Théorie mathématique de la lumière/2/Chap.08

Georges Carré (2p. 182-198).

CHAPITRE VIII


PROBLÈME GÉNÉRAL DE LA DIFFRACTION

HYPOTHÈSES DE KIRCHHOFF

115. Revenons au problème général de la diffraction.

Nous avons démontré précédemment (98-101) le principe de Huyghens et donné l’application qu’en avait faite Fresnel.

Nous avons trouvé

pour un point extérieur à une surface cette étant nulle pour un point intérieur (pour la signification des notations, se reporter au § 98).

Pour déterminer il faut donc connaître les valeurs de et de aux différents points de

Fresnel choisit pour une surface d’onde sphérique, partiellement occupée par l’écran. Il admet que et sont nuls sur l’écran et ont même valeur, sur les portions éclairées que si l’écran n’existait pas.

Ces hypothèses ont été contestées à différentes reprises : en particulier par Poisson. Poisson prétendait qu’on devait aussi observer des franges à l’intérieur de la sphère la présence de l’écran altérant le mouvement à l’intérieur comme à l’extérieur de . Nous avons dit déjà que cette conclusion n’est pas légitime (94).

On a cru quelquefois observer des franges à l’intérieur de c’est-à-dire en-deçà de l’écran. Mais Fresnel avait bien vu que ce n’était qu’une illusion due à la loupe avec laquelle on examine les phénomènes.

Cet emploi de la loupe est d’ailleurs parfaitement permis. Que suffit-il en effet de faire pour le légitimer ? il suffit de montrer que la loupe ne produit, entre les rayons qui la traversent, aucune différence de marche nouvelle.


Fig. 23.

Or, soit (fig. 23), un rayon réfracté. Le temps que met la lumière pour parcourir ce chemin est un minimum par rapport au temps qu’elle mettrait à parcourir un chemin infiniment voisin ce temps est fonction de deux variables, par exemple, les distances des points et à l’axe Puisque est minimum ; pour aux points et

Nous avons une série de chemins

qui tous sont conformes à la loi de la réfraction ; on a donc en passant de l’un à l’autre :

et

Par conséquent, la différence de phase des rayons est la même en et en et l’intensité sera aussi la même en ces deux points : ce qui autorise l’usage de la lentille. Seulement, si on rapproche de plus en plus la lentille de l’écran, le foyer finira par se trouver en-deçà de l’écran ; on aura encore des phénomènes d’interférence en mais on ne peut en conclure qu’il y en ait en Tous les rayons issus de mettent, il est vrai, le même temps pour venir en mais une partie d’entre eux est interceptée par l’écran, et les conditions d’interférence ne sont plus les mêmes en et en

Il nous reste maintenant à rendre compte de cette circonstance que les franges n’existent pas en-deçà de l’écran.

Kirchhoff a voulu l’expliquer à l’aide des hypothèses suivantes :

116. Hypothèses de Kirchhoff. — Il suppose que l’écran est un corps absolument noir, c’est-à-dire qui ne laisse passer ni ne réfléchit aucune lumière.

Ce corps diffère donc des métaux qui absorbent la lumière transmise sous une très faible épaisseur, mais réfléchissent une notable portion de la lumière qu’ils reçoivent.

Pour les métaux nous pouvons, d’après la théorie de Cauchy, écrire les conditions aux limites ; pour un corps absolument noir, il est impossible d’écrire ces conditions sans faire
Fig. 24.
de nouvelle hypothèse.

Nous admettrons que l’écran a une forme telle qu’un rayon issu de (fig. 24) ne rencontre sa surface qu’en deux points ou ne la rencontre pas ; il faudra distinguer les points de l’écran qui sont visibles du point et ceux qui ne le sont pas : les deux régions seront séparées par une courbe qui sera le contour apparent de l’écran vu de

Kirchhoff suppose qu’au point vu du point les valeurs de et de sont les mêmes que si l’écran n’existait pas :

En un point qui n’est pas vu de Kirchhoff suppose que :

Appliquons le principe de Huyghens. Considérons quatre surfaces, une sphère décrite de comme centre, la portion de la surface non située sur l’écran, portion de la surface de l’écran regardant surface opposée de
Fig. 25.
l’écran (fig. 25).

Soit la valeur de en un point extérieur à

Appelons respectivement, les valeurs de l’intégrale



étendues aux surfaces Appliquons le principe de Huyghens à tout l’espace extérieur à et à la surface totale de l’écran

D’autre part :

au voisinage de on peut admettre que ne dépend pas de la présence ou de l’absence d’écran, le long de la surface Le long de on a :

Donc :

Appliquons le principe à pour l’espace extérieur à la surface et à la surface de l’écran :

D’où :

Par conséquent, pour calculer il faut étendre l’intégration à la portion de non recouverte par l’écran en conservant les valeurs et

Que faut-il penser de ces hypothèses de Kirchhoff ? Sont-elles plausibles ou même compatibles ?

Remarquons qu’il faut satisfaire à une condition : c’est que l’intégrale étendue à une surface fermée soit nulle, si le point est intérieur à cette surface. Considérons donc un point intérieur à l’écran, l’intégrale a pour valeur

puisqu’il n’y a pas de source lumineuse extérieure aux surfaces

Aux divers points de B :

Aux divers points de

Enfin sur

d’après Kirchhoff. Il faut donc que :

Raisonnons de même sur et intégrons le long des mêmes surfaces :

Par conséquent :

Il faudrait donc que fût nul pour une portion de surface quelconque, quel que soit et quelle que soit la forme de l’écran. Cela ne pourrait avoir lieu que si était identiquement nul.

Cependant, si ces conditions ne sont pas rigoureusement compatibles, elles le sont au moins d’une manière approximative, quand on néglige les quantités de l’ordre de la longueur d’onde. En se donnant alors deux des conditions, par exemple,

les deux autres s’en déduiraient d’une façon approximative.

117. Nous ne connaissons pas suffisamment les propriétés des corps noirs pour pouvoir les mettre en équation. Il y a toutefois des cas où il serait possible d’écrire complètement les équations du problème de la diffraction.

Supposons, par exemple, que l’écran soit formé par un prisme de verre ; soit une section droite de ce prisme que nous prendrons comme plan de la figure (fig. 26). Faisons tomber sur ce prisme un faisceau de rayons parallèles, perpendiculaires à son arête. Une partie du faisceau ne subit ni réflexion ni réfraction ; une autre partie est réfractée, enfin la partie est réfléchie. Si la théorie géométrique des ombres était exacte, ces faisceaux seraient limités par des plans perpendiculaires au plan de la figure et ayant respectivement pour traces En réalité, il n’en est pas ainsi et il se produit des franges de diffraction sur le bord de ces faisceaux.


Fig. 26.

Supposons que les rayons incidents soient polarisés dans le plan de la figure ; prenons l’arête du prisme comme axe des la force électrique sera parallèle à cet axe : soit Les conditions à remplir sont, dans l’air :

et dans le verre :

et étant respectivement les vitesses de la lumière dans l’air et dans le verre.

Comme conditions aux limites, sur les faces du prisme, et devront être continus.

Si les rayons n’étaient pas polarisés dans un plan perpendiculaire à l’arête du prisme, ou s’ils n’étaient pas parallèles à ce plan, si le corps avait une forme différente de celle d’un prisme, le problème serait beaucoup plus compliqué. Il faudrait faire intervenir les lois de la réflexion vitreuse, et on ne pourrait plus séparer les trois composantes il faudrait ainsi trois équations, chacune contenant ces trois composantes.

Si l’écran est formé d’un métal, on peut encore écrire les conditions aux limites ; il est impossible de séparer les trois composantes, et la mise en équations est fort compliquée.

118. La mise en équations devient relativement simple dans le cas particulier où le métal est regardé comme un conducteur parfait. Il suffit alors d’exprimer que la force électrique est normale au conducteur, formant écran. C’est le cas des oscillations hertziennes, vis-à-vis desquelles tous les métaux se comportent comme des conducteurs parfaits ; mais cela ne serait plus vrai pour les vibrations lumineuses, comme nous l’avons vu au no 75.

Enfin les équations de condition deviennent encore plus simples, si on suppose que l’écran ait la forme d’un cylindre dont les génératrices soient parallèles à La première composante doit vérifier l’équation :

De plus, doit être fini sauf au voisinage de la source qui est ici l’excitateur. Au voisinage de l’écran, doit être nul ; car parallèle à et, par conséquent, à l’axe du cylindre est une composante tangentielle et la force doit être normale à l’écran.

Néanmoins la résolution du problème présente de grandes difficultés, parce que la longueur d’onde n’est plus de l’ordre des quantités négligeables.

119. On pourrait s’attendre à trouver dans ce cas des phénomènes de diffraction très intenses et absolument différents de ceux que ferait prévoir la théorie géométrique des ombres ; mais il n’en est pas ainsi. Cela tient d’abord au défaut de précision des expériences : ensuite ce résultat paraîtra moins surprenant si on compare ces phénomènes à un phénomène d’électrostatique de la façon suivante.

Plus est grand, plus on se rapproche de la théorie géométrique des ombres. Supposons que devienne très petit et même, en passant tout de suite à la limite, qu’il devienne nul, alors

Cette équation est celle de Laplace.

D’autre part, est fini et continu, sauf au voisinage de la source. Nous pouvons bien imaginer dans le champ des corps électrisés, distribués de manière telle que leur potentiel se comporte dans leur voisinage comme au voisinage de la source. Au voisinage de l’écran, Il en sera de même de ce potentiel, si l’écran est en communication avec le sol.

Or, dans ce cas limite, les expériences d’électrostatique montrent que l’écran donne derrière lui une sorte d’ombre électrique, et c’est dans ces conditions que nous sommes le plus éloignés de la théorie géométrique des ombres.

120. Le problème de la diffraction est donc susceptible d’être posé de bien des manières ; mais, quelle que soit la façon dont on se le donne, quelle que soit la nature de l’écran, les phénomènes observés sont les mêmes. Il y a, il est vrai, une différence qui est évidente.

Soient une source de lumière, l’écran (fig. 27). Parmi les rayons émanés de les uns se propagent sans obstacle, les autres sont arrêtés par l’écran ; ils seront absorbés, si l’écran est un corps absolument noir ; ils seront réfléchis, si l’écran est formé d’un métal.


Fig. 27.

Fig. 28.

Nous aurons donc seulement un faisceau transmis dans le premier cas, et au contraire nous aurons un faisceau transmis et un faisceau réfléchi dans le second cas. Mais les franges de diffraction qui se produisent sur les bords du faisceau transmis sont les mêmes dans les deux cas, bien que les équations du problème soient très différentes.

Comment cela se fait-il ?

Soient un point le point de l’écran le plus rapproché de (fig. 28) ; représentons le bord de l’écran en et soit le point de ce bord le plus rapproché de Posons :

Pour que les phénomènes soient sensibles il faut que (105.) :

soit fini : autrement dit que soit de l’ordre de c’est l’ordre de la largeur des franges.

En général est une quantité finie si nous considérons comme étant du deuxième ordre, étant de l’ordre de sera du premier ordre ; la largeur des franges est donc très petite du premier ordre.

Si le point se rapproche de de façon à devenir extrêmement voisin de l’écran, devient de l’ordre de Il faut que soit fini, ce qui exige que soit de l’ordre de c’est-à-dire du deuxième ordre ; par conséquent au voisinage de l’écran, la largeur des franges est très petite du deuxième ordre. Rigoureusement, comme l’épaisseur de l’écran n’est pas infiniment petite, il faudrait dire que cette largeur est de l’ordre de Ces conclusions sont conformes aux observations, lesquelles montrent en effet que les franges deviennent de plus en plus fines à mesure qu’on se rapproche de l’écran.

Or, pour trouver la valeur de au point nous avons appliqué la formule

en supposant que sur la partie éclairée de et aient les mêmes valeurs et que si l’écran n’existait pas, et que sur l’écran en d’autres termes nous avons fait le calcul comme si la théorie géométrique des ombres était applicable au voisinage immédiat de l’écran, ce qui n’est pas rigoureusement exact ; il existe en effet sur le bord même de l’écran des franges très fines comme nous venons de le voir, et sur une sorte de ruban mince dont la largeur est très petite du deuxième ordre, tout le long de l’écran, nos hypothèses ne sont plus vraies.

Cette circonstance influera nécessairement sur les phénomènes qui se passent en ce sera comme si la surface éclairée, au lieu d’être nettement limitée, présentait un bord en quelque sorte estompé, ce qui peut nous faire commettre sur la position de l’écran une erreur Il résulte de ce que nous avons dit dans le paragraphe précédent que cette erreur peut produire sur les maxima et minima en un déplacement qui sera très petit du deuxième ordre, mais ce déplacement sera très petit relativement à la largeur des franges en cette largeur étant du premier ordre, et nous observerons en les mêmes phénomènes que si la théorie géométrique était applicable sur l’écran.

Au point au voisinage de l’écran, nous observerons donc des franges dont la largeur sera très petite du second ordre et dont la position dépendra des données particulières du problème, entre autres de la nature et de l’épaisseur de l’écran.

En au contraire, à distance finie de l’écran, les franges auront une largeur plus grande, qui sera très petite du premier ordre, les franges précédentes n’auront pas d’influence sur celles-ci, qui ne dépendront pas non plus de la nature de l’écran. C’est effectivement ce qu’on observe.

121. Expériences de M. Gouy.M. Gouy a réalisé des expériences où cette influence de l’écran se fait sentir d’une façon notable.

Il concentre la lumière au foyer d’une lentille convergente, ce foyer se trouvant sur le bord même de l’écran, et il observe la lumière diffractée. Dans ce cas, les franges fines du bord de l’écran ont une influence même sur les franges observées à distance finie ; cela tient à ce que la surface que nous avons appelée est ici une sphère de très petit rayon et que les franges fines occupent une portion notable de !a surface de cette sphère.

122. Intégrales de Fresnel. — Les procédés d’approximation dont on fait usage ordinairement en traitant le problème de la diffraction et qui conduisent, comme on sait, aux intégrales de Fresnel, peuvent être remplacés par d’autres qui conduisent au même résultat et qu’il peut être intéressant de connaître. En voici un exemple.

Soit un écran occupant toute la moitié du plan des du côté des l’axe des étant le bord de cet écran, imaginons une onde plane parallèle au plan des les rayons lumineux sont parallèles à une portion du faisceau est transmise à travers le plan des l’autre est arrêtée. Si les vibrations sont parallèles à

Dans le cas général, est une fonction de assujettie seulement à varier très lentement. Ici nous supposerons que ne dépend pas de c’est-à-dire que le régime est établi et ne dépend pas non plus de

La condition de transversalité se réduit alors à :

Posons pour abréger

ou

Il faut que :

(1)

Or :

En substituant et remarquant que il vient :

(2)

Différencions par rapport à  :

Remplaçons par cette valeur dans (2)

Comme est très grand, on peut négliger les termes en et il reste :

(3)

en remplaçant par

Il faut trouver la valeur de au-dessus du plan des

Nous admettons que : pour et et que pour

Remarquons que cette fonction satisfera encore à ces conditions si on change en et en étant une quantité positive quelconque. Donc est une fonction de Posons

sera une fonction de

Substituons dans l’équation (3) :

ou

Les conditions

permettent de définir les constantes d’intégration et

Il est aisé de reconnaître les intégrales de Fresnel.