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=== VOÛTES ===
En toute chose, l'expérience, la pratique précèdent la théorie,
le fait précède la loi; mais lorsque la loi est connue, elle sert à expliquer le
fait. On observe que tous les corps sont pesants et qu'une force les attire vers
le centre du globe. On ne sait rien encore de la pesanteur de l'atmosphère,
de la force d'attraction, de la forme de la terre; on sait seulement que
tout corps grave, abandonné à lui-même, est attiré verticalement vers le
sol. De l'observation du fait, on déduit des préceptes; que ces préceptes
soient vrais ou faux, cela ne change rien à la nature du fait ni à ses
effets reconnus. Les constructeurs du XII<sup>e</sup> siècle n'avaient point défini les
lois auxquelles sont soumis les voussoirs d'un arc, savoir: leur poids et
les réactions des deux voussoirs voisins. Nous savons aujourd'hui, par la
théorie, que si l'on cherche sur chaque lit de ces voussoirs le point de
passage de la résultante des pressions qui s'y exercent, et que si l'on fait
passer une ligne par tous ces points, on détermine une courbe nommée
<i>courbe des pressions</i>. Nous découvrons encore, à l'aide du calcul algébrique,
que si l'on veut que l'équilibre des voussoirs d'un arc soit parfait,
il faut que cette courbe des pressions, dont le premier élément à la clef
est horizontal si l'arc est plein cintre, ne sorte sur aucun point des lignes
d'intrados et d'extrados de cet arc. Cette courbe des pressions, prolongée
en contre-bas de l'arc, lorsqu'il est porté sur des piles, détermine ce qu'on
appelle la <i>poussée</i>: donc, plus l'arc se rapproche, dans son développement,
de la ligne horizontale, plus cette poussée s'éloigne de la verticale;
plus l'arc s'éloigne de la ligne horizontale,
plus la poussée se rapproche de la verticale.
Les constructeurs gothiques n'avaient
que l'instinct de cette théorie. Peut-être
possédaient-ils quelques-unes de ces formules
mécaniques que l'on trouve encore
indiquées dans les auteurs de la renaissance
qui ont traité de ces matières et qu'ils
ne donnent point comme des découvertes
de leur temps, mais au contraire comme
des traditions bonnes à suivre. Relativement
aux poussées des arcs, par exemple,
on se servait encore, au XVI<sup>e</sup> siècle, d'une
formule géométrique très-simple pour apprécier
la force à donner aux culées.
</div>
[[Image:Schema.calcul.voute.XVIe.siecle.png|center]]
<div class="text">
Voici (32 bis) cette formule: soit un arc
ayant comme diamètre AB, quelle devra
être, en raison de la nature de cet arc,
l'épaisseur des piles capables de résister
à sa poussée? Nous divisons le demi-cercle
ou le tiers-point en trois parties égales
ADCB; du point B, comme centre, nous
décrivons une portion de cercle prenant
BC pour rayon. Nous faisons passer une
ligne prolongée par les points C et B; son
point de rencontre E avec la portion de
cercle, dont B est le centre, donnera le
parement extérieur de la pile dont l'épaisseur
sera égale à GH. Si nous procédons
de la même manière sur des arcs en
tiers-point, les divisant toujours en trois
parties égales, nous obtiendrons des culées d'autant moins épaisses, que
ces arcs seront plus aigus, ainsi que le fait voir notre figure. Il est entendu
que ce procédé n'est applicable qu'autant que les arcs sont montés sur
des pieds-droits d'une hauteur égale pour ces arcs différents et qui n'ont
pas plus d'une fois et demie le diamètre ou la base de ces arcs. Il est
probable que les architectes gothiques primitifs s'étaient fait des règles
très-simples pour les cas ordinaires; mais il est certain qu'ils s'en rapportaient
à leur seul jugement toutes les fois qu'ils avaient quelque difficulté
nouvelle à résoudre. Comme s'ils eussent défini les lois des pressions des
arcs, ils s'arrangèrent pour concentrer sur le parcours de ces lignes de
pression les matériaux résistants, et, conduisant ainsi les poussées du
sommet des voûtes sur le sol, ils arrivèrent successivement à considérer
tout ce qui était en dehors comme inutile et à le supprimer.
</div>
[[Image:Coupe.voute.romaine.plein.cintre.png|center]]
<div class="text">
Nous voulons être compris de tout le monde: nous ne nous en tiendrons donc pas aux définitions. Nous prenons un exemple. Soit (33) une
voûte romaine en berceau plein cintre; soit AB la courbe de pression des
voussoirs, BC la poussée; si le mur qui supporte ce berceau a la hauteur
FD, son épaisseur devra être CD. Toute la charge oblique de la voûte se
portant sur le point C, à quoi sert le triangle de constructions EDF?
Supposons maintenant que nous ayons une voûte gothique (34) en arcs
d'ogive: la résultante des trois pressions obliques BA, CA, DA, en plan,
se résoudra en une ligne AE; en coupe, en une ligne GH. Le sentiment du
constructeur lui indiquant ce principe, il fera toute sa construction d'appareil
en décharge; c'est-à-dire que, retraitant le point d'appui vertical IO,
il posera un chapiteau M dont la saillie épousera la direction de la poussée
GH. En O, il aura encore un corbeau et en I un chapiteau en décharge,
de manière à rapprocher autant que possible l'axe P de la colonne
inférieure
du point H, point d'arrivée de la poussée GH. Mais, étant forcé,
dans les édifices à trois nefs, de laisser ce point H en dehors de l'axe P
de la colonne, il ne considère plus celle-ci que comme un point d'appui
qu'il faut maintenir dans la verticale par l'équilibre. Il annule donc tout
effet latéral en construisant l'arc-boutant K. Mais, objectera-t-on, pourquoi
conserver un appareil en décharge du moment que la poussée de la
grande voûte est neutralisée par la pression de l'arc-boutant? C'est là où
perce la subtilité du constructeur. Cette poussée GH est neutralisée, mais
elle existe; c'est une force combattue, mais non supprimée.
L'arc-boutant
arrête les effets de cette poussée; c'est son unique fonction: il ne soutire
pas cette action oblique. N'oublions pas qu'il existe une voûte inférieure L
dont la poussée ne peut avoir d'action que sur la colonne P, et que cette
poussée ne peut être supprimée que par la charge verticale exercée par la
construction de R en S; que cette charge verticale aura d'autant plus de
puissance qu'elle sera augmentée de la poussée de la grande voûte, et que
la rencontre de ces deux forces verticales et obliques se faisant en S en un
seul point sur le chapiteau, elle viendra précisément contre-butter la
poussée exercée par LS. Définir ces actions par des calculs serait un
travail en pure perte, car ces calculs devraient varier à l'infini en raison
des hauteurs ou des largeurs des vides, des épaisseurs des pleins, de la
qualité des matériaux, de leur résistance, des hauteurs d'assises, etc. Mais
toujours le sentiment humain, lorsqu'il est aiguisé, est plus subtil que le
calcul; de même qu'il n'est pas de machine, si parfaite qu'elle soit, qui
atteigne la délicatesse de la main et la sûreté du coup d'œil. Dans ce cas,
le sentiment des premiers
constructeurs
gothiques les servait
bien: car toutes les
nefs élevées sur des
colonnes monocylindriques,
disposées
ainsi que l'indique
notre coupe (fig. 34),
se sont rarement déformées
d'une manière sensible; tandis
que la plupart de
celles où les piles,
composées de faisceaux
de colonnettes
engagées, montent de
fond, se sont courbées
plus ou moins
au droit de la poussée
des voûtes inférieures. Mais nous aurons
l'occasion de revenir
plus tard là-dessus.
</div>
[[Image:Schema.nef.gothique.png|center]]
<div class="text">
Ce premier point
éclairci, venons maintenant
aux détails de
l'exécution; cela est nécessaire. La construction gothique procède (s'il est
permis de se servir de cette comparaison) d'un système organique beaucoup
plus compliqué que celui de la construction romaine. «Tant pis, disent les
uns, c'est une marque d'infériorité.»--«Tant mieux, disent les autres,
c'est une preuve de progrès.» Progrès ou décadence, c'est un fait qu'il
nous faut reconnaître et étudier. Déjà notre fig. 34 fait voir que la combinaison
au moyen de laquelle les poussées des voûtes sont maintenues
dans la construction gothique primitive n'est rien moins que simple. Or,
toute construction partant d'un principe compliqué entraîne une suite
de conséquences qui ne sauraient être simples. Rien n'est impérieusement
logique comme une bâtisse élevée par des hommes raisonnant ce qu'ils
font; nous allons le reconnaître tout à l'heure. Le chœur de
Saint-Remy
de Reims fut rebâti vers 1160, au moment où on construisait celui de la
cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]]. Cette construction, très-habilement conçue dans son
ensemble, ne montre dans les détails qu'une suite de tâtonnements; ce
qui indique une école avancée déjà théoriquement, mais fort peu
expérimentée
quant à l'exécution. Les principes de pondération et d'équilibre
que nous avons tracés plus haut y sont appliqués avec rigueur; mais
évidemment les bras et les chefs de chantier manquaient à ces premiers
architectes gothiques; ils n'avaient eu ni le temps ni le moyen de former
des ouvriers habiles; on ne les comprenait pas. <span id="Chalons.sur.Marne2"></span>Au surplus, le chœur de
Saint-Remy de Reims dut exciter avec raison l'admiration des
constructeurs
de la fin du XII<sup>e</sup> siècle, car les méthodes adoptées là sont suivies en
Champagne à cette époque, et notamment dans la reconstruction du
chœur de l'église Notre-Dame de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chalons.sur.Marne|Châlons-sur-Marne]].
 
Mais d'abord traçons en quelques mots l'histoire de ce charmant édifice.
L'église de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chalons.sur.Marne|Châlons-sur-Marne]] fut bâtie pendant les premières années du
XII<sup>e</sup> siècle: elle se composait alors d'une nef avec bas-côtés; la nef était
couverte probablement par une charpente portée sur des arcs doubleaux,
comme beaucoup d'églises de cette époque et de la Champagne; les collatéraux
étaient voûtés au moyen d'arcs doubleaux séparant des voûtes d'arêtes
romaines. Le chœur se composait d'une abside sans bas-côtés avec deux
chapelles carrées s'ouvrant dans les transsepts, sous deux clochers, ainsi
que la cathédrale de la même ville. Vers la fin du XII<sup>e</sup> siècle (quoique ce
monument fût élevé dans d'excellentes conditions et que rien ne fasse
supposer qu'il eût souffert), ces dispositions n'étaient plus en harmonie
avec les idées du temps: on voulait alors des nefs voûtées, des collatéraux
et des chapelles rayonnantes autour du sanctuaire. On fit donc subir à
cette église un remaniement complet: le mur circulaire de l'abside fut
remplacé par des colonnes isolées; on éleva un bas-côté donnant issue
dans trois chapelles ou absidioles circulaires; on conserva les deux clochers
qui flanquaient l'abside, mais on creva le mur du fond des chapelles
carrées disposées sous ces tours, et elles servirent de communication avec
le bas-côté du chevet. La nef fut surélevée et complètement voûtée; à la
place des voûtes romaines des bas-côtés, on fit des voûtes en arcs d'ogive.
Quelques chapiteaux provenant des démolitions furent replacés,
notamment dans le collatéral de l'abside. Cet historique sommaire fait voir
combien, alors, on était disposé à profiter de toutes les ressources que
présentait le nouveau système d'architecture à peine ébauché. La construction
de l'abside de l'église Notre-Dame de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chalons.sur.Marne|Châlons-sur-Marne]] est de
très-peu
postérieure à celle du chœur de Saint-Remy de Reims, mais déjà elle
est plus savante; on y sent encore bien des tâtonnements, et cependant le
progrès est sensible.
 
Nous devons ici reprendre les choses de plus haut. Nous avons décrit la
voûte d'arête simple élevée entre des murs parallèles, et nous avons
indiqué les premiers efforts des architectes pour la construire et la maintenir
sur ses piles. Il nous faut revenir sur nos pas et examiner les variétés
de ces voûtes.
 
Dès le XI<sup>e</sup> siècle, on avait entouré déjà les sanctuaires des églises de
collatéraux avec ou sans chapelles rayonnantes (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1, Architecture religieuse|Architecture Religieuse]]). Cette méthode, étrangère au plan de la basilique primitive, avait
causé aux constructeurs plus d'un embarras. L'antiquité romaine ne
laissait
rien de pareil. Certainement les Romains avaient fait des portiques
sur plan circulaire; mais ces portiques (s'ils étaient voûtés) se composaient
de piles épaisses supportant un berceau dans lequel pénétraient des
demi-cylindres formant les voûtes d'arêtes, ou une suite de berceaux
rayonnants posés sur des arcs ou même des plates-bandes appareillées,
ainsi qu'on le voit encore dans les arènes de Nîmes. Mais les Romains
n'avaient point eu l'idée de poser des voûtes d'arêtes sur des portiques
formés de colonnes monocylindriques isolées, car cela ne pouvait s'accorder
avec leur système de stabilité inerte. Ce que les Romains n'avaient
point fait, en cela comme en beaucoup d'autres choses, les constructeurs
de l'époque romane le tentèrent. Ils voulurent entourer les sanctuaires de
leurs églises de portiques ou bas-côtés concentriques à la courbe de l'abside,
et ajourer autant que possible ces portiques en supportant par des
colonnes isolées les voûtes qui les devaient couvrir. Primitivement, comme
par exemple dans les églises de l'Auvergne et du Poitou, ils se contentèrent
d'un berceau sur plan circulaire, pénétré par les arcs bandés d'une
colonne à l'autre. Pour contre-butter la poussée de ces berceaux à
l'intérieur,
ils comptèrent d'abord sur la charge qui pesait sur les colonnes,
puis sur la forme circulaire de l'abside, qui opposait à ces poussées une
grande résistance. <span id=Clermont.Ferrant>Ainsi sont voûtés les collatéraux des absides des églises
de Notre-Dame-du-Port à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clermont.Ferrant|Clermont]], d'Issoire, de Saint-Nectaire, de Saint-Savin
près Poitiers, etc. La figure 35 explique ce mode sans qu'il soit
nécessaire de plus grands développements<span id="note1"></span>[[#footnote1|<sup>1</sup>]].
</div>
[[Image:Voutes.collateraux.png|center]]
<div class="text">
Mais lorsque, pendant le XII<sup>e</sup> siècle, les constructeurs eurent introduit
le système de voûtes en arcs d'ogive, ils voulurent naturellement
l'appliquer
partout, et ne pensèrent pas, avec raison, qu'il fût possible de
conserver dans le même édifice le mode des voûtes d'arêtes romaines à
côté du nouveau système. Autant il était facile de poser sur le tailloir
barlong des chapiteaux A les sommiers B taillés de façon à recevoir une
voûte d'arête simple, autant cela devenait difficile lorsque la voûte d'arête
comportait des arcs doubleaux et des arcs ogives. Cette difficulté n'était
pas la seule. Si nous nous représentons une tranche du plan de l'abside de
l'église de Notre-Dame-du-Port avec son collatéral (36), nous voyons que
les pénétrations des demi-cylindres A et B dans le berceau circulaire CC'
donnent en projection horizontale les deux lignes croisées EF, GH.
Observons que, le portique étant sur plan circulaire, l'ouverture HF est
plus grande que l'ouverture EG; que si nous élevions un plein cintre sur
HF et un autre sur EG, ce dernier aurait sa clef beaucoup plus bas que le
premier; que la pénétration du demi-cylindre dont le diamètre est EG
dans le berceau circulaire CC' tracerait en projection horizontale la ligne
E'LG', et que, par conséquent, il n'y aurait pas voûte d'arête, mais simplement
pénétration d'un petit cylindre dans un grand. Pour obtenir une
voûte d'arête EFGH, les constructeurs ont donc relevé le plein cintre tracé
sur EG, ainsi que l'indique le rabattement IKM, en prenant une flèche
NM égale à la flèche OP. Ainsi, les tailloirs des quatre colonnes accolées
et isolées RSTV étant au même niveau, les deux clefs MP se trouvaient
sur la même ligne horizontale, laquelle commandait la longueur de la
flèche du berceau CC'. L'idée de surélever les pleins cintres bandés sur
les colonnes isolées TV n'était donc pas un caprice, une fantaisie de barbares,
encore moins une imitation orientale, comme on l'a quelquefois
prétendu, mais le résultat d'un calcul bien simple de constructeur.
</div>
[[Image:Detail.plan.abside.eglise.Notre.Dame.du.Port.png|center]]
<div class="text">
Ce premier pas fait, voyons maintenant comment les architectes du
XII<sup>e</sup> siècle, inaugurant la voûte en arcs d'ogive sur plan circulaire,
essayèrent d'aller plus loin. N'oublions pas qu'un des motifs qui avaient
fait adopter la voûte en arcs d'ogive, c'était le désir de s'affranchir de
certaines nécessités gênantes imposées par la voûte d'arête antique, le
besoin d'indépendance qu'éprouvaient les constructeurs. Mais l'indépendance,
en construction comme en toute chose, ne s'acquiert qu'à la suite
de tentatives avortées. Les architectes du XII<sup>e</sup> siècle sentaient bien que
leurs principes étaient fertiles en application, qu'ils les conduiraient à
surmonter sans effort les difficultés de la construction des grands édifices:
toutefois, comme il arrive toujours, ces principes, à la fois si simples et si
souples, les embarrassaient cruellement dans l'application immédiate;
pour y rester fidèles, ils compliquaient leurs constructions, ils ne pouvaient
se débarrasser totalement des vieilles traditions, et, voulant les
concilier avec leurs nouvelles idées, ils tombaient dans des difficultés
infinies. Loin de se décourager cependant, ils s'attachaient, après chaque
tentative, à ces idées nouvelles avec l'ardeur et la persistance de gens
convaincus. <span id=Langres1>Nous allons les voir à l'œuvre dans la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes L#Langres|Langres]],
l'un des monuments les plus fertiles en enseignements de la France,
et certainement l'un des mieux construits. Là, les traditions antiques
ont une puissance considérable; [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes L#Langres|Langres]] est une ville romaine dans un
pays couvert, il y a quelques siècles encore, de nombreux édifices romains
à peu près intacts. Arrivons au fait qui nous occupe particulièrement,
aux
voûtes en arcs d'ogive bandées sur le collatéral du sanctuaire. La colonne
monocylindrique, qui, même dans les édifices purement gothiques,
persista si tard, est employée dans le chœur de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes L#Langres|Langres]].
Ces colonnes ont les proportions de la colonne corinthienne romaine, et
leur chapiteau est quasi-romain; mais (37) leur tailloir est déjà disposé en
vue de ce qu'il doit porter: deux de ses côtés ne sont point parallèles, et
forment coin afin d'éviter les surfaces gauches à l'intrados des archivoltes
A qu'ils portent; du côté du collatéral, ce tailloir donne une ligne brisée
pour offrir un point d'appui saillant à l'arc doubleau B. En X, nous
donnons la projection horizontale de ces tailloirs. Sentant la nécessité de
dégager les arcs doubleaux, de laisser une place à la naissance des arcs
ogives, et craignant l'action de la poussée des voûtes sur les colonnes,
malgré la forme circulaire de l'abside, l'architecte a surmonté ce tailloir
d'une saillie en encorbellement C. Ainsi que le fait voir notre figure, les
arcs ogives D trouvent difficilement leur naissance; cependant l'instinct
de l'artiste lui a fait orner cette naissance afin de dissimuler sa maigreur.
Il y a trois sommiers l'un sur l'autre: les deux premiers EF ont leurs lits
horizontaux, le troisième G porte les coupes normales aux courbes des
arcs. Alors ces arcs parviennent, non sans peine, à se dégager du plan
carré; et même l'arc ogive doit s'incruster entre les claveaux des archivoltes
et arcs doubleaux. Mais le constructeur veut déjà doubler son
archivolte A d'un second arc I qui vient pénétrer l'arc ogive, car le mur
qui surmonte ces archivoltes est épais; il porte une voûte en
cul-de-four,
Ce n'est donc qu'au-dessus de l'arc ogive et lorsque celui-ci se dégage des
sommiers que l'on a pu bander ce second arc I. Ce n'est pas tout: ces
voûtes étant rayonnantes, l'architecte a tracé ses arcs
</div>
[[Image:Colonne.cathedrale.Langres.png|center]]
<div class="text">
<br>
ogives en projection horizontale, ainsi que l'indique la figure 38; la surface KLMN étant un
trapèze, et le constructeur ne supposant pas encore qu'il fût possible de
tracer des arcs ogives formant, en projection horizontale, des lignes
brisées, la clef O est plus rapprochée de la ligne MN que de la ligne KL.
L'arc KL ayant son sommet à un niveau plus élevé que celui de l'arc MN
(car on n'a pas osé surélever celui-ci), la ligne RS est inclinée de R en S.
Notre fig. 37 fait assez comprendre cette disposition, et la coupe (39)
l'explique mieux encore. D'ailleurs, une construction de ce genre, soit
qu'elle eût été préconçue, soit qu'elle eût été donnée par le hasard, présentait
des avantages: elle permettait de faire plonger les jours pris sous
les formerets des voûtes des collatéraux au milieu du sanctuaire; elle ne
perdait pas inutilement la hauteur du rampant du comble A; l'inclinaison
de ce comble et celle de la voûte donnaient la place de la galerie B; de
plus, elle offrait une grande résistance, en ce qu'elle reportait une partie
considérable des charges et poussées sur le demi-cylindre intérieur qui,
formant voûte, ne risquait pas de se séparer par tranches et de s'écarter
du centre. À Notre-Dame-du-Port, les tailloirs des chapiteaux (fig. 36)
donnent des parallélogrammes en plan, de manière à offrir une assiette
assez épaisse au mur du sanctuaire; il en résulte que les arcs surélevés
sur ces tailloirs présentent des surfaces gauches et des cônes plutôt que
des demi-cylindres. À la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes L#Langres|Langres]], les tailloirs des chapiteaux
sont tracés, ainsi que nous l'avons fait observer, en forme de coins, afin
de conserver à l'intrados des archivoltes des surfaces courbes qui sont
exactement des portions de cylindres. On évitait ainsi une difficulté d'appareil
et des surfaces gauches désagréables pour l'œil, mais les tailloirs en
forme de coins rendaient les chapiteaux disgracieux: vus parallèlement
aux diagonales, ils donnaient, du côté du collatéral, un angle plus saillant
que du côté du sanctuaire. Les architectes de l'école gothique s'affranchirent
bientôt de ces embarras et surent éviter ces difficultés.
</div>
[[Image:Voute.cathedrale.Langres.png|center]]
<div class="text">
Nos lecteurs vont voir tout à l'heure pourquoi nous nous sommes
étendu sur le tracé et la manière de construire les voûtes rayonnantes des
collatéraux des absides. Encore un mot avant d'en venir aux perfectionnements
introduits par les architectes gothiques. Ceux-ci, dans l'origine,
avaient adopté deux méthodes pour neutraliser la poussée des voûtes: la
première méthode était celle qui consistait à contenir les effets de ces
poussées par une force agissant en sens inverse; la seconde, que l'on
pourrait appeler la <i>méthode préventive</i>, consistait à détruire ces effets dès
leur origine, c'est-à-dire à les empêcher d'agir. Ils employaient donc l'une
ou l'autre de ces deux méthodes en raison du besoin: tantôt ils profitaient
des effets des poussées, sans pourtant leur permettre de détruire l'équilibre général, ainsi que nous l'avons vu fig. 34; tantôt ils les annulaient et
les réduisaient immédiatement en pression verticale.
</div>
[[Image:Calcul.poussee.voute.png|center]]
<div class="text">
Un tracé très-simple fera comprendre l'application des deux méthodes.
Soit (40) une voûte dont la résultante des poussées est la ligne AB, nous
pouvons établir une construction telle que la donne notre tracé. En supposant
les pierres CD d'un seul morceau chacune, résistantes et engagées
à la queue sous le contre-fort, cette construction sera plus solide que si
nous avions élevé une pile de fond EA sous les sommiers de la voûte.
Dans ce figuré, nous profitons des effets de la poussée AB, nous la soutirons
suivant sa direction. L'arc-boutant G et son massif ne sont là que
pour empêcher la voûte de s'écarter suivant une ligne horizontale. Remarquons,
en passant, que l'arc-boutant ne charge pas la pile X et qu'il ne
fait que contre-presser la voûte au point où la courbe des pressions tend
à sortir de l'extrados des voussoirs. C'est la méthode contenant les effets
de la poussée, mais s'en servant comme d'un élément d'équilibre. Soit
maintenant (40 bis) une voûte dont la résultante des poussées est la ligne
AB. Si, au lieu d'un arc-boutant, nous opposons à la poussée AB une
poussée moins puissante CD, et que nous placions un poids E en charge
sur les sommiers des deux voûtes, nous réduisons les poussées obliques
en une pesanteur verticale, nous en prévenons les effets, elles n'agissent
pas. C'est ce que nous appelons la <i>méthode préventive</i>.
</div>
[[Image:Calcul.poussee.voute.2.png|center]]
<div class="text">
Il y a donc ceci de très-subtil dans ces constructions: 1º que
l'arc-boutant
est simplement un obstacle opposé, non point aux pressions obliques,
mais à leurs effets, si l'équilibre venait à se déranger; 2º qu'il permet au
constructeur de profiter de ces pressions obliques dans son système
général, sans craindre de voir l'économie de ce système dérangée par un
commencement d'action en dehors de l'équilibre. Mais toute l'attention
des constructeurs, par cela même, se porte sur la parfaite stabilité des
contre-forts recevant les poussées des arcs-boutants, car l'équilibre des
forces des diverses parties de l'édifice dépend de la stabilité des culées
extérieures. Cependant les architectes ne veulent ou ne peuvent souvent
donner à ces culées une épaisseur suffisante en raison de leur hauteur; il
faut donc les rendre fixes par des moyens factices. Nous avons un
exemple de l'emploi de ces moyens dans l'église même de Saint-Remy de
Reims, plus franchement accusé encore dans le chœur de l'église de
Notre-Dame de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chalons.sur.Marne|Châlons]], auquel nous revenons.
</div>
[[Image:Plan.travee.abside.Notre.Dame.Chalons.png|center]]
<div class="text">
Nous présentons d'abord (41) le plan d'une travée de cette abside, en A
à rez-de-chaussée, en B à la hauteur de la galerie voûtée du premier
étage, en C à la hauteur du triforium et en D à la hauteur des naissances
des voûtes. On voit, sur le plan du rez-de-chaussée, comment l'architecte
s'est épargné l'embarras de construire une voûte en arcs d'ogive sur un
trapèze. Il a posé à l'entrée des chapelles des colonnes E qui lui ont
permis de tracer une voûte EFG sur un parallélogramme. Dès lors, l'arc
doubleau EH est semblable, comme hauteur et ouverture, à l'arc doubleau
FI, et la ligne de clef IH des remplissages triangulaires n'est point inclinée,
comme à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes L#Langres|Langres]], de l'extérieur à l'intérieur. De E en K, un second arc
doubleau réunit la colonne E à la pile K, et il reste un triangle KEF facile
à voûter, puisqu'il n'est qu'une portion de remplissage ordinaire. La
méthode est la même à Saint-Remy de Reims, mais beaucoup moins bien
appliquée. On voit que ces plans supérieurs posent exactement sur le
rez-de-chaussée, si ce n'est quelque porte-à-faux dont tout à l'heure nous
reconnaîtrons la nécessité.
 
<span id="Chalons.sur.Marne"></span>Il est, dans la construction du choeur de Notre-Dame de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chalons.sur.Marne|Châlons]], un
fait important, en ce qu'il indique les efforts tentés par le maître de
l'œuvre pour s'affranchir de certaines difficultés qui embarrassaient fort
ses confrères à la fin du XII<sup>e</sup> siècle. On observera que le plan du sanctuaire
donne des pans coupés à l'intérieur et une courbe demi-circulaire à
l'extérieur. Ainsi les archivoltes inférieures L réunissant les grosses
colonnes du rez-de-chaussée sont bandées sur les côtés d'un dodécagone,
tandis que les archivoltes de la galerie du premier étage sont sur plan
rectiligne sur le sanctuaire, et sur plan courbe sur la galerie; le mur
extérieur de cette galerie est bâti également sur plan
semi-circulaire, et
le triforium (plan C) est sur plan rectiligne à l'intérieur, sur plan courbe
à l'extérieur. Il en est de même des fenêtres supérieures (plan D). L'architecte avait voulu éviter les embarras que donne la construction d'archivoltes ou d'arcs doubleaux sur un plan
demi-circulaire d'un assez
faible rayon. Il craignait les poussées au vide, et, conservant seulement
le plan circulaire à l'extérieur en l'amenant au dodécagone à l'intérieur,
il réunissait assez habilement les avantages des deux systèmes:
c'est-à-dire
les grandes lignes de murs et bandeaux concentriques, une disposition simple au dehors et une grande solidité jointe à un effet satisfaisant
dans le sanctuaire; car les arcs percés dans un mur sur plan circulaire
d'un petit diamètre produisent toujours à l'œil des ligne fort désagréables.
</div>
[[Image:Collateral.Notre.Dame.Chalons.png|center]]
<div class="text">
Une vue perspective (42) du collatéral avec l'entrée d'une chapelle
rendra le plan du rez-de-chaussée facile à comprendre pour tous, et en
indique la construction. Les colonnes isolées des chapelles sont des
monolithes de 0,30 c. de diamètre au plus; le reste de la construction,
sauf les colonnettes des arêtiers des chapelles et celles des fenêtres, est
monté par assises.
</div>
[[Image:Coupe.collateral.Notre.Dame.Chalons.png|center]]
<div class="text">
Nous donnons maintenant (43) la coupe de cette construction jusqu'aux
voûtes suivant la ligne MN du plan. Cette coupe nous fait voir en A,
conformément à la méthode alors appliquée dans l'Île-de-France et les
provinces voisines, les colonnes monocylindriques marquées en O sur le
plan; en B l'archivolte et l'arrachement des voûtes du bas-côté. Les
églises importantes de cette époque et de cette province possèdent toutes
une galerie de premier étage voûtée (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1, Architecture religieuse|Architecture Religieuse]], [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 2, Cathédrale|Cathédrale]], [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 5, Église|Église]]). Ici, la voûte est rampante, comme celle du bas-côté de la
cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes L#Langres|Langres]], et ce n'est pas sans motifs (voy. le plan B, fig. 41.).
En effet, le formeret C, étant plus large à la base que l'archivolte D,
monte sa clef plus haut, ce qui permet d'ouvrir de grands jours propres à
éclairer le chœur. Le triforium E, occupant un espace assez considérable
entre la clef des archivoltes de la galerie de premier étage et l'appui des
fenêtres supérieures, permet d'établir un comble F sur cette galerie avec
pente suffisante, malgré l'inclinaison de la voûte G. Examinons cette
coupe avec attention. Nous voyons que le tailloir du chapiteau de la pile
A reçoit en encorbellement la base de la colonne H qui porte la nervure
de la voûte; cette colonnette et les deux autres qui la flanquent et portent
les formerets ne font pas corps avec la bâtisse (voy. le plan), mais sont
composées de grands morceaux de pierre posés en délit. Il en est de même
des colonnettes adossées de la galerie et de la colonne engagée I. Ainsi
la pile à la hauteur de la galerie est un parallélépipède composé d'assises
et entouré de colonnes en délit comme de <i>chandelles</i> de charpente, afin
d'obtenir du <i>roide</i> sous les charges et poussées supérieures. Il en est de
même pour ces piles à la hauteur du triforium E (voy. le plan): le noyau
est monté en assises, et les colonnettes qui l'entourent sur trois côtés sont
posées en délit. Les grandes colonnettes de tête sont reliées par des bandeaux,
formant bagues, au corps de la construction, par leur base et le
chapiteau K sous les sommiers. Pour maintenir ce quillage, il fallait avoir
recours aux arcs-boutants. On voit, dans le plan du rez-de-chaussée
(fig. 41), que l'architecte, voulant ouvrir ses chapelles autant que possible,
n'avait fait en arrière de la pile de tête K qu'une cloison de pierre fort
légère. Il ne pouvait élever sur cette cloison une culée pleine; aussi avait-il
contre-butté les voûtes de la galerie du premier étage par un premier
arc-boutant L (voy. la coupe), reportant cette poussée sur la culée éloignée
du mur de la galerie. Mais l'espace lui manquait à l'extérieur, et il ne
voulait pas que la saillie des contre-forts dépassât la ligne circulaire enveloppant
les chapelles. Cette culée était donc assez peu profonde et hors
d'état de résister à la poussée du grand arc-boutant. Au lieu donc de faire
naître le grand arc-boutant à l'aplomb du parement M, le constructeur
a
avancé cette naissance en O. Il obtenait ainsi de O en P une culée puissante,
et s'il chargeait les reins de l'arc-boutant inférieur L, celui-ci était
rendu très-résistant d'abord par la largeur extraordinaire qui lui est
donnée, ensuite par la charge supérieure R qui pèse sur sa culée. De plus,
pour éviter l'effet des poussées de la grande voûte entre l'arrivée du
grand arc-boutant S et la naissance des voûtes T, il a posé sur le mur
extérieur du triforium E une colonne V en délit qui roidit parfaitement
cet espace, ainsi que pourrait le faire une forte <i>chandelle</i> de charpente.
De plus, sous ce sommier T qui forme linteau dans le triforium et qui
déborde quelque peu à l'extérieur, l'architecte a bandé un arc Q qui
étaye puissamment tout le système supérieur de la construction<span id="note2"></span>[[#footnote2|<sup>2</sup>]] et donne
même une plus grande résistance à l'arc L. Comprenant l'effet des
poussées
des voûtes de la galerie et de l'arc-boutant L qui est destiné à les
annuler, craignant l'action de la poussée d'une voûte trop large sur les
piles intérieures à la hauteur de la galerie du premier étage, l'architecte a
avancé la pile X en surplomb sur la colonne inférieure Y, n'ayant pas à
craindre sur ce point une charge verticale, mais bien plutôt une charge
oblique se produisant de X en Z. Quant au grand arc-boutant, ses claveaux,
passent tendant au centre de l'arc, au-dessus de la colonne V, comme si
elle n'existait pas; et sous les claveaux de tête, le tailloir du chapiteau
forme un angle avec ces claveaux, ainsi que l'indique le détail U; une
simple cale <i>a</i> en pierre forme coin entre le tailloir et les claveaux. C'est là
où on reconnaît toute la finesse d'observation et la subtilité même de ces
constructeurs gothiques primitifs. Il pouvait, dans toute la hauteur de la
pile de A en E, se produire des tassements; par suite de ces tassements,
la tête S du grand arc-boutant devait <i>donner du nez</i> et exercer une pression
telle sur la colonne V, que celle-ci s'écrasât ou, qu'en résistant, elle
occasionnât une rupture en S', funeste à la conservation de cet arc.
Posant
1a colonne ainsi qu'il est tracé en U, l'abaissement de la tête de l'arc-boutant
ne pouvait que faire glisser légèrement le tailloir sous l'arc et incliner
quelque peu la colonne V en fruit. Dans cette situation, résultat d'un
tassement du gros contre-fort, cette colonne V chassait sur l'arc Q et
chargeait la pile X obliquement: ce qui n'avait nul danger, puisque cette
pile X est posée pour agir obliquement; de plus, la colonne V pressait
fortement le mur du triforium qui la supporte, et par suite la colonne
engagée I, point important! car cette colonne I monolithe, indépendante
de la pile à laquelle elle s'adosse, étant très-chargée et ne pouvant tasser,
reporte la pression principale de la pile sur le parement extérieur A' de la
circonférence de la colonne inférieure, c'est-à-dire sur le point où
il était
nécessaire d'obtenir une plus grande rigidité pour prévenir l'effet
des
poussées des voûtes du collatéral. Il y a là calcul, prévision: car on
remarquera que la colonne engagée I', faisant face à celle I, est bâtie en
assises comme la pile X; il était important, en effet, que cette pile intermédiaire
X n'eût pas la rigidité de la pile intérieure, qu'elle pût se prêter
aux tassements pour ne pas occasionner une rupture de O en L, si le
gros
contre-fort venait à tasser, ce qui ne pouvait manquer d'avoir lieu.
 
Ainsi donc, dans cette cette construction, les deux systèmes de résistance
<i>préventive</i> et <i>opposée</i>, expliqués dans nos deux fig. 40 et 40 bis, sont
simultanément employés. Tout ceci peut être subtil, trop subtil, nous
l'accordons; mais pour grossier ou barbare, ce ne l'est point. Les
constructeurs de ce temps cherchaient sans cesse, et la routine n'avait
pas prise sur eux; en cherchant, ils trouvaient, ils allaient en avant et ne
disaient jamais: «Nous sommes arrivés, arrêtons-nous là»; c'est, il nous
semble, un assez bon enseignement à suivre. Nous voulons aujourd'hui
une architecture de notre temps, une architecture neuve: c'est fort bien
vouloir. Mais il faut savoir comment on trouve une architecture neuve.
Ce n'est pas apparemment en interdisant l'étude de l'art le plus fertile en
ressources de tout genre, le plus souple et le plus libre dans l'emploi des
moyens matériels.
</div>
[[Image:Detail.plan.sanctuaire.cathedrale.Paris.png|center]]
<div class="text">
Cependant il se présentait une difficulté assez sérieuse et toute nouvelle,
lorsqu'il s'agissait des voûtes des collatéraux doubles entourant des sanctuaires
d'une grande étendue. Les exemples que nous venons de donner
appartiennent tous à des édifices de médiocre dimension, et nous voyons
qu'à Saint-Remy de Reims et dans l'église de Notre-Dame de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chalons.sur.Marne|Châlons]], par
exemple, la précinction extérieure comporte un plus grand nombre de
points d'appui que celle intérieure, afin d'éviter les ouvertures d'arcs
démesurés. <span id=Paris1>Dans un chœur comme celui de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]],
entouré de doubles collatéraux, il fallait nécessairement disposer les piles
de façon à trouver des ouvertures d'arcs doubleaux à peu près égales pour
obtenir des voûtes dont les clefs atteignissent toutes le même niveau. Les
deux précinctions extérieures devaient alors comprendre un plus grand
nombre de piles que celles du sanctuaire. À la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]], en
effet, nous voyons (44) que la partie circulaire du sanctuaire, bâtie vers
1165, repose sur six piles, tandis que la seconde précinction en comporte
onze, et la troisième quatorze. Grâce à cette disposition, les archivoltes
AB, BC, etc., les arcs doubleaux DE, EF, etc., GH, HI, IP, etc., sont à
peu près plantés sur des diamètres égaux, et les voûtes réunissant ces
arcs ne se composent, pour porter les remplissages en moellon, que d'arcs
diagonaux simples BE, EC, FI, IE, EH, HD, et non plus d'arcs croisés.
Dans la galerie du premier étage, le même système de voûtes est employé
et répète le plan de la première précinction. La figure X donne la forme
de ces voûtes élevées sur le plan horizontal triangulaire. Les gros contre-forts
KLM seuls maintiennent la stabilité de l'édifice; ils reçoivent les
arcs-boutants des grandes voûtes supérieures et les petits
arcs-boutants de
la galerie de premier étage, bandés de G en D, de P en F, etc. Quant aux
poussées des deux diagonales BE, CE des voûtes de cette galerie, elles
sont contre-buttées par deux petits arcs-boutants bandés de I en E et de
H en E. De sorte qu'ainsi les poussées et charges principales sont renvoyées
sur les grosses piles extérieures KLM, et les poussées et charges secondaires
sur les piles intermédiaires extérieures ORS<span id="note3"></span>[[#footnote3|<sup>3</sup>]]. À l'intérieur, des
colonnes monocylindriques portent seules, à rez-de-chaussée, cet édifice
vaste, élevé et passablement compliqué dans ses combinaisons de coupes.
Il n'est pas besoin d'être fort expert en architecture pour reconnaître, rien
qu'en jetant les yeux sur la fig. 44, que l'intention évidente du maître de
l'œuvre a été d'occuper, avec ses points d'appui, le moins de place possible
à l'intérieur, qu'il a tenu en même temps à couvrir les deux collatéraux
par des voûtes dont les sommets fussent tous au même niveau, afin de
pouvoir placer sur ces voûtes l'aire d'une galerie et des dallages ayant une
pente régulière vers le périmètre extérieur. Peu après la construction de
cette abside, les constructeurs, cependant, rapprochèrent les piles ABC
de manière à obtenir, autour des sanctuaires, des travées plus étroites que
celles parallèles à l'axe, et ils surélevèrent les archivoltes AB, BC; mais
nous devons reconnaître qu'il y a, dans la disposition du rond-point de
Notre-Dame de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]], une ampleur, une indépendance de conception qui
nous séduisent. Les voûtes sont adroitement bandées sur ces piles, dont
le nombre augmente à chaque précinction. Cela est habile sans effort
et
sans recherche. Remarquons aussi que les voûtes gothiques seules
permettaient
l'emploi de ce mode, et que les premiers architectes qui les
appliquèrent à leurs constructions surent immédiatement en tirer tout le
parti possible.
 
Dans l'espace de vingt-cinq ans, les architectes de la fin du XII<sup>e</sup> siècle
étaient donc arrivés à obtenir les résultats qui avaient été la préoccupation
de leurs prédécesseurs pendant l'époque romane, savoir: de voûter des
édifices larges et élevés, en ne conservant à l'intérieur que des points
d'appui grêles. Le triomphe de la construction équilibrée par l'opposition
des poussées et par l'adjonction de charges supérieures réduisant ces
poussées à une action verticale, était donc complet; il ne restait plus qu'à
simplifier et perfectionner les moyens d'exécution. C'est ce que les
constructeurs du XIII<sup>e</sup> siècle firent, souvent avec trop d'audace et de
confiance en leur principe d'équilibre, mais toujours avec intelligence. Il
est évident que la sagacité était la qualité dominante des apôtres de la
nouvelle école. Leurs efforts tendaient, sans répit, à renchérir sur l'œuvre
précédente, à pousser les conséquences du principe admis jusqu'à l'abus;
si bien que, pendant le XIV<sup>e</sup> siècle, il y eut réaction, et que les constructions
où les questions d'équilibre sont résolues avec le plus de hardiesse
sont celles qui furent élevées pendant la seconde moitié du XIII<sup>e</sup>
siècle.
Nous aurons l'occasion de revenir sur ce fait.
</div>
[[Image:Detail.plan.sanctuaire.Saint.Leu.Esserent.png|center]]
<div class="text">
Si l'on veut constater l'extrême limite à laquelle arrivèrent les architectes
de la fin du XII<sup>e</sup> siècle, en fait de légèreté des points d'appui
intérieurs et de stabilité obtenue au moyen de l'équilibre des forces
opposées, il faut aller voir le sanctuaire
de l'église de Saint-Leu d'Esserent (Oise).
Certaines parties de cette construction,
élevée vers 1190, sont faites pour exciter
notre étonnement. Ce sanctuaire se compose,
dans le rond-point, de quatre colonnes
monostyles, deux grosses et deux
grêles ainsi disposées (45). Les deux colonnes
A n'ont que 0,50 c. de diamètre,
celles B 0,85 c. environ. Une vue perspective des deux travées sur plan
circulaire reposant sur les colonnes A (45 bis) nous indique assez, après
ce que nous venons de dire, que les constructeurs ne comptaient alors
que sur l'équilibre des forces agissantes et résistantes pour maintenir une
masse pareille sur un point d'appui aussi grêle. On voit la colonne A, de
0,50 c. de diamètre, couronnée par un chapiteau extrêmement évasé
(voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 2, Chapiteau|Chapiteau]], fig. 21), sur lequel reposent un sommier puissant et les
trois colonnettes monolithes portant les retombées des voûtes supérieures.
Le sommier est assez empatté pour recevoir la pile du triforium et le mur
qui le clôt. L'arc-boutant extérieur pousse toute cette construction du
dehors au dedans; mais, étant élevée sur plan circulaire, elle ne peut être
chassée à l'intérieur, et plus l'arc-boutant appuie sur la tête de la pile, et
plus la construction prend de l'assiette. La charge énorme que reçoit
verticalement la colonne A assure sa stabilité. L'équilibre ne peut être
rompu, et, en effet, ce chevet n'a subi aucun mouvement.
</div>
[[Image:Sanctuaire.eglise.Saint.Leu.Esserent.png|center]]
<div class="text">
Dans l'Île-de-France, cependant, les constructeurs surent toujours
garder une certaine mesure, et ne tombèrent jamais dans les exagérations
si fréquentes chez les architectes de la Champagne et de la Bourgogne.
Chez ces derniers, ces exagérations étaient justifiées jusqu'à un certain
point par la qualité excellente des matériaux de cette province, les architectes
bourguignons, se fiant à la résistance extraordinaire de leurs pierres,
produisirent des œuvres d'une grande importance au point de vue de la
construction, en ce qu'elles nous font connaître jusqu'où l'application du
principe gothique peut aller lorsque la matière lui vient en aide.
 
La voûte étant désormais le générateur de toutes les parties des édifices
voûtés; commandant la place, la forme, la disposition des points d'appui,
c'est elle d'abord que nous devons scrupuleusement étudier. Pour qui
connaît bien la structure de la voûte gothique, les ressources infinies que
présente sa construction, toutes les autres parties de la maçonnerie s'en
déduisent naturellement. Nos lecteurs ont pu prendre connaissance déjà
des éléments de la construction des voûtes: reste à en examiner les
détails, les variétés et les perfectionnements, car nous ne
pourrions plus
nous faire comprendre, si, avant d'aller plus loin, les divers moyens
employés pour fermer les voûtes gothiques n'étaient pas complètement
développés.
 
Les fig. 27, 28, 28 bis et 29 indiquent comment sont tracés les lits
inférieurs des sommiers des arcs sur les tailloirs des chapiteaux, comment
ces lits inférieurs commandent la forme de ces tailloirs et la place des
colonnettes et points d'appui. On reconnaît facilement que, dans les
premiers tracés des voûtes gothiques, les constructeurs ont évité autant
que possible de faire pénétrer les arcs les uns dans les autres à leur naissance;
ils faisaient tailler chaque claveau sur le chantier, suivant la section
donnée à chacun de ces arcs, et ils cherchaient à les arranger du mieux
qu'ils pouvaient sur le tailloir, en les rognant à la queue pour conformer
leur pose aux pénétrations. Ainsi, par exemple, ayant tracé sur le tailloir
des chapiteaux destinés à recevoir un arc doubleau, deux arcs ogives et
les deux colonnettes portant les formerets, le lit de ces divers membres,
ils posaient les claveaux de chacun de ces arcs et les bases des colonnettes,
ainsi que le démontre la fig. 46, écornant, au besoin, les queues de ces
arcs, comme on le voit en A, afin de les placer les uns à côté des autres
et de les renfermer dans leur lit de pose. Cette méthode naïve n'exigeait,
de la part de l'appareilleur, aucune épure spéciale pour le sommier,
demandait une assiette assez large sur les tailloirs pour ne pas trop affamer
les queues des claveaux, et, par conséquent, des chapiteaux fort évasés;
elle avait en outre l'inconvénient de ne donner que des sommiers sans
résistance pouvant s'écraser sous la charge, et de prolonger les effets des
poussées trop bas ou de rapprocher leur résultante des parements
extérieurs.
Ayant trois arcs à poser, l'idée la plus naturelle était de leur
donner à chacun leur sommier. Mais, dans certains cas, les constructeurs
gothiques primitifs avaient été forcés cependant de faire pénétrer les divers
arcs soutenant une voûte sur un chapiteau unique, isolé, comme on le
voit dans la fig. 42, et de leur donner un seul sommier pour tous; car,
sur ces assiettes étroites, il n'était plus possible de songer à arranger les
premiers claveaux de ces arcs comme on enchevêtre les pièces d'un jeu
de patience: c'eût été faire de ces premiers claveaux une agglomération
de coins n'ayant aucune force de résistance. D'ailleurs, il fallait souvent
que les premiers claveaux des arcs (s'ils avaient une pile supérieure à
supporter) fissent tas-de-charge, c'est-à-dire présentassent de véritables
assises à lits horizontaux, afin de résister à la pression.
</div>
[[Image:Base.colonne.gothique.png|center]]
 
[[Image:Schema.poussee.voute.romane.png|center]]
<div class="text">
Soit, par exemple (46 bis), une pile A ayant une pile B supérieure à
supporter au-dessus d'une voûte C. Si les arcs de cette voûte sont tous
indépendants dès leur naissance et extradossés, si les joints des premiers
claveaux sont normaux aux courbes, il est clair que la pile B ne reposera
pas sur l'assiette EF, comme cela devrait être, mais sur le faible remplissage
G, et qu'alors sa stabilité ne pourra être assurée, que la pression sur
les reins des premiers claveaux causera infailliblement des désordres, des
ruptures et des écrasements. Ce fut cependant cette méthode
qu'employèrent
les derniers architectes romans, et elle eut souvent des conséquences
désastreuses. En pareille circonstance, les premiers constructeurs
gothiques procédèrent différemment. Soit H la pile portant une charge
supérieure K, ils posèrent autant de sommiers à lits horizontaux qu'il en
fallait pour que les verticales LM trouvassent une assiette, et ne commencèrent
les coupes des claveaux normales aux courbes que lorsque ces
courbes s'affranchissaient des parois verticales LM. Jusqu'à une
certaine
hauteur, les arcs étaient donc composés, par le fait, d'une suite d'assises
en encorbellement à lits horizontaux. Ces constructeurs avaient trop de
sens pour imaginer les crossettes I, qui ne peuvent jamais être bien posées
et dont les lits ne sauraient être exactement remplis de mortier: ils préféraient
adopter franchement les encorbellements. Ceux-ci avaient encore
un avantage: ils détruisaient en partie l'effet des poussées. Nous ne
devons pas omettre de dire ici que le devant des claveaux ou sommiers est
toujours posé à l'aplomb du carré supérieur de la corbeille du chapiteau,
ainsi que l'indique le tracé B, fig; 46; quant au carré de la base de la
colonnette de formeret, il est posé à fleur du tailloir, afin que le nu de la
colonnette arrive aplomb du carré de la corbeille du chapiteau (voy.
la même figure 46.
 
Dès qu'il fut admis que l'on pouvait poser à la naissance des voûtes une
série de sommiers d'arcs superposés à lits horizontaux, les architectes
n'avaient plus besoin de se préoccuper de trouver une assiette assez large
sur le tailloir des chapiteaux pour recevoir les claveaux de plusieurs arcs
juxtaposés, mais seulement de faire en sorte que ces arcs vinssent à se
pénétrer sur la plus petite assiette possible. Suivant toujours leurs raisonnements avec rigueur, ils reconnurent également que la résistance des
arcs, dans le système de voûtes nouvellement adopté, est en raison de
la
hauteur des claveaux et non en raison de leur largeur, et qu'à section
égale comme surface, un claveau, par exemple (47), posé ainsi qu'il est
indiqué en A, résistait beaucoup plus à la pression qu'un claveau posé
suivant le tracé B. Or, vers le commencement de la seconde moitié du
XII<sup>e</sup> siècle, les claveaux des arcs sont généralement compris dans une
section carrée C, de huit pouces (0,22 c.) à un pied ou dix-huit pouces de
côté (0,33 c. et 0,50 c.), suivant la largeur de la voûte; tandis que, vers
la fin de ce siècle, si les claveaux des arcs doubleaux conservent encore
cette section, ceux des arcs ogives (arcs dont le diamètre est plus grand
cependant, mais qui n'ont pas à résister à la pression des
arcs-boutants)
perdent une partie de leur largeur et conservent du champ, ainsi qu'on le
voit en D. Prenant moins de largeur de E en F, leur trace sur le tailloir
des chapiteaux occupait moins de place, exigeait un évasement moins
considérable, et s'accommodait mieux aux
pénétrations; n'ayant plus qu'une arête
mousse en G ou un simple boudin, la retombée
biaise sur les tailloirs n'offrait plus
les surfaces gauches et gênantes que donnaient
les arcs dont la section était C. Peu
à peu, les architectes renoncèrent même à
cette section C pour les arcs doubleaux et
adoptèrent des sections analogues à celle H,
offrant de même de I en K une grande résistance
de champ, et de L en M une résistance
suffisante de plat pour éviter les
torsions, déjà maintenues par les remplissages
des voûtes. C'est ainsi que chaque jour,
ou plutôt après chaque tentative, les architectes
arrivaient à supprimer, dans la construction
des voûtes, tout ce qui n'était pas
absolument indispensable à leur solidité,
qu'ils abandonnaient les dernières traditions
romanes afin d'obtenir; 1º une plus grande
légèreté; 2º des facilités pour asseoir les
sommiers, puisque ces sommiers allaient
dorénavant commander la construction des
piles, et, par suite, de tous les membres
inférieurs des édifices.
</div>
[[Image:Plans.claveaux.divers.png|center]]
<div class="text">
Mais nous sommes obligés, au risque de
paraître long dans notre exposé du système
des voûtes gothiques, de procéder comme
les constructeurs de ce temps, et de suivre,
sans la quitter un instant, la marche de leur
progrès. Puisque ces constructeurs avaient admis l'arc-boutant,
c'est-à-dire
une résistance opposée sur certains points aux poussées des voûtes,
il fallait bien réunir ces poussées et faire que leur résultante n'agît exactement
que sur ces points isolés; donc, il était de la dernière importance
que les arcs doubleaux et les arcs ogives se pénétrassent de façon: 1º à
ce que la résultante de leurs poussées se convertît en une seule pression
au point où venait butter la tête de l'arc-boutant; 2º à ce qu'aucune
portion de poussée ne pût agir en dehors ou à côté de cette résultante; en
un mot, à ce que le faisceau des poussées fût parfaitement dirigé suivant
une seule et même ligne de pression au moment de rencontrer
l'arc-boutant
comme un obstacle. Des voûtes dont les sommiers étaient posés
conformément à la fig. 46 ne pouvaient atteindre ce résultat absolu;
leurs poussées devaient être et sont en effet diffuses, et ne se réunissent
pas exactement en une résultante dont la direction et la puissance puissent
être exactement appréciées. Mais si, au lieu de ces premiers claveaux
posés tant bien que mal à côté les uns des autres sur les tailloirs des
chapiteaux, occupant une assiette large, sans solidarité entre eux, nous
supposons un sommier pris dans une seule assise; si nous combinons le
départ des arcs de façon à ce qu'ils se pénètrent complètement, pour ne
faire qu'un seul sommier au lieu de trois, déjà nous aurons fait un pas,
car la résultante des pressions diverses se produira sur un seul morceau
de pierre qu'il faudra seulement rendre immobile; mais si encore, non
contents de ce premier résultat, ayant groupé nos naissances d'arcs en un
faisceau aussi serré que possible, nous ne considérons les sommiers que
comme des assises en encorbellement, que nous placions plusieurs de ces
assises ou sommiers les uns sur les autres en taillant leurs lits horizontaux
jusqu'à ce que les développements des courbes de chacun des arcs nous
permettent de dégager leurs claveaux de cette masse en tas-de-charge,
alors nous serons certains d'avoir à la base de nos voûtes une résultante
de pressions agissant suivant une ligne dont nous ne pourrons
exactement
apprécier le point de départ, la puissance et la direction; de plus,
nous serons assurés que la tête de l'arc-boutant viendra s'appuyer, non
sur une maçonnerie sans liaison et sans force, mais contre une construction
rigide présentant une surface homogène, comme le serait la pièce de
charpente contre laquelle on appuie la tête d'un étai. Mais nous avons fait
des progrès; d'abord, nous avons reconnu que les voûtes en arcs d'ogive
comprenant deux travées, c'est-à-dire sur plan carré dont les diagonales
sont coupées par un arc doubleau intermédiaire, nous obligent à donner
aux voûtes une forme très-bombée qui nous gêne pour poser les
charpentes;
car les diagonales du carré étant beaucoup plus longues que l'un de
ses côtés, ces diagonales, servant de diamètre aux arcs ogives, élèvent leur
clef au-dessus de la naissance à une hauteur égale à ce demi-diamètre
(voy. fig. 20, 20 bis et 21), hauteur que la clef de nos arcs doubleaux ne
peut atteindre, à moins de donner beaucoup d'aiguïté à ces arcs.
 
Vers 1230, on renonce donc à ce mode de voûte sur plan carré, et l'on
établit les arcs ogives des hautes nefs sur plan barlong,
c'est-à-dire que
chaque travée porte sa voûte complète. Nous pouvons ainsi faire que les
clefs des arcs ogives, doubleaux et formerets, atteignent un même niveau
ou à peu près. Les constructeurs, voulant avoir des sommiers à lits horizontaux
jusqu'au point où ces arcs cessent de se pénétrer, observent que
la méthode la plus simple pour que ces sommiers ne donnent pas de
difficultés de tracé consiste à donner aux arcs ogives et arcs doubleaux un
même rayon. Soit donc une voûte sur plan barlong (48), l'arc ogive AC
rabattu est un plein cintre ABC; reportant le demi-diamètre AD sur la
ligne de base de l'arc doubleau AE, nous obtenons en F le centre de l'une
des branches de l'arc doubleau, et nous traçons l'arc AG, qui possède le
même rayon que l'arc ABC; reportant la longueur AF de E en F', nous
obtenons en F' le second centre de l'arc doubleau, et traçons la seconde
branche EG. C'est ainsi que sont tracés les arcs des premières voûtes
gothiques sur plan barlong<span id="note4"></span>[[#footnote4|<sup>4</sup>]]. Donc les courbes des arcs ogives et arcs
doubleaux étant les mêmes, leurs coupes sont pareilles et leurs sommiers
ne présentent aucune difficulté de tracé. Voyons maintenant à tracer ces
sommiers. Soit (48 bis) AB la directrice de l'arc doubleau, AC les directrices des arcs ogives. A est posé sur le nu du mur. De ce point A, prenant
sur la ligne AB une longueur AD égale à l'épaisseur du claveau de l'arc
doubleau, et considérant AD comme rayon, nous formons le demi-cercle
D'DD". Nous traçons alors la coupe de l'arc doubleau sur plan horizontal.
</div>
[[Image:Schema.arcs.ogives.barlongs.png|center]]
<div class="text">
Nous tirons deux parallèles EF aux directrices AC d'arcs ogives, en laissant entre ces parallèles une distance égale à la largeur des claveaux
d'arcs ogives. Ce sont les projections horizontales des arcs ogives. Prenant
les points G de rencontre des lignes d'axes des arcs ogives avec la demi-circonférence D'DD" comme l'intrados des arcs ogives, nous traçons la
coupe de ces arcs ogives sur plan horizontal. Nous avons alors le lit
inférieur du premier sommier. Dans les vides qui restent entre la demi-circonférence D'DD" et les arcs ogives en H, nous faisons passer les
colonnettes qui sont destinées à porter les formerets. Le contour du lit
inférieur du premier sommier obtenu, nous pouvons tracer (seulement
alors) le tailloir du chapiteau, soit en retour d'équerre comme l'indique
IKL, soit en étoile comme l'indique I'K'L'. Sous ces tailloirs, on peut ne
mettre qu'un seul chapiteau et une seule colonne M, puisque notre intention
est de réunir autant que possible les arcs en un faisceau étroit. Ce
chapiteau, qui est une console, une pierre en encorbellement soulagée
par la colonne isolée, fait sortir trois corbeilles d'une astragale unique.
</div>
[[Image:Schema.arcs.ogives.barlongs.2.png|center]]
<div class="text">
Il nous faut rabattre sur la ligne NO l'arc doubleau, et sur la ligne AC
l'arc ogive. Il est clair que ces deux arcs cessent de se pénétrer au point P
sur plan horizontal. Du point P, élevant une perpendiculaire PP' sur la
ligne NO, base de l'arc doubleau, et une seconde perpendiculaire PP" sur
la ligne AC, base de l'arc ogive, cette première perpendiculaire PP'
viendra rencontrer l'extrados de l'arc doubleau rabattu au point Q. Ce
point Q indique donc la hauteur où l'arc doubleau se dégage de l'arc
ogive: c'est le niveau du lit du dernier sommier. Il s'agit de diviser la
hauteur PQ en un certain nombre d'assises, suivant la hauteur des bancs.
Supposons que trois assises suffisent: le lit supérieur du premier sommier
sera en R, du second en S et du troisième en T. En Q, l'arc se dégageant,
nous pouvons tracer la première coupe QV tendant au centre de l'arc. À
partir de ce point, les claveaux, dont la coupe est tracée en U, sont indépendants.
Il suffira de procéder de la même manière pour l'arc ogive, en
traçant les lits R'S'T' à partir de la ligne de base AC, distants entre eux
comme le sont les lits RST. L'arc ogive étant moins épais que l'arc doubleau,
il restera derrière son extrados, en Q', jusqu'à la rencontre avec
l'extrados de l'arc doubleau, une petite surface de lit horizontal qui nous
sera fort utile pour commencer à poser les moellons de remplissage des
triangles des voûtes. Ceci fait, nous pouvons donner à l'appareilleur
chacun des lits de ces sommiers, en reportant sur plan horizontal, comme
nous l'avons tracé en X, les coupes que nous donnent sur les arcs rabattus
les lits RST, R'S'T'. Alors nous obtenons: 1º en <i>a</i> le lit inférieur du
premier sommier, déjà tracé comme souche des arcs; 2º en <i>b</i> le lit
supérieur du premier sommier qui fait le lit inférieur du second; 3º en <i>c</i>
le lit inférieur du troisième sommier; 4º en <i>e</i> le lit supérieur de ce troisième
sommier avec ses coupes inclinées marquées en <i>d</i>. Il n'est pas
besoin de dire que ces sommiers portent, sinon tous, au moins les deux
premiers, queue dans le mur dont le nu est en YZ. Voudrions-nous
serrer plus encore les arcs ogives contre l'arc doubleau: il suffirait, en
commençant l'opération, de rapprocher, sur plan horizontal, les lignes
d'axe des arcs ogives du point A. Souvent même, ces lignes d'axe se
rencontrent au point A. Pour ne point compliquer inutilement la figure,
nous avons supposé des arcs simplement épannelés; sont-ils chargés de
moulures, qu'on ne procède pas autrement sur l'épure, mais en traçant
les profils, car il est nécessaire de connaître, sur les divers lits horizontaux
des sommiers, les coupes biaises qui sont faites sur ces profils, afin de
donner au tailleur de pierre des panneaux qui tiennent compte de la
déformation plus ou moins sensible des moulures à chaque lit.
 
Pour faire comprendre, même aux personnes qui ne sont pas familières
avec la géométrie descriptive, l'opération que nous venons de tracer,
nous supposons (48 ter) les trois sommiers de la figure précédente, vus
les uns au-dessus des autres en perspective et moulurés. En A, on voit le
premier sommier, en B le second, en C le troisième avec ses coupes normales
aux courbes des arcs, en D les claveaux des arcs doubleaux, en D'
ceux des arcs ogives affranchis des sommiers, et dès lors semblables
entre eux jusqu'à la clef.
</div>
[[Image:Sommier.arc.ogive.barlong.png|center]]
<div class="text">
Il arrive cependant que les arcs d'une voûte sont de diamètres
très-inégaux
ou que leurs naissances sont à des hauteurs différentes: cela ne
peut en rien gêner l'appareilleur; du moment qu'un des arcs se dégage
des autres à l'extrados, il porte une coupe normale à sa courbe et les
claveaux se posent, tandis qu'à côté de lui d'autres arcs peuvent rester
engagés encore jusqu'à une certaine hauteur et conserver les lits horizontaux des sommiers. Ainsi, par exemple (49) , supposons que nous ayons
à voûter une salle divisée par une rangée de piles et dont le plan, à l'une
de ses extrémités, nous donne, entre la pile A et la pile B, un espace
beaucoup plus large que celui restant entre la pile B et le mur CD. Dès
lors, nous aurons des voûtes en arcs d'ogive telles que l'indique notre
figure. Nous rabattons l'arc doubleau EF, qui nous donne l'arc en tiers-point
EGF; nous rabattons l'arc ogive EI, qui nous donne l'arc légèrement
brisé EHI; nous rabattons l'arc ogive KL, qui nous donne le
demi-cercle
KML; nous rabattons l'arc doubleau PN, en traçant cet arc de manière
que la clef soit un peu au-dessous du niveau de la clef de l'arc ogive KL,
et que sa courbe se rapproche du plein cintre, pour conduire l'œil, sans
brusques changements de niveau, des grandes voûtes comprises entre
AB aux voûtes plus étroites et plus basses comprises entre la pile B et le
mur CD. Il est utile alors de surélever la naissance de cet arc doubleau
PN. Il est rabattu en PON. C'est ce besoin d'éviter les brusques changements
de niveau dans ces différents arcs qui nous a fait légèrement relever
la clef de l'arc ogive EI au-dessus du plein cintre. On voit ainsi que, du
grand arc doubleau compris entre la pile A et B jusqu'au petit arc doubleau
compris entre la pile B et le mur, les clefs RMOH et G des arcs soit
doubleaux, soit ogives, s'abaissent successivement et par une transition
presque insensible à l'œil en exécution.
</div>
[[Image:Schema.arcs.ogives.differentes.hauteurs.png|center]]
<div class="text">
Il s'agit maintenant de supposer les sommiers de ces divers arcs sur le
chapiteau de la pile B; nous présentons (49 bis) les formes de ces sommiers.
</div>
[[Image:Sommiers.arcs.ogives.differentes.hauteurs.png|center]]
<div class="text">
En A est le sommier de l'arc doubleau marqué EF sur la figure
précédente; en B, le second sommier avec les deux coupes des arcs ogives
EI; en C, le troisième sommier dont le lit supérieur est complètement
horizontal; en D, le quatrième sommier avec les coupes des deux arcs
doubleaux PN, des deux arcs ogives KL et de l'arc doubleau réunissant
la pile A à la pile B. On remarquera les renforts R, qui sont laissés dans
les assises des sommiers, derrière les claveaux libres, pour recevoir les
remplissages en moellon des voûtes. Il y a donc alors: le premier sommier
portant la coupe d'un arc; le second sommier portant les coupes de deux
arcs; le troisième sommier, à lit supérieur horizontal, sans coupes; le
quatrième sommier portant les coupes de cinq arcs.
</div>
[[Image:Schema.arc.ogive.salle.irreguliere.png|center]]
<div class="text">
Ces méthodes donnent une grande liberté aux constructeurs, et il n'y
a pas de surface, quelque irrégulière qu'elle soit, qui ne
se puisse couvrir
sans difficulté. Bien plus, le système des voûtes en arcs d'ogive permet
de voûter des salles dont les jours, par exemple, sont pris à des hauteurs
très-différentes, et de faire des voûtes très-rampantes. Exemple: supposons
une salle (49 ter) dont le périmètre soit le quadrilatère ABCD. Il
s'agit de prendre sur la face AB un jour à 10<sup>m</sup>,00 de hauteur, de ne pas
élever les clefs des formerets sur les faces BC et AD à plus de 6<sup>m</sup>,00, et la
clef du formeret sur la face CD à plus de 4<sup>m</sup>,00; le côté CD ayant 8<sup>m</sup>,00
de long, sur cette face CD nous tracerons un
formeret plein cintre dont la naissance sera
posée sur le sol même; sur les autres faces,
nous tracerons nos formerets à notre guise,
soit en tiers-point, soit plein cintre. Divisant
les quatre lignes AB, BC, AD, DC, chacune
en deux parties égales, nous réunissons les
points milieux GH, IK, par deux lignes, dont
la rencontre en F nous donne la projection
horizontale de la clef des arcs ogives. Élevant
la verticale FE, nous prenons sur cette ligne
la hauteur à laquelle doit arriver la clef L,
puis nous traçons les portions de cercle
AL, BL, CL, DL, qui sont les arcs ogives dont
la projection horizontale est en AF, BF, CF, DF.
Sur l'ossature des formerets et arcs ogives, il
n'y a plus qu'à faire les remplissages de voûtes,
dont les rencontres ou clefs sont figurées par les
lignes ponctuées MN, OP, QR, ST, en tenant
compte de l'épaisseur des claveaux des arcs
formerets et arcs ogives, et la clef centrale
étant supposée placée. Mais nous nous occuperons
tout à l'heure de ces remplissages et de
la manière de les maçonner. Quelle que soit la
figure en plan de la surface à couvrir, le problème
à résoudre est toujours celui-ci: 1º faire
en sorte que cette surface soit divisée par les
ares diagonaux, de manière à présenter une
suite de triangles, car, avec ce système de
voûtes, on ne peut couvrir que des triangles;
2º disposer les arcs diagonaux ou ogives de
telle façon que ces arcs se contre-buttent réciproquement
à leur sommet, et que l'un d'eux ou
plusieurs d'entre eux réunis ne puissent presser
sur les autres de manière à les déformer.
</div>
[[Image:Plans.arcs.ogives.salles.polygonales.png|center]]
<div class="text">
Ainsi, pour couvrir une salle polygonale, à
cinq, six, sept, huit, dix ou douze pans, ou
plus encore, il suffit naturellement de réunir
les angles rentrants du polygone par des lignes
se rencontrant au centre, ainsi que l'indique
la fig. 50. Ces lignes sont les projections horizontales des arcs
ogives, et les côtés des polygones sont les projections horizontales des
formerets, lesquels peuvent avoir leurs clefs au-dessus ou
au-dessous du
niveau de la clef centrale, suivant que l'indique le besoin. S'il faut couvrir
une portion du polygone à l'extrémité d'un parallélogramme, ainsi que
cela se rencontre dans les sanctuaires des églises, par exemple (51),
nous
nous arrangerons pour avoir, avant la partie brisée BC, une travée AB,
égale à l'un des côtés du polygone BC, afin que la clef D soit également
distante des points BCE, etc., et que les triangles BCD, CED, aient leurs
côtés BD, CD, ED égaux entre eux. Dans ce cas, les arcs AD
contrebuttent
les arcs BD, CD, ED, etc., et nous n'avons toujours que des
triangles à remplir. Il y a cependant des exceptions à cette règle, et l'on
voit des arcs rayonnants d'absides butter leurs têtes au sommet d'un arc
doubleau (51 bis), lorsque, par exemple, le rond-point est une moitié de
polygone à dix côtés; mais cette méthode est vicieuse, en ce que les arcs,
poussant tous à la clef D' non contre-buttée, peuvent faire gauchir l'arc
doubleau GH. Dans ce cas, les constructeurs expérimentés ont bandé deux
branches d'arc ogive ID', RD', destinées à contre-butter puissamment la
clef D'. Mais si ces voûtes peuvent se construire au moyen d'arcs dont les
clefs sont à des niveaux différents, elles peuvent aussi se fermer sur des
arcs de diamètres très-différents et dont les clefs sont toutes au même
niveau. Il est quelquefois nécessaire de niveler les clefs, si, par exemple,
il s'agit de voûtes portant une aire au-dessus d'elles. Ce fait se présente
fréquemment dans les porches surmontés de tribunes ou de salles au
premier étage.
</div>
[[Image:Plans.arcs.ogives.salles.polygonales.2.png|center]]
 
[[Image:Plans.arcs.ogives.salles.polygonales.3.png|center]]
 
[[Image:Plan.porche.eglise.Notre.Dame.Dijon.png|center]]
<div class="text">
Le porche de l'église de Notre-Dame de Dijon est un des meilleurs
exemples que nous puissions choisir. Son plan (52) continue le plan des
trois nefs de l'église elle-même; mais la voûte centrale, au lieu d'être surélevée
comme dans l'église, porte ses clefs au niveau des voûtes des
collatéraux, car il s'agit, au premier étage, de recevoir un pavage à niveau
sur toute la surface de ce porche. Voulant donner de l'assiette à la façade,
le constructeur a doublé les piles sur ce point et a bandé des arcs doubleaux
parallèles, séparés par un berceau de A en B, de E en G, de B' en C,
de
G' en H, de A' en D et de E' en F. Puis, la partie centrale du porche est
fermée par une voûte en arcs d'ogive GK, EI, croisée d'un arc doubleau
LM. Les collatéraux sont voûtés en arcs d'ogive sur plan carré. Nous
avons, sur notre plan, figuré les rabattements de tous ces arcs, dont les
clefs sont posées sur ce même plan horizontal. Les diamètres de ces arcs
étant de longueurs très-différentes, il n'a pas été possible de faire naître
ces arcs sur des chapiteaux posés au même niveau. Ainsi, les chapiteaux
des arcs ogives GK, EI, et des arcs doubleaux EG, LM, IK, sont posés plus
bas que ceux des arcs GM, MI, EL, LK, et des arcs ogives des collatéraux.
Si donc nous donnons une perspective de la pile M (53), nous voyons que
l'arc doubleau A naît beaucoup au-dessous des autres arcs, et que son
chapiteau B se conforme, par la place qu'il occupe, à cette différence de
niveaux. Les tambours de la pile portent les deux sommiers CD de l'arc
doubleau ML (du plan), qui se dégage au-dessous des chapiteaux des
autres arcs. Quant à ces autres arcs, ils viennent reposer leurs sommiers
sur un groupe de chapiteaux soulagé par des colonnettes monolithes.
L'effet des poussées inégales et agissant à des hauteurs différentes de ces
arcs est neutralisé par les charges verticales que portent les piles, lesquelles
charges sont considérables.
</div>
[[Image:Detail.porche.eglise.Notre.Dame.Dijon.png|center]]
 
[[Image:Plan.pilier.cathedrale.Peterborough.png|center]]
<div class="text">
Vers le milieu du XIII<sup>e</sup> siècle déjà, en Angleterre, on était arrivé à des
combinaisons d'arcs de voûte très-savantes et perfectionnées. Les
Normands
devinrent promptement d'habiles constructeurs, et, dans leurs
édifices de l'époque romane, ils avaient fait des efforts remarquables en
ce qu'ils indiquent une grande indépendance et une perfection d'exécution
exceptionnelle. Déjà, au commencement du XII<sup>e</sup> siècle, ils faisaient des
voûtes en arcs d'ogive à arêtes saillantes, alors qu'en France on ne faisait
guère que des voûtes d'arêtes romaines sans arcs ogives, mais à surfaces
courbes en tous sens, ainsi que nous l'avons vu plus haut. Ils savaient le
parti que l'on peut tirer des sommiers, et ils divisaient leurs chapiteaux,
sinon les supports verticaux, en autant de membres qu'ils avaient d'arcs
à recevoir. Ainsi, dans la partie romane de la cathédrale de Peterborough,
les voûtes des bas-côtés du chœur qui s'ouvrent sur les transsepts sont,
pour l'époque, conçues et exécutées avec plus de savoir et de précision
que celles du domaine royal de France, de la Champagne, de la Bourgogne
et du centre. Ces voûtes portent alternativement sur des piles cylindriques
et prismatiques posées les angles sur les axes. Les chapiteaux passent de
la section des piles au lit inférieur des divers arcs au moyen d'encorbellements
adroitement combinés. La fig. 54 présente la section horizontale
ABCDEFGH d'une pile, le plan IKLMNOP des tailloirs du chapiteau, la
trace du lit inférieur sur ces tailloirs, de l'arc doubleau Q, des archivoltes
portant les murs du transsept R, des arcs ogives S, et de la base de la
colonne engagée T s'élevant jusqu'à la charpente supérieure qui couvrait
le vaisseau principal. Afin que les clefs des arcs ogives des voûtes du
collatéral ne dépassent pas le niveau des extrados des archivoltes et arcs
doubleaux qui sont plein cintre, ces arcs ogives sont tracés sur une portion
de cercle moindre que le demi-cercle. La fig. 54 bis montre, en
perspective, ce chapiteau et les retombées d'arcs; en A, on voit une
branche d'arc ogive. Le tracé géométral (54 ter) explique la naissance de
cette branche d'arc ogive A, le sommier de tous les arcs et les encorbellements
du chapiteau.
</div>
[[Image:Detail.pilier.cathedrale.Peterborough.png|center]]
<div class="text">
Quand on compare cette construction avec celles qui lui sont
contemporaines
dans la France proprement dite, on a lieu de s'étonner du savoir
et de l'expérience des architectes normands, qui déjà, au commencement
du XII<sup>e</sup> siècle, étaient en état de construire des voûtes en arcs ogives, et
distribuaient les chapiteaux en autant de membres qu'ils avaient d'arcs à
recevoir. Mais avant de suivre les progrès rapides de la voûte
anglo-normande
et de découvrir les conséquences singulières auxquelles arrivèrent
les architectes d'outre-Manche, vers le milieu du XIII<sup>e</sup> siècle, il nous faut
examiner d'abord les moyens employés par les constructeurs français
pour fermer les triangles des voûtes gothiques. Le principe général doit
passer avant les variétés et les exceptions.
</div>
[[Image:Plan.arc.ogive.et.arc.doubleau.png|center]]
<div class="text">
Soit (55) le plan d'une voûte en arcs d'ogive croisée d'un arc doubleau,
suivant la méthode des premiers constructeurs gothiques. AB le
demi-diamètre
de l'arc doubleau principal; AC le demi-diamètre de l'arc
ogive; AD l'arc formeret; DC le demi-diamètre de l'arc doubleau coupant
en deux parties égales le triangle AEC. L'arc formeret doit commander
d'abord. Supposons que le moellon maniable, qu'un maçon peut
facilement
poser à la main, ait la largeur XX' (largeur qui varie de 0,08 c. à
0,15 c. dans ces sortes de constructions). Nous rabattons les extrados de
tous les arcs sur plan horizontal. Ces rabattements nous donnent, pour l'arc
formeret, y compris sa naissance relevée, la courbe brisée AFD; pour l'arc
doubleau principal, la courbe brisée EG; pour l'arc ogive, la courbe quart
de cercle exact AI; pour l'arc doubleau d'intersection, la courbe brisée DH.
N'oublions pas que l'arc ogive étant plein cintre, l'arc doubleau d'intersection
doit avoir une flèche CH égale au rayon CI; que, dans les cas
ordinaires,
l'arc doubleau principal doit avoir une flèche JG moins longue que le
rayon CI, et que l'arc formeret doit avoir, y compris sa naissance relevée,
une flèche KF moins longue que celle de l'arc doubleau principal. La
largeur des douelles du moellon de remplissage étant XX', nous voyons
combien l'extrados du demi arc formeret AF, compris sa naissance verticale,
contient de fois XX': soit quatre fois; nous marquons les points
diviseurs LMN. Nous avons quatre rangées de moellon<span id="note5"></span>[[#footnote5|<sup>5</sup>]]. Ramenant l'arc
formeret sur sa projection horizontale AD, le point N pris sur la portion
verticale de l'arc formeret tombe en N', le point M en M', le point L en L',
le point F de la clef en K. Nous divisons alors la moitié AI de l'extrados
de l'arc ogive en quatre parties, et marquons les points O, P, Q. Ramenant
de même cette courbe sur sa projection horizontale AC, nous obtenons
sur cet arc les points 0', P', Q', C. Nous procédons de la même manière
pour l'arc doubleau d'intersection DC, dont l'extrados rabattu est DH.
Nous divisons cet extrados en quatre parties, et marquons les points RST.
Faisant pivoter l'arc sur son demi-diamètre DC, nous obtenons en projection
horizontale les points R'S'T'C. Alors, réunissant le point N' au point
O', le point M' au point P', le point L' au point Q', le point K au
point
C, etc., par des droites, ces droites nous donnent la projection
horizontale
des plans verticaux dans lesquels doivent passer les coupes d'intrados des
douelles de remplissage. Ceci obtenu, l'arc doubleau principal commande
le nombre des douelles des voûtes fermant les triangles ECJ. L'étalon XX'
diviseur nous donnant sur l'extrados de l'arc doubleau principal rabattu
en EG six divisions de douelles, nous marquons les points UVZ, etc., et,
opérant comme ci-dessus, nous obtenons, sur la ligne de projection
horizontale EJ de cet arc doubleau, les points U'V'Z'. Divisant de même
l'extrados de l'arc ogive en six parties et projetant ces divisions sur la
ligne de plan EC, nous obtenons les points Y Y'Y", etc. Nous réunissons
alors le point U' au point Y, le point V' au point Y', etc., et nous avons
la projection horizontale des plans verticaux dans lesquels doivent passer
les coupes d'intrados des douelles de remplissage. Cette épure ne se fait
pas sur le chantier. Après avoir divisé l'extrados des arcs formerets et des
arcs doubleaux principaux qui commandent, suivant le nombre de douelles
donné par la largeur du moellon, on divise en nombres égaux l'extrados
des arcs ogives, comme nous venons de le démontrer, et l'on procède de
suite à la construction des voûtes sans couchis: c'est la méthode employée
qui donne en projection horizontale les lignes N'O'M'P'L'Q', etc., U'Y,
V'Y', etc., que nous avons tracées sur notre épure.
</div>
[[Image:Fermeture.triangle.voute.gothique.png|center]]
<div class="text">
Voici en quoi consiste cette méthode. Le constructeur dit, par exemple:
la ligne CK, réunissant la clef des arcs ogives à la clef des formerets, aura
0,50 c. de flèche; le maçon, habitué à faire ces sortes de voûtes, n'a pas
besoin d'en savoir davantage pour construire, sans épure, tout le triangle
de remplissage ACD. Il lui suffit de prendre la longueur CK ou CJ, de la
tracer en C'K' sur une planche (56), d'élever au milieu de cette ligne une
perpendiculaire <i>ab</i> ayant 0,50 c., et de faire passer un arc par les trois
points C'<i>b</i>K'. Avec cette courbe tracée à côté de lui, il monte au moins un
tiers de chacun des côtés de son remplissage comme un mur. Il lui suffit
de prendre, avec une ficelle, la longueur de chaque rang de moellon, de
porter cette longueur sur l'arc C'<i>b</i>K' et de voir ce que cette corde donne
de flèche à la portion d'arc ainsi coupée; cette flèche est celle qu'il doit
prendre pour le rang de moellon à fermer. Le premier tiers des remplissages
se rapproche tellement d'un plan vertical, que les moellons tiennent
d'eux-mêmes sur
</div>
[[Image:Fermeture.triangle.voute.gothique.2.png|center]]
 
[[Image:Fermeture.triangle.voute.gothique.3.png|center]]
<div class="text">
<br>
leurs lits, à mesure que le maçon les pose, ainsi que le fait voir la fig. 57. Mais au delà du premier tiers, ou environ, il faut l'aide
d'une <i>cerce</i>, d'autant que les rangs de moellon s'allongent à mesure que
l'on se rapproche de la clef. Or, parce que ces rangs s'allongent, il faudrait
faire tailler une cerce pour chacun d'eux, ce qui serait long et dispendieux.
Il faut alors avoir deux cerces, disposées ainsi que l'indique la fig. 58,
étant ensemble plus longues que la ligne de clef des remplissages, et
l'une des deux pas plus longue que le rang de claveaux, trop incliné pour
pouvoir être bandé sans le secours d'un soutien. Chacune des cerces,
coupées dans une planche de 0,04 c. environ d'épaisseur, porte au
</div>
[[Image:Fermeture.triangle.voute.gothique.4.png|center]]
 
[[Image:Fermeture.triangle.voute.gothique.5.png|center]]
<div class="text">
<br>
milieu une rainure évidée, concentrique à la courbe donnée par l'arc étalon dont
nous avons parlé ci-dessus (fig. 56). À l'aide de deux cales C passant par
ces rainures, on rend les deux cerces rigides, et on peut, à chaque rang
de claveaux, les allonger suivant le besoin, en les faisant glisser l'une
contre l'autre. Les cerces sont fixées sur l'extrados des arcs au moyen des
deux équerres en fer AB clouées à l'extrémité des cerces; le maçon doit
avoir le soin, après avoir placé les becs AB sur les points marqués sur les
arcs, de laisser pendre la face de la cerce verticalement avant de la fixer
contre les flancs des arcs, soit par des coins, soit avec une poignée de
plâtre. Ainsi l'ouvrier ferme les remplissages des voûtes conformément à
l'épure tracée fig. 50; c'est-à-dire, qu'en donnant à chaque rang des
claveaux de remplissage une courbe assez prononcée qui les bande et
reporte leur charge sur les arcs, il n'en est pas moins contraint de faire
passer cette courbe dans un plan vertical, car c'est sous chaque ligne
séparative des rangs de moellon qu'il doit placer la cerce, ainsi que le fait
voir la fig. 59, et non sous les milieux de ces rangées de moellon. Ce n'est
pas sans raison que l'on doit placer les cerces dans un plan vertical, et
faire passer par conséquent l'arête du lit de chaque rangée de moellon
dans ce plan vertical. Ces lits (60) à l'intrados traçant des courbes, il en
résulte que la section CD se trouve avoir un plus grand développement que
la section DB qui commande le nombre des rangées de moellon, et même
que la section DA, quoique en projection horizontale la ligne DA soit plus
longue que la ligne DC. Le maçon doit tenir compte, à chaque rangée de
moellons, de ce surplus du développement, et donner à chacun de ces
rangs une douelle présentant la surface tracée en E. Il faut donc que
l'ouvrier soit guidé par un moyen mécanique; la cerce, posée toujours
verticalement, établit forcément la forme à donner aux douelles. Si le
maçon fermait les remplissages par des rangées de claveaux dont les
douelles seraient d'une égale largeur dans toute leur étendue, il serait
obligé, arrivé à la clef, de tenir compte de tout le surplus du développement
que donne la section CD sur la section DB, et il aurait deux derniers
rangs de moellon présentant à l'intrados une surface analogue à celle figurée en G, ce qui serait d'un effet désagréable et obligerait d'employer,
sur ce point, des moellons d'un échantillon beaucoup plus fort que partout
ailleurs. Étant, par la position verticale de la cerce, obligé de faire passer
l'arête d'intrados du lit de chaque rang de moellon dans un plan vertical,
le maçon arrive, sans le savoir, à répartir sur chacun de ces rangs le
surplus de développement imposé par la concavité de la voûte. Tout cela
est beaucoup plus simple à exécuter qu'à expliquer, et nous n'avons jamais
éprouvé de difficulté à faire adopter cette méthode dans la pratique.
Un
maçon adroit, aidé d'un garçon qui lui apporte son moellon débité et son
mortier, ferme un triangle de voûte sans le secours d'aucun engin, sans
cintres et sans autres outils que sa hachette et sa cerce. Une fois que
l'ouvrier a compris la structure de ces voûtes (ce qui n'est pas long), il
pose les rangs de claveaux avec une grande facilité, n'ayant qu'à les
retoucher légèrement avec sa hachette pour leur ôter leur parallélisme.
Presque toujours, lorsqu'il a acquis de la pratique, il abandonne les cerces
à rainures, et se contente de deux courbes qu'il maintient avec deux
broches, les allongeant à chaque rang, car les lits de ces moellons étant
très-peu inclinés, si ce n'est près de la clef, il suffit d'un faible soutien
pour les empêcher de glisser sur le mortier. Chaque rangée posée formant
un arc, la cerce est enlevée sans qu'il en résulte le moindre mouvement.
Il faut dire que ces moellons sont généralement peu épais, et que beaucoup
de remplissages de grandes voûtes gothiques, surtout à la fin du
XII<sup>e</sup> siècle, n'ont pas plus de 0,10 c. à 0,12 c. d'épaisseur<span id="note6"></span>[[#footnote6|<sup>6</sup>]].
Cette méthode
de construire les voûtes n'est pas la seule; elle appartient uniquement à
l'Île-de-France, au Beauvoisis et à la Champagne, pendant la seconde
moitié du XII<sup>e</sup> siècle; tandis que, dans les autres provinces, des moyens
moins raisonnés sont adoptés. En Bourgogne, grâce à certaines qualités particulières
de calcaires se délitant en feuilles minces, rugueuses, adhérentes
au mortier, on construisit longtemps les voûtes en maçonnerie enduite,
bloquée sur couchis de bois. Les voûtes du chœur de l'église abbatiale de
Vézelay, bâti vers la fin du XII<sup>e</sup> siècle, présentent un singulier mélange
des méthodes adoptées par les constructeurs de l'Île-de-France et des
traditions bourguignonnes. On voit combien les appareilleurs
bourguignons,
si habiles traceurs, étaient embarrassés pour donner aux claveaux
de remplissage des formes convenables: ne pouvant en faire l'épure
rigoureuse, ils tâtonnaient, bandaient les reins en matériaux taillés tant
bien que mal; puis, ne sachant comment fermer ces remplissages, ils les
terminaient par du moellon brut enduit. Ce n'était pas là une méthode,
c'était un expédient.
 
Au milieu des provinces comprises dans l'ancienne Aquitaine,
l'habitude
que les constructeurs des X<sup>e</sup> et XI<sup>e</sup> siècles avaient contractée de
fermer leurs édifices par des coupoles s'était si bien enracinée, qu'ils ne
comprirent que très-tard la voûte d'arête gothique, et qu'ils en adoptèrent
l'apparence, mais non la véritable structure.
</div>
[[Image:Plan.claveaux.coupole.png|center]]
<div class="text">
Chacun sait que les claveaux qui composent une coupole donnent en
projection horizontale une succession de cercles concentriques, ainsi que
l'indique la fig. 61. A étant la coupe et B le quart de la projection horizontale
d'une coupole hémisphérique. Lorsque le système de la construction
gothique prévalut dans le domaine royal, et que les architectes
reconnurent le parti qu'on en pouvait tirer, on voulut bientôt l'adopter
dans toutes les provinces occidentales du continent. Mais ces provinces
diverses, séduites par la forme, par les allures franches et les facilités
que présentait la nouvelle architecture pour vaincre des obstacles jusqu'alors
insurmontables, ne purent cependant laisser brusquement de côté
des traditions fortement enracinées parmi les praticiens; il en résulta
une sorte de compromis entre la structure et la forme. Au XII<sup>e</sup> siècle, on
voit élever, sur toute la ligne qui se prolonge du Périgord à la Loire vers
Angers et au delà, des voûtes qui, comme structure, sont de véritables
coupoles, mais qui cherchent à se soumettre à l'apparence des voûtes
d'arête. Ce sont des coupoles sous lesquelles deux arcs diagonaux ont été
bandés, plutôt comme une concession au goût du temps que comme un
besoin de solidité; car, par le fait, ces arcs ogives, très-faibles généralement,
ne portent rien, sont même souvent engagés dans les remplissages
et maintenus par eux. Cette observation est d'une importance majeure;
nous verrons tout à l'heure quelles en furent les conséquences. Cependant
ces faiseurs de coupoles quand même ne furent pas longtemps sans
reconnaître que la structure de leurs voûtes n'était nullement en harmonie
avec leur forme apparente. Le mouvement était imprimé déjà sur presque
toute la surface de la France actuelle vers la fin du XII<sup>e</sup> siècle; il fallait se
soumettre au mode de construction inventé par les artistes du Nord; il
fallait abandonner les traditions romanes: elles étaient épuisées; les
populations les repoussaient parce qu'elles ne suffisaient plus aux besoins,
et surtout parce qu'elles étaient l'expression vivante de ce pouvoir monastique
contre lequel s'élevait l'esprit national. Les écoles soumises à la
<i>coupole</i> firent une première concession au nouveau mode de construction;
ils comprirent que les arcs ogives (diagonaux) étaient faits, dans la structure
gothique, pour porter les remplissages: au lieu donc de poser les
rangs de moellon de remplissage, comme ils avaient fait d'abord, sans
tenir compte des arcs ogives, ainsi que l'indique la fig. 62, ils prirent
l'extrados de ces arcs ogives comme point d'appui et bandèrent les rangs
de moellon, non point des formerets ou arcs doubleaux sur les arcs
ogives, comme les constructeurs de l'Île-de-France, mais des arcs ogives
aux formerets et arcs doubleaux, en les entre-croisant à la clef.
</div>
[[Image:Plan.coupole.sur.arcs.ogives.png|center]]
<div class="text">
La fig. 63<span id="note7"></span>[[#footnote7|<sup>7</sup>]] fera comprendre cette disposition. Cette construction était
moins rationnelle que celle de la voûte du Nord, mais elle donnait les
mêmes coupes; c'est-à-dire que de A, clef des formerets ou arcs doubleaux,
à B, clef des arcs ogives, les triangles de remplissage ABC forment un
angle rentrant, une arête creuse. Mais comme ces rencontres AB des
rangs de moellon produisaient un mauvais effet, et qu'elles offraient une
difficulté pour le maçon, qui avait besoin, sur cette ligne AB, d'une
courbe en bois pour appuyer chaque rang de moellon à mesure qu'il les
posait; on banda un nerf en pierre BF pour recevoir les extrémités des
rangs de moellon et cacher les sutures.
 
À la fin du XII<sup>e</sup> siècle, l'Aquitaine était anglo-normande, ainsi que le
Maine et l'Anjou. Ce système de voûtes prévalut, non-seulement dans ces
contrées, mais passa le détroit et fut adopté en Angleterre. Peu à peu,
pendant les premières années du XIII<sup>e</sup> siècle, on l'abandonna dans les
provinces du continent, pour adopter définitivement le mode de
l'Île-de-France;
mais, en Angleterre, il persista, il s'étendit, se perfectionna et
entraîna bientôt les constructeurs dans un système de voûtes opposé,
comme principe, au système français. La manière de poser les rangs de
moellon des remplissages des voûtes sur les arcs, empruntée dans l'Île-de-France
aux voûtes d'arêtes romaines, en Angleterre à la coupole, eut des
conséquences singulières. En France, les surfaces des remplissages restèrent
toujours concaves, tandis qu'en Angleterre elles finirent par être
convexes à l'intrados, ou plutôt par former des successions de cônes
curvilignes renversés se pénétrant, et engendrer des formes bien opposées
par conséquent à leur origine. Mais lorsqu'on étudie l'architecture gothique,
on reconnaît bientôt que le raisonnement, les conséquences logiques d'un
principe admis, sont suivis avec une rigueur inflexible, jusqu'à produire
des résultats en apparence très-étranges, outrés, éloignés du point de
départ. Pour celui qui ne perd pas la trace des tentatives incessantes des
constructeurs, les transitions sont non-seulement perceptibles, mais
déduites d'après le raisonnement; la pente est irrésistible: elles paraissent
le résultat du caprice, si l'on cesse un instant de tenir le fil. Aussi ne doit-on
pas accuser de mauvaise foi ceux qui, n'étant pas constructeurs, jugent ce
qu'ils voient sans en comprendre les origines et le sens; ce qu'on peut
leur reprocher, c'est de vouloir imposer leur jugement et de blâmer les
artistes de notre temps qui croient trouver, dans ce long travail du génie
humain, des ressources et un enseignement utile. Chacun peut exprimer
son sentiment, quand il s'agit d'une œuvre d'art, dire: «Ceci me plaît, ou
cela me déplaît»; mais il n'est permis à personne de juger le produit de
la raison autrement que par le raisonnement. Libre à chacun de ne pas
admettre qu'une perpendiculaire abaissée sur une droite forme deux
angles droits; mais vouloir nous empêcher de le prouver, et surtout de le
reconnaître, c'est pousser un peu loin l'amour de l'obscurité. L'architecture
gothique peut déplaire dans sa forme; mais, si l'on prétend qu'elle
n'est que le produit du hasard et de l'ignorance, nous demanderons la
permission de prouver le contraire, et, l'ayant prouvé, de l'étudier et de
nous en servir si bon nous semble.
 
Avant donc de clore ce chapitre sur les voûtes, voyons comment les
Anglo-Normands transformèrent la coupole de l'Ouest en une voûte d'une
forme très-éloignée en apparence de la voûte hémisphérique. Nous avons
dit tout à l'heure comment les constructeurs de l'Aquitaine, de l'Anjou,
du Maine et de l'Angleterre, avaient été entraînés à ajouter un nerf de
plus à la voûte en arcs d'ogive pour cacher le croisement des moellons de
remplissage sous la ligne des clefs; c'est-à-dire, comment ils divisèrent
une voûte carrée ou barlongue en huit triangles au lieu de quatre. Ce
point de départ a une si grande importance, que nous demandons à nos
lecteurs la permission d'insister.
</div>
[[Image:Plan.voute.francaise.png|center]]
<div class="text">
Supposons une voûte en arcs d'ogive faite moitié par des Français au
commencement du XIII<sup>e</sup> siècle et moitié par des Anglo-Normands. La
voûte française donnera, en projection horizontale (64), le tracé A; la
voûte anglo-normande, le tracé B. Dès lors, rien de plus naturel que de
réunir la clef du formeret C à la clef des arcs ogives D par un nerf saillant
masquant la suture formée par la rencontre des triangles de remplissage
en moellon *[?ECD, FCD]. Ces triangles de remplissage dérivent évidemment
de la voûte en coupole, ou plutôt ce sont quatre pendentifs qui se rencontrent
en CD. Les voûtes de l'Aquitaine ou anglo-normandes gothiques
primitives ont d'ailleurs les clefs des formerets à un niveau inférieur aux
clefs des arcs ogives, et leur ossature présente la fig. 65. Cette figure fait
bien voir que la voûte anglo-normande n'est autre chose qu'une coupole
hémisphérique pénétrée par quatre arcs en tiers-point, car les arcs ogives
sont des pleins cintres. Sur cette ossature, les rangs des remplissages en
moellon sont bandés ainsi qu'il est marqué en G, tandis qu'en France,
sur deux arcs ogives et quatre formerets de mêmes dimension et figure,
les rangs des remplissages en moellon sont bandés conformément au tracé
H. Donc, quoique les nerfs principaux des voûtes en France ou en Angleterre
puissent être identiques comme tracé, en France le remplissage
dérive évidemment de la voûte d'arête romaine, tandis qu'en Angleterre
il dérive de la coupole. Jusqu'alors, bien que les principes de construction
de ces deux voûtes fussent très-différents, leur apparence est la même,
sauf l'adjonction du nerf réunissant les clefs des formerets ou arcs doubleaux
à la clef des arc ogives, adjonction qui n'est point une règle
absolue.
</div>
[[Image:Voutes.anglo.normandes.gothiques.png|center]]
<div class="text">
Pendant que dans l'Île-de-France et les provinces voisines, à la fin
du
XII<sup>e</sup> siècle, on ne faisait guère que des voûtes en arcs ogives croisés d'arcs
doubleaux, c'est-à-dire engendrées toujours par un plan carré et fermées
par des triangles de remplissage biais, ainsi que le fait voir notre fig. 55,
on cherchait, dans l'Ouest, à obtenir la même légèreté réelle et apparente,
mais toujours en conservant quelque chose de la coupole.
</div>
[[Image:Plan.voute.eglise.Mouliherne.png|center]]
<div class="text">
<span id=Mouliherne>Il existe, près de Saumur, une petite église qui indique de la manière
la plus évidente les incertitudes des constructeurs de l'Ouest entre les
innovations des architectes du domaine royal et les traditions de l'Aquitaine:
c'est l'église de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes M#Mouliherne|Mouliherne]]; là, les deux systèmes sont en présence. La première travée de l'édifice à une seule nef, touchant la façade, est
voûtée conformément au plan (66). De A en B est un gros arc doubleau
en tiers-point. De A en C et de B en D sont deux arcs ogives brisés, qui ne
sont que des tores à section demi-circulaire. Un second arc doubleau EF
à section pareille croise les deux diagonales. De E en G et de F en G sont
bandés deux autres arcs diagonaux secondaires rencontrant les arcs ogives
principaux en I et en K. Les quatre triangles compris entre les points
EGF sont fermés suivant la méthode d'Aquitaine ou anglo-normande,
c'est-à-dire conformément au principe de la coupole; les quatre autres
triangles EDI, DGI, GCK, CFK, sont fermés d'après le système français, et
cependant des nerfs LI, MI, NK, OK, réunissant les clefs des formerets,
aux rencontres I et K, saillent au-dessous des rangs de clefs des remplissages.
Ces nerfs sont même ornés de figures sculptées en relief. Quant
aux triangles AER, BFR, ils sont fermés à la française par des remplissages
biais. Mais un demi arc doubleau existant de G en R, le constructeur a cru
devoir le continuer comme nerf de clef saillant jusqu'au sommet du gros
arc doubleau AB. Donc la section faite suivant GS donne le tracé (67).
Si l'on veut prendre une idée exacte de l'aspect de cette voûte, il faut
recourir à la vue perspective que nous donnons (68). Dans le domaine
royal, on se serait contenté de fermer les triangles de remplissage (fig. 66)
EDR, DGR, GCR, CFR, par des rangs de moellon posés des formerets
ED, DG, etc., aux arcs doubleaux et arcs ogives ER, GR, DR, absolument
comme on l'a fait pour le triangle AER.
</div>
[[Image:Coupe.voute.eglise.Mouliherne.png|center]]
<div class="text">
Tant que la voûte de l'Aquitaine et anglo-normande conserva ses arcs
ogives très-surhaussés comme ceux de la voûte gothique primitive
française,
les apparences de ces voûtes furent à peu près les mêmes; mais, en
France, on reconnut, dès la fin du XII<sup>e</sup> siècle, l'avantage qu'il y aurait à
élever les clefs des formerets et arcs doubleaux au niveau des clefs des arcs
ogives: 1º pour pouvoir prendre des jours plus hauts; 2º pour laisser
passer les entraits des charpentes au-dessus des voûtes, sans élever
démesurément les murs latéraux. On voulut imiter ce perfectionnement
dans les provinces anglo-normandes. Là, il se présentait une difficulté: le
principe de construction des rangs des
</div>
[[Image:Voute.eglise.Mouliherne.png|center]]
<div class="text">
<br>
moellons de remplissage dérivé de la coupole se prêtait mal à l'adoption de cette innovation. Nous venons de
dire qu'un nerf avait dû être posé sous la rencontre des abouts de ces
rangs de moellon. Or, soit une voûte anglo-normande dont nous donnons
la coupe (69), lorsqu'elle était construite suivant le tracé A, le nerf
réunissant les clefs BC pouvait offrir par sa courbure une parfaite résistance;
mais si elle était construite conformément au tracé D, d'après la
nouvelle méthode française, le nerf
</div>
[[Image:Voute.anglo.normande.png|center]]
<div class="text">
<br>
saillant CE n'avait plus assez de flèche pour présenter une résistance suffisante; si la voûte était grande, il y avait
à craindre que ce nerf ne vînt à fléchir en G, vers le milieu de sa longueur.
Pour parer à ce danger, les constructeurs anglo-normands
n'abandonnèrent
pas pour cela leur méthode de remplissage; ils préférèrent soutenir
ce point faible G par de nouveaux nerfs saillants, tracés en HI sur la
projection horizontale K, et alors, au lieu de bander les arcs de remplissage
en moellons comme il est tracé en L, ils les posèrent ainsi qu'il est tracé
en K. En examinant le quart de voûte OMPI, on reconnaît que sa surface
intérieure était bien près déjà, par suite de la disposition des rangs de
moellons de remplissage, de donner une portion de cône curviligne
concave. Une fois sur cette voie, les constructeurs anglo-normands ne songèrent
plus à la voûte française: ils développèrent franchement le principe
qu'ils n'avaient admis peut-être, dans l'origine, qu'à leur insu; ils ne virent
dans la voûte gothique qu'un réseau d'arcs s'entrecroisant, se
contre-étayant
réciproquement, et soutenant des remplissages ne donnant plus
chacun que des surfaces à peine concaves.
</div>
[[Image:Plan.voute.cathedrale.Ely.png|center]]
<div class="text">
Au milieu du XIII<sup>e</sup> siècle déjà, ils élevaient le chœur de la cathédrale
d'Ély, dont les voûtes hautes donnent la projection horizontale (70) et la
coupe CD faite suivant C'D'. Se fiant sur la force de ces arcs croisés et
contre-étayés, ils n'hésitèrent pas à élever les clefs C'D' des formerets EF
au-dessus des clefs G, afin de prendre des jours très-hauts, comme l'indique
la coupe CD. Mais l'apparence de ces voûtes, à l'intérieur, est autre
que celle des voûtes françaises. Voici la vue perspective d'une
</div>
[[Image:Naissance.voute.cathedrale.Ely.png|center]]
 
[[Image:Plan.naissance.voute.cathedrale.Ely.png|center]]
<div class="text">
<br>
naissance des voûtes du chœur de la cathédrale d'Ély (71). On voit que ces arcs ou
arêtes saillantes donnent une gerbe de courbes dont une portion
considérable
présente une surface conique curviligne concave, et pour rendre cet
effet plus saisissant, le constructeur a eu le soin de réunir tous ces arcs sur
le tailloir des chapiteaux en un faisceau compacte dont nous indiquons le lit
inférieur (71 bis) en A, et la section horizontale au niveau B, en C. Mais
si cette section horizontale trace une portion de polygone portant sur les
branches de D en E; de D en F, qui est l'arc formeret, elle rentre brusquement,
car la naissance de ce formeret étant beaucoup plus élevée que
celle des arcs ogives, arcs doubleaux et tiercerons, le remplissage de
moellons GF doit s'élever verticalement dans un plan passant par GF. Ces
voûtes présentent donc, jusqu'à la naissance des formerets, un groupe de
nervures se détachant de la construction, une masse compacte, lourde par
le fait, avec une certaine prétention à la légèreté. Voulant conserver les
clefs des formerets au niveau des clefs d'arcs ogives, ainsi que nous
l'avons dit plus haut, et étant évidemment gênés dans leurs combinaisons
par ces surfaces rentrantes et verticales GF, les constructeurs
anglo-normands
prirent le parti de relever les naissances des arcs
</div>
[[Image:Schema.voutes.portion.ellipse.png|center]]
<div class="text">
<br>
doubleaux, arcs ogives et tiercerons, au niveau de celles des formerets. La présence
de la
surface FG verticale, à côté des surfaces courbes DE, n'était pas logique
pour des <i>rationalistes</i>. Mais, plaçant les naissances de tous les arcs de la
voûte au même niveau pour éviter ces surfaces verticales, les architectes
anglais prétendaient cependant poser les clefs des arcs ogives et arcs
doubleaux sur une même ligne horizontale; il fallait alors que ces arcs
doubleaux et arcs ogives fussent très-surbaissés. On arriva donc, en
Angleterre, à abandonner pour les arcs doubleaux la courbe en
tiers-point,
et pour les arcs ogives la courbe plein cintre, et à adopter des courbes
composées de portions d'ellipses en conservant seulement les courbes en
tiers-point franches pour les formerets, ainsi que l'indique la fig. 72; les
clefs ABC sont dans un même plan horizontal. De ces gerbes de nerfs
formant comme des pyramides ou des cônes curvilignes renversés aux
voûtes composées de cônes curvilignes se pénétrant, il n'y a pas loin; les
constructeurs de la fin du XIV<sup>e</sup> siècle, en Angleterre, arrivèrent bientôt à
cette dernière conséquence (72 bis). Mais ces voûtes ne sont plus fermées
par des remplissages en maçonnerie de moellon sur des arcs appareillés;
ce sont des voûtes entièrement composées de grandes pierres d'appareil,
peu épaisses, exigeant des épures, un tracé compliqué et certains artifices,
tels, par exemple, que des arcs doubleaux noyés dans les pavillons renversés, ainsi que nous l'avons marqué en ABC, sur le tracé figurant
l'extrados de la voûte<span id="note8"></span>[[#footnote8|<sup>8</sup>]].
</div>
[[Image:Voute.anglo.normande.XIVe.siecle.png|center]]
<div class="text">
C'est ainsi que, par une suite de déductions, très-logiques d'ailleurs,
les constructeurs anglo-normands passèrent de la coupole à ces voûtes
étranges composées de pénétrations de cônes curvilignes, et s'éloignèrent
entièrement de la construction française. En Normandie, ces voûtes ne
furent jamais adoptées; mais de l'influence anglaise il resta quelque chose.
Dans cette province, on abandonna souvent, vers la fin du XV<sup>e</sup> siècle, les
voûtes composées de rangs de moellons bandés sur des arcs. On voulut
aussi faire de l'appareil. Les Normands, les Manceaux, les Bretons firent
volontiers des voûtes composées: soit de grandes dalles appareillées,
décorées de moulures à l'intérieur, se soutenant par leurs coupes, sans le
secours des arcs, soit de plafonds en pierre posés sur des arcs. <span id=La.Ferte.Bernard></span>On voit,
dans l'église de la [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes M#La.Ferte.Bernard|Ferté-Bernard]], près le Mans, de jolies chapelles du
XVI<sup>e</sup> siècle ainsi voûtées<span id="note9"></span>[[#footnote9|<sup>9</sup>]] (73). Ce sont des dalles sculptées en caissons à
l'intérieur, posées sur des claires-voies de pierre portées par des arcs
ogives. Ce système de construction est élégant et ingénieux; mais on
voudrait voir ici des fenêtres carrées, car les formerets en
tiers-point qui
les ferment n'ont plus de raison d'être. Le système des voûtes gothiques
devait en venir là, c'était nécessairement sa dernière expression. Fermer
les intervalles laissés entre les arcs par des plafonds, et, au besoin, multiplier
les arcs à ce point de n'avoir plus entre eux que des surfaces pouvant
être facilement remplies par une ou deux dalles, c'était arriver à la limite
du système, et c'est ce qui fut tenté, souvent avec succès, au commencement
de la renaissance, soit dans les monuments religieux, soit dans
l'architecture civile. Il convient même de rendre cette justice aux architectes
de la renaissance française qu'ils surent employer avec une grande
liberté les méthodes gothiques touchant la construction des voûtes, et
qu'en s'affranchissant de la routine dans laquelle se tenaient les maîtres
du XV<sup>e</sup> siècle, ils appliquèrent aux formes nouvelles les ressources de l'art
de la construction du moyen âge.
</div>
[[Image:Voute.eglise.Ferte.Bernard.png|center]]
<div class="text">
Au commencement du XVI<sup>e</sup> siècle, les architectes employèrent
très-fréquemment
le système de voûtes composées de dalles portées sur des
nerfs, ce qui leur permit de décorer ces voûtes de riches sculptures
et
d'obtenir des effets inconnus jusqu'alors. Composant des sortes de réseaux
de pierre, avec clefs pendantes ou rosaces aux points de rencontre des
nervures, ils posèrent des dalles sculptées entre elles. Ce parti fut souvent
adopté, par exemple, pour voûter des galeries ou des rampes d'escaliers
en berceau surbaissé (74). Chaque claveau d'arête transversale A porte,
des deux côtés de la petite clef pendante, une coupe B pour recevoir les
claveaux C longitudinaux; les dalles D viennent simplement reposer en
feuillures sur ces claveaux, ainsi que l'indique le détail X; A' est la coupe
de l'un des arcs transversaux, B' un des claveaux de plates-bandes longitudinales,
D' la coupe de la dalle. Cette méthode est simple, et une
pareille construction est bonne, facile à exécuter, les dalles pouvant être
sculptées avant la pose; elle présente toute l'élasticité que les constructeurs
gothiques avaient obtenue dans la combinaison de leurs voûtes.
Mais les artistes de la renaissance oublièrent assez promptement ces traditions
excellentes, et s'ils conservèrent encore longtemps ces formes
dérivées d'un principe raisonné de construction, ils appareillèrent ces
sortes de voûtes comme des berceaux ordinaires, ne considérant plus les
arêtes comme des nerfs indépendants.
 
Pendant les XV<sup>e</sup> et XVI<sup>e</sup> siècles, les Anglais et les Normands étaient
arrivés, dans la construction des voûtes, à produire des effets surprenants
par leur combinaison et leur richesse. Les architectes de
l'Île-de-France,
de la Champagne, de la Bourgogne et de la Loire, conservèrent, même
dans ces derniers temps de la période gothique, plus de sobriété; pendant
le XVI<sup>e</sup> siècle, ils cherchèrent bientôt à reproduire les formes, sinon la
structure de la voûte romaine.
</div>
[[Image:Voute.XVIe.siecle.png|center]]
<div class="text">
Lorsque le caractère des populations est laissé à ses inspirations et n'est
pas faussé par un esprit de système étroit, il se peint avec une franchise
entière dans les œuvres d'art, et particulièrement dans celles qui sont en
grande partie le résultat d'un raisonnement. Les Normands ont toujours
été plutôt des praticiens hardis que des inventeurs; ils ont su, de tout
temps, s'approprier les découvertes de leurs voisins et en tirer parti chez
eux. Il ne faudrait pas leur demander ces efforts de l'imagination, ces
conceptions qui appartiennent aux génies plus méridionaux, mais bien
des applications ingénieuses, réfléchies, une exécution suivie et savante,
la persistance et le soin dans l'exécution des détails. Ces qualités se
retrouvent dans les édifices anglo-normands bâtis pendant les XII<sup>e</sup> et
XIII<sup>e</sup> siècles. Il ne faut pas demander aux Anglo-Normands cette liberté
d'allures, cette variété, cette individualité que nous trouvons dans notre
construction française. Chez eux, une méthode passe-t-elle pour bonne et
pratique, ils la perfectionnent, en étendent les conséquences, en suivent
les progrès et s'y tiennent. Chez nous, au contraire, on cherche toujours
et on ne perfectionne rien. Les constructions anglo-normandes sont généralement
exécutées avec beaucoup plus de soin que les nôtres; mais en
connaître une, c'est les connaître toutes: on n'y voit point éclater ces
inspirations neuves, hardies, qui ont tourmenté nos architectes des premiers
temps de l'art gothique; véritable époque d'émancipation
intellectuelle
des classes laborieuses du nord de la France.
 
<br><br>
----
 
<span id="footnote1">[[#note1|1]] : Bas-côté du chœur de Notre-Dame-du-Port, à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clermont.Ferrant|Clermont]].
 
<span id="footnote2">[[#note2|2]] : Ces arcs ont été détruits depuis et remplacés par des maçonneries et du bois
lorsqu'on refît les couvertures, au XV<sup>e</sup> siècle. Il serait temps de penser à les replacer.
 
<span id="footnote3">[[#note3|3]] : Il est entendu que nous ne parlons ici que de la construction primitive du chœur
de Notre-Dame de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]], avant la construction des chapelles rayonnantes.
 
<span id="footnote4">[[#note4|4]] : On remarquera, en effet, que ces premières voûtes sont, comparativement à celles
du milieu du XIII<sup>e</sup> siècle, assez plates, et que leurs arcs doubleaux se rapprochent du
plein cintre. Plus tard, ces voûtes parurent trop peu solides; on donna de l'aiguïté aux
arcs ogives, ou bien on suréleva leur naissance, afin de pouvoir élever les clefs des arcs
doubleaux.
 
<span id="footnote5">[[#note5|5]] : Pour ne pas compliquer la figure, nous supposons un nombre de divisions de
douelles très-limité. L'opération est la même, quelle que soit la division des douelles.
 
<span id="footnote6">[[#note6|6]] : Les remplissages des grandes voûtes de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]] n'ont pas plus de 0,10 c. d'épaisseur.
 
<span id="footnote7">[[#note7|7]] : Voûtes du cloître de Fontfroide près Narbonne, des
bas-côtés de la cathédrale d'Ély, du cloître de Westminster (Angleterre), des bas-côtés de l'église d'Eu.
 
<span id="footnote8">[[#note8|8]] : Voy. le <i>Mémoire de M. le D<sup>r</sup> Willis sur la construction des voûtes au moyen âge</i>,
et la trad. de M. C. Daly, t. IV de la <i>Revue d'Archit.</i>
 
<span id="footnote9">[[#note9|9]] : La construction de ces chapelles date de 1543 et 1544.