« Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Flèche » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
m Contenu remplacé par « {{TextQuality|100%}}<div class="text"> {{NAD|F|Fixé|Fleuron|5}} <pages index="Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe si... »
 
Ligne 1 :
{{TextQuality|100%}}<div class="text">
{{NAD|F|Fixé|Fleuron|5}}
{| width=100% border="0"
| width=33%<pages styleindex="background: #ffe4b5"Viollet-le-Duc |- <center>< [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, Tometome 5,.djvu" from=428 fromsection=s2 to=474 tosection=s1 Fixé|Fixé]]</center>
<references />
| width=33% style="background: #ffe4b5" | <center>[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index alphabétique - F|Index alphabétique - F]]</center>
| width=33% style="background: #ffe4b5" | <center>[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 5, Fleuron|Fleuron]] ></center>
|-
|
| width=33% style="background: #ffe4b5" | <center>[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index Tome 5|Index par tome]]</center>
|
|}
 
 
=== FLÈCHE ===
s. f. Ne s'emploie habituellement que pour désigner des
clochers de charpenterie recouverts de plomb ou d'ardoise, se terminant
en pyramide aiguë. Cependant, les pyramides en pierre qui surmontent
les clochers d'églises sont de véritables flèches, et l'on peut dire: la flèche
du clocher vieux de Chartres, la flèche de la cathédrale de Strasbourg,
pour désigner les sommets aigus de ces tours. En principe, tout clocher
appartenant à l'architecture du moyen âge est fait pour recevoir une
flèche de pierre ou de bois; c'était la terminaison obligée des tours religieuses<span id="note1"></span>[[#footnote1|<sup>1</sup>]].
Ces flèches coniques ou à base carrée, dans les monuments les
plus anciens, sont d'abord peu élevées par rapport aux tours qu'elles
surmontent (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3, Clocher|Clocher]]); mais bientôt elles prennent plus d'importance:
elles affectent la forme de pyramides à base octogone; elles finissent par
devenir très-aiguës, à prendre une hauteur égale souvent aux tours qui
leur servent de supports; puis elles se percent de lucarnes, d'ajours, et
arrivent à ne plus former que des réseaux de pierre, comme les flèches
des cathédrales de Strasbourg, de Fribourg en Brisgau, de Burgos en
Espagne. Constructeurs très-subtils, ainsi qu'on peut le reconnaître en
parcourant les articles du <i>Dictionnaire</i>, les architectes du moyen âge
ont dû apporter une étude toute particulière dans la construction de ces
grandes pyramides creuses de pierre, qui s'élèvent à des hauteurs considérables
et sont ainsi soumises à des causes nombreuses de destruction.
S'ils ont déployé, dans ces travaux difficiles, une connaissance approfondie
des lois de stabilité et d'équilibre, des matériaux et de l'effet des agents
atmosphériques sur leur surface, ils ont fait preuve souvent d'une finesse
d'observation bien rare dans la composition de ces grandes pyramides
dont la silhouette tout entière se détache sur le ciel. Ils ne trouvaient,
d'ailleurs, aucun exemple, dans l'antiquité ou les premiers monuments
du moyen âge, de ces sortes de compositions, qui appartiennent exclusivement
à cet art français laïque du milieu du XII<sup>e</sup> siècle. On remarquera,
en effet, qu'avant cette époque (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3, Clocher|Clocher]]), les couronnements plus ou
moins aigus des tours d'églises à base circulaire ou carrée ne sont que des
<i>toits</i> de pierre ou de bois, qui n'ont qu'une importance minime ou qui
ressemblent plutôt à un amas qu'à une composition architectonique.
Malgré l'effort des architectes, on sent que ces couvertures ne se relient
pas au corps de la bâtisse, que ce ne sont que des superpositions; tandis
que, déjà, la flèche du clocher vieux de Notre-Dame de Chartres forme
avec sa base un ensemble, une composition homogène. Ces qualités sont
bien plus sensibles encore dans les flèches de Senlis, de Vernouillet, de
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes L#Laon|Laon]], de Reims, d'Étampes<span id="note2"></span>[[#footnote2|<sup>2</sup>]]. C'est par des transitions habilement
ménagées que les architectes arrivent alors, de la base carrée, massive de
la tour, à la pointe extrême de la flèche. Leur attention se porte principalement
sur les silhouettes de ces masses, car la moindre imperfection,
lorsqu'on a le ciel pour fond, choque les yeux les moins exercés. L'expérience
de chaque jour (pour nous qui songeons à toute autre chose
qu'aux silhouettes de nos édifices, et qui avons pris pour règle de faire
de l'architecture une décoration de placage comprise dans une masse
insignifiante si elle n'est désagréable) nous démontre que les objets
qui se détachent sur le ciel perdent ou acquièrent de leur importance
relative, suivant certaines lois qui semblent fort étranges au premier
abord, et dont cependant on peut se rendre compte par le calcul et
la réflexion. Ces lois, les architectes qui élevaient les immenses flèches
du moyen âge les connaissaient parfaitement, et même, dans leurs
œuvres les plus ordinaires, on en constate l'observation. Cependant, ces
lois n'avaient pu s'imposer qu'après des essais, que par la méthode
expérimentale, ou plutôt à l'aide d'une délicatesse des sens
très-développée,
puisque les monuments de ce genre surgissent tout à coup vers
le milieu du XII<sup>e</sup> siècle, à l'état parfait déjà. La flèche du clocher vieux
de Notre-Dame de Chartres, la plus grande que nous possédions en
France, est celle peut-être qui réunit, au plus haut degré ces qualités
de composition si difficiles à acquérir. La simplicité de sa masse, la juste
proportion de ses diverses parties, son heureuse silhouette, en font
une œuvre architectonique qu'on ne saurait trop méditer.
 
Il est nécessaire d'abord de poser certaines lois générales qui, bien
que très-naturelles, sont souvent méconnues lorsqu'il s'agit d'élever des
flèches, parce que nous avons pour habitude de composer les ensembles,
comme les diverses parties des édifices, en géométral, sans nous rendre
un compte exact des effets, de la perspective et des développements de
plans.
</div>
[[Image:Fleche.octognale.png|center]]
<div class="text">
Soit (1) une tour canée ABCD, sur laquelle nous voulons élever une
flèche à base octogonale <i>abcdefgh</i>: nous traçons l'élévation géométrale E
sur une des faces du carré de la tour; nous donnons à la hauteur de la
pyramide trois fois et quart le côté du carré, et nous trouvons une
proportion convenable entre la hauteur de la flèche et sa base; mais si
nous faisons une élévation sur le plan GH parallèle à l'un des diamètres
<i>gc</i> de l'octogone, nous obtenons le tracé F. Déjà, dans ce tracé, les
proportions qui nous semblaient bonnes sur le dessin E sont modifiées
d'une façon désagréable; la tour devient trop large pour la pyramide,
et celle-ci même n'a plus en hauteur que trois fois sa base apparente,
qui est le diamètre <i>gc</i>. De plus, les ombres produiront un fâcheux effet
sur ce couronnement, en donnant toujours à la tour des faces éclairées
qui seront plus étroites que celles de la pyramide; ce qui fera paraître
celle-ci de travers sur sa base. Or il faut compter que l'aspect géométral E
ne peut se présenter que sur quatre points, tandis que les aspects F sont
infinis; il y aura donc une quantité infinie d'aspects désagréables contre
quatre bons. Mais le désappointement sera bien plus grand lorsque
l'édifice sera élevé et que la perspective viendra déranger encore le tracé
géométral E. Supposons que nous sommes placés sur le prolongement
de la ligne I, perpendiculaire au plan GH, à 45 mètres du point C (voy. le
tracé AA) en K, la tour ayant 10 mètres de A' en <i>e'</i>; que cette
tour a
40 mètres de hauteur du sol à la base de la flèche. La flèche, vue à
cette distance, donnera le tracé BB, car celle-ci, par suite de la perspective,
ne paraît plus avoir en hauteur que trois fois environ la longueur
du diamètre <i>lm</i>, ainsi que le démontre la projection perspective <i>mo</i>. Si,
à cette distance, nous voulions obtenir l'apparence OPR, il faudrait
doubler la hauteur de la flèche et amener son sommet en <i>n</i>. Si nous
prétendions obtenir en perspective une proportion semblable à celle du
tracé géométral E, il faudrait tripler la hauteur de la flèche et amener
son sommet en <i>p</i>; nous obtiendrions alors l'apparence SPR. En supposant
que nous nous reculions à plus de 150 mètres en K', nous voyons
même que la flèche perdrait encore la hauteur <i>tu</i>. Si, sur cette flèche,
nous posons un point au milieu de sa hauteur en <i>v</i>, et que nous soyons
placés en K''(voy. le tracé M), en perspective la distance <i>xv'</i>
paraîtra
plus grande que la distance <i>v'r</i>. Si, en <i>y</i>, nous plaçons un ornement
dont la saillie ne dépasse pas le dixième de la hauteur totale de la
pyramide, en projection perspective cet ornement sera le sixième de
la hauteur apparente de la flèche. Ces lois, qui semblent assez compliquées
déjà, ne sont cependant que très-élémentaires quand il s'agit
de la composition des flèches.
 
==== FLÈCHES DE PIERRE ====
Les flèches construites en pierre, à dater du XII<sup>e</sup> siècle,
étant, sauf de rares exceptions, à base octogone et plantées sur des
tours carrées, il fallait d'abord trouver une transition entre la forme
prismatique carrée et la forme pyramidale octogone. Sans effort apparent,
l'architecte du clocher vieux de Chartres sut obtenir ces transitions (2).
Au niveau du bandeau K qui termine la tour, les angles saillants ont été
dérobés au moyen des contre-forts peu saillants qui les flanquent.
L'étage L, vertical encore, présente en plan un octogone dont les quatre
côtés parallèles aux faces de la tour sont plus grands que les quatre
autres. Quatre lucarnes-pinacles occupent les cornes de la base carrée
et remplissent les vides laissés par le plan octogonal. Au-dessus, l'étage
vertical, orné de quatre grandes lucarnes sur les faces, se retraite plus
sur les petits côtés que sur les grands, et arrive à l'octogone à peu près
régulier à la base de la pyramide. Celle-ci présente encore cependant
quatre pans (ceux des faces) un peu plus larges (d'un quart) que ceux
des angles.
</div>
[[Image:Fleche.cathedrale.Chartres.png|center]]
<div class="text">
La fig. 3 nous donne, en A, le plan d'un huitième de la flèche du
clocher vieux de Notre-Dame de Chartres, au niveau L, et, en B, au
niveau de la base de la pyramide. En C, on voit comme les saillies des
contre-forts portent les pieds-droits des lucarnes-pinacles, et, en D, comme
les angles de la tour se dérobent pour que, vue sur la diagonale, la
flèche continue, presque sans ressauts, la silhouette rigide de cette tour.
Les pinacles E se détachent complètement de la pyramide au-dessus
de l'étage vertical, de façon à laisser la lumière passer entre eux et la
flèche. Il en est de même des gâbles posés sur les lucarnes des faces; ces
gâbles se détachent de la pyramide. Celle-ci est accompagnée par ces
appendices qui l'entourent et conduisent les yeux de la verticale à la
ligne inclinée; mais elle n'est pas empâtée à sa souche et laisse deviner
sa forme principale.
</div>
[[Image:Plan.fleche.cathedrale.Chartres.png|center]]
<div class="text">
Notre élévation (4), prise entre le niveau L et le sommet des gâbles,
fait ressortir le mérite de cette composition, à une époque où les architectes
n'avaient pu encore acquérir l'expérience que leur donna plus
tard la construction si fréquente des grandes flèches de pierre sur les
tours des églises. Ce tracé nous fait sentir l'étude et le soin que l'on
</div>
[[Image:Fleche.cathedrale.Chartres.2.png|center]]
<div class="text">
<br>
apportait déjà à cette époque dans l'arrangement si difficile de ce point
de jonction entre la bâtisse à base carrée et les pyramides; mais aussi
nous dévoile-t-il des incertitudes et des tâtonnements. Ces artistes n'ont
pas encore trouvé une méthode sûre, ils la cherchent; leur goût, leur
coup d'œil juste, leur pressentiment de l'effet les conduisent dans le vrai,
mais par des moyens détournés, indécis. La recherche du vrai chez des
artistes, doués d'ailleurs d'une finesse peu ordinaire, donne un charme
particulier à cette composition, d'autant que ces artistes ne mettent en
œuvre que des moyens simples, qu'ils pensent avant tout à la stabilité,
que, comme constructeurs, ils ne négligent aucune partie; si bien que
cette flèche énorme, dont le sommet est à 112 mètres au-dessus du sol,
comptant sept siècles d'existence et ayant subi deux incendies terribles,
est encore debout et n'inspire aucune crainte pour sa durée. La pyramide
porte d'épaisseur 0,80 c. à sa base et 0,30 à son sommet; elle est, comme
toute la cathédrale, bâtie en pierre dure de Berchère et admirablement
appareillée. Les pans des pyramidioles des angles ont 0,50 c. d'épaisseur.
Au niveau K cependant (voy. la fig. 2), la tour s'arrête brusquement,
s'arase, et c'est sur cette sorte de plate-forme que s'élance le couronnement.
<span id=Laon>Plus tard, les architectes pensèrent à mieux relier encore les
tours aux flèches, ainsi qu'on peut le reconnaître en examinant le clocher
de la cathédrale de Senlis (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3, Clocher|Clocher]], fig. 63 et 64) et
le sommet des
tours de la cathédrale de Paris, dont les contre-forts se terminent par
des pinacles et des fleurons préparant déjà les retraites que devaient
faire les flèches sur ces tours<span id="note3"></span>[[#footnote3|<sup>3</sup>]], comme on peut aussi le constater
à la
cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes L#Laon|Laon]], dont les tours, à leur partie supérieure, sont
accompagnées de grands pinacles à jour qui flanquent un grand étage
octogonal formant une base très-bien ajustée, propre à recevoir les flèches.
 
La flèche du clocher vieux de Chartres n'est décorée que par des
écailles qui figurent des bardeaux, ce qui convient à une couverture,
par des côtes sur les milieux des huit pans et par des arêtiers.
 
Lorsque l'architecture s'allégit, pendant la première moitié du XIII<sup>e</sup> siècle,
on trouva que ces pyramides, pleines en apparence, semblaient
lourdes au-dessus des parties ajourées inférieures; on donna donc plus
d'élégance et de légèreté aux lucarnes, et on perça, dans les pans, de
longues meurtrières qui firent comprendre que ces pyramides sont
creuses. Nous voyons ce parti adopté par les constructeurs de la
flèche de Senlis. L'architecte du clocher vieux de Chartres avait déjà
cherché à détruire en partie la sécheresse des grandes lignes droites de
sa flèche par des points saillants, des têtes, interrompant de distance en
distance les côtes dessinées sur les huit faces, et par des figures chimériques
posées aux naissances des arêtes, dans les tympans et sur les
amortissements des pinacles et des gâbles. Ces détails, d'un grand
relief, portant des ombres vives, occupaient les yeux et donnaient de
l'échelle à la masse. On alla plus loin: au commencement du XIII<sup>e</sup>
siècle
déjà, on garnit les arêtiers de crochets saillants qui, se découpant sur le
ciel, donnaient de la vie et plus de légèreté aux lignes rigides des pyramides
(voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3, Clocher|Clocher]], fig. 63). Nous voyons même que, le long des
contre-forts des tours de la cathédrale de Paris, on avait sculpté dans
chaque assise un crochet saillant préparant une silhouette dentelée sous
les flèches, comme pour mieux relier leurs arêtiers aux angles de ces
tours. La flèche de l'église abbatiale de Saint-Denis, bâtie vers 1215,
conservait encore ses arêtiers sans ornements; mais là, on l'élevait sur
une tour du XII<sup>e</sup> siècle, dont les formes sévères, verticales, ne se prêtaient
pas à ces découpures. À ce point de vue, la flèche de Saint-Denis était
un chef-d'œuvre. L'architecte qui l'éleva avait su, tout en adoptant une
composition du XIII<sup>e</sup> siècle, marier, avec beaucoup d'art, les formes
admises de son temps avec la structure encore romane d'aspect sur
laquelle il venait se planter. Cette flèche donnait une silhouette des plus
heureuses; aussi faisait-elle, à juste titre, l'admiration des Parisiens et
des étrangers. Sa destruction, nécessaire pour éviter un désastre, fut
considérée comme un malheur public. Il faut bien reconnaître que les
flèches de nos églises du moyen âge excitent dans la foule une admiration
très-vive et très-sincère. La hardiesse de ces longues pyramides qui
semblent se perdre dans le ciel, leur silhouette heureuse, font toujours
une vive impression sur la multitude, sensible chez nous à tout ce qui
indique un effort de l'intelligence, une idée exprimée avec énergie. Ce
sont les provinces françaises qui les premières conçurent et exécutèrent
ces édifices faits pour signaler au loin les communes et leur puissance.
L'exemple qu'elles donnèrent ainsi, dès le XII<sup>e</sup> siècle, fut suivi en Allemagne,
en Angleterre, pendant les XIII<sup>e</sup>, XIV<sup>e</sup> et XV<sup>e</sup> siècles; mais, quelle
que soit la hardiesse et la légèreté des flèches de Fribourg en Brisgau,
de Salisbury en Angleterre, de Vienne en Autriche, il y a loin de ces
inspirations aux monuments de ce genre qui subsistent encore chez
nous, remarquables toujours par la sobriété d'ornements, par l'étude
fine des silhouettes et par une entente parfaite de la construction.
 
Nos lecteurs trouveront opportun probablement de leur donner ici
cette flèche célèbre de l'église de Saint-Denis, que nous avons pu étudier
avec grand soin dans tous ses détails, puisque la triste tâche de 1a démolir
nous fut imposée. La flèche de Saint-Denis est un sujet d'étude d'autant
plus intéressant, que l'architecte a montré, dans cette œuvre, une
connaissance approfondie des effets de la perspective, des lumières et
des ombres; que, s'appuyant sur une tour grêle, mal empattée et
construite en matériaux faibles, il a su élever une flèche de 38<sup>m</sup>,50 c.
d'une extrême légèreté, afin de ne point écraser sa base
insuffisante<span id="note4"></span>[[#footnote4|<sup>4</sup>]];
que, reconnaissant la faiblesse des parements extérieurs de la tour de
Suger et leur peu de liaison avec la maçonnerie intérieure, il avait
habilement reporté toutes les pesanteurs en dedans.
</div>
[[Image:Plan.fleche.Saint.Denis.png|center]]
<div class="text">
Voici (5) le quart du plan de la partie inférieure de la flèche de Saint-Denis.
En A sont les parements intérieurs de la tour du XII<sup>e</sup> siècle.
Les côtés B de l'octogone sont portés sur quatre trompillons. Sur cette
base, l'architecte a élevé une colonnade intérieure composée de monolithes
destinés à reporter, par suite de leur incompressibilité, toute la
charge vers l'intérieur. Quatre lucarnes C s'ouvrent dans quatre des faces
de l'octogone; les quatre angles D sont occupés par des pinacles. Cette
colonnade formait une galerie E intérieure, à laquelle on arrivait par
un escalier ménagé dans l'un des quatre angles et remplaçant l'un des
pinacles; elle permettait de surveiller et d'entretenir les constructions
de la flèche. On observera que l'assise dernière de la tour, qui porte les
pinacles, ne suit pas exactement le carré donné par la construction
antérieure, mais s'avance en forme de bec saillant, pour donner aux
angles plus d'aiguïté, un aspect plus résistant; que les colonnes portant
les pinacles font sentir davantage encore cette aiguïté et se rapprochent,
par la manière dont elles sont plantées, d'un triangle équilatéral; qu'ainsi
l'architecte a voulu évidemment accuser vivement les angles, craignant
avec raison l'aspect froid et sec du plan carré.
 
Examinons l'élévation de cette flèche (6). Si la lumière du soleil éclaire
obliquement l'une de ces faces (ce qui est, bien entendu, le cas le plus
fréquent), si cette lumière frappe cette face de droite à gauche, l'angle A
de la corniche inférieure, biaisée, comme l'indique le plan, se colorera
d'une légère demi-teinte, tandis que l'angle B sera en pleine lumière, à
plus forte raison les faces CD des pinacles; l'opposition de la
demi-teinte
répandue sur la face C, biaise, du pinacle de droite fera ressortir la
lumière accrochée par la face oblique de la pyramide et par sa face
parallèle au spectateur, comme l'ombre répandue sur la face oblique de
cette pyramide fera d'autant mieux ressortir la vive lumière que prendra
la face D, biaise, du pinacle de gauche. Ainsi a-t-on évité qu'une partie
de l'édifice fût entièrement dans l'ombre, tandis que l'autre serait dans
la lumière, disposition qui produit un mauvais effet et fait paraître de
travers toute pyramide ou cône se détachant sur le ciel.
</div>
[[Image:Fleche.Saint.Denis.png|center]]
<div class="text">
Jetons les yeux sur la coupe de la flèche de Saint-Denis (7) faite sur
l'un des axes passant par le milieu des lucarnes. Les gâbles allongés A de
ces lucarnes sont verticaux, mais ne paraissent tels qu'en géométral; en
perspective, ils semblent nécessairement plus ou moins inclinés, à moins
que le spectateur ne se trouve précisément dans le plan de ces gâbles. On
voit comment la colonnade n'est qu'un étaiement rigide reportant la
charge de la flèche sur le parement intérieur de la tour. Le tracé perspectif C
indique un des pinacles d'angle démoli et son amorce le long des
faces de la flèche. Par suite de l'inclinaison de ces faces, les colonnettes
engagées dans la construction et prises dans ses assises, jusqu'au niveau
D, s'en détachent à partir de ce niveau et sont monostyles. Les sommiers
E, les deux assises de corniches GH sont engagés dans les assises de la
flèche; l'on observera que la seconde assise H n'est pas parallèle à la
première G, mais qu'elle tend à ouvrir un peu l'angle de la pyramide
pour accrocher plus de lumière. Cette seconde assise H, se retournant le
long de la face de la flèche sur un renfort I, forme une saillie H' portant
la face postérieure de la pyramide triangulaire du pinacle et un chéneau
rejetant ses eaux par deux gargouilles. En K, nous avons tracé le plan
de cette pyramide, dont le sommet est placé de telle sorte que les trois
faces ont une inclinaison pareille. Le jeu de ces lignes plus ou moins
inclinées était des plus heureux, coupait adroitement les arêtes rigides de
la flèche sans empêcher l'œil de les suivre, avait quelque chose de hardi
et de fin tout à la fois qui charmait.
</div>
[[Image:Coupe.fleche.Saint.Denis.png|center]]
<div class="text">
Les architectes du XII<sup>e</sup> siècle avaient donné aux flèches en pierre une
importance considérable, relativement aux tours qui leur servaient de
base. La flèche du clocher vieux de la cathédrale de Chartres a 60 mètres
de hauteur, tandis que la tour n'a que 42 mètres. La flèche de l'église de
Saint-Denis portait 38<sup>m</sup>,50 d'élévation, la tour 35 mètres. Les proportions
données par la façade de la cathédrale de Paris doivent faire admettre
que les flèches doublaient la hauteur des tours. Peu à peu, les architectes
donnent aux flèches une moins grande importance (voy. l'article [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3, Clocher|Clocher]],
fig. 63 et 75). Celles de la façade de la cathédrale de Reims n'auraient eu
guère que la moitié de la hauteur des tours, comme celles de l'église de
Saint-Nicaise de la même ville. La flèche de la cathédrale de Strasbourg
est courte, grêle, comparativement à la dimension de la tour; elle ne
fut achevée que vers le milieu du XV<sup>e</sup> siècle.
 
Comme structure, cette flèche est la plus étrange conception qu'on
puisse imaginer. L'effet qu'elle produit est loin cependant de répondre aux
efforts d'intelligence qu'il a fallu faire pour la tracer et pour l'élever. Il y a
tout lieu de croire, d'ailleurs, qu'elle ne fut pas entièrement exécutée
comme elle avait été conçue, et il manque certainement à sa silhouette
des appendices très-importants qui jamais n'ont été terminés. Dans le
musée de l'Œuvre de Notre-Dame de Strasbourg, il existe un curieux
dessin sur vélin, de la fin du XIV<sup>e</sup> siècle, qui nous donne les projections
horizontales du projet de la flèche. Ce dessin, très-habilement tracé,
signale des différences de détail entre ce projet et l'exécution; toutefois
on peut considérer la flèche de Strasbourg comme une conception du
XIV<sup>e</sup> siècle.
 
L'architecte a prétendu rendre accessible à tous le sommet de cette
flèche, non par des échelles ou un petit escalier intérieur, mais au moyen
de huit escaliers faciles qui se combinent avec les huit arêtes de la pyramide,
et qui conduisent à un dernier escalier central montant jusqu'à une
petite plate-forme supérieure, sommet d'une lanterne couronnée par la
pointe extrême. Ces huit escaliers, les pans de la flèche et l'escalier central
ne sont qu'une construction ajourée, sorte d'échafaudage de pierre
combiné avec une science de tracé fort extraordinaire, mais assez médiocrement
exécuté, pauvre de style et terminé tant bien que mal avec hâte
et parcimonie.
</div>
[[Image:Plan.fleche.Strasbourg.png|center]]
<div class="text">
Nous donnons (8) un huitième du dessin de la flèche de Strasbourg
d'après le tracé du XIV<sup>e</sup> siècle. Au moyen de quatre escaliers à jour circonvolutant
dans quatre immenses pinacles posés sur quatre des angles de la
tour, on devait, d'après ce dessin, arriver à la galerie A située à la base
de la flèche. De là, passant à travers la claire-voie, on entrait dans les
escaliers en B, formant les huit arêtiers; montant deux marches, on
devait trouver un palier, puis la première marche des girons en C. La
pente des arêtiers étant naturellement très-inclinée, il fallait, pour arriver
aux premiers paliers D de la lanterne, trouver un nombre
très-considérable
de marches. L'architecte avait donc eu l'idée ingénieuse de poser
six hexagones se pénétrant, présentant ainsi une succession de tourelles
entièrement à jour, dans lesquelles les emmarchements gironnant autour
des noyaux, tantôt dans un sens, tantôt dans l'autre, permettaient de
s'élever rapidement à une grande hauteur, dans un très court espace.
Arrivé aux paliers D (toujours d'après le tracé du projet primitif), on prenait
la grande vis, double probablement, E, qui devait s'élever jusqu'à
une seconde plate-forme, d'où, par un escalier d'un plus faible diamètre,
on montait à la lanterne supérieure. L'espace G restait à jour et permettait,
par les lunettes percées dans les voûtes de la tour, de voir le pavé de
l'église. C'était là une conception prodigieuse de hardiesse. À l'exécution,
on modifia quelque peu ce projet (voy. le tracé X). Les six tourelles hexagones
ont été montées; mais, arrivé à la dernière en H de chaque arêtier,
on passe à travers une demi-tourelle I pour s'élever jusqu'en K, et ainsi à
chaque travée. Une personne qui monte par les tourelles d'arêtiers L
arrive ainsi à la plate-forme de la lanterne en K. Là, on trouve une vis
centrale comme dans le projet, si ce n'est que l'enveloppe de cette vis
centrale est octogone à l'extérieur, au lieu d'être carrée. Quant aux pans
M de la pyramide, ils ne sont point montés par assises horizontales,
comme dans les flèches que nous avons présentées au commencement
de cet article, mais sont composés de grands châssis à jour compris entre
des arêtiers, ainsi que l'indique le tracé P, et séparés par des linteaux Q
qui servent d'étrésillonnements entre ces arêtiers très-chargés, puisqu'ils
portent les montants des tourelles d'escaliers. Suivant le projet, les angles
R de la lanterne carrée étaient portés, chacun, sur les deux arêtiers O,
comme par deux contre-fiches de pierre. Les quatre grands pinacles recevant
les quatre escaliers arrivant à la plate-forme A, et les tourelles hexagones
des escaliers d'arêtiers de la flèche, avaient été combinés pour être
terminés par des pyramidions ajourés, ce qui eut produit une silhouette
surprenante et d'un grand effet. Les ressources auront probablement fait
défaut, et tous ces couronnements se terminent carrément, ce qui de loin
produit une suite de gradins gigantesques d'un effet déplorable.
 
Il est entendu, nous ne prétendons pas le nier, que la flèche de la
cathédrale de Strasbourg est un chef-d'œuvre; mais cette admiration assez
générale est surtout motivée sur la hauteur excessive de l'édifice. Pour
nous, architectes, dont l'admiration ne croît pas avec le niveau des monuments,
nous devons considérer la flèche de Strasbourg comme une des
plus ingénieuses conceptions de l'art gothique à son déclin, mais comme
une conception pauvrement exécutée. Ce n'était pas certes là ce qu'avait
imaginé l'auteur du plan sur vélin dont nous venons de donner un fragment;
il avait voulu, sans aucun doute, obtenir une silhouette rampante
et finement découpée par le moyen d'une suite de pyramidions pénétrés
par ces hexagones si adroitement enchevêtrés, et non point une série de
gradins qui arrêtent l'œil de la façon la plus désagréable. Plantant une
lanterne carrée sur la pyramide octogone de la flèche, il prétendait réveiller
le couronnement par une forme contrastant avec les angles obtus de
la base. Il devait certainement couronner cette lanterne par une dernière
pyramide octogone très-aiguë, et non par ce lanternon renflé qui termine
la flèche actuelle. Mais si, vers le milieu du XV<sup>e</sup> siècle, les architectes
gothiques étaient devenus d'excellents géomètres, des appareilleurs
subtils, ils avaient perdu ce sentiment exquis de la forme qui se trouve
chez leurs devanciers. Leurs combinaisons ingénieuses, leur prétention à
la légèreté excessive, les conduisent à la lourdeur par la multiplicité des
détails et la complication des formes dont on ne peut plus démêler le sens.
C'est surtout dans les silhouettes qu'apparaissent ces défauts; les formes
simples, compréhensibles, étant les seules qui produisent de l'effet quand
on en vient à découper un édifice sur le ciel. Toutefois, l'examen des
plans de l'Œuvre de Strasbourg laisse deviner quelque chose de bien
supérieur à ce que nous voyons, et, pour l'honneur des successeurs
d'Erwin de Steinbach, il faut croire que l'argent leur a manqué comme
à tous les architectes qui ont eu la charge de terminer ou de continuer
les cathédrales pendant les XIV<sup>e</sup> et XV<sup>e</sup> siècles.
</div>
[[Image:Fleche.Strasbourg.png|center]]
<div class="text">
D'après le projet, les six hexagones formant l'escalier serpentant,
construits au moyen de montants de pierre reliés par des
claires-voies et
des linteaux, devaient se terminer en pyramidions ajourés pénétrés chacun
par deux côtés de l'hexagone supérieur; si bien que quatre faces de ces
pyramidions sur six devaient seulement être apparentes en épaulant les
noyaux successifs recevant les angles saillants de chacun de ces hexagones.
Un tracé perspectif (9) rendra compte de cette disposition originale. Ainsi
les sommets superposés des tourelles hexagonales terminées carrément
aujourd'hui, comme une suite de gradins, donnaient, au moyen de ces
pyramidions, une ligne rampante découpée par des pinacles et des statues.
De plus, la construction à jour des tourelles, toute composée de montants
verticaux et qui ne tient guère qu'à l'aide du fer, pouvait être parfaitement
épaulée par ces pyramidions qui font l'office de contre-fiches. C'était la
construction logique, conforme aux données de l'architecture de cette
époque, qui n'admettait point, particulièrement au sommet des édifices,
des repos horizontaux.
 
D'après l'examen du plan (fig. 8), il ne semble pas que l'architecte
auteur du projet ait voulu établir seulement, entre les arêtiers, des claires-voies
composées de dalles ajourées pour former les faces de la pyramide;
il lui fallait une construction plus résistante pour porter la grande lanterne
supérieure, construction indiquée par les solides pieds-droits S. On ne
peut pas admettre cependant que ces pieds-droits fussent inclinés comme
les pans de la pyramide, ce qui eut produit un très-mauvais effet. Nous
verrions bien plutôt, dans ces pieds-droits, des naissances d'arcs assez peu
élevés, mais dans un plan vertical et recevant des gâbles à jour qui surmontaient,
par l'effet de la perspective, les couronnes ajourées T. D'ailleurs,
dans la flèche actuelle, l'architecte a établi, au niveau de la troisième
travée en N, des passages horizontaux mettant en communication les huit
escaliers; ces passages, portés sur des linteaux, forment une seconde
couronne qui coupe la flèche d'une manière fâcheuse. Nous admettons
que ces passages étaient prévus par l'auteur du projet, mais que leur
horizontalité était interrompue par la silhouette des gâbles passant devant
eux; disposition qu'explique notre fig. 9. Le pied de la pyramide fortement
maintenu au moyen des pieds-droits S, celle-ci pouvait être construite,
au-dessus des arcs V, au moyen de châssis de pierre entre les arêtiers,
conformément à l'exécution définitive. On pensera peut-être que nous
prêtons à l'architecte, auteur du projet de la flèche de Strasbourg, des
idées qu'il n'a pas eues, mais on ne prête qu'aux riches. L'art de l'architecture,
surtout aux époques où il devait employer des sommes énormes
pour mettre ses idées à exécution, peut être difficilement jugé par ce que
le temps nous a laissé. Le plus souvent, les conceptions les plus heureuses,
les plus étudiées, sont rendues d'une manière incomplète, faute de ressources,
ou ont été mutilées par le temps et des restaurations malheureuses.
C'est le malheur de cet art, de ne pouvoir transmettre ses conceptions
dans leur pureté. Ayant présenté la flèche actuelle de la cathédrale
de Strasbourg comme une œuvre manquée, d'une exécution médiocre,
on ne nous saura pas mauvais gré d'avoir en même temps cherché à faire
ressortir les qualités de la conception primitive, d'avoir relevé le mérite
de l'artiste, puisque nous nous montrions sévère pour une œuvre évidemment incomplète. Bien d'autres constructions fâcheuses ont détruit
l'unité de conception de la façade occidentale de Notre-Dame de Strasbourg;
le beffroi central, entre les deux tours, est une adjonction monstrueuse
qui change absolument les proportions de cette façade, adjonction inutile
et qui doit fort tourmenter les Steinbach dans leur tombe, si toutefois les
architectes, dans l'autre monde, ont connaissance des changements qu'on
fait subir à leurs œuvres, ce qui serait pour tous, sans exception, un
supplice continuel.
 
Si les architectes du XV<sup>e</sup> siècle avaient possédé les ressources dont
disposaient ceux du commencement du XIII<sup>e</sup> siècle pour la construction
des grandes cathédrales, ils nous auraient laissé des flèches de pierre
merveilleuses par leur combinaison, car l'architecture de ce temps se
prêtait plus qu'aucune autre à ces jeux d'appareil. Il est douteux, toutefois,
que ces monuments pussent produire plus d'effet que nos flèches
de pierre des XII<sup>e</sup> et XIII<sup>e</sup> siècles, sobres dans les détails, mais d'une si
parfaite élégance comme silhouette et, au demeurant, beaucoup plus
solides et durables. Le domaine royal est la véritable patrie des flèches;
c'est là où il faut étudier les principes qui ont dirigé nos architectes de
l'école laïque à son origine. La Normandie a élevé, pendant le XIII<sup>e</sup> siècle,
un grand nombre de flèches qui existent encore, grâce à la bonté des
matériaux de cette province; mais ces conceptions sont loin de valoir
celles de l'Île-de-France. Les flèches des églises de l'abbaye aux hommes
de Caen, des cathédrales de Coutances et de Bayeux, ne nous présentent
pas une entente parfaite des détails avec l'ensemble: leurs pinacles sont
mesquins, confus, couverts de membres trop petits pour la place qu'ils
occupent; les silhouettes sont molles, indécises, et n'ont jamais cette mâle
énergie qui nous charme dans les contours des flèches de Chartres, de
Saint-Denis, de Senlis, de Vernouillet et d'Étampes.
 
==== FLÈCHES DE CHARPENTERIE ====
Il nous serait difficile de dire à quelle époque
remontent les premières flèches construites en bois. Il en existait au
XII<sup>e</sup> siècle, puisqu'il est fait mention alors d'incendies de clochers de
charpente; mais nous n'avons sur leur forme que des données
très-vagues.
Ces flèches consistaient alors probablement en de grandes pyramides
posées sur des tours carrées, couvertes d'ardoises ou de plomb et percées
de lucarnes plus ou moins monumentales. Il faut, d'ailleurs, bien définir
ce qu'on doit entendre par flèche en charpente. Dans le nord de la France,
beaucoup de tours en maçonnerie étaient et sont encore couvertes par des
pavillons en bois qui ne sont, à proprement parler, que des combles
très-aigus. <span id="Amiens69">La flèche de charpenterie est une œuvre à part, complète, qui
possède son soubassement, ses étages et son toit; elle peut, il est vrai,
être posée sur une tour en maçonnerie, comme étaient les flèches de la
Cathédrale d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]] avant le XVI<sup>e</sup> siècle, celle de Beauvais avant la chute
du transsept, celle de Notre-Dame de Rouen avant l'incendie, comme est
encore celle de la cathédrale d'Évreux; mais cependant elle se distingue
toujours par une ordonnance particulière, à elle appartenant: c'est un
édifice de bois, entier, posé sur un édifice de pierre qui lui sert d'assiette,
comme les coupoles modernes de Saint-Pierre de Rome, du Val-de-Grâce,
des Invalides, sont des monuments distincts, indépendants de la masse
des constructions qui les portent. Ces œuvres de charpenterie sont les
seules qui méritent le nom de flèches. On peut croire que, par suite des
incendies, du défaut d'entretien et du temps, les flèches du moyen âge,
d'une époque ancienne, doivent être peu communes; on en éleva un si
grand nombre cependant, à partir de la fin du XII<sup>e</sup> siècle, que nous en
possédons encore quelques-unes, et qu'il nous reste sur beaucoup des
renseignements précieux.
 
Tout porte à croire que les plans des grandes églises, et des cathédrales
du commencement du XIII<sup>e</sup> siècle notamment, avaient été conçus avec
l'idée d'élever une tour carrée sur les quatre piliers de la croisée. Plusieurs
de nos grandes cathédrales ont possédé ou possèdent encore ces tours
carrées. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], Reims, Beauvais ont eu leur tour de maçonnerie sur le
milieu du transsept; Rouen, [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes L#Laon|Laon]], Bayeux, Évreux, Coutances, les ont
conservées en tout ou partie. Mais soit que l'argent manquât, soit que les
architectes aient reculé devant le danger de trop charger les piles isolées
des transsepts, presque partout ces tours ne furent point achevées ou
furent couronnées par des flèches en charpente recouvertes de plomb,
qui, malgré leur poids considérable, étaient loin de charger autant les
parties inférieures que l'eût fait une construction de pierre. Quelques
cathédrales cependant ne paraissent pas avoir jamais dû recevoir sur la
croisée des tours en maçonnerie. Paris, Chartres, Soissons n'en présentent
aucune trace, non plus que Senlis, Meaux et Bourges, par la raison que
ces derniers monuments avaient été conçus sans transsept. À défaut de
tours de maçonnerie sur la croisée des églises, on eut l'idée d'élever de
grands clochers de charpente se combinant avec les combles. Notre-Dame
de Paris possédait une flèche en bois recouverte de plomb, qui datait du
commencement du XIII<sup>e</sup> siècle. Cette flèche, démolie il y a cinquante ans
environ, était certainement la plus ancienne de toutes celles qui existaient
encore à cette époque; sa souche était restée entière, à l'intersection des
combles, jusqu'à ces derniers temps. Or, des flèches de charpente, la
partie la plus importante, celle qui demande le plus d'études et de soins,
au point de vue de la construction, est la souche. Aussi avons-nous relevé
exactement ces débris de l'ancien clocher central de Notre-Dame de Paris,
avant de les enlever pour y substituer la charpente nouvelle, qui, du reste,
est établie d'après le système primitif.
</div>
[[Image:Plan.fleche.Notre.Dame.Paris.png|center]]
<div class="text">
Voici en quoi consiste ce système (10): AB,AB étant les quatre piliers
du transsept et CD les faîtages des deux combles se coupant à angle droit;
la flèche, au-dessus des combles, est établie sur plan octogone, ses angles
étant posés sur les faîtages des deux combles et dans les quatre noues.
La base octogonale est portée par deux fermes diagonales AA,BB, se
rencontrant en un seul poinçon G qui est l'arbre vertical de la flèche; de
plus, les quatre angles I sont maintenus dans les plans verticaux AA,BB,
au moyen de grandes contre-fiches IA,IB. Ces contre-fiches, se rencontrant
en K, forment ainsi les arbalétriers de quatre fermes inclinées KAB,
dont les sommets K soutiennent les quatre angles L de l'octogone. Par ce
moyen, les huit angles de la flèche sont portés directement sur des fermes,
et le roulement de tout le système est arrêté par les contre-fiches croisées
IA, IB.
 
Il faut savoir que ces charpentes fort élevées périssent toujours par suite
d'un mouvement de torsion qui se produit de proche en proche de la base
au faîte. En effet, les bois ne peuvent rentrer en eux-mêmes, ils ne se
raccourcissent pas; l'effort des vents, le poids finissent par fatiguer un
point plus faible que les autres; tout l'effort se produit dès lors sur ce
point, et il se fait un mouvement de rotation qui brise les assemblages,
courbe les bois et entraîne la ruine de la charpente. Le système adopté
pour la souche de la flèche de Notre-Dame de Paris a pour résultat de
faire que, non-seulement la torsion de la base est rendue impossible par
le croisement des contre-fiches, mais encore que chaque angle de l'octogone
reporte sa charge sur deux et même trois piles. Les angles L portent
sur les deux piles AB, et les points I sur trois piles ABB ou BAA. Ce
système a donc encore cet avantage que, quand la pression du vent agit
sur un côté, il y a toujours au moins deux piles du transsept qui reçoivent
la charge supplémentaire occasionnée par cette pression.
</div>
[[Image:Charpente.fleche.Notre.Dame.Paris.png|center]]
<div class="text">
Examinons, maintenant que ce système est connu, l'application qu'on
en avait fait à Notre-Dame de Paris. Les piles du transsept de la cathédrale
ne forment point un carré, mais un quadrilatère assez irrégulier, ce qui
ajoutait à la difficulté d'établir une charpente reposant sur quatre points
seulement et supportant une pyramide à base octogone. La fig. 11 donne
la projection horizontale de la souche de cette flèche, en supposant la
section faite au-dessus du faîtage des combles; les pièces AB sont les
grandes contre-fiches qui portent à la fois les poteaux C au point de leur
croisement et les poteaux D qu'ils viennent en même temps
contre-butter.
Ces contre-fiches AB sont maintenues rigides par de fortes moises horizontales
EG, serrées au moyen de clefs de bois; de sorte que les triangles
CEG sont des fermes inclinées auxquelles les poteaux CH servent de
poinçons. Deux grandes fermes diagonales IK portent directement quatre
des angles de l'octogone.
</div>
[[Image:Charpente.fleche.Notre.Dame.Paris.2.png|center]]
<div class="text">
Nous donnons (12) l'une de ces deux grandes fermes diagonales, qui se
composent d'un entrait armé portant sur le bahut en maçonnerie et
soulagé par de fortes potences dont le pied A s'appuie sur les têtes des
piles en contre-bas de ce bahut; de deux arbalétriers CD et de
sous-arbalétriers courbes EF s'assemblant dans le poinçon central, l'arbre de la
flèche. Les grandes contre-fiches AG sont des moises. Les poteaux principaux
formant l'octogone de la flèche sont triples de H en I, c'est-à-dire
composés d'une âme et de deux moises. Les poteaux de contre-forts KL
sont simples et assemblés à mi-bois dans les arbalétriers CD. On remarquera
que ces poteaux sont fortement inclinés vers l'arbre principal. Les
poteaux contre-forts KL étaient primitivement buttés par de grandes
contre-fiches ML, lesquelles se trouvaient au-dessus des noues et présentaient
une côte saillante décorée jadis au moyen des moises pendantes OP
recouvertes de plomb et accompagnées de pièces de bois découpées dont
les débris R ont été retrouvés. Le poteau S, qui se combinait avec cette
décoration et qui était resté en place, formait la tête de ce système
d'étaiement, visible au-dessus des quatre noues. Un chapiteau V sculpté
dans le poinçon central donnait la date exacte de cette flèche (commencement
du XIII<sup>e</sup> siècle)<span id="note5"></span>[[#footnote5|<sup>5</sup>]]. À une époque assez ancienne, ces étais visibles et
décorés placés dans les noues, si nécessaires à la solidité de la flèche,
avaient été enlevés (probablement parce qu'ils avaient été altérés par le
temps, faute d'un bon entretien); ce qui a dû contribuer à fatiguer les
arbalétriers qui, alors, avaient à porter toute la charge des poteaux KL.
</div>
[[Image:Charpente.fleche.Notre.Dame.Paris.3.png|center]]
 
[[Image:Charpente.fleche.Notre.Dame.Paris.4.png|center]]
<div class="text">
La fig. 13 donne l'enrayure au niveau T, et la fig. 14 l'enrayure
au niveau X.
</div>
[[Image:Charpente.fleche.Notre.Dame.Paris.5.png|center]]
<div class="text">
La fig. 15 permet de saisir la disposition des grandes contre-fiches AB
du plan fig. 11. On voit comment ces contre-fiches soutiennent, à leur
croisement G, les poteaux CH, comment elles s'assemblent à la tête dans
les poteaux DK en D, comment les moises horizontales EF serrent et
ces contre-fiches et l'extrémité inférieure des poteaux CH, comment le
triangle GEF présente un système de ferme inclinée résistant à la charge
des poteaux CH. Si nous reprenons la fig. 11, nous remarquerons que
non-seulement les poteaux qui forment les huit angles de la flèche sont
inclinés vers l'arbre central de manière à former une pyramide et non un
prisme, mais que ces poteaux donnent un double système de supports.
Nous ne parlons pas des moises qui triplent quelques-uns de ces poteaux,
parce que ces moises ne sont que des fourrures propres à donner plus de
roide aux points d'appui, dans le sens de leur plat, et surtout destinées à
recevoir les assemblages latéraux, afin de ne point affamer les poteaux
principaux par des mortaises. Ce système de poteaux jumeaux séparés par
un intervalle est un moyen très-puissant de résister à la pression des vents.
On comprend que ces poteaux, bien reliés entre eux par des moises
horizontales de distance en distance, offrent des points d'appui extrêmement
rigides. En effet, soient (16) deux poteaux AB,CD enserrés entre des
moises EFG: pour que le poteau CD se courbât suivant la ligne CID, il
faudrait que le poteau AB se raccourcit, rentrât en lui-même, ce qui n'est
pas possible; pour qu'il se courbât suivant la ligne CKD, il faudrait que
le poteau AB s'allongeât, ce qui est de même impossible. Le
quadrilatère
ACBD, relié par les moises EFG, n'est donc pas susceptible de
déformation. Aussi, fidèles à ce principe élémentaire, les architectes gothiques
n'ont-ils jamais manqué de l'appliquer dans la construction de leurs flèches
de charpente, et, comme toujours, ils en ont fait un motif de décoration.
</div>
[[Image:Charpente.fleche.Notre.Dame.Paris.6.png|center]]
<div class="text">
La souche de la flèche de Notre-Dame de Paris, bien qu'elle fût
combinée
d'une manière ingénieuse, que le système de la charpente fût
très-bon,
présentait cependant des points faibles; ainsi, les grandes fermes
diagonales (fig. 12) n'étaient pas suffisamment armées au pied, les contre-fiches-moises
AG ne buttaient pas parfaitement les poteaux extérieurs de
la pyramide, les arbalétriers étaient faibles, les entraits retroussés sans
puissance. Les fermes de faîtage (celles qui venaient s'appuyer sur les
grandes contre-fiches, disposées en croix de Saint-André, fig. 15) ne
trouvaient pas, à la rencontre de ces deux grandes contre-fiches, un point
d'appui inébranlable; d'ailleurs ces contre-fiches, à cause de leur grande
longueur, pouvaient se courber, ce qui avait eu lieu du côté opposé aux
vents. Par suite, la flèche tout entière avait dû s'incliner et fatiguer
ses assemblages. Généralement, les pièces inférieures n'étaient pas d'un
assez fort équarrissage; puis, pour des charpentes qui sont soumises aux
oscillations causées par les ouragans, les clefs de bois sont évidemment
insuffisantes, surtout quand, à la longue, ces bois venant à se dessécher
ne remplissent plus les entailles dans lesquelles ils sont engagés.
Aussi,
tout en respectant le principe d'après lequel cette charpente avait été
taillée, a-t-on dû, lors de la reconstruction de la flèche de
Notre-Dame de
Paris, améliorer l'ensemble du système et y introduire les perfectionnements
fournis par l'industrie moderne. On se fait difficilement une idée,
avant d'en avoir fait l'épreuve, de la puissance des vents sur ces charpentes
qui, posées à une assez grande hauteur, sur quatre pieds seulement,
s'élèvent elles-mêmes dans les airs au-dessus des autres édifices
d'une
cité<span id="note6"></span>[[#footnote6|<sup>6</sup>]]. La pression des courants d'air est telle qu'à certains moments tout
le poids de la charpente se reporte sur le côté opposé à la direction du
vent; il faut donc qu'entre toutes les parties du système il y ait une
solidarité complète, afin que cette pression ne puisse, en aucun cas, faire
agir tout le poids sur un seul point d'appui. On doit penser que ces
charpentes sont comme un bras de levier, qui, s'il n'est pas bien maintenu
par un empattement inébranlable, ne manquerait pas d'écraser ou de
disloquer l'une des quatre piles qui lui servent d'appui, d'autant que,
dans notre climat, les grands vents viennent toujours du même point de
l'horizon, du nord-ouest au sud-ouest. Cette pression, répétée sur un seul
côté de ces charpentes, doit être un sujet de méditation pour le constructeur.
Partant du système admis par l'architecte du XIII<sup>e</sup> siècle, on a donc
cherché: 1º à former, à la base de la souche de la nouvelle flèche, un
<i>quatre-pieds</i> absolument rigide et pouvant résister à toute oscillation;
2º à relier ce quatre-pieds avec la souche elle-même, d'une manière
si
puissante, que toute pression agissant dans un sens fût reportée au moins
sur deux points d'appui et même sur trois; 3º à soutenir également les
huit arêtes de la pyramide, tandis que, dans le système ancien, quatre de
ces arêtes étaient mieux portées que les quatre autres; 4º à doubler
du
haut en bas tout le système formant l'octogone de la flèche, afin d'avoir
non-seulement les arêtes rigides, mais même les faces; 5º à éviter les
assemblages à tenons et mortaises qui se fatiguent par l'effet des oscillations,
et à les remplacer par le système de moises qui n'affame pas les bois,
les relie et leur donné une résistance considérable; 6º à n'employer le fer
que comme boulons, pour laisser aux charpentes leur élasticité; 7º à
diminuer le poids à mesure que l'on s'élevait, en employant des bois de
plus en plus faibles d'équarrissage, mais en augmentant cependant, par la
combinaison de la charpente, la force de résistance<span id="note7"></span>[[#footnote7|<sup>7</sup>]].
</div>
[[Image:Charpente.fleche.Notre.Dame.Paris.7.png|center]]
<div class="text">
Nous l'avons dit tout à l'heure: les quatre piles du transsept sur
lesquelles repose la flèche de Notre-Dame de Paris ne sont pas plantées
aux angles d'un carré, mais d'un quadrilatère à quatre côtés inégaux, ce
qui ajoutait à la difficulté. Pour ne pas compliquer les figures, nous ne
tenons pas compte ici des faibles irrégularités, et nous supposons un
parallélogramme dont le grand côté a 14<sup>m</sup>,75 et le petit 12<sup>m</sup>,75.
Quatre
des angles de l'octogone de la flèche devant nécessairement poser sur les
deux diagonales du quadrilatère, cet octogone est irrégulier, possédant
quatre côtés plus grands que les quatre autres. La fig. 17 donne, en A, le
plan de l'enrayure basse, au niveau des grands entraits diagonaux, qui
sont chacun composés de trois pièces de bois superposées ayant 0,25 c.
de roide sous le poinçon. Ce tracé fait voir en projection horizontale le
<i>quatre-pieds</i> sur lequel s'appuie le système à sa base. Ce
quatre-pieds se
compose d'une combinaison de potences sous les entraits et de fermes
inclinées BC, passant dans les plans d'une pyramide tronquée dont la base
est le quadrilatère donné par les piles, et la section supérieure par le plan de
l'enrayure au niveau des entraits. Chacun des angles du corps de la flèche
se compose de trois poteaux qui ne s'élèvent pas verticalement mais
forment une pyramide très-allongée, à base octogone; c'est-à-dire qu'en
s'élevant, ces poteaux se rapprochent du poinçon.
</div>
[[Image:Charpente.fleche.Notre.Dame.Paris.8.png|center]]
<div class="text">
Examinons maintenant une des grandes fermes diagonales DE (18). On
voit, en A, les trois entraits superposés, roidis et maintenus d'abord par
les deux liens B assemblés à mi-bois et formant potence; puis par les deux
fortes contre-fiches moisées CD qui reçoivent les liens inclinés indiqués
en BC dans la figure précédente. La tête de ces deux
contre-fiches-moises
vient pincer, en E, le pied des trois poteaux des angles de la
flèche. Le
poinçon central est en F. Les grandes contre-fiches GH tracent la noue
donnée par la rencontre des combles; par conséquent, tout ce qui est
au-dessus de ces contre-fiches est vu. Les contre-fiches IK sont des
moises, forment arête dans la noue, en rejetant, au moyen d'un chevronnage,
les eaux à droite et à gauche, et laissent voir les gradins ajourés
décorés d'arcatures et surmontés, sur les quatre poteaux, de statues.
D'autres contre-fiches-moises MN réunissent tout le système et s'assemblent
dans le poinçon central en O. En outre, cette demi-ferme est
maintenue
par des moises horizontales qui serrent ensemble ses diverses pièces,
empêchent toute dislocation et font de cette charpente un plan roide,
immobile, ne pouvant se déformer. Le tracé AA de la fig. 17 nous donne
le plan de l'enrayure au niveau P de la fig. 18; le tracé AAA celui de
l'enrayure au niveau R, et le tracé A' celui de l'enrayure à la base de la
pyramide qui termine la flèche au-dessus du second étage à jour. Dans le
tracé AA de la fig. 17, on voit comme s'arrangent les chevronnages
divisant la noue en deux et laissant passer les quatre poteaux portant les
statues.
 
Ce système de poteaux verticaux traversant les demi-fermes diagonales
et faisant décoration au-dessus des noues (système qui avait été adopté
par les constructeurs du XIII<sup>e</sup> siècle) présente plusieurs avantages: il fait
de ces demi-fermes de véritables pans-de-bois parfaitement rigides; il
constitue une suite de poinçons qui roidissent les contre-fiches, les
maintiennent
dans leur plan vertical sans charger en aucune façon l'entrait. Il
présente aussi une décoration ingénieuse en ce qu'elle explique, à
l'extérieur,
comment la flèche vient s'appuyer sur les quatres piliers de la
croisée, aussi parce qu'elle établit une transition entre la maçonnerie de
l'église et le corps de la flèche, parce qu'elle lui sert de base, d'arc-boutant,
pour ainsi dire. On voit, en V (fig. 18), comment sont décorés ces gradins
des grandes contre-fiches au-dessus des noues. Il est facile de comprendre
maintenant comment sont soutenus les quatre angles de l'octogone qui
portent sur les diagonales; pour les quatre angles tombant sur les
faîtages
des combles, voici quel a été le système adopté. En BB (fig. 17) sont
élevées de fortes fermes, reposant sur les bahuts et les quatre piles
du transsept; sur le milieu des entraits de ces fermes reposent les
pièces
horizontales LM puissamment soulagées en C par les pièces inclinées
BC.
C'est au-dessus de ce point C que portent les triples poteaux formant les
quatre autres angles de l'octogone; le point M ne porte que le pied des
contre-fiches qui sont destinées à maintenir les poteaux dans leur plan.
</div>
[[Image:Charpente.Notre.Dame.Paris.5.png|center]]
<div class="text">
La fig. 19 présente l'une de ces fermes BB, qui sert en même temps de
ferme de comble. En A, on voit l'extrémité de la pièce horizontale tracée
en LM dans la fig. 17; en A', cette extrémité est vue en coupe sur <i>ab</i>. Il
n'est pas besoin d'explication pour faire sentir que cette extrémité A ne
peut fléchir. En B', nous avons donné le détail des assemblages B, et
en
C' celui de la croix de Saint-André C, avec le poinçon.
</div>
[[Image:Charpente.fleche.Notre.Dame.Paris.9.png|center]]
<div class="text">
Maintenant, examinons ce système de souche en perspective (20). En
A, on voit les grands entraits triples des fermes diagonales; en B, la
disposition des liens formant fermes inclinées, roidissant la base de la
souche et venant porter en C quatre des angles de l'octogone; en D,
apparaissent les fragments de l'entrait de la ferme donnée dans la figure
précédente, avec le pan-de-bois qui maintient les poteaux d'angles reposant
en C, E étant le poinçon de cette ferme. Des contre-fiches F viennent
soulager les poteaux C et reporter leur charge sur les quatre points
résistants principaux A; ces contre-fiches ont encore l'avantage d'arrêter
le roulement de tout le système. Au-dessus, des croix de Saint-André G,
doubles, reportent encore, la charge des poteaux C sur les points d'appui
diagonaux. Les pièces I et F remplissent avec avantage les grandes
pièces inclinées de l'ancienne charpente que nous avons décrite plus
haut. Ce système est d'ailleurs triplé dans la charpente actuelle,
nous le
voyons reproduit en KL et en KM; de sorte que si une pression extraordinaire se produit en O, cette pression ne charge pas le point C, mais
bien les pieds I, et même, de proche en proche, par la disposition
des croix de Saint-André et des contre-fiches F, trois des piles du transsept.
On observera que ces croix de Saint-André sont doublées, c'est-à-dire
assemblées dans deux des poteaux sur les trois qui forment chaque angle
à la base de la flèche. Il n'y a donc pas possibilité de roulement dans cette
charpente; aucune de ses parties ne peut recevoir un supplément de
charge sans transmettre ce supplément à deux et même trois des quatre
points d'appui sur lesquels elle porte. En supposant même qu'une des
quatre piles du transsept fût enlevée, la charpente resterait debout et
reporterait toutes ses pesanteurs sur les trois piles conservées.
</div>
[[Image:Fleche.Notre.Dame.Paris.png|center]]
<div class="text">
Le système d'après lequel a été établi la souche de la flèche de Notre-Dame
de Paris étant bien connu, examinons cette flèche au-dessus du faîtage du comble, c'est-à-dire au-dessus du niveau d'où elle commence à se
détacher sur le ciel (21). Une vue perspective présente, du côté droit, la
flèche dépourvue de sa décoration, et, du côté gauche, la flèche décorée.
En A est une des quatre fermes correspondant aux fermes diagonales; on
observera l'inclinaison des poteaux formant les arêtes de cette flèche au-dessous
de la pyramide supérieure, qui ne se dégage qu'au niveau B. Cette
inclinaison, y compris les retraites successives, n'a pas moins de 0,80 c.
dans une hauteur de 15<sup>m</sup>,00; et cependant, par l'effet de la perspective, à
peine si l'on aperçoit une diminution dans le corps de la flèche autre que
celle produite par les retraites C. Bien mieux, si les huit angles de l'octogone
étaient montés d'aplomb, le corps de la flèche paraîtrait plus large
sous la pyramide supérieure qu'à sa base. L'illusion de l'œil est ici d'accord
avec les conditions de stabilité; en effet, ces huit angles, qui tendent à se
rapprocher du poinçon à mesure qu'ils s'élèvent, conduisent l'œil à la
forme pyramidale prononcée du couronnement, et forment en même
temps une suite d'étais qui maintiennent l'arbre central dans la verticale.
Par l'effet singulier du contraste des lignes verticales et inclinées se détachant
sur le ciel à une grande hauteur, si les pinacles D qui terminent les
poteaux d'angle étaient verticaux, vus à côté des arêtiers de la pyramide
supérieure, ils sembleraient s'écarter en dehors. Il faut que, dans un
monument aussi élevé et dont la forme générale est aussi grêle, toutes les
lignes tendent à s'incliner vers l'axe, si l'on veut que rien dans l'ensemble
ne vienne contrarier la silhouette. Nous donnons, en E, le couronnement
de la flèche, dont la pomme F est à 45<sup>m</sup>,00 au-dessus du faîtage du comble.
 
Nous avons dit que la charpente, en s'élevant, se composait de pièces
de plus en plus légères, mais assemblées avec plus de force. En examinant
l'enrayure tracée en G, on reconnaîtra combien elle présente de résistance;
ce système est adopté pour les quatre enrayures indiquées en G dans le
géométral A. Cette enrayure se compose de moises assemblées à mi-bois,
ainsi que le fait voir le détail I, se coupant à angle droit, pinçant le poinçon,
quatre arêtiers, et roidies par des goussets K de manière à former un
carré; immédiatement au-dessous, une seconde enrayure contrariant
celle-ci et combinée de la même manière produit, en projection verticale,
une étoile à huit pointes, qui donne la section de la pyramide.
Non-seulement
ce système présente une grande résistance, mais il a l'avantage de
donner à la pyramide des ombres toujours accusées qui la redressent à
l'œil et lui donnent une apparence plus svelte. Lorsque les pyramides des
flèches aussi aiguës sont élevées sur une section simplement octogonale,
si le soleil frappe d'un côté, une partie de la pyramide est entièrement
dans le clair et l'autre dans l'ombre; à distance, le côté clair se confond
avec le ciel et le côté ombré donne une ligne inclinée qui n'est point
balancée, de sorte que la pyramide paraît être hors d'aplomb. Les grands
pinacles avec leurs crochets qui fournissent toujours des points ombrés et
brillants tout autour de la pyramide, du côté du clair comme du côté
opposé à la lumière, contribuent encore à éviter ces illusions de l'œil qui
sont produites par des masses d'ombres opposées sans rappel de lumière
à des masses claires sans rappel d'ombre. Nous ne saurions trop le répéter:
lorsqu'un édifice ou partie d'un édifice se découpe entièrement sur le
ciel, rien n'est indifférent dans la masse comme dans les détails; la moindre
inattention dans l'adoption d'un ornement, dans le tracé d'un contour,
dérange entièrement l'harmonie de la masse. Il est nécessaire que tout soit
clair, facile à comprendre, que les profils et ornements soient à l'échelle,
qu'ils ne contrarient jamais la silhouette, et cependant qu'ils soient tous
visibles et appréciables.
 
La flèche de Notre-Dame de Paris est entièrement construite en chêne
de Champagne; tous les bois sont recouverts de lames de plomb, et les
ornements sont en plomb repoussé<span id="note8"></span>[[#footnote8|<sup>8</sup>]].
 
Alors comme aujourd'hui, l'occasion d'élever des flèches de charpente
aussi importantes ne se présentait pas souvent. Le plomb était plus cher
autrefois qu'il n'est aujourd'hui, bien que son prix soit encore fort élevé;
sur de petites églises de bourgades, de villages ou d'abbayes pauvres, on
ne pouvait penser à revêtir les flèches de charpente qu'en ardoise. Il
fallait, dans ce cas, adopter des formes simples, éviter les grands ajours et
bien garantir les bois contre la pluie et l'action du soleil.
 
Nous avons constaté bien des fois déjà que l'architecture du moyen âge
se prête à l'exécution des œuvres les plus modestement conçues comme à
celle des œuvres les plus riches: cela seul prouverait que c'est un art
complet. Si l'architecture ne peut s'appliquer qu'à de somptueux édifices
et si elle se trouve privée de ses ressources quand il faut s'en tenir au strict
nécessaire, ce n'est plus un art, mais une parure sans raison, une affaire
de mode ou de vanité.<span id=Orbais>
</div>
[[Image:Fleche.eglise.Orbais.png|center]]
<div class="text">
Nous donnons (22) un exemple de ces flèches entièrement revêtues d'ardoises,
élevée, comme celle de Notre-Dame de Paris, à la rencontre des
combles sur le transsept: c'est la flèche de l'église d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes O#Orbais|Orbais]] (Marne), autrefois
dépendante d'une abbaye. Excepté les extrémités des poinçons, qui
sont revêtues de chapeaux de plomb très-simples, toute la charpente est
couverte en ardoise. On voit, en A, la moitié d'un des pans-de-bois de la
souche; CD est l'arbalétrier du comble. Comme toujours, cette souche est
diminuée, ayant 4<sup>m</sup>,88 à sa base et 4<sup>m</sup>,66 à son sommet au niveau de
l'enrayure de la pyramide. Celle-ci est octogone et pose ses angles sur les
milieux des pans-de-bois, ainsi que le fait voir le tracé B. Les arêtiers E
sont soulagés par des contre-fiches G assemblées dans les poteaux d'angle
H, et sur les angles F sont posés quatre petits pinacles, visibles sur le tracé
perspectif. Le corps de la flèche, la pyramide, les pinacles et les lucarnes
sont couverts d'ardoises petites, épaisses, clouées sur de la volige de
chêne. Il y a des lames de plomb dans les noues. Cet édifice, si simple,
est d'un effet charmant, à cause de ces saillies, et surtout à cause de
l'heureuse proportion de l'ensemble; il date du XIV<sup>e</sup> siècle. Le beffroi est
indépendant de la charpente de la flèche et repose seulement, comme
celle-ci, sur les quatre piles du transsept.
 
On voit encore, sur la croisée de l'ancienne église abbatiale d'Eu, la
souche d'une flèche, du XV<sup>e</sup> siècle, en charpente, dont la disposition
originale mérite d'être signalée. C'était une pyramide passant du plan
carré au plan octogone dans la hauteur du comble, de manière que
l'inclinaison des faces se suivait, sans interruption, du faîtage de ces
combles au sommet de la flèche. Ce système présentait une grande
solidité.
</div>
[[Image:Fleche.eglise.Eu.png|center]]
<div class="text">
Soit (23) AB deux des quatre points d'appui du transsept, des fermes
inclinées ABC forment les faces d'une pyramide à base carrée. La projection
des fermes des combles est donnée par le triangle ABD; donc, les
triangles ADC,BDC sont vus au-dessus de la pente de ces combles; la
contre-fiche AE passe dans le plan des deux arbalétriers AG,AF. Les
poinçons IC passent dans le plan de la pyramide octogone. Au niveau du
faîtage des combles est posée une enrayure sur plan octogone GFK, etc.,
embrévée dans les pièces principales inclinées AP, AG, AC, BC, etc.
L'élévation X, prise sur la moitié de la flèche de B en I, fait voir la projection
du comble en B'D', la grande ferme inclinée en B'C', inclinée
suivant le plan B'O. Les contre-fiches AE du plan horizontal se voient en
B'E' et la première enrayure octogone en L, sur laquelle reposent les
véritables arêtiers de la flèche. Ici, les angles de l'octogone ne correspondent
pas aux faîtages des quatre combles et aux quatre noues, mais bien
le milieu des faces de cet octogone. En N est tracée l'une des
contre-fiches
diagonales AE et la section EP faite au milieu d'une des quatre faces de la
pyramide donnant sur les noues; des lucarnes R sont ouvertes sur ces
quatre faces. Une galerie S rompt l'aspect uniforme de la flèche et sert de
guette. L'enrayure du sol de cette galerie est tracée en M. L'enrayure Q
est tracée en Q', les quatrième et cinquième enrayures étant combinées
de la même façon. En V, un tracé perspectif indique la rencontre des
pièces inclinées de la souche avec la première enrayure octogone L. Cette
flèche a été dérasée au niveau Q; mais un tableau du XVII<sup>e</sup> siècle qui est
déposé dans l'église d'Eu, présentant une vue fort bien faite des bâtiments
de l'abbaye, nous donne le complément de la flèche et son système de
décoration qui ne manquait pas d'élégance.
</div>
[[Image:Fleche.eglise.Eu.2.png|center]]
<div class="text">
La fig. 24 reproduit l'aspect géométral de la flèche d'Eu, revêtue de sa
plomberie et de sa couverture en ardoise, la plomberie n'étant appliquée
qu'au couronnement supérieur de la pyramide, à la galerie, aux lucarnes
et aux noues.
 
À Évreux, sur une tour centrale en maçonnerie qui surmonte la croisée
de la cathédrale s'élève une flèche en charpente recouverte de plomb, fort
dénaturée par des restaurations successives, mais qui présente cependant
encore une assez bonne silhouette. Elle est complètement ajourée de la
lanterne au faîte, et cette lanterne est d'un bon style du XV<sup>e</sup> siècle. Le
défaut de ce couronnement, c'est d'être trop grêle pour la souche en
maçonnerie qui lui sert de base; elle s'y relie mal, et la trop grande
quantité d'ajours fait encore paraître ce défaut plus choquant.
 
L'une des plus belles flèches du XV<sup>e</sup> siècle était celle de la
Sainte-Chapelle
du Palais, reconstruite depuis peu par feu Lassus sur un ancien
dessin conservé à la Bibliothèque Impériale. Cette flèche est gravée dans
la <i>Monographie de la Sainte-Chapelle</i> publiée par M. Bance, avec ses
détails de charpente et de plomberie. Nous engageons nos lecteurs à
recourir à cet ouvrage.
 
Mais, à cette époque, les architectes avaient déjà perdu ce sentiment
délicat de la silhouette des édifices, et ils surchargeaient tellement leurs
ensembles de détails recherchés que les masses perdaient de leur grandeur.
On ne trouve plus, dans la flèche de la Sainte-Chapelle du Palais, cette
inclinaison des poteaux de la partie inférieure portant la pyramide;
ceux-ci s'élèvent verticaux, ou à peu près, ce qui alourdit l'ensemble et
empêche l'œuvre de <i>filer</i>, d'une venue, du faîtage du comble au sommet.
Les détails, trop petits d'échelle, paraissent confus, gênent les lignes
principales au lieu de les faire ressortir. Cependant, nous voyons encore,
sur le transsept de la cathédrale d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], une flèche du commencement
du XVI<sup>e</sup> siècle, dans l'exécution de laquelle les qualités signalées ci-dessus
sont développées avec un rare bonheur.
 
<span id="Amiens70">Si la flèche de la cathédrale d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]] est une œuvre remarquable en
elle-même, elle n'est nullement en rapport de proportions avec l'édifice:
sa base est grêle, sort du comble brusquement, sans transition; l'ensemble
est mesquin, si on le compare à la grandeur magistrale du monument.
Quant à la combinaison de la charpente, elle pèche par l'amas des bois,
par le défaut de simplicité. Les charpentiers, maîtres de l'œuvre, Louis
Cordon et Simon Taneau, eurent l'idée de porter cette flèche sur une
plate-forme composée de pièces horizontales entre-croisées, rendues
rigides au moyen de fermes armées au nombre de dix; ce qui produit, à
la souche, un amas de bois si considérable qu'à peine si l'on peut circuler
à travers les arbalétriers et les clefs pendantes. Quelque bien armées que
soient ces fermes, ce système ne présentant pas des supports directs, il y
a toujours relâchement à cause du retrait des bois dans les assemblages et,
par suite, flexion. L'intention évidente des maîtres a été d'établir un plancher
rigide sur lequel ils ont monté une flèche, indépendante de ce
plancher,
comme s'ils l'eussent élevée sur le sol. Il y a donc dans la charpente
de la flèche d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]] deux choses: la plate-forme inférieure et la flèche
proprement dite que cette plate-forme est destinée à porter. Cette donnée
admise, ces maîtres en ont tiré le meilleur parti possible; mais le principe
est vicieux.
</div>
[[Image:Charpente.cathedrale.Amiens.png|center]]
<div class="text">
La fig. 25 fait voir, en perspective, cette plate-forme ou plutôt
cette
enrayure basse, armée. Pour rendre la figure moins confuse, nous avons
supposé les clefs pendantes enlevées. On distingue les dix fermes se pénétrant,
aux arbalétriers desquels des clefs pendantes vont soutenir les
entraits au droit de la portée de chacune des pièces horizontales. Deux
grands entraits diagonaux reposent sur ce plancher suspendu. Comme à
Notre-Dame de Paris, l'octogone de la flèche a ses angles dans les noues
et dans l'axe des combles se croisant.
</div>
[[Image:Fleche.cathedrale.Amiens.png|center]]
<div class="text">
Si nous prenons une des fermes de flèche perpendiculaires aux
côtés du carré, nous obtenons la fig. 26. Le poinçon, l'arbre central
est en A<span id="note9"></span>[[#footnote9|<sup>9</sup>]]. En B sont tracées en coupe les fermes armées de clefs pendantes
et en face l'une de ces fermes dans le plan parallèle à notre
projection. Les poteaux C de l'octogone sont donc portés sur les entraits
soulagés de ces fermes armées, ainsi que les contre-fiches principales D.
Comme toujours, le poinçon est suspendu par la huttée des
contre-fiches.
Une première enrayure composée de moises est en E, une
seconde en F, et une troisième en G un peu au-dessus du faîtage H des
combles. C'est cette dernière enrayure qui reçoit la première
plate-forme
de la flèche, de sorte que l'ajour commence immédiatement au
niveau de ce faîtage; ce qui contribue à donner de la maigreur à l'œuvre
de charpenterie, puisque au-dessus de la masse pleine des combles
commence, sans transition, le système des poteaux isolés laissant voir le
ciel entre eux. Si bien assemblés que soient les arbalétriers B, si bien
serrées que soient les clefs pendantes supportant les entraits, il y
a, par
suite de la multiplicité de ces pièces de bois, de nombreuses causes de
retrait ou de relâchement; il en résulte que le plancher inférieur a
quelque peu plongé, particulièrement du côté opposé à l'action des vents
d'ouest, car on observera qu'ici les pesanteurs des poteaux ne sont pas
réparties, comme dans la charpente de Notre-Dame de Paris, sur plusieurs
points, mais agissent directement à leur pied. Il y a donc toujours
une partie de ce plancher suspendu plus chargée que l'autre, puisque
les vents d'ouest sont les plus fréquents et les plus violents, surtout à
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]].
</div>
[[Image:Fleche.cathedrale.Amiens.2.png|center]]
<div class="text">
L'ensemble du système s'est incliné vers l'est, et on a dû, peu après la
construction, ajouter de ce côté une longue contre-fiche qui vient porter
sur une ferme du chœur très-solidement armée. Les fermes diagonales
sont peu résistantes (27); leur entrait A repose sur le plancher inférieur,
ainsi qu'on le voit dans le tracé perspectif (fig. 25); mais, comme supplément
de force, les charpentiers ont posé sous ce plancher, qui passe dans
l'intervalle B, des potences armées C dont le pied s'appuie sur la tête des
quatre piles du transsept dans les reins de la voûte. Ces potences, faiblement
reliées au système de la ferme diagonale, ont donné du nez sous la
dépression du plancher. D'ailleurs, la contre-fiche principale E de cette
demi-ferme diagonale est la noue, c'est-à-dire qu'elle est posée suivant la
ligne d'intersection des combles, ce qui lui donne une position trop
inclinée pour avoir une grande force. Si, comme à Notre-Dame de Paris,
les charpentiers avaient posé une contre-fiche <i>gh</i> au-dessus de cette noue,
visible, et reliée à la potence C au moyen de grandes moises verticales <i>m</i>,
ils eussent donné aux fermes diagonales une beaucoup plus grande
résistance, en faisant de grands pans-de-bois rigides, dont toutes les
parties eussent été solidaires.
 
On remarquera qu'ici, comme à Notre-Dame de Paris, les poteaux
de l'octogone sont doublés et fortement inclinés vers l'axe de la flèche.
C'est là une règle dont les architectes du moyen âge ne se sont pas
départis dans la construction de ces sortes d'édifices.
</div>
[[Image:Fleche.cathedrale.Amiens.3.png|center]]
<div class="text">
La silhouette de la flèche de Notre-Dame d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]] est heureuse; il ne
manque à cette œuvre de charpenterie que d'être sur un monument moins
grandiose. La fig. 28 présente le géométral de cette flèche recouverte de
sa plomberie. Malheureusement la flèche d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]] a subi des mutilations;
son couronnement a été refait d'une façon barbare dans le dernier siècle,
à la suite d'un incendie partiel causé par la foudre. La plomberie, en
partie reposée au commencement du XVII<sup>e</sup> siècle, est, sur quelques
points, extrêmement grossière, et masque les profils ou les découpures
du bois.
 
La section de la pyramide ne donne pas un octogone à côtés droits,
mais à côtés curvilignes concaves (voy. le détail A), afin d'obtenir, comme
nous l'avons dit plus haut, des filets de lumière dans l'ombre, et d'éviter
le fâcheux effet produit par les pyramides à faces planes lorsqu'elles sont
placées à une grande hauteur et que le soleil les éclaire. Quelques parties
primitives de la plomberie sont fort remarquables.
 
En résumé, si la flèche de Notre-Dame d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]] n'est pas une œuvre
irréprochable, elle mérite cependant d'être étudiée; d'ailleurs c'est la
seule de cette dimension qui existe encore en France. Son poids est
compris le plomb, de 500,000 kilogrammes. Sa hauteur, au-dessus du
faîtage (niveau B) jusqu'à la pomme, était de 47 mètres; elle n'est plus
aujourd'hui que de 45 mètres. Les bois sont d'une belle qualité, essence
de chêne. Autrefois la plomberie était peinte et dorée; on voit de
nombreuses
traces de cette décoration.
 
<span id=Chalons.sur.Marne>Nous citerons encore, parmi les flèches de charpenterie recouvertes de
plomb, celles de l'église Notre-Dame de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chalons.sur.Marne|Châlons-sur-Marne]], qui sont de
la fin du XIV<sup>e</sup> siècle, très-simples, mais d'une assez belle forme, et qui
couronnent des tours en pierre de la fin du XII<sup>e</sup> siècle; celle de la croupe
de la cathédrale de Reims, qui date de la fin du XV<sup>e</sup> siècle, et dont la
plomberie est assez bien conservée (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 7, Plomberie|Plomberie ]]).
 
<br><br>
----
 
<span id="footnote1">[[#note1|1]] : Voy., dans le 7<sup>e</sup> <i>Entretien sur l'Architecture</i>, la façade de l'église Notre-Dame de
Paris avec ses flèches projetées et laissées inachevées.
 
<span id="footnote2">[[#note2|2]] : Les flèches de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes L#Laon|Laon]] n'existent plus, mais on en connaît
la disposition; celles de
la cathédrale de Reims se devinent facilement, et nous connaissons par de bonnes
gravures celles de Saint-Nicaise.
 
<span id="footnote3">[[#note3|3]] : Voyez, dans le 7<sup>e</sup><i> Entretien sur l'Architecture</i>,
l'élévation géométrale de la façade
de Notre-Dame de Paris avec ses deux flèches.
 
<span id="footnote4">[[#note4|4]] : En effet, on doit attribuer en partie la chute imminente de la flèche de Saint-Denis
au supplément de poids qui lui avait été donné, lors de la restauration, par la
substitution de la pierre de Saint-Non à la pierre de Vergelé qui, primitivement, imposait la pyramide. Il faut dire aussi que les parties inférieures, les étages de la
tour, n'avaient pas été consolidés, mais au contraire affaiblis par des reprises extérieures
faites en placages, sans affermir les massifs très-altérés par le temps.
 
<span id="footnote5">[[#note5|5]] : Ce chapiteau a été conservé lors de la descente de la
souche.
 
<span id="footnote6">[[#note6|6]] : Le sommet de la flèche de Notre-Dame de Paris est à 96 mètres au-dessus du pavé de l'église.
 
<span id="footnote7">[[#note7|7]] : Le 26 février 1860, uu coup de vent qui a renversé à
Paris un grand nombre de
cheminées, enlevé des toits et jeté bas quelques-unes des charpentes destinées à la
triangulation, n'a fait osciller la flèche de Notre-Dame que de 0,20 c. environ à son
sommet, bien que cette flèche ne fût pas alors complètement terminée et qu'elle ne
fût garnie de plomb qu'à sa partie supérieure, ce qui nécessairement devait rendre
l'oscillation plus sensible.
 
<span id="footnote8">[[#note8|8]] : La charpente de cette flèche a été exécutée par M. Bellu, et la plomberie par
MM. Durand frères et Monduit. L'ensemble, compris les ferrures, pèse environ
500,000 kilog. Chacune des piles du transsept pourrait porter ce poids sans s'écraser.
Les douze statues des apôtres et les quatre figures des symboles des évangélistes qui
garnissent les quatre arêtiers des noues sont en cuivre repoussé, sur les modèles
exécutés par M. Geoffroy-Dechaume.
 
<span id="footnote9">[[#note9|9]] : La ferme donnée ici est celle qui est perpendiculaire au côté <i>ab</i> de la fig. 25.