Tao Te King (Stanislas Julien)/Chapitre 26

Traduction par Stanislas Julien.
Imprimerie nationale (p. 97-99).


CHAPITRE XXVI.



重為輕根,靜為躁君。是以聖人終日行不離輜重。雖有榮觀,燕處超然。奈何萬乘之主,而以身輕天下?輕則失本,躁則失君。


Le grave est la racine du léger (1) ; le calme est le maître du mouvement (2).

De là vient que le saint homme marche tout le jour (dans le Tao) et ne s’écarte point de la quiétude et de la gravité (3).

Quoiqu’il possède des palais magnifiques, il reste calme et les fuit (4).

Mais hélas ! les maîtres de (5) dix mille chars se conduisent légèrement (6) dans l’empire !

Par une conduite légère, on perd ses ministres (7) ; par l’emportement des passions, on perd son trône (8).


NOTES.


(1) Les commentateurs ne sont pas d’accord sur le sens de tchong et de king , Les uns (E, B) rendent le premier par « grave, » et le second par « léger, » au figuré ; les autres (A, Sou-tseu), par « lourd » et « léger. » E : Lao-tseu ne veut pas seulement montrer la différence qui existe entre le principal et l’accessoire, entre ce qui est noble et ce qui est vil ; il veut surtout montrer la différence qui existe entre les causes de la paix et du danger, du salut et de la mort. B : Lao-tseu veut que l’homme maîtrise ses passions à l'aide du calme et de la gravité. Celui qui est intérieurement grave est exempt de la légèreté des passions ; celui qui a le cœur calme n’est point sujet à l’emportement de la colère. Han-feï dit : Celui qui sait se contenir est grave, celui qui garde son assiette est en repos. L’homme grave peut soumettre l’homme léger, l’homme qui est en repos peut soumettre l’homme emporté.

Aliter Sou-tseu-yeou : Ce qui est léger ne peut porter ce qui est lourd, les petits ne peuvent subjuguer les grands, celui qui ne marche pas commande à celui qui marche, ce qui est immobile arrête ce qui est en mouvement ; c’est pourquoi le lourd est la racine du léger, le repos est le maître du (c’est-à-dire, maîtrise le) mouvement. A : Les fleurs des plantes et des arbres se dispersent parce qu’elles sont légères, leurs racines durent longtemps parce qu’elles sont pesantes.

H pense, contre l’opinion de tous les autres interprètes, que le mot tchong désigne notre personne, chin , et que le mot king désigne les objets qui sont en dehors de nous, 身外之物. E, que je préfère suivre ici, regarde la gravité et le calme (dans la conduite) comme le principal, pen , comme des choses estimables, kouei , et la légèreté, les mouvements désordonnés, comme l’accessoire, mo , comme des choses dignes de mépris, tsien . Dans quelque situation que se trouve le sage, il ne pêche jamais par légèreté ni par emportement, 未當失於輕躁也.


(2) C’est-à-dire : Ce qui est calme maîtrise ce qui est impétueux. A : Si le prince des hommes n’est pas calme, il perd de son autorité imposante ; s’il ne gouverne pas son corps avec calme, son corps est en butte aux dangers. Le dragon peut se transformer parce qu’il est calme (sic) ; le tigre périt de bonne heure, parce qu’il s’abandonne à son impétuosité.


(3) A : Le mot tse (vulgo char de bagages) veut dire ici tsing « calme. »

A : Le saint homme marche toujours dans la Voie (le Tao) et ne s’écarte point du calme et de la gravité.


(4) H : Yen-tchu 燕處, c’est-à-dire thien-than 恬澹 « être calme. » A explique l’expression tchao-jen 超然 par « Il fuit au loin et n’y habite pas. »


(5) A : Les mots naï-ho 奈何 sont une expression de douleur, née de la haine que Lao-tseu portait aux princes de son temps.

H : Les mots « maître de dix mille chars » désignent l’empereur.


(6) Je suis la construction et le sens de E, qui ajoute iu « dans » avant les mots thien-hia 天下 « empire. » Ibidem : Si le maître des hommes se conduit légèrement dans l’empire (c’est-à-dire, A : s’abandonne au luxe, à la volupté), des calamités et des malheurs ne manqueront pas de fondre sur lui.


(7) E : Si le maître des hommes agit avec légèreté et négligence, ceux de ses ministres qui le savent, s’affligent en voyant qu’il est indigne de leur assistance et de leurs conseils, et ils forment le projet de le quitter. Alors il ne peut garder ses ministres.


(8) E : S’il se laisse entraîner et agiter sans relâche par une multitude de désirs, les inférieurs abandonnent sa cause (ou se révoltent contre lui), et alors il est exposé à de graves dangers et même à la mort. Ainsi il ne peut garder la possession de ses états.