Simon/Chapitre 12
XII.
Fiamma, non moins impatiente que le comte de voir arriver la fin d’une discussion où elle avait parlé cependant avec lenteur et gravité, courut chez la mère Féline. Elle la trouva triste et malade ; elle lui dit qu’elle avait aperçu de loin Simon sur la route de Guéret, et demanda s’il reviendrait le soir, quoique, à voir son attirail, elle eût bien observé qu’il allait faire une longue absence. Le ton dont madame Féline lui répondit qu’il ne reviendrait pas même le lendemain, lui fit comprendre, qu’elle ne s’était pas trompée dans ses conjectures. Fiamma depuis plusieurs jours avait compris la douleur de Simon et n’avait cherché qu’une occasion pour la faire cesser. Cette impatience d’avoir une explication avec le marquis avait été remarquée et interprétée en sens contraire par l’infortuné Simon. Il était parti une heure trop tôt. Le cœur de Fiamma se brisait en songeant aux tortures qu’il avait dû éprouver et qu’il éprouvait sans doute encore ; mais, d’un autre côté, ce départ étant devenu une chose nécessaire, elle devait maintenir son jeune ami dans sa résolution courageuse. Il lui restait à chercher un moyen de lui donner des consolations sans affaiblir ce courage : elle y songea un instant ; c’était une position délicate que la sienne vis-à-vis de Jeanne. Il était facile de voir dans les traits et dans les manières de la vieille femme qu’elle avait deviné récemment le secret de son fils et qu’elle croyait ses douleurs sans remède.
« C’est le jour des départs, lui dit tout d’un coup Fiamma, sans paraître comprendre l’importance de celui de Simon. Mon cousin vient de partir tout à l’heure !
— De partir ! sainte Vierge ! s’écria la vieille femme avec la vivacité de l’amour maternel ; votre cousin est parti, chère demoiselle ? Chère enfant ! et comment donc si vite ?
— C’est un petit secret que je ne veux confier qu’à vous, ma chère vieille mère, » répondit Fiamma ; et, approchant son escabeau de la chaise de Jeanne, elle lui parla ainsi en baissant la voix d’un petit air mystérieux : « Vous saurez que le cher cousin s’était mis en tête de m’épouser.
— Je le savais bien, interrompit Jeanne, nous en parlions avec Simon tous les soirs…
— Vous en parliez ? qu’en disait-il ?
— Il me demandait s’il ne me semblait pas que ce jeune homme fût amoureux de vous, et s’il était possible que, la chose étant, vous ne vous en aperçussiez pas… Je vous demande pardon de nos réflexions, ma petite, cela ne nous regardait pas ; mais, moi, je vous aime tant que je ne puis me lasser de parler de vous et d’y penser.
— Eh bien ! mère Féline, vous ne vous trompiez pas si vous supposiez que je m’en étais aperçue. Il y avait huit jours que je savais le beau secret de mon cousin et que je m’attendais à une déclaration, lorsque j’ai trouvé l’occasion de prévenir ses frais d’éloquence et de lui déclarer, moi, que je ne voulais me soumettre ni à l’amour ni au mariage.
— Il paraît que vous avez parlé clairement et prononcé sans appel, puisqu’il est parti tout de suite ?
— Une heure après ! Voyez comme l’amour est chose facile à guérir ! À l’heure qu’il est, je suis sûre qu’il est à l’auberge de Guéret et qu’il se regarde dans un beau miroir de poche pour s’assurer que l’air de nos montagnes n’a pas altéré la fraîcheur de ses lèvres et la rondeur de ses joues. Mais pourquoi secouez-vous la tête, mère ? On dirait que, dans votre jugement, l’amour est une chose plus sérieuse que cela ?
— Quant à moi, je n’ai pas connu ses douleurs dans ma jeunesse, répondit Jeanne. J’aimai Pierre Féline, mon cousin, et je l’épousai. Nous étions pauvres tous deux ; j’étais une paysanne comme lui ; il n’y eut ni obstacles ni retards. Quand il est mort, j’étais vieille déjà ; alors j’étais habituée au malheur ; j’avais enterré successivement onze enfants, et, sans mon Simon, je n’avais plus qu’à mourir. La douleur est le fait de la vieillesse ; je ne me révoltai pas d’être éprouvée après avoir été heureuse. Cependant, si j’étais appelée aujourd’hui à voir périr mon Simon, mon dernier bonheur, ma seule consolation !… Ah ! Dieu me préserve seulement d’y songer !
— Et pourquoi auriez-vous cette affreuse pensée ? Simon est d’une bonne santé.
— Hélas ! pas trop !
— Mais il a la force d’âme qui commande au corps de vivre.
— Il n’a bien que trop de force d’âme comme cela ! elle le ronge ! Mais parlons de vous, Fiamma.
— Non, parlons de lui, mère Jeanne. Moi, je suis forte, bien portante, tranquille, délivrée de mon cousin ; occupons-nous de Simon. Il est parti triste, j’ai vu cela ces jours-ci. Je ne vous demande pas ce qu’il avait ; je m’en doute.
— Vous vous en doutez ? s’écria Jeanne en relevant sa tête inclinée par l’âge, et en fixant ses yeux encore vifs et beaux sur Fiamma.
— Sans doute, répondit la jeune hypocrite ; je sais combien sa profession lui est antipathique, et je sais pourtant qu’il n’y a plus à reculer. Il m’a confié ses dégoûts, ses ennuis, ses craintes pour l’avenir.
— En effet, c’est là ce qui le tourmente, répondit Jeanne, et je suis fâchée qu’il ne vous ait pas parlé avant de partir ; mais il avait tant de chagrin de nous quitter, qu’il a craint de manquer de force s’il nous faisait des adieux.
— Je comprends tout cela, reprit Fiamma ; cependant je trouve qu’il est parti un peu brusquement ; je lui aurais donné du courage s’il m’eût consultée.
— Oui, certes, dit Jeanne, s’il vous eût vue aujourd’hui, il serait parti moins malheureux.
— Il faudra qu’il revienne causer avec nous, dit Fiamma ; mais pas avant quelques jours, afin de ne pas perdre le fruit de ce grand effort. En attendant, ne pourriez-vous lui écrire, mère Féline ?
— Hélas ! je ne lui écris jamais, et pour cause.
— Oh bien ! sainte femme, vous ne savez pas écrire ; je pose les deux genoux devant vous, illettrée sublime !
— Qu’est-ce que vous dites là, mon enfant ? vous vous moquez de moi !
— Je baise le bas de ta robe, sainte Geneviève-des-Prés, paysanne sur la terre, reine dans les cieux ! Mais voyons, je vais écrire à Simon sous votre dictée.
— Eh bien oui ! Mais non ; j’ai bien des petits secrets à lui dire, dans lesquels vous êtes de trop, mignonne.
— En vérité ? Eh bien ! je vais lui écrite de ma part, et vous lui porterez ma lettre.
— Bonté divine ! que lui écrirez-vous donc ?
— Rien d’important ni d’efficace pour le consoler, malheureusement. L’avenir seul peut apporter le remède à ses maux ; mais je lui parlerai de mon amitié, de celle de son parrain, de celle de Bonne… Je lui dirai qu’il se doit à nous tous, à vous surtout, sa mère chérie… qu’il faut espérer, prendre courage, soigner sa santé, surmonter ses peines, vivre enfin, et nous aimer comme nous l’aimons.
— Écrivez donc tout cela cher ange, et je le porterai moi-même : car j’ai quelque chose en outre à lui dire.
— Quoi donc ? dit la malicieuse Fiamma.
— Rien qui vous concerne, dit la vieille femme.
— Oh ! je le crois ! » reprit l’enfant avec un sourire.
Elle se plaça dans un coin pour écrire, et la vieille se prépara au départ ; elle mit son jupon rayé, sa cape de molleton blanc et ses mitons de laine tricotée.
« Mais, comment irai-je ? s’écria-t-elle tout d’un coup ; il a emprunté le cheval de M. Parquet pour s’en aller, et la mule de mademoiselle Bonne est en campagne.
— Je vous prêterai Sauvage.
— Oh ! oh ! non pas, je ne suis pas lasse de vivre tant que j’aurai mon Simon !
— Comment donc faire ? dit Fiamma. Chercher un cheval dans le village ? cela va nous retarder. Il est déjà quatre heures. Et si nous n’en trouvons pas, il faudra que Simon passe cette soirée dans la tristesse !
— Et cette nuit, dit Jeanne, oh ! c’est cette nuit que je redoute pour lui ; la dernière a été si terrible !
— Pauvre Simon ! dit Fiamma. Allons, mère Féline il n’y a qu’un moyen. Vous monterez sur Sauvage ; il est doux comme un mouton quand je suis avec lui. Je le tiendrai par la bride, et je vous conduirai à pied jusqu’à la ville.
— Il y a trois lieues ! Je ne le souffrirai jamais. Prenez-moi en croupe.
— Sauvage n’est pas habitué à cela ; il pourrait nous jeter toutes deux par terre ; d’ailleurs il est si petit que nous serions fort mal à l’aise sur son dos. Allons, je cours le chercher ; êtes-vous prête ?
— Je ne me laisserai jamais conduire ainsi par vous.
— Il le faut pourtant bien ; ce sera charmant, nous aurons l’air de la Fuite en Égypte.
— Mais que va-t-on dire ? Il ne faut pas nous montrer ainsi dans le village.
— Traversez-le à pied, et attendez-moi au grand buis, à l’entrée de la montagne ; nous irons par la Coursière, nous ne rencontrerons personne. Allons, partez ; j’y serai aussitôt que vous. »
Un quart d’heure après, ces deux femmes cheminaient sur le sentier sinueux de la montagne, Jeanne assise sur le petit cheval et enveloppée dans sa cape. Fiamma marchait devant elle, un petit manteau espagnol jeté sur l’épaule, la bride passée au bras, et de temps en temps parlant à Sauvage pour le calmer ; car il était fort ennuyé d’aller ainsi au pas, et de n’être pas sollicité à caracoler de temps en temps. Cependant, le sentier devenant de plus en plus difficile et escarpé, la nuit commençant à tomber, l’instinct de la prudence le rendit calme et attentif à tous ses pas. Quoique Fiamma marchât comme un Basque, franchissant les roches et se débarrassant des broussailles avec plus de légèreté que Sauvage lui-même, il était sept heures du soir lorsqu’elle aperçut les lumières de la ville. Elle engagea sa vieille amie à mettre pied à terre pour descendre le versant rapide de la dernière colline ; et tandis que Sauvage les suivait de lui-même comme un chien, elle soutint Jeanne de son bras robuste, et la conduisit jusqu’aux premières maisons. Là, elle lui remit sa lettre pour Simon, et, après l’avoir embrassée, elle remonta sur son cheval.
« Bon Dieu ! dit Jeanne, si je ne craignais pas les mauvaises langues, je vous emmènerais avec moi coucher à la ville. Voilà le vent qui se lève ; il fait noir comme dans l’enfer, et si la neige venait à tomber ! Hélas ! je suis effrayée de vous voir partir ainsi, seule, à cette heure, par ce froid mortel.
— Allons, bonne mère, ne craignez rien ; donnez-moi votre bénédiction, elle me préservera de tout danger. Je vous salue, je vous aime, et comme une véritable héroïne de roman, je m’élance à cheval dans la nuit orageuse. »
Jeanne, transie de froid, resta pourtant immobile à l’entrée de la rue jusqu’à ce qu’elle eût cessé d’entendre le galop de Sauvage sur la terre durcie par la gelée. « Ô neige ! ne tombe pas, murmura la vieille femme en se signant ; lune blanche, lève-toi vite ; et vous, sainte Vierge, veillez sur elle ! »
Lorsqu’elle arriva au domicile de maître Parquet, elle fut enchantée d’apprendre de la servante que l’avoué était au café, et que Simon était seul dans l’étude. Elle entra, et le vit appuyé contre le poêle la tête dans ses mains. Le bruit des petits sabots plats de sa mère le fit tressaillir. Avant qu’elle eût parlé, il avait reconnu son pas encore égal et ferme. Il s’élança dans ses bras, et pour la première fois de sa vie il s’abandonna au besoin de se laisser consoler par la tendresse maternelle. Un torrent de larmes coula de ses yeux sur le sein de la vieille Jeanne.
« Vous avez fui votre mère, et votre mère court après vous, lui dit-elle avec l’accent grondeur de la tendresse. Autrefois vous n’eussiez pas agi ainsi, votre mère était votre seul amour ; à présent j’ai une rivale, un ange que j’aime aussi, mais que j’aime moins que vous. Pourquoi l’aimez-vous plus que moi ?
— Oh ! ma bonne vieille, ma sainte mère ! ne me faites pas de reproches, répondit Simon ; je suis trop malheureux. N’empoisonnez pas cet instant où la seule vue de vos cheveux blancs suffit à me donner de la joie au milieu de mon désespoir. Ne croyez pas que je vous aime moins que par le passé. Tant que je vous aurai, je pourrai tout supporter ; quand vous mourrez, je mourrai.
— Tais-toi, enfant. Il y a quelqu’un qui saura bien te consoler !… Tais-toi, écoute. Le cousin est parti ; on ne l’aime pas, on ne veut pas de lui ; il ne reviendra pas.
— Grand Dieu ! ma mère, ne me trompez-vous pas pour me consoler ? » s’écria Simon.
Et il se fit raconter les moindres détails de l’entrevue de Fiamma avec sa mère. Il était si ému, si oppressé, qu’il écoutait à peine la réponse à ses mille questions, tant il avait hâte d’en faire de nouvelles ! Il ne comprenait pas la plupart du temps, et se faisait répéter cent fois la même chose. Ce ne fut qu’au bout d’une heure de conversation qu’il comprit la manière dont Fiamma avait accompagné sa mère ; et alors seulement Jeanne, rassurée sur le désespoir de son fils, sentit se réveiller ses inquiétudes pour Fiamma, et laissa échapper ces mots :
« Ô mon Dieu ! je ne m’effraie pour elle ni de la nuit ni de la solitude ; elle a un bon cheval, elle est brave et forte comme lui ; mais s’il venait à tomber de la neige avant qu’elle fût rentrée ! C’est si dangereux dans nos montagnes ! »
Simon pâlit et fit signe à Jeanne d’écouter. Le vent sifflait avec violence autour de cette maison bien close et bien chauffée. Simon pensa au froid qui devait glacer les membres de Fiamma durant cette nuit rigoureuse ; l’angoisse passa dans son cœur, il courut ouvrir la fenêtre : des flocons de neige, amoncelés sur la vitre, tombèrent à ses pieds. Un cri sympathique partit de son sein et de celui de sa mère ; puis ils restèrent immobiles et pâles à se regarder en silence.
Simon courut seller le cheval de M. Parquet, et bientôt il fut sur le sentier de la montagne, courant à toute bride sur les traces de Sauvage. Héias ! la neige les avait couvertes. Jeanne n’avait pas dit un mot pour l’empêcher de partir. Mais, quand elle se trouva seule, le poids d’une double inquiétude tombant sur son coeur, elle leva les bras vers le ciel et lui demanda de ne pas voir lever le jour si son fils ne devait pas revenir. Cependant, elle se rassura peu à peu en voyant que la neige n’épaississait pas. Simon rentra à deux heures du matin. Il avait été loin sans atteindre la trace de Fiamma. Elle avait été rapide comme le vent et les nuages. Mais la neige ayant cessé de tomber et la lune s’étant levée dans tout son éclat, il avait reconnu la piste de Sauvage, et, un peu en arrière, celle de plusieurs loups qui avaient dû le suivre assez longtemps ; car il avait remarqué ces traces jusqu’à l’entrée du village de Fougères. Là les sabots du cheval s’étaient montrés délivrés de leur sinistre cortège, et il avait espéré atteindre la brave amazone mais en vain. Il avait conduit sa monture à la cabane pour la faire reposer un instant, et, pendant ce temps, il s’était glissé dans les cours du château. Il avait vu, à la lueur des flambeaux, Sauvage fumant de sueur, entre deux palefreniers empressés à le frotter et à l’envelopper de couvertures. Il avait même entendu dire à un de ces laquais : « Diable ! voilà une drôle de promenade ! Heureusement que M. le comte est couché. Sa toux nerveuse l’occupe plus que sa fille. » L’autre avait répondu : « C’est bon ! cela ne nous regarde pas. Mademoiselle n’est pas ce qu’elle paraît, ni monsieur non plus. Mademoiselle est bonne, il ne faut pas parler d’elle. Monsieur a le diable au corps, il faut avoir soin d’en dire du bien. »
Simon était revenu à Guéret par la grande route. C’était le plus long, mais il y avait moins de dangers et de difficultés. En attendant, M. Parquet s’était fait raconter toute l’histoire, et, quoique madame Féline eût caché le secret de Simon, il avait tout compris et tout deviné d’avance. Ils soupèrent tous trois ensemble, et, tout en buvant la presque totalité du vin chaud qu’il avait fait préparer pour son filleul, M. Parquet parla ainsi :
« Enfant, tu es amoureux de mademoiselle de Fougères, et tu ne lui déplais pas. Elle a fait vœu de célibat, tu as fait vœu de ne lui parler jamais de ton amour, M. de Fougères ne consentira jamais à te la donner ; voilà trois obstacles à ton mariage. Cependant ces trois là ne pèsent pas une once si tu viens à bout de lever le quatrième ; et celui-là, c’est ta misère et ton obscurité. Il faut sortir d’incertitude ; il faut plaider d’aujourd’hui en huit. Si tu n’as pas de talent, il faut en acquérir ; si tu en as, il n’y a plus qu’un peu de patience à prendre, un peu d’argent à gagner, et mademoiselle de Fougères est à toi. »
Simon, dont le cœur frémissait durant ce discours, supplia son cher parrain de ne point le leurrer de ces chimères. Mais M. Parquet était un optimiste absolu après boire.
« Cela sera comme je te dis, s’écria-t-il avec colère ; tu as du talent, j’en suis sûr. Quand j’avance une chose pareille, on doit me croire. Tu seras un jour célèbre, et par conséquent riche et puissant. C’est assez reculer, il faut sauter ; il faut jeter ton anneau ducal dans l’Adriatique ; il faut être le doge de notre dogaresse. Tu as tout ce qu’il faut dans ta cervelle et dans ta poitrine, dans ton âme et dans tes poumons pour être orateur. Dans huit jours la question sera résolue, ou bien il faudra poser une nouvelle question sans se rebuter. »
Simon, craignant que le vin chaud et les divagations décevantes de son parrain ne vinssent à lui porter à la tête, alla se coucher. En se déshabillant, il trouva dans son gilet la lettre que sa mère lui avait remise de la part de Fiamma, et que, dans son effroi à l’aspect de la neige et dans les agitations qui en avaient été la suite, il n’avait pas pu lire. À ce surcroît de bonheur, il baisa la lettre avec effusion ; il l’ouvrit d’une main tremblante. Il croyait y trouver une amicale semonce ; il n’y trouva que ces mots :
« Simon, travaillez. Je vous aime. »
Pendant que, brisé de fatigue, mais heureux comme il ne l’avait jamais été de sa vie, il s’endormait dans un bon lit, sa mère, conduite galamment par l’avoué jusqu’à la porte de la meilleure chambre de la maison, lui adressait quelques reproches.
« Vous échauffez trop la tête de mon pauvre enfant, lui disait-elle. Vous lui promettez comme certaines des choses presque impossibles. Au premier obstacle, vous le verrez perdre courage pour s’être trop vite flatté ; et ce sera votre faute, voisin.
— Ne craignez donc rien, répondit M. Parquet ; il lui faut un aiguillon. L’ambition s’est endormie ; il faut se servir de l’amour pour l’aider à poser hardiment les fondements de sa destinée. Il importe peu qu’il épouse sa belle, pourvu qu’il épouse sa profession. »