, les rayons concourent au fond de cet organe.

867. Lorsque l’on présente une lentille aux rayons solaires, de manière que son axe coïncide avec leur direction, ces rayons, après s’être réfractés deux fois, l’une en traversant le verre, l’autre en repassant dans l’air, vont se rassembler dans un certain espace situé sur l’axe, et que l’on appelle le foyer de la lentille. Les corps exposés à l’activité de ce foyer y subissent des altérations analogues à celles que produit le foyer du miroir concave (807). La lentille, dans ce cas, prend le nom de verre ardent. Tschirnausen et Hartzoeker ont construit de ces lentilles qui avoient 13 décimètres (4 pieds) de diamètre.

Plus la lentille a d’étendue, et plus le foyer renferme de rayons. Mais ce foyer est proprement un assemblage d’une infinité de foyers, dont la dispersion sur différens points de l’axe fait perdre aux rayons une grande partie de leur activité. On les détermine à produire des effets beaucoup plus puissans, en les faisant passer par une seconde lentille plus petite et d’une forme très-convexe. Cette lentille réunit ainsi à l’avantage qui résulte d’une plus grande abondance de rayons, celui de les resserrer dans un espace plus étroit, où leur action s’exerce avec beaucoup plus d’énergie.

868. Lorsqu’on a bien saisi les effets des verres convexes, il est facile de concevoir ceux des verres concaves, qui ont en général des propriétés contraires. Ainsi ces derniers verres font voir les objets plus petits qu’ils ne le sont réellement, parce que les deux côtés de l’angle visuel, qui mesure la grandeur apparente de l’objet, perdant une partie de leur convergence en traversant le verre, cet angle devient plus petit qu’il ne le seroit à la vue simple.

869. Les mêmes verres diminuent la clarté des objets, parce que chaque pinceau de lumière se dilate par l’effet de la réfraction ; d’où il suit qu’il arrive moins de rayons à la prunelle que si le pinceau avoit conservé le degré de dilatation qu’il avoit en partant de l’objet.

870. Enfin, si l’on suppose que les rayons qui entrent dans l’œil soient prolongés du côté opposé, leur point de concours sera plus près de l’œil que dans le cas de la vision ordinaire. C’est encore une suite de la dilatation des pinceaux, qui rend les rayons plus divergens vers l’œil, ou, ce qui revient au même, plus convergens dans le sens opposé, que si le verre n’existoit pas.

Il est vrai que quand nous regardons un objet au moyen d’un verre concave, notre premier mouvement est de le juger plus éloigné qu’à la vue simple, parce que nous le voyons plus petit ; mais un coup d’œil plus attentif redresse bientôt ce faux jugement ; car si l’on fait ici une expérience semblable à celle que nous avons indiquée (857), en parlant du verre lenticulaire, c’est-à-dire, si l’on fait aller et revenir, derrière le verre concave, un objet délié et d’une certaine longueur, et que l’on compare la distance apparente de la partie vue par réfraction, avec celle de l’autre partie qui dépasse le verre et que l’on voit à l’œil nu, il sera facile d’apercevoir que la première distance est plus petite que l’autre.

871. On appelle Myopes ceux qui, par un défaut naturel, ont la cornée et le cristallin trop convexes. Cette figure, qui augmente la quantité de la réfraction, tend à rendre plus convergens les rayons des pinceaux qui se forment dans l’œil, en sorte que le point de concours des mêmes rayons est situé en deçà de la rétine. Aussi les myopes ne voient-ils distinctement que les objets voisins, qui envoient vers l’œil des rayons plus divergens, et par là moins disposés à converger, par l’effet de la réfraction dans le cristallin et les humeurs de l’œil. Cette imperfection étant opposée à celle qui affecte l’œil des presbytes, on y remédie par l’usage d’un verre légèrement concave qui, augmentant la divergence des rayons que reçoit l’œil, allonge les pinceaux qui se forment dans cet organe, et détermine leurs sommets à tomber plus exactement sur la rétine.

872. Les myopes semblent affectionner les petits objets : la plupart écrivent très-fin, et préfèrent de lire les ouvrages imprimés en petit caractère, parce qu’en adoptant des dimensions assorties à la portée étroite de leur vue, ils se ménagent la faculté d’embrasser un plus grand nombre d’objets d’un seul regard. Ils ont aussi l’habitude de fermer en partie les paupières[108] lorsqu’ils veulent voir distinctement des objets trop éloignés pour eux. On a cité deux avantages de ce mouvement naturel. D’une part, il détermine la paupière à se contracter et à donner accès à une plus petite quantité de lumière. Or, les myopes ne voient confusément les objets situés à une certaine distance, qu’en conséquence de ce que les cônes qui se forment dans leurs yeux ont, comme nous l’avons dit (871), leur sommet en deçà de la rétine, en sorte que les prolongemens des rayons dont ces cônes sont les assemblages donnent naissance à de nouveaux cônes, dont la base rencontrant le fond de l’œil, y dessine un petit cercle, au lieu d’un simple point. Donc, lorsque le nombre des rayons qui s’introduisent dans l’œil est diminué, le petit cercle dont il s’agit est plus rétréci, et la vision en devient moins confuse. D’une autre part, les paupières, en se fermant, exercent sur l’organe une pression qui en diminue la convexité, et le ramène en partie vers la forme la plus favorable à la netteté de la vision.

873. Lorsqu’on veut observer de très-petits objets, comme les étamines et les pistils des fleurs, les parties d’un insecte, on se sert communément d’une petite lentille dont la distance focale est fort courte, ou d’un globule de verre ; c’est ce que l’on appelle microscope simple. Supposons d’abord que l’on emploie une lentille mn (fig. 149), il est facile de concevoir que si cette lentille est mince, et que l’œil soit appliqué en o, tout près de sa surface, l’angle aob, sous lequel cet œil verra l’objet ab que l’on suppose très-petit, sera à peu près le même qu’à la vue simple ; car les rayons ao, bo passeront très-près du milieu c de la lentille, et par conséquent ils sortiront sensiblement parallèles aux directions qu’ils avoient en partant de l’objet, en sorte que leurs inclinaisons mutuelles ne seront presque point dérangées par l’effet de la lentille. Il suit de là que le microscope simple fait voir les objets à peu près sous la même grandeur apparente que s’ils étoient vus immédiatement à la même proximité de l’œil. Or, voici ce que l’on gagne à se servir d’une lentille.

874. Un petit objet placé très-près de l’œil nu, n’y produit qu’une image confuse, parce que les rayons qui composent les cônes de lumière envoyés par les différens points de cet objet, étant très-sensiblement divergens, ne peuvent se replier assez dans les humeurs de l’œil, pour que les sommets des cônes intérieurs aboutissent à la rétine. Les points de concours tendent à se faire plus loin, et l’on peut dire qu’à cet égard tous les hommes sont presbytes. On s’en convaincra facilement en regardant un petit objet très-voisin de l’œil ; l’image de cet objet paroîtra très-amplifiée, parce que l’œil étant, pour ainsi dire, en deçà des limites dans lesquelles est renfermé le champ de ses observations ordinaires, juge de la grandeur réelle par la grandeur apparente, comme lorsqu’il est au delà des mêmes limites, c’est-à-dire, lorsque l’objet est très éloigné de lui ; mais en même temps l’image prendra la forme d’une espèce de brouillard, par la raison que nous avons exposée.

Si, dans la même circonstance, on regarde l’objet à travers un papier percé d’un trou d’épingle, l’image paroîtra beaucoup plus nette, parce que ce trou ne laissera passer qu’une petite portion des rayons qui appartiennent à chaque cône, en sorte que les petits cercles que formeront sur le fond de l’œil les cônes intérieurs, étant presque réduits à de simples points, leurs impressions seront beaucoup plus distinctes.

875. Maintenant voici ce que fait le microscope simple : il diminue sensiblement la divergence des rayons qui composent les cônes partis de l’objet, et les fait parvenir à l’œil sous le même degré d’inclinaison que s’ils venoient d’un objet situé à une distance ordinaire. En conséquence, la vision de cet objet deviendra distincte, et en même temps l’image prendra un nouveau degré de clarté, parce que, dans ce cas, la réfraction rassemble et condense les rayons, de manière qu’il en arrive davantage à la prunelle qu’elle n’en recevroit sans Pinterposition du verre (855) : de plus, l’angle visuel restant le même, l’objet sera vu sous la même grandeur apparente. Ainsi l’on sait qu’en général, un homme doué d’une bonne vue aperçoit distinctement un objet à la distance d’environ 22 centimètres (8 pouces) ; mais si l’objet est très-petit, l’angle sous lequel on le voit à cette distance rétrécit tellement l’image au fond de l’œil, que la vision n’a plus assez de netteté. Le microscope assimile l’image à celle d’un objet d’une grandeur très-sensible, qui seroit placé à cette distance ordinaire de 22 centimètres, où la vision immédiate est distincte. Il laisse à l’œil l’avantage de l’augmentation de grandeur, et fait disparoître l’inconvénient qui naît de la trop grande proximité de l’objet.

On dispose la lentille de manière que l’objet coïncide sensiblement avec son foyer, parce qu’alors les rayons de chaque pinceau extérieur arrivent à l’œil ou parallèles, ou très-peu divergens, ce qui est la condition requise pour la netteté de la vision, en supposant l’œil bien conformé.

876. Dans la même hypothèse, le diamètre apparent de l’objet, vu à travers la lentille, est à celui qui auroit lieu à la distance où l’œil aperçoit distinctement les objets ordinaires, comme l’angle sous lequel cet œil voit l’objet placé au foyer de la lentille, est à celui sous lequel il le verroit à la distance dont nous avons parlé. Or, les deux angles sous-tendent des cordes égales qui mesurent l’une et l’autre le diamètre réel de l’objet, de manière que chacun d’eux forme avec sa corde un triangle dont celle-ci est la base. Donc ces angles sont entre eux à peu près en raison inverse des hauteurs des triangles auxquels ils appartiennent. Or, la hauteur du triangle le plus court est la distance focale de la lentille, et la hauteur du plus long triangle est la distance relative à la vision distincte ; d’où il suit que le diamètre de l’objet paroît amplifié dans le rapport de cette dernière distance à la distance focale de la lentille. Par exemple, si nous supposons toujours que la distance relative à la vision distincte des objets d’une grandeur sensible soit de 22 centimètres, et que la distance focale de la lentille soit de 2mill.,5, le diamètre de l’objet paroîtra augmenté dans le rapport de 88 à l’unité.

877. On peut substituer à une lentille un globule de verre, que l’on forme aisément en faisant fondre un petit fragment de cette substance à la flamme d’une mèche à alkohol, pour éviter le mélange de matière fuligineuse qui troubleroit la transparence du verre. On fait aussi des microscopes simples par un procédé très-facile, en perçant une plaque mince de métal d’un petit trou, et en faisant couler dans ce trou une goutte d’eau suspendue à une tête d’épingle, de manière que la goutte prenne une forme bien arrondie ; mais ces sortes de gouttes produisent moins d’effet que les globules de verre, parce que leur puissance réfractive est plus petite.

De la Vision aidée par les Instrumens composés
de plusieurs Verres.

Il nous reste à faire connoître les ressources que l’art a su tirer de la combinaison des verres, soit entre eux, soit avec les miroirs, pour créer ces instrumens qui sont devenus si féconds en découvertes entre les mains des astronomes, des naturalistes, et de toute cette classe d’observateurs qu’on a désignés sous le nom de savans aux yeux de lynx.

878. Les effets des télescopes et des microscopes dépendent en général de ce qu’un premier verre fait naître, dans l’espace compris entre lui et le suivant, une image que celui-ci transporte à son tour derrière un nouveau verre, et ainsi de suite, de manière que la dernière image devient comme l’objet immédiat de la vision ; et toute la théorie relative à ce sujet consiste à déterminer la construction la plus avantageuse pour rendre cette dernière image aussi distincte, aussi grande et aussi éclairée qu’il est possible. L’œil qui reçoit cette image fait, en quelque sorte, partie du télescope ou du microscope, et l’ensemble de l’un et l’autre forme comme un seul instrument d’optique, ou, si l’on veut, un œil unique, qui réunit toute la puissance de la nature et de l’art pour élever la vision à son plus haut point de perfection.

879. Le plus simple de tous les télescopes est celui qui porte le nom de télescope ou de lunette astronomique ; il est composé de deux verres convexes, dont l’un gh (fig. 150), qui est tourné vers l’objet, s’appelle objectif, et l’autre kn, situé vers l’œil o, est l’oculaire. Ce dernier a plus de convexité que l’autre, et son foyer r se confond avec celui de l’objectif gh, en sorte que cl est égale à la somme des distances focales. L’œil placé au point o, où est situé l’autre foyer de l’oculaire, reçoit des rayons dont les impressions sur la rétine y représentent l’objet renversé et très-amplifié.

Il est aisé de juger, d’après la seule inspection de la figure, que l’objectif gh produit d’abord en ab une image de l’objet très-éloigné AB, semblable à celle dont nous avons exposé précédemment la formation (859), et que l’on pourroit recevoir immédiatement, en plaçant un carton blanc à la distance rc du centre de l’objectif. Cette image se trouve substituée au véritable objet, et les pinceaux kbm, nax, etc., qui partent de ses différens points, et dont les rayons ne sont autre chose que les prolongemens de ceux qui ont passé à travers l’objectif, se replient dans l’oculaire, de manière qu’en repassant dans l’air, ils concourent vers l’œil suivant des directions zo, po, en même temps que les rayons de chaque pinceau perdent presque toute leur divergence, ce qui donne de la netteté à l’image au fond de l’œil. D’une autre part, l’angle zop sous lequel l’œil aperçoit l’objet fictif ab étant beaucoup plus grand que celui sous lequel il verroit le véritable objet, la grandeur apparente se trouve considérablement augmentée ; et l’on prouve, par la géométrie, qu’elle est à la grandeur sous laquelle l’œil verroit immédiatement l’objet, comme la distance focale de l’objectif est à celle de l’oculaire[109]. Il suit de là que l’on gagne du côté des dimensions, à employer des oculaires d’un foyer plus court ; mais en même temps on perd du côté de la netteté de l’image qui se peint au fond de l’œil, parce que les rayons d’un même pinceau, après avoir traversé un oculaire dont le foyer étant plus rapproché exige une plus grande convexité, ne concourent pas aussi exactement sur la rétine en un point commun.

880. La lunette que nous venons de décrire ne sert que pour les objets célestes, à l’égard desquels le renversement de l’image a peu d’inconvéniens. On a imaginé, pour les objets terrestres, une autre espèce de lunette, connue sous le nom de lunette batavique ou de lunette de Galilée, qui est composée d’un objectif convexe et d’un oculaire concave, et qui fait voir les objets droits. Voici la marche de la lumière dans cette lunette.

Lorsqu’un objet est situé derrière un verre convexe, au delà du foyer des rayons parallèles, l’image que forment, du côté opposé, les rayons partis des différens points de l’objet (861), devient plus petite à mesure que cet objet est plus éloigné. Or, telle est la petitesse de celle que tend à produire l’objectif de la lunette batavique, que l’espace qu’elle occuperoit, sur un carton placé à la distance convenable, seroit sensiblement moindre que la surface sur laquelle les objets se peignent au fond de l’œil.

Soit gh (fig. 153) l’objectif ; soient AC, BC deux rayons partis des extrémités de l’objet, lesquels après s’être croisés au centre C de l’objectif, auroient été former en ab une petite image de l’objet. Si l’on place un oculaire concave kn entre l’objectif et cette image, les rayons divergens Cs, Ct le deviendront encore davantage en passant à travers cet oculaire, et prendront les directions sb′, ta′, d’où il suit que si la ligne Dd représente le diamètre de la prunelle de l’observateur, il verra l’image de l’objet sous la grandeur b′a′ beaucoup plus considérable que celle sous laquelle il la verroit sans intermédiaire.

Supposons que Cs, Ct soient les axes des pinceaux envoyés par les points A, B ; les rayons qui forment ces pinceaux convergeront vers l’oculaire, puisqu’ils iroient sans lui se réunir en a et en b ; et telle est la courbure de ce verre, qu’il rendra les rayons émergens parallèles ou à peu près, en sorte qu’ils entreront dans l’œil sous les directions convenables pour produire une image nette au fond de cet organe.

Enfin, il est évident que l’objet paroîtra droit, parce que les rayons partis des points A et B, au lieu de se croiser, à l’ordinaire, en traversant la prunelle, se seront croisés en passant à travers l’objectif, ce qui produit le même effet par rapport à la situation de l’image.

Tel est donc l’effet de l’oculaire kn que, par son intermède, les rayons qui tendoient à faire naître dans l’espace l’image ab, la peignent au fond de l’œil sous de plus grandes dimensions, comme si cette image étoit celle d’un objet situé au delà de z, et dont les extrémités envoyassent des rayons qui, après s’être croisés dans ce même point, continuassent leur route, sans se croiser dans la prunelle elle-même, en suivant les directions zb′, za′. La grandeur apparente de l’image est à celle sous laquelle l’œil verroit l’objet, à la vue simple, dans le rapport de la distance focale de l’objectif à celle de l’oculaire, comme cela a lieu pour la lunette astronomique[110].

881. On nomme champ d’une lunette l’étendue de l’espace qu’elle permet à l’œil d’embrasser. Dans la lunette astronomique, la grandeur du champ dépend de la largeur de l’oculaire ; mais dans celle de Galilée elle est déterminée par la largeur de la prunelle, parce que les pinceaux de lumière sb′, ta′, qui sortent de l’oculaire, et qui renferment entre eux tous les autres envoyés par l’objet, vont, en s’écartant, passer près des bords de la prunelle, au lieu que dans la lunette astronomique, les pinceaux partent des bords de l’oculaire sous des directions convergentes, pour aller ensuite se croiser dans la prunelle : aussi la lunette de Galilée a-t-elle moins de champ, ce qui la rend d’un usage moins commode.

882. On parvient à redresser les objets vus au moyen de la lunette astronomique, en ajoutant deux nouveaux verres tellement disposés que les foyers des verres voisins se confondent toujours en un point commun. Ces verres portent le nom d’oculaires, comme celui qui est à la proximité de l’œil. On jugera aisément des effets de cette lunette à la seule inspection de la fig. 154. Les rayons eb, da, etc., qui forment l’image ab derrière l’objectif gh, après avoir pénétré le deuxième verre il, se croisent au foyer commun c de ce verre et du suivant ts ; ils passent à travers ce troisième verre, au delà duquel ils vont former une seconde image a′b′, qui est renversée par rapport à la précédente, et enfin l’oculaire kn les reçoit, en les rendant convergens vers le centre o de la prunelle.

883. Les instrumens que nous venons de décrire, et en général tous ceux qui sont connus sous le nom de télescopes dioptriques, ont deux défauts frappans qui empêchent que les images ne soient nettes et bien terminées.

Le premier, que l’on nomme aberration de sphéricité, provient de la figure sphérique des verres, qui ne permet qu’aux rayons très-voisins de l’axe de concourir sensiblement en un point commun (646). Ceux qui sont plus éloignés, étant plus fortement réfractés, coupent l’axe en deçà du même point, en sorte que le foyer est réellement un espace d’une certaine étendue. Il en résulte que l’image principale, ou celle qui est produite à l’endroit où il se réunit le plus de rayons, est comme offusquée par une multitude d’autres images qui rendent la vision confuse.

884. Le moyen le plus simple que l’on ait trouvé jusqu’ici pour remédier à cet inconvénient, est de diminuer la surface de l’objectif. L’étendue de cette surface est ce qu’on appelle l’ouverture du télescope, et elle se mesure par le nombre de degrés renfermés dans l’arc qui passe par deux points opposés du bord circulaire de la même surface, et par le point où l’axe de l’objectif la rencontre. En rétrécissant l’ouverture, on intercepte les rayons qui tombent à une certaine distance de l’axe, et qui troubleroient la vision.

885. On avoit regardé d’abord le défaut dont nous venons de parler, comme le seul qui s’opposât à la perfection des télescopes ; mais celui qui provient de la différente réfrangibilité des rayons diversement colorés influe d’une manière bien plus nuisible sur la netteté des images.

Pour bien entendre ceci, remarquons que la surface d’un verre lenticulaire n’est autre chose qu’un assemblage d’une infinité de petits plans, dont deux quelconques pris de deux côtés opposés, sont censés appartenir à deux faces d’un prisme, pourvu qu’ils ne soient point dans les positions où les tangentes sont parallèles. Or, parmi les rayons d’un même faisceau, qui forment un foyer derrière une lentille, il n’y a que l’axe qui sorte parallélement à lui-même. Tous les autres rayons sortent par des facettes inclinées à l’égard de celles par lesquelles ils sont entrés. Il en résulte qu’une lentille fait subir à la lumière une décomposition analogue à celle qui a lieu par l’intermède d’un prisme. Supposons, pour plus grande simplicité, qu’un faisceau de rayons parallèles rencontre une lentille sous des directions qui soient elles-mêmes parallèles à l’axe de cette lentille. Les rayons, après avoir repassé dans l’air, iront former le long de l’axe une série de foyers, parmi lesquels le plus voisin de la lentille sera celui des rayons violets, qui sont les plus réfrangibles, et le plus éloigné celui des rayons rouges, qui ont la plus petite réfrangibilité ; les autres foyers seront situés entre les précédens, suivant l’ordre de leurs degrés de réfrangibilité. La même chose a lieu à l’égard d’un faisceau qui fait son incidence sous une direction quelconque.

886. L’effet de la décomposition dont nous venons de parler exerce son influence sur la vision à l’aide des lunettes et des télescopes ordinaires. Les rayons diversement colorés, qui forment les pinceaux envoyés par les différens points de l’objet, étant dégagés les uns des autres au sortir de l’objectif, font naître derrière ce verre une image altérée par la diffusion des foyers ; et les rayons qui sortent de l’oculaire transportent cette image au fond de l’œil, avec toutes ses causes d’imperfection. Les couleurs produites par la lumière décomposée s’effacent vers le milieu de l’image, où les rayons recomposent le blanc par leur mélange ; mais elles deviennent sensibles en approchant des bords, et y font apercevoir ces franges irisées qui défigurent les images et les empêchent d’être nettement terminées : ce défaut a été nommé aberration de réfrangibilité.

887. Newton, dont les découvertes sur les couleurs ont servi à mettre ce défaut en évidence, s’attacha à prouver combien il étoit nuisible au perfectionnement des télescopes catadioptriques, surtout si l’on se proposoit de raccourcir ces instrumens, pour les rendre plus maniables et d’un usage plus commode. En conséquence il prononça que la construction d’un télescope de ce genre, qui n’eût qu’une médiocre longueur et conservât aux images une netteté suffisante, étoit une affaire désespérée[111].

Dans cette persuasion, il tourna ses vues du côté de la réflexion, et imagina une construction dans laquelle il substituoit à l’objectif un miroir concave de métal. L’instrument qu’il exécuta d’après ce principe est connu sous le nom de télescope Newtonien, et nous allons en donner une idée.

888. Soit AB (fig. 155) l’image d’un objet lointain, produite à l’aide du miroir concave MVN, de manière que SMA, TGA représentent les rayons extrêmes du pinceau envoyé par le point de l’objet auquel répond le point A de l’image. Si l’on vouloit faire passer immédiatement cette image à travers un oculaire, on en intercepteroit une partie : or, on pare à cet inconvénient, en détournant cette image au moyen d’un petit miroir plan de, incliné de 45d à l’axe HV du miroir concave, d’où résulte une seconde image ab, qui devient l’objet de la vision. Les rayons ar, az passent à travers l’oculaire kn, qui, comme on le voit, est situé de côté, et, après s’être réfractés en repassant dans l’air, suivant des directions, uy, qh à peu près parallèles, se dirigent vers l’œil placé en O, et lui font voir l’image amplifiée sous l’angle qox. Cette image est en même temps renversée, en vertu des propriétés du miroir concave que nous avons exposées plus haut (804). Ces sortes d’instrumens ont été nommés, en général, télescopes catadioptriques, parce qu’ils réunissent les effets combinés de la réflexion et de la réfraction.

889. Newton avoit été prévenu quelques années auparavant, relativement à l’idée d’un télescope construit suivant cette méthode, par Jacques Gregori, qui donna dans son Optica promota la description de celui qu’il avoit imaginé. Il employoit deux miroirs curvilignes, l’un parabolique, l’autre elliptique ; mais la difficulté d’exécuter de pareils miroirs, y a fait substituer depuis des miroirs simplement sphériques : le plus grand est placé au fond du télescope, comme dans la construction de Newton ; l’autre, qui est très-petit, regarde le premier par sa concavité. L’image formée pu la réflexion sur le grand miroir, est reçue par le petit, qui la réfléchit à son tour. On place deux oculaires derrière le grand miroir qui est percé dans son milieu d’une ouverture circulaire, par laquelle passe l’image renvoyée par le petit miroir. Le premier oculaire produit une nouvelle image, d’où partent les rayons qui vont se rendre à l’œil en sortant du second oculaire sous des directions parallèles.

Ce télescope fait voir les objets droits, et par là même est plus propre que celui de Newton à l’observation des objets terrestres ; mais il le cède à ce dernier, soit du côté de la clarté, parce que la lumière a un verre de plus à traverser, soit pour la perfection de l’image, parce que le second miroir, qui est concave comme le premier, ajoute encore aux petites altérations inséparables de la réflexion qui se fait sur ces sortes de miroirs. Après tout, la construction des télescopes catadioptriques exigeoit une multitude de précautions délicates, et il falloit long-temps tâtonner, pour les diriger vers les objets que l’on vouloit observer.

890. Tel étoit l’état de la dioptrique, lorsqu’en 1747, Euler, en réfléchissant sur la structure de l’œil, conçut une idée qui a eu les suites les plus avantageuses pour le progrès de cette science. Voici en quoi consiste l’idée, dont il s’agit. Lorsque nous regardons les objets à la vue simple, leurs images ne sont altérées par aucun mélange de couleurs étrangères. Cet inconvénient n’a lieu, que quand des images produites par la réfraction à travers une lentille, et déjà teintes de couleurs prismatiques, deviennent les objets immédiats de la vision. Euler concluoit de là que l’œil avoit toutes les propriétés d’un instrument capable de faire disparoître l’aberration de réfrangibilité ; il ne douta point que les différentes humeurs de cet organe ne fussent arrangées de manière qu’il n’en résultât aucune diffusion des foyers, et il jugea qu’en le prenant pour modèle, et en combinant, d’une certaine manière, des milieux de densités différentes, on parviendroit à construire des télescopes, à l’aide desquels les images auroient la même perfection que celles qui ont lieu, lorsque nous n’employons, pour voir les objets, d’autre instrument que l’œil lui-même.

891. Euler, en partant de l’idée que nous venons d’exposer, chercha les dimensions que devoient avoir des objectifs composés de verre et d’eau, pour imiter la combinaison qui a lieu naturellement par rapport à l’œil ; mais Dollond, savant opticien anglais, rejeta ces dimensions, parce qu’elles étoient fondées sur une loi de réfraction dont il soupçonnoit la vérité[112] : il essaya d’employer une loi différente, qui ne lui réussit pas. La discussion s’engagea de part et d’autre. Euler insistoit toujours sur la possibilité d’anéantir la diffusion du foyer par le procédé qu’il avoit indiqué. Dollond, de son côté, avoit fini par regarder la chose comme absolument impraticable, et il repoussoit, avec le nom et l’autorité de Newton, toutes les raisons qu’on lui opposoit. \

892. Ce qui rendoit ce célèbre artiste si ferme dans son opinion, c’étoit le résultat d’une expérience de Newton, que nous avons déjà indiquée (817), et qu’on étoit bien éloigné de croire qu’il eût manquée, lui qui avoit coutume d’interroger si adroitement la nature.

Newton ayant fait passer un faisceau de lumière à travers deux milieux contigus, de densités différentes, savoir, l’eau et le verre, crut remarquer que quand les deux surfaces, dont l’une recevoit les rayons incidens et l’autre donnoit issue aux rayons émergens, se trouvoient tellement disposées, que la lumière fût redressée par des réfractions contraires, en sorte que les rayons émergens devenoient parallèles aux incidens, elle sortoit toujours blanche. Au contraire, si les rayons émergens étoient inclinés aux incidens, la blancheur de la lumière se coloroit vers ses extrémités, à mesure qu’elle s’éloignoit du point d’émergence[113].

893. Voici maintenant la conséquence à laquelle conduisoit ce résultat, que Newton étendoit, par analogie, à toutes les espèces de milieux. Les objectifs que l’on emploie dans la construction des télescopes ne produisent les images qui deviennent les objets de la vision (873), pour un œil placé derrière l’oculaire, qu’autant que la réfraction à travers ces objectifs écarte les rayons émergens, relatifs à chaque pinceau de lumière, du parallélisme avec les rayons incidens. Donc, puisque l’on ne peut empêcher que, dans le cas où ce parallélisme cesse d’avoir lieu, les couleurs renfermées dans la lumière ne se séparent, même lorsque l’on essaye de combiner des substances différemment réfringentes, il est impossible de concilier la destruction des franges irisées qui bordent les images, avec l’effet de la réfraction pour produire ces mêmes images. Cette conséquence s’éclaircira encore d’après les nouveaux détails dans lesquels nous entrerons bientôt.

La persuasion où l’on étoit que Newton avoit fait son expérience avec l’exactitude qui lui étoit ordinaire, les recherches de Clairault qui, ayant examiné la loi proposée par Euler, avoit trouvé qu’elle ne soutenoit pas l’épreuve du calcul, tout conspiroit à faire croire que Newton avoit posé la borne qu’il étoit défendu à la science et à l’art de franchir.

894. Cependant en 1755, Klingenstiern, professeur de mathématiques à Upsal, fit passer à Dollond un écrit, dans lequel il se bornoit à attaquer l’expérience de Newton par la métaphysique et par la géométrie, mais d’une manière assez imposante pour forcer Dollond de douter de la vérité de cette expérience. Enfin, il osa la répéter, et la trouva fausse. Il joignit d’eux plaques de verre par deux de leurs bords, en sorte qu’il pouvait faire varier à volonté l’angle qu’elles formoient entre elles, puis il remplit d’eau l’espace intermédiaire ; il plongea dans cette eau un prisme de verre, dont l’angle étoit tourné en haut, c’est-à-dire, en sens contraire de l’angle formé par les deux plaques de verre. Il inclina ensuite ces plaques sous différens degrés, jusqu’à ce que les objets vus au travers de ce double prisme parussent sensiblement à la même hauteur que dans la vision simple. Il étoit bien sûr alors que les réfractions se détruisoient l’une l’autre, c’est-à-dire, que les rayons émergens étoient parallèles aux rayons incidens. Or les images, dans ce même cas, étoient teintes des couleurs de l’iris. Venoit-on ensuite à faire mouvoir de nouveau les plaques de verre, jusqu’à un certain degré d’inclinaison ? les iris disparoissoient ; mais les objets n’étoient plus à la même hauteur que quand on les regardoit immédiatement, et ainsi l’aberration de réfrangibilité étoit anéantie, sans que les réfractions se corrigeassent mutuellement[114].

Cette expérience décida la question. On chercha des substances dont la combinaison fût propre à détruire la diffusion des foyers, en laissant subsister la plus grande quantité possible de réfraction. Des géomètres illustres s’occuperont de déterminer les courbures les plus avantageuses relativement aux objectifs composés de différens milieux ; et c’est de toutes ces recherches qu’est sortie la construction des lunettes achromatiques, c’est-à-dire, de celles qui font voir les images nettement terminées et sans aucunes franges de couleurs empruntées. Nous allons exposer, le plus clairement que nous pourrons, à l’aide du simple raisonnement, les principes sur lesquels est fondée cette construction.

895. Nous avons vu (689) que Newton avoit déterminé immédiatement les différences entre les sinus de réfraction des rayons diversement colorés qui composent la lumière, pour le cas où le passage se fait du verre dans l’air, et qu’il avoit trouvé que la loi de ces différences étoit la même que celle qui représente les sept notes de notre échelle musicale, relative au mode mineur. Supposons que l’on emploie un prisme d’une autre matière que le verre, et qui soit, par exemple, beaucoup plus dense. Si les circonstances sont les mêmes, c’est-à-dire, si les deux angles réfringens sont égaux, et les rayons incidens également inclinés aux surfaces réfringentes, ces rayons s’infléchiront en général sous de plus grands angles dans le second prisme ; d’où il suit que la quantité dont le faisceau sera dilaté, au sortir de ce prisme, sera plus considérable. Supposons de plus que les réfractions partielles suivent entre elles une même loi relativement à toutes les espèces de substances, c’est-à-dire, cette loi qui est représentée par notre échelle musicale. Si l’on prend pour terme de comparaison la réfraction du rayon qui occupe le milieu du spectre solaire, et que l’on peut regarder comme l’axe du faisceau dilaté, il est clair que la quantité totale de la dilatation suivra, pour les différentes substances, le même rapport que la réfraction du rayon dont il s’agit ; en sorte que si cette dernière est, par exemple, d’un tiers plus forte dans le second prisme, le faisceau qui en sort se trouvera dilaté sous un angle plus ouvert à proportion. La réfraction de ce rayon, qui occupe le milieu du spectre, est ce qu’on appelle la réfraction moyenne, et la quantité de la dilatation, ou l’excès de la réfraction du rayon violet sur celle du rayon rouge, se nomme dispersion.

Dans la même hypothèse, où la réfraction moyenne seroit proportionnelle à la dispersion, on ne pourroit jamais détruire l’effet de la dispersion en combinant plusieurs milieux, sans que l’effet de la réfraction moyenne ne fût en même temps anéanti ; car la compensation qui auroit lieu à l’égard de l’axe du faisceau s’étendroit également à tous les autres rayons, qui sortiroient de même parallèles à leurs premières directions. C’étoit la conséquence à laquelle conduisoit l’expérience de Newton, et que lui-même en avoit déduite.

Mais il n’en est pas ainsi, et la loi que suivent les réfractions des rayons diversement colorés varie suivant les différentes natures des milieux, ou, ce qui revient au même, la dispersion n’est pas proportionnelle, dans les différens milieux, à la réfraction moyenne ; en sorte qu’il peut très-bien arriver, par exemple, qu’un milieu qui auroit une réfraction moyenne, seulement un peu plus forte que celle d’un autre milieu, fasse subir aux rayons de la lumière une dispersion beaucoup plus considérable.

896. Cela posé, concevons d’abord deux prismes égaux et semblables de la même matière, appliqués l’un contre l’autre, de manière que leurs angles réfringens se trouvent tournés en sens contraire. Soient acb, cby (fig. 156) les coupes des deux prismes dans un sens perpendiculaire aux axes ; c et b seront les angles réfringens. Or, dans ce cas, il est évident qu’un faisceau de lumière de qui rencontre la surface ca sous une obliquité quelconque, après s’être dilaté en traversant les deux prismes, sortira de manière que les différens rayons émergens ks, rq, tu seront parallèles au rayon incident de, puisque by est elle-même parallèle à ca.

Imaginons maintenant que le prisme cby, étant d’une nature différente de celle du prisme acb, ait une réfraction moyenne seulement un peu plus forte, et qu’en même temps la dispersion qu’il fait subir aux rayons soit beaucoup plus considérable à proportion : l’axe rq du faisceau émergent ne sera plus dirigé par la réfraction moyenne parallélement à de ; et par conséquent l’image du point d sera un peu déplacée. De plus, les rayons extrêmes ks, tu divergeront d’une quantité beaucoup plus grande que celle qui mesure le déplacement de l’image du point d. Si l’on fait varier alors l’angle cby jusqu’au point où cette image seroit remise à sa place, et où par conséquent l’effet de la réfraction moyenne seroit détruit, il est clair que la dispersion sera encore très-sensible. Enfin, si l’on continue de faire varier le même angle jusqu’à ce que l’effet de la dispersion soit nul à son tour, la réfraction moyenne reparoîtra, et l’image du point d sera déplacée de nouveau ; c’est-à-dire, que d’une part la lumière sera recomposée, et que d’une autre part les rayons émergens s’écarteront du parallélisme avec les incidens.

897. Rappelons-nous maintenant les deux principes déjà établis : un verre lenticulaire n’est autre chose qu’un ensemble de petites portions de prismes, dont les faces se confondent avec celle de ce verre aux endroits par lesquels entre et sort un même rayon (885) ; de plus, lorsque le même verre reçoit, sur une de ses faces, des rayons envoyés par les différens points d’un objet, il ne produit une image de cet objet, du côté de la face opposée, qu’en conséquence de ce que les rayons émergens sont inclinés par rapport aux rayons incidens (893). On conçoit donc comment il est possible de composer un objectif, en combinant des milieux de différentes densités, de manière que la lumière sorte de cet objectif sans aucune dispersion, tandis que l’effet de la réfraction, pour faire naître l’image dont nous avons parlé, subsistera encore.

Au moyen de cette combinaison, les rayons de chacun des pinceaux de lumière qui ont traversé l’objectif, se dirigent de manière à concourir sensiblement vers un même point de l’axe du pinceau, et à y former un foyer unique, par la réunion de tous les foyers particuliers. À la rigueur, il n’y a que les rayons rouges et les rayons violets dont les foyers se confondent exactement ; mais les petites aberrations qui existent encore dans les rayons intermédiaires sont en quelque sorte couvertes par la parfaite coïncidence des extrêmes.

898. Les deux substances dont on compose l’objectif des lunettes achromatiques sont, l’une le flint-glass, qui est une espèce de verre dans lequel il entre environ un tiers de minium, ou d’oxyde rouge de plomb, et l’autre le crown-glass, qui est de la nature du verre ordinaire employé par les vitriers. On a trouvé que la dispersion produite par le flint-glass étoit très-grande à l’égard de celle qui provenoit du crown-glass, à peu près dans le rapport de 3 à 2, tandis que sa réfraction moyenne surpassoit peu celle du même verre[115]. Dans un grand nombre de lunettes achromatiques, l’objectif est formé simplement de deux verres, l’un convexe d’un côté et concave de l’autre, qui est de flint-glass, l’autre bi-convexe, qui est de crown-glass, et dont une des convexités s’emboîte dans la concavité du premier. D’autres lunettes ont leur objectif composé d’un verre bi-concave de flint-glass placé entre deux verres bi-convexes de crown-glass. Ces lunettes sont plus parfaites que les précédentes.

899. La construction que nous venons de décrire ne corrige l’aberration de réfrangibilité que par rapport à l’objectif, elle laisse subsister celle qui provient de l’oculaire ; mais comme le court trajet que les rayons qui sortent de ce verre ont à faire pour arriver à l’œil ne leur permet que de subir une assez légère séparation, on regarde l’aberration qui en résulte comme susceptible d’être négligée : l’objectif a fait l’essentiel ; le reste est de nature à pouvoir être toléré par l’œil.

900. Nous venons de parler des instrumens qui font franchir à l’œil des distances immenses ; nous devons faire connoître aussi ceux qui donnent pour lui de la grandeur aux atomes. Le microscope à deux verres a beaucoup d’analogie avec le télescope astronomique (879). L’objectif gh (fig. 157) est très-petit et très-convexe ; on place l’objet ab un peu plus loin que le foyer de ce verre, d’où il suit que les rayons de chacun des faisceaux, qui vont de a en a′ et de b en b′, lesquels rayons sortiroient parallèles si l’objet étoit exactement au foyer, ne s’inclinent que peu l’un vers l’autre ; en sorte qu’ils forment une image renversée a′b′ de l’objet, à une grande distance de l’objectif, et qui par conséquent a déjà beaucoup plus d’étendue que cet objet. L’oculaire kn est situé de manière que son foyer concourt à peu près avec le milieu x de l’image a′b′, et ainsi les rayons lo, sy d’une part, et ty, ro de l’autre, étant très-peu divergens, et, de plus, les deux pinceaux auxquels appartiennent ces rayons acquérant, au contraire, une convergence considérable, l’œil placé en o verra l’objet en a″b″ très-amplifié, pour deux raisons différentes.

Car l’image a′b′ étant regardée à la vue simple, paroîtroit déjà sensiblement plus grande que l’objet ab. Or cette image, à son tour, devient l’objet que l’œil aperçoit à travers l’oculaire, et ce verre faisant ici l’office d’une forte lentille, l’angle rol sous lequel l’œil verra distinctement ce même objet en a″b″, sera beaucoup plus grand que celui sous lequel il le verroit avec la même netteté sans aucun intermédiaire. Donc le grossissement de l’image étant une combinaison de deux effets, dont chacun tend par lui-même à augmenter très-sensiblement ses dimensions, croîtra dans un très-grand rapport. On fait aussi des microscopes à trois verres, auxquels il est facile d’appliquer l’explication précédente.

Ces admirables instrumens ont, pour ainsi dire, doublé l’univers à notre égard : ils nous ont fait voir, dans des gouttes presque imperceptibles de différens liquides, des animaux jusqu’alors inconnus ; ils nous ont dévoilé plusieurs mystères de l’organisation des plantes. Des corpuscules, en apparence informes, prennent des figures régulières ; les poussières qui composent la graine de la mauve deviennent des globules hérissés de pointes ; celles qui sont portées des étamines sur les pistils des diverses plantes, paroissent de même sous des formes symétriques et constantes dans chaque espèce ; les plus petites parties des insectes offrent des assemblages de pièces assorties entre elles avec un art dont le nôtre n’est qu’une imitation grossière ; et ce que l’œil revoit est aussi nouveau pour lui que ce qu’il n’a pas encore vu.

Description succincte de quelques Instrumens
particuliers de Dioptrique.

Les instrumens que nous nous proposons de décrire dans cet article, ont pour but de représenter des images qui sont vues immédiatement sur des surfaces planes disposées pour les recevoir.

901. Si l’on pratique au volet d’une chambre exactement fermée, une ouverture d’environ 27 millimètres (un pouce) de diamètre, la lumière qui s’introduit par ce trou va dessiner sur la muraille opposée les images des objets extérieurs, dont les traits sont seulement comme ébauchés, et ressemblent à des ombres légères. Cette observation a fait naître l’idée de l’instrument d’optique appelé chambre obscure ou chambre noire. Au lieu de laisser libre l’ouverture par laquelle entre la lumière, on y applique un verre lenticulaire, qui détermine les différens pinceaux envoyés par les objets extérieurs a former autant de foyers derrière le verre, et l’on dispose, à la distance de ces foyers, un carton blanc sur lequel les images se peignent avec netteté et revêtues de toutes leurs couleurs. Mais ces images sont renversées, parce que les pinceaux se croisent en traversant la lentille. On peut les redresser, en les regardant par réflexion dans un miroir situé horizontalement ou à peu près. Si la chambre obscure est à la portée d’un endroit fréquenté, on aura un tableau mouvant où tous les objets seront rendus au naturel, ou plutôt on aura une succession de tableaux agréablement diversifiés.

902. On fait des chambres obscures portatives, qui sont des espèces de boîtes carrées, dont une des faces latérales porte un tuyau garni de sa lentille. Les images qui se forment à l’intérieur sont reçues par un miroir plan incliné, qui les réfléchit vers le haut de la boîte, où elles deviennent visibles sur un verre dont la surface extérieure est dépolie, et qui sert de couvercle à la boîte. Ces images sont droites pour un spectateur qui a le visage tourné vers les objets. On a varié de différentes manières la construction de cet instrument : on l’exécute aussi en forme de petite cabane pyramidale, dont la partie supérieure porte le tuyau avec sa lentille, qui, dans ce cas, a une position horizontale. Le miroir est disposé en dessus, et toujours dans une position inclinée, qui, pour être la plus avantageuse qu’il est possible, doit former, avec l’horizon, un angle de 45d. C’est le miroir qui reçoit les rayons partis immédiatement des objets, et les renvoie vers la lentille ; au lieu que dans la construction précédente, les rayons vont de la lentille au miroir. Les images se peignent sur un papier blanc placé horizontalement au fond de la chambre obscure ; on les voit par une large ouverture faite à l’une des faces latérales, et que l’on garnit ordinairement de deux petits rideaux, pour que l’observateur, ayant la tête couverte, puisse l’avancer un peu dans la chambre obscure sans y laisser passer de lumière.

Si l’on pratique dans la même partie une seconde ouverture, de manière à y passer le bras droit, on pourra se servir de la chambre obscure pour dessiner un paysage ou un édifice, en conduisant le crayon sur les traits de l’image que l’on aura devant les yeux.

903. La lanterne magique, inventée par Kircher, et dont le nom est devenu en quelque sorte trivial par l’usage qu’on fait de cet instrument, pour offrir à la curiosité du peuple une apparence de prestige, mérite de fixer l’attention même de ceux pour qui elle n’a rien de magique. Elle consiste dans une caisse de bois ou de fer blanc, vers le fond de laquelle est une lampe ou une grosse chandelle allumée. Les rayons que lance la flamme sont reçus par une lentille qui les rassemble et les fait tomber plus denses sur un verre plan et mince où l’on a peint diverses figures. Ainsi l’effet de cette première lentille se borne a bien éclairer les figures qui doivent être dans une situation renversée. Quelquefois on substitue à la lentille un miroir concave situé derrière la lumière, et, dans certaines constructions, on combine ensemble les effets de la lentille et du miroir. En avant du verre plan est une seconde lentille, à travers laquelle les pinceaux envoyés par les différens points d’une même figure se croisent, en même temps que la réfraction détermine les rayons dont chaque pinceau est l’assemblage à sortir parallèles. Ces rayons passent ensuite par une ouverture circulaire faite à un carton situé convenablement, et tombent sur une troisième lentille que l’on peut éloigner ou rapprocher à volonté de la seconde, au moyen d’un tuyau mobile, à l’extrémité duquel cette lentille est fixée.

Les rayons qui ont traversé cette même lentille produisent, sur une muraille ou une toile blanche située à l’opposé, une copie en grand des figures tracées sur le verre plan ; et il est facile de voir que cette copie représente les objets droits, en conséquence de ce que les pinceaux lumineux se croisent dans la seconde lentille. Deux circonstances contribuent à rendre plus vives les couleurs des images qui s’offrent aux yeux des spectateurs ; savoir la force de la lumière à laquelle est exposé le verre plan, et le cercle lumineux que les rayons émergens vont former sur la muraille.

904. Le microscope solaire ne diffère proprement de la lanterne magique, qu’en ce qu’il est éclairé par un rayon solaire que l’on introduit dans un endroit obscur, au moyen d’un miroir plan qui le réfléchit horizontalement. Ce rayon passe à travers une lentille adaptée au trou de la fenêtre. On présente à la vive lumière qui sort de cette lentille un petit verre blanc nommé porte-objet, et sur lequel on a fixé de petits insectes, des poussières de papillon ou autres corpuscules transparens

Une seconde lentille, destinée à produire l’image, est couverte, du côté du porte-objet, d’une petite lame de plomb percée d’un trou d’épingle ; c’est par ce trou que passent en se croisant les jets de lumière qui viennent des différens points de l’objet, et voici l’avantage qui résulte de cette construction.

Les jets lumineux dont il s’agit approchent beaucoup d’être des rayons simples ou des cylindres infiniment déliés de lumière, ce qui les rend propres à laisser des empreintes nettes et distinctes sur un plan placé à une distance quelconque ; et quoique la petitesse de l’ouverture ne laisse passer que peu de lumière, comme cette lumière est par elle-même fort éclatante, les images qu’elle produit ne laissent pas d’avoir beaucoup de vivacité.

On peut donc écarter à la distance de trois ou quatre mètres le plan qui reçoit ces images, ce qui en amplifie prodigieusement les dimensions, et change le plus petit insecte en un colosse effrayant. Cependant, à une distance moyenne, les images ont quelque chose de plus net et de mieux prononcé.

905. Nous venons de parcourir une des branches de la physique les plus fécondes, et peut-être la plus difficile de toutes à manier. Le fluide et l’organe contribuent également à la compliquer. Le premier, infiniment varié dans sa composition, se modifie encore de mille manières par la diversité de ses mouvemens. Nulle part les phénomènes ne présentent des successions de nuances plus légères, et n’exigent plus de sagacité pour être bien saisis. C’est un fil qui demande à être tenu d’une main assez sûre pour ne pas le laisser échapper, et assez délicate pour ne pas le rompre.

L’organe, de son côté, semble se transformer à chaque instant par la variété des impressions qu’il éprouve. Il a fallu des idées très-fines pour démêler les résultats de tout ce qui se passe en lui, soit qu’il reste abandonné à ses facultés naturelles, soit qu’il les étende à l’aide de ces productions de l’art, qui sont pour lui autant de nouveaux moyens de voir. À en juger par le calcul, rien n’est si simple et si précis que les effets de la vision. Mais combien les lois dont ces effets dépendent se modifient dans leurs applications, et qu’il y a loin de ce que représente la marche des rayons tracée par la géométrie, à la sensation que fait naître l’image dessinée au fond de l’œil par les rayons eux-mêmes !

La théorie de la lumière n’est point épuisée. Plusieurs questions relatives à la vision n’ont pas été complétement résolues. Il existe certains phénomènes, comme ceux qui ont rapport à l’électricité, à la phosphorescence, etc., dans lesquels l’influence du fluide lumineux n’a pas été expliquée jusqu’à présent ; les propriétés que des recherches très-modernes paroissent avoir indiquées, relativement aux rayons diversement colorés du spectre solaire, exigent que la nature soit ici interrogée de nouveau par des expériences faites avec une extrême précision.

Enfin, si l’on considère cette foule de résultats auxquels l’étude de la lumière a conduit les géomètres, les physiciens et les chimistes ; si l’on réunit au souvenir de ce qui a été fait, l’expectative de ce qui reste à faire, on conviendra qu’aucun sujet ne se prête à des observations plus étendues et à la fois plus intéressantes, que le fluide dont l’action s’exerce sur l’organe qui nous sert d’instrument pour observer la nature entière.

  1. Smith, Traité d’optique, traduct. franç. ; 1767, p. 721.
  2. On peut, au moyen de l’ombre projetée sur un terrain horizontal, mesurer à peu près la hauteur d’une tour ou d’un autre objet semblable. On plantera verticalement un bâton, dont on mesurera la partie élevée au-dessus du sol ; on mesurera aussi l’ombre de ce bâton et celle de la tour. Les longueurs des ombres étant proportionnelles aux hauteurs des deux objets qui les produisent, on aura la hauteur de la tour, en multipliant la longueur de son ombre par la hauteur du bâton, et en divisant le produit par la longueur de l’ombre du bâton.
  3. Traité Physique et Historique de l’Aurore boréale, p. 115 et suiv.
  4. Journal de Phys. ; juin 1779, p. 409 et suiv.
  5. Expér. et Observ. sur l’Électricité ; Paris, 1752, p. 118.
  6. Mairan, Traité de l’Aurore boréale, p. 12.
  7. Ibid., p. 62.
  8. Recherches Physiques sur la cause des queues des comètes, de la Lumière boréale et de la lumière zodiacale, Mém. le l’Acad. de Berlin ; 1746, t. ii.
  9. Traité de l’Aurore boréale, 7e. éclaircissement, p. 341 et suiv.
  10. Optice lucis, lib. II, pars 3e. propos. 8e.
  11. Dans la réalité, l’action de chaque molécule du milieu s’étend indéfiniment autour de cette molécule ; mais comme elle diminue avec beaucoup de rapidité, en sorte qu’à une très-petite distance elle devient insensible, on la regarde comme nulle à ce terme, et l’on donne le nom de sphère d’activité à celle dont le centre se confond avec celui de la molécule, et dont le rayon est égal à la distance dont nous avons parlé.
  12. Nous avons dit (641) que, relativement à un même milieu, le sinus d’incidence est en rapport constant avec celui de réfraction : c’est ce que nous allons démontrer à l’aide d’un principe qui tient à la théorie des forces accélératrices. Soit toujours AB (fig. 92) la surface du milieu réfringent que nous supposons plus dense que l’air, st le rayon incident, ti le rayon réfracté, bm la perpendiculaire au point d’immersion, et sb, im deux perpendiculaires sur cette même ligne. Si st représente en même temps la vîtesse du rayon dans l’air, on pourra décomposer cette vîtesse suivant deux directions sb et bt, dont la première représentera la vîtesse horizontale du rayon incident, et l’autre sa vîtesse verticale. Supposons que l’on ait pris ti, de manière que im soit égale à bs ; la vîtesse horizontale étant toujours la même pendant que le rayon se meut suivant ti, puisque l’action de la force accélératrice ne peut apporter aucun changement à cette vîtesse, elle sera encore représentée par im égale à bs ; d’où il suit que la vîtesse verticale relative au mouvement suivant ti sera représentée par tm. Or, le principe dont nous avons parlé consiste en ce que la quantité dont le carré de la vîtesse verticale se trouve augmenté par l’effet de la force attractive du milieu est une constante, quelle que soit la direction du rayon incident ; c’est-à-dire, que si l’on désigne par u² le carré de la vîtesse bt, et par V² celui de la vîtesse tm, la différence V²−u² sera une constante. Soit d² cette différence, et soit h la vîtesse horizontale bs. Prenons sur ti la partie tz égale à st, puis par le point z, menons zy parallèle à im ; bs, ou son égale im, représentera le sinus d’incidence, et zy celui de réfraction. Or, zy:im :: tz:ti. Mais tz ou  ; . Donc le rapport entre tz et ti, ou entre les sinus zy et im, est . Mais parce que le rayon incident a la même vîtesse, quelle que soit son inclinaison, le numérateur , ou l’expression de ts, est une quantité constante. Donc le dénominateur étant composé du carré constant u²+h² et de la constante d², sera lui-même constant. Donc, tel sera aussi le rapport entre les sinus.

    Newton a donné une belle démonstration du même résultat, par la Synthèse. Philos. Natur. Princip. Mathem., t. I, sect. XIV, propos. 94, theor. 48.

  13. Newto, Philos. Natur. Princip. Mathem., sect. XIV, propos. 96, theor. 50.
  14. Optice Lucis, lib. II, pars 3a., propos. 9a.
  15. Optice Lucis, lib. III, quæst. 29a.
  16. Optice Lucis, lib. III, quæst. 31a.
  17. Optice Lucis, lib. III, quæst. 18a.
  18. Si la réfraction avoit été la cause de l’effet dont il s’agit, l’eau ayant un pouvoir réfractif beaucoup plus considérable que l’air, cette différence auroit dû en apporter une sensible dans la largeur de l’ombre du cheveu.
  19. Optice Lucis, lib. III, observ. 1, 2, 3, etc.
  20. Physices Elementa Mathem., N°. 2722 et seq.
  21. Optice Lucis, lib. II, pars. 3a., propos. 10a.
  22. Nous avons dit (note du N°. 657) que le carré de l’accroissement qui a lieu par rapport à la vîtesse verticale, lorsque la lumière passe d’un milieu dans un autre plus dense, est une quantité constante pour toutes les incidences du rayon, Or, l’accroissement que reçoit la vîtesse est l’effet de la force accélératrice, ou de la puissance réfractive, qui est aussi toujours la même dans un milieu donné, quelle que soit l’inclinaison du rayon incident. Maintenant si l’on suppose, comme dans le cas dont nous venons de parler, que l’incidence se fasse sous un angle infiniment petit, le carré de l’accroissement de vîtesse ne sera plus distingué du carré de cette vîtesse elle-même, c’est-à-dire, qu’il sera représenté par (gn)². Ainsi le résultat dont il s’agit ici est lié avec celui qui nous a servi à démontrer la loi de la réfraction.
  23. Pour que cette expérience réussisse, il faut que le papier soit à une médiocre distance de la fenêtre, comme de 25 centimètres, et qu’il se trouve vis-à-vis le mur d’appui qui est en dessous de la fenêtre, pour tempérer l’effet de la lumière, qui feroit paroître sur le papier toutes les différentes espèces de couleurs dont nous parlerons bientôt, ce qui offusqueroit les couleurs dont ce papier est peint.
  24. Optice Lucis, lib. I, pars 1ma., propos. 1, theor. 1.
  25. Optice Lucis, lib. I, propos. 2a., theor. 2.
  26. C’est une suite de ce que gn est parallèle à ro.
  27. L’angle d’incidence ymq du rayon ym est un peu plus petit que l’angle d’incidence yrz du rayon moyen yr ; c’est une suite de ce que les perpendiculaires , zx sont parallèles entre elles, et de ce que ry converge vers my. Donc aussi l’angle de réfraction hmε est plus petit que srx ; donc mh diverge un peu à l’égard de rs ; donc mhd est plus grand que rsk, et phe plus grand que tsl. On prouvera, par un raisonnement semblable, que yfγ est plus grand que yrz, et ifr plus grand que srx ; d’où il suit que fi diverge aussi à l’égard de rs. Donc fin est plus petit que rsk, et uio plus petit que tsl. Donc chacun des angles ymq et uio est plus petit que l’un ou l’autre des angles égaux yrz et tsl ; et chacun des angles yfγ et phe est plus grand que l’un ou l’autre des angles yrz et tsl. Or, dans le cas de la limite, et en supposant toujours les rayons également réfrangibles, les différences en moins sont égales, et il en est de même des différences en plus. Donc ymq=uio, et yfγ=phe.
  28. Optice Lucis, lib. I, pars 1a., exper. 9.
  29. Il est évident que l’inclinaison du prisme requise pour la réflexion totale des rayons de chaque couleur, varioit suivant la diversité des couleurs, en sorte qu’à chaque degré d’inclinaison répondoit un maximum d’intensité relatif à une couleur particulière.
  30. Optice Lucis, lib. I, pars 1a., propos. 2a., exper. 6. Ibid., pars 2a., propos. 2a., theor. 2.
  31. Optice Lucis, lib. I, pars 1a., propos. 4, probl. 1, exper. 2.
  32. Optice Lucis, lib. I, pars 2a., propos. 3a., probl. 1, exper. 7. Le sixième rapport 9/16 est un peu différent du rapport 8/15 qui lui correspond dans notre gamme (359) ; il donne pour le si un son un peu plus bas que celui de cette gamme.
  33. Optice Lucis, lib. I, pars 2, propos. 5, exper. 10.
  34. Encyclop. Méthod., ire. part. ; Beaux Arts, t. i, p. 160.
  35. Ayant mené xl qui passe par le centre, et qui par conséquent coupera en deux également l’arc bt, on aura pour la mesure de axm, ½(btgo)=bf+fldg=gp+dpdg=dg+dp+dpdg=2dp.
  36. Plus la partie de l’arc que rencontrent les rayons incidens est oblique, plus la différence augmente entre les incidences aux deux extrémités d’un même arc bh, hs, etc.(fig. 101, Pl. XV), ces arcs étant supposés égaux. De plus, il est visible que les rayons eh, ns sont plus rapprochés que les rayons ab, ch. Or, ces deux causes tendent à augmenter l’inclinaison respective des deux rayons réfractés, et cette augmentation devient telle à la fin, que les rayons se croisent.
  37. Concevons une circonférence de cercle qui passe par les points g, z, o ; elle passera aussi par les points z′, z″, dans l’hypothèse des angles égaux gz″o, gzo, gz′o, en sorte que le petit arc z′z″ coïncidera sensiblement avec la largeur de l’arc-en ciel.
  38. Optice Lusis, lib. I, pars 2, propos. 9, probl. 4.
  39. Smith, Traité d’Optique ; 1767, p. 587.

    Soit NH (fig. 106, Pl. XV) l’horizon, S le soleil un peu élevé au-dessus de ce cercle, O l’œil du spectateur, C un globule de pluie dans lequel cet œil aperçoit le rouge : les lignes OC, OP étant presque infiniment petites par rapport à la distance du soleil à la terre, on conçoit comment l’angle COP peut être de 42d 2′, malgré la petite élévation du soleil, et comment, par une suite nécessaire, l’axe OP de la vision doit coïncider à peu près avec l’horizon ; et ainsi l’arc-en-ciel sera un demi cercle.

    Si le soleil S (fig. 107) est élevé de 42d 2′ au-dessus de l’horizon, alors l’angle SCO d’une part, et l’angle COP de l’autre étant aussi chacun de 42d 2′, OC coïncidera avec l’horizon, et par conséquent l’arc-en-ciel intérieur touchera seulement l’horizon, et sera tout entier en dessous. Enfin, si le soleil étant à l’horizon ou au-dessous, le spectateur est sur une haute montagne, et que le nuage soit peu éloigné, l’axe OP (fig. 106) pourra se relever tellement, que la ligne CP, prolongée inférieurement d’une quantité égale à elle-même, aboutisse à l’horizon ; et, dans ce cas, le cercle entier sera visible pour le spectateur.

  40. Musschenbroek ; Essai de Phys., t. II, p. 793.
  41. Pemberton ; Élémens de Philos. Newtonn., Traduct. franç. ; Amsterdam, 1795, p. 488 et suiv.
  42. Optice Lucis, lib. II, pars 1, observ. 4, 5, 6, etc.
  43. Soit nam (fig. 108, Pl. XVII) un diamètre pris sur la surface du verre plan, et agf une coupe de la sphère à laquelle appartient la partie de l’objectif bi-convexe tournée vers an. Soient de plus ab, ad, les demi-diamètres de deux anneaux aux endroits où les couleurs sont les plus vives. Ayant mené be, dg parallèles au diamètre af, et eh, gi parallèles à an, on aura, par la propriété du cercle, (eh)²:(gi)² :: ah×hf:ai×if :: ah×af:ai×af :: ah:ai :: be:dg, les lignes hf, il étant censées égales au diamètre af, à cause que ah, ai, qui mesurent les intervalles be, dg entre les verres, sont censées être presque infiniment petites à l’égard du diamètre.
  44. Optice Lucis, lib. II, pars 1, observ. 10.
  45. Optice Lucis, lib. II, pars 1, observ. 17.
  46. Optice Lucis, lib. II, pars 1, observ. 12, 13, 14, etc.
  47. Mém. de l’Acad. de Berlin, 1752. Voyez aussi l’Optique de Smith, not. 493 et suiv.
  48. Optice Lucis, lib. ii, pars 3, propos. 13, definitio.
  49. Optice Lucis, lib. II, propos. 2.
  50. Optice Lucis, lib. III, quæst. 31.
  51. Selon l’Encyclopédie Méthodique, Mathématiques, t. II, seconde partie, p. 580, le pied anglais vaut 11 pouces 4 lignes ½ ou 273/2 lignes du pied français.
  52. Optice Lucis, lib. II, pars 3, propos. 12.
  53. Optice Lucis, lib. II, pars 3, propos. 6.
  54. Optice Lucis, lib. II, pars 3, propos. 5.
  55. Optice Lucis, lib, II, pars 3, propos. 12.
  56. Optice Lucis, lib. II, pars 3, propos. 19.
  57. Mém. des Savans étrangers, t. III.
  58. Bouguer, Traité d’optique ; Paris, 1760, p. 231 et suiv.
  59. Optice Lucis, lib. II, pars 3, propos. 3.
  60. Newtonis Opusc., t. II, p. 290.
  61. Optice Lucis, lib. II, pars 3, propos. 12. Ibid., lib. III, quæst. 17.
  62. Cette hypothèse est très-différente de celle des physiciens qui faisoient consister la diversité des couleurs dans celle des vibrations imprimées à la lumière par les surfaces réfléchissantes. À l’aide de celle-ci, on cherchoit à expliquer comment les rayons de la lumière, que l’on supposoit homogènes, étoient réfléchis de manière à produire plutôt telle sensation de couleur que telle autre. Mais l’hypothèse de Newton consiste à faire voir comment, parmi les rayons hétérogènes de la lumière, telle espèce est transmise, tandis que telle autre est réfléchie.
  63. Traité Chimique de l’Air et du Feu, traduit par le Baron de Dietrich ; Paris, 1781, p. 146.
  64. Schéele, ibid.
  65. Bertholet, Statique Chimique, t. I, p. 192.
  66. Essai sur les degrés de chaleur des rayons colorés, Recueil de Mém. sur la Mécanique et la Phys., p. 348 et suiv.
  67. Ibid., 355.
  68. Bibliot. Britann., t. XV, p. 196 et suiv.
  69. Ibid., p. 200 et suiv.
  70. Optice Lucis, lib. I, pars 1, propos. 7, exper. 15.
  71. Bibliot. Britann., t. XV, p. 217 et suiv.
  72. Ibid., p. 293 et suiv. Voyez aussi t. XIX, p. 19 et suiv.
  73. Traité Chimique de l’Air et du Feu, traduct. de Dietrich, p. 145.
  74. Cicero, de Nat. Deor., t. II, n. 141 et seq.
  75. Smith, Traité d’Optique, p. 44, notes 31 et suiv.
  76. Traité des Sensations.
  77. Mallebranche, Recherche de la Vérité, t. I, p. 115 et 119.
  78. Musschenbroek, Essai de Phys., t. II, p.568, N°. 1211.
  79. On peut produire une illusion du même genre, qui ait sa source dans le sens du toucher. Si l’on fait croiser l’index par le doigt suivant, en sorte que celui-ci se rabatte vers le pouce, et qu’ayant placé un petit corps globuleux sous les extrémités des mêmes doigts, on le presse pour le mettre plus exactement en contact avec l’une et l’autre, on croira sentir deux globes. Dans ce cas, le doigt qui a été dérangé de sa position naturelle exerce une action qui, n’étant plus d’accord avec celle de l’autre doigt, donne naissance à une sensation qui semble se rapporter à un nouvel objet. On pourroit dire, en quelque sorte, que celui qui fait cette expérience louche des doigts.
  80. La cataracte est une privation de la vue, occasionnée par l’opacité du cristallin. Pour rendre au malade la faculté de voir, on déplace le cristallin en l’abaissant ou en l’extrayant.
  81. Philosophic. Tramact., N°. 102.
  82. Gazette Littéraire de l’Europe, 21 mars 1764.
  83. On a représenté ici, pour plus de facilité, l’atmosphère plus étendue qu’elle ne l’est en effet ; mais le véritable état des choses est à l’avantage de l’explication.
  84. Recherche de la Vérité, t. I, p. 127 et suiv. ; et t. III, p. 159 et suiv.
  85. Provehimur portu ; terraque urbesque recedunt. Virgil., AEn., lib. III, v. 72.
  86. Les rayons incidens sont à peu près dans le même cas, par rapport à l’arc ni, que s’ils tomboient sur un miroir plan.
  87. Optice Lucis, lib. I, pars 1, propos. 7.
  88. Kirker, Ars Magna Lucis et Umbra, lib. X, p. 888.
  89. Buffon, Histoire Nat., édit. in-12 ; 1774. Supplém., t. II, p. 141 et suiv.
  90. Lectiones Optice et Geometrica ; Londini, 1674.
  91. Opusc. VIII, Lectiones Optica.
  92. Dans le triangle ank, l’angle a est le supplément de l’angle d’incidence ban (fig. 127) ou cet angle lui-même (fig. 128), et l’angle k est égal à l’angle de réfraction xnt (fig. 127) ou à son supplément (fig. 128 ). Donc si nous désignons le sinus d’incidence par i, et le sinus de réfraction par r, nous aurons nk:an :: i:r.

    Ayant mené par le point z la ligne gh parallèle à ef, prolongeons, s’il est nécessaire, na jusqu’à la rencontre de gh ; nous aurons, à cause des triangles semblables ban, saz, as:an :: ax:ab. Donc (fig. 127) as+an:an :: az+ab:ab ;

    et (fig. 128) anas:an :: abaz:ab ; donc ns:an :: zb:ab :: i:r ; mais nous avons eu nk:an :: i:r. Donc nk=ns. Or, à cause de l’angle obtus nzs (fig. 127), ou de l’angle aigu nzs (fig. 128), on a nz plus petite que ns ou nk (fig. 127), et nz plus grande que ns ou nk (fig. 128). Donc tous les rayons réfractés tomberont au delà de z (fig. 127), ou en deçà (fig. 128).
  93. Barrow, Lect. Optica et Geometr., p. 42, N. 12, 13, 14, etc.
  94. Sgravesande, t. II, p. 766, n°.2701.
  95. Opuscul. XVIII, Lectiones Optica, Scholium ad propos. 8am.
  96. Erasmi Bartholini Experim. Cristalli Islandici disdiaclastici, Hafniæ, 1770 ; dedic. ad Regem Frider. III.
  97. La position que l’on a donnée ici au rhomboïde, pour la facilité de la démonstration, fait paroître ces angles aigus, par une suite des règles de la projection.
  98. La valeur de chacun de ces angles est de 101d 32′ 13″, en conséquence de ce que le rapport entre les diagonales du rhombe est celui de √3 à √2.
  99. Optice Lucis, lib. III, quæst. 25.
  100. Tous ces différens faits sont sujets à quelques exceptions, lorsque le rayon visuel est très-oblique et prend certaines positions, car alors on ne voit que deux images dans le cas où ou devroit en voir quatre, et réciproquement.
  101. Christiani Hugenii opera reliqua ; Amstelod., 1728, t. I. Tractatus de Lumine, p. 39 et seq.
  102. Mém. de l’Acad. des Sc. ; 1710.
  103. Hist. Nat. des Minér. ; édit. in-12, t. VII, p. 157 et suiv.
  104. Quo autem pacto id fiat, nihil reperire potui, quod mihi satisfaceret. Tractatus de Lumine, p.69.
  105. Concevons que l’on applique t’l’ sur tl, en renversant la base f’l’ du triangle l’t’f’, de manière que le point f’ tombe sur le point c, de l’autre côté du rayon tl, et le point u’ sur le point p. Si l’on mène lp et up, cette dernière ligne sera évidemment parallèle à bn, à cause de l’égalité des angles ulf, plc, et de celle des lignes lu, lp. De plus, la ligne fc sera égale à la somme des deux distances lf+l’f’. Or, si l’on suppose que le rayon tl change d’inclinaison, en restant fixe par son extrémité l, les lignes tc, tf, dans l’hypothèse de lu, lp constantes, resteront fixes elles-mêmes par leurs points p, u, tandis que leurs extrémités supérieure et inférieure feront un mouvement le long des lignes ae, bn. Donc, dans tous les cas, on aura tp:tc :: up:fc. Mais il est aisé de voir qu’à cause des parallèles ae, up, bn, le rapport tp/tc sera constant, donc aussi le rapport up/fc sera constant ; puisque up est constante, fc le sera pareillement. Or, plus le rayon tl approche d’être parallèle à la perpendiculaire tm, plus aussi lf approche d’être égale à xy. Donc si l’on suppose que la direction tl diffère infiniment peu de la perpendiculaire, on pourra faire la ligne fc ou la somme des deux lignes fl, f′l′, égale à 2xy. Donc, puisque cette somme est constante, elle sera le double de xy dans tous les cas. On voit que cette démonstration est indépendante de la position de la ligne ox, ou de l’angle qu’elle fait avec la diagonale bn.
  106. Nous n’avons point représenté ici ce second cône, pour ne pas trop compliquer la figure.
  107. L’œil doit être situé, dans ce cas, au delà du foyer des rayons parallèles qui est de son côté.
  108. C’est ce qu’on appelle communément cligner.
  109. Soit AB (fig. 151, Pl. XXIV) le diamètre d’un objet très-éloigné, tel que la lune ; soient m, r les foyers des rayons parallèles, relativement à l’objectif gh, et r, f ceux des mêmes rayons à l’égard de l’oculaire kn. On pourra toujours supposer, à cause de la grande distance à laquelle l’objet est situé, qu’un rayon parti d’une des extrémités, telle que A, de cet objet, après avoir passé par le foyer m, aille rencontrer la lentille gh ; d’où il suit qu’il en sortira suivant une direction telle que hn, parallèle à l’axe Rr, et qu’après avoir subi une nouvelle réfraction dans la lentille kn, il se dirigera vers le foyer f. Concevons maintenant un autre rayon Ac qui passe par le centre de la lentille gh. Le rayon réfracté ca faisant un angle extrêmement petit avec l’axe cl, de manière qu’il lui est à peu près parallèle, sortira de la lentille nk sous une direction telle, que le point o, où il ira couper l’axe, coïncidera presque avec le foyer f des rayons parallèles. Or le rayon Aca peut être regardé comme l’axe du pinceau qui forme en a une des extrémités de l’image située dans l’intervalle entre les deux lentilles ; et puisque les points o, f, ainsi que les directions des deux rayons qui aboutissent à ces points, approchent beaucoup de se confondre, si l’on suppose l’œil situé en o, l’angle nfl sera sensiblement celui sous lequel cet œil voit, à travers le télescope, le demi-diamètre de l’image amplifiée. Mais parce que l’objet est extrêmement éloigné, l’intervalle entre les points o, m doit être considéré comme nul ; en sorte que l’on peut supposer que l’angle AmR, ou son égal cmh, soit celui sous lequel l’œil verroit le demi-diamètre de l’objet à la vue simple. Donc la grandeur apparente sera à la grandeur réelle comme l’angle nfl est à l’angle cmh. Or ces deux angles étant très petits et appuyés sur des côtés égaux ch et ln, sont sensiblement entre eux comme cm ou cr est à fl.

    Car si l’on fait coïncider cmh, lon par leurs côtés ch, ln, ainsi que le représente la fig. 151, les angles cmh, coh, que l’on suppose toujours très-petits, seront à peu près comme leurs sinus, ou comme les côtés oh, hm, qui, dans le triangle mho, sont opposés à ces angles. Or, le rapport de oh à hm diffère très-peu à son tour de celui de co à cm, qui sont les deux distances focales. Voyez Huyghens, Opera reliqua ; Amstelod., t. II, dioptr., p. 134, et Smith, Traité d’optique, p. 76.

  110. Smith, Traité d’Optique, p. 79.
  111. Newtonis Optice, lib. I, pars 1, propos.7.
  112. Smith, Traité d’optique, p. 384, note 661.
  113. Optice Lucis, lib. I, pars 2, experim. 8.
  114. Smith, Traite d’optique, p. 383, notes 658 et suiv.
  115. Suivant les expériences de Clairault, le rapport de réfraction pour le rayon moyen est, dans le flint-glass, celui de 1,6 à 1, et dans le verre commun, celui de 1,55 à 1. Smith, Traité d’optique, p. 447.