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NOTICE

est que la génération est l’artifice dont use l’amour pour donner à l’être mortel ce qu’il peut recevoir d’immortalité : c’est lui qui fait tourner la « roue des générations » et son action motrice y demeure immanente. Donc les êtres qui sont en dehors de cette révolution, ou par nature comme les dieux, ou, comme les vrais philosophes, grâce à une vie pure et sainte, grâce à un effort persévérant pour atteindre la pensée qui est l’objet de leurs amours[1], ces êtres semblent, par nature ou en conséquence de leur sainteté, devoir ignorer l’amour ; et de même aussi ceux qui, par un effort discipliné, en auront atteint le terme. D’où vient alors que la divinité de Platon, à la différence de celle d’Aristote ou de Spinoza, connaisse cependant l’amour et l’éprouve à l’égard des hommes (cf. 212 a) que l’amour a soulevés de terre jusqu’à la contemplation de la Beauté éternelle ? — Voici quelle serait peut-être la solution de cette difficulté. Quand l’amour s’évanouit à titre de tendance vers ce dont il est encore dépourvu, il subsiste néanmoins, en retour, comme effusion bienveillante, comme faveur concédée, comme grâce condescendante. Ce n’est pas à dire qu’il y ait deux amours et qui, au rebours de ce que pensaient Pausanias et Éryximaque, seraient bons tous les deux : une telle dualité contredirait radicalement la théorie exposée, d’après laquelle au contraire la nature de l’amour est unique, tout en synthétisant des opposés. Qu’on se rappelle plutôt l’erreur reprochée par Diotime-Socrate à Socrate-Agathon : il a cru que l’Amour c’était l’aimable, c’est-à-dire l’aimé ; il n’a pas compris que l’amant seul est une image de cet amour dont il est à présent question et qui est aspiration vers ce dont il manque (cf. 204 c). Autrement dit, l’aimable est ce dans quoi se repose l’amour. Si maintenant, pour user du langage équivoque de l’érotique commune, celui-là même dont Platon ne se départ guère, nous appelons aimable le bien-aimé, il apparaîtra alors qu’à l’élan qui meut l’amant vers lui doive répondre cet autre amour qui consiste à le payer de bonté, à récompenser par le don gracieux de sa faveur l’hommage que lui rend son effort. Donc ce n’est pas deux amours qu’il faut distinguer, mais bien les deux sujets de l’amour, dont l’un aime pour être aimé, tandis que l’autre aime parce qu’il est aimé. Ainsi, les dieux

  1. Phédon 63 b c, 64 a sqq., 67 c-68 b, 80 e sq.