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=== ARCHITECTURE MONASTIQUE ===
 
Pendant les premiers siècles du christianisme,
des chrétiens fuyant les excès et les malheurs auxquels la
société nouvelle était en butte, s'établirent dans des lieux déserts. C'est en
Orient où l'on voit d'abord la vie cénobitique se développer et suivre, dès
le IV<sup>e</sup> siècle, la règle écrite par saint Basile; en Occident les solitudes se
peuplent de religieux réunis par les règles de saint Colomban et de saint
Ferréol. Mais alors ces premiers religieux retirés dans des cavernes, dans
des ruines, ou dans des huttes séparées, adonnés à la vie contemplative,
et cultivant quelques coins de terre pour subvenir à leur nourriture, ne
formaient pas encore ces grandes associations connues plus tard sous le nom
de monastères; ils se réunissaient seulement dans un oratoire construit en
bois ou en pierre sèche, pour prier en commun. Fuyant le monde, professant
la plus grande pauvreté, ces hommes n'apportaient dans leurs
solitudes ni art, ni rien de ce qui pouvait tenter la cupidité des barbares,
ou des populations indigènes. Au VI<sup>e</sup> siècle, saint Benoît donna sa règle;
du Mont-Cassin elle se répandit bientôt dans tout l'Occident avec une rapidité
prodigieuse, et devint la seule pratiquée pendant plusieurs siècles.
Pour qu'une institution ait cette force et cette durée, il faut qu'elle réponde
à un besoin général. En cela, et considérée seulement au point de
vue philosophique, la règle de saint Benoît est peut-être le plus grand fait
historique du moyen âge. Nous qui vivons sous des gouvernements réguliers,
au milieu d'une société policée, nous nous représentons difficilement
l'effroyable désordre de ces temps qui suivirent la chute de l'empire
romain en Occident: partout des ruines, des déchirements incessants, le
triomphe de la force brutale, l'oubli de tout sentiment de droit, de justice,
le mépris de la dignité humaine; des terres en friches sillonnées de bandes
affamées, des villes dévastées, des populations entières chassées, massacrées,
la peste, la famine, et à travers ce chaos d'une société à l'agonie,
des inondations de barbares revenant périodiquement dans les Gaules,
comme les flots de l'Océan sur des plages de sable. Les moines descendus du
Mont-Cassin, en se répandant en Germanie, dans les Gaules, et jusqu'aux
limites septentrionales de l'Europe, entraînent avec eux une multitude
de travailleurs, défrichent les forêts, rétablissent les cours d'eau, élèvent
des monastères, des usines, autour desquels les populations des campagnes
viennent se grouper, trouvant dans ces centres une protection morale plus
efficace que celle accordée par des conquérants rusés et cupides. Ces nouveaux
apôtres ne songent pas seulement aux besoins matériels qui doivent
assurer leur existence et celle de leurs nombreux colons, mais ils cultivent
et enseignent les lettres, les sciences et les arts; ils fortifient les
âmes, leur donnent l'exemple de l'abnégation, leur apprennent à aimer et
protéger les faibles, à secourir les pauvres, à expier des fautes, à pratiquer
les vertus chrétiennes, à respecter leur semblables; ce sont eux qui jettent
au milieu des peuples avilis les premiers germes de liberté, d'indépendance,
qui leur donnent l'exemple de la résistance morale à la force brutale,
et qui leur ouvrent, comme dernier refuge contre les maux de l'âme
et du corps, un asile de prière inviolable et sacré. Aussi voyons-nous, dès
le IXe siècle, les établissements monastiques arrivés déjà à un grand développement;
non-seulement ils comprennent les édifices du culte, les logements
des religieux, les bâtiments destinés aux approvisionnements, mais
aussi des dépendances considérables, des infirmeries pour les vieillards,
des écoles, des cloîtres pour les novices, pour les étrangers; des locaux
séparés pour divers corps d'états, des jardins, etc., etc. Le plan de l'abbaye
de Saint-Gall, exécuté vers l'année 820, et que possèdent encore les
archives de ce monastère supprimé, est un projet envoyé par un dessinateur
à l'abbé Gozbert. Mabillon pense que ce dessin est dû à l'abbé
Éginhard, qui dirigeait les constructions de la cour sous Charlemagne;
quel que soit son auteur, il est d'un grand intérêt, car il donne le programme
d'une abbaye à cette époque, et la lettre à l'abbé Gozbert, qui
accompagne le plan, ne peut laisser de doutes sur l'autorité du personnage qui l'a écrite<span id="note1"></span>[[#footnote1|<sup>1</sup>]]. Nous présentons ici (1) une réduction de ce dessin<span id="note2"></span>[[#footnote2|<sup>2</sup>]].
</div>
[[Image:Plan.abbaye.Saint.Gall.png|center]]
<div class="text">
L'église occupe une grande place dans ce plan, elle est à deux absides
opposées comme beaucoup d'églises rhénanes (voy, [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1, Architecture religieuse|Architecture Religieuse]]):
A est le chœur à l'orient, la confession sous le sanctuaire; BD
l'exèdre, la place de l'abbé et des dignitaires; C l'autel de sainte Marie et
de saint Gall, avec une sorte de galerie alentour, intitulée sur le plan
''involutio circum''; derrière l'autel dédié à saint Gall est son sarcophage.
E des stalles pour les religieux, les deux ambons pour lire l'épître et
l'évangile; F divers autels; G les fonts baptismaux; H un second chœur
à l'occident; I un second exèdre pour les religieux; K l'école, avec ses
cours disposées comme les ''impluvium'' romains, et des salles alentour;
des latrines isolées communiquent au bâtiment par un passage; à l'ouest
de ce bâtiment, des celliers, une boulangerie et une cuisine pour les hôtes;
L la sacristie à la droite du chœur oriental; M une salle pour les scribes à
la gauche du chœur, avec bibliothèque au-dessus; NN deux escaliers à vis,
montant dans deux salles circulaires où se trouvent placés des autels dédiés
aux archanges saints Michel et Gabriel; O l'entrée de l'église réservée
au peuple, avec narthex; autour du sanctuaire I un double collatéral
pour les fidèles; P le vestibule des familiers du couvent; R le vestibule
des hôtes et des écoliers. Le long du bas côté nord sont disposées
diverses salles destinées aux maîtres des écoles, à ceux qui demandent
asile, des dortoirs; S le réfectoire avec vestiaire au-dessus; T le cellier avec
salle au-dessus pour conserver des provisions de bouche; U des bains;
V le dortoir avec chauffoir au-dessous; le tuyau de la cheminée est isolé;
X des latrines isolées et réunies au dortoir par un passage étroit et coudé;
Y la cuisine avec passage étroit et coudé communiquant au réfectoire; ces
passages sont évidemment disposés ainsi afin d'empêcher les odeurs de se
répandre, soit dans le dortoir, soit dans le réfectoire; Z l'officine pour
faire le pain sacré; ''b'' le jardin potager, chaque plate-bande est indiquée
avec le nom des légumes qui doivent y être cultivés; ''b' '' la maison du
jardinier; ''d'' le verger avec l'indication des arbres à fruits et leur nom; ''e'' un
bâtiment réservé aux novices d'un côté et aux infirmes de l'autre avec chapelle
double, chacun de ces bâtiments contient un cloître avec salles
alentour, des chauffoirs , des latrines isolées; ''f'' les poulaillers et le logement
du chef de la basse-cour; ''g'' le logement du médecin; ''h'' un petit
jardin pour cultiver des plantes médicinales; ''h' '' la pharmacie; ''i'' le logement
de l'abbé; ''j'' la cuisine de l'abbé, un cellier, des bains, et les chambres
de ses familiers; ''l'' le logement des hôtes avec écurie, chambres pour les
serviteurs, réfectoire au centre, chauffoir et latrines isolées; ''m'' des logements
avec écuries et étables pour les palefreniers, les bergers, porchers,
les familiers, les serviteurs, etc.; ''n'' l'habitation des tonneliers, cordiers,
bouviers, avec étables; des magasins de grains, une officine pour torréfier
des graines; ''o'' des bâtiments destinés à la fabrication de la cervoise, des
logements de serfs, un moulin à bras et des mortiers; ''p'' les logements
et ateliers des cordonniers, bourreliers, armuriers, fabricants de boucliers,
tourneurs, corroyeurs, orfèvres, serruriers, ouvriers fouleurs; ''q'' le fruitier;
''r'' les logements des pèlerins, des pauvres, leur cuisine et réfectoire.
 
Sous Charlemagne les établissements religieux avaient acquis des richesses
et une importance déjà considérables; ils tenaient la tête de l'enseignement,
de l'agriculture, de l'industrie, des arts et des sciences; seuls, ils
présentaient des constitutions régulières, stables. C'était de leur sein que
sortaient tous les hommes appelés à jouer un rôle en dehors de la carrière
des armes. Depuis sa fondation jusqu'au concile de Constance, en 1005,
l'ordre de Saint-Benoît avait fondé quinze mille soixante-dix abbayes dans le
monde alors connu, donné à l'Église vingt-quatre papes, deux cents cardinaux,
quatre cents archevêques, sept mille évêques. Mais cette influence
prodigieuse avait été la cause de nombreux abus, même au sein du clergé
régulier; la règle de Saint-Benoît était fort relâchée dès le X<sup>e</sup> siècle, les
invasions périodiques des Normands avaient détruit des monastères, dispersé
les moines; la misère, le désordre qui en est la suite, altéraient
les caractères de cette institution; le morcellement féodal achevait de détruire
ce que l'abus de la richesse et du pouvoir, aussi bien que le malheur
des temps, avait entamé. L'institut monastique ne pouvait revivre et
reprendre le rôle important qu'il était appelé à jouer pendant les XIe et
XII<sup>e</sup> siècles qu'après une réforme. La civilisation moderne, à peine naissante
sous le règne de Charlemagne, semblait expirante au X<sup>e</sup> siècle; mais
de l'ordre de Saint-Benoît, réformé par les abbés de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]], par la règle de
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]], il devait surgir des rejetons vivaces. <span id=Cluny1>Au X<sup>e</sup> siècle [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]] était un
petit village du Mâconnais, qui devint, par testament, la propriété du duc
d'Aquitaine, Guillaume le Pieux. Vers la fin de sa vie le duc Guillaume
voulut, suivant l'usage d'un grand nombre de seigneurs puissants, fonder
un nouveau monastère. Il manda Bernon, d'une noble famille de Séquanie,
abbé de Gigny et de Baume, et voulut, en compagnie de ce saint
personnage, chercher un lieu propice à la réalisation de son projet. «Ils
arrivèrent enfin, dit la chronique, dans un lieu écarté de toute société
humaine, si désert qu'il semblait en quelque sorte ''l'image de la solitude
céleste''. C'était [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]]. Mais comme le duc objectait qu'il n'était guère
possible de s'établir en tel lieu, à cause des chasseurs et des chiens qui
remplissaient et troublaient les forêts dont le pays était couvert, Bernon
répondit en riant: ''Chassez les chiens et faites venir des moines; car ne
savez-vous pas quel profit meilleur vous demeurera des chiens de chasse
ou des prières monastiques?'' Cette réponse décida Guillaume, et l'abbaye
fut créée<span id="note3"></span>[[#footnote3|<sup>3</sup>]].» C'était vers 909. Nous croyons devoir transcrire ici le testament,
l'acte de donation du duc Guillaume; cette pièce est une œuvre remarquable
autant par l'élévation et la simplicité du langage, que par les
détails pleins d'intérêt qu'elle renferme, et l'esprit qui l'a dictée<span id="note4"></span>[[#footnote4|<sup>4</sup>]]; elle fait
comprendre d'ailleurs l'importance morale et matérielle que l'on donnait
alors aux établissements religieux, les influences auxquelles on voulait les
soustraire, et la grande mission civilisatrice qui leur était confiée: elle révèle
enfin toute une époque.
 
«Tout le monde peut comprendre, dit le testateur, que Dieu n'a donné
des biens nombreux aux riches que pour qu'ils méritent les récompenses
éternelles, en faisant un bon usage de leurs possessions temporaires.
C'est ce que la parole divine donne à entendre et conseille manifestement
lorsqu'elle dit: ''Les richesses de l'homme sont la rédemption de son
âme'' (Proverbes). Ce que moi, Guillaume, comte et duc, et Ingelberge,
ma femme, pesant mûrement, et désirant, quand il en est temps encore,
pourvoir à mon propre salut, j'ai trouvé bon, et même nécessaire, de
disposer au profit de mon âme de quelques-unes des choses qui me sont
advenues dans le temps. Car je ne veux pas, à mon heure dernière, mériter
le reproche de n'avoir songé qu'à l'augmentation de mes richesses
terrestres et au soin de mon corps, et ne m'être réservé aucune consolation
pour le moment suprême qui doit m'enlever toutes choses. Je ne
puis, à cet égard, mieux agir qu'en suivant le précepte du Seigneur:
''Je me ferai des amis parmi les pauvres'', et en prolongeant perpétuellement
mes bienfaits dans la réunion de personnes monastiques que je
nourrirai à mes frais; dans cette foi, dans cette espérance, que si je ne
puis parvenir assez moi-même à mépriser les choses de la terre, cependant
je recevrai la récompense des justes, lorsque les moines, contempteurs
du monde, et que je crois justes aux yeux de Dieu, auront
recueilli mes libéralités. C'est pourquoi, à tous ceux qui vivent dans la
foi et implorent la miséricorde du Christ, à tous ceux qui leur succéderont
et qui doivent vivre jusqu'à la fin des siècles, je fais savoir que,
pour l'amour de Dieu et de notre sauveur Jésus-Christ, je donne et livre
aux saints apôtres Pierre et Paul tout ce que je possède à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]], situé
sur la rivière de Grône, avec la chapelle qui est dédiée à sainte Marie,
mère de Dieu, et à saint Pierre, prince des apôtres, sans rien excepter
de toutes les choses qui dépendent de mon domaine de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]] (villa),
fermes, oratoires, esclaves des deux sexes, vignes, champs, prés, forêts,
eaux, cours d'eau, moulins, droit de passage, terres incultes ou cultivées,
sans aucune réserve. Toutes ces choses sont situées dans la comté
de Mâcon ou aux environs, et renfermées dans leurs confins, et je les
donne auxdits apôtres, moi, Guillaume et ma femme Ingelberge, d'abord
pour l'amour de Dieu, ensuite pour l'amour du roi Eudes, mon seigneur,
de mon père et de ma mère; pour moi et pour ma femme, c'est-à-dire
pour le salut de nos âmes et de nos corps; pour l'âme encore
d'Albane, ma sœur, qui m'a laissé toutes ces possessions dans son testament;
pour les âmes de nos frères et de nos sœurs, de nos neveux et
et de tous nos parents des deux sexes; pour les hommes fidèles qui sont
attachés à notre service; pour l'entretien et l'intégrité de la religion catholique.
Enfin, et comme nous sommes unis à tous les chrétiens par
les liens de la même foi et de la même charité, que cette donation soit
encore faite pour tous les orthodoxes des temps passés, présents et
futurs. Mais je donne sous la condition qu'un monastère régulier sera
construit à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]], en l'honneur des apôtres Pierre et Paul, et que là se
réuniront les moines, vivant selon la règles de Saint-Benoît, possédant,
détenant et gouvernant à perpétuité les choses données: de telle sorte
que cette maison devienne la vénérable demeure de la prière, qu'elle
soit pleine sans cesse de vœux fidèles et de supplications pieuses, et
qu'on y désire et qu'on y recherche à jamais, avec un vif désir et une
ardeur intime, les merveilles d'un entretien avec le ciel. Que des sollicitations
et des prières continuelles y soient adressées sans relâche au Seigneur,
tant pour moi que pour toutes les personnes que j'ai nommées.
Nous ordonnons que notre donation serve surtout à fournir un refuge
à ceux qui, sortis pauvres du siècle, n'y apporteront qu'une volonté
juste; et nous voulons que notre superflu devienne ainsi leur abondance.
Que les moines, et toutes les choses ci-dessus nommées, soient sous la
puissance et domination de l'abbé Bernon, qui les gouvernera régulièrement,
tant qu'il vivra, selon sa science et sa puissance. Mais, après sa
mort, que les moines aient le droit et la faculté d'élire librement pour
abbé et pour maître un homme de leur ordre, suivant le bon plaisir de
Dieu et la règle de Saint-Benoît, sans que notre pouvoir, ou tout autre,
puisse contredire ou empêcher cette élection religieuse<span id="note5"></span>[[#footnote5|<sup>5</sup>]]. Que les moines
payent pendant cinq ans à Rome la redevance de dix sous d'or pour le
luminaire de l'église des apôtres, et que, se mettant ainsi sous la protection
desdits apôtres, et ayant pour défenseur le pontife de Rome<span id="note6"></span>[[#footnote6|<sup>6</sup>]], ils
bâtissent eux-mêmes un monastère à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]], dans la mesure de leur pouvoir
et de leur savoir, dans la plénitude de leur cœur. Nous voulons
encore que, dans notre temps, et dans le temps de nos successeurs,
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]] soit, autant que le permettront du moins l'opportunité du temps
et la situation du lieu, ouvert chaque jour, par les œuvres et les intentions
de la miséricorde, aux pauvres, aux nécessiteux, aux étrangers et
aux pèlerins.
 
Il nous a plu d'insérer dans ce testament que, dès ce jour, les moines
réunis à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]], en congrégation, seront pleinement affranchis de notre
puissance et de celle de nos parents, et ne seront soumis ni aux faisceaux,
de la grandeur royale, ni au joug d'aucune puissance terrestre<span id="note7"></span>[[#footnote7|<sup>7</sup>]]. Par Dieu,
en Dieu et tous ses saints, et sous la menace redoutable du jugement
dernier, je prie, je supplie que ni prince séculier, ni comte, ni évêque,
ni le pontife lui-même de l'Église romaine, n'envahisse les possessions
des serviteurs de Dieu, ne vende, ne diminue, ne donne à titre de bénéfice,
à qui que ce soit, rien de ce qui leur appartient, et ne permette
d'établir sur eux un chef contre leur volonté! Et pour que cette défense
lie plus fortement les méchants et les téméraires, j'insiste et j'ajoute, et
je vous conjure, ô saints apôtres Pierre et Paul, et toi pontife des pontifes
du siège apostolique, de retrancher de la communion de la sainte
Église de Dieu et de la vie éternelle, par l'autorité canonique et apostolique
que tu as reçue de Dieu, les voleurs, les envahisseurs, les vendeurs
de ce que je vous donne, de ma pleine satisfaction et de mon évidente
volonté. Soyez les tuteurs et les défenseurs de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]], et des serviteurs;
de Dieu qui y demeureront et séjourneront ensemble, ainsi que de tous
leurs domaines destinés à l'aumône, à la clémence et à la miséricorde de
notre très-pieux Rédempteur. Que si quelqu'un, mon parent ou étranger,
de quelque condition ou pouvoir qu'il soit (ce que préviendra, je l'espère,
la miséricorde de Dieu et le patronage des apôtres), que si quelqu'un,
de quelque manière et par quelque ruse que ce soit, tente de
violer ce testament, que j'ai voulu sanctionner par l'amour de Dieu
tout-puissant, et par le respect dû aux princes des apôtres Pierre et
Paul, qu'il encoure d'abord la colère de Dieu tout-puissant; que Dieu
l'enlève de la terre des vivants, et efface son nom du livre de vie; qu'il
soit avec ceux qui ont dit à Dieu: Retire-toi de nous; qu'il soit avec
Dathan et Abiron, sous les pieds desquels la terre s'est ouverte, et que
l'enfer a engloutis tout vivants. Qu'il devienne le compagnon de Judas,
qui a trahi le Seigneur, et soit enseveli comme lui dans des supplices
éternels. Qu'il ne puisse, dans le siècle présent, se montrer impunément,
aux regards humains, et qu'il subisse, dans son propre corps, les tourments
de la damnation future, en proie à la double punition d'Héliodore
et d'Antiochus, dont l'un s'échappa à peine et demi-mort des coups
répétés de la flagellation la plus terrible, et dont l'autre expira misérablement,
frappé par la main d'en haut, les membres tombés en pourriture
et rongés par des vers innombrables. Qu'il soit enfin avec tous les
autres sacrilèges qui ont osé souiller le trésor de la main de Dieu: et, s'il
ne revient pas, à résipiscence, que le grand porte-clefs de toute la monarchie
des églises, et à lui joint saint Paul, lui ferment à jamais l'entrée
du bienheureux paradis, au lieu d'être pour lui, s'il l'eût voulu, de très-pieux
intercesseurs. Qu'il soit saisi, en outre, par la loi mondaine, et
condamné par le pouvoir judiciaire à payer cent livres d'or aux moines
qu'il aura voulu attaquer, et que son entreprise criminelle ne produise
aucun effet. Et que ce testament soit revêtu de toute autorité, et demeure
à toujours ferme et inviolable dans toutes ses stipulations. Fait publiquement
dans la ville de Bourges.»
 
Les imprécations contenues dans cet acte de donation contre ceux qui
oseront mettre la main sur les biens des moines de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]], ou altérer leurs
privilèges, font voir de quelles précautions les donateurs croyaient alors
devoir entourer leur legs<span id="note8"></span>[[#footnote8|<sup>8</sup>]]. Le vieux duc Guillaume ne s'en tint pas là, il fit
le voyage de Rome afin de faire ratifier sa donation, et payer à l'église des
apôtres la redevance promise. Bernon, suivant la règle de Saint-Benoît,
installa à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]] douze moines de ses monastères, et éleva des bâtiments
qui devaient contenir la nouvelle congrégation. Mais c'est saint Odon, second
abbé de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]], qui mérite seul le titre de chef et de créateur de la maison.
Odon descendait d'une noble famille franque; c'était un homme profondément
instruit, qui bientôt acquit une influence considérable: il fit trois
voyage à Rome, réforma dans cette capitale le monastère de Saint-Paul-hors-les-murs;
il soumit également à la règle de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]] les couvents de
Saint-Augustin de Pavie, de Tulle en Limousin, d'Aurillac en Auvergne,
de Bourg-Dieu et de Massay en Berry, de Saint-Benoît-sur-Loire, de Saint-Pierre-le-Vif
à Sens, de Saint-Allire de Clermont, de Saint-Julien de Tours,
de Sarlat en Périgord, de Roman-Moûtier dans le pays de Vaud; il fut
choisi comme arbitre des différends qui s'étaient élevées entre Hugues, roi
d'Italie, et Albéric, patrice de Rome. Ce fut Odon qui le premier réalisa la
pensée d'adjoindre à son abbaye, et sous l'autorité de l'abbé, les communautés
nouvelles qu'il érigeait et celles dont il parvenait à réformer l'observance.
«Point d'abbés particuliers, mais des prieurs seulement pour
tous ces monastères; l'abbé de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]] seul les gouvernait: unité de régime,
de statuts, de règlements, de discipline. C'était une agrégation de monastères
autour d'un seul, qui en devenait ainsi la métropole et la tête.
Ce système fut bientôt compris et adopté par d'autres établissements monastiques,
et notamment par [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]], fondé en 1098. Conservant la règle
de Saint-Benoît, ces agrégations ne différaient entre elles que par le centre
d'autorité monastique, par les divers moyens imaginés pour maintenir
l'esprit bénédictin, et par une plus ou moins grande austérité dans la discipline
commune. Nulle ne se proposait, à vrai dire, une autre fin que celle de
ses compagnes. Ce n'étaient point là proprement des différences d'ordres,
mais seulement de ''congrégations''. Partout la règle de Saint-Benoît demeurait
sauve, et par là l'unité de l'ordre se maintenait intacte, malgré des
rivalités qui éclatèrent plus tard<span id="note9"></span>[[#footnote9|<sup>9</sup>]].»
 
Ces réformes étaient devenues bien nécessaires, car depuis longtemps les
abbés et les moines avaient étrangement faussé la règle de Saint-Benoît.
Pendant les invasions des Normands particulièrement, la discipline s'était
perdue au milieu du désordre général, les abbayes étaient devenues des
forteresses plus remplies d'hommes d'armes que de religieux; les abbés
eux-mêmes commandaient des troupes laïques, et les moines chassés de
leurs monastères étaient obligés souvent de changer le froc contre la cotte
de buffle<span id="note10"></span>[[#footnote10|<sup>10</sup>]]. Toutefois, si après les réformes de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]] et de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]] les
abbés ne se mêlèrent plus dans les querelles armées des seigneurs laïques,
ils ne cessèrent de s'occuper d'intérêts temporels, d'être appelés par les
souverains non-seulement pour réformer des monastères, mais aussi
comme conseillers, comme ministres, comme ambassadeurs. Dès avant les
grandes associations clunisiennes et cisterciennes, on avait senti le besoin
de réunir en faisceau certaines abbayes importantes. Vers 842, l'abbé de
Saint Germain des Prés, Ébroïn et ses religieux avaient formé une association
avec ceux de Saint-Remy de Reims. Quelque temps auparavant les
moines de Saint-Denis en avaient fait autant. Par ces associations les
monastères se promettaient une amitié et une assistance mutuelle tant en
santé qu'en maladie, avec un certain nombre de prières qu'ils s'obligeaient
de faire après la mort de chaque religieux des deux communautés<span id="note11"></span>[[#footnote11|<sup>11</sup>]].
Mais c'est sous saint Odon et saint Maïeul, abbés de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]], que la règle de
Saint-Benoît réformée va prendre un lustre tout nouveau, fournir tous
les hommes d'intelligence et d'ordre qui, pendant près de deux siècles,
auront une influence immense dans l'Europe occidentale, car [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]] est le
véritable berceau de la civilisation moderne.
 
Maïeul gouverna l'abbaye de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]] pendant quarante ans, jusqu'en 994.
La chronique dit que ce fut un ange qui lui apporta le livre de la règle
monastique; devenu l'ami et le confident d'Othon le Grand, la tiare lui fut
offerte par son fils Othon II, qu'il avait réconcilié avec sa mère, sainte Adélaïde:
il refusa, sur ce que, disait-il, «les Romains et lui différaient autant
de mœurs que de pays.» Sous son gouvernement un grand nombre de
monastères furent soumis à la règle de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]]; parmi les plus importants
nous citerons ceux de Payerne, du diocèse de Lausanne; de Classe, près de
Ravenne; de Saint-Jean-l'Évangéliste, à Parme; de Saint-Pierre-au-ciel-d'or,
à Pavie; l'antique monastère de Lérins, en Provence; de Saint-Pierre,
en Auvergne; de Marmoutier, de Saint-Maur-les-Fossés et de Saint-Germain
d'Auxerre, de Saint-Bénigne de Dijon, de Saint-Amand, de Saint-Marcel-les-Châlons.
 
Saint Odilon, désigné par Maïeul comme son successeur, fut confirmé
par cent soixante dix-sept religieux de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]]: il réunit sous la discipline
clunisienne les monastères de Saint-Jean d'Angély, de Saint-Flour, de
Thiern, de Talui, de Saint-Victor de Genève, de Farfa en Italie; ce fut lui
qui exécuta la réforme de Saint-Denis en France qu'Hugues Capet avait
demandée à Maïeul. Casimir, fils de Miceslas II, roi de Pologne, chassé du
trône après la mort de son père, fut, sous Maïeul, diacre au monastère de
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]]; rappelé en Pologne en 1041, il fut relevé de ses vœux par le pape,
se maria, régna, et en mémoire de son ancien état monastique, il créa et
dota en Pologne plusieurs couvents qu'il peupla de religieux de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]]. On
prétend que ses sujets, pour perpétuer le souvenir de ce fait, s'engagèrent
à couper leurs cheveux en forme de couronne, symbole de la tonsure monastique.
Saint Odilon fut en relations d'estime ou d'amitié avec les papes
Sylvestre II, Benoît VIII, Benoit IX, Jean XVIII, Jean XIX et Clément II;
avec les empereurs Othon III, saint Henri, Conrad le Salique, Henri le
Noir; avec l'impératrice sainte Adélaïde, les rois de France Hugues Capet
et Robert, ceux d'Espagne, Sanche, Ramir et Garcias, saint Étienne de
Hongrie, Guillaume le Grand, comte de Poitiers. Ce fut lui qui fonda ce
que l'on appela la trêve de Dieu, et la fête des morts. Il bâtit à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]] un
cloître magnifique orné de colonnes de marbre qu'il fit venir par la Durance
et le Rhône. «J'ai trouvé une abbaye de bois, disait-il, et je la laisse
de marbre.» Mais bientôt l'immense influence que prenait [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]] émut
l'épiscopat: l'évêque de Mâcon, qui voyait croître en richesses territoriales,
en nombre et en réputation les moines de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]], voulut les faire rentrer
sous sa juridiction générale. En exécution des volontés du fondateur laïque
de l'abbaye, les papes avaient successivement accordé aux abbés des bulles
formelles d'exemption; ils menacèrent même d'excommunication tout
évêque qui serait tenté d'entreprendre sur les immunités accordées à
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]] par le Saint-Siège. «Les évêques ne pouvaient pénétrer dans l'abbaye,
la visiter, y exercer leurs fonctions, ''sans y être appelés par l'abbé''.
Ils devaient excommunier tout individu qui troublerait les moines dans
leurs possessions, leur liberté; et s'ils voulaient au contraire jeter un interdit
sur les prêtres, les simples laïques, les serviteurs, les fournisseurs, les
laboureurs, sur tous ceux enfin qui vivaient dans la circonscription abbatiale,
et qui étaient nécessaires à la vie physique ou spirituelle des moines,
cet interdit était nul de plein droit. Ces chartes abondent dans le cartulaire
de l'abbaye; plus de quarante papes, à différentes époques, confirment ou
amplifient les privilèges ecclésiastiques du monastère. En 1025, l'évêque
de Mâcon, Gaulenus, dénonça à l'archevêque de Lyon, son métropolitain,
''les abbés et religieux de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]], qui troublaient l'état mis en l'Église
dès sa naissance, pour s'exempter de la juridiction ordinaire de leur
diocésain''<span id="note12"></span>[[#footnote12|<sup>12</sup>]].»
 
L'abbé fut condamné après une longue résistance et se soumit. Le
temps n'était pas encore venu où la papauté pouvait soutenir les priviléges
qu'elle accordait; mais cette première lutte avec le pouvoir épiscopal
explique la solidarité qui unit [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]] et la cour de Rome quelques années
plus tard.
 
À vingt ans, Hugues, sous Odilon, était déjà prieur à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]]; il était lié
d'affection intime avec le moine Hildebrand. Hugues, fils de Dalmace,
comte de Semur en Brionnais, succéda à saint Odilon; Hildebrand devint
Grégoire VII. Tous deux, dans ces temps si voisins de la barbarie, surent
faire prédominer un grand principe, l'indépendance spirituelle de l'Église.
Grégoire VII triompha de Henri IV par le seul ascendant de l'opinion publique
et religieuse, et en mourant exilé, il n'en assura pas moins le trône
pontifical sur des bases inébranlables; saint Hugues sut rester l'ami des
deux rivaux qui remplirent le XI<sup>e</sup> siècle de leurs luttes. Il est le représentant
de l'esprit monastique arrivé à son apogée, dans un siècle où l'esprit
monastique seul était capable, par son unité, son indépendance, ses lumières,
et l'ordre qui le dirigeait, de civiliser le monde. Que ceux qui
reprochent aux bénédictins leurs immenses richesses, leur prépondérance,
leur esprit de propagande, et l'omnipotence qu'ils avaient su acquérir, se
demandent si tous ces biens terrestres et intellectuels eussent été alors
plus utilement placés pour l'humanité en d'autres mains? Était-ce la féodalité
séculière sans cesse divisée, guerroyante, barbare, ignorante; était-ce
le peuple qui se connaissait à peine lui-même; était-ce la royauté dont le
pouvoir contesté s'appuyait tantôt sur le bras séculier, tantôt sur l'ascendant
des évêques, tantôt sur le peuple des villes, qui pouvaient ainsi
réunir en un faisceau toutes les forces vitales d'un pays, les coordonner,
les faire fructifier, les conserver et les transmettre intactes à la postérité?
Non, certes; les ordres religieux, voués au célibat, réunis sous une règle
commune, attachés par des vœux inviolables et sacrés, prenant pour base
la charité, étaient seuls capables de sauver la civilisation, de prendre en
tutelle les grands et les peuples pendant cette minorité des nations. Les
ordres religieux au XI<sup>e</sup> siècle ont acquis cette immense influence et ce pouvoir
ne relevant que d'un chef spirituel, parce que grands et peuples comprenaient instinctivement la nécessité de cette tutelle sans laquelle tout fût
retombé dans le chaos. Par le fait, au XI<sup>e</sup> siècle, il n'y avait que deux ordres
en Europe, l'ordre militaire et l'ordre religieux; et comme dans ce monde,
les forces morales finissent toujours par l'emporter sur la force matérielle
lorsqu'elle est divisée, les monastères devaient acquérir plus d'influence
et de richesses que les châteaux; ils avaient pour eux l'opinion des peuples
qui, à l'ombre des couvents, se livraient à leur industrie, cultivaient leurs
champs avec plus de sécurité que sous les murs des forteresses féodales;
qui trouvaient un soulagement à leurs souffrances morales et physiques
dans ces grands établissements où tout était si bien ordonné, où la prière
et la charité ne faisaient jamais défaut; lieu d'asile pour les âmes malades,
pour les grands repentirs, pour les espérances déçues, pour le travail et
la méditation, pour les plaies incurables du cœur, pour la faiblesse et la
pauvreté; dans un temps où la première condition de l'existence mondaine
était une taille élevée, un bras pesant, des épaules capables de porter la
cotte d'armes. Un siècle plus tard, Pierre le Vénérable, dans une réponse
à saint Bernard, explique mieux que nous ne saurions le faire les causes
de la richesse de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]]. «Tout le monde sait, dit-il, de quelle manière les
maîtres séculiers traitent leurs serfs et leurs serviteurs. Ils ne se contentent
pas du service usuel qui leur est dû; mais ils revendiquent sans miséricorde
les biens et les personnes, les personnes et les biens. De là, outre les
cens accoutumés, ils les surchargent de services innombrables, de charges
insupportables et graves, trois ou quatre fois par an, et toutes les fois
qu'ils le veulent. Aussi voit-on les gens de la campagne abandonner le sol
et fuir en d'autres lieux. Mais, chose plus affreuse! ne vont-ils pas jusqu'à
vendre pour de l'argent les hommes que Dieu a rachetés au prix de son
sang? Les moines, au contraire, quand ils ont des possessions, agissent
bien d'autre sorte. Ils n'exigent des colons que les choses dues et légitimes;
ils ne réclament leurs services que pour les nécessités de leur
existence; ils ne les tourmentent d'aucune exaction, ils ne leur imposent
rien d'insupportable; s'ils les voient nécessiteux, ils les nourrissent de leur
propre substance. Ils ne les traitent pas en esclaves, en serviteurs, mais
en frères... Et voilà pourquoi les moines sont propriétaires à aussi bon
titre, à meilleur titre même que les laïques.» Il faut donc voir dans l'immense
importance de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]], au XI<sup>e</sup> siècle, un mouvement national, un
commencement d'ordre et de raison, après les dérèglements et le pillage.
Saint Hugues, en effet, participe à toutes les grandes affaires de son siècle,
comme le feront plus tard l'abbé Suger et saint Bernard lui-même. Saint
Hugues n'est pas seulement occupé de réformer des monastères et de les
soumettre à la règle de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]], de veiller à ce que l'abbaye mère croisse en
grandeur et en richesses, à ce que ses priviléges soient maintenus, il est
mêlé à tous les événements importants de son siècle; les rois et les princes
le prennent pour arbitre de leurs différends. Alphonse VI, roi de Castille,
qui professait pour lui la plus vive amitié, le charge de fonder deux monastères
clunisiens en Espagne, il contribue à la construction de la grande
église mère commencée par Hugues. Guillaume le Conquérant sollicite l'abbé
de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]] de venir gouverner les affaires religieuses de l'Angleterre. D'antiques
abbayes deviennent, pendant le gouvernement de saint Hugues, des
dépendances de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]]; ce sont celles de Vézelay, de Saint-Gilles, Saint-Jean
d'Angély, Saint-Pierre de Moissac, Maillezais, Saint-Martial de Limoges,
Saint-Cyprien de Poitiers, Figeac, Saint-Germain d'Auxerre, Saint-Austre-moine
de Mauzac, et Saint-Bertin de Lille; tout en conservant leur titre
d'abbé, les supérieurs de ces établissements religieux sont nommés par
l'abbé général. «Déjà, cinq ans auparavant, saint Hugues ne consentait à
se charger du monastère de Lézat qu'à la condition que l'élection de l'abbé
lui serait abandonnée et à ses successeurs après lui. En pareille circonstance,
dit Mabillon, il mettait toujours cette condition, ''afin'', comme
l'exprime la charte, ''de ne point travailler en vain, et dans la crainte que
le monastère réformé ne vînt bientôt à retomber dans un état pire que le
premier''<span id="note13"></span>[[#footnote13|<sup>13</sup>]].» Saint Hugues fonde le monastère de la Charité-sur-Loire; de
son temps [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]] était un véritable royaume, «sa domination s'étendait sur
trois cent quatorze monastères et églises, l'abbé général était un prince temporel
qui, pour le spirituel, ne dépendait que du saint-siège. Il battait
monnaie sur le territoire même de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]], aussi bien que le roi de France
dans sa royale cité de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]]<span id="note14"></span>[[#footnote14|<sup>14</sup>]]...»
 
Pour gouverner des établissements répartis sur tout le territoire occidental
de l'Europe, des assemblées de chapitres généraux sont instituées;
à des époques rapprochées et périodiques, on verra de tous les points de
l'Italie, de l'Allemagne, de la France, de l'Aquitaine, de l'Espagne, du Portugal,
de l'Angleterre, de la Hongrie, de la Pologne, accourir à la voix de
l'abbé les supérieurs et délégués des monastères. «Saint Benoît voulait
que, dans les affaires importantes, l'abbé consultât toute la communauté.
Cette sage précaution, cette espèce de liberté religieuse sera transportée en
grand dans l'immense congrégation de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]]. Au chapitre général, on
discutera des intérêts et des besoins spirituel du cloître, comme les conciles
font les intérêts et les besoins de l'Église. On rendra compte de l'état
de chaque communauté; toutes seront groupées par provinces monastiques,
et le chapitre général, avant de se séparer, nommera deux ''visiteurs''
pour chacune de ces provinces. Leur devoir sera d'y aller assurer l'exécution
des mesures décrétées dans le chapitre général, de voir de près l'état
des choses, d'entendre et d'accueillir au besoin les plaintes des faibles, et
d'y régler toutes choses pour le bien de la paix<span id="note15"></span>[[#footnote15|<sup>15</sup>]].»
 
Ainsi, politiquement, [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]] donnait l'exemple de l'organisation centrale
qui, plus tard, sera suivie par les rois. Mais non content de cette surveillance
exercée par des visiteurs, nommés en chapitre général, Hugues
veut voir par lui-même; nous le suivons tour à tour sur tous les points de
l'Europe où sont établies des filles de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]], il fait rédiger les coutumes
de son monastère par un de ses savants disciples, Bernard<span id="note16"></span>[[#footnote16|<sup>16</sup>]]; il fonde à
Marcigny un couvent de femmes, dans lequel viennent bientôt se réfugier
un grand nombre de dames illustres, Mathilde de Bergame et Gastonne de
Plaisance; Véraise et Frédoline, du sang royal d'Espagne; Marie, fille de
Malcolm d'Écosse; la sœur de saint Anselme de Cantorbéry; Adèle de
Normandie, fille de Guillaume le Conquérant; Mathilde, veuve d'Étienne
de Blois; Hermingarde de Boulogne, sœur de cette princesse, et Émeline
de Blois, sa fille. Parmi tant de personnages, Aremburge de Vergy, mère
de saint Hugues, vient aussi se retirer au monastère de Marcigny. En Angleterre,
en Flandre, et jusqu'en Espagne, cette nouvelle communauté eut
bientôt des églises et des prieurés sous sa dépendance.
 
Rien de comparable à ce mouvement qui se manifeste au XI<sup>e</sup> siècle en
faveur de la vie religieuse régulière. C'est qu'en effet là seulement, les
esprits d'élite pouvaient trouver un asile assuré et tranquille, une existence
intellectuelle, l'ordre et la paix. La plupart des hommes et des femmes
qui s'adonnaient à la vie monastique n'étaient pas sortis des classes inférieures
de la société, mais, au contraire, de ses hautes régions. C'est la
tête du pays qui se précipitait avec passion dans cette voie, comme la seule
qui pût conduire, non-seulement à la méditation et aux inspirations religieuses,
mais au développement de l'esprit, qui pût ouvrir un vaste champ
à l'activité de l'intelligence.
 
Mais une des grandes gloires des ordres religieux, gloire trop oubliée
par des siècles ingrats, ç'a été le défrichement des terres, la réhabilitation
de l'agriculture, abandonnée depuis la conquête des barbares aux mains
de colons ou de serfs avilis. Aucune voix ne s'éleva à la fin du siècle dernier
pour dire que ces vastes et riches propriétés possédées par les moines
avaient été des déserts arides, des forêts sauvages, ou des marais insalubres
qu'ils avaient su fertiliser. Certes, après l'émancipation du tiers état,
l'existence des couvents n'avait plus le degré d'utilité qu'ils acquirent du
X<sup>e</sup> au XII<sup>e</sup> siècle; mais à qui les classes inférieures de la société, dans l'Europe
occidentale, devaient-elles leur bien-être et l'émancipation qui en est
la conséquence, si ce n'est aux établissements religieux de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]] et de
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]]<span id="note17"></span>[[#footnote17|<sup>17</sup>]]?
 
<span id="Morimond1"></span>De nos jours on a rendu justice aux bénédictins, et de graves autorités
ont énuméré avec scrupule les immenses services rendus à l'agriculture par
les établissements clunisiens et cisterciens; partout où [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]] ou [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]]
fondent une colonie, les terres deviennent fertiles, les marais pestilentiels
se changent en vertes prairies, les forêts sont aménagées, les coteaux
arides se couvrent de vignobles. Qui ne sait que les meilleurs bois, les
moissons les plus riches, les vins précieux proviennent encore aujourd'hui
des terres dont les moines ont été dépossédés? À peine l'oratoire et les cellules
des bénédictins étaient-ils élevés au milieu d'un désert, que des chaumières
venaient se grouper alentour, puis à mesure que l'abbaye ou le
prieuré s'enrichissait, le hameau devenait un gros village, puis une bourgade,
puis une ville. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]], Paray-le-Monial, Marcigny-les-Nonains, Charlieu,
Vézelay, [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clairvaux|Clairvaux]], Pontigny, [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes F#Fontenay|Fontenay]], [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes M#Morimond|Morimond]], etc., n'ont pas une
autre origine. La ville renfermait des industriels instruits par les moines;
des tanneurs, des tisserands, des drapiers, des corroyeurs livraient à l'abbaye,
moyennant salaire, les produits fabriqués de ses troupeaux, sans
craindre le chômage, la plaie de nos villes manufacturières modernes;
leurs enfants étaient élevés gratuitement à l'abbaye, les infirmes et les
vieillards soignés dans des maisons hospitalières bien disposées et bien
bâties; souvent les monastères élevaient des usines pour l'extraction et le
façonnage des métaux; c'étaient alors des forgerons, des chaudronniers, des
orfèvres même qui venaient se grouper autour des moines, et s'il survenait
une année de disette, si la guerre dévastait les campagnes, les vastes
greniers de l'abbaye s'ouvraient pour les ouvriers sans pain; la charité
alors ne se couvrait pas de ce manteau froid de nos établissements modernes,
mais elle accompagnait ses dons de paroles consolantes, elle était
toujours là présente, personnifiée par l'Église. Non contente de donner le
remède, elle l'appliquait elle-même, en suivait les progrès, connaissait le
malade, sa famille, son état, et le suivait jusqu'au tombeau. Le paysan de
l'abbaye était attaché à la terre, comme le paysan du seigneur séculier,
mais par cela même, loin de se plaindre de cet état, voisin de l'esclavage
politiquement parlant, il en tirait protection et assistance perpétuelle pour
lui et ses enfants. Ce que nous avons vu établi au IX<sup>e</sup> siècle dans l'enceinte
d'une ''villa'' (voy. le plan de l'abbaye de Saint-Gall) s'étendait, au XI<sup>e</sup> siècle,
sur un vaste territoire, ou remplissait les murs d'une ville. Dire que cet
état de choses ne comportait aucun abus serait une exagération; mais au
milieu d'une société divisée et désordonnée comme celle du XI<sup>e</sup> siècle, il
est certain que les établissements monastiques étaient un bien immense,
le seul praticable. Ce n'est pas tout, les monastères, dans un temps où les
routes étaient peu sûres, étaient un refuge assuré pour le voyageur, qui
jamais ne frappait en vain à la porte des moines. Ceux qui ont visité l'Orient
savent combien est précieuse l'hospitalité donnée par les couvents à tous venants,
mais combien devait être plus efficace et plus magnifique surtout, celle
que l'on trouvait dans des maisons comme [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]], comme [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clairvaux|Clairvaux]]. À ce
propos qu'on nous permette de citer ici un passage d'Udalric<span id="note18"></span>[[#footnote18|<sup>18</sup>]]: «Comme
les hôtes à cheval étaient reçus par le ''custode'' ou ''gardien de l'hôtellerie'',
ainsi les voyageurs à pied l'étaient par l'aumônier. À chacun, l'aumônier
distribuait une livre de pain et une mesure suffisante de vin. En outre, à
la mort de chaque frère, on distribuait, pendant trente jours, sa portion
au premier pauvre qui se présentait. On lui donnait en sus de la viande
comme aux hôtes, et à ceux-ci un denier au moment du départ. Il y
avait tous les jours dix-huit prébendes ou portions destinées aux pauvres
du lieu, auxquels on distribuait en conséquence une livre de pain; pour
pitance, des fèves quatre jours la semaine, et des légumes les trois
autres jours. Aux grandes solennités, et vingt-cinq fois par an, la viande
remplaçait les fèves. Chaque année, à Pâques, on donnait à chacun d'eux
neuf coudées d'étoffe de laine, et à Noël une paire de souliers. Six religieux
étaient employés à ce service, le majordome, qui faisait la distribution
aux pauvres et aux hôtes, le portier de l'aumônerie; deux allaient
chaque jour au bois, dans la forêt, avec leurs ânes; les deux autres étaient
chargés du four. On distribuait des aumônes extraordinaires à certains
jours anniversaires et en mémoire de quelques illustres personnages, tels
que saint Odilon, l'empereur Henri, le roi Ferdinand (fils de Sanche le
Grand roi de Castille et de Léon, mort le 27 décembre 1065) et son
épouse, et les rois d'Espagne. Chaque semaine, l'aumônier lavait les pieds
à trois pauvres, avec de l'eau chaude en hiver, et il leur donnait à chacun
une livre de pain et la pitance. En outre, chaque jour, on distribuait
douze tourtes, chacune de trois livres, aux orphelins et aux veuves, aux
boiteux et aux aveugles, aux vieillards et à tous les malades qui se présentaient.
C'était encore le devoir de l'aumônier de parcourir, une fois
la semaine, le territoire de l'abbaye, s'informant des malades, et leur
remettant du pain, du vin, et tout ce qu'on pouvait avoir de meilleur.»
Udalric ajoute plus loin que l'année où il écrivit ses coutumes, on avait
distribué deux cent cinquante jambons, et fait l'aumône à dix-sept mille
pauvres. Chaque monastère dépendant de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]] imitait cet exemple selon
ses moyens. Si nous ajoutons à ces occupations, toutes charitables, l'activité
extérieure des moines de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]], leur influence politique et religieuse,
les affaires considérables qu'ils avaient à traiter, la gestion spirituelle et
temporelle de leurs domaines et des prieurés qui dépendaient de l'abbaye
mère, l'enseignement de la jeunesse, les travaux littéraires du cloître, et
enfin l'accomplissement de nombreux devoirs religieux de jour et de nuit,
on ne s'étonnera pas de l'importance qu'avait acquise cette maison à la
fin du XI<sup>e</sup> siècle, véritable gouvernement qui devait tout attirer à lui,
grands et petits, influence morale et richesses. C'est alors aussi que la construction
de la grande église est commencée.<span id=Cluny2>
</div>
[[Image:Plan.abbaye.Cluny.png|center]]
<div class="text">
Du temps de saint Hugues, l'église de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]] ne suffisait plus au nombre
des moines; cet abbé entreprit, en 1089, de la reconstruire; la légende dit
que saint Pierre en donna le plan au moine Gauzon pendant son sommeil.
C'était certainement l'église la plus vaste de l'Occident. Voici (2) le plan de
l'abbaye telle qu'elle existait encore<span id="note19"></span>[[#footnote19|<sup>19</sup>]] à la fin du siècle dernier; malheureusement
à cette époque déjà, comme dans la plupart des grands monastères
de bénédictins, les bâtiments claustraux avaient été presque entièrement reconstruits, mais l'église était intacte. Commencée par la partie
du chœur sous saint Hugues, elle ne fut dédiée qu'en 1131. Le narthex
ne fut achevé qu'en 1220. A était l'entrée du monastère, fort belle porte
du XII<sup>e</sup> siècle à deux arcades qui existe encore. En avant de l'église en R,
cinq degrés conduisaient dans une sorte de parvis au milieu duquel s'élevait
une croix de pierre, puis on trouvait un grand emmarchement interrompu
par de larges paliers qui descendait à l'entrée du narthex, flanqué de deux
tours carrées; la tour méridionale était le siège de la justice, la prison;
celle du nord était réservée à la garde des archives. Il ne semble pas que
les églises clunisiennes aient été précédées de porches de cette importance
avant le XII<sup>e</sup> siècle. <span id=Charite>Le narthex B de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]] datait des premières années du
XIII<sup>e</sup> siècle, ceux de la [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Charite|Charité-sur-Loire]] et de Vézelay ont été bâtis au XII<sup>e</sup>.
À Vézelay, cependant, il existait un porche construit en même temps que
la nef à la fin du XI<sup>e</sup> siècle ou au commencement du XII<sup>e</sup>, mais il était bas
et peu profond. Il est difficile de savoir exactement à quel usage cette avant-nef
était destinée; une nécessité absolue avait dû forcer les religieux de la
règle de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]], vers le milieu du XII<sup>e</sup> siècle, d'adopter cette disposition,
car elle se développe tout à coup, et prend une grande importance.
<span id=Cluny4>À [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]], à la Charité, à Vézelay, le narthex est une véritable église avec
ses collatéraux, son triforium, ses deux tours. À Vézelay, le triforium se
retourne au-dessus de la porte d'entrée de la nef intérieure, et devient
ainsi une véritable tribune sur laquelle avait été placé un autel au XII<sup>e</sup> siècle
dans la niche centrale formant originairement l'une des baies éclairant le
pignon occidental (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1, Architecture religieuse|Architecture Religieuse]], fig. 22). Ce vestibule était-il
destiné à contenir la suite des nobles visiteurs qui étaient reçus par les
moines, ou les nombreux pèlerins qui se rendaient à l'abbaye à certaines
époques de l'année? Était-il un narthex réservé pour les pénitents? Cette
dernière hypothèse nous paraîtrait la plus vraisemblable; un texte vient
l'appuyer; dans l'ancien pontifical de Châlon-sur-Saône, si voisin de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]],
on lisait: «Dans quelques églises, le prêtre, par ordre de l'évêque, célèbre
la messe sur un autel très-rapproché des portes du temple, pour les
pénitents placés devant le portail de l'église<span id="note20"></span>[[#footnote20|<sup>20</sup>]].» À [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]] même, près la
porte d'entrée à gauche, dans le vestibule, on voyait encore, avant la révolution,
une table de pierre de quatre pieds de long sur deux pieds et demi
de large, qui pouvait passer pour un autel du XII<sup>e</sup> siècle<span id="note21"></span>[[#footnote21|<sup>21</sup>]].
 
<span id="Avallon3">Du vestibule on entrait dans la grande église par une porte plein
cintre dont le linteau représentait probablement, comme à Moissac, les
vingt-quatre vieillards de la vision de saint Jean<span id="note22"></span>[[#footnote22|<sup>22</sup>]], bien que les descriptions
ne relatent que vingt-trois figures. Au-dessus, dans le tympan, était
sculpté de dimension colossale, comme aussi dans le tympan de la porte
méridionale de l'abbaye de Moissac, le Christ assis tenant l'Évangile et bénissant;
autour de lui étaient les quatre évangélistes et quatre anges supportant
l'auréole ovoïde dont il était entouré. La nef immense était bordée
de doubles collatéraux comme l'église Saint-Bernin de Toulouse; elle était
voûtée en berceau plein cintre. Au-dessus de la porte d'entrée, dans l'épaisseur
du mur séparant le narthex de la nef, et formant un encorbellement
de 2<sup>m</sup>,00 à l'intérieur, était pratiquée une chapelle dédiée à saint Michel, à
laquelle on arrivait par deux escaliers à vis. Nous avons vu qu'à l'abbaye
de Saint-Gall (fig. 1) une petite chapelle circulaire, élevée au-dessus du sol,
était également dédiée à saint Michel. <span id=Autun23>À Vézelay, à la cathédrale d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Autun|Autun]],
c'est une niche qui surmonte le portail et dans laquelle pouvait être placé
un autel. <span id=Montreal.Yonne>Il semblerait que cette disposition appartînt aux églises clunisiennes;
en tous cas elle mérite d'être mentionnée, car nous la retrouvons
à Saint-Andoche de Saulieu; dans l'église de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes M#Montreal.Yonne|Montréal]], près [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Avallon|Avallon]], sous
forme de tribune avec son autel encore en place (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9, Tribune|Tribune ]]). <span id=Cluny6></span>Mais ce
qui caractérise la grande église de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]], c'est ce double transsept dont
aucune église en France ne nous donne d'exemple. En D était l'autel
principal, en E l'autel de ''retro'', en F le tombeau de saint Hugues, mort
en 1109. La grande quantité de religieux qui occupaient [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]] à la fin
du XI<sup>e</sup> siècle explique cette disposition du double transsept; en effet les
stalles devaient s'étendre depuis l'entrée du transsept oriental jusque vers
le tombeau du pape Gélase, en G, et fermaient ainsi les deux croisillons
de la première croisée. Le second transsept devait être réservé au culte, à
l'entrée comme à la sortie des religieux; et les deux croisillons du premier
transsept, derrière les stalles, étaient destinés au service des quatre chapelles
ouvertes à l'est, peut-être aussi aux hôtes nombreux que l'abbaye
était souvent obligée de loger, soit pendant les grandes assemblées, lors
des séjours des papes et des personnages souverains. Du côté du midi était
un immense cloître entouré de bâtiments dont on retrouve des traces
encore aujourd'hui en O et en I.--K, L, étaient les deux abbatiales reconstruites
à la fin du XV<sup>e</sup> siècle et au commencement du XVI<sup>e</sup>; M une boulangerie
qui subsiste encore; S, N, les bâtiments rebâtis au commencement du
siècle dernier sur l'emplacement des constructions primitives; P la paroisse;
T la rue longeant la clôture de l'abbaye; V les jardins avec de
grands viviers. <span id=Cluny3>Une chronique de l'abbaye fait remonter au gouvernement
de saint Hugues «la construction d'un immense réfectoire, au midi du
cloître. Ce réfectoire, long de cent pieds et large de soixante, contenait six
rangs de tables, sans compter trois autres tables transversales, destinées
aux fonctionnaires de la communauté. Il était orné de peintures qui retraçaient
les histoires mémorables de l'ancien et du Nouveau Testament,
les portraits des principaux fondateurs et bienfaiteurs de l'abbaye. À l'un
des bouts une grande peinture représentait le jugement dernier<span id="note23"></span>[[#footnote23|<sup>23</sup>]].» Cet
usage de peindre la scène du jugement dernier dans les réfectoires de la
règle de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]] était fréquent; il y a quelque temps que l'on voyait les traces
d'une de ces représentations dans le réfectoire de l'abbaye de Moissac, détruit
aujourd'hui pour donner passage au chemin de fer de Bordeaux à
Toulouse.
</div>
[[Image:Plan.abbaye.Tournus.png|center]]
<div class="text">
<span id=Cluny5>La ville de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]], qui est bâtie au midi de l'abbaye sur le rampant d'un
coteau s'inclinant vers l'église, renferme encore une grande quantité de
charmantes maisons des XII<sup>e</sup> et XIII<sup>e</sup> siècles; elle fut entourée de murs vers
la fin du XII<sup>e</sup> siècle par les abbés, et pour reconnaître ce service, la ville
s'engagea dès lors à payer des dîmes au monastère. Outre les deux tours
du narthex, l'église de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]] possédait trois clochers posés à cheval sur
son premier transsept et un clocher sur le centre de la deuxième croisée,
que l'on désignait sous le nom de ''clocher des lampes'', parce qu'il contenait
à sa base les couronnes
de lumières qui brûlaient perpétuellement
au-dessus du
grand autel. Il n'est pas douteux
que l'abbaye ne fût entourée
de murs fortifiés avant
la construction des murs de
la ville, et lorsque celle-ci
faisait, pour ainsi dire, partie
du monastère. La curieuse
abbaye de Tournus, dont
nous donnons ici le plan (3),
était entourée de murs continuant
les remparts de la
ville du côté nord et possédant
ses défenses particulières
du côté du midi dans la cité
même<span id="note24"></span>[[#footnote24|<sup>24</sup>]]. Une charte de Charles
le Chauve désigne ainsi
Tournus: «''Trenorchium
castrum, Tornutium villa,
et cella Sancti Valeriani;''» le château, la ville de Tournus, et l'enceinte
sacrée de Saint-Valérian. Ces divisions étaient fréquentes au moyen
âge, et lorsque les monastères étaient voisins de villes, soit parce qu'ils
s'étaient établis proche de cités déjà existantes, soit parce que successivement
des habitations laïques s'étaient agglomérées près d'eux, ils avaient
toujours le soin de conserver un côté découvert donnant sur la campagne,
ne se laissant pas entourer de toutes parts. À [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]], l'abbaye Saint-Germain
des Prés possédait une vaste étendue de terrains situés à l'ouest du monastère,
et il fallut que la ville s'étendît singulièrement pour déborder ces
prés qui se prolongeaient jusqu'au delà de la rue du Bac. L'abbaye de
Moissac avait son enceinte fortifiée, séparée de l'enceinte de la ville par
une rue commune. Il en était de même à l'abbaye Saint-Remy de Reims,
à celle de Saint-Denis; <span id=Caen>les abbayes de la Trinité, de Saint-Étienne, à
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Caen|Caen]] (4), se trouvaient dans une situation analogue<span id="note25"></span>[[#footnote25|<sup>25</sup>]]. Il arrivait souvent
aussi que les monastères bâtis à une certaine distance de villes
populeuses étaient peu à peu gagnés par les constructions particulières;
alors, au moment des guerres, on englobait les enceintes de ces monastères
dans les nouvelles fortifications des villes; c'est ainsi qu'à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]], le prieuré
de Saint-Martin des Champs, les Chartreux, le Temple, les Célestins, l'abbaye
Sainte-Geneviève, Saint-Germain des Prés, les Blancs-Manteaux,
furent successivement compris dans l'enceinte de la ville, quoique ces établissements
eussent été originairement élevés ''extra muros''.
</div>
[[Image:Plan.abbaye.Caen.png|center]]
<div class="text">
Comme propriétaires fonciers, les ordres religieux possédaient tous les
droits de seigneurs féodaux, et cette situation même ne contribua pas peu
à leur décadence lorsque le pouvoir royal d'une part, et les priviléges des
communes de l'autre, prirent une grande importance; elle les plaçait souvent,
et à moins d'exemptions particulières, que le suzerain n'admettait
qu'avec peine, dans l'obligation de fournir des hommes d'armes en temps
de guerre, où de tenir garnison. À la fin du XII<sup>e</sup> siècle, quand la monarchie
devient prépondérante, les grands établissements religieux qui se sont élevés,
humbles d'abord, en face de la féodalité, absorbent le château, puis sont absorbés
à leur tour dans l'unité monarchique; mais c'est au moment où ils passent
de l'état purement monastique à l'état de propriétaires féodaux, c'est-à-dire
sous les règnes de Philippe Auguste et de saint Louis, qu'ils s'entourent d'enceintes
fortifiées. Toute institution tient toujours par un point au temps où elle
fleurit. L'institut monastique, du moment qu'il était possesseur de terres,
devenait forcément pouvoir féodal, car on ne comprenait pas alors la propriété
sous une autre forme; les abbés les plus illustres de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]] avaient
senti combien cette pente était glissante, et pendant les XI<sup>e</sup> et XII<sup>e</sup> siècles
ils avaient, par des réformes successives, essayé d'enlever à la propriété
monastique son caractère féodal; mais les mœurs étaient plus fortes que
les réformes, et [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]] qui par sa constitution, son importance, le personnel
influent qui faisait partie de l'ordre, les bulles des papes, et ses richesses,
paraissait invulnérable, devait être attaqué par le seul côté qui
donnait au suzerain le moyen de s'immiscer dans ses affaires; et ce côté
attaquable, c'étaient les droits seigneuriaux des abbés.
 
<span id=Citeaux1>Dans les dernières années du XI<sup>e</sup> siècle, trois religieux de Molesmes,
saint Robert, saint Albéric et saint Étienne, après s'être efforcés de réformer
leur abbaye, qui était tombée dans le plus grand relâchement, allèrent
à Lyon, en compagnie de quatre autres frères, trouver l'archevêque Hugues,
légat du saint-siége, et lui exposèrent qu'ils désiraient fonder un monastère
où la règle de Saint-Benoît fut suivie avec la plus grande rigueur; le légat
loua leur zèle, mais les engagea à n'entreprendre cette tâche qu'en compagnie
d'un plus grand nombre de religieux. En effet, bientôt quatorze
frères se joignirent à eux, et ayant reçu l'avis favorable du légat, ils partirent
ensemble de Molesmes et allèrent s'établir dans une forêt nommée
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]], située dans le diocèse de Châlon. C'était une de ces solitudes qui
couvraient alors une grande partie du sol des Gaules. Le vicomte de
Beaune leur abandonna ce désert. La petite colonie se mit à l'œuvre et
éleva bientôt ce que les annales cisterciennes appellent le monastère de
bois. Ce lieu était humide et marécageux; l'oratoire fut bâti en un an, de
1098 à 1099, ce n'était qu'une pauvre chapelle. Les vingt et un religieux
n'eurent dans l'origine ni constitution ni règlements particuliers, et s'attachèrent
littéralement à la règle de Saint-Benoît; ce ne fut qu'un peu plus
tard que saint Albéric rédigea des statuts. «Les nouveaux solitaires devaient
vivre des travaux de leurs mains, dit l'auteur des annales de l'ordre, sans
toutefois manquer aux devoirs auxquels ils étaient obligés en qualité de
religieux... Saint Pierre de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]], ajoute cet auteur, faisant réflexion sur
leur vie, la croit non-seulement difficile, mais même impossible aux forces
humaines. Comment se peut-il faire, s'écrie-t-il, que des solitaires accablés
de fatigues et de travaux, qui ne se nourrissent que d'herbes et de
légumes, qui n'entretiennent pas les forces du corps, et même peuvent à
peine conserver la vie, entreprennent des travaux que les gens de la campagne
les plus robustes trouveraient très-rudes et très-difficiles à supporter,
et qu'ils souffrent tantôt les ardeurs du soleil, tantôt les pluies, les
neiges et les glaces de l'hiver?... Si les religieux recevaient des frères
convers<span id="note26"></span>[[#footnote26|<sup>26</sup>]], c'était pour n'être pas obligés de sortir de l'enceinte du monastère,
et pour que ces frères pussent s'employer aux affaires extérieures.»
Saint Robert et ses compagnons, en fondant [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]], comprenaient
déjà quelle prise donnait aux pouvoirs séculiers la règle de
Saint-Benoît, entre les mains des riches établissements de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]]; aussi
avec quelle rigueur ces fondateurs repoussent-ils les donations qui ne
tendaient qu'à les soulager d'une partie de leurs rudes labeurs, au détriment
de leur indépendance; ne conservant que le sol ingrat qui pouvait à
peine les nourrir, afin de n'être à charge à personne, «car, ajoute l'auteur
déjà cité, c'est ce qu'ils craignaient le plus au monde.» Cependant Eudes,
duc de Bourgogne, éleva un château dans le voisinage, afin de se rapprocher
de ces religieux qu'il avait aidés de ses dons lors de la construction
de leur oratoire; son fils Henri voulut bientôt partager leurs travaux, il se
fit moine. Mais [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]] ne prit un grand essor que quand saint Bernard et
ses compagnons vinrent s'y renfermer; à partir de ce moment, une nouvelle
milice se présente pour relever celle fournie par [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]] un siècle auparavant.
De la forêt marécageuse où les vingt et un religieux de Molesmes ont bâti
quelques cabanes de bois, cultivé quelque coin de terre, vont sortir, en
moins de vingt-cinq ans, plus de soixante mille moines cisterciens, qui se
répandront du Tibre au Volga, du Mançanarez à la Baltique. Ces moines
appelés de tous côtés par les seigneurs féodaux pour défricher des terres
abandonnées, pour établir des usines, élever des troupeaux, assainir des
marais, vont prêter à la papauté le concours le plus puissant par leur
union, par la parole de leur plus célèbre chef; à la royauté et au peuple,
par la réhabilitation de l'agriculture; car au milieu d'eux, sous le même
habit, on verra des seigneurs puissants conduire la charrue à côté du
pauvre colon. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]] enlèvera des milliers de bras à la guerre pour remplir
ses huit ou dix mille granges<span id="note27"></span>[[#footnote27|<sup>27</sup>]]. Ses travaux ne s'arrêteront pas là, son
immortel représentant prêchera la seconde croisade; [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]] défendra
l'Europe contre les Maures d'Espagne, par la formation des ordres militaires
de Calatrava, d'Alcantara, de Montesa. Les templiers demanderont
des règlements à saint Bernard. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]], plus encore que [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]], viendra
au secours des pauvres, non-seulement par des aumônes, mais en employant
leurs bras; et ses dons sortis de monastères simples et austères
d'aspect, répartis par des moines se livrant chaque jour aux travaux les
plus rudes, paraîtront plus précieux en ce qu'ils ne sembleront pas l'abandon
du superflu, mais le partage du nécessaire. Ce n'est pas sur les lieux
élevés que se fondent les monastères cisterciens, mais dans les vallons
marécageux, le long des cours d'eau: c'est là que la culture pourra fertiliser
le sol en convertissant des marais improductifs en prairies arrosées par
des cours d'eau; c'est là que l'on pourra trouver une force motrice pour
les usines, moulins, huileries, scieries, etc. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]], la Ferté, [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clairvaux|Clairvaux]],
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes M#Morimond|Morimond]], Pontigny, [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes F#Fontenay|Fontenay]], l'abbaye du Val, sont bâtis dans de creux
vallons, et encore aujourd'hui, autour de ces établissements ruinés, on
retrouve à chaque pas la trace des immenses travaux des moines, soit
pour retenir les eaux dans de vastes étangs, soit pour les diriger dans des
canaux propres aux irrigations, soit pour les amener dans des biefs de
moulins. <span id=Clairvaux1>Comme exemple de ce que nous avançons ici, et pour donner
une idée de ce qu'était, à la fin du XII<sup>e</sup> siècle, un
</div>
[[Image:Plan.abbaye.Clairvaux.png|center]]
<div class="text">
<br>
monastère cistercien, voici (5) le plan général de l'abbaye de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clairvaux|Clairvaux]], fondée par saint Bernard<span id="note28"></span>[[#footnote28|<sup>28</sup>]].
On remarquera tout d'abord que ce plan se divise en deux sections
distinctes; la plus importante, celle de l' ''est'', renferme les bâtiments affectés
aux religieux; en A sont placés l'église et deux cloîtres dont nous donnons
plus bas le détail; en B des fours et moulins à grains et à huile; en C la
cellule de saint Bernard, son oratoire et son jardin religieusement conservés;
en E des piscines alimentées par l'étang; en F le logement des hôtes;
en G la maison abbatiale, voisine de l'entrée et de l'hôtellerie; en H des
écuries; en I le pressoir et grenier à foin; en Y des cours d'eau; et en S
un oratoire. L'entrée principale de l'abbaye est en D. La section du plan
située à l'ouest et séparée de la première par une muraille, comprend les
dépendances et les logements des frères convers attachés à l'abbaye. T, est
un jardin (promenoir). K, le parloir. L, des logements et ateliers d'artisans.
M, la boucherie. N, des granges et étables. 0, des pressoirs publics.
P, la porte principale. R, les restes du vieux monastère. V, une tuilerie.
X, son four. Des cours d'eau circulent au milieu de ces divers bâtiments
et usines. Une enceinte générale, garnie de quelques tours de guet, enveloppe tout le monastère ainsi que ses dépendances; des jardins
</div>
[[Image:Plan.abbaye.Clairvaux.2.png|center]]
<div class="text">
<br>
potagers et des vergers sont situés à l'extrémité ''est'', et arrosés par des rigoles.
Voici (6) le plan des bâtiments réservés aux religieux. On remarquera tout
d'abord que l'église A est terminée à l'abside par neuf chapelles carrées.
Quatre autres chapelles orientées s'ouvrent sur le transsept; outre les
stalles des religieux disposées en avant de la croisée, d'autres stalles sont
placées immédiatement après la porte d'entrée dans la nef; ces stalles
étaient probablement réservées aux frères convers. B, est le grand cloître
avec son lavabo couvert, grand bassin d'une seule pièce muni d'une infinité
de petites gargouilles tout alentour (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 6, Lavabo|Lavabo]]). C, la salle capitulaire
éclairée sur un petit jardin. D, le parloir des moines<span id="note29"></span>[[#footnote29|<sup>29</sup>]]; le silence le
plus absolu devant être observé entre les religieux, un endroit spécial était
réservé pour les entretiens nécessaires, afin de ne pas exciter le scandale
parmi les frères. E, le chauffoir<span id="note30"></span>[[#footnote30|<sup>30</sup>]]; c'était là qu'après le chant des laudes,
au lever du soleil, les religieux transis pendant l'office de la huit allaient
se réchauffer et graisser leurs sandales, avant de se rendre aux travaux du
matin. F, la cuisine ayant sa petite cour de service, son cours d'eau
T, une laverie et un garde-manger à proximité. G, le réfectoire, placé en
face du grand bassin des ablutions. H, le cimetière au nord de l'église. I, le
petit cloître avec huit cellules réservées aux copistes, éclairées du côté du
nord et s'ouvrant au midi sur l'une des galeries de ce cloître. K, l'infirmerie
et ses dépendances. L, le noviciat. M, l'ancien logis des étrangers.
N, l'ancien logis abbatial. O, le cloître des vieillards infirmes. P, la salle
de l'abbé. Q, la cellule et l'oratoire de saint Bernard. R, des écuries.
S, des granges et celliers. U, une scierie et un moulin à huile, mus par le
cours d'eau T. V, un atelier de corroyeurs. X, la sacristie. Y, la petite
bibliothèque, ''armariolum'', où les frères déposaient leurs livres de lecture.
Z, un rez-de-chaussée au-dessus duquel est établi le dortoir, auquel on
accède par un escalier droit pris dans le couloir qui se trouve à côté du
parloir D. Au-dessus de ce parloir était disposée la grande bibliothèque, à
laquelle on montait par un escalier donnant dans le croisillon sud de
l'église. Cet escalier conduisait également au dortoir, afin que les religieux
pussent descendre à matines directement dans l'église. Du porche peu profond
de l'église on parvient à la cuisine et à ses dépendances, sans passer
dans le cloître, par une ruelle qui longe les granges et celliers; cette ruelle
est accessible aux chariots par une porte charretière percée à la droite du
porche.
Ainsi, communications faciles avec le dehors pour les services, et
clôture complète pour les religieux profès, si bon semble. Au sud du petit
cloître on voit une grande salle, c'est une école ou plutôt le lieu de réunion
des moines, destinée aux conférences en usage dans l'ordre de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]].
Ces conférences étaient de véritables combats théologiques, dans ce temps
où déjà la scolastique s'était introduite dans l'étude de la théologie; et, en
effet, dans le plan original, ce lieu est désigné ainsi: ''Thesiū p. pugnand''.
 
On conçoit que de rudes travaux manuels, et de nombreux devoirs
religieux ne pouvaient satisfaire entièrement l'intelligence d'hommes
réunis en grand nombre, et parmi lesquels on comptait des personnages
distingués, tant par leur rang que par leur éducation littéraire. Autour
du ''petit cloître'' venait donc se grouper ce qui était destiné à la pâture
intellectuelle du monastère: la bibliothèque, les cellules des copistes,
la salle où se discutaient les thèses théologiques; et comme pour rappeler
aux religieux qu'ils ne devaient pas s'enorgueillir de leur savoir,
de la vivacité de leur intelligence et des succès qu'ils pouvaient obtenir
parmi leurs frères, l'infirmerie, l'asile des vieillards dont l'esprit aussi bien
que le corps était affaibli par l'âge et les travaux, se trouvait là près du
centre intellectuel du couvent. Entre cette salle et le dessous du dortoir,
des latrines sont disposées le long des cours d'eau. À côté de la grande
salle K est une petite chapelle, désignée sous le nom de ''chapelle des comtes
de Flandre''.
 
Certes, ce plan est loin de satisfaire aux exigences académiques auxquelles
on croit, de nos jours, devoir sacrifier le bon sens et les programmes
les mieux écrits; mais si nous prenons la peine de l'analyser, nous resterons
pénétrés de la sagesse de ses dispositions. Les besoins matériels de la vie,
granges, celliers, moulins, cuisines, sont à proximité du cloître, mais
restent cependant en dehors de la clôture, afin que le voisinage de ces
services ne puisse distraire les religieux profès. Au sud de l'église est le
cloître, entouré de toutes les dépendances auxquelles les religieux doivent
accéder facilement; chacune de ces dépendances prend l'espace de terrain
qui lui convient. Au delà, un plus petit cloître paraît réservé aux travaux
intellectuels. Si nous jetons les yeux sur le plan d'ensemble (5), nous
voyons les usines, les vastes granges, les étables, les logements des artisans
disposés dans une première enceinte en dehors de la clôture religieuse,
sans symétrie, mais en raison du terrain, des cours d'eau, de l'orientation.
Une troisième enceinte à l'est renferme les jardins, viviers, prises
d'eau, etc. Tout l'établissement enfin est enclos dans des murs et des
ruisseaux pouvant mettre l'abbaye à l'abri d'un coup de main.
 
De tous ces bâtiments si bien disposés et qui étaient construits de façon
à durer jusqu'à nos jours, il ne reste plus que des fragments; l'abbaye de
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clairvaux|Clairvaux]], entièrement reconstruite dans le siècle dernier, ne présente qu'un
faible intérêt. Cette abbaye avait la plus grande analogie avec l'abbaye
mère. La plupart de ses dispositions étaient copiées sur celles de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]].
La constitution de l'ordre, qui avait été rédigée définitivement en 1119 dans
une assemblée qui prit le nom de premier Chapitre général de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]], par
Hugues de Mâcon, saint Bernard et dix autres abbés de l'ordre, et qui est
un véritable chef-d'œuvre d'organisation, en s'occupant des bâtiments,
dit: «Le monastère sera construit (si faire se peut) de telle façon qu'il
réunisse dans son enceinte toutes les choses nécessaires; savoir: l'eau, un
moulin, un jardin, des ateliers pour divers métiers, afin d'éviter que les
moines n'aillent au dehors.» L'église doit être d'une grande simplicité.
«Les sculptures et les peintures en seront exclues; les vitraux uniquement
de couleur blanche ''sans croix'' ni ornements<span id="note31"></span>[[#footnote31|<sup>31</sup>]]. Il ne devra point être élevé
de tours de pierre ni de bois pour les cloches, d'une hauteur immodérée,
et par cela même en désaccord avec la simplicité de l'ordre... Tous les
monastères de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]] seront placés sous l'invocation de la sainte Vierge...
Des granges ou métairies seront réparties sur le sol possédé par l'abbaye;
leur culture confiée aux frères convers aidés par des valets de ferme... Les
animaux domestiques devront être propagés, autant qu'ils ne sont qu'utiles...
Les troupeaux de grand et de petit bétail ne s'éloigneront pas à
plus d'une journée des granges, lesquelles ne seront pas bâties à moins de
deux lieues de Bourgogne l'une de l'autre<span id="note32"></span>[[#footnote32|<sup>32</sup>]].»
</div>
[[Image:Abbaye.Citeaux.png|center]]
<div class="text">
<span id=Citeaux2>Nous donnons (7) le plan cavalier de l'abbaye de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]], tête de l'ordre;
il est facile de voir que les dispositions de ce plan ont été copiées à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clairvaux|Clairvaux]]<span id="note33"></span>[[#footnote33|<sup>33</sup>]].
O est la première entrée à laquelle on accède par une avenue
d'arbres; une croix signale au voyageur la porte du monastère. Une chapelle
D est bâtie à côté de l'entrée. Aussitôt que le frère portier entendait
frapper à la porte, il se levait en disant: ''Deo gratias''<span id="note34"></span>[[#footnote34|<sup>34</sup>]], rendant ainsi
grâces à Dieu de ce qu'il arrivait un étranger; en ouvrant il ne prononçait
que cette parole: ''Benedicite'', se mettait à genoux devant lui, puis allait
prévenir l'abbé. Quelque graves que fussent ses occupations, l'abbé venait
recevoir celui que le ciel lui envoyait; après s'être prosterné à ses pieds,
il le conduisait à l'oratoire: cet usage explique la destination de cette petite
chapelle située près de la porte. Après une courte prière, l'abbé confiait
son hôte au frère hospitalier, chargé de s'informer de ses besoins, de pourvoir
à sa nourriture, à celle de sa monture s'il était à cheval. Une écurie F
était à cet effet placée près de la grande porte intérieure E. Les hôtes
mangeaient ordinairement avec l'abbé, qui avait pour cela une table
séparée de celle des frères. Après les complies, deux frères ''semainiers'',
désignés chaque dimanche au chapitre pour cet office, venaient laver les
pieds du voyageur.
 
De la première entrée on accédait dans une cour A, autour de laquelle
étaient placées des granges, des écuries, étables, etc., puis un grand
bâtiment G, contenant des celliers et le logement des frères convers qui ne
se trouvaient pas ainsi dans l'enceinte réservée aux religieux profès. En H
était le logement de l'abbé et des hôtes, également au dehors du cloître;
en N l'église, à laquelle les frères convers et les hôtes accédaient par une
porte particulière en S. B le grand cloître; K le réfectoire; I la cuisine;
M les dortoirs et leur escalier L; C le petit cloître, et P les cellules des
copistes, comme à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clairvaux|Clairvaux]], avec la bibliothèque au-dessus; R la grande
infirmerie, pour les vieillards incapables de se livrer aux travaux actifs, et
les malades. Une enceinte enveloppait tous les bâtiments, les jardins et
cours d'eau destinés à leur arrosage. On voit qu'ici l'article de la constitution
de l'ordre concernant la disposition des bâtiments était scrupuleusement
exécuté. Sur l'église, une seule flèche, de modeste apparence, élevée au
centre du transsept, suffisait au petit nombre de cloches nécessaires au
monastère; mais à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]] l'abside était terminée carrément, et en cela le
chœur de l'église de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clairvaux|Clairvaux]], bâti pendant la seconde moitié du XII<sup>e</sup> siècle,
différait de l'abbaye mère.
</div>
[[Image:Plan.abbaye.Pontigny.png|center]]
<div class="text">
L'abbaye de Pontigny, fondée en 1114, un an avant celle de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clairvaux|Clairvaux]],
dans une vallée du diocèse d'Auxerre, jusqu'alors inculte et déserte, paraît
avoir adopté la seconde, vers la fin du XII<sup>e</sup> siècle dans le plan de son église,
une abside avec chapelles carrées rayonnantes; voici (8) le plan de cette
abbaye. De même qu'à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clairvaux|Clairvaux]] et qu'à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]] le transsept possède quatre
chapelles carrées. L'église A est précédée d'un porche bas, s'ouvrant en
dehors par une suite d'arcades. Ici le grand cloître C est situé au nord de
l'église, mais cette disposition peut s'expliquer par la situation du terrain.
Il fallait que les services du monastère fussent, conformément aux usages
de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]], à proximité de la petite rivière qui coule de l' ''est'' à l' ''ouest'', et
l'église ne pouvait être bâtie sur la rive droite de ce cours d'eau, parce qu'elle
est vaseuse, tandis que la rive gauche donne un bon sol, dès lors le cloître
devant être forcément entre l'église et ce cours d'eau, ne pouvait être bâti
qu'au nord de la nef. D'ailleurs, le climat est beaucoup moins rude à
Pontigny qu'à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clairvaux|Clairvaux]] et [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]], et l'orientation méridionale du cloître
était moins nécessaire. B est l'oratoire primitif qui avait été conservé; D la
salle du chapitre; E le grand réfectoire; F la cuisine et ses dépendances
avec sa petite cour séparée sur le cours d'eau; G le chauffoir; H le noviciat;
I les pressoirs; K la sacristie; L des granges avec les logements des frères
convers à proximité, en dehors de la clôture des religieux, comme à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]]
et à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clairvaux|Clairvaux]]. Le logement de l'abbé et des hôtes, ainsi que les dépendances
étaient à l'ouest proche de la première entrée du monastère. M la
chapelle de Saint-Thomas Becket qui fut, comme chacun sait, obligé de se
réfugier à Pontigny. Un grand bassin aux ablutions était placé au milieu
du cloître. De vastes jardins entouraient cet établissement, et s'étendaient
à l' ''est'' de l'église.
 
Comparativement à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]] et à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clairvaux|Clairvaux]], Pontigny est un monastère
de second ordre, et cependant sa filiation s'étendait en France, en Italie, en
Hongrie, en Pologne et en Angleterre; trente maisons étaient placées sous
sa juridiction, toutes fondées de 1119 à 1230. Parmi ces maisons nous
citerons celles de Condom, de Châlis, du Pin, de Cercamp, de Saint-Léonard
en France; de San-Sebastiano, de Saint-Martin de Viterbe en Italie;
de Sainte-Croix, de Zam, de Kiers en Hongrie, etc., etc.
 
Il ne paraît pas que l'abbaye de Pontigny ait jamais été entourée de
fortes murailles comme sa mère [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]], et ses sœurs [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clairvaux|Clairvaux]] et [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes M#Morimond|Morimond]];
c'était là un établissement presque exclusivement agricole, nous n'y
trouvons plus ce petit cloître réservé aux travaux littéraires; pas d'école,
pas de cellules pour les copistes, pas de grande bibliothèque. Les moines
de Pontigny, en effet, convertirent bientôt la vallée déserte et marécageuse
où ils s'étaient établis en un riche territoire qui est devenu l'une des vallées
les plus fertiles de l'Auxois; ils possédaient 2895 arpents de bois, ils avaient
planté des vignes à Châblis, à Pontigny, à Saint-Bris; entretenaient 40 arpents
de beaux prés, trois moulins, une tuilerie, et de nombreux domaines<span id="note35"></span>[[#footnote35|<sup>35</sup>]].
</div>
[[Image:Plan.abbaye.Vaux.de.Sernay.png|center]]
<div class="text">
Comme Pontigny, l'abbaye des Vaux-de-Sernay dans le diocèse de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]]
était un établissement purement agricole; fondé en 1128 (9), il n'avait pas
l'importance des établissements de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clairvaux|Clairvaux]], de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes M#Morimond|Morimond]], de Pontigny,
mais on trouve dans ce plan la simplicité d'ordonnance et la régularité des
édifices enfantés par [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]]; toujours les quatre chapelles ouvertes à l'est
dans le transsept, et comme à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]] une abside carrée. En A est l'église;
en B le cloître; en C le réfectoire, disposé perpendiculairement au cloître
conformément au plan de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]] et contrairement aux usages monastiques
adoptés par les autres règles. La cuisine et le chauffoir étaient à proximité.
</div>
[[Image:Plan.abbaye.Fontenay.png|center]]
<div class="text">
Le grand bâtiment qui prolonge le transsept contenait au rez-de-chaussée la
salle du chapitre, la sacristie, parloirs, etc.; au bout, des latrines; au-dessus,
le dortoir. Près
de l'entrée, comme
à Pontigny,
il existe une
grange considérable;
en E un
moulin. Le colombier
D, que
nous avons réuni
à ce plan, se
trouve éloigné du
cloître dans les
vastes dépendances
qui entourent
l'abbaye<span id="note36"></span>[[#footnote36|<sup>36</sup>]].
<span id=Fontenay>Mais voici maintenant
une abbaye
de troisième
classe de l'ordre
de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]],
c'est [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes F#Fontenay|Fontenay]]
près Montbard (9 bis). L'église A est d'une extrême simplicité comme
construction, son abside est carrée, sans chapelles, et quatre chapelles
carrées s'ouvrent seulement sur le transsept; cette disposition apparaît
toujours, comme on le voit, dans les églises de la règle de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]],
ainsi que le porche fermé en avant de la nef. Le cloître C est placé
au midi, le cours d'eau H étant de ce côté de l'église. En F est la salle
capitulaire, à la suite le réfectoire, les cuisines et le chauffoir avec sa
cheminée; en D sont les dortoirs; mais ces constructions ont été relevées au
XV<sup>e</sup> siècle. Dans l'origine le dortoir était placé, suivant l'usage, à la suite du
transsept de l'église, afin de faciliter aux moines l'accès du chœur pour les
offices de nuit. Le long du ruisseau sont établis des granges, celliers, etc.
La porte est en E avec les étables et écuries. Les autres services de cet
établissement ont disparu aujourd'hui. Le monastère de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes F#Fontenay|Fontenay]] est situé
dans un vallon resserré, sauvage, et de l'aspect le plus pittoresque; des
étangs considérables, retenus par les moines en amont du couvent à l' ''est'',
servent encore aujourd'hui à faire mouvoir de nombreuses usines, telles
que moulins, fouleries, scieries, dans les bâtiments desquelles on rencontre
quantité de fragments du XII<sup>e</sup> siècle. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes F#Fontenay|Fontenay]] était surtout un établissement
industriel, comme Pontigny était un établissement agricole. On trouve
en amont du monastère des traces considérables de mâchefer, ce qui donne
lieu de supposer que les moines avaient établi des forges autour de la
maison religieuse<span id="note37"></span>[[#footnote37|<sup>37</sup>]]. Nous avons vu plus haut que des métairies étaient
établies dans le voisinage des grandes abbayes pour la culture des terres,
qui bientôt vinrent augmenter les
domaines des religieux. Ces métairies
conservaient leur nom primitif
de ''villæ'': c'étaient de grandes
fermes occupées par des frères
convers et des valets sous la
direction d'un religieux qui avait
le titre de frère hospitalier, car
dans ces ''villæ'' comme dans les
simples granges isolées même,
l'hospitalité était assurée au voyageur
attardé; et à cet effet, une
lampe brûlait toute la nuit dans
une petite niche pratiquée au-dessus
ou à côté de la porte de
ces bâtiments ruraux, comme
un fanal destiné à guider le pèlerin,
et à ranimer son courage<span id="note38"></span>[[#footnote38|<sup>38</sup>]].<span id=Clairvaux2>
</div>
[[Image:Plan.metairie.Clairvaux.png|center]]
<div class="text">
Voici donc (10) l'une de ces
métairies; dépendance de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clairvaux|Clairvaux]], elle est jointe au plan de ce monastère donné plus haut, et est intitulée
''villæ Outraube''. En A est la porte principale de l'enceinte, traversée par un
cours d'eau B; deux granges immenses, dont l'une est à sept nefs, sont bâties
en C; l'une de ces granges a son entrée sur les dehors. Dans une enceinte
particulière D sont disposés les bâtiments d'habitation des frères convers et
des valets, en E sont des étables et écuries. Une autre porte s'ouvre à l'extrémité
opposée à la première, en F, c'est là que loge le frère hospitalier. Ces
''villæ'' n'étaient pas toujours munies de chapelles, et ses habitants devaient se
rendre aux églises des abbayes ou prieurés voisins pour entendre les offices.
 
Il fallait, conformément aux statuts de l'ordre, qu'une ''villa'', qu'une
grange, fussent placées à une certaine distance de l'abbaye mère pour
prendre le titre d'abbaye et qu'elles pussent suffire à l'entretien de treize
religieux au moins. Quand les établissements ruraux ne possédaient que
des revenus trop modiques pour nourrir treize religieux, ils conservaient
leur titre de ''villa'' ou de simple grange<span id="note39"></span>[[#footnote39|<sup>39</sup>]].
 
L'ordre bénédictin de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]] possédait des établissements secondaires qui
avaient des rapports avec les granges cisterciennes; on les désignait sous
le nom d'Obédiences<span id="note40"></span>[[#footnote40|<sup>40</sup>]]. Ces petits établissements possédaient tout ce qui
constitue le monastère: un oratoire, un cloître avec ses dépendances; puis
autour d'une cour voisine, ouverte, les bâtiments destinés à l'exploitation.
 
C'était dans les obédiences que l'on reléguait pendant un temps plus ou
moins long les moines qui avaient fait quelque faute et devaient subir une
pénitence; ils se trouvaient soumis à l'autorité d'un prieur, et condamnés
aux plus durs travaux manuels, remplissant les fonctions, qui dans les
grands établissements, étaient confiées aux valets. La plupart de ces
domaines ruraux sont devenus depuis longtemps des fermes abandonnées
aux mains laïques, car bien avant la révolution du dernier siècle les
moines n'étaient plus astreints à ces pénitences corporelles; cependant
nous en avons vu encore
un certain nombre
dont les bâtiments sont
assez bien conservés.
</div>
[[Image:Plan.oratoire.Avallon.png|center]]
<div class="text">
Auprès d' [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Avallon|Avallon]],
entre cette ville et le village
de Savigny, dans
un vallon fertile, perdu
au milieu des bois et des
prairies, on voit encore
s'élever un charmant
oratoire de la fin du
XII<sup>e</sup> siècle avec les restes
d'un cloître et des dépendances en ruine. Nous donnons (11) le
plan de cette obédience qui a conservé le nom de prieuré de Saint-Jean les
Bons-Hommes. En A est l'oratoire dont la nef est couverte par un berceau
ogival construit en briques de 0<sup>m</sup>,40 d'épaisseur, toute la construction est
d'ailleurs en belles pierres bien appareillées et taillées. Une porte B très-simple mais d'un beau caractère permet aux étrangers ou aux colons du voisinage
de se rendre aux offices sans entrer dans le cloître; une seconde porte
C sert d'entrée aux religieux pour les offices; en D est le cloître, sur lequel
s'ouvre une jolie salle E dans laquelle après ''laudes'' les religieux se réunissaient
pour recevoir les ordres touchant la distribution du travail du jour.
Le dortoir était au-dessus; en F le réfectoire et la cuisine; en G des celliers,
granges et bâtiments d'exploitation. Une cour H ouverte en I sur la
campagne était destinée à contenir les étables et chariots nécessaires aux
travaux des champs. On entrait dans l'enceinte cloîtrée par une porte K. Le
frère portier était probablement logé dans une cellule en L. Les traces de
ces dernières constructions sont à peine visibles aujourd'hui. En M était la
sacristie ayant une issue sur le jardin. Un petit ruisseau passait au nord de
l'oratoire en N, et une clôture enfermait du côté de l'est le jardin particulier
de ce petit monastère. Voici (12) une élévation prise du côté de l'abside de
la chapelle qui donne une idée de ces constructions dont l'extrême
simplicité ne manque ni de grâce ni de style. L'entrée de la salle E est
charmante, et rappelle les constructions clunisiennes du XII<sup>e</sup> siècle.
</div>
[[Image:Oratoire.Avallon.png|center]]
<div class="text">
On comprend comment de vastes établissements, richement dotés, tels
que [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]], Jumiéges, Saint-Denis, Vézelay, [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]], [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clairvaux|Clairvaux]], apportaient
dans la construction de leurs bâtiments un soin et une recherche extraordinaires;
mais lorsque l'on voit que ce soin, ce respect, dirons-nous, pour
l'institut monastique s'étendent jusque dans les constructions les plus
médiocres, jusque dans les bâtiments ruraux les plus restreints, on
se sent pris d'admiration pour cette organisation bénédictine qui couvrait
le sol de l'Europe occidentale d'établissements à la fois utiles et
bien conçus, ou l'art véritable, l'art qui sait ne faire que ce qu'il faut,
mais faire tout ce qu'il faut, n'était jamais oublié. On s'est habitué
dans notre siècle à considérer l'art comme une superfluité que les riches
seuls peuvent se permettre; nos collèges, nos maisons d'écoles, nos
hospices, nos séminaires, sembleraient aux yeux de certaines personnes ne
pas remplir leur but, s'ils n'étaient pas froids et misérables d'aspect,
repoussants, dénués de tout sentiment d'art; la laideur paraît imposée dans
nos programmes d'établissements d'éducation ou d'utilité publique;
comme si ce n'était pas un des moyens les plus puissants de civilisation
que d'habituer les yeux à la vue des choses convenables et belles à la fois;
comme si l'on gagnait quelque chose à placer la jeunesse et les classes
inférieures au milieu d'objets qui ne parlent pas aux yeux, et ne laissent
qu'un souvenir froid et triste! C'est à partir du moment où l'égalité
politique est entrée dans les mœurs de la nation qu'on a commencé à
considérer l'art comme une chose de luxe et non plus comme une nourriture
commune, aussi nécessaire et plus nécessaire peut-être aux pauvres
qu'aux riches. Les bénédictins ne traitaient pas les questions d'utilité avec le
pédantisme moderne, mais en fertilisant le sol, en établissant des usines,
en desséchant des marais, en appelant les populations des campagnes au
travail, en instruisant la jeunesse, ils habituaient les yeux aux belles et
bonnes choses; leurs constructions étaient durables, bien appropriées aux
besoins et gracieuses cependant, et loin de leur donner un aspect repoussant
ou de les surcharger d'ornements faux, de décorations menteuses, ils
faisaient en sorte que leurs écoles, leurs couvents, leurs églises, laissassent
des souvenirs d'art qui devaient fructifier dans l'esprit des populations. Ils
enseignaient la patience et la résignation aux pauvres, mais ils connaissaient
les hommes, sentaient qu'en donnant aux classes ignorantes et déshéritées, la
distraction des yeux à défaut d'autre, il faut se garder du faux
luxe, et que l'enseignement purement moral ne peut convenir qu'à des
esprits d'élite. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]] avait bien compris cette mission, et était entrée dans
cette voie hardiment; ses monuments, ses églises, étaient un livre ouvert
pour la foule; les sculptures et les peintures dont elle ornait ses portes,
ses frises, ses chapiteaux, et qui retraçaient les histoires sacrées, les
légendes populaires, la punition des méchants et la récompense des bons,
attiraient certainement plus l'attention du vulgaire, que les éloquentes
prédications de saint Bernard. Aussi voyons-nous que l'influence de cet
homme extraordinaire (influence qui peut être difficilement comprise par
notre siècle où toute individualité s'efface) s'exerce sur les grands, sur les
évêques, sur la noblesse et les souverains, sur le clergé régulier qui
renfermait alors l'élite intellectuelle de l'Occident; mais en s'élevant par sa
haute raison au-dessus des arts plastiques, en les proscrivant comme une
monstrueuse et barbare interprétation des textes sacrés, il se mettait en
dehors de son temps, il déchirait les livres du peuple; et si sa parole
émouvante, lui vivant, pouvait remplacer ces images matérielles, après lui,
l'ordre monastique eût perdu un de ses plus puissants moyens d'influence,
s'il eût tout entier adopté les principes de l'abbé de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clairvaux|Clairvaux]]. Il n'en fut
pas ainsi, et le XIII<sup>e</sup> siècle commençait à peine, que les cisterciens eux-mêmes,
oubliant la règle sévère de leur ordre, appelaient la peinture et la sculpture
pour parer leurs édifices.
 
Cette constitution si forte des deux plus importantes abbayes de l'Occident,
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]] et [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]], toutes deux bourguignonnes, donne à toute
l'architecture de cette province un caractère particulier, un aspect robuste et
noble qui n'existe pas ailleurs et qui reste imprimé dans ses monuments
jusque vers le milieu du XIII<sup>e</sup> siècle. Les clunistes avaient formé une école
d'artistes et d'artisans très-avancée dans l'étude de la construction et des
combinaisons architectoniques, des sculpteurs habiles, dont les œuvres
sont empreintes d'un style remarquable; c'est quelque chose de grand,
d'élevé, de vrai, qui frappe vivement l'imagination, et se grave dans le
souvenir. L'école de statuaire des clunistes possède une supériorité incontestable
sur les écoles contemporaines du Poitou et de la Saintonge, de la
Provence, de l'Aquitaine, de la Normandie, de l'Alsace, et même de l'Île-de-France.
Quand on compare la statuaire et l'ornementation de Vézelay
des XI<sup>e</sup> et XII<sup>e</sup> siècles, de Dijon, de Souvigny, de la Charité-sur-Loire, de
Charlieu, avec celle des provinces de l'ouest et du nord, on demeure
convaincu de la puissance de ces artistes, de l'unité d'école à laquelle ils
s'étaient formés (Voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 8, Sculpture|Sculpture ]]). Les grandes abbayes bourguignonnes
établies dans des contrées où la pierre est abondante et d'une
excellente qualité, avaient su profiter de la beauté, de la dimension et de la
force des matériaux tirés du sol, pour donner à leurs édifices cette grandeur
et cette solidité qui ne se retrouvent plus dans les provinces où la pierre est
rare, basse et fragile. L'architecture de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]], riche déjà dès le XI<sup>e</sup> siècle,
fine dans ses détails, pouvait encore être imitée dans des contrées moins
favorisées en matériaux; mais le style d'architecture adopté par les cisterciens
était tellement inhérent à la nature du calcaire bourguignon qu'il ne put
se développer ailleurs que dans cette province. Ces raisons purement
matérielles, et les tendances générales des ordres monastiques vers le luxe
extérieur, tendances vainement combattues, contribuèrent à limiter l'influence
architectonique de la règle de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]]. Pendant que saint Bernard
faisait de si puissants efforts pour arrêter la décadence, déjà prévue par
lui, de l'ordre bénédictin, une révolution dans l'enseignement allait enlever
aux établissements monastiques leur prépondérance intellectuelle.
 
Au XII<sup>e</sup> siècle après de glorieuses luttes, des travaux immenses, l'ordre
monastique réunissait dans son sein tous les pouvoirs. Saint Bernard représente
le principe religieux intervenant dans les affaires temporelles, les
gouvernant même quelquefois; Suger, abbé de Saint-Denis, c'est le religieux
homme d'État, c'est un ministre, un régent de France. Pierre le
Vénérable personnifie la vie religieuse; il est, comme le dit fort judicieusement
M. de Rémusat, «l'idéal du moine<span id="note41"></span>[[#footnote41|<sup>41</sup>]].» À côté de ces trois hommes
apparaît Abeilard, l'homme de la science (VOY. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1, Architecture|Architecture]], développements
de l'). Deux écoles célèbres déjà au commencement du XII<sup>e</sup> siècle
étaient établies dans le cloître Notre-Dame et dans l'abbaye de Saint-Victor,
Abeilard en fonda une nouvelle qui, se réunissant à d'autres élevées
autour de la sienne, constitua l'Université de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]]. La renommée de ce
nouveau centre d'enseignement éclipsa bientôt toutes les écoles des grandes
abbayes d'Occident.
 
Les établissements religieux n'avaient pas peu contribué, par le modèle
d'organisation qu'ils présentaient, la solidarité entre les habitants d'un
même monastère, par leur esprit d'indépendance, au développement des
communes. Des chartes d'affranchissement furent accordées au XII<sup>e</sup> siècle,
non-seulement par des évêques, seigneurs temporels<span id="note42"></span>[[#footnote42|<sup>42</sup>]], mais aussi par des abbés.
Les moines de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes M#Morimond|Morimond]], de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]], de Pontigny, furent des premiers
à provoquer des établissements de communes autour d'eux. Tous les monastères
en général, en maintenant l'unité paroissiale, enfantèrent l'unité communale,
leurs archives nous donnent des exemples d'administrations municipales
copiées sur l'administration conventuelle. Le maïeur, le syndic
représentaient l'abbé, et les anciens appelés à délibérer sur les affaires et les
intérêts de la commune, les vieillards du monastère qui aidaient l'abbé de
leurs conseils<span id="note43"></span>[[#footnote43|<sup>43</sup>]]; l'élection, qui était la base de l'autorité dans le monastère,
était également adoptée par la commune. Plus d'une fois les moines eurent
lieu de se repentir d'avoir ainsi aidé au développement de l'esprit municipal,
mais ils étaient, dans ce cas comme dans bien d'autres, l'instrument dont la
Providence se servait pour civiliser la chrétienté, quitte à le briser lorsqu'il
aurait rempli sa mission. Avant le XII<sup>e</sup> siècle un grand nombre de paroisses,
de collégiales étaient devenues la proie de seigneurs féodaux qui jouissaient
ainsi des bénéfices ecclésiastiques, enlevés au pouvoir épiscopal. Peu à
peu, grâce à l'esprit de suite des ordres religieux, à leur influence, ces
bénéfices leur furent concédés par la noblesse séculière, à titre de donations,
et bientôt les abbés se dessaisirent de ces fiefs en faveur des évêques
qui rentrèrent ainsi en possession de la juridiction dont ils avaient été dépouillés;
car il faut rendre cette justice aux ordres religieux qu'ils contribuèrent
puissamment à rendre l'unité à l'Église, soit en reconnaissant
et défendant l'autorité du saint-siége, soit en réunissant les biens ecclésiastiques
envahis par la féodalité séculière, pour les replacer sous la main
épiscopale. Des hommes tels que saint Hugues, saint Bernard, Suger,
Pierre le Vénérable, avaient l'esprit trop élevé pour ne pas comprendre
que l'état monastique, tel qu'il existait de leur temps, et tel qu'ils l'avaient
fait, était un état transitoire, une sorte de mission temporaire, appelée
à tirer la société de la barbarie, mais qui devait perdre une grande partie
de son importance du jour où le succès viendrait couronner leurs efforts;
en effet, à la fin du XII<sup>e</sup> siècle déjà, l'influence acquise par les bénédictins
dans les affaires de ce monde s'affaiblissait, l'éducation sortait de leurs
mains, les bourgs et villages qui s'étaient élevés autour de leurs établissements, érigés en communes, possédant des terres à leur tour, n'étaient
plus des agglomérations de pauvres colons abrutis par la misère; ils devenaient
indépendants, quelquefois même insolents. Les évêques reprenaient
la puissance diocésaine, et prétendaient, avec raison, être les seuls représentants
de l'unité religieuse; les priviléges monastiques étaient souvent
combattus par eux, comme une atteinte à leur juridiction, ne relevant, elle
aussi, que de la cour de Rome. La papauté, qui avait trouvé un secours si
puissant dans l'institut monastique pendant les XI<sup>e</sup> et XII<sup>e</sup> siècles, à l'époque
de ses luttes avec le pouvoir impérial, voyant les gouvernements séculiers
s'organiser, n'avait plus les mêmes motifs pour accorder une indépendance
absolue aux grandes abbayes; elle sentait que le moment était venu
de rétablir la hiérarchie catholique conformément à son institution primitive;
et avec cette prudence et cette connaissance des temps qui caractérisent
ses actes, elle appuyait le pouvoir épiscopal.
 
Pendant le cours du XII<sup>e</sup> siècle, l'institut bénédictin ne s'était pas borné,
comme nous avons pu le voir, au développement de l'agriculture. L'ordre
de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]] particulièrement, s'occupant avec plus de sollicitude de l'éducation
des basses classes que celui de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]], avait organisé ses frères convers
en groupes; il y avait les frères meuniers, les frères boulangers, les frères
brasseurs, les frères fruitiers, les frères corroyeurs, les fouleurs, les tisserands,
les cordonniers, les charpentiers, les maçons, les maréchaux, les
menuisiers, les serruriers, etc. Chaque compagnie avait un contre-maître,
et à la tête de ces groupes était un moine directeur qui était chargé de
distribuer et régler le travail. Au commencement du XII<sup>e</sup> siècle, sous l'influence
de ce souffle organisateur, il s'était même élevé une sorte de compagnie
religieuse, mais vivant dans le monde, qui avait pris le titre de
''pontifices'' (constructeurs de ponts)<span id="note44"></span>[[#footnote44|<sup>44</sup>]]. Cette congrégation se chargeait de
l'établissement des ponts, routes, travaux hydrauliques, chaussées, etc.
Leurs membres se déplaçaient suivant qu'on les demandait sur divers
points du territoire. Les ordres religieux ouvraient ainsi la voie aux corporations
laïques du XIII<sup>e</sup> siècle, et lorsqu'ils virent le monopole du progrès
soit dans les lettres, les sciences ou les arts, sortir de leurs mains, ils ne se
livrèrent pas au découragement, mais, au contraire, ils se rapprochèrent
des nouveaux centres.
 
Vers 1120, Othon, fils de Léopold, marquis d'Autriche, à peine âgé de
vingt-ans se retira à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes M#Morimond|Morimond]] avec plusieurs jeunes seigneurs ses amis,
et prit l'habit de religieux; distinguant en lui un esprit élevé, l'abbé du
monastère l'envoya à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]] après son noviciat, avec quelques-uns de ses
compagnons, pour y étudier la théologie scolastique. C'est le premier
exemple de religieux profès quittant leur cloître pour puiser au dehors un
enseignement qu'alors, dans la capitale du domaine royal, remuait profondément
toutes les intelligences. Othon s'assit bientôt dans la chaire
abbatiale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes M#Morimond|Morimond]], nommé par acclamation. Il éleva l'enseignement,
dans cette maison, à un degré supérieur; depuis lors nombre de religieux
appartenant aux ordres de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]] et de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]] allèrent chercher la science
dans le cloître de Notre-Dame, et dans les écoles fondées par Abeilard, afin
de maintenir l'enseignement de leurs maisons au niveau des connaissances
du temps. Mais la lumière commençait à poindre hors du cloître, et son
foyer n'était plus à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]] ou à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]]. À la fin du XII<sup>e</sup> siècle et pendant le
XIII<sup>e</sup> siècle, ces établissements religieux ne s'en tinrent pas là, et fondèrent
des écoles à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]] même, sortes de succursales qui prirent les noms des
maisons ''mères'', où se réunirent des religieux qui vivaient ainsi suivant la
règle, et enseignaient la jeunesse arrivant de tous les points de l'Europe
pour s'instruire dans ce domaine des sciences. Les ordres religieux conservaient
donc ainsi leur action sur l'enseignement de leur temps, bien qu'ils
n'en fussent plus le centre.
 
Du IX<sup>e</sup> au XI<sup>e</sup> siècle les ordres religieux préoccupés de grandes réformes,
se plaçant à la tête de l'organisation sociale, avaient eu trop à faire pour
songer à fonder de vastes et magnifiques monastères. Leurs richesses,
d'ailleurs, ne commencèrent à prendre un grand développement qu'à cette
époque, par suite des nombreuses donations qui leur étaient faites, soit
par les souverains voulant augmenter leur salutaire influence, soit par les
seigneurs séculiers au moment des croisades. C'est aussi à cette époque
que l'architecture monastique prend un caractère particulier; rien cependant
n'est encore définitivement arrêté; il fallait une longue expérience
pour reconnaître quelles étaient les dispositions qui convenaient le mieux.
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]] avait son programme, [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]] avait le sien, tout cela différait peu de
la donnée primitive adoptée déjà du temps où l'abbaye de Saint-Gall fut
tracée. Mais c'est vers la fin du XII<sup>e</sup> siècle et au commencement du XIII<sup>e</sup>,
que les établissements monastiques, devenus riches, n'ayant plus à lutter
contre la barbarie du siècle, moins préoccupés de grands intérêts moraux,
peuvent songer à construire des demeures commodes, élégantes même,
bien disposées, en rapport avec les habitudes séculières de ce temps. Les
données principales sont conservées: le cloître placé sur un des côtés de
la nef, le plus souvent au sud, donne entrée dans la salle du chapitre, le
trésor, la sacristie, et au-dessus le dortoir, bâti dans le prolongement du
transsept, par les motifs déduits plus haut. Le long de la galerie du
cloître opposée et parallèle à celle qui longe la nef, est élevé le réfectoire,
aéré, vaste, n'ayant presque toujours qu'un rez-de-chaussée. En retour et
venant rejoindre le porche de l'église, sont placés à rez-de-chaussée les celliers,
au-dessus les magasins de grains, de provisions. La cuisine est toujours isolée, possédant son officine, son entrée et sa cour particulières. En
aile à l' ''est'', à la suite du réfectoire, ou le long d'un second cloître, la
bibliothèque, les cellules des copistes, le logement de l'abbé, l'infirmerie.
Près de l'entrée de l'église, du côté opposé, l'hôtellerie pour les étrangers,
l'aumônerie, les prisons, puis enfin les dépendances autour des bâtiments
du grand cloître, séparées par des cours ou des jardins. À l'est un espace
libre, retiré, planté, et qui semble destiné à l'usage particulier de l'abbé et
des religieux. Pour résumer ce programme, une fois l'église donnée, les
services purement matériels, ou qui peuvent être remplis par des laïques,
sont toujours placés du côté de l'ouest dans le voisinage du porche, tandis
que tout ce qui tient à la vie morale et à l'autorité religieuse, se rapproche
du chœur de l'église. Mais si pendant le XI<sup>e</sup> siècle l'institut bénédictin
s'était porté de préférence vers l'agriculture, s'il avait, par un labeur
incessant, par sa persévérance, fertilisé les terres incultes qui lui avaient été
données; au milieu du XII<sup>e</sup> siècle cette tâche était remplie; les monastères,
entourés de villages nouvellement fondés et habités par des paysans, n'avaient
plus les mêmes raisons pour s'adonner presque exclusivement à la
culture, ils pouvaient dorénavant affermer leurs terres, et se livrer à l'enseignement.
Après avoir satisfait aux besoins matériels des populations,
en rétablissant l'agriculture sur le sol occidental de l'Europe, ils étaient
appelés à nourrir les intelligences, et déjà ils avaient été dépassés dans
cette voie. Aussi nous voyons vers la fin de ce siècle, les ordres se rapprocher
des villes, ou rebâtir leurs monastères devenus insuffisants près des
grands centres de population; conservant seulement l'église, ce lieu consacré,
ils élèvent de nouveaux cloîtres, de vastes et beaux bâtiments en
rapport avec ces besoins naissants. C'est ainsi que l'architecture monastique
commence à perdre une partie de son caractère propre, et se fond
déjà dans l'architecture civile.
<span id=Paris3></div>
[[Image:Plan.couvent.Saint.Martin.des.Champs.png|center]]
<div class="text">
À [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]], le prieur de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]] fait rebâtir complètement le couvent de Saint-Martin
des Champs, sauf le sanctuaire de l'église, dont la construction
remonte à la réforme de ce monastère. Voici (13) le plan de ce prieuré<span id="note45"></span>[[#footnote45|<sup>45</sup>]].
<span id=Paris1>L'abbé de Sainte-Geneviève fait également reconstruire son abbaye (14)<span id="note46"></span>[[#footnote46|<sup>46</sup>]].
<span id=Paris2>Puis, un peu plus tard, c'est l'abbé de Saint-Germain des Prés qui, laissant
seulement subsister la nef de l'église, commence la construction d'un
nouveau monastère qui fut achevé par un architecte laïque, Pierre de
Montereau (15)<span id="note47"></span>[[#footnote47|<sup>47</sup>]].
</div>
[[Image:Plan.abbaye.Sainte.Genevieve.png|center]]
<div class="text">
Ce n'est pas à dire cependant que les ordres religieux, au commencement
du XIII<sup>e</sup> siècle, abandonnassent complètement les campagnes, s'ils
sentaient la nécessité de se rapprocher des centres
</div>
[[Image:Plan.abbaye.Saint.Germain.des.Pres.png|center]]
<div class="text">
<br>
d'activité, de participer à la vie nouvelle des peuples ayant soif d'organisation et d'instruction, ils
continuaient encore à fonder des monastères ruraux; il semblerait même
qu'à cette époque la royauté désirât maintenir la prédominance des abbayes
dans les campagnes; peut-être ne voyait-elle pas sans inquiétude les nouvelles
tendances des ordres à se rapprocher des villes, en abandonnant
ainsi les champs aux influences féodales séculières qu'ils avaient jusqu'alors
si énergiquement combattues. La mère de saint Louis fit de nombreuses
donations pour élever de nouveaux établissements dans les campagnes;
ce fut elle qui fonda, en 1236, l'abbaye de Maubuisson, destinée aux religieuses
de l'ordre de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]]. On retrouve encore dans ce plan (16) la sévérité
</div>
[[Image:Plan.abbaye.Maubuisson.png|center]]
<div class="text">
<br>
primitive des dispositions cisterciennes, mais dans le style de l'architecture,
comme à l'abbaye du Val, dont la reconstruction remonte à peu près
à la même époque, des concessions sont faites au goût dominant de l'époque;
la sculpture n'est plus exclue des cloîtres, le rigorisme de saint
Bernard le cède au besoin d'art, qui alors se faisait sentir jusque dans les
constructions les plus modestes. L'abbaye de Maubuisson était en même
temps un établissement agricole et une maison d'éducation pour les jeunes
filles. Au XIII<sup>e</sup> siècle, les religieux ne cultivaient plus la terre de leurs
propres mains, mais se contentaient de surveiller leurs fermiers, et de
gérer leurs biens ruraux, à plus forte raison les religieuses. Déjà même
au commencement du XII<sup>e</sup> siècle, le travail des champs semblait dépasser
les forces des femmes, et il est probable que la règle qui s'appliquait aux
religieuses comme aux religieux, ne fut pas longtemps observée par celles-ci. Il est curieux de lire la lettre qu'Héloïse, devenue abbesse du Paraclet,
adresse à ce sujet à Abeilard, et on peut juger par les objections contenues
dans cette lettre, combien de son temps on s'était peu préoccupé de
l'organisation intérieure des couvents de femmes. Si, au XIII<sup>e</sup> siècle, les
règlements monastiques auxquels les religieuses étaient assujetties se
ressentaient du relâchement des mœurs à cette époque, cependant nous
voyons, en examinant le plan de l'abbaye de Maubuisson, que ce monastère
ne différait pas de ceux adoptés pour les communautés d'hommes.
En A est l'église, dans le prolongement du transsept, suivant l'usage,
la salle du chapitre, la sacristie, etc.; au-dessus le dortoir. En B le cloître;
en C le réfectoire; en D le pensionnat; en E le parloir, et le logement des
tourières; en F les cuisines; G, les latrines disposées des deux côtés d'un
cours d'eau; H, est le logis de l'abbesse; I des fours et écuries; K l'apothicairerie;
L, l'habitation réservée pour le roi saint Louis, lorsqu'il se rendait
à Maubuisson avec sa mère. Car, à partir du XIII<sup>e</sup> siècle, on trouve
dans les abbayes fondées par les personnes royales, un logis réservé pour
elles. M, est l'infirmerie; N, une grange; O, un colombier; P, une porcherie;
Q, des écuries, étables; de I aux écuries, étaient construits des bâtiments
qui contenaient le logement des hôtes, mais ces constructions sont
d'une époque plus récente; en R était l'abreuvoir. De vastes jardins et des
cours d'eau entouraient ces bâtiments situés dans un charmant vallon, en
face la ville de Pontoise, et le tout était ceint de murailles flanquées de
tourelles<span id="note48"></span>[[#footnote48|<sup>48</sup>]].
 
Le nouvel ordre politique qui naissait avec le XIII<sup>e</sup> siècle devait nécessairement
modifier profondément l'institut monastique; il faut dire que les
établissements religieux, du moment qu'ils cessaient de combattre soit les
abus de pouvoir des seigneurs séculiers, soit les obstacles que leur opposaient
des terres incultes, ou l'ignorance et l'abrutissement des populations
rurales, tombaient rapidement dans le relâchement. Leurs richesses, leur
importance, comme pouvoir religieux, et comme possesseurs territoriaux
et féodaux par conséquent, ne pouvant manquer d'introduire au milieu des
monastères des habitudes de luxe qui n'étaient guère en rapport avec les
vœux monastiques. Saint Bernard s'était élevé avec énergie contre les abus
qui déjà de son temps lui semblaient devoir amener promptement la
décadence des ordres, et sorti de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]], il avait cherché à rendre à la
règle de Saint-Benoît sa pureté primitive, avec une constance et une
rigueur de principes qui eurent un plein succès tant qu'il vécut. De son
temps la vie monacale conquit une immense influence morale, et s'étendit
jusque dans les camps par l'institution et le développement des ordres
militaires. Il n'y avait pas alors de famille princière qui n'eût des représentants
dans les différents monastères de l'Occident, et la plupart des abbés
étaient de race noble. L'institut monastique tenait la tête de la civilisation.
 
Du jour où le pouvoir royal se fut constitué, où la France eut un
véritable gouvernement, ces petites républiques religieuses perdirent peu
à peu de leur importance; et renfermées dans leurs devoirs de religieux, de
propriétaires fonciers, de corps enseignant, l'activité qu'elles avaient déployée
au dehors pendant les XI<sup>e</sup> et XII<sup>e</sup> siècles ne trouvant plus une pâture
suffisante, se perdit en querelles intestines, au grand détriment de l'institut
tout entier. La noblesse fournit tous les jours un contingent moins nombreux aux couvents, et livrée dès le XIII<sup>e</sup> siècle exclusivement à la carrière
des armes, commençant à dédaigner la vie religieuse qui n'offrait plus
qu'une existence intérieure et bornée, elle laissa bientôt ainsi les ordres
monastiques tomber dans un état qui ressemblait passablement à celui de
riches et paisibles propriétaires réunis en commun sous une discipline qui
devenait de moins en moins rigide. Bientôt les abbés, considérés par le roi
comme des seigneurs féodaux, ne pouvaient, comme tels, se mettre en
dehors de l'organisation politique établie; tant que les pouvoirs séculiers
étaient divisés, il leur était possible, sinon facile, de maintenir et même
d'accroître le leur; mais quand ces pouvoirs féodaux vinrent se confondre
dans la royauté basée sur l'unité nationale, la lutte ne pouvait durer, elle
n'avait pas de but d'ailleurs, elle était contraire à l'esprit monastique qui
n'avait fait que tracer la route aux pouvoirs pour arriver à l'unité. Les
grands établissements religieux se résignèrent donc, et cessèrent de paraître
sur la scène politique. L'ordre du Temple seul, par sa constitution, put
continuer à jouer un rôle dans l'État, et à prendre une part active aux
affaires extérieures; réunissant les restes de la puissance des ordres religieux
à la force militaire, il dut faire ombrage à la royauté, et l'on sait comment,
au commencement du XIV<sup>e</sup> siècle, cette institution fut anéantie par le
pouvoir monarchique.
 
L'influence de la vie militaire sur la vie religieuse se fait sentir dès le
XIII<sup>e</sup> siècle dans l'architecture monastique. Les constructions élevées par les
abbés à cette époque se ressentent de leur état politique; seigneurs féodaux,
ils en prennent les allures. Jusqu'alors si les couvents étaient entourés
d'enceintes, c'était plutôt des clôtures rurales que des murailles propres à
résister à une attaque à main armée; mais la plupart des monastères que
l'on bâtit au XIII<sup>e</sup> siècle perdent leur caractère purement agricole pour
devenir des villes fortifiées, ou même de véritables forteresses, quand la
situation des lieux le permet. Les abbayes de l'ordre de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]], érigées
dans des vallées creuses, ne permettaient guère l'application d'un système
défensif qui eût quelque valeur; mais celles qui appartenaient à d'autres
règles de l'ordre bénédictin, construites souvent sur des penchants de
coteaux, ou même des lieux escarpés, s'entourent de défenses établies de
façon à pouvoir soutenir un siège en règle ou au moins se mettre à l'abri
d'un coup de main. Parmi les abbayes qui présentent bien nettement le
caractère d'un établissement à la fois religieux et militaire, nous citerons
l'abbaye du mont Saint-Michel en mer. Fondée, si l'on en croit les légendes,
vers la fin du VIII<sup>e</sup> siècle, elle fut à plusieurs reprises dévastée par les guerres
et les incendies. En 1203, devenue vassale du domaine royal, elle fut
presque totalement reconstruite par l'abbé Jourdain au moyen de sommes
considérables que lui envoya Philippe Auguste; les bâtiments nouveaux
furent continués par les successeurs de cet abbé jusque vers 1260.
</div>
[[Image:Plan.mont.Saint.Michel.png|center]]
<div class="text">
Le mont Saint-Michel est situé au fond d'une baie sablonneuse couverte
chaque jour par l'Océan aux heures des marées, non loin de Pontorson et
d'Avranches. C'était un point militaire important à cette époque où la
monarchie française venait de s'emparer de la Normandie, et où elle
pouvait craindre chaque jour une descente des Anglo-Normands. Toutefois
Philippe Auguste laisse le mont en la possession des abbés, il les considère
comme vassaux, et en leur donnant des subsides pour mettre leur propriété
en état de défense, il ne semble pas douter que les religieux ne puissent
conserver ce poste aussi bien que l'eût pu faire un possesseur séculier.
C'est là un fait caractéristique de l'époque. Voici le plan général de ce
rocher baigné par la mer deux fois par jour, et dont le sommet est élevé à
plus de soixante-dix mètres au-dessus de son niveau (17). Une étroite
plage rocailleuse s'ouvre au sud du côté de Pontorson; à quelques pas de
la mer, le rocher s'élève abrupt. On trouve une première porte fortifiée
en C avec corps de garde<span id="note49"></span>[[#footnote49|<sup>49</sup>]]. Une seconde porte s'ouvre en D et donne
entrée dans la petite ville, habitée de temps immémorial par des pêcheurs.
De cette porte on accède aux boulevards par un escalier, et en suivant les
remparts qui s'élèvent sur le rocher vers l'est, on arrive bientôt à des
emmarchements considérables tournant vers le nord jusqu'à la porte de
l'abbaye F, défendue par une première enceinte E. En B est le cloître; en A
l'église qui est érigée sur le point culminant de la montagne; les espaces G,
disposés en espaliers du côté sud, étaient les jardins de l'abbaye; sous l'église
est une citerne;
H un chemin de
ronde auquel on
accédait par un
immense escalier
fort roide L K,
et qui était destiné,
en cas de
siège, à permettre
l'introduction
de secours du
côté de la pleine
mer; L est une
fontaine d'eau
saumâtre, mais
bonne pour les
usages ordinaires;
M un oratoire
sur un rocher
isolé, dédié
à saint Hubert;
P une entrée fortifiée
donnant accès
dans une cour
où les magasins
de l'abbaye sont
placés en Q; V et
S sont des citernes
et R un moulin
à vent posé
sur une tour; I une grande trémie en maçonnerie et charpente, par laquelle,
au moyen d'un treuil, on faisait monter les provisions du
</div>
[[Image:Plan.mont.Saint.Michel.2.png|center]]
<div class="text">
<br>
monastère; 0 est la paroisse de la ville, et T le cimetière. Si nous franchissons le seuil de la première
défense de l'abbaye, voici (18) le plan des bâtiments qui, formant rez-de-chaussée, entourent le sommet du rocher. En A sont les premières entrées
défendues par un boulevard auquel on monte par un petit escalier droit;
B est la porte, formidable défense couronnée par deux tourelles et une salle,
dont le plan est détaillé en C. Sous cette porte est pratiqué un escalier roide,
qui conduit à une seconde clôture défendue par des herses et mâchicoulis,
et à une salle de laquelle on ne peut s'introduire dans le monastère que par
des guichets masqués et des escaliers tortueux et étroits. Au-dessus de
cette salle est une défense D percée de meurtrières et de mâchicoulis.
Chaque arrivant devait déposer ses armes avant d'entrer dans les bâtiments
de l'abbaye, à
moins d'une permission
expresse
du prieur<span id="note50"></span>[[#footnote50|<sup>50</sup>]]. Le
réfectoire est situé
en F; on ne
peut y arriver du
dehors que par
un couloir sombre
défendu par
des herses, et un
escalier à vis;
de plain-pied avec
la salle d'entrée,
sous le réfectoire,
est la salle où
l'on introduisait
les pauvres auxquels
on distribuait
des aumônes.
En G est
une salle devant
servir de réfectoire
à la garnison,
avec escalier
particulier pour
descendre dans
le chemin de ronde.
Du côté du
midi, en I, sont placées les caves du logement de l'abbé et des hôtes,
en L et en
</div>
[[Image:Plan.mont.Saint.Michel.3.png|center]]
<div class="text">
<br>
K des prisons et défenses. Au-dessus de ces soubassements, les bâtiments gagnent sur le rocher et prennent plus d'importance; (19)
on arrive par des détours inextricables, des escaliers étroits et coudés,
au point B où se trouvaient placées les cuisines. D était le dortoir des
moines, E la salle dite des Chevaliers<span id="note51"></span>[[#footnote51|<sup>51</sup>]]. C'est une vaste crypte reconstruite
au XVI<sup>e</sup> siècle pour supporter le chœur de l'église qui fut rebâti à
cette époque; F H sont les soubassements de l'ancienne nef et du
transsept romans, afin de suppléer au rocher qui, sur ces points, n'offrait
pas une assez grande surface; G les logements de l'abbé et des hôtes; I le
dessous de la bibliothèque. Le cloître est situé au-dessus de la grande salle
des Chevaliers E. L'aire de ce cloître est couverte de plomb afin de
recueillir les eaux pluviales qui se rendent dans deux citernes disposées
sous le bras de croix du nord. Au-dessus de la porte en A est une salle de
guet. Enfin l'église {20) domine cet ensemble de
</div>
[[Image:Plan.eglise.mont.Saint.Michel.png|center]]
<div class="text">
<br>
bâtiments gigantesques, construits en granit, et qui présentent l'aspect le plus imposant au milieu
de cette baie brumeuse. Les grands bâtiments qui donnent sur la pleine
mer; du côté nord, peuvent passer pour le plus bel exemple que nous
possédions de l'architecture religieuse et militaire du moyen âge, aussi les
a-t-on nommés de tout temps, ''la merveille''<span id="note52"></span>[[#footnote52|<sup>52</sup>]]. La salle des Chevaliers
(fig. 19, E) possède deux vastes cheminées et des latrines en encorbellement. Nous donnons (21)
</div>
[[Image:Mont.Saint.Michel.png|center]]
<div class="text">
<br>
une vue extérieure de ces bâtiments prise de la mer; et (22) une vue prise du côté de l'est. La flèche qui surmontait la
tour centrale de l'église est détruite depuis longtemps; elle avait été
réédifiée à plusieurs reprises, et la dernière fois par l'abbé Jean de Lamps,
vers 1510; nous la supposons rétablie dans la vue que nous donnons ici;
</div>
[[Image:Mont.Saint.Michel.2.png|center]]
<div class="text">
<br>
une statue colossale de l'archange Saint-Michel, qui se voyait de fort loin en
pleine mer, couronnait son sommet. <span id=Mont.Saint.Michel1></span>La foudre détruisit cette flèche peu
après sa construction. L'abbaye du [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes M#Mont-Saint-Michel|Mont-Saint-Michel]] se trouvait dans
une situation exceptionnelle; c'était une place militaire qui soutint des
sièges, et ne put être enlevée par l'armée anglaise en 1422. Rarement les
établissements religieux présentaient des défenses aussi formidables, ils
conservaient presque toujours l'apparence de ''villæ'' crénelées, défendues
par quelques ouvrages de médiocre importance; on retrouvait l'architecture
monacale sous cette enveloppe militaire; d'ailleurs, dépourvus originairement
de moyens de défense, ils ne se fortifiaient que successivement et
suivant qu'ils s'assimilaient plus ou moins aux seigneuries féodales. Voici
l'abbaye de Saint-Allyre à Clermont, en Auvergne, dont la vue cavalière
donne une idée de ces agglomérations de constructions moitié monastiques,
moitié militaires (23)<span id="note53"></span>[[#footnote53|<sup>53</sup>]]. Bâtie dans un vallon, elle ne pouvait résister à un
siège en règle, mais elle était assez bien munie de murailles et de tours
pour soutenir l'attaque d'un corps de partisans.
</div>
[[Image:Abbaye.Saint.Allyre.Clermont.png|center]]
<div class="text">
A est la porte du monastère défendue par une tour, à côté V les écuries
destinées aux montures des hôtes; B une première cour qui n'est point
défendue par des murs crénelés, mais seulement entourée de bâtiments
formant une clôture et ne prenant leurs jours qu'à l'intérieur. B' une seconde
porte crénelée, qui conduit dans une ruelle commandée par l'église
C, bien munie de crénaux et de mâchicoulis; La face orientale, l'abbaye de l'église, est couronnée par deux tours, l'une qui commande l'angle
de la ruelle, l'autre qui domine la porte S donnant entrée dans les bâtiments; de plus un mâchicoulis surmonte cette porte. On entre dans une
première cour étroite et fermée, puis dans le cloître G. EE' sont des clochers
crénelés, sortes de donjons qui dominent les cours et bâtiments.
Sous le clocher E était l'entrée de l'église pour les fidèles; I les dortoirs;
K le réfectoire et L la cuisine; H la bibliothèque; N les pressoirs; 0 l'infirmerie;
M les logements des hôtes et de l'abbé; X des granges et
celliers. Des jardins garnis de treilles étaient placés en P, suivant l'usage,
derrière l'abside de l'église. Une petite rivière R<span id="note54"></span>[[#footnote54|<sup>54</sup>]], protégeait la partie la
plus faible des murailles et arrosait un grand verger planté en T. Cette
abbaye avait été fondée pendant le IX<sup>e</sup> siècle, mais la plupart des constructions
indiquées dans ce plan dataient de la seconde moitié du XII<sup>e</sup> siècle. Il y
a lieu de penser même que les défenses ne remontaient pas à une époque
antérieure au XIII<sup>e</sup> siècle.
 
Les abbés étant, comme seigneurs féodaux, justiciers sur leurs domaines,
des prisons faisaient partie des bâtiments du monastère; elles étaient
presque toujours placées à côté des clochers, souvent même dans leurs
étages inférieurs. Si dans le voisinage des villes et dans les campagnes les
constructions monastiques, au XIII<sup>e</sup> siècle, rappelaient chaque jour davantage
les constructions féodales des seigneurs séculiers; dans l'enceinte des
villes, au contraire, les abbayes tendaient à se mêler à la vie civile; souvent
elles détruisaient leurs murailles primitives pour bâtir des maisons régulières
ayant vue et entrée sur le dehors. Ces maisons furent d'abord
occupées par ces artisans que nous avons vus enfermés dans l'enceinte des
couvents; mais si ces artisans dépendaient encore du monastère, ce n'était
plus que comme fermiers pour ainsi dire, obtenant l'usufruit de leurs logis
au moyen d'une redevance sur les bénéfices qu'ils pouvaient faire dans
l'exercice de leur industrie; ils n'étaient, d'ailleurs, astreints à aucune règle
religieuse. Une fois dans cette voie, les monastères des villes perdirent
bientôt toute action directe sur ces tenanciers, et les dépendances séculières
des maisons religieuses ne furent plus que des propriétés, supportant un
produit de location. On ne peut douter toutefois que les corporations de
métiers n'aient pris naissance au milieu de ces groupes industriels que les
grandes abbayes avaient formés autour d'elles. C'est ainsi que l'institut
bénédictin avait initié les populations à la vie civile, et à mesure que celle-ci
se développait sous le pouvoir protecteur de la royauté, les monastères
voyaient leur importance et leur action extérieure décroître. L'enseignement
seul leur restait; mais leur qualité de propriétaires fonciers, leur
richesse, la gestion de biens considérables qui s'étaient démesurément
accumulés dans leurs mains depuis les croisades, ne leur laissaient guère
le loisir de se dévouer à l'enseignement, de manière à pouvoir rivaliser avec
les écoles établies dans les cloîtres des grandes cathédrales sous le patronage
des évêques, et surtout à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]] sur la montagne Sainte-Geneviève.
 
Au commencement du XIII<sup>e</sup> siècle donc, l'institut bénédictin avait terminé
sa mission active; c'est alors qu'apparaît saint Dominique, fondateur de
l'ordre des frères Prêcheurs. Après avoir défriché le sol de l'Europe,
après avoir jeté au milieu des peuples les premières bases de la vie civile,
et répandu les premières notions de liberté, d'ordre, de justice, de morale
et de droit, le temps était venu pour les ordres religieux de développer et
guider les intelligences, de combattre par la parole autant que par le glaive
les hérésies dangereuses des Vaudois, des Pauvres de Lyon, des Ensabattés,
des Flagellants, etc., et enfin des Albigeois qui semblaient les résumer
toutes. Les frères Prêcheurs acquirent bientôt une immense influence, et
les plus grandes intelligences surgirent parmi eux. Jean le Teutonique,
Hugues de Saint-Cher, Pierre de Vérone, Jean de Vicence, saint Hyacinthe,
et saint Thomas d'Aquin, remplirent l'Europe de leurs prédications et de
leurs écrits. C'est aussi vers ce temps (1209) que saint François d'Assise
institua l'ordre des frères Mineurs. L'établissement de ces deux ordres,
les Dominicains et les frères Mineurs: les premiers adonnés à la prédication,
au développement de l'intelligence humaine, au maintien de la foi
orthodoxe, à l'étude de la philosophie; les seconds prêchant la renonciation
aux biens terrestres, la pauvreté absolue, était une sorte de réaction
contre l'institution quasi-féodale des ordres bénédictins. En effet, dans sa
règle, saint François d'Assise, voulant revenir à la simplicité des premiers
apôtres, n'admet pas de prieur, tous les frères sont ''mineurs'', ne doivent
rien posséder, mais, au contraire, ''mendier'' pour les pauvres et pour subvenir
à leurs besoins; il prétendait «amener le riche à faire don de ses biens
aux pauvres, pour acquérir le droit de demander lui-même l'aumône sans
rougir, et relever ainsi l'état de pauvreté<span id="note55"></span>[[#footnote55|<sup>55</sup>]].» Mais saint François n'était pas
mort que son ordre s'était déjà singulièrement écarté de cette simplicité et
de cette pauvreté primitives; et dès le XIII<sup>e</sup> siècle, les frères mineurs
élevèrent des monastères qui par leur richesse ne le cédaient en rien aux
abbayes des ordres bénédictins. Saint Louis avait pris en grande affection les
frères prêcheurs et mendiants; de son temps même, cette extrême sollicitude
pour les disciples de saint Dominique, de saint François d'Assise, pour les
hermites augustins et les carmes, qui jusqu'alors étaient à peine connus,
fut l'objet de satires amères. Comme politique saint Louis était certainement
disposé à donner aux nouveaux ordres une prédominance sur les
établissements trop indépendants de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]] et de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]], et il trouvait chez
les frères prêcheurs une arme puissante pour vaincre ces hérésies populaires
nées au XII<sup>e</sup> siècle avec tous les caractères d'un soulèvement des
classes inférieures contre le pouvoir clérical et séculier. Saint Louis fit bâtir
à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]] le couvent des Jacobins; qui avaient été mis par maître Jean, doyen
de Saint-Quentin, et par l'Université, dès 1221, en possession d'une maison
dans la rue Saint-Jacques, en face Saint-Étienne ''des Grecs''<span id="note56"></span>[[#footnote56|<sup>56</sup>]]. L'église de ce
couvent présentait une disposition inusitée jusqu'alors: le vaisseau se
composait de deux nefs divisées par une rangée de colonnes. Peut-être
cette disposition parut-elle favorable aux prédications, car les stalles des
religieux étant placées dans l'une des nefs, l'autre parallèle restait libre
pour les fidèles qui pouvaient ainsi plus facilement voir et entendre le
prédicateur séant dans une chaire à l'une des extrémités. Mais les frères
prêcheurs arrivaient tard, et comme la nature de leur mission devait les
obliger de se rapprocher des grands centres de population, ils ne trouvaient
plus de vastes terrains qui leur permissent d'étendre et de disposer les constructions
de leurs monastères suivant une donnée uniforme. On trouve donc
plus rarement dans les couvents des ordres mendiants cette ordonnance traditionnelle
qui est si bien conservée dans les établissements des bénédictins,
surtout de la règle de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]]. Le plan des Jacobins de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]] (24) est fort irrégulier:
</div>
[[Image:Plan.abbaye.Jacobins.Paris.png|center]]
<div class="text">
<br>
le réfectoire joignait le ''Parloir aux bourgeois'' qui traversait les
murailles de la ville élevées sous Philippe Auguste. Ce réfectoire avait été
bâti, en 1256, au moyen d'une amende de dix mille livres que le sire Enguerrand de Coucy, troisième du nom, avait été condamné à payer pour
avoir fait pendre trois jeunes Flamands, qui avaient été pris chassant dans ses
forêts<span id="note57"></span>[[#footnote57|<sup>57</sup>]]. Les Jacobins, resserrés le long de ces murailles de ville, finirent
par obtenir le ''Parloir aux bourgeois'' que le roi Charles V leur donna
en 1365, après avoir acquis le cens et la rente de cette propriété municipale.
Depuis, les bâtiments du couvent furent reconstruits en partie; mais l'église A
et le réfectoire B dataient de la construction primitive. L'école de Saint-Thomas
D, était une jolie salle de la renaissance, que nous avons vu démolir
il y a peu de temps. <span id="Agen3">L'église des Jacobins d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Agen|Agen]], bâtie vers le milieu
du XIII<sup>e</sup> siècle, est à deux nefs, ainsi que celle des Jacobins de Toulouse, élevée
dans la seconde
</div>
[[Image:Plan.eglise.Jacobins.Toulouse.png|center]]
<div class="text">
<br>
moitié du XIII<sup>e</sup> siècle. Nous donnons ici (24 bis) le plan de ce bel établissement. Originairement l'église était complètement dépourvue
de chapelles, celles des nefs comme celles du rond-point ne furent élevées
que pendant les XIV<sup>e</sup> et XV<sup>e</sup> siècles. L'entrée des fidèles est au sud sur le flanc
de la nef de droite; à l'extrémité antérieure de la nef de gauche A, étaient les
stalles des religieux. Sur la paroi de la nef de droite adossée au petit
cloître C, on remarque la chaire détruite aujourd'hui, mais dont les traces
sont visibles, et qui se trouve indiquée sur un vieux plan déposé au Capitole
de Toulouse; l'entrée des fidèles était précédée d'une cour ou narthex
ouvert; c'était par cette cour que l'on pénétrait également dans le monastère
en passant par le petit cloître. En B est le grand cloître; en D la salle capitulaire; en F la sacristie; en E une petite chapelle dédiée à saint Antonin;
en G le réfectoire. Les bâtiments indiqués en gris sont du dernier siècle.
Toutes ces constructions sont en brique, exécutées avec un grand soin et
couvertes à l'intérieur de peintures qui datent des XIII<sup>e</sup> et XIV<sup>e</sup> siècles<span id="note58"></span>[[#footnote58|<sup>58</sup>]]. Alors
les frères prêcheurs s'étaient fort éloignés, dans leurs constructions du
moins, de l'humilité recommandée par leur fondateur (Voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3, Cloître|Cloître]], [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 2, Chapelle|Chapelle]],
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 5, Église|Église]], [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 8, Réfectoire|Réfectoire ]]).
</div>
[[Image:Monastere.Sainte.Marie.Vaux.Verts.png|center]]
<div class="text">
De fondation ancienne<span id="note59"></span>[[#footnote59|<sup>59</sup>]], l'ordre des frères Ermites de Saint-Augustin
n'avait acquis qu'une faible influence jusqu'à l'institution des ordres mendiants,
mais alors il prit un grand développement et fut spécialement
protégé par les rois de France pendant les XIII<sup>e</sup>, XIV<sup>e</sup> et XV<sup>e</sup> siècles. Cependant
les établissements des frères augustins conservèrent longtemps leur
caractère de simplicité primitive; leurs églises étaient presque toujours, ou
composées d'une seule nef, ou d'une nef avec deux bas côtés, mais sans
transsept, sans chapelles rayonnantes, sans tours: ainsi étaient disposées
les églises des grands augustins à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]]. <span id=Bruxelles>Voici (24 ter) le monastère des
frères augustins de Sainte-Marie des Vaux-Verts près [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bruxelles|Bruxelles]]<span id="note60"></span>[[#footnote60|<sup>60</sup>]], qui nous
offre un exemple parfaitement complet de ces établissements de frères
mendiants avec tous les développements qu'ils avaient pris à la fin du
XV<sup>e</sup> siècle. A est l'église sans transsept et sans tours, conformément aux
usages admis dans les couvents augustins; B la bibliothèque, longue galerie
au-dessus du cloître; C les dortoirs des religieux; D le dortoir des laïques;
E le grand cloître des religieux; F le cloître des laïques; G, le réfectoire;
H l'infirmerie; I la cuisine, communiquant au réfectoire par un petit pont
couvert; K des logements pour les hommes (hôtes), L et pour les femmes;
M des maisons d'artisans; N, le logis de l'empereur (Charles-Quint);
0 chêne, dit la légende, sous lequel se trouvèrent réunies sept têtes couronnées;
P la porte principale du monastère; R des vacheries et greniers à fourrages;
S des jardins avec un labyrinthe, allées plantées d'arbres, chapelles,
etc. Ce séjour était admirable, au milieu des bois, dans un vallon
pourvu de belles eaux, voisin de prairies et de grands vergers, et l'on
comprend que, dans des établissements pareils, les souverains aimassent à
se reposer loin des affaires et de l'étiquette des cours; et si les frères mendiants
avaient, dans leurs bâtiments, conservé quelque chose de la simplicité
première de leur règle, ils n'en avaient pas moins fait de leurs couvents
des résidences délicieuses comme situation, comme disposition, et comme
réunion de tout ce qui pouvait contribuer à rendre la vie agréable et tranquille.
Des habitudes de luxe et de mollesse ne pouvaient manquer de
s'introduire parmi eux, du moment qu'ils avaient converti leurs pauvres
cabanes de bois et leurs maigres champs en vastes palais et en jardins
magnifiques, qu'ils recevaient des souverains dans leurs murs, et pouvaient
leur offrir les délassements que les grands affectionnent d'ordinaire, tels
que la chasse, la pêche, ou les entretiens de gens doctes et distingués, de
bonnes bibliothèques, et surtout le calme et la liberté des champs.
 
Peut-être l'institution des ordres mendiants contribua-t-elle à prolonger
l'existence de la vie religieuse; elle en conserva du moins quelque temps
l'unité. Mais ce n'était plus cette large et puissante organisation bénédictine;
les temps héroïques de saint Hugues et de saint Bernard étaient
passés. À partir du XIII<sup>e</sup> siècle, l'architecture monastique ne présente plus
de ces belles dispositions d'ensemble qu'on aime à voir à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]], à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]],
à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clairvaux|Clairvaux]]: chaque jour amène une modification à l'ordonnance première;
les services se divisent; le monastère semble se confondre peu à peu avec
les habitations séculières. Bientôt chaque moine aura sa cellule; l'abbé se
fait bâtir un logis à part, une résidence souvent assez éloignée des bâtiments
principaux du couvent; il a son entrée particulière, sa cour, son jardin.
C'est un seigneur dont la vie ne diffère que peu de celle des laïques. Ces
signes de décadence sont de plus en plus marqués jusqu'à l'époque de la
réformation, où la vie monastique fut moralement effacée, si elle ne fut
pas abolie de fait, en Occident. Il suffit de jeter les yeux sur les plans
d'abbayes successivement modifiées pendant les XIV<sup>e</sup> et XV<sup>e</sup> siècles, pour
reconnaître cette confusion, ce défaut d'unité. Ces symptômes sont frappants
dans les abbayes bénédictines de Saint-Ouen de Rouen, de Fécamp,
de Saint-Julien de Tours que nous donnons ici (25). Cette abbaye avait été
rebâtie au XIII<sup>e</sup> siècle et successivement modifiée pendant les XIV<sup>e</sup> et
XVe siècles. B est l'entrée du monastère, également destinée aux fidèles
se rendant à l'église; A est le chœur réservé aux religieux; D la nef pour le
public; C la porte des religieux; X la cellule du portier; V la procure; E le
cloître; L la sacristie prise aux dépens d'une salle qui n'était pas destinée à
cet usage; M des magasins; N les prisons; F le réfectoire et la cuisine G;
K une chambre pour les visiteurs (parloir); le dortoir était au-dessus de la
grande salle dans le prolongement du transsept, suivant l'ancien usage;
Z des caves; au-dessus, des chambres à provisions; I la boulangerie; H une
infirmerie et sa cuisine G; à côté, des écuries; R le logis de l'aumônier et
son jardin; T le jardin des religieux; P le palais abbatial avec sa cour, son
entrée particulière, ses écuries et communs 0, et son jardin à l'est; S la
chapelle de la Sainte-Trinité. On voit que si dans ce plan les anciennes dispositions
traditionnelles sont encore conservées, il règne une certaine
confusion dans les services qui n'existait pas dans les plans du XII<sup>e</sup> siècle.
</div>
[[Image:Plan.abbaye.Saint.Julien.Tours.png|center]]
<div class="text">
Mais si nous examinons le plan d'une abbaye reconstruite au XIV<sup>e</sup> siècle,
nous serons encore plus frappés de l'amas de dépendances, de services, qui
viennent s'agglomérer autour des bâtiments principaux. Constance, femme
du roi Robert, avait fait construire l'église Notre-Dame à Poissy, et y
installa des moines augustins; depuis, Philippe le Bel fit refaire entièrement
tous les bâtiments du monastère pour y mettre des religieuses de l'ordre
de Saint-Dominique. Voici (26) le
</div>
[[Image:Plan.monastere.Poissy.png|center]]
<div class="text">
<br>
plan d'une portion de cette abbaye: H est une entrée fortifiée avec les bâtiments de la gabelle et le logement du
médecin; A l'église; B le grand cloître; C le réfectoire; D E des dortoirs;
F le dortoir des novices; K des cimetières. À l'ouest de l'église sont des
greniers et la buanderie; N la cuisine ''maigre''; la cuisine ''grasse'' est à l'extrémité
du dortoir de l'ouest, à l'angle du cloître. De la cuisine maigre on
communique à une salle isolée dans laquelle est percé un puits avec
manège. G le petit cloître; autour, l'infirmerie et sa cuisine, des appartements
pour les étrangers, et L une chapelle dédiée à saint Jean; O des
ateliers pour des menuisiers et une cuisine; M la chapelle dédiée à saint Dominique;
autour, les appartements des princesses avec dépendances et
cuisines; près des cuisines ''maigres'' le logement de la prieure; à la suite,
à l'est, le bâtiment des étrangers; à la suite du petit cloître, au sud, des
granges, des celliers, des dépendances pour les princesses du sang royal,
qui venaient souvent résider à l'abbaye de Poissy; puis de beaux jardins,
viviers, etc. Une des raisons qui contribuaient le plus à jeter une grande confusion
dans les dispositions des bâtiments des établissements monastiques,
c'était cette habitude prise par les rois, reines ou princesses, par la haute noblesse
séculière, surtout à partir du XIII<sup>e</sup> siècle, de faire des séjours souvent
assez longs dans les abbayes qui prenaient alors le titre de ''royales''. À l'abbaye
des dames de Maubuisson, nous avons vu le logis du roi; à Poissy, toute
une portion considérable des bâtiments du monastère est réservée aux
membres de la famille royale. Cet usage ne fit que prendre plus de consistance
pendant le XIV<sup>e</sup> siècle. Philippe de Valois, en 1333, datait ses lettres
d'État de l'abbaye du Val, où il résidait. Charles V y demeura également
en 1369. À la fin du XIII<sup>e</sup> siècle le trésor des rois de France était déposé au
Temple à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]]; le roi Philippe le Bel y prit quelquefois son logement
avant l'abolition de l'ordre; il y demeura en 1301, depuis le 16 janvier
jusqu'au 25 février<span id="note61"></span>[[#footnote61|<sup>61</sup>]]. Souvent les personnes royales se faisaient enterrer
dans les églises monastiques fondées ou enrichies par elles: la mère de
saint Louis, la reine Blanche, fut enterrée dans le chœur de l'église de
Maubuisson; une sœur du même roi était morte et avait été ensevelie à
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]]. Et enfin, chacun sait que la grande église de l'abbaye de Saint-Denis
fut consacrée à la sépulture des rois de France depuis les commencements
de la monarchie.
 
Au XIII<sup>e</sup> siècle l'enceinte des abbayes servait aussi de lieu de réunion
aux souverains qui avaient à traiter des affaires d'une grande importance.
Lorsque Innocent IV fut forcé de quitter Rome et de chercher dans la chrétienté
un lieu où il pût, en dehors de toute influence, venger l'abaissement
du trône pontifical, il choisit la ville de Lyon; et là dans le réfectoire du
couvent de Saint-Just, en l'année 1245, il ouvrit le concile général pendant
lequel la déposition de l'empereur Frédéric II fut proclamée. Les évêques
d'Allemagne et d'Angleterre n'y voulurent point paraître, et saint Louis
même s'abstint; il ne put toutefois refuser l'entrevue que le souverain
pontife sollicitait, et l'abbaye de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]] fut prise pour lieu de rendez-vous.
Le pape attendit quinze jours le roi de France, qui arriva avec sa mère et
ses frères, accompagné de trois cents sergents d'armes et d'une multitude
de chevaliers. De son côté, le pape avait avec lui dix-huit évêques; voici
comment la chronique du monastère de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]] parle de cette entrevue<span id="note62"></span>[[#footnote62|<sup>62</sup>]]:
«Et il faut savoir que, dans l'intérieur du monastère, reçurent l'hospitalité
le seigneur pape avec ses chapelains et toute sa cour; l'évêque de Senlis
avec sa maison; l'évêque d'Évreux avec sa maison; le seigneur roi de
France avec sa mère, son frère, sa sœur et toute leur suite; le seigneur
empereur de Constantinople avec toute sa cour; le fils du roi d'Aragon
avec tous ses gens; le fils du roi de Castille avec tous ses gens; et beaucoup d'autres
chevaliers, clercs et religieux que nous passons sous silence. Et
cependant, malgré ces innombrables hôtes, jamais les moines ne se dérangèrent
de leur dortoir, de leur réfectoire, de leur chapitre, de leur infirmerie,
de leur cuisine, de leur cellier, ni d'aucun des lieux réputés conventuels.
L'évêque de Langres fut aussi logé dans l'enceinte du couvent.»
Innocent IV séjourna un mois entier à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]], et saint Louis quinze
jours.
 
Ce passage fait bien connaître ce qu'étaient devenues les grandes abbayes
au XIII<sup>e</sup> siècle, à quel degré de richesse elles étaient arrivées, quelle était
l'étendue incroyable de leurs dépendances, de leurs bâtiments, et combien
l'institution monastique devait s'altérer au milieu de ces influences séculières.
Saint Louis et ses successeurs se firent les protecteurs immédiats de
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]]; mais par cette protection même, attentive et presque jalouse, ils
enlevaient au grand monastère cette indépendance qui, pendant les XI<sup>e</sup>
et XII<sup>e</sup> siècles, avait été d'un si puissant secours au Saint-Siège<span id="note63"></span>[[#footnote63|<sup>63</sup>]].
 
En perdant leur indépendance; les ordres religieux perdirent leur originalité
comme artistes constructeurs; d'ailleurs, l'art de l'architecture enseigné
et professé par eux; était sorti de leurs mains à la fin du XII<sup>e</sup> siècle, et
à partir de cette époque, sauf quelques données traditionnelles conservées
dans les couvents, quelques dispositions particulières apportées par les
nouveaux ordres prêcheurs, l'architecture monastique ne diffère pas de
l'architecture civile. À la fin du XV<sup>e</sup> siècle la plupart des abbayes étaient
tombées en commende, et celle de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]] elle-même échut à la maison de
Lorraine. Au XVI<sup>e</sup> siècle, avant la réformation, beaucoup furent sécularisées.
Autour des établissements religieux tout avait marché, tout s'était élevé,
grâce à leurs efforts persévérants, à l'enseignement qu'ils avaient répandu
dans les classes inférieures. Pendant le cours du XIII<sup>e</sup> siècle, les ordres
mendiants avaient eux-mêmes rempli leur tâche: ils ne pouvaient que
décliner. Quand arriva la tempête religieuse du XVI<sup>e</sup> siècle, ils furent hors
d'état de résister, et depuis cette époque jusqu'à la révolution du dernier siècle,
ce ne fut qu'une longue agonie. Il faut rendre cette justice aux bénédictins
qu'ils employèrent cette dernière période de leur existence (comme
s'ils prévoyaient leur fin prochaine) à réunir une masse énorme de documents
enfouis dans leurs riches bibliothèques, et à former ces volumineux
recueils qui nous sont devenus si précieux aujourd'hui, et qui sont comme
le testament de cet ordre.
 
Nous ne nous sommes occupés que des établissements religieux qui
eurent une influence directe sur leur temps, des institutions qui avaient
contribué au développement de la civilisation; nous avons dû passer sous
silence un grand nombre d'ordres qui, malgré leur importance au point
de vue religieux, n'exercèrent pas une action particulière sur les arts et sur
les sciences. Parmi ceux-ci il en est un cependant que nous ne saurions
omettre: c'est l'ordre des Chartreux, fondé à la fin du XI<sup>e</sup> siècle par
saint Bruno. Alors que les clunisiens étaient constitués en gouvernement,
étaient mêlés à toutes les affaires de cette époque, saint Bruno établissait
une règle plus austère encore que celle de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]]: c'était la vie cénobitique
dans toute sa pureté primitive. Les chartreux jeûnaient tous les
vendredis au pain et à l'eau; ils s'abstenaient absolument de viande, même
en cas de maladie, leur vêtement était grossier, et faisaient ''horreur à voir'',
ainsi que le dit Pierre le Vénérable au second livre ''des Miracles''. Ils
devaient vivre dans la solitude la plus absolue, le prieur et le procureur
de la maison pouvant seuls sortir de l'enceinte du monastère; chaque religieux
était renfermé dans une cellule, à laquelle on ajouta un petit jardin
vers le milieu du XII<sup>e</sup> siècle.
 
Les chartreux devaient garder le silence en tous lieux, se saluant entre
eux sans dire un mot. Cet ordre, qui conserva plus que tout autre la
rigidité des premiers temps, avait sa principale maison à la Grande-Chartreuse,
près Grenoble; il était divisé en seize ou dix-sept provinces, contenant
cent quatre-vingt-neuf monastères, parmi lesquels on en comptait
quelques-uns de femmes. Ces monastères prirent tous le nom de chartreuses,
et étaient établis de préférence dans des déserts, dans des montagnes,
loin des lieux habités. L'architecture des chartreux se ressent de
l'excessive sévérité de la règle; elle est toujours d'une simplicité qui exclut
toute idée d'art. Sauf l'oratoire et les cloîtres, qui présentaient un aspect
monumental, le reste du couvent ne consistait qu'en cellules, composées
primitivement d'un rez-de-chaussée avec un petit enclos de quelques
mètres. À partir du XV<sup>e</sup> siècle seulement les arts pénétrèrent dans ces
établissements, mais sans prendre un caractère particulier; les cloîtres,
les églises devinrent moins nus, moins dépouillés; on les décora de
peintures qui rappelaient les premiers temps de l'ordre, la vie de ses
patriarches. Les chartreuses n'eurent aucune influence sur l'art de l'architecture;
ces couvents restent isolés pendant le moyen âge, et c'est à cela
qu'ils durent de conserver presque intacte la pureté de leur règle. Cependant,
dès le XIII<sup>e</sup> siècle, les chartreuses présentaient, comparativement à ce
qu'elles étaient un siècle auparavant, des dispositions presque confortables,
qu'elles conservèrent sans modifications importantes jusque dans les derniers
temps.
</div>
[[Image:Plan.chartreuse.Clermont.png|center]]
<div class="text">
<span id=Clermont1>Nous donnons le plan de la chartreuse de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clermont.Ferrant|Clermont]]<span id="note64"></span>[[#footnote64|<sup>64</sup>]], modifiée en 1676 (27).
On peut voir avec quel soin tout est prévu et combiné dans cette agglomération
de cellules, ainsi que dans les services généraux. En O est la porte
du monastère, donnant entrée dans une cour, autour de laquelle sont disposés,
en P, quelques chambres pour les hôtes; un fournil en T; en N des
étables avec chambres de bouviers; en Q des granges pour les grains et
le foin. C est une petite cour relevée, avec fontaine, réservée au prieur;
G le logis du prieur; B est le chœur des frères et A le sanctuaire; L la
sacristie; M des chapelles; K la chapelle de Pontgibaud; E la salle capitulaire;
S un petit cloître intérieur; X le réfectoire, et V la cuisine avec ses
dépendances; ''a'' la cellule du sous-supérieur avec son petit jardin ''b''. De la
première cour, on ne communique au grand cloître que par le passage F,
assez large pour permettre le charroi du bois nécessaire aux chartreux;
D est le grand préau entouré par les galeries du cloître, donnant entrée
dans les cellules I, formant chacune un petit logis séparé, avec jardin particulier;
R des tours de guet; Z la prison; Y le cimetière; H est une tour
servant de colombier.
</div>
[[Image:Plan.cellule.chartreuse.Clermont.png|center]]
<div class="text">
Les chartreux ne se réunissaient au réfectoire que certains jours de
l'année<span id="note65"></span>[[#footnote65|<sup>65</sup>]]; habituellement ils ne sortaient point de leurs cellules; un frère
leur apportait leur maigre pitance à travers un tour. Le plan (28) d'une
des cellules indique clairement quelles étaient les habitudes claustrales des
chartreux. A est la galerie du cloître; B un premier couloir qui isole le
religieux du bruit ou du mouvement du cloître; K un petit portique qui
permet au prieur de voir l'intérieur du jardin, et d'approvisionner le
chartreux de bois ou d'autres objets nécessaires déposés en L, sans entrer
dans la cellule; C une première salle chauffée; D la cellule avec son lit et
trois meubles: un banc, une table et une bibliothèque; F le promenoir
couvert, avec des latrines à l'extrémité; H le jardin; I le tour dans lequel
on dépose la nourriture; ce tour est construit de manière que le religieux
ne peut voir ce qui se passe dans la galerie du cloître. Un petit escalier
construit dans le couloir B donnait accès dans les combles soit pour la
surveillance, soit pour les réparations nécessaires. Ces dispositions se
retrouvent à peu près les mêmes dans tous les couvents de chartreux
répandus sur le sol de l'Europe occidentale.
 
Nous ne finirons pas cet article sans transcrire le singulier programme
de l'abbaye de Thélème, donné par Rabelais, parodiant, au XVI<sup>e</sup> siècle, ces
grandes fondations du moyen âge. Cette bouffonnerie, au fond de laquelle
on trouve un côté sérieux, comme dans tout ce qu'a laissé cet admirable
écrivain, dévoile la tendance des esprits à cette époque, en fait d'architecture,
et combien on respectait peu ces institutions qui avaient rendu
tant de services. Ce programme rentre d'ailleurs dans notre sujet en
ce qu'il présente un singulier mélange de traditions monastiques, et
de dispositions empruntées aux châteaux élevés pendant les premiers temps
de la renaissance. Après une conversation burlesque entre frère Jean
et Gargantua, celui-ci se décide à fonder une abbaye d'hommes et
de femmes, de laquelle on pourra sortir quand bon semblera. Donc:
«Pour le bastiment et assortiment de l'abbaye, Gargantua feit livrer
de content vingt et sept cens mille huict cens trente et ung moutons
à la grand laine, et, par chascun an, jusques à ce que le tout feust
parfaict, assigna, sur la recepte de la Dive, seize cens soixante et neuf
mille escuz au soleil et autant à l'estoille poussiniere. Pour la fondation et
entretenement d'icelle, donna à perpetuité vingt et trois cens soixante neuf
mille cinq cens quatorze nobles à la rose, de rente foncière, indemnez,
amortys, et soluables par chascun an à la porte de l'abbaye. Et de ce
leur passa belles lettres. Le bastiment feut en figure exagone, en telle
façon que à chascun angle estoyt bastie une grosse tour ronde, à la capacité
de soixante pas en diametre. Et estoyent toutes pareilles en grosseur
et portraict. La riviere de la Loire decouloit sus l'aspect du septentrion.
Au pied d'icelle estoyt une des tours assise nommée Artice. En tirant vers
l'orient estoyt une autre nommée Calaer. L'autre ensuivant Anatole;
l'autre après Mesembrine; l'autre après Hesperie; la derniere, Cryere,
Entre chascune tour estoyt espace de trois cens douze pas. Le tout basty
à six estaiges, comprenent les caves soubz terre pour ung. Le second
estoyt voulté à la forme d'une anse de penier. Le reste estoyt embranché
de guy de Flandres à forme de culz de lampes. Le dessus couvert d'ardoise fine, avec l'endoussure de plomb à figures de petitz manequins et
animaulx bien assortiz et dorés, avec les goutieres qui issoyent hors la
muraille entre les croysées, painctes en figure diagonale d'or et azur,
iusques en terre, ou finissoyent en grandz eschenaulx, qui tous conduisoyent
en la riviere par dessoubz le logis.
 
«Ledict bastiment estoyt cent foys plus magnifique que n'est Bonivet,
ne Chambourg, ne Chantilly, car en icelluy estoyent neuf mille troys cens
trente et deux chambres, chascune guarnie de arriere chambre, cabinet,
guarderobe, chapelle et issue en une grande salle. Entre chascune tour,
au mylieu dudict corps de logis, estoyt une vis brisée dedans icelluy
mesme corps. De laquelle les marches estoyent part de porphyre, part
de pierre numidicque, part de marbre serpentin, longues de vingt et deux
piedz; l'espoisseur estoyt de troys doigtz, l'asseize par nombre de douze
entre chascun repous. Entre chascun repous estoyent deux beaulx arceaulx
d'anticque, par lesquels estoyt receue la clairté; et par iceulx on
entroyt en ung cabinet faict à claire-voye de largeur de ladicte vis, et
montoit jusques au-dessus de la couverture, et là finoit en pavillon.
Par icelle vis on entroyt de chascun cousté en une grande salle et
des salles en chambre. De la tour Artice jusques à Cryere estoyent les
belles grandes librairies en grec, latin, hebrieu, françois, toscan et hespaignol,
departies par les divers estaiges, selon iceulx languaiges. Au
milieu estoyt une merveilleuse vis, de laquelle l'entrée estoyt par le
dehors du logis en ung arceau large de six toises. Icelle estoit faicte en
telle symetrie et capacité que six hommes d'armes, la lance sus la cuisse,
pouvoyent de front ensemble monter jusques au-dessus de tout le bastiment.
Depuis la tour Anatole jusques à Mesembrine estoyent belles
grandes galleries, toutes painctes des anticques proesses, histoyres et
descriptions de la terre. Au mylieu estoyt une pareille montée et porte,
comme avons dict du cousté de la riviere...
 
Au mylieu de la basse court estoyt une fontaine magnifique de bel
alabastre. Au-dessus, les troys Graces, avecques cornes d'abundance,
et iectoyent l'eau par les mamelles, bouche, aureilles, yeulx, et aultres
ouvertures du corps. Le dedans du logis sus la dicte basse court estoyt
sus gros pilliers de cassidoine et porphyre, à beaulx arcs d'anticque, au
dedans desquelz estoyent belles gualleries longues et amples, ornées de
painctures, de cornes de cerfz, licornes, rhinocerotz, hippopotames, dens
d'elephans et aultres choses spectables. Le logys des dames comprenoyt
depuis la tour Artice jusques à la porte Mesembrine. Les hommes occupoyent
le reste. Devant ledict logys des dames, affin qu'elles eussent
l'esbatement, entre les deux premieres tours au dehors, estoyent les lices,
l'hippodrome, le theatre et natatoires, avecques les bains mirificques à
triple solier, bien guarniz de tous assortimens et foison d'eau de myrrhe.
Jouxte la riviere estoyt le beau jardin de plaisance. Au milieu d'icelluy
le beau labyrinthe. Entre les deux aultres tours estoyent les jeux de
paulme et de grosse balle. Du cousté de la tour Criere estoyt le vergier,
plein de tous arbres fructiers, tous ordonnez en ordre quincunce. Au bout
estoit le grand parc, foizonnant en toute saulvaigine. Entre les tierces
tours estoyent les butes pour l'arquebouse, l'arc et l'arbaleste. Les offices
hors la tour Hesperie, à simple estaige. L'escurie au delà des offices. La
faulconnerie au devant d'icelles, gouvernée par asturciers bien expertz
en l'art. Et estoit annuellement fournie par les Candiens, Venitiens et
Sarmates, de toutes sortes d'oyseaulx paragons, aigles, gerfaulx, autours,
sacres, laniers, faulcons, esparviers, esmerillons et aultres, tous
bien faictz et domesticques, que, partans du chasteau pour s'esbatre es
champs, prenoyent tout ce que rencontroyent. La venerie estoit ung peu
plus loing, tirang vers le parc...
 
«Toutes les salles, chambres et cabinets, estoyent tapissez en diverses
sortes, selon les saisons de l'année. Tout le pavé estoyt couvert de drap
verd. Les lietz estoyent de broderie...
 
«En chascune arriere chambre estoit ung mirouer de crystallin enchassé
en or fin, autour guarny de perles, et estoit de telle grandeur qu'il povoit
veritablement representer toute la personne...»
 
La règle des Thelemites se bornait à cette clause:
 
«Fay ce que vouldras, parce que,» ajoute Rabelais, «gens liberes, bien
nayz, bien instruictz, conversans en compaignies honnestes, ont par
nature ung insting et aiguillon qui tous jours les poulse à faictz vertueux,
et retire de vice, lequel ilz nommoient honneur... Iceulx, quand par
vile subjection et contraincte sont deprimez et asserviz, destournent la
noble affection par laquelle à vertu franchement tendoyent, à deposer et
enfraindre ce joug de servitude. Car nous entreprenons tousjours choses
defendues, et convoitons ce que nous est denié... Tant noblement
estoyent apprins qu'il n'estoit entre eux celluy ne celle qui ne sceust
lire, escripre, chanter, jouer d'instrumens harmonieux, parler de cinq
à six languaiges. et en iceulx composer tant en carme qu'en oraison
solue...» Toute l'histoire des premiers moments de la renaissance
est dans ce peu de mots, et l'on sait où cette facile et galante morale conduisit
la société, et comment tant de gens «bien nayz, bien instruictz,
furent poulsez ''par nature'' à faictz vertueux.»
 
Nous avons dû dans cet article, déjà bien long, nous occuper seulement
des dispositions générales des monastères, nous renvoyons nos
lecteurs, pour l'étude des différents services et bâtiments qui les composaient,
aux mots: [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1, Architecture religieuse|Architecture Religieuse]], [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 5, Église|Église]], [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3, Cloître|Cloître]], [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 7, Porche|Porche ]],
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 8, Réfectoire|Réfectoire ]], [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Cuisine|Cuisine]], [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 5, Dortoir|Dortoir]], [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 2, Bibliothèque|Bibliothèque]], [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 6, Grange|Grange]], [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 7, Porte|Porte ]],
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3, Clocher|Clocher]], [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9, Tour|Tour ]], [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 5, Enceinte|Enceinte]], etc., etc.<span id="note66"></span>[[#footnote66|<sup>66</sup>]]
 
 
<br><br>
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<span id="footnote1">[[#note1|1]] : Le plan original de l'abbaye de Saint-Gall (en Suisse) est conservé dans les
archives de ce monastère; il est reproduit à une petite échelle par dom Mabillon
(''Annales Benedictini'', t. II, p. 571), et récemment publié en ''fac-simile'' par
M. F. Keller, avec une notice descriptive. (Voy. ''Instructions sur l'arch. monast.'',
par M. Albert Lenoir.)
 
<span id="footnote2">[[#note2|2]] : Voici le passage de cette lettre donné par Mabillon (''Ann. Bened.'', t. II, p. 571, 572 ). «Hæc tibi, duldissime fili Cozberte, de positione officinarum paucis exemplata direxi, quibus sollertiam exerceas tuam, meamque devotionem utcumque cognoscas, qua tuæ bonæ voluntati satisfacere me segnem non inveniri confido. Ne suspiceris autem me hæc ideo elaborasse, quod vos putemus nostris indigere
magisteriis; sed potius, ob amorem tui, tibi soli perscrutanda pinxisse amicabili
fraternitatis intuitu crede.--Vale in Christo semper memor nostri, amen.»
 
<span id="footnote3">[[#note3|3]] : ''Histoire de l'abbaye de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]]'', par M. P. Lorain. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]], 1845; p. 16.
 
<span id="footnote4">[[#note4|4]] : C'est de l'excellent ouvrage de M. P. Lorain que nous extrayons cette traduction. (''Bibl. Clun.'', col. 1, 2, 3, 4.)
 
<span id="footnote5">[[#note5|5]] : «...Ita ut nec nostra, nec alicujus potestatis contradictione, contra religiosam dumtaxat electionem impediantur...»
 
<span id="footnote6">[[#note6|6]] : «...Habeantque tuitionem ipsorum apostolorum atque romanum pontificem. defensorem...»
<span id="footnote7">[[#note7|7]] : «Placuit etiam huic testamento inseri ut ab hac die, nec nostro, nec parentum nostrorum, nec fascibus regiæ magnitudinis, nec cujuslibet terrenæ potestatis jugo subjiciantur iidem monachi ibidem congregati...»
 
<span id="footnote8">[[#note8|8]] : On avait toujours cru devoir employer ces sortes d'imprécations, car déjà, dès
le VII<sup>e</sup> siècle, dans un acte de donation d'une certaine Théodétrude à l'abbaye de
Saint-Denis, on lit ce passage «...Propterea rogo et contestor coram Deo et Angelis
ejus, omni nationi hominum tam propinquis quam extraneis, ut nullus contra
deliberatione mea impedimentum sancto Dionysio de hac re quæ ad me per has
litteras deputatum est facere præsumat. si fuerit qui minas suas ad hoc apposuerit
faciendo, æternus Rex peccata mea absolvat, et ille maledictus in inferno interiori
et Anathema et Maranatha percussus cum Juda cruciandus descendat, et peccatum
quem amittit in filios et in domo sua crudelissima plaga ut leprose pro hujus culpa
a Deo percussus, ut non sit qui inhabitet in domo ejus, ut eorum plaga in multis
timorem concutiat, et quantum res ipsa meliorata valuerit, duplex, salisfactione
fisco egenti exsolvat...» (''Hist. de l'abb. de Saint- Denis'', Félibien, pièces just.,
p. IV. ) Dans une charte de Gammon pour le monastère de Limeux, en 697 (''Annal.
Bened.'', t. I, append., art, 34); dans la charte de fondation des monastères de Poultiers
et de Vézelay. donnée par Gérard de Roussillon au IX<sup>e</sup> siècle (''Hug. Pict.'',
Courtépée), et dans beaucoup d'autres pièces, ces malédictions se présentent à peu
près dans les mêmes termes, comme on le voit d'ailleurs par les ''Formules de
Marculphe''.
 
<span id="footnote9">[[#note9|9]] : ''Histoire de l'abbaye de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]]'', par M. P. Lorain.
 
<span id="footnote10">[[#note10|10]] : En 893, un abbé de Saint-Denis, Ebles, fut tué en Aquitaine d'un coup de pierre à l'attaque d'un château qu'il assiégeait comme capitaine d'une troupe de
soldats. (''Hist. de l'abb. de Saint-Denys'', par D. Felibien, p. 100.)
 
<span id="footnote11">[[#note11|11]] : ''Hist. de l'abb. de Saint-Germain des Prez'', par D. Bouillart. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]], 1724, p. 30; in-f°.
 
<span id="footnote12">[[#note12|12]] : ''Hist. de l'abb. de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]]'', par M. P. Lorain, p. 41 et suiv.
 
<span id="footnote13">[[#note13|13]] : ''[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]] au XI<sup>e</sup> siècle'', par l'abbé Cucherat. (Voy. Mabillon, ''Ann. Ben.'', t. V, p. 70. «...Ne in vacuum laborare videretur, et ne semel recuperatus locus iterum in
pejora laberetur.»)
 
<span id="footnote14">[[#note14|14]] : ''Hist. de Saint-Étienne Harding'', p. 264.--Voy. ''Essai sur l'hist. monét. de l'abb. de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]]'', 1842, p. 8 (tiré à 25 exempl.), par M. Anatole Barthélemy.
 
<span id="footnote15">[[#note15|15]] : ''[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]] au XI<sup>e</sup> siècle'', par l'abbé Cucherat, p. 23.
 
<span id="footnote16">[[#note16|16]] : ''Bibl. Clun.'', dans les notes d'André Duchesne, col. 24.
 
<span id="footnote17">[[#note17|17]] : Mabillon, sixième préface de ses ''Acta sanctorum ord. S. Bened.'', t. V. n<sup>os</sup> 48 et 49.
 
<span id="footnote18">[[#note18|18]] : Udalr. ''Antiq. consuet.'', lib. III, cap. 24. Nous empruntons cette traduction à l'ouvrage de M. l'abbé Cucherat, que nous avons déjà eu l'occasion de citer tant de fois. Les ''Antiquiores consueludines cluniacensis monasterii'' d'Udalric se trouvent intégralement imprimées dans le ''Spicilegium'', t. I, in-folio, p. 641 et suiv. On les a réunies à l'œuvre du moine Bernard dont il est l'abréviateur, in-4° en 126 p.
 
<span id="footnote19">[[#note19|19]] : Ce plan est à l'échelle de 0<sup>m</sup>,0005 pour mètre.
 
<span id="footnote20">[[#note20|20]] : «In quibusdam ecclesiis sacerdos in aliquo altari foribus proximiori celebrat missam, jussu episcopi, pœnitentibus ante fores ecclesiæ constitutis.» (Lorain. p.66.)
 
<span id="footnote21">[[#note21|21]] : ''Ibid.''
 
<span id="footnote22">[[#note22|22]] : ''Apocalypse''.
 
<span id="footnote23">[[#note23|23]] : ''Hist. de l'abb. de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]]'', Lorain.
 
<span id="footnote24">[[#note24|24]] : Ce plan est à l'échelle de 0<sup>m</sup>,0005 pour mètre.
 
<span id="footnote25">[[#note25|25]] : La vue cavalière de l'abbaye Saint-Étienne de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Caen|Caen]], que nous donnons ici, est
copiée sur une gravure de la ''Topographie de la Gaule'' (NORMANDIE). Merians, éd.
Francfort, 1662. Voy. aussi les Monog. d'abb. Bib. Sainte-Geneviève.
 
<span id="footnote26">[[#note26|26]] : Les frères ''convers'' différaient des frères ''profes'', en ce que leurs vœux étaient
simples et non solennels. C'étaient des serviteurs que les cisterciens pouvaient s'attacher
avec la permission de l'évêque diocésain. À une époque où les monastères étaient
pleins de religieux de race noble, les frères convers étaient pris parmi les laboureurs,
les gens de métiers: ils portaient un costume régulier toutefois et mangeaient à la
table commune au réfectoire. On comprend que dans des temps où la condition du
peuple des campagnes était aussi misérable que possible, les Couvents cisterciens ne
devaient pas manquer de frères convers qui retrouvaient ainsi, en entrant dans le
cloître, la sécurité, une grande liberté relative, et une existence assurée.
 
<span id="footnote27">[[#note27|27]] : [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]] arriva promptement au nombre incroyable de deux mille maisons monastiques des deux sexes; chaque maison possédait cinq ou six granges. {''Histoire de l'abbaye de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes M#Morimond|Morimond]]'', par l'abbé Dubois, 2<sup>e</sup> édit., 1852; ''Annales de l'ordre de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]]: Essai sur l'histoire de l'ordre de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Citeaux|Cîteaux]]'', par D. P. Le Nain, 1696.)
 
<span id="footnote28">[[#note28|28]] : Nous devons ce plan à l'obligeance de M. Harmand, bibliothécaire de la ville de Troyes, et de M. Millet, architecte de ce diocèse, qui a bien voulu nous en fournir un calque.
 
<span id="footnote29">[[#note29|29]] : ''Colloquii locus.''
 
<span id="footnote30">[[#note30|30]] : ''Calefactorium.''
 
<span id="footnote31">[[#note31|31]] : Il existe encore, en effet, dans la grande église abbatiale de Pontigny, des vitraux blancs de l'époque de sa construction, dont les plombs seuls forment des dessins d'un beau style, et comme le ferait un simple trait sur une surface incolore (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9, Vitrail|Vitrail ]]).
 
<span id="footnote32">[[#note32|32]] : Voy. la ''Notice sur l'abbaye de Pontigny'', par le baron Chaillou des Barres, 1844.
 
<span id="footnote33">[[#note33|33]] : Ce plan est extrait de la topogr. de la France. Bibl. imp. Estamp. Ces bâtiments furent complétement altérés au commencement du dernier siècle.
 
<span id="footnote34">[[#note34|34]] : Jul. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]]. ''Espr. primit. de Cît.'', sect 10 et 11: ''De l'off. du portier. Hist. de l'abb. de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes M#Morimond|Morimond]]'', par l'abbé Dubois.
 
<span id="footnote35">[[#note35|35]] : L'église de Pontigny et la grange à l'entrée sont encore conservées; cette église, quoique d'une simplicité un peu puritaine, ne laisse pas d'être fort belle; nous ne savons s'il a jamais existé un clocher sur le transsept; il n'en reste plus de traces.
 
<span id="footnote36">[[#note36|36]] : Ce plan nous a été communiqué par M. Bérard, architecte, qui a fait sur cette abbaye un travail graphique important, accompagné d'une excellente notice à laquelle nous renvoyons nos lecteurs. Ces plans sont aujourd'hui la propriété du ministère d'État.
 
<span id="footnote37">[[#note37|37]] : [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes F#Fontenay|Fontenay]] appartient aujourd'hui aux descendants du célèbre Montgolfier; le monastère est devenu une papeterie importante.
 
<span id="footnote38">[[#note38|38]] : ''Annales cist.'', t. II, p. 50.
<span id="footnote39">[[#note39|39]] : ''Annales cist.'', t. III., p. 440, et t. IV, p. 370.
 
<span id="footnote40">[[#note40|40]] : Du Cange, ''Gloss.''
<span id="footnote41">[[#note41|41]] : ''Saint-Anselme de Cant.'', par M. C. de Rémusat, [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]], 1853; voir les chap. I et II.
 
<span id="footnote42">[[#note42|42]] : Entre autres ceux de Reims, d'Amiens, de Laon.
 
<span id="footnote43">[[#note43|43]] : ''Hist. de l'abb. de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes M#Morimond|Morimond]]'', par M. l'abbé Dubois, chap. XXIII.
 
<span id="footnote44">[[#note44|44]] : Du Cange, ''Gloss.'': «''Pontifex'', pontium exstructor. ''Fratres Pontis'' sub finem
secundæ stirpis regum Franc. ad hoc potissimum institui, ut viatoribus tutelam,
hospitium, aliaque necessaria præstarent. Fratres Pontis dicti quod pontes
construerent uti facilius et tutius fluvios transire possent viatores. Sic avenionensem
pontem præsidente et architecto S Benezeto exstruere ut fusius docetur in ejusdem
sancti historia Aquis edita ana. 1707, in-16. Horum ''hospitalariurum Pontificum'',
seu Factorum Pontium (sic aliquando vocantur) ''habitus'' erat ''vestis alba cum signo''
''pontis et crucis de panno supra pectus'', ut loquitur charta ann. 1471, pro Hospitali
Pontis S. Spiritus, ex schedis D. ''Lancelot''.»
 
<span id="footnote45">[[#note45|45]] : A, l'église, dont le chœur remonte aux premières années du XII<sup>e</sup> siècle, et la nef
fut rebâtie vers 1240. B, le cloître. C, chapelle Notre-Dame. D, réfectoire. G, salle
capitulaire. H, mortuaire. E, petit dortoir. I, grandes salles, dortoirs au-dessus.
K, celliers. L, cuisine. N, chapelle Saint-Michel.
 
<span id="footnote46">[[#note46|46]] : A, l'église, la base de la tour est seule conservée, sa construction date du XI<sup>e</sup> siècle. B, le grand cloître. C, le chapitre. D, Jardin. E, le réfectoire. F, les
cuisines.
 
<span id="footnote47">[[#note47|47]] : A, l'église. B, le cloître. C, la porte principale de l'abbaye du côté de la ville. D, porte dite papale du côté des prés. E, salle capitulaire et dortoirs au-dessus. F, la chapelle de la Vierge, bâtie par P. de Montereau. G, le réfectoire, bâti par le même
architecte. H, celliers et pressoirs. I, la maison abbatiale. K, les fossés. L, jardins.
M, dépendances. L'infirmerie à l'extrémité du bâtiment E.
 
<span id="footnote48">[[#note48|48]] : Voir la notice de M. Hérard sur cette abbaye. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]], 1851, et le curieux travail
graphique de cet architecte, déposé aux archives des Monuments hist. minist. d'État.
Le chemin de fer de Creil passe aujourd'hui à travers les enclos de l'abbaye.
 
<span id="footnote49">[[#note49|49]] : L'enceinte de la ville fut reconstruite sous Charles VII, mais elle remplaçait des
fortifications plus anciennes dont on retrouve de nombreuses traces.
 
<span id="footnote50">[[#note50|50]] : «Adhæret huic portæ domus prima custodiarum, ubi ab ingressuris, si qua habeant arma, deponuntur, nisi ea retinere permittat monasterii prior, qui arcis prorector est.» (Mabillon, ''Annal. benedict.'', t. IV, p. 75.)
 
<span id="footnote51">[[#note51|51]] : Ce nom ne lui fut donné qu'après l'institution de l'ordre de Saint-Michel, sous Louis XI. C'était probablement au XIII<sup>e</sup> siècle le dortoir de la garnison.
 
<span id="footnote52">[[#note52|52]] : Le [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes M#Mont-Saint-Michel|Mont-Saint-Michel]] est aujourd'hui une maison de détention; des planchers et des cloisons coupent la belle salle des Chevaliers et les dortoirs. En 1834, la charpente
de la nef de l'église fut incendiée et les maçonneries romanes du vaisseau souffrirent
beaucoup de ce sinistre. Le chœur est bien conservé, et quoique bâti en granit,
il présente un des exemples les plus ouvragés de l'architecture ogivale des derniers
temps.
 
<span id="footnote53">[[#note53|53]] : Cette vue est copiée sur l'une des gravures du ''Monasticon Gallic.'' (Monogr. d'abbayes, bibl. Sainte-Geneviève).
 
<span id="footnote54">[[#note54|54]] : Riv. Tiretaine. L'abbaye de Saint-Allyre avait été rebâtie sous le pontificat de Pascal II, par conséquent dans les premières années du XII<sup>e</sup> siècle, Elle était autrefois
comprise dans l'enceinte de la ville de Clermont, mais ne fut fortifiée que plus tard,
lorsqu'elle fut laissée en dehors des nouvelles fortifications, vers la fin du XIIe siècle.
(Mabillon. ''Ann. bénéd.--Antiquit. de la France'', in-12, 1631.
 
<span id="footnote55">[[#note55|55]] : ''Saint François d'Assises et saint Thomas d'Aquin'', par E. J. Delécluze, t. I<sup>er</sup>, p. 278 et suiv.
 
<span id="footnote56">[[#note56|56]] : ''Le Th des antiq de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]]'', par J. Du Breul, 1634, liv. II, p. 378. Nous avons vu détruire, lors du percement de la nouvelle rue Soufflot, les derniers vestiges du
couvent des Jacobins, qui se trouvait à cheval sur les murailles de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]]. Voir la ''Statistique monum. de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]]'', publiée sous la direction de M. Albert Lenoir.
 
<span id="footnote57">[[#note57|57]] : J. Du Breul, ''Th. des ant. de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]]'', p. 380.
 
<span id="footnote58">[[#note58|58]] : Ce beau monastère, fort mutilé aujourd'hui, est occupé par un quartier d'artillerie;
l'église a été divisée en étages, les beaux meneaux en pierre des fenêtres sont détruits
depuis quelques années. Des écuries sont disposées dans le cloître et dans la jolie
chapelle peinte de Saint-Antonin. Parmi ces peintures il en est de fort remarquables, et
qui ne le cèdent en rien aux peintures italiennes de cette époque; mais elles s'altérèrent
davantage chaque jour. Les colonnes et chapiteaux du grand cloître sont en
marbre gris des Pyrénées.
 
<span id="footnote59">[[#note59|59]] : «Edit enim S. Augustinus dignitate major beato Francisco, sed et aliquot seculis
antiquior... Lesdicts frères Hermites de l'ordre de Sainct-Augustin ont eu trois
diverses maisons à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]]. Premièrement ils ont demeuré en la rue dicte encore aujourd'hui
des Vieux-Augustins... Leur esglise estoit la chapelle Saincte-Marie-Égyptienne,
près la porte Montmartre, laquelle pour lors hors la ville, avoit esté rebastie aux
despens, et à la poursuitte d'un marchand drapier de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]]... Secondement ils ont
demeuré auprès la porte Sainct-Victor, en un lieu vague incult, et remply de chardons,
qui pour cela s'appeloit ''Cardinelum à carduis'', et s'estendoit depuis ladicte porte,
jusques en la rue de Bièvre, où l'esglise Sainct-Nicolas enclose retient ce surnom de
''Chardonnet''... En l'année 1286, le roi Philippe le Bel concéda aux augustins l'usage
des murailles et tournelles de la ville: deffendant à toutes personnes d'y passer, ny
demeurer sans leur congé. Mais voyants qu'en tel lieu ils ne pouvoient commodément
vivre, pour le peu d'aumosnes qu'on leur faisoit: du consentement dudict roy et de
l'évesque de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]], Simon Matiphas de Bucy, ils vendirent ce qu'ils avoient acquis au
Chardonnet, et s'en vindrent tenir au lieu où ils sont de présent: que leur cédèrent les
frères de la pénitence de Jésus-Christ, dicts en latin Saccarii, et en françois Sachets...»
(Du Breul, ''Théol. des antiq. de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]]'', liv. II.)
 
<span id="footnote60">[[#note60|60]] : «Monaster. B. Mariæ-Viridis-Vallis, vulgo Grœnendæl, ordo can. reg. S. P.
August. Congreg. Windesemensis in silva Zoniæ prope Bruxellas situatum.» (''Castella
et Prætoria nobil. Brabantiæ, Cænobiaque celeb. ad viv. delin., ex museo
Jac. Baronis Le Roy.'' Antverpiæ, 1696.)
 
<span id="footnote61">[[#note61|61]] : ''Hist. du dioc. de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]]'', par l'abbé Lebeuf, t. I<sup>er</sup>, p. 332, et t. IV, p. 246.
 
<span id="footnote62">[[#note62|62]] : ''Hist. de l'abb. de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cluny|Cluny]]'', par M. P. Lorain, p. 154 et suiv.
 
<span id="footnote63">[[#note63|63]] : Pour donner une idée des tendances du pouvoir royal en France dès le XIII<sup>e</sup> siècle,
nous citerons cette parole du roi saint Louis en apprenant qu'après avoir excommunié
l'empereur Frédéric, et délié ses sujets du serment de fidélité, Grégoire X offrait la
couronne impériale au comte Robert, frère du roi de France: «il s'étonnait, dit-il,
de l'audace téméraire du pape, qui osait déshériter et précipiter du trône un aussi
grand prince, qui n'a point de supérieur ou d'égal parmi les chrétiens.» (''Hist. de
l'abb. de Cl.'', par Lorain.)
 
<span id="footnote64">[[#note64|64]] : Nous devons ce plan à l'obligeance de M. Mallay, architecte diocésain de Clermont-Ferrand, qui a bien voulu nous envoyer un calque de l'original. La grande chartreuse de Clermont est située à 50 kilom. de cette ville du côté de Bourg-Lastic;
le plan que nous présentons est un projet de restauration qui n'a pas été entièrement
exécuté, mais il a pour nous cet avantage de fournir un ensemble complet, dans
lequel les services sont étudiés et disposés avec soin.
 
<span id="footnote65">[[#note65|65]] : ''Ann. bénéd.'' Mabillon, t. VI, p. 45.
 
<span id="footnote66">[[#note66|66]] : Voy. l' ''Abécédaire, ou rudim. d'archéol., architecture civile et militaire'', par M. de Caumont. 1853.