« Consuelo/Chapitre LVII » : différence entre les versions

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« Ma tante est dans une singulière disposition d’esprit, dit Albert à Consuelo en remontant avec elle l’escalier du perron. Je vous demande pardon pour elle, mon amie ; soyez sûre qu’aujourd’hui même elle changera de manières et de langage.
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Anzoleto (car c’était lui ; elle ne l’avait que trop bien deviné à son audace, et que trop bien reconnu au bruit de ses pas) s’était préparé à l’aborder effrontément par une embrassade fraternelle en présence des témoins. Lorsqu’il la vit entrer seule, pâle, mais froide et sévère, il perdit tout son courage, et vint se jeter à ses pieds en balbutiant. Il n’eut pas besoin de feindre la joie et la tendresse. Il éprouvait violemment et réellement ces deux sentiments, en retrouvant celle qu’il n’avait jamais cessé d’aimer malgré sa trahison. Il fondit en pleurs ; et, comme elle ne voulut point lui laisser prendre ses mains, il couvrit de baisers et de larmes le bord de son vêtement. Consuelo ne s’était pas attendue à le retrouver ainsi. Depuis quatre mois, elle le rêvait tel qu’il s’était montré la nuit de leur rupture, amer, ironique, méprisable et haïssable entre tous les hommes. Ce matin même, elle l’avait vu passer avec une démarche insolente et un air d’insouciance presque cynique. Et voilà qu’il était à genoux, humilié, repentant, baigné de larmes, comme dans les jours orageux de leurs réconciliations passionnées ; plus beau que jamais, car son costume de voyage un peu commun, mais bien porté, lui seyait à merveille, et le hâle des chemins avait donné un caractère plus mâle à ses traits admirables.
 
Palpitante comme la colombe que le vautour vient de saisir, elle fut forcée de s’asseoir et de cacher son visage dans ses mains, pour se dérober à la fascination de son regard. Ce mouvement, qu’Anzoleto prit pour de la honte, l’encouragea ; et le retour des mauvaises pensées vint bien vite gâter l’élan naïf de son premier transport. Anzoleto, en fuyant Venise et les dégoûts qu’il y avait éprouvés en punition de ses fautes, n’avait pas eu d’autre pensée que celle de chercher fortune ; mais en même temps il avait toujours nourri le désir et l’espérance de retrouver sa chère Consuelo. Un talent aussi éblouissant ne pouvait, selon lui, rester caché bien longtemps, et nulle part il n’avait négligé de prendre des informations, en faisant causer ses hôteliers, ses guides, ou les voyageurs dont il faisait la rencontre. À Vienne, il avait retrouvé des personnes de distinction de sa nation, auxquelles il avait confessé son coup de tête et sa fuite. Elles lui avaient conseillé d’aller attendre plus loin de Venise que le comte Zustiniani eût oublié ou pardonné son escapade ; et en lui promettant de s’y employer, elles lui avaient donné des lettres de recommandation pour Prague, Dresde et Berlin. En passant devant le château des Géants, Anzoleto n’avait pas songé à questionner son guide ; mais, au bout d’une heure de marche rapide, s’étant ralenti pour laisser souffler les chevaux, il avait repris la conversation en lui demandant des détails sur le pays et ses habitants. Naturellement le guide lui avait parlé des seigneurs de Rudolstadt, de leur manière de vivre, des bizarreries du comte Albert, dont la folie n’était plus un secret pour personne, surtout depuis l’aversion que le docteur Wetzélius lui avait vouée très -cordialement. Ce guide n’avait pas manqué d’ajouter, pour compléter la chronique scandaleuse de la province, que le comte Albert venait de couronner toutes ses extravagances en refusant d’épouser sa noble cousine la belle baronne Amélie de Rudolstadt, pour se coiffer d’une aventurière, médiocrement belle, dont tout le monde devenait amoureux cependant lorsqu’elle chantait, parce qu’elle avait une voix extraordinaire.
 
Ces deux circonstances étaient trop applicables à Consuelo pour que notre voyageur ne demandât pas le nom de l’aventurière ; et en apprenant qu’elle s’appelait Porporina, il ne douta plus de la vérité. Il rebroussa chemin à l’instant même ; et, après avoir rapidement improvisé le prétexte et le titre sous lesquels il pouvait s’introduire dans ce château si bien gardé, il avait encore arraché quelques médisances à son guide. Le bavardage de cet homme lui avait fait regarder comme certain que Consuelo était la maîtresse du jeune comte, en attendant qu’elle fût sa femme ; car elle avait ensorcelé, disait-on, toute la famille, et, au lieu de la chasser comme elle le méritait, on avait pour elle dans la maison des égards et des soins qu’on n’avait jamais eus pour la baronne Amélie.
 
Ces détails stimulèrent Anzoleto tout autant et peut-être plus encore que son véritable attachement pour Consuelo. Il avait bien soupiré après le retour de cette vie si douce qu’elle lui avait faite ; il avait bien senti qu’en perdant ses conseils et sa direction, il avait perdu ou compromis pour longtemps son avenir musical ; enfin il était bien entraîné vers elle par un amour à la fois égoïste, profond, et invincible. Mais à tout cela vint se joindre la vaniteuse tentation de disputer Consuelo à un amant riche et noble, de l’arracher à un mariage brillant, et de faire dire, dans le pays et dans le monde, que cette fille si bien pourvue avait mieux aimé courir les aventures avec lui que de devenir comtesse et châtelaine. Il s’amusait donc à faire répéter à son guide que la Porporina régnait en souveraine à Riesenburg, et il se complaisait dans l’espérance puérile de faire dire par ce même homme à tous les voyageurs qui passeraient après lui, qu’un beau garçon étranger était entré au galop dans le manoir inhospitalier des Géants, qu’il n’avait fait que VENIR, VOIR et VAINCRE, et que, peu d’heures ou peu de jours après, il en était ressorti, enlevant la perle des cantatrices à très -haut, très -puissant seigneur le comte de Rudolstadt.
 
À cette idée, il enfonçait l’éperon dans le ventre de son cheval, et riait de manière à faire croire à son guide que le plus fou des deux n’était pas le comte Albert.