SYLVA SYLVARUM (trad. Lasalle)/Centurie V

Sylva Sylvarum
Centurie V
Traduction par Antoine de La Salle.
Œuvres8 (p. 144-259).

Centurie V.
Expériences et observations diverses sur les causes ou moyens qui peuvent accélérer la germination.

Les plantes, et, en général, les végétaux, feront le sujet de cette centurie et des trois suivantes ; sujet vraiment intéressant, et sur lequel nous fixerons d’autant plus volontiers notre attention, que c’est ce règne qui fournit les matières à la médecine, à l’art de nourrir notre espèce, et à une infinité d’arts méchaniques.

401. Nous fîmes semer du froment, des pois et des graines de navet, de raifort, de concombre, etc. sur une couche à laquelle, vu ses puissans effets, nous donnions le nom de couche chaude, et qu’on avoit formée par le procédé suivant. On prit du fumier vieux et bien consommé : sur une terre relevée d’un demi-pied, on en forma une couche de hauteur raison- nable, soutenue à l’aide de planches, et sur laquelle on jeta deux doigts de bonne terre bien tamisée, puis on y sema les graines après les avoir fait macérer, pendant une nuit entière, dans de l’eau où l’on avoit délayé de la bouze de vache : le froment et la graine de navet germèrent presque aussi-tôt sans être arrosés, et au bout de deux jours, avoient la hauteur d’un demi-pouce ; les autres graines ne levèrent que le troisième jour. Cette expérience fut faite au mois d’octobre : selon toute apparence, si elle l’eût été au printemps, la germination auroit été encore plus prompte[1]. Quoi qu’il en soit, elle présente un très-beau résultat ; le concours de tous ces moyens rendant la germination quatre fois plus prompte qu’à l’ordinaire. Mais je ne vois pas trop quel profit l’on pourroit tirer de cette accélération, sinon relativement aux petits pois, qui, en hiver, sont d’un prix exorbitant. On pourroit encore employer cette méthode pour avoir plutôt des cerises, des fraises et autres fruits semblables, dont la primeur se vend aussi extrêmement cher.

402. Nous fîmes aussi macérer différentes portions du même bled dans différentes liqueurs (soit pures, soit mêlées avec d’autres substances), dont nous donnons ici l’énumération.

Eau de fumier de vache ;

Eau de fumier de cheval ;

Eau de fiente de pigeon ;

Urine d’homme ;

Eau de craie ;

Eau de suie ;

Eau de cendres ;

Eau chargée de sel commun ;

Vin clairet ;

Vin de Malvoisie ;

Esprit de vin.

La proportion de l’eau avec les différentes matières qu’on y mêloit, étoit celle de 4 à 1 ; mais elle étoit au sel dans le rapport de 8 à 1 : l’urine, les vins et l’esprit de vin furent employés seuls et sans eau. La macération dura douze heures : cette expérience fut encore faite au mois d’octobre. Nous semâmes aussi du bled non macéré, mais que nous arrosions d’eau chaude deux fois par jour. Enfin, nous semâmes d’autre bled à la manière ordinaire et sans préparation, afin qu’il pût servir d’objet de comparaison. Tels furent nos résultats.

Les portions de ce grain, macérées dans l’urine où dans les eaux de fumier, de suie, de craie, de cendres, de sel, levèrent au bout de six jours. Ce bled l’emportoit visiblement par sa hauteur, sa grosseur et sa beauté, sur celui qui avoit été semé sans préparation[2] ; et l’avantage plus ou moins grand qu’eurent à cet égard ces différentes portions de bled, peut être marqué par l’ordre suivant.

Le bled macéré dans l’urine, leva le premier, puis le grain macéré dans les eaux de fumier, de craie, de suie, de cendres, et dans l’eau chargée de sel.

Ensuite le bled non macéré et non arrosé.

Immédiatement après, le bled arrosé d’eau chaude deux fois par jour.

Enfin, le grain macéré dans du vin clairet.

Le bled macéré dans ces trois dernières liqueurs, leva moins vite que le bled non préparé, et il paroît que cette macération lui fut plus nuisible qu’utile.

Le bled macéré dans la malvoisie ou dans l’esprit de vin, ne leva point du tout[3].

Ces expériences judicieusement appliquées à la culture en grand, pourroient devenir très fructueuses ; la plupart des matières employées pour ces macérations, étant à vil prix, et de telles préparations n’étant rien moins que dispendieuses ; ce qui suppose qu’on se seroit assuré par des expériences en petit, et suffisamment réitérées, que cette accélération artificielle de la germination n’ôte rien à la qualité du grain, comme il est naturel de l’espérer ; ces deux effets, l’accélération de la germination, et la bonne qualité du grain, n’ayant au fond qu’une seule et même cause ; savoir : la force de la semence, et comme il semble qu’on puisse le conclure de nos premières expériences.

On pourroit faire la même épreuve sur d’autres grains, sur d’autres semences ; enfin, sur des pépins, des noix, des noyaux[4], etc. car il se pourroit que cette macération fût plus avantageuse à certaines espèces de semences, qu’à d’autres.

Enfin on pourroit la tenter sur des racines, des plantes bulbeuses, etc. mais en faisant durer plus long-temps la macération, sans compter qu’il faudroit faire toutes ces expériences dans les différentes saisons, et sur-tout au printemps.

403. Si l’on arrose des fraisiers de temps en temps, par exemple, de trois jours l’un avec de l’eau où l’on ait fait macérer du crotin de mouton, ou de la fiente de pigeon, ils végètent plus vigoureusement, et le fruit est plus précoce.

Il est assez probable que cette pratique seroit également avantageuse aux autres fruits du même genre, aux plantes herbacées, aux plantes à fleurs, aux racines, charnues ou bulbeuses, et même aux arbrisseaux, arbres, etc. L’expérience n’est rien moins que nouvelle relativement aux fraisiers ; mais on n’a pas encore pensé à généraliser cette méthode, en l’appliquant à toutes les autres plantes, grandes et petites ; car on est dans l’habitude d’employer le fumier même pour amender la terre, ou d’en mettre de temps en temps sur les racines, pour les restaurer et les ranimer ; mais cette méthode d’arroser la terre avec de l’eau où l’on ait fait macérer le fumier, ce qui auroit sans doute de plus puissans effets, n’est pas encore adoptée, du moins généralement.

404. Le fumier, la craie et le sang, appliqués à propos, et tels qu’ils sont, aux racines des arbres[5], rendent leurs fruits plus précoces. Mais peut-être ces substances, appliquées ainsi telles qu’elles seroient et sans mélange d’eau ou de terre, aux racines ou au pied des plantes herbacées, ou des autres plantes foibles, y exciteroient-elles une chaleur trop forte.

405. Tous les moyens d’accélérer la germination, exposés jusqu’ici, ont pour but de procurer aux plantes une nourriture plus abondante et de meilleure qualité ; ou encore de fortifier leurs esprits pour les mettre en état d’attirer plus aisément, plus promptement et avec plus de force, la substance alimentaire. Les suivans se rapportent aussi au dernier de ces deux buts, quoiqu’ils ne soient pas applicables aux racines ou aux semences. Des arbres plantés dans un lieu chaud, en espalier et à l’exposition du sud, ou du sud-est, végètent plus vigoureusement, croissent plus promptement et rapportent plutôt. L’expérience prouve que l’exposition du sud-est vaut mieux que celle du sud-ouest, quoique celle-ci donne plus de chaleur. Dans la première, à la fraîcheur de la nuit, succède immédiatement la chaleur du jour[6] ; sans compter que le soleil venant du sud-ouest, qui est quelquefois trop ardent, grille et dessèche tout[7]. Par la même raison, les arbres plantés en dehors et près d’une cheminée où l’on fait continuellement du feu, croissent plus vite et rapportent plutôt. On obtient le même effet en retirant leurs branches dans l’intérieur d’une cuisine on d’une chambre fort chaude, C’est ce qu’on a essayé sur des branches de vignes, et elles ont rapporté un mois plutôt que les autres.

406. Outre ces deux genres de moyens d’accélérer la germination, et tendant, l’un à leur procurer une nourriture plus substantielle ou plus abondante ; l’autre, à fortifier leurs esprits, il en est un troisième dont le but est d’ouvrir aux sucs alimentaires un plus grand nombre de passages et de canaux, afin qu’ils puissent parvenir plus sûrement et plus promptement aux plantes à nourrir, et qu’elles puissent se les approprier. Par exemple, l’attention de fouiller et de remuer de temps en temps la terre au pied des arbres, pour l’ameublir[8], ou de transplanter, tous les deux ans, les petits végétaux, comme plantes herbacées, plantes à fleurs[9], etc. (moyen qui, jusqu’à un certain point, équivaut au premier, une terre nouvelle étant ordinairement plus meuble et plus poreuse), est aussi un moyen d’accélérer leur accroissement, de les rendre plus précoces, et, en général, de les faire prospérer[10].

407. Mais ce qui est fait pour exciter l’admiration, c’est la facilité avec laquelle une plante peut se nourrir, vivre d’eau seule ; comme nous nous en sommes assurés par notre expérience. Nous avions mis das une chambre sans feu un rosier (de Damas), qui avoit toutes ses racines ; nous l’avions placé bien droit dans une terrine un peu profonde, remplie d’eau pure et sans mélange d’aucune autre substance. Il y étoit plongé d’un demi-pied, et s’élevoit de deux pieds au-dessus. Il poussa des feuilles d’un beau verd et des boutons, au bout de dix jours ; ce qui en dura sept, pendant lesquels il végéta assez vigoureusement, et ne donna aucun signe de dépérissement, puis ses feuilles tombèrent ; mais ensuite il reprit de la vigueur ; les nouveaux boutons s’ouvrirent, et ils se couvrirent une seconde fois de jolies feuilles ; ce qui dura trois mois ; après quoi, ayant été obligés de partir, nous ne pûmes suivre plus long-temps cette expérience. Mais il faut remarquer que ses feuilles étoient blanchâtres et plus pâles que celles des rosiers ordinaires[11] qu’on laisse en plein air, et que ses premiers boutons ne parurent qu’à la fin d’octobre. On peut présumer que, si l’expérience eût été faite au printemps, il auroit végété encore plus vigoureusement, et peut-être jusqu’au point de fleurir ; et alors on pourroit, par ce moyen, se procurer des roses au milieu d’un étang ; en y tenant ces rosiers, en partie plongés, et les appuyant des deux côtés opposés, à l’aide de deux petites fourches ; genre d’expérience dont le résultat, il est vrai, ne seroit pas d’une fort grande utilité, mais formeroit du moins un spectacle aussi nouveau qu’agréable. Le succès de celle dont nous venons de parler, est d’autant plus étonnant, qu’un autre rosier, de la même espèce, ayant été mis dans de l’eau où l’on avoit fait macérer du fumier, dont la quantité étoit à celle de l’eau comme 1 à 4, ce rosier, dans l’espace de six mois, ne poussa aucune feuille, mais seulement quelques boutons, et durant le premier mois.

408. Une plante à fleur, à racine bulbeuse, et tirée de Flandres, ayant été entièrement plongée dans l’eau qui la couvroit au-dessus de deux ou trois doigts, germa au bout de sept jours, et, pendant un temps assez long, prit un continuel accroissement. Des racines de bete, de bourache et de raifort, plantes dont les feuilles avoient été tout-à-fait rasées, que nous avions aussi entièrement plongées dans l’eau, germèrent de même ; et au bout de six semaines, elles avoient de très grandes feuilles, ce qui dura jusqu’à la fin de novembre[12].

409. Si cette expérience pouvoit être tentée avec succès sur les plantes à racines, charnues ou bulbeuses ; sur les pois et les plantes à fleurs, et de manière à accélérer sensiblement la germination et la maturation, ce seroit une nouvelle source de gain. Car, ces productions, lorsqu’elles sont fort précoces, sont d’un prix excessif. Et de plus, il seroit peut-être possible de doubler la récolte par ce moyen ; car, dans telle terre qui a beaucoup de force, an bout d’un mois, vous aurez des raves ; au lieu que, dans une autre terre, il en faudra deux.

410. Du bled, mis aussi dans l’eau, ne leva point du tout, Il faut apparemment que la semence ou la plante qu’on y met, ait un certain volume et un peu de consistance ; ce qui est le cas des racines, et non celui des grains et des petites semences, que le froid de l’eau fait mourir. Cependant, une portion de ce grain qui, étant tombé sous la terrine, avoit été humecté par l’eau qui en dégoûtoit, et qui paroissoit tout-à-fait moisi, comme nous l’avons dit plus haut, ne laissa pas de germer, et de croître de la longueur d’un demi-doigt.

411. De ces différentes expériences sur la faculté nutritive de l’eau, il semble qu’on puisse conclure qu’elle est le principal aliment des plantes, et qu’à cet égard, elle fait presque le tout : qu’en conséquence, la terre ne sert qu’à tenir la plante dans une attitude droite, et à la garantir du chaud ou du froid excessif[13] : conséquence fort encourageante pour les grands buveurs[14], et qui confirme aussi ce que nous avons avancé dans un des articles précédens ; savoir : que la bière et la viande, ou les racines incorporées ensemble, comme elles le sont dans cette boisson dont nous avons donné la composition (n°. 46), nourrissent mieux que ces substances prises séparément,

412. Je me persuade aisément que, si, dans les années ou les saisons trop froides, on avoit soin de mettre les plantes à l’abri dans les maisons ou dans des serres, leur germination et leur accroissement étant accélérés par ce moyeu, elles donneroient plus sûrement, on plus promptement, des fleurs, des fruits, et ensuite d’autres plantes de même espèce. Et de même que nous mettons à l’abri dans des serres, les plantes exotiques, comme orangers, citronniers, myrthes, etc. pour les garantir de l’action nuisible d’un air auquel elles ne sont pas accoutumées : on pourroit aussi mettre à l’abri les plantes indigènes, pour les faire germer, croître, fleurir et fructifier plus sûrement et plutôt, dans les années ou les saisons qui leur sont contraires. Par ce moyen, l’hiver auroit ses violettes, ses fraises, ses pois, etc. ce qui suppose qu’on auroit soin de les semer, planter et mettre à l’abri dans les temps convenables.Ce dernier genre d’expériences se rapporte au but de fortifier les esprits des plantes, soit par le moyen de la chaleur, soit en retirant leurs branches dans l’intérieur des cuisines, chambres, etc. où l’on fait du feu.

Ainsi, les différens moyens d’accélérer la germination, forment trois genres et huit espèces[15].

Expériences et observations sur les causes ou les moyens qui peuvent retarder la germination.

413. Il est agréable de pouvoir se procurer à volonté des fleurs dans l’arrière-saison, sur-tout des roses tardives, qui, chez les anciens, étoient fort estimées ; préférence d’autant mieux fondée, que la rose de novembre est d’une odeur beaucoup plus suave que celle du printemps ; parcequ’en automne, le soleil ayant moins de force, et l’évaporation étant moins prompte, la partie odorante de la fleur se dissipe moins. Or, il est plusieurs moyens pour parvenir à ce but : le premier est de raser le sommet de l’arbrisseau, après qu’il a rapporté ; par ce moyen, au mois de novembre de la même année, il rapportera de nouveau, et se couvrira de fleurs comme au printemps. Cependant ces fleurs ne viendront point à la partie restante du sommet, où le fer a passé, mais sur les branches latérales et basses, qui étoient comme autant de rejetons inutiles. La raison de cette germination tardive est que la sève qui auroit servi à nourrir les branches et les feuilles du sommet, après le temps de la floraison, refluant, par cette amputation, dans les branches basses et latérales, leur donne ainsi plus de nourriture qu’elles n’en auroient eu sans cela ; en conséquence elles rapporteront aussi, mais beaucoup plus tard.

414. La seconde méthode est d’enlever au printemps les premiers boutons à fleurs, dès qu’ils commencent à paroître ; ces boutons ôtés, les branches latérales[16] donneront encore des fleurs dans l’arrière-saison. La raison de ce phénomène est précisément la même que celle du précédent ; l’effet de l’amputation du sommet, et celui de la soustraction des premiers boutons, étant également d’arrêter ou de ralentir, pendant quelque temps, le mouvement de la sève, et de la déterminer, par une sorte de révulsion, vers les branches latérales et les bourgeons qui étoient moins avancés.

415. Le troisième moyen est de retrancher au printemps quelques branches ou quelques bourgeons du sommet, en ne touchant point aux branches basses, etc, ce qui fera prendre À ces dernières un plus grand, mais plus lent accroissement ; car les branches les plus élevées servent à faire monter la sève avec plus de force. Aussi, lorsqu’on étête un arbre, a-t-on soin de laisser au sommet deux ou trois branches, pour provoquer et faciliter cette ascension. L’on prétend même que, si, après avoir fait une greffe sur une branche d’arbre, on retranche quelques-unes des vieilles branches, le scion adoptif meurt.

416. Le quatrième moyen est de mettre à découvert les racines pendant quelques jours, vers le temps de noël, ce qui arrête aussi pendant quelque temps le mouvement de la sève et l’empêche de monter. En sorte que si, remettant ensuite la terre et recouvrant les racines, on ôte ainsi la cause qui arrêtoit le mouvement de cette sève, elle monte de nouveau ; mais il en résulte nécessairement un retard.

417. Le cinquième est de mettre l’arbrisseau hors de terre, quelques mois[17] avant le temps de la floraison ; car, lorsque cet arbrisseau qui a été tiré de terre, est replanté, il faut alors un certain temps pour que la sève puisse se remettre en mouvement, et remonter dans les branches ; ce qui retarde d’autant la floraison.

418. Le sixième est de greffer les rosiers dès le mois de mai, ce que les jardiniers ne font pas ordinairement avant juillet ; leur greffe tardive ne promet des fleurs que pour l’année suivante ; au lieu que cette greffe hâtive dont nous parlons, les assure pour l’année même où on la fait, mais elles seront fort tardives ; ce qui est notre but actuel.

419. Le septième est de lier la tige de l’arbrisseau, à l’aide d’une ficelle qui fasse plusieurs tours dessus, et la serre étroitement ; ce qui arrête aussi, jusqu’à un certain point, le mouvement de la sève, et la fait monter plus lentement.

420. Le huitième est de planter le rosier à l’ombre d’un mur ou d’une haie ; car ôter le soleil à l’arbrisseau, c’est ôter la cause qui accélère l’ascension de la sève, sans compter que la haie qui le domine, lui dérobe une partie des sucs dont il profiteroit sans ce voisinage. Ce même moyen peut être employé pour d’autres végétaux, soit arbres, soit plantes à fleurs ; en y faisant toutefois les changemens qu’exigeront les différences des sujets et des circonstances.

421. Il est une opinion spécieuse qui fait illusion à certaines personnes ; elles s’imaginent que, si l’on greffe une branche d’un arbre à fruits tardifs sur le tronc d’un arbre à fruits précoces, par exemple, un pêcher sur un cerisier, l’ente donnera ses fruits plutôt que l’arbre d’où elle est tirée ; et que, si, au contraire, on greffe une espèce hâtive sur une espèce tardive, par exemple, le cerisier sur le pêcher, l’ente donnera des fruits plus tard que les arbres de son espèce : mais c’est se repaître de chimères, et cette assertion est démentie par l’expérience ; la vérité est que la branche adoptive prévaut toujours sur le tronc qui l’a adoptée ; tronc, qui alors étant purement passif, à son égard, ne lui fournit que l’aliment, et non le mouvement.

Expériences et observations diverses sur l’amélioration des fruits, fleurs, arbres, arbrisseaux, plantes herbacées, plantes à racines, charnues, bulbeuses, etc.

Nous traiterons, dans cet article, des moyens d’augmenter la récolte en fruits, fleurs, grains, semences, racines, etc. de donner à ces productions plus de volume, une saveur plus agréable, une odeur plus suave, etc. de faire croître à volonté, en hauteur ou latéralement, les arbres ou autres plantes ; enfin, de rendre plus précoces, ou les plantes mêmes, grandes et petites, ou leurs fruits, fleurs, semences, etc. Cependant, comme, parmi les différens moyens qui peuvent également produire ces deux espèces d’effets, il en est qui produisent plus sensiblement et plus directement ceux d’une espèce, que ceux de l’autre, pour éviter les inconvéniens attachés à la confusion, nous avons cru devoir les distinguer et les exposer séparément.

422. On s’est assuré par l’expérience, que, si l’on entasse au pied et autour d’un arbre de forêt, tel que chêne, orme, frêne, etc, et nouvellement planté, des cailloux ou d’autres pierres, il croît deux fois plus vite.

Il paroît que cette espèce de couverture retient l’humidité que l’arbre reçoit par le haut, et empêche qu’elle ne soit dissipée par la chaleur du soleil. De plus, cette enveloppe entretient la chaleur de l’arbre en le garantissant des vents froids et de la gelée ; elle le met à l’abri comme il y seroit dans une serre. Il faut peut-être compter aussi pour quelque chose, cette espèce d’appui qui le tient ferme, et dans une attitude droite, au commencement de sa pousse. Il se pourroit qu’on obtînt le même effet, en l’enveloppant de paille jusqu’à une certaine hauteur ; et c’est une expérience à tenter : car, quoique ce soit la racine qui fournit la sève, cette sève toutefois doit être pompée par tout le corps de l’arbre, et s’y distribuer. Cependant ; si l’on entouroit ainsi de pierres le pied de quelque plante très molle et très foible, par exemple, celui d’une laitue, il seroit à craindre qu’elle ne fût suffoquée par la trop grande abondance d’humidité, et sujette à être rongée par les vers.

423. Avant qu’un arbre nouvellement planté ait pris pied, il faut avoir soin de ne pas trop l’ébranler ; et au contraire, imiter la précaution de certains cultivateurs qui soutiennent le jeune arbre, par le bas et des deux côtés, à l’aide de deux petites fourches, afin qu’il monte droit. Mais, lorsqu’il est bien affermi sur ses racines, ces secousses peuvent lui être avantageuses ; elles relâchent la terre, et la rendent plus meuble autour du pied : peut-être même, en donnant un peu plus de mouvement à la sève, sont-elles pour un arbre, ce que l’exercice est pour les animaux.

424. Lorsqu’on a soin d’élaguer un arbre, en retranchant à mesure tous les rejetons qui naissent de la racine ou de la tige, il monte davantage et plus droit. Au contraire, lorsqu’on rase le sommet, il s’étend latéralement, et devient touffu, comme on le voit dans les jardins, par la forme que prennent les arbres étêtés.

425. On prétend que, pour former promptement un taillis épais et fourré, il faut prendre de jeunes plants de saule, de peuplier, d’aune, etc. et au lieu de les planter droit, comme on le fait ordinairement, les planter obliquement, et à la profondeur convenable ; ce qui multiplie les racines et les rejetons.

426. On peut se procurer de nouveaux pieds d’arbres par le procédé suivant. Choisissez un arbre-nain ; courbez toutes ses branches avec précaution ; couchez-les à plat, et après les avoir assujetties dans cette situation, couvrez-les de terre ; chacune de ces branches prendra racine. Ce procédé, appliqué aux arbres à fruit d’un certain prix, tels que l’abricotier, le pêcher, l’amandier, le cornouiller, le mûrier, le figuier, etc. deviendroit fort utile : car on pourroit se procurer, sans dépense, de nouveaux pieds de ces différentes espèces d’arbres, par ce moyen si simple qu’on emploie ordinairement pour la vigne, les roses ordinaires, les roses muscades, etc.[18].

427. Du mois de mai au mois de juillet, choisissez une branche d’arbre un peu grosse[19] ; dépouillez-la circulairement d’une partie de son écorce ; couvrez la partie nue, de terre grasse, bien mêlée avec du fumier ; et soutenez cette terre à l’aide d’un morceau de toile et d’une ligature. Vers la Toussaint, coupez cette branche à l’endroit dépouillé, et mettez-la en terre, elle reprendra ; et, au bout d’un an, vous aurez un beau pied d’arbre : ce qui peut s’expliquer ainsi. En dépouillant la branche d’une partie de son écorce, on empêche la sève de descendre dans sa partie inférieure, aux approches de l’hiver, et on la retient dans la partie supérieure[20]. Il se peut aussi que la terre grasse et le fumier, appliqués sur l’endroit dépouillé, l’humectent, l’amollissent, et lui donnent ainsi plus d’aptitude à pousser des racines. Il est bon d’observer en passant, qu’on pourroit tirer de là un moyen général pour retenir la sève dans les branches, ce qui pourroit avoir d’autres usages.

428. Lorsqu’un arbre de belle apparence est stérile, il suffit de le percer jusqu’à la moelle, pour le rendre fécond : c’est une épreuve qu’on a faite. Il paroît qu’avant cette opération l’arbre étoit attaqué d’une sorte de réplétion, et comme suffoqué par la surabondance de la sève : or, l’on sait que la réplétion est ennemie de toute génération[21].

429. On a fait sur des arbres stériles l’expérience suivante. Après avoir fendu deux ou trois des plus grosses racines, on a mis une pierre dans chaque fente ; pour empêcher les deux parties séparées de se rapprocher, et l’arbre a recouvré sa fécondité, Il se pourroit qu’avant l’opération, la racine de cet arbre fût, pour ainsi dire, coriagineuse[22], comme le tronc l’est quelquefois. Quant à cette pierre, il est visible qu’elle est nécessaire pour tenir écartées lune de l’autre les deux parties de la racine.

430. On plante ordinairement près d’un mur, et l’on met en espalier, à l’exposition du midi, les arbres à fruit qui demandent beaucoup de soleil, comme l’abricotier, le pêcher, le prunier, la vigne, le figuier, etc. d’où l’on tire deux principaux avantages : l’un est la chaleur produite par la réverbération du mur ; l’autre est de mettre toutes les parties de l’arbre à portée de profiter également de l’action du soleil. Car, dans un arbre de plein-vent, et qui fait la pomme, les branches supérieures font ombre aux branches inférieures ; au lieu que, lorsque l’arbre est en espalier, et fait l’éventail, les rayons solaires agissent également sur les branches hautes et sur les branches basses.

431. Ainsi, lorsqu’un arbre s’étend trop latéralement et est trop touffu, il est utile d’ôter çà et là quelques feuilles afin que les branches et les fruits auxquels ces feuilles donnent trop d’ombre, puissent profiter de l’action du soleil. On a essayé, par simple curiosité, de mettre un arbre en espalier, à l’exposition du nord, mais de manière que sa partie supérieure débordant le mur, fût ainsi exposée au midi. On espéroit que, par ce moyen, les racines et le bas de l’arbre jouissant de l’ombre et de la fraîcheur, tandis que les branches et les fruits seroient frappés par les rayons solaires, l’arbre et ses fruits y gagneroient ; mais cette tentative n’a point été heureuse : ce qui devoit être ; car, quoique la racine soit renfermée dans le sein de la terre l’action du soleil ne lui est pas moins nécessaire qu’au corps extérieur de l’arbre ; et les parties basses de ce corps ont encore plus besoin de cette chaleur que les parties hautes comme nous le voyons par la précaution qu’on a quelquefois d’envelopper de paille le bas de la tige de certains arbres.

432. Ce sont ordinairement les fruits des branches les plus basses qui grossissent le plus, et qui mûrissent le mieux[23]. C’est ce dont on voit la preuve dans les abricots, les pêches, etc. dont les plus gros et les meilleurs fruits pendent ordinairement aux branches les plus basses. En France les vignes dont le raisin est employé à faire du vin, sont fort basses ; et on les soutient à l’aide d’échalas, autour desquels elles s’entortillent. En Italie et dans les autres contrées où le soleil est plus ardent, on les fait monter le long des ormeaux, ou d’autres arbres de ce genre[24]. Je me persuade aisément que si, dans ces pays chauds, on tenoit les vignes fort basses, comme en France, le vin en auroit plus de force et une saveur plus douce[25]. Il faudroit voir si un arbre qu’on grefferoit plus près de terre, en n’y laissant que les branches inférieures, et coupant les branches hautes à mesure qu’elles repoussoroient, ne donneroit pas des fruits plus gros et de meilleure qualité.

433. Si l’on vouloit avoir beaucoup de fruits, il faudroit, au lieu de greffer sur des troncs de jeunes arbres, comme on le fait ordinairement, greffer sur plusieurs branches d’un arbre un peu vieux ; le produit de toutes ces dernières greffes seroit beaucoup plus abondant que celui de la première[26].

434. Une pratique fort utile, c’est celle de remuer et d’ameublir la terre tous les ans autour du pied des arbres ; ce qui a le double effet d’améliorer les fruits et d’augmenter la récolte, Mais c’est ce qu’on ne fait encore que pour la vigne : il faut étendre et généraliser cette méthode, les arbres à fruit ne pouvant qu’y gagner ; et même les arbrisseaux ou arbustes, tels que les rosiers, etc,

435. On a vu un arbre qui avoit été fortement ébranlé et presque déraciné par le vent, mais ensuite raffermi sur ses racines, rapporter prodigieusement l’année d’après ; fait d’autant moins étonpant, que l’effet naturel de ces secousses violentes est de relâcher et d’ameublir la terre autour du pied ; ce qui est toujours avantageux à un arbre : cet effet purement accidentel indique un procédé qu’on pourroit tenter sur différentes espèces d’arbres à fruit, et qui suppléeroit en partie à la transplantation ; ces grands arbres n’étant pas susceptibles d’être transplantés aussi aisément que des plantes à fleur, ou herbacées.

436. Le vrai moyen de ranimer un arbre mourant, est de fouir et de remuer la terre autour du pied et des racines, et d’y mettre ensuite du fumier neuf. On sait que les bestiaux qu’on mène dans de nouveaux pâturages, semblent y rajeunir, et que leur chair devient plus tendre ; ce qui ne peut être autrement ; car il n’est point d’être, soit animal, soit végétal, qu’une nourriture meilleure qu’à l’ordinaire ne restaure, ne refasse, et ne rende comme tout neuf. Mais cette nourriture, ce n’est pas assez qu’elle soit meilleure dans la même espèce, il faut de plus qu’elle soit d’une autre espèce ; car il s’agit moins ici du mieux que du changement. 437. Si, après avoir coupé jusqu’aux racines une plante herbacée, au commencement de l’hiver, et jeté de la terre dessus, on a soin de battre et de fouler cette terre, soit avec le pied, soit avec la bêche, l’été suivant, ses racines s’étendront et se multiplieront prodigieusement. La raison de ce grand accroissement est qu’en foulant ainsi la terre, on empêche la sève de monter dans le corps extérieur de la plante, ce qui la fait séjourner plus long-temps dans la racine, et lui donne plus de force pour la dilater et la développer au printemps suivant. Aussi voit-on que les jardiniers, après avoir semé de la graine d’oignon ou de navet, ont soin de fouler la terre lorsqu’elle leur paroît trop lâche et trop meuble.

438. Si l’on met du panis ou du millet au-dessous et autour de la racine d’une plante, cette racine grossit considérablement ; car, le panis, qui est une substance fort spongieuse, pompant avec force le suc de la terre, procure ainsi à la grosse plante une nourriture plus abondante. Ce moyen paroît excellent pour donner plus de volume aux oignons, aux navets, aux panets, aux carottes, etc.

439. Le changement de terre[27] est aussi très avantageux aux arbres et à leurs fruits, mais pourvu qu’on n’oublie point cette règle que toute plante ou tout animal prospère davantage lorsqu’on améliore sa situation. Ainsi, la terre où l’on transplante les arbres, doit toujours être meilleure que celle de la pépinière d’où on les tire. Aussi voit-on que ceux qui font métier d’engraisser des bestiaux, ont soin de les faire passer de pâturages médiocres à de meilleure. Par la même raison, une vie dure, laborieuse et même dure pendant la première jeunesse (ce qui donne au corps de la consistance et de la solidité), contribue à la prolongation de la vie ; parce qu’elle le met en état d’être affecté d’une manière plus avantageuse par les changemens qu’il éprouvera dans le progrès de l’âge. De même, en fait d’exercices, il faut toujours commencer par les plus difficiles et les plus pénibles[28], par exemple danser avec des souliers fort pesans[29].

440. Si l’on fait à l’écorce d’un arbre un grand nombre d’ouvertures, tant longitudinales que transversales, mais de manière que ce soient plutôt de petites hachures, que des incisions et des fentes continues, cette opération produit deux effets avantageux : l’un, de les garantir de cette maladie dont nous parlions plus haut, et qui a pour cause une écorce trop adhérente, trop serrée contre le bois ; l’autre, de faire périr la mousse qui croît sur cette écorce.

441. Il y a des plantes auxquelles l’ombre est plus avantageuse que le soleil, et qu’elle fait prospérer : de ce genre sont le fraisier, le laurier, etc. Ainsi, il faut semer parmi les fraisiers de la bourrache, plante qui pousse de larges feuilles, à l’ombre desquelles se trouvent ordinairement les plus belles fraises. Par la même raison, plantez le laurier à l’exposition du nord, ou près d’une haie qui puisse lui donner de l’ombre et de la fraîcheur. Lorsque vous semez ou plantez des fraisiers, n’arrachez pas d’abord les mauvaises herbes qui s’y trouvent mêlées, et qui sont nécessaires pour les garantir du soleil.

442. Pour augmenter le produit d’une plante et la proportion de la récolte aux semis, il ne suffit pas d’augmenter la force de la terre et celle des plantes, il faut de plus tâcher d’épargner une partie de la semence qui se perd ordinairement. Dans cette vue, on a essayé de planter le froment au lieu de le semer ; mais on a été obligé d’abandonner cette méthode à cause des soins qu’elle exigeoit, et de la perte de temps qu’elle occusionnoit. Cependant, si cette méthode étoit praticable, elle serviroit à mettre à profit toute cette partie de la semence qui est la proie des oiseaux, ou qui, tombant trop bas, ne peut prendre racine.

443. Un auteur ancien prétend que, si l’on tient couverts de fumier, depuis l’automne jusqu’au printemps, un petit figuier, où tout autre arbre à fruit qui ne rapporte pas encore, et qu’ensuite profitant de quelque temps un peu chaud, on le replante, un arbre de l’année précédente, régénéré, pour ainsi dire, par de moyen, commencera à rapporter ; tandis que des arbres de même espèce et de même âge, ne donneront encore que des fleurs ; mais le succès d’une telle expérience nous paroît fort douteux.

444. On nous dit encore que si, après avoir fait dissoudre du nitre dans de l’eau, jusqu’à ce qu’elle ait acquis la consistance du miel, on s’en sert, après la taille de la vigne, pour oindre les boutons, au bout de huit jours, elle bourgeonnera vigoureusement. Si cette expérience a quelque réalité, on peut assigner pour cause de cette pousse si hâtive, la dilatation et le développement du bouton et des parties voisines, opéré par l’action puissante du nitre, qui est comme la vie, l’âme des végétaux.

445. Prenez des semences de différentes espèces, ou des pépins de pomme, de poire, d’orange, etc. ou encore des noyaux de pêche, de prune ; insérez-les dans une squille marine (plante analogue à un gros oignon), ils y germeront beaucoup plus vite qu’ils n’eussent fait dans la terre même. On peut regarder cette opération comme une espèce de greffe dans la racine. En effet, comme, dans la greffe ordinaire, le tronc du sauvageon fournit à la branche adoptive une nourriture mieux préparée et mieux atténuée que celle qu’il auroit pu tirer immédiatement de la terre, la squille rend le même service à cette semence qu’on y a insérée. Je puis supposer qu’on réussiroit également en insérant un pépin, une graine, etc, dans quelque autre plante à racine bulbeuse, ou charnue, telle que le navet, la carotte, le raifort, etc.[30], avec la différence toutefois que la squille a plus de chaleur et de force. Il se pourroit aussi qu’en insérant de la graine d’oignon dans une tête d’oignon même, on eût, par cemoyen, desoignons plus gros et plus précoces.

446. Voici une petite expérience qu’on a souvent tentée avec succès. Piquez, avec une pointe un peu fine, et sur toute sa circonférence, un fruit, tel qu’une pomme, une poire, etc. au moment où il a acquis toute la grosseur qu’il doit avoir, et est presque mûr. Ces piqûres sont comme autant de stimulans et d’aiguillons qui accélèrent la maturation ; effet assez analogue à celui qu’on observe dans un fruit piqué par une guêpe, ou un ver.

447. On prétend que l’algue[31], mise sous la racine d’un chou, et peut-être aussi de quelques autres plantes, peut accélérer leur accroissement. Cette propriété, si elle est réelle, doit être attribuée au sel que contient cette plante marine, et qui est un grand principe de fertilité.

448. On s’est encore assuré par l’expérience, que, si on coupe jusqu’aux racines la tige d’un concombre, après qu’elle à rapporté, et qu’on jette sur la partie restante autant de terre qu’il en faut pour la couvrir entièrement, elle rapportera, l’année suivante, beaucoup plutôt qu’à l’ordinaire ; accélération dont la cause est sensible : car, l’effet de cette amputation est que la sève, qui se seroit distribuée dans la tige et dans les feuilles, si on les eût laissées, après avoir cueilli le fruit, et dont une partie se seroit dissipée, descend plutôt dans la racine, et s’y concentre davantage ; d’où l’on peut tirer cette conséquence, que, si l’hiver fait mourir les racines des plantes annuelles, leur courte durée doit être attribuée à l’excessive consommation de la sève qui se distribue dans les parties supérieures : en sorte que, si l’on trouvoit moyen d’empêcher cette distribution, ces plantes, pourvu qu’on les garantît du froid, vivroient peut-être plus d’une année.

449. Lorsqu’on enlève à un arbre fruitier une partie de ses fleurs, les fruits qui succèdent à celles qu’on a laissées, en deviennent plus beaux et plus précoces, ce qui vient manifestement de ce que la sève alors ayant moins de parties à nourrir, n’en nourrit que mieux celles qui restent. D’ailleurs, on sait que, si l’on n’ôte pas à un arbre une partie de ses fleurs, la première fois qu’il fleurit, il s’épuise et meurt bientôt[32].

450. Il faudroit voir encore ce qui arriveroit, si l’on ôtoit, deux années de suite, à un arbre à fruit, toutes ses fleurs ; à un chêne, tous ses glands ; et en général, à un arbre de forêt, tous ses embryons ; selon toute apparence, il donneroit, la troisième année, ou de plus gros fruits et en plus grand nombre, ou pousseroit de plus grandes feuilles, vu qu’en ôtant ces fleurs, ou ces embryons, on auroit ménagé la sève au profit des fruits restans, ou des feuilles.

451. On pense communément qu’une plante arrosée d’eau chaude décroît beaucoup plus et plus rapidement, que lorsqu’elle est arrosée d’eau froide comme à l’ordinaire, ou seulement humectée par les pluies. Cependant le bled que nous avions arrosé d’eau chaude, ne leva point, comme nous l’avons dit plus haut[33]. Mais il se peut que ce mauvais succès ait eu pour cause la saison même où nous avons fait cet essai (car c’étoit à la fin d’octobre) ; et que, dans une telle saison, la plante, trop amollie par l’eau chaude, n’ait plus été en état de résister à un froid rigoureux.

452. Il est certain qu’en général, la greffe est un moyen d’améliorer les fruits ; ce qui est d’autant moins étonnant, que la nourriture fournie à la branche adoptée par le tronc sur lequel on greffe, est plus atténuée et mieux préparée que celle qu’elle pourroit tirer de la terre immédiatement ; règle toutefois qui doit être limitée par une distinction fondée sur l’expérience ; savoir : que certaines espèces d’arbres à fruit réussissent mieux, lorsqu’ils proviennent de pépins ou de noyaux, que lorsqu’on se les procure par la greffe ; et de ce genre sont le pêcher, et ses analogues, etc, La raison de cette différence est que les arbres de ce genre ont besoin d’une plus grande quantité de nourriture, d’un humor plus abondant : or, quoique la nourriture fournie par le tronc sur lequel on greffe, soit plus atténuée et mieux digérée que celle qui seroit fournie par la terre même, cependant elle est moins abondante et moins humide. Nous voyons en effet que les fruits de ce genre sont de nature très froide ; et les sucs dont ils se nourrissent, doivent être de même nature.

453. On pense aussi assez généralement, que, si l’on greffe un sujet qui ne donne que de petites poires, sur un sujet qui en donne de plus grosses, l’ente donnera de plus gros fruits que l’arbre d’où elle est tirée. Mais cette opinion ne nous paroît pas mieux fondée que celle dont nous parlions plus haut ; savoir : que, si l’on greffe une espèce à fruits tardifs sur une espèce à fruits précoces, l’ente rapportera plutôt que les arbres de son espèce ; opinion que nous avons rejetée, par la raison que le scion adopté, prévaut toujours sur le tronc adoptant. Cependant il est assez vraisemblable que, si l’on greffoit une espèce qui eût peu de sève sur une espèce qui en eût beaucoup, l’ente donneroit des fruits plus gros que ceux des arbres de son espèce[34] ; mais, selon toute apparence ces fruits perdroient un peu de leur qualité. Généralement parlant, on choisit pour la greffe une espèce qui a moins de sève que celle de l’ente ; par exemple : on greffe le pommier franc sur un sauvageon de la même espèce, le poirier sur l’épine, etc. Cependant j’ai ouï dire que, dans les pays-bas, on s’étoit avisé de greffer un rejeton de pommier sur un trognon de chou[35], et qu’on avoit obtenu, par ce moyen, des pommes fort grosses, et d’une saveur très fade, dont les pépins, mis en terre, donnèrent, non des pommes, mais des choux[36] ; il faudroit essayer aussi de greffer le pommier, le poirier, etc. sur le saule, le peuplier, l’aune, et même sur l’orme, ou sur le prunellier ; tous arbres de nature très humide[37]. J’ai appris qu’on avoit tenté cette greffe sur l’orme, et qu’elle avoit réussi,

454. Il est prouvé par l’expérience, qu’on obtient des fleurs plus grandes et plus belles, en transplantant le pied qui les donne ; car, toute terre nouvellement remuée, étant plus poreuse et plus perméable, la nourriture arrive ainsi plus aisément à la plante. Peut-être suffiroit-il, pour obtenir de plus gros fruits, de réitérer souvent la greffe des mêmes rejetons. Je veux dire que si, après avoir pris un rejeton bien sain, et l’avoir greffé la première année sur un tronc, on le coupoit la seconde année, pour le greffer sur un autre tronc, et ainsi de suite, jusqu’à la quatrième année, où l’on cesseroit d’y toucher, lorsque l’ente rapporteroit, elle donneroit de plus beaux fruits qu’elle n’en eût donné par une seule greffe[38].

Nous aurions beaucoup d’autres expériences et d’autres observations à donner sur ce sujet ; mais nous croyons devoir les renvoyer au lieu qui leur est propre, et où nous traiterons cette matière ex-professo.

455. En étêtant un figuier[39], au moment où ses feuilles commencent à pousser, on se procure des fruits de meilleure qualité. La raison de cet effet est sensible : lorsqu’on a ainsi rasé le sommet de l’arbre, la sève a moins de parties à nourrir, et moins de chemin à faire pour s’élever jusqu’au haut, Mais on doit s’attendre à voir l’accroissement ralenti par cette amputation, comme nous l’avons déjà observé. Au reste, on pourroit tenter aussi cette expérience sur des arbres d’une autre espèce.

456. Si nous devons en croire certaines relations, en faisant plusieurs trous au tronc d’un mûrier, et y insérant des coins faits avec le bois de quelque arbre de nature chaude, tels que le térébinthe, la lentisque, le gayac, le genévrier, etc. on aura d’excellentes mûres, et l’arbre sera aussi d’un plus grand rapport ; effet qu’on peut attribuer à cette chaleur de surcroît qui fomente, anime et renforce la sève et la chaleur native de l’arbre.

457. D’autres écrivains prétendent que si l’on applique aux racines et au pied d’un arbre du sel, du marc de raisin, de la lie ou du sang[40], il prendra un accroissement plus sensible, rapportera plutôt, et donnera de meilleurs fruits. Ces substances, à ce qu’il paroît, ranimant et renforçant les esprits de la racine, font qu’elle pompe avec plus de force ; car elles sont beaucoup plus actives que celles qu’on emploie ordinairement dans les mêmes vues.

458. Un auteur ancien dit que pour se procurer des artichauds plus tendres, et qui aient moins d’aspérités, il suffit de rabattre avec un caillou celles de leurs semences, ou de les enlever en les frottant sur une pierre.

459. Les plantes herbacées deviennent plus belles et plus tendres, si, dès qu’elles commencent à lever, on a soin de les transplanter ; mais, d’une année à l’autre, disions-nous ; au lieu qu’ici il s’agit de le faire sur-le-champ : ce dernier genre de transplantation produisant son effet par les mêmes causes que ceux dont nous avons déjà parlé, il seroit inutile d’en donner une nouvelle explication.

460. Un auteur ancien nous apprend que, pour se procurer des choux plus gros et de meilleur goût, il suffit de les arroser de temps en temps avec de l’eau salée, sur-tout avec une eau chargée de nitre, sel dont les esprits brûlent moins que ceux du sel commun.

461. On dit aussi que, pour se procurer des concombres plus tendres et plus délicats, il faut en faire macérer la semence dans du lait. Il paroît que la semence ainsi amollie par le lait, n’a plus assez de force pour pomper les sucs les plus grossiers de la terre, mais seulement les plus atténués. Il seroit peut-être possible, en faisant aussi macérer dans du lait la graine d’artichauds, ou d’autres semences, pépins, etc. de dépouiller les artichauds, les fruits et autres productions respectives, de leur saveur âpre où amère. D’autres prétendent qu’on peut obtenir le même effet, en faisant macérer les semences dans une eau où l’on ait délayé du miel, ce qui nous paroît beau coup moins vraisemblable, les esprits de cette substance étant beaucoup trop actifs pour produire l’effet dont il s’agit.

462. On dit aussi que, pour rendre les concombres moins aqueux, et plus semblables à des melons, il suffit de les mettre dans un trou à moitié rempli de sciure de bois, de raclures d’érable, de paille hachée, etc. et de les recouvrir de terre. Car l’on sait que les concombres aiment l’humidité ; maïs quelquefois ils l’attirent en si grande quantité, qu’ils en sont saturés et comme noyés ; inconvénient auquel on obvie par le moyen de la sciure de bois, des raclures d’érable, etc.[41] ; mais cet ancien auteur auquel nous devons la connoissance de ce procédé, va beaucoup plus loin : il prétend que, si l’on place près d’un concombre qui commence à germer et à croître, un pot rempli d’eau, il poussera si vigoureusement de ce côté-là, que dans l’espace de vingt-quatre heures il remplira tout l’intervalle, et atteindra jusqu’au pot[42]. Si cette expérience a quelque réalité, elle est d’une nature trop relevée, pour que sa véritable place soit dans un article tel que celui-ci ; car elle porteroit à croire que cette plante sent et cherche ce qui peut lui être utile, quoiqu’elle en soit à une distance assez grande, Il est même tel auteur ancien qui prétend que, si l’on pique un échalas à quelque distance d’un cep de vigne, la pousse de cette vigne se dirige avec force de ce côté là, et qu’elle semble chercher l’appui dont elle a besoin[43] ; fait encore plus étrange que le premier ; car on peut, jusqu’à un certain point, expliquer le premier, en supposant que l’eau agit sur le concombre par une espèce d’attraction, qui a pour cause leur grande affinité ; au lieu que le dernier fait suppose une sorte de raisonnement.

463. Nous avons dit dans un des numéros précédens, qu’en perçant le tronc des arbres, on peut accélérer leur accroissement. Mais l’expérience prouve également qu’on peut, par ce moyen, obtenir des fruits plus doux et de meilleure qualité ; double effet qu’on peut expliquer ainsi. Cette opération n’empêche pas que l’arbre ne reçoive toute la nourriture qui peut lui être nécessaire, et elle fait de plus, qu’il ne conserve de la substance alimentaire que cette portion qu’il peut digérer complètement et s’assimiler, en rejetant toute celle qui peut lui être inutile ou nuisible. C’est ainsi que, dans les animaux, une constitution saine et vigoureuse est l’effet d’un certain milieu entre l’excès et le défaut, par rapport aux sueurs, aux alimens et aux exercices.

464. Comme on peut, en perçant le tronc des arbres fruitiers, améliorer leurs fruits, on peut obtenir le même effet, en faisant aux plantes plus petites des espèces de saignées ; par exemple : en faisant des ponctions à la vigne, ou à d’autres arbrisseaux ou arbustes lorsqu’ils ont déjà pris un certain accroissement ; opération qui détermine l’émission de la gomme et des larmes[44] ; bien entendu : que cette dernière opération ne doit pas être continue, comme la première, mais qu’elle ne doit être que momentanée, et qu’on ne doit la faire que dans certaines saisons. On dit que, par ce moyen, les amendes amères deviennent douces.

465. Les anciens recommandent souvent d’employer le fumier de porc, comme un moyen pour se procurer des fruits de saveur plus douce. Si ce fumier a réellement cette propriété qu’ils lui attribuent, c’est sans doute parce que l’extrême humidité de la substance, des animaux de cette espèce, émousse l’acrimonie naturelle de leurs excrémens ; car on sait d’ailleurs que la chair de porc est fort humide[45].

466. Quelques agricoles nous disent que, pour donner aux plantes herbacées une odeur et une saveur plus agréables, il faut, après les avoir laissé croître jusqu’à un certain point, retrancher tous les rejetons, hors un seul, et ne faire usage que de ce dernier ; amélioration qu’on peut attribuer au plus long séjour de la sève dans la racine et dans la tige, d’où résulte une plus longue élaboration et une concoction plus parfaite. Car, si les grains, les semences et les fruits sont des substances plus nourrissantes que les feuilles, c’est sur-tout à la plus longue durée de leur maturation qu’elles doivent cette plus grande faculté nutritive. D’où il suit que si l’on pouvoit imaginer quelque moyen pour ralentir le mouvement de la sève dans certaines plantes herbacées et pour retarder leur maturation jusqu’à la fin de l’été, cette saison pourroit peut-être en les digérant et les mûrissant plus complètement, les rendre plus nutritives.

467. Les arbres qu’on obtient par la greffe, donnent des fruits plus précoces et de meilleure qualité que ceux qui proviennent de pépins ou de noyaux, parce que, dans le premier cas, la concoction est plus parfaite. Mais on obtiendra plus sûrement le même effet et par la même raison, en ayant l’attention de choisir pour cette greffe, un tronc de qualité inférieure à celle du scion à greffer ; autrement l’action de l’ente pourroit être émoussée et affaiblie par celle du tronc qui l’auroit adoptée.

On prescrit ordinairement de greffer le poirier et le pommier sur le cognassier.

468. Outre les moyens d’amélioration exposés jusqu’ici, on prétend que le fumier de porc, mêlé avec de la sciure de bois, des raclures d’érable, de la paille hachée, etc. (sur-tout si l’on a soin de les laisser en tas pendant un mois, pour leur donner le temps de se putréfier et de se consommer) fournit un très bon engrais, et un vrai restaurant pour les arbres à fruit.

469. On prétend aussi que pour se procurer de plus gros oignons il faut les mettre hors de terre les laisser ainsi se dessécher en partie pendant une vingtaine de jours puis les repiquer surtout si l’on a soin de leur enlever la cuticule la plus extérieure.

470. Nous avons quelquefois ouï dire que, si l’on prend sur un arbre-nain une branche portant un fruit déjà noué, et que, l’ayant courbée avec précaution pour ne pas l’endommager on l’introduise dans un pot de terre, pour la faire passer par un trou pratiqué au fond de manière qu’elle déborde en dessous et qu’ensuite on jette par-dessus assez de terre pour que ce pot en soit entièrement couvert cette branche donnera un fruit extrêmement gros au-dessous du pot[46]. Au fond, cette expérience est analogue à celle qui consiste à mettre les plantes dans des pots ; avec cette différence, toutefois, qu’ici il n’y a point de transplantation, et que le fruit reste dans la terre. Les mêmes auteurs ajoutent qu’on obtiendra le même effet si ce pot qui enveloppe le fruit, étant vuide, on a seulement l’attention de le soutenir avec un échalas lorsqu’il pend de l’arbre[47] ; et qu’en faisant quelques trous à ce pot, on sera encore plus assure du succès ; phénomène qu’on explique ainsi. D’abord, le fruit est garanti par ce pot, de l’ardeur excessive du soleil, et des trop grandes variations de la température puis, ce fruit, tendant naturellement à jouir du contact immédiat de l’air libre, et à profiter de l’action du soleil, est excité, par le moyen de ces trous, à s’approcher de l’un et de l’autre, autant qu’il est possible ce qu’il ne peut faire sans s’étendre selon toutes ses dimensions et sans grossir beaucoup[48].

471. Des arbres mis dans une terre sablonneuse et élevée, doivent être plantés plus profondément, et beaucoup moins dans un sol humide. De plus quand on transplante des arbres, sur-tout des arbres à fruit, il faut, en les replantant, avoir soin de les mettre dans une situation tout-à-fait semblable à celle où ils étoient auparavant ; c’est-à-dire, tourner encore vers le nord le côté qui étoit tourné vers cette partie du monde. On prétend qu’il faut aussi placer les pierres employées pour la construction d’un édifice dans une situation semblable à celle où elles étoient dans la carrière ; que cette attention contribue à leur durée : ce qui nous paroît d’autant moins vraisemblable, qu’une pierre dans la carrière n’est pas exposée à l’action du soleil, comme l’est un arbre, tant qu’il est sur pied[49].

472. Les arbres qui fournissent les bois de charpente ou de menuiserie, montent plus droit et viennent mieux dans une forêt qu’en pleine campagne. C’est d’abord parce que, dans une forêt, n’ayant pas la liberté de s’étendre latéralement comme en hauteur, presque tout leur accroissement est au profit de cette dernière dimension ; c’est encore parce que, dans le premier cas, ils sont mieux garantis de la grande ardeur du soleil, et de l’action des vents trop froids ou trop violens ; deux choses très nuisibles à tous les végétaux. C’est en vertu de la même cause que les fruits des arbres plantés près d’une muraille exposée à l’action du soleil, ou près des angles rentrans d’un édifice, ou entre des pilastres, ou enfin entre des monceaux de pierres, mûrissent plutôt et plus parfaitement qu’en plein champ, ou dans tout autre lien trop découvert.

473. On dit que des patates mises dans des pots remplis de bonne terre, enfouies à la profondeur de quelques pouces et entièrement recouvertes de terre, deviennent d’une grosseur prodigieuse. Voici quelle en peut être la raison : ces patates trouvent dans ce pot autant de terre qu’il leur en faut pour se nourrir et le fond du pot, qui leur fait obstacle, les empêchant de jeter leurs fibres vers le bas, elles doivent s’étendre selon leurs autres dimensions, et grossir d’autant. Peut être d’autres espèces de racines, charnues ou bulbeuses et en général toute autre espèce de semence, mises ainsi dans des pots et recouvertes de terre grossiroient-elles de même.

474. Si, après avoir entièrement coupé les feuilles d’une rave ou de toute autre espèce de racine, à l’entrée de l’hiver, et avant qu’elle soit tout-à-fait flétrie, on la couvre d’une quantité suffisante de terre, elle se conservera tout l’hiver, et au printemps suivant, grossira beaucoup, comme nous l’avons déjà observé. Cette pratique a un double avantage. En premier lieu, comme elle fait grossir la racine, elle augmente ainsi le produit des plantes où cette partie est celle qui sert d’aliment ; telles que les raves les navets, carottes, panais, etc. et il en seroit de même des oignons. En second lieu comme elle fortifie les racines des plantes dont on mange le fruit ou la semence elle les rend aussi d’un plus grand rapport.

475. Un autre avantage qui n’est pas à mépriser, c’est de pouvoir se procurer de plus grandes feuilles sur les arbres destinés à donner de l’ombre : or, l’on s’est assuré par l’expérience que, si l’on greffe sur le tronc d’un orme ordinaire un scion de l’orme à large feuilles, ou de montagne, les nouvelles feuilles seront aussi larges que le bord d’un chapeau ; et de même qu’en greffant les arbres fruitiers, on obtient de plus gros fruits, si l’on tentoit la greffe des arbres qui ne portent point de fruits, on obtiendroit probablement de plus grandes feuilles. Ce seroit donc une expérience à tenter sur les arbres de cette dernière classe, et principalement sur le bouleau, le tremble, le saule, spécialement sur celui dont les feuilles ont beaucoup d’éclat ; ce qui lui a fait donner le nom de queue d’hirondelle.

476. La stérilité accidentelle des arbres à fruit (abstraction faite de certaines causes, telles que le peu de force du sol, de la semence, ou des racines, ou enfin les intempéries de l’air), vient ou de l’excessive quantité de mousse qui croît sur leur écorce, ou de ce que cette écorce est trop adhérente et trop serrée contre le bois, ou de ce qu’ils sont plantés trop profondément, ou enfin, de ce que la sève se perd presque toute en feuilles[50]. On peut prévenir ces trois derniers inconvéniens, ou y remédier par les moyens exposés dans cet article.

Expériences et observations diverses sur la composition ou combinaison des fleurs et des fruits de différente espèce.

Dans cette classe d’êtres vivans où l’on trouve la distinction des sexes, lorsque des individus de différentes espèces s’accouplent, il en résulte de nouvelles espèces, qu’on peut, en quelque manière, regarder comme de nouveaux composés, de nouveaux mixtes dans le règne animal ; par exemple : le mulet provient de l’accouplement du cheval avec l’ânesse, ou réciproquement. Il est encore d’autres espèces qui, en se croisant ainsi engendrent d’autres individus mixtes auxquels on donne le nom de monstres ; mais ces combinaisons sont plus rares. Quant à ce proverbe si ancien qui dit : que l’Afrique fut toujours féconde en monstres, le fait qu’il suppose peut s’expliquer ainsi : la rareté des eaux dans ces contrées où une chaleur excessive et continuelle dessèche tout et excite une soif ardente forçant tous les animaux indistinctement à se rassembler dans le petit nombre de lieux où elles se trouvent ; ces animaux qui, en étanchant leur soif, recouvrent toute leur vigueur, se mêlent ensuite avec des individus d’espèce différente qu’ils trouvent à leur portée ; de là cette multitude de monstres qu’on y voit. Mais jusqu’ici on a rarement tenté de combiner et de croiser ainsi des plantes d’espèce différente ; et nous n’avons que très peu d’observations sur ce sujet. Cependant si des combinaisons de ce genre étoient possibles, elles seroient plus en notre disposition que celles des différentes espèces d’animaux, qui ne peuvent être excités à la génération que par le prurit de la volupté, et en vertu d’un mouvement, d’un élan subit et spontané. Ainsi cette combinaison des plantes de différente espèce seroit un objet d’autant plus digne de fixer notre attention, qu’on auroit lieu d’espérer de pouvoir, par ce moyen, produire de nouvelles espèces de fruits ou de fleurs, et si nouvelles, qu’il faudroit inventer de nouveaux noms pour les désigner[51]. Or, la greffe ne pourroit rien ici ; elle peut bien améliorer la qualité des fruits, et procurer des fleurs doubles mais elle est impuissante pour engendrer de nouvelles espèces ; le scion adoptif prévalant toujours sur le tronc qui l’adopte[52].

477. Prenez, dit un ancien auteur, deux scions d’arbres à fruit de différentes espèces ; retranchez de chacun un peu de bois, pour l’applatir d’un côté ; réunissez-les par les deux côtés plats ; et après les avoir liés étroitement, plantez-les ainsi réunis ; ils adhéreront de plus en plus, et à la fin ne formeront plus qu’une seule tige, d’où naîtront des branches sur lesquelles on trouvera des fruits de deux espèces différentes et très distinctes. Ce fait, comme nous pouvons l’observer en passant, semble prouver que l’unité de continuité (de corps) est plus aisée à obtenir que l’unité d’espèce.

Un autre écrivain agricole indique le procédé suivant, fort analogue au précédent. Prenez, dit-il, deux ceps, dont l’un donne des raisins rouges et l’autre des raisins blancs ; plantez-les l’un près de l’autre ; applatissez leurs parties supérieures par les deux côtés qui se regardent ; joignez-les par ces deux parties plates, et liez-les étroitement : par ce moyen, lorsque cette vigne rapportera, vous aurez sur les mêmes branches des raisins de deux couleurs différentes ; et vous observerez les mêmes différences entre les pépins d’un même grain de raisin. Mais cet auteur ajoute qu’il faut une année ou deux pour opérer complètement la réunion de ces deux ceps. Il seroit à propos lorsque les deux ceps commencent à adhérer ensemble de les arroser fréquemment toute espèce d’humor ayant la propriété d’unir, ou de faciliter la réunion.

On prescrit aussi de lier ensemble de cette manière les boutons ou yeux dès qu’ils commencent à pousser[53] ; du moins de les tenir ainsi liés pendant quelque temps.

478. D’autres auteurs prétendent que des semences de différentes espèces, enveloppées dans un linge et mises dans une terre bien fumée, produisent plusieurs plantes contiguës, dont les tiges, si on les lie ensemble, s’incorporent avec le temps, au point de ne former plus qu’une seule tige. On peut, ajoutent-ils, obtenir un effet analogue, en mettant des pépins ou des noyaux de différentes espèces dans une bouteille à goulot étroit, et remplie de terre.

479. On dit encore qu’il suffit de planter l’un près de l’autre, dans une terre très féconde, de jeunes arbres de différentes espèces (de manière qu’ils soient simplement contigus, sans être liés ensemble), et de les arroser fréquemment, pour qu’ils s’unissent peu à peu, en vertu de la surabondance de la sève et qu’à la longue ils ne forment plus qu’une seule tige[54]. Cette assertion nous paroît un peu mieux fondée que les précédentes ; la ligature dont nous parlions plus haut ayant l’inconvénient d’empêcher que les deux plantes qui se touchent, ne parviennent à leur grosseur naturelle et la liberté de leur mouvement devant faciliter leur réunion.

Expériences et observations diverses sur la sympathie et l’antipathie de certaines plantes.

Les anciens nous ont laissé un grand nombre d’observations par écrit, ou de traditions sur les sympathies et les antipathies des plantes ; opinions, en quelque manière, consacrées par l’opinion publique comme tant d’autres préjugés : ayant observé que certaines plantes se plaisoient à végéter les unes près des autres, et prospéroient par cette proximité qui étoit nuisible à d’autres, ils attribuoient le premier de ces deux effets à une sympathie ; et le dernier, à une antipathie. Mais de telles explications ne sont que des expédiens pour voiler son ignorance, et pour s’épargner la peine de chercher les véritables causes ; reproche qu’on peut appliquer aux opinions relatives aux sympathies et aux antipathies en général. Quant à ce qui regarde les plantes en particulier, ces amitiés et ces inimitiés qu’on leur attribue, sont autant de chimériques suppositions. Et s’il faut absolument faire usage de ces mots de sympathie et d’antipathie, je dis qu’on est dans l’erreur relativement à cette nomenclature même ; que ce qu’on appelle ordinairement une sympathie, est une antipathie réelle, et réciproquement : telle est l’idée qu’on doit se faire de ces relations. Si, des deux plantes qu’on suppose voisines l’une, en tirant les sucs qui lui conviennent de la portion de terre qui en est pénétrée, laisse à l’autre les sucs qui conviennent à celle-ci, alors ce voisinage est utile à toutes deux ; par cette raison même que les sucs dont l’une a besoin, sont de nature contraire ou peu analogue à ceux qui sont nécessaires à l’autre. Mais si ces deux plantes ont besoin de beaucoup de sucs et des mêmes sucs, alors cette proximité leur est nuisible à toutes deux, chacune dérobant à l’autre sa nourriture.

480. Toute plante, de quelque espèce qu’elle puisse être qui, en tirant de la terre une nourriture abondante tend ainsi à l’épuiser, est, par cela seul, nuisible à toutes celles qui l’avoisinent. C’est ce qu’on peut dire des grands arbres, spécialement du frêne, et en général, de tous ceux dont les racines rampent assez près de la surface de la terre. Ainsi, au lieu de dire avec les anciens, que le chou est ennemi de la vigne, il faut dire qu’il l’est généralement de toute autre plante ; parce que, tirant de la terre une grande quantité de sucs, il dérobe ainsi aux autres ceux dont ils ont besoin et les affame. Enfin, s’il est vrai qu’une vigne dont la partie extérieure, en rampant à la surface de la terre, s’est approchée d’un chou s’en détourne aussi-tôt, ce n’est pas pour éviter ce chou, comme ils le pensent, mais pour éviter une portion de terre où elle ne trouve que des sucs qui ne lui conviennent point. On peut même conjecturer que si la racine du cep étoit à ce même endroit où l’on suppose que se trouve sa partie extérieure, le chou n’y étant pas, cette racine se détourneroit également, et se porteroit vers la veine de terre où elle trouveroit un aliment convenable[55].

481. Deux plantes de natures différentes, et qui tirent de la terre des sucs également différens, gagnent à se trouver l’une près de l’autre, comme nous l’avons déjà observé ; assertion conforme à l’opinion de quelques anciens, qui prétendent que la rue plantée près du figuier, prospère davantage, et acquiert plus de force ; ce qu’il ne faut point attribuer à cette antipathie qu’ils supposent ; mais ce qu’on explique beaucoup mieux en supposant que chacune de ces deux plantes tire de la terre des suce contraires, où peu analogues à ceux dont l’autre a besoin ; différence de sucs qui fait que l’une est d’une saveur douce, et l’autre amère. Les mêmes auteurs ajoutent que le rosier planté près de l’ail, donne des fleurs d’une odeur plus suave ; ce qui peut s’expliquer comme le fait précédent ; savoir : en disant que le suc le plus fétide s’insinue dans l’ail ; et le plus suave, dans la rose.

482. Il est, comme on sait, certaines espèces de plantes à fleurs qui croissent ordinairement parmi les bleds, et qu’on trouve rarement ailleurs, à moins qu’on ne les y ait semées. Tels sont le bluet (ou barbeau), le coguelicot (ou pavot sauvage), certaine espèce de souci, la fumeterre, etc. Mais il ne faut pas regarder le labour et ces sillons qu’on trace, comme la véritable cause de leur multiplication dans les terres à bled ; ni supposer qu’ils aient, à cet égard, de l’analogie avec ces plantes qu’on ne voit que dans les fossés nouvellement creusés ; car on ne trouve jamais celles dont nous parlons, dans les terres en friche ou en jachères. Ainsi, l’on doit penser que ce bled auprès duquel on les trouve, leur prépare, pour ainsi dire, la terre, et lui donne une certaine qualité particulière qui la rend propre pour les multiplier.

483. Si cette double règle sur laquelle nous fondons toutes nos explications, étoit justifiée par l’expérience, on pourroit en faire d’utiles applications, pour donner aux fruits et aux plantes comestibles une saveur plus agréable, ou aux fleurs une odeur plus suave. Par exemple : s’il est vrai que le figuier, planté parmi des pieds de rue, augmente la force et l’amertume de cette plante, comme le pensoient les anciens, réciproquement des pieds de rue, plantés autour d’un figuier, donneroient à son fruit une saveur plus douce. Or, les saveurs les plus déplaisantes dans les fruits et autres végétaux comestibles, sont les saveurs amère, âpre, acide ou aigre, et aqueuse ou fade. Ainsi, ce sont les saveurs de ce genre qu’il faut d’abord tâcher de corriger, et tel est le principal objet des expériences suivantes.

484. Semez des graines de laitue, de chou-fleur, d’artichauds, parmi des pieds de rue ou d’absynthe, et voyez si la saveur de ces plantes potagères en devient plus douce.

485. Pour obtenir un effet analogue, plantez, près de la vigne ou du figuier, le cormier, le cornouiller, ou le sureau, (arbrisseaux dont les fruits, comme l’on sait, ont une saveur âpre et astringente),

486. Semez des graines de concombre ou de citrouille parmi des melons musqués, afin de voir si ces melons en deviendront plus vineux et d’un goût plus agréable. Semez aussi des graines de concombre parmi des raves ; peut-être la saveur de ces dernières en deviendra-t-elle encore plus piquante.

487. Semez de l’oseille entre les scions d’un framboisier, afin de savoir si les framboises peuvent acquérir, par ce moyen, une saveur plus douce.

488. Plantez l’églantier parmi des violettes ou des pariétaires, et voyez si l’odeur de ces dernières fleurs en devient plus suave et moins terrestre. Par la même raison, il faudroit semer des laitues ou des concombres parmi des lauriers ou des romarins, afin que l’odeur de ces derniers en devînt plus forte et plus aromatique.

489. Il faut au contraire avoir soin de ne point semer les uns près des autres les plantes herbacées, ni les arbustes ou arbrisseaux etc. qui appètent les mêmes sucs, ou des sucs très analogues ; par exemple : je présume que des romarins, mêlés parmi des lavandes ou des lauriers, perdroient une partie de ce parfum qui leur est propre. Mais, si votre dessein est de diminuer la force d’une plante, il faut mettre près d’elle des plantes de même espèce, ou d’espèces analogues qui pourront l’énerver. Par exemple : si l’on plante l’armoise près de l’angélique, cette dernière plante en deviendra peut-être plus foible et plus propre pour entrer dans la composition des parfums : et il se pourroit aussi que l’absynthe commune, affoiblie par le voisinage d’un pied de rue, dégénérât et se transformât en une espèce d’absynthe romaine.

490. Le principe dont nous venons de donner quelques exemples, étant très vaste, et susceptible d’une infinité d’applications utiles, mérite d’être approfondi et vérifié dans toutes ses parties, par des expériences très variées et toutes dirigées vers ce but. Mais il ne faut pas se flatter de pouvoir, par ce moyen, faire une révolution dans l’agriculture, en produisant des espèces vraiment nouvelles ; il ne peut servir qu’à la perfectionner, en améliorant tout au plus les espèces déjà connues.

492. Il faut tenter toutes ces expériences dont nous venons de parler, ou d’autres semblables, sur les plantes, soit vénéneuses, soit purgatives, dont la qualité maligne seroit peut-être tempérée, affoiblie, énervée par celle de quelque autre plante encore plus vénéneuse ou purgative, dont elles seroient voisines.

492. On prétend que, si l’on plante l’un près de l’autre le chou et l’arbuste connu sous le nom de Sceau de Notre-Dame (et qui est une espèce de brione), ce voisinage fait mourir l’un ou l’autre, ou l’un et l’autre, etc. Ce sont, en effet, deux plantes fort avides, qui, en pompant avec force les sucs de la terre, s’affament réciproquement. On dit qu’il en est de même du roseau et de la fougère, ainsi que de la ciguë et de la rue.

493. Quelques écrivains, soit anciens, soit modernes, instruits à l’école de la magie naturelle, ont avancé qu’il existe une sympathie, ou relation très marquée entre le soleil, la lune, ou quelques-unes des principales étoiles (planètes), et certaines plantes herbacées, ou certains arbustes, arbrisseaux, arbres, etc. De là, ces dénominations de plantes solaires et de plantes lunaires, qu’ils ont imaginées et entrelacées avec d’autres opinions non moins chimériques, et également revêtues de grands mots. Il est hors de doute que certaines fleurs ont, avec le soleil, deux espèces de relations : l’une, de s’ouvrir et de se fermer ; l’autre, de fléchir et d’incliner leur sommet. Par exemple : le souci, la tulipe, la pimprenelle, et même presque toutes Les fleurs, ouvrent et développent leurs feuilles lorsque le soleil est dans toute sa force ; et, au contraire, se ferment en partie, et se contractent vers le soir, ou dans un temps nébuleux. Or, pour rendre raison de ces faits, il est inutile de chercher quelque pompeuse explication et quelque principe mystérieux ; de dire, par exemple, que la présence du soleil réjouit ces plantes, et que son absence les attriste ; ce mouvement, par lequel elles se ferment, n’ayant d’autre cause que l’humidité de l’air, dont l’effet est de renfler leurs parties inférieures, et de les rendre plus pesantes ; celui de l’air sec étant au contraire de les étendre et de les développer. De même, lorsqu’ils voient le trèfle de jardin cacher sa tige aux heures où le soleil est très ardent, ce phénomène leur semble miraculeux, quoiqu’il ne soit que l’effet tout naturel du complet développement de ses feuilles. Quant à ce mouvement, par lequel certaines plantes à fleur se penchent vers le soleil (ce qu’on observe dans la grande fleur connue sous ce nom même) dans le souci, dans l’héliotrope, proprement dite (ou herbe aux verrues), la fleur de mauve, et autres semblables ; la cause de ce phénomène est un peu moins sensible que celle du précédent : cependant on peut l’expliquer d’une manière satisfaisante, en supposant que la partie de la tige de cette plante, ou du pédicule de sa fleur qui se trouve le plus directement exposée à l’action du soleil, devenant, à mesure que son humidité s’évapore, plus flasque et plus foible, devient, par cela même, incapable de la soutenir et de la maintenir dans une attitude droite[56].

494. Veut-on savoir ce que peut sur les végétaux, quoique mis hors de terre et déjà morts, une très petite quantité d’humidité, on en verra un exemple sensible dans une expérience que font ordinairement les joueurs de gobelets et autres charlatans. Leur principale pièce est une barbe d’avoine ; pour peu que vous la considériez de près, vous reconnoîtrez qu’elle est torse par le bas, sa partie supérieure étant lisse et unie. Ils ne laissent que cette partie torse, en retranchant tout le reste ; et alors la barbe d’avoine peut avoir encore sept à huit lignes de longueur. Puis ils font une petite croix avec une plume fort menue[57], en prenant, pour le montant, cette partie qui a de la moelle, et pour la traverse, celle qui n’en a point. Cette croix, lorsqu’elle est faite, peut avoir la longueur d’un doigt. Ensuite ils percent la partie inférieure de ce montant, et en ôtent la moelle, pour y insérer la partie supérieure de la barbe d’avoine, qu’ils ne laissent déborder que de la moitié de sa longueur. Ils prennent ensuite une petite boîte de bois blanc, qui semble fort nécessaire pour l’expérience, mais qui n’est destinée qu’à cacher leur jeu. Ils y ont fait un trou assez grand pour recevoir la barbe d’avoine, mais pas assez pour que le montant de-la petite croix puisse y entrer : par ce moyen, ils l’établissent sur la boîte. Après quoi, pour en imposer davantage, ils proposent certaines questions, comme celles-ci : Quelle est la plus belle dame de la compagnie ? Quelle est la personne qui a pris mon gant, ou la carte que j’ai fait tirer ? Puis ils disent au compère de nommer plusieurs personnes. À chaque personne qu’il nomme, le charlatan met la croix sur la boîte, après l’avoir approchée de sa bouche et soufflé dessus, comme pour y jeter un charme ; et la croix demeure immobile. Mais, lorsqu’on a nommé la personne qu’il veut désigner, au moment où la croix est près de sa bouche, il mouille un peu la barbe d’avoine avec l’extrémité de sa langue, et la remet sur la boîte : alors cette croix commence à tourner avec une extrême lenteur, et fait ainsi trois ou quatre tours ; mouvement qui n’est autre chose que celui de la barbe d’avoine dont la partie torse, ainsi humectée par la langue, se détord peu à peu, et en se détordant, fait tourner la croix fixée sur sa partie supérieure. Mais, pour mieux s’en assurer, il faut tenir cette croix entre ses doigts, au lieu de l’établir sur la boîte : cette expérience est un exemple frappant où l’on voit un mouvement occasionné par une très petite quantité d’humidité, et beaucoup plus grand que celui par lequel certaines plantes se ferment, ou inclinent le sommet de leur tige.

495. Si nous en croyons certaines relations, cette plante connue sous le nom de rose du soleil, et dont on extrait une liqueur qui a beaucoup de force, a cela de particulier que, durant la plus grande chaleur du jour, on trouve sur ses feuilles un assez grand nombre de gouttes d’une espèce de rosée, ce qui auroit dû lui faire donner le nom de rosée du soleil, et non celui de rose. On attribue ce phénomène à une prétendue affinité ou sympathie de cette plante avec cet astre ; les hommes aimant toujours le merveilleux et les explications mystérieuses. Pour nous, qui sommes un peu moins admiratifs, nous croyons qu’il faudroit, avant tout, savoir si ces gouttes ne seroient pas tout simplement un reste de la rosée du matin qui se seroit conservée sur ces feuilles, quoique celle qui seroit tombée sur les autres plantes se fût toute évaporée ; car les feuilles de cette plante étant épaisses, lisses et d’un tissu très serré, elles ne peuvent absorber cette humidité, comme celles des autres plantes qui sont plus spongieuses et plus poreuses, Il se pourroit que le pourpier, ou toute autre plante analogue, présentât le même phénomène et qu’on ne l’eût pas remarqué. Mais si, toutes observations faites, il étoit vrai qu’on trouvât sur ces feuilles plus de rosée à midi que le matin, alors certainement on pourroit croire qu’elle provient d’une exsudation de la plante même ; et elle auroit quelque analogie avec cette humidité qu’on voit sur des prunes qu’on a mises au four pour en faire des pruneaux. Car, le lecteur, sans doute, ne sera pas tenté de comparer ce phénomène avec la toison de Gédéon, qui fut, comme chacun sait, la seule sur laquelle la rosée du ciel voulut bien tomber.

496. Un fait mieux constaté, est qu’on trouve une sorte de rosée mielleuse sur les feuilles de certains arbres, principalement sur celles du chêne, du frêne, du hêtre et d’autres semblables. Mais doit-on supposer que ces feuilles ont par elles-mêmes la faculté d’opérer la concoction de cette rosée ? ou se contenter de dire, que ces feuilles, dont la surface est très lisse et le tissu fort serré, ne pouvant se pénétrer de cette rosée et l’absorber, la laissent ainsi à leur surface où elle demeure visible ? C’est une question qu’on ne peut décider que par des observations plus exactes et plus multipliées sur ce sujet. Par exemple, il faudroit tâcher de s’assurer si la manne (cette drogue qui est d’un si grand usage en médecine) ne tombe en effet que sur certaines feuilles où sur certaines plantes herbacées, comme on le croit communément. Au reste, lorsque le calice des fleurs a un peu de profondeur, on trouve au fond une sorte de miel. De ce genre sont le chèvre-feuille, le lilas et autres semblables : or, il n’est pas douteux que, dans les plantes de cette classe, la feuille ne contribue, avec la rosée, à la formation de cette substance mielleuse.

497. On s’est assuré par l’observation, que cette espèce d’écume (connue, en anglois, sous le nom de wood-seare), (en français vulgaire, sous celui de crachat de coucou), et qui a en effet quelque analogie avec la salive humaine, ne se trouve que sur certaines plantes qui sont toutes de nature chaude ; telles que la lavande, l’auronne, la sauge, l’hyssope, etc.[58]. Il faut observer ce phénomène avec plus d’attention, afin d’en connoître les causes, qui semblent assez difficiles à découvrir. La rouille est une autre maladie dont les bleds sont quelquefois attaqués, et qui en détériore la qualité. Il est peut-être d’autres plantes qui y sont également sujettes ; mais c’est un point que nous ne sommes pas en état de décider, n’ayant pas encore assez d’observations en ce genre.

498. On sait que les plantes ont la plus grande affinité avec l’eau, leur principal aliment ; mais cette affinité est-elle assez grande pour produire une attraction, même à distance ? ou cette attraction ne peut-elle avoir lieu que dans le seul cas du contact immédiat ? Il faudroit imaginer quelques expériences décisives pour résoudre cette question. Prenez, par exemple, un vaisseau un peu profond ; étendez sur son orifice une pièce de grosse toile à laquelle vous ferez faire la poche en dedans. Jetez dans cette poche une certaine quantité de terre fraîche, sans être humide, et semez-y quelques bonnes graines. Enfin, sur le fond du vaisseau, et à un demi-pied du fond de la poche, placez une éponge imbibée d’eau[59]. Laissez l’appareil en cet état pendant une dixaine de jours ; puis voyez si les graines ont germé, et si la terre est devenue un peu humide, l’éponge s’étant desséchée d’autant. Quand le résultat de cette expérience seroit tel que nous le supposons, elle seroit beaucoup moins étrange que celle du concombre dont nous parlions dans un des n°. précédens ; je veux dire de celui qui poussa si vigoureusement du côté d’un vaisseau rempli d’eau, et qui sembloit chercher ce fluide.

Expériences diverses pour donner des propriétés médicales aux fruits, graines, semences, etc. des arbres, arbustes, arbrisseaux, plantes herbacées, etc.

499. On peut regarder comme chimériques les moyens proposés jusqu’ici, pour changer la couleur, l’odeur, la saveur naturelles d’un fruit, d’une semence, etc. en insérant ou injectant sous l’écorce, dans un trou fait à la tige, ou dans une fente faite à la racine d’un arbre, d’un arbuste, d’une plante herbacée ou à fleur, etc. une substance colorante, aromatique ; ou médicale, etc. Notre principale raison pour rejeter ces procédés, est que ces substances qu’on propose d’employer, n’étant plus dans l’état de végétation, et étant comme mortes, n’ont plus la faculté de nourrir l’arbre ou la plante ; car, s’il étoit possible de produire dans les végétaux quelque altération notable, relativement aux qualités de cette espèce, on n’y pourtoit parvenir qu’en employant quelque matière qui fût de nature à pouvoir leur servir d’aliment, et qu’ils pussent convertir en leur propre substance.

Mais si nous tournons notre attention vers le règne animal, nous y trouverons quelques faits qui pourront nous mettre sur la voie. Par exemple, on sait que le lait des vaches, nourries d’ail sauvage, a une saveur d’ail, et que la chair des moutons qui paissent le serpolet, en est plus agréable au goût[60]. Galien nous dit que, dans le traitement d’un squirre au foie, il administra le lait d’une vache qui ne paissoit que certaines herbes choisies ad-hoc. Le miel d’Espagne a presque l’odeur des romarins et des orangers, sur lesquels l’abeille le recueille. Une ancienne tradition parle d’une jeune fille qui avoit tellement accoutumé son estomac au napel (qu’on regarde comme le plus actif de tous les poisons tirés des végétaux), qu’elle en pouvoit manger impunément, mais dont l’approche étoit mortelle pour ses amans. D’autres nous apprennent qu’il y a deux espèces de bézoard, dont l’une est très active, et l’autre sans force ; mais qu’aucune qualité extérieure ne caractérise assez, pour qu’on puisse les distinguer à la simple vue. Ils ajoutent que la première est tirée d’animaux qui paissent sur des montagnes où croissent des herbes médicinales ; et l’autre, d’animaux qui paissent dans des vallées, où ils ne trouvent point d’herbes de cette espèce. Je n’ignore point qu’on peut donner au vin et à la bière, des propriétés médicinales, en y faisant macérer où dissoudre des substances douées de ces propriétés, et qu’on peut également les donner au pain, en mêlant avec la farine ces mêmes substances en poudre. Je crois même qu’on peut convertir en médicamens, la viande, le poisson, le lait, les œufs, etc. en ayant soin de nourrir les bestiaux, les poissons ou les oiseaux qui fournissent ces alimens, de substances choisies dans cette vue, et convenables à la maladie. Ce seroit même un moyen assez dangereux qu’un empoisonneur pourroit employer sans craindre d’être découvert. Mais je doute fort qu’on puisse également appliquer cette méthode aux plantes grandes et petites ; les sucs dont elles se nourrissent, étant d’une nature plus commune, et paroissant peu susceptibles de contracter ces qualités spécifiques, avant qu’elles aient modifié ces sucs, en se les assimilant[61].

500. Cependant, comme nous pourrions, en témoignant sur ce point une excessive incrédulité, former une sorte de préjugé qui empêcheroit peut-être de faire des expériences utiles en ce genre ; expériences d’ailleurs indiquées par des auteurs anciens et respectables, nous avons cru devoir exposer ici, en peu de mots, les quatre espèces de moyens proposés jusqu’ici, pour donner aux plantes des propriétés médicales.

Le premier est de fendre la racine, et de verser dans cette fente la liqueur imprégnée de la substance médicale ; telle que la scammonée, l’opiun, l’ellébore, la thériaque, etc. et de lier en suite les deux parties séparées.

L’opinion qui a fait imaginer ce moyen, nous paroît dénuée de fondement, attendu que la racine, tirant immédiatement de la terre les sucs dont elle se nourrit, cet aliment est d’une nature plus commune que les substances dont nous parlons, et doué de qualités moins spécifiques ; sans compter que ces liqueurs auroient trop de chemin à faire pour s’élever jusqu’au fruit, à la semence, etc.

Le second moyen est de percer la tige de la plante, et d’insérer dans ce trou la substance médicale ; moyen qui nous paroît un peu meilleur que le premier ; car, s’il est vrai qu’une plante puisse contracter, jusqu’à un certain point, de telles propriétés par quelque moyen de ce genre, il est clair qu’on ne peut les lui donner qu’en y faisant monter, par la route la plus facile et la plus courte, la substance qui en est douée.

Le troisième est de faire macérer la semence, le pépin, le noyau, etc. dans une liqueur où l’on ait fait infuser la substance médicale ; moyen qui nous paroît d’autant plus suspect, qu’il n’est nullement probable que la semence, en pompant quelques parties de cette liqueur, puisse se pénétrer précisément de celles où réside la propriété en question : mais il auroit peut-être un peu plus d’effet, si l’on mêloit la substance médicale avec du fumier ; car la semence ayant la faculté naturelle de pomper l’humor du fumier, elle pomperoit peut-être en méme temps un peu de la qualité dont il seroit imbu.

Le quatrième moyen est d’arroser fréquemment la plante avec une eau où l’on ait fait auparavant infuser la substance médicale[62]. Ce moyen nous paroît préférable aux trois premiers[63]. Car, ici du moins, l’application de la substance médicale seroit très fréquente et réitérée ; au lieu que, par les autres méthodes, cette substance n’étant appliquée qu’une seule fois, ses propriétés s’attacheroientà la plante avec moins de force, et se dissiperoient plus aisément. Cependant je compte peu sur le succès, et je doute fort qu’une racine d’une certaine consistance puisse être sensible à des impressions si foibles ; sans compter que la substance médicale, comme nous l’avons observé relativement au premier moyen, auroit trop de chemin à faire pour s’élever jusqu’au fruit, à la semence, etc.

Le procédé qui, selon toute apparence, réussiroit le mieux, ce seroit de faire, dans plusieurs endroits de la tige, un certain nombre de trous les uns au-dessus des autres ; de remplir ces trous avec des masses de fumier, auquel on auroit mêlé la substance médicale, et de seringuer dans ces masses, de trois ou quatre jours l’un, une eau de fumier, où l’on auroit encore fait infuser cette même substance.



Application de plusieurs méthodes du Novum Organum aux expériences ou aux observations qui font le sujet de cet ouvrage, et aux instrumens de physique ou de mathématiques qu’elles rendent nécessaires.

LA méthode, sans les faits, se réduit à des mots ; c’est une carte géographique dans la main d’un homme sédentaire : on na pas besoin de boussole pour rester au port ; et un compas est inutile à qui ne trace jamais de cercles. D’un autre côté, des faits sans méthodes sont des pierres sans ciment, et des matériaux inutiles à qui ne sait point bâtir. Le vrai milieu est de faire toujours marcher ensemble les faits et la méthode, le vaisseau et la boussole, en se donnant le temps de voir chaque pays avant de le juger.

Ainsi, le vrai moyen de rendre la grande restauration aussi utile qu’elle le peut être, ce seroit d’appliquer continuellement aux faits de cet ouvrage les méthodes du précédent. Tel étoit notre premier plan ; mais la crainte, assez fondée, d’enfler excessivement cette collection, nous a fait renoncer à ce plan, et nous ne pouvons l’exécuter qu’en partie. De plus, si le total défaut de méthode jette dans la confusion, un trop grand nombre de méthodes y fait retomber ; par la même raison qu’un homme qui auroit huit ou dix règles dans chaque main, ne pourroit tirer une ligne droite ; et qu’un âne chargé de maximes, n’en trotte pas mieux. Ainsi nous nous en tiendrons à trois méthodes qui suffiront dans tous les cas et qui, exposées une seule fois, puis rappellées par de simples renvois, nous épargneront ainsi autant de répétitions et de notes, que nous rencontrerons de faits ou de questions auxquelles ces règles pourront s’appliquer.

Les deux premières méthodes ne diffèrent point essentiellement de celles qu’on a vues exposées dans le Novum Organum, mais seulement par la manière dont nous les appliquons. Quant la troisième, qui ne s’y trouve point, notre exposé sera si court et l’utilité de cette règle est si palpable, qu’on nous pardonnera aisément cette digression. Pour fixer les idées et abréger l’expression, lorsque nous serons obligés de renvoyer aux exposés de ces trois méthodes, nous, les distinguerons par trois noms ; savoir : I. Méthode de gradation ; II. Méthode de renversement ; III. Méthode alternative ou d’alternation.

I. Méthode de gradation. Cette méthode consiste en général à graduer une cause ou un moyen dans une suite de sujets, afin de s’assurer, par la correspondance, de la gradation de l’effet à la gradation de la cause ; que cette cause ou ce moyen est capable de produire cet effet. On peut graduer ce moyen ou cette cause de quatre manières.

1°. En choisissant, dans un genre ou une classe de moyens (par exemple, de substances), une suite de substances de plus en plus actives, et les faisant agir sur une suite de sujets mis en expérience.

2°. En faisant agir une même espèce de moyens ou de substance, mais à différentes doses, sur cette suite de sujets.

3°. En faisant agir un même moyen sur cette suite de sujets, pendant des temps de plus en plus longs.

4°. En réitérant l’emploi de ce moyen un nombre de fois de plus en plus grand.

Par exemple, s’agit-il de savoir quel peut être l’effet de la macération du bled dans des eaux chargées de différentes substances, je puis ;

1°. Charger de substances plus ou moins actives l’eau où je veux faire macérer le bled, comme l’a fait notre auteur.

2°. Charger plus ou moins d’une même substance l’eau destinée à cette macération.

3°. Faire durer plus ou moins la macération du bled dans une eau également chargée d’une substance de même espèce.

4°. Réitérer plus au moins cette macération.

On trouvera des exemples de gradation dans les neuf ou dix notes où nous avons appliqué et annoncé cette méthode.

Cela posé, si, de différentes poignées de bled macérées plus ou moins long-temps et plus ou moins fréquemment dans des eaux plus ou moins chargées de substances plus ou moins actives, celle qui a été macérée le plus grand nombre de fois, et le plus long-temps, dans l’eau la plus chargée de la substance la plus active, est aussi celle qui germe le plus vite, qui pousse le plus vigoureusement, qui donne le plus de grain et de la meilleure qualité, l’utilité de la macération du bled sera démontrée. Mais, si l’on obtenoit le résultat contraire, cela ne prouverait point du tout que cette macération est nuisible. Car, ce moyen, comme tout autre est susceptible d’excès et de défaut ; et il se peut que le maximum de l’effet ne réponde point au maximum de la cause. Or, le principal avantage de cette méthode est de décider les questions de cette espèce ; car, non-seulement elle montre quel est l’effet propre et direct d’un moyen mais elle montre aussi quels sont le maximum et le minimum en-deçà et en-delà desquels il n’a plus cet effet.

De plus l’effet proposé n’est quelquefois rien moins qu’un effet nouveau, mais seulement un degré inconnu d’un effet très connu qu’on sait obtenir par différens moyens : et alors il ne s’agit pas d’imaginer de nouveaux moyens, mais de faire l’épreuve de nouvelles doses ou mesures de moyens déjà connus et employés à d’autres mesures. Or, la méthode dont nous parlons, prescrivant de graduer le moyen à vérifier, de l’employer à différentes doses sur une suite de sujets, mène nécessairement à la connoissance des effets des degrés non éprouvés, comme à la connoissance des effets de ceux dont on a fait l’épreuve.

Tel seroit le cas du verre qu’on voudroit rendre malléable. Comme on ne peut diminuer la fragilité d’une matière sans augmenter sa malléabilité qui est la qualité opposée, un physicien qui feroit recuire une suite de masse de verre fondu, pendant des temps de plus en plus longs, pour diminuer de plus en plus leur fragilité, parviendroit peut-être à rendre malléables quelques-unes de ces masses. Si cet essai réussissoit, on pourroit l’appliquer aux métaux, c’est-à-dire, faire refroidir, pendant des temps de plus en plus longs, une suite de masses d’un même métal fondu, afin de voir si elles seroient aussi de plus en plus malléables.

Par la même raison, il faudroit essayer de tenir en fusion une suite de masses un peu grandes de verre, de métal, etc. pendant des temps beaucoup plus longs qu’à l’ordinaire, et de plus en plus longs : par exemple, les unes, pendant trois ou quatre jours ; les autres, pendant huit ; d’autres encore, pendant quinze, etc.

Ou encore réitérer la fusion de ces masses un grand nombre de fois, et un nombre de fois qui allât en croissant : par exemple, fondre et laisser refroidir les unes vingt fois ; les autres, quarante fois ; d’autres, quatre-vingts fois, etc. Et si l’un trouvoit une différence très sensible entre les masses qui auroient été tenues le moine long-temps en fusion, ou fondues et refroidies le moins fréquemment, et celles qui auroient été tenues Le plus long-temps en fusion ; ou fondues et refroidies le plus grand nombre de fois, on pourroit espérer de parvenir à dénaturer tout-à-fait le métal ou le verre, en réitérant l’opération ; ou la faisant durer huit à dix fois plus.

Par la même raison, l’on pourroit mêler, dans une suite de masses, et en différentes proportions, des matières différentes : par exemple, dans les masses métalliques, des matières phlogistiquées ; et dans les masses de verre, ou de matières vitrifiables ; des sels, en commençant la gradation, dans les deux cas, par des proportions beaucoup plus grandes que celles qu’on suit ordinairement.

Enfin, forger, soit à chaud, soit à froid, une suite de masses du même métal, pendant des temps de plus en plus longs, en commençant par des temps beaucoup plus longs que celui qu’on emploie ordinairement à cette opération. Car il ne s’agit pas ici de perfectionner les procédés métallurgiques ; et que ces métaux restent métaux, ou qu’ils deviennent chaux, verre, cendres, etc. peu nous importe ; mais il s’agit seulement de tourmenter ces métaux pour les altérer, pour les dénaturer, pour voir ce qu’ils deviendront ; et, en général, pour s’instruire, pour apprendre ce qu’on ne sait pas, ou pour apprendre du moins qu’on ne sait rien. Et quand aucun de ces exemples que nous venons de proposer, ne seroit bien choisi, resterait la règle qu’ils auroient éclaircie, et qui, bien entendue, pourroit être mieux appliquée ; car il ne s’agit ici que de cette règle et de cet éclaircissement.

Au reste il est très probable que les plus prands moyens de la nature nous sont inconnus : mais, comme ce qui est très probable n’est pas toujours vrai, il se pourroit aussi qu’à notre insu, nous les connussions tous, ou presque tous ; qu’au fond, il n’y en eût pas d’autres ; et que notre impuissance actuelle n’eût d’autre cause que cette ignorance même où nous serions de notre puissance. Or, les moyens que la nature emploie le plus, et que nous connoissons le mieux, se réduisent à quatre ; savoir :

1°. La subdivision, qui a cinq espèces d’effets, comme nous l’avons fait voir dans une note de l’ouvrage précédent.

2°. Le temps, ou la continuité des actions de même espèce.

3°. La réitération d’action, qui a lieu quand la même cause (ou le même moyen) ne peut agir qu’à différentes reprises.

4°. La succession alternative des actions opposées, ou l’action alternative des causes contraires ; quatrième cas qui rentre dans le troisième, mais dans lequel le troisième ne rentre pas ; l’intermittence de l’action pouvant être occasionnée par la présence et l’absence alternatives de la cause agissante, ou par la prédominance alternative des deux causes contraires et toujours présentes.

La subdivision est un moyen que l’homme emploie assez et son principal agent, qui est aussi le principal instrument de la nature, pour diviser et subdiviser les corps, c’est le feu ; mais on n’a pas encore fait, ou l’on n’a fait que très rarement des tentatives notables par les trois autres genres de moyens, isolés ou combinés.

Nous ne saurions trop le redire : pour exécuter de nouvelles et de grandes choses, il s’agit peut-être beaucoup moins d’imaginer des moyens nouveaux, que d’imaginer de nouvelles manières d’appliquer les moyens connus ; ou d’employer, avec une patience vraiment nouvelle, les mêmes moyens, de la même manière. Comme Newton n’est devenu si grand qu’en exerçant plus fréquemment et plus constamment que nous, des facultés que nous avons tous, nous n’exécuterons rien de grand, qu’en employant plus souvent et plus patiemment les moyens mêmes que nous possédons : car imiter Newton, c’est imiter la nature dont il fut le représentant ; il fut grand, parce qu’il fut simple et infatigable comme elle.

II. Méthode de renversement. La méthode de renversement consiste à faire agir successivement les deux causes opposées de chaque genre, ou deux causes simplement différentes, sur un même sujet, ou sur deux sujets semblables, pour rendre plus sensible et plus distinct l’effet propre et spécifique de celle qu’on a en vue ;

Ou à faire agir la même cause, soit sur deux sujets opposés, soit sur le même sujet, pris dans les deux dispositions contraires, afin de démontrer l’efficacité de cette cause, relativement à l’effet qu’on lui attribue ;

Ou enfin à faire agir la même cause en deux sens opposés, pour rendre son effet plus sensible en le doublant.

Comme on trouve, dans le Novum Orsanum, une infinité d’exemples des deux premiers modes, il seroit inutile d’en donner de nouveaux, et nous nous attacherons uniquement au troisième, dont il s’agit principalement ici, parce que l’auteur l’a totalement oublié.

1°. Exemple moral ou politique. Pour savoir ce que vaut un général, il faut que les circonstances, ou sa volonté, le mettent alternativement dans les deux armées ennemies ; car, lorsque Coriolan passe dans l’armée des Volsques, non-seulement les Romains ne l’ont plus pour eux, mais ils l’ont contre eux ; ce qui double l’effet, et fait mieux sentir ce qu’il peut.

Exemple mathématiques ; vérification des instrumens de ce genre. Pour vérifier tous les instrumens de mathématiques, il faut les renverser de position, c’est-à-dire les mettre alternativement dans les deux positions contraires, afin de faire agir en deux sens opposés la cause de l’erreur qui peut s’y trouver, et de la rendre deux fois plus sensible ; ou, plus exactement, afin de la rendre plus sensible, en montrant le double de son effet.

Supposons, par exemple, que l’un des deux bords ou limbes d’une règle soit un peu courbe, et que cette règle étant posée sur la table, la convexité de cette courbure soit tournée vers moi, si je trace une ligue à l’aide de ce bord, cette ligne sera également courbe, et la convexité de cette courbe sera aussi tournée vers moi. Actuellement, si, me tournant moi-même du côté opposé, et plaçant à droite le bout qui étoit à gauche, et réciproquement, je trace une seconde ligne, le long du même bord de cette règle et entre les deux mêmes points, cette seconde ligne sera aussi courbe que la première ; mais la convexité de cette courbure sera tournée du côté opposé, comme je le suis moi-même. Et la distance entre les sommets de ces deux courbes sera égale au double de la quantité dont chacun s’écartera de la ligne droite, comme on pourra s’en assurer en tendant un fil entre les extrémités communes de ces deux lignes courbes.

De même, soit une équerre, dont l’angle, réputé droit, ne soit que de 85 degrés. Tracez d’abord une ligne droite le long de l’un de ses côtés (situé transversalement par rapport à vous), en tenant le sommet de son angle tourné vers la droite ; et une seconde ligne le long de son autre côté (situé longitudinalement) ; cette seconde ligne penchera à gauche de cinq degrés, et par conséquent elle ne formera avec la première qu’un angle de 85 degrés ; mais jusqu’ici vous l’ignorez.

Actuellement tournez le sommet de l’angle de cette équerre du côté gauche, en tenant ce sommet sur l’intersection des deux premières lignes, et son bord transversal, parallèle et contigu à la première des deux lignes tracées.

Enfin, tracez encore une ligne le long du bord longitudinal, cette seconde ligne penchera de cinq degrés vers la droite, et par conséquent ne formera avec la ligne transversale, qu’un angle de 85 degrés. Ainsi, cette seconde ligne longitudinale formera, avec la première ligne longitudinale (qui penche à gauche de cinq degrés), un angle de dix degrés. Cela posé, du sommet commun de tous ces angles, décrivez un arc de cercle qui coupe ces deux dernières lignes ; divisez en deux parties égales l’arc de dix degrés qu’elles comprennent, et du point de division, menez une ligne au sommet commun des deux angles aigus ; cette ligne sera perpendiculaire à la ligne transversale, et vous aurez un angle droit, quoique l’équerre soit fausse.

Il en serait de même d’une équerre d’arpenteur, d’un quart de cercle astronomique posé horizontalement, d’un niveau, etc. et en général, de tous les instrumens possibles de mathématiques[64]. Cette règle est donc aussi générale qu’elle est sûre.

Exemple physico-mathématique ; déclinaison de la boussole. Soit une boîte oblongue, de bois ou de cuivre, et de telle longueur, que son plan étant divisé en deux parties égales, chaque moitié forme à peu près un quarré. Sur le fond du quarré antérieur, établissez un pivot de cuivre vertical, qui se termine en pointe un peu mousse. Faites porter sur ce pivot une chape de cuivre, creuse, conique en dedans, et fixée au centre d’un carton épais, battu et de figure circulaire, sur lequel vous aurez tracé auparavant un cercle divisé en 32 parties égales, pour marquer les 32 divisions ordinaires de l’horizon, et les 32 rhumbs ou aires de vent qui forment la rose ordinaire d’une boussole ; et sous lequel soit fixée une aiguille aimantée ; cette construction faite, vous aurez à peu prés un compas de mer. Mais il faut de plus que le limbe ou le bord de ce carton soit dentelé ; que ces dents soient égales entr’elles, et également distantes les unes des autres. Établissez sur le fond du quarré postérieur un pivot de cuivre, vertical et semblable au premier, sur lequel roule aussi, à l’aide de sa chape de cuivre, un carton qui ait précisément la même figure, les mêmes dimensions, les mêmes divisions et la même denture que le premier : avec cette différence toutefois que ce second carton doit être sans aiguille aimantée, et beaucoup plus mince, plus léger que le premier, afin qu’il oppose très peu de résistance à celui de la boussole, dont il doit suivre tous les mouvemens. Le pivot de ce carton postérieur doit être placé de manière que sa denture engrène un peu profondément dans celle du carton antérieur qui sert de boussole.

Cela posé, lorsque vous êtes à terre, placez les centres de ces deux cartons sur une ligne méridienne. Places le carton postérieur sur son pivot, de manière que sa ligne nord et sud fasse une ligne bien droite avec celle du carton antérieur. Enfin, placez la boîte sur la méridienne, de manière que la ligne totale, composée des deux lignes nord et sud, corresponde bien exactement à cette méridienne ; les deux fleurs-de-lys étant tournées vers le nord réel.

Cela posé, si vous abandonnez à eux-mêmes les deux cartons, le carton antérieur tournera de droite à gauche, jusqu’à ce que sa ligne nord et sud se trouve dans le plan du méridien magnétique du lieu. Supposons que la déclinaison magnétique de ce lieu soit de 20 degrés, ouest ; que la boîte soit placée devant vous, et que vous soyez tourné vers le nord ; lorsque vous abandonnerez à lui-même le carton antérieur, la partie antérieure de ce carton tournera vers l’ouest, c’est-à-dire, vers votre gauche, d’environ 20 degrés (je prends un nombre rond, pour rendre le calcul plus facile). Mais la partie postérieure de ce même carton tournera de votre gauche vers votre droite. Elle fera donc aussi mouvoir la partie antérieure du carton postérieur (dans la denture duquel engrène sa propre denture), de votre gauche vers votre droite, c’est-à-dire, de l’ouest vers l’est ; et d’une quantité précisément égale à celle dont la partie antérieure du carton antérieur aura tourné vers l’ouest ; ou, ce qui est la même chose, d’une quantité précisément égale à la déclinaison de la boussole, pour le lieu où vous êtes. Ainsi, l’angle formé par les lignes nord et sud des deux cartons, sera égal au double de celui que forme la ligne nord et sud du carton antérieur avec ln vraie ligne nord et sud ; ou, ce qui revient au même, au double de la déclinaison du lieu. Et par conséquent, en prenant la moitié de cet angle, on aura cette déclinaison.

Supposons, par exemple, que vous soyez sur un vaisseau cinglant au nord réel du monde ; comme la ligne nord et sud du carton antérieur déclinera de 20 degrés vers l’ouest réel, elle laissera donc le nord réel de 20 degrés vers l’est, et le vaisseau paroîtra aller au nord 20 degrés est ; la marque noire qui est sur la boîte, et qui indique la direction de la proue, répondant alors au nord-nord-est, deux degrés et demi nord. Au contraire, comme la partie postérieure du carton antérieur, en engrenant dans la partie antérieure du carton postérieur, fera décliner sa ligne nord et sud de 20 degrés vers l’est, le nord réel du monde et le cap (ou la proue du vaisseau) seront de 20 degrés à gauche de l’extrémité de sa ligne nord et sud ; et par conséquent sur ce dernier carton, le vaisseau qui va réellement au nord, paroîtra cingler au nord 20 degrés ouest ; ou au nord-nord-ouest, deux degrés et demi nord. Or, 20 + 20 = 40. Ainsi, l’angle que formeront les lignes nord et sud des deux cartons, sera, dans ce cas comme dans tout autre, précisément égal au double de la déclinaison magnétique du lieu ; et pour avoir cette déclinaison, il suffira de prendre la moitié de cet angle ; angle qu’un pourra déterminer, dans tous les cas, soit sur terre, soit sur mer. Car, si le vaisseau, par exemple, paroît, sur le carton antérieur, cingler à l’est-nord-est, et sur le carton postérieur, paroît aller au nord-nord-est, il cingle réellement au nord-est, comme on peut s’en assurer, en appliquant à ce cas le raisonnement précédent. Et sur terre, pour connoître la déclinaison de la boussole, dans un lieu quelconque, il suffira de relever (bornoyer, viser à), successivement, à l’aide des roses des deux cartons, un objet quelconque, fixe et un peu éloigné ; car, sur le carton postérieur, il paroîtra toujours (relativement aux quatre points cardinaux) trop à gauche, précisément de la même quantité dont il paroîtra trop à droite sur le carton antérieur ; et par conséquent la moitié de l’angle formé par les deux directions apparentes, sera égale à la déclinaison magnétique du lieu, Enfin, on pourra toujours déterminer cet angle, pourvu qu’on ait commencé par faire une ligne droite des lignes nord et sud des deux cartons, et par faire correspondre la ligne totale à une méridienne ; ce qu’il suffira de faire une seule fois[65].

Les instrumens, le procédé et les calculs que les marins emploient ordinairement pour déterminer l’amplitude, et en déduire la déclinaison de la boussole (qu’ils appellent sa variation), étant fort grossiers, l’instrument dont nous parlons sera bien mauvais s’il n’est préférable à tous leurs moyens ; et cet instrument seroit d’autant plus sûr, qu’on pourroit le vérifier chaque fois que l’on prendroit hauteur ; opération beaucoup plus facile et plus souvent possible que la détermination de l’amplitude.

Nous avons été conduits à cette invention par le raisonnement suivant :

Si je puis faire une construction ou disposition telle, que la rose qui porte l’aiguille aimantée, en déclinant vers l’ouest, par exemple, fasse faire d’une autre rose, semblable et égale, mais sans aiguille, un mouvement en sens contraire et parfaitement égal au sien ; et si je puis déterminer, dans tous les cas, l’angle compris entre les lignes nord et sud de ces deux roses, j’aurai, par cela même, la déclinaison qui sera alors égale à la moitié de cet angle.

Or, la partie postérieure d’un cercle placé devant moi, se meut, par rapport à moi, en sens contraire de sa partie antérieure.

Donc, si je mets à cette partie postérieure d’un compas de mer, une denture qui engrène dans la denture de la partie antérieure de cette autre rose égale à la première et sans aiguille, cette partie antérieure déclinera en sens contraire de la boussole et d’une quantité égale ; et les deux roses ayant été une seule fois placées sur une ligne méridienne, de manière que leurs lignes nord et sud ne fassent qu’une seule ligne droite qui corresponde exactement à cette méridienne, dès-lors la ligne nord et sud de l’une déclinant autant d’un côté, que la ligne nord et sud de l’autre, déclinera du côté opposé, l’angle qu’elles formeront, sera toujours le double de celui de la déclinaison, et la moitié de cet angle sera toujours égale à cette déclinaison.

Si cette invention est justifiée par l’expérience, elle prouvera la bonté de cette méthode même de renversement ; sur laquelle est fondé le raisonnement qui nous y a conduits. Mais, comme cette construction, destinée remédier aux inconvéniens de la variation dans la direction de l’aiguille aimantée, n’est pour nous qu’un exemple grand et frappant, choisi pour fixer l’attention de nos lecteurs sur la méthode même à laquelle nous la devons ; dans la suite de cette traduction, nous en ferons d’autres applications encore plus utiles.

Exemple relatif à l’agriculture. Semez une poignée de bled macéré dans un champ presque totalement ensemencé de grain non macéré ; et une poignée de grain non macéré, dans un champ presque totalement ensemencé de grain macéré, en laissant quelque intervalle entre les graine de ces deux espèces, afin qu’ils soient plus distincts ; cela posé, si, dans les deux cas ; le grain macéré prospère beaucoup plus que le grain non macéré, il sera démontré que cette végétation plus vigoureuse ne dépend ni de la température, ni de la nature du sol, etc. mais de la seule macération. De même, pour savoir si le voisinage de certaines plantes, telles que la rue et le romarin, peut influer sur leur constitution, plantez cinq à six pieds de rue parmi des romarins, et des pieds de romarin parmi des pieds de rue, comme le prescrivoit notre auteur dans la centurie précédente.

Exemple trivial et collectif. Prenez une balance ordinaire ; mettez dans chaque bassin deux poids d’une livre chacun ; si vous tirez du bassin de la droite un de ces poids, et le mettez dans le bassin de la gauche, non-seulement il cessera d’agir sur le bassin de la droite, mais il agira contre lui en agissant sur l’autre, les poids de chaque bassin luttant contre ceux du bassin opposé et par conséquent l’effet sera doublé. Cette balance est l’image du monde entier ; car chaque être, principalement chaque être sensible, et avant tout, chaque individu de notre espèce est dans un état perpétuel de lutte et de combat ; il n’est point d’homme, point d’être qui ne pèse contre d’autres hommes, ou contre d’autres êtres qui pèsent contre lui. Ainsi, dans toute combinaison où se trouvent des forces, physiques où morales, qui luttent les unes contre les autres, pour connoître plus aisément et rendre plus sensible l’influence de chaque force, il faut la faire agir en deux sens opposés, alternativement, comme le prescrit la règle. D’où il suit encore qu’il faut tout faire pour conserver ses amis ; car, en perdant un ami, on gagne un ennemi ; et celui qui cesse d’être pour nous, commençant à être contre nous, la perte est ainsi doublée : conséquence morale qu’il est bon de ramasser en passant.

III. Méthode alternative, ou d’alternation. La simplicité et la sûreté de cette règle sont si frappantes, que nous n’aurons pas besoin de l’appuyer d’un précepte raisonné, et qu’elle sera lisible dans l’exemple même.

Supposons qu’il s’agisee de savoir si ln macération du grain destiné aux semailles peut être utile ; il semble que, pour débarrasser de toute équivoque les résultats des expériences dirigées vers ce but, il faudroit multiplier et varier beaucoup ces expériences ; car il y a ici bien des causes qui peuvent concourir ou se combattre ; telles que la nature du sol en général, celles des différentes veines de terre, la température, l’exposition et la situation de chaque grain, etc. Pour ôter, d’un seul coup, toutes ces équivoques, je trace dans un champ un sillon peu profond ; je sème dans toute sa longueur, et alternativement, des pincées de bled macéré et des pincées du même bled, mais non macéré, en espaçant un peu les pincées de grains de ces deux espèces, afin que les touffes ou gerbes de bled qui en proviendront, soient plus distinctes : si toutes les petites gerbes de bled provenant du grain macéré sont plus hâtives, plus vigoureuses et plus fécondes que toutes les petites gerbes provenant du grain non macéré ; il sera évident que la macération aura été utile ; et il n’y aura plus d’équivoque. Il y en aura encore moins, si, ayant tracé trois sillons savoir : un longitudinal, un transversal, et un en diagonale, je sème, dans toute la longueur de chacun, des grains de ces deux espèces alternativement. Il en seroit de même, si l’on vouloit vérifier l’utilité des arrosemens avec des eaux de fumier, ou chargées d’autres substances fécondantes, et employées, soit pour les fraisiers (comme il le prescrit), soit pour les légumes de toute espèce, les plantes à fleurs, arbustes, arbrisseaux, arbres même. Supposons, par exemple, qu’on ait dans un potager, une bordure toute en fraisiers, il faudroit arroser avec l’eau de fumier, le premier, le troisième, le cinquième, etc, et avec l’eau pure, le second, le quatrième, Le sixième, etc. en observant constamment cet ordre jusqu’à la complète maturité.

Le lecteur, en continuant de parcourir cet ouvrage, trouvera à chaque pas l’occasion d’appliquer ces trois méthodes ; application que nous ferons quelquefois nous-mêmes, pour accoutumer la jeunesse à les faire, et l’exercer à inventer, pour ainsi dire, la règle à la main, conformément à l’esprit du Novum Organum ; la véritable science, la science active et effective étant fille du génie, mariée à la méthode : bien entendu qu’il ne s’agit ici que de la recherche des causes efficientes, les seules qu’on doive envisager dans cet ouvrage, et non de celle des causes formelles qui etoient l’objet du précédent. Nous avons dû placer ces trois méthodes au centre de l’ouvrage, par la même raison qu’on place une lumière au centre du lieu dont on veut éclairer toutes les parties.

  1. Elle auroit pu être plus prompte, absolument parlant, et l’être moins à proportion ; car il se peut que l’avantage des graines macérées, sur les graines non macérées, soit plus grand dans la saison où les semences ont besoin de ce secours, que dans celle où elles germent spontanément.
  2. Ces expériences et leurs résultats peuvent faire naître quelques doutes ; mais, pour ne pas enfler excessivement cette note, nous nous bornerons à six.

    1°. L’avantage de ces graines macérées sur les graines non macérées, se conserveroit-il jusqu’à la fin, je veux dire jusqu’à la parfaite maturité, jusqu’à la récolte ; et la plante se sentiroit-elle, durant tout le temps de son accroissement, de cette force que la macération auroit donnée à sa graine ? ou l’effet de cette macération n’aurait-il lieu qu’au commencement, qu’au moment même de la germination ?

    2°. L’effet de cette macération, qui humecteroit et amolliroit peut-être trop, ou trop promptement la semence, ne seroit-il pas au profit de la tige, de la feuille, de la balle, mais au détriment du grain et de la farine ? N’obtiendroit-on pas, par ce moyen, la vitesse, aux dépens de la quantité ou de la qualité du grain ; ou aux dépens de l’une et de l’autre ; ou la quantité, aux dépens de la qualité ; et réciproquement ; ou la diminution de l’une de ces deux choses, l’autre restant égale ; ou, ou, ou, etc. ?

    3°. S’il est vrai que l’effet de la macération se fasse sentir jusqu’à la fin, la plante alors pompant avec plus de force les sucs de la terre, ne l’épuisera-t-elle pas plutôt ?

    4°. Je soupçonne que l’effet de cette macération ne doit pas être attribué à ces substances qu’on met dans l’eau, mais uniquement ou principalement à l’eau pure qui amollit la semence. Et, ce qui me porteroit à le croire, c’est la promptitude avec laquelle germe hors de terre l’orge, d’abord humecté, puis mis en tas, qu’on destine à faire de la bière ; genre de préparation dont la totalité ou une partie seroit peut-être avantageuse au froment.

    5°. Cette accélération de la germination, comme nous le disions dans la note précédente, ne viendroit-elle pas de ce que l’expérience ayant été faite au mois d’octobre, la macération a suppléé à la chaleur qui manquoit alors à l’air, à la terre et à la graine ? Lorsque cette chaleur est suffisante, ce supplément ne seroit-il pas de trop ?

    6°. De tel bled ne donneroit-il pas plus de prise aux vers ; aux insectes, à la rouille, et à différentes maladies ?

    Or, si nous avons de tels doutes, nous, simples raisonneurs, qui ne labourons que sur le papier, et ne plantons que des idées, les cultivateurs en auront bien d’autres. Au reste, sur de telles questions, il ne faut s’en rapporter ni aux raisonneurs qui ne font point d’essais, ni aux praticiens qui ne veulent pas qu’on en fasse, et qui prennent la routine pour l’expérience ; mais à l’expérience même faite d’abord en petit, puis en grand.

  3. Il auroit dû faire aussi quelque épreuve sur l’eau-de-vie, pure ou mêlée avec l’eau, en différentes proportions.
  4. Au lieu de faire macérer des noyaux ou des cailloux, ce qui reviendroit quelquefois au même, cassez le noyau et plantez l’amende ; car ce n’est certainement pas le noyau qui germe ; et faites tremper dans l’eau pure et même un peu chauffée, toutes vos semences avant de les mettre en terre. Comme la nature amollit toute semence, avant de la faire germer, peut-être seroit-il avantageux de lui épargner cette peine, en amollissant cette semence, avant de l’abandonner à sa seule action, et de casser pour elle ce noyau qu’elle a, tant de peine à ouvrir.
  5. On peut le faire de trois manières.

    1. Ôtez peu à peu et avec précaution une grande partie de la terre qui est autour de l’arbre, et mettez Les racines à nud ; puis jetez du fumier dans le trou ; remettez la terre et buttez au pied de l’arbre celle qui se trouve de trop.

    2°. Après avoir ôté la terre, mêlez-la avec du fumier suffisamment consommé, et remettez-la.

    3°. Si la plante est petite et un peu forte, enlevez-la avec le plus de terre que vous pourrez, mais de manière que le chevelu des racines déborde ; mettez du fumier dans le trou ; puis remettez la plante, et buttez aussi au pied la terre qui se trouve de trop.

    On pourroit encore, après avoir mis une seule fois à nud les plus grasses racines d’un arbre, marquer leur direction à la surface de la terre, puis diriger le long de ces lignes les arrosemens avec des eaux de fumier. Enfin, on pourroit essayer d’arroser de petites plantes avec du sang chaud, une fois par jour ; pendant un mois ou deux.

    De toutes ces méthodes, la meilleure nous paroit être de remuer la terre autour du pied de l’arbre, et de la mêler avec du fumier. Quant à la troisième, guidés par l’instinct, nous l’avons tentée nous-mêmes, et avec succès, sur des pieds d’œillet et de giroflée.

  6. C’est aussi la plus périlleuse, par cette raison même.
  7. Le temps où le soleil est au sud-ouest, est celui de la plus grande chaleur du jour.
  8. Cette opération peut avoir deux bons effets : l’un, de rendre la terre plus poreuse et plus perméable ; l’autre, d’ôter, d’auprès des racines, les portions de terres qu’elles ont déjà épuisées à force d’en pomper les sucs, et de les remplacer par d’autres qui ne le sont pas.
  9. La plupart ne vivent pas assez, pour que cette méthode soit praticable ; il veut dire sans doute qu’il faut les semer dans une terre différente.
  10. On pourroit aussi faire l’opération inverse de la transplantation ; c’est-à-dire, au lieu de porter les plantes dans une nouvelle terre, porter de nouvelle terre aux plantes, et faire faire, par exemples à deux arbres de différente espèce, un échange, un troc de ce genre, en portant à l’un la terre de l’autre ; et réciproquement. Or, si l’expérience réussissoit, ce ne seroit peut-être pas parce que la nouvelle terre qu’on donneroit à chaque arbre, seroit meilleure que celle qu’on lui aurait ôtée, mais parce qu’elle seroit autre ; car non-seulement un changement en mieux, mais même un changement quelconque est nécessaire aux plantes, ainsi qu’aux animaux ; les uns et les autres vivant surtout de mouvement.
  11. Il se contredit un peu.
  12. On pourrait aussi essayer de tirer de terre une plante un peu forte, de tenir, pendant deux ou trois jours, ses racines plongées dans l’eau pure, ou chargée de quelque autre substance, comne fumier, sel, ou encore dans du sang, etc, et de la remettre ensuite en terre ; cette espèce de révolution, lui seroit peut-être avantageuse.
  13. Cette conséquence est trop générale ; celle-ci paraît mieux fondée : puisqu’on peut faire croître une plante plutôt avec de l’eau sans terre, qu’avec de la terre sans eau, l’eau est donc plus nécessaire que la terre à la nourriture des plantes. Mais, puisque la combinaison de ces deux substances leur est plus avantageuse que l’emploi de l’une des deux, on en peut conclure qu’elles sont toutes deux, sinon nécessaires, du moins utiles. Il paroit que l’eau pompée par les plantes charrie des parties terrestres, qu’elle y insinue en y pénétrant elle-même, et qui entrent ainsi dans leur composition. Il se pourroit qu’une plante tirée de terre, et qui auroit déjà, pour ainsi dire, un fonds de substance terrestre, fût, par cette raison même, en état de végéter à l’aide de l’eau pure, et que sa première, seconde, ou troisième, etc. génération ne fût pas susceptible d’une telle végétation.
  14. De quoi ? est-ce de vin ou d’eau ? c’est ce qu’il ne dit pas.
  15. Comme la méthode sert à fixer les idées, nos lecteurs nous sauront peut-être gré de leur avoir donné ici une espèce de tableau qui montre le plan de cet article, et qui peut servir de modèle pour en dresser d’autres à la fin de chacun des articles suivans ; ce que nous aurions fait nous-mêmes, si nous n’eussions craint de grossir excessivement nos volumes.
    GENRES.
    I. Procurer aux plantes une nourriture plus abondante et plus substantielle.
    ESPÈCES.
    1°. Couches.
    2°. Macération des graines, semences, racines, etc. dans l’eau imprégnée de différentes substances, dans l’urine, le vin, etc.
    3°. Arrosemens avec de l’eau de fumier, etc.
    4°. Matières appliquées au pied des arbres et aux racines des plantes.
    II. Fortifier les esprits dans les plantes.
    1°. Mettre les plantes à une exposition chaude, sud, sud-est, sud-ouest ; en espaliers, dans des fonds, dans des lieux où il y ait des reflets.

    2°. Mettre la totalité ou une partie de la plante à l’abri, dans les maisons, serres, lieux chauds, etc. durant les années ou saisons très froides.

    III. Faire que l’aliment soit plus aisément, plus directement et plus promptement transmis à la plante.
    1°. Remuer la terre autour du pied et des racines des plantes ;

    2°. Les transplanter ;
    3°. Leur apporter de nouvelle terre ;
    4°. Plonger leur partie inférieure dans l’eau pure ou imprégnée de différentes substances.

    Pour tirer tout le parti possible d’un ouvrage, il faut, après l’avoir lu, en lire aussi la table ; cette petite attention sert à lier plus fortement ensemble dans son esprit toutes les parties de cet ouvrage, et à se mettre en état de les rappeler les unes par les autres : tel est l’esprit de ce tableau.

  16. Ce mot semble avertir que ce sont les boutons du sommet qu’il faut enlever.
  17. Je crois qu’au lieu de quelques mois, il faut dire un mois ; car, si l’arbrisseau étoit trop long-temps hors de terre, selon toute apparence, il ne reprendroit plus.
  18. Durant mon enfance, guidé par le seul instinct, j’ai souvent fait reprendre des branches de différens arbres, entr’autres, de prunier (perdrigon) par le procédé suivant : Je coupois une branche au hazard ; je la faisois tremper pendant deux ou trois jours dans une eau un peu croupie ; puis je la fendois en quatre ou en huit sur la longueur d’un pouce ou deux ; j’insérois dans la fente de petites graines, comme de millet, de navette, du chenevis même et de l’orge ; enfin, je la mettoie en terre, et quelquefois elle reprenoit. Mais avois-je coupé la branche loin ou près d’un œil ? Je ne fis point alors cette distinction. Cette expérience date de quarante-deux ans ; je me vois encore plantant mes branches, y touchant à chaque instant, comme certaine nation asiatique, à sa constitution politique ; et réussissant quelqueois, quoique je fisse tout ce qu’il falloit faire pour échouer. Il fandroit choisir sur un arbre à fruit une branche qui eût deux ou trois yeux bien sains et bien vifs ; n’en conserver que cette partie en retranchant tout le reste ; la mettre en terre, couchée à plat, les yeux en haut ; l’arroser de temps en temps, et voir ce qu’elle deviendroit ; ou encore, détacher les yeux avec précaution, comme on le fait pour la greffe en écusson, et les mettre en terre, L’œil renferme une sorte de germe qui se développeroit peut-être dans la terre comme il le fait sur l’arbre. Peut-être aussi telle branche qu’on ne peut faire reprendre par le gros bout qui est trop dur, reprendtoit-elle par le petit bout qui est beaucoup plus tendre.
  19. Le texte original dit, trois on quatre pouces de grosseur ; pourquoi la prendre si grosse ? plus elle sera menue, plus aussi elle sera tendre, et mieux elle reprendra.
  20. Nous avons vu à Paris, dans le jardin des Tuileries, végéter fort long-temps, et avec assez de vigueur, deux arbres, dont l’un étoit totalement réduit à l’écorce, et l’autre en étoit totalement dépouillé ; deux faits dont on a tiré cette conséquence fort naturelle : donc la sève peut circuler par le bois et par l’écorce ; mais on peut dire, pour appuyer l’explication de l’auteur, que la sève circule plus difficilement et plus lentement, lorsqu’elle n’a plus qu’une voie de circulation, au lieu de deux.
  21. D’un côté, et non de l’autre, le mâle ne pouvant engendrer sainement et solidement qu’à l’aide de la partie surabondante de sa substance ; il n’a cette faculté qu’à l’âge et dans les momens où il a un superflu.
  22. Je suis obligé de forger ce mot, faute d’équivalent. Il vient du mot latin coriago (en anglois, hide-bound) : ce mot désigne une maladie à laquelle les bœufs sont sujets, et qui vient de ce que leur peau est tellement adhérente à leurs côtes, qu’ils peuvent à peine se mouvoir. Il paroît que celle dont il parle a pour cause une écorce trop adhérente et trop serrée contre le bois ; car l’écorce est, pour ainsi dire, la peau de l’arbre, comme la peau proprement dite est l’écorce de l’animal.
  23. On voit assez souvent des arbres-nains qui portent des poires ou des pommes d’une grosseur prodigieuse à peu près comme certaines petites femmes ont des enfans énormes. Mais cela vient-il de ce que le fruit se trouve nécessairement fort bas, ou de ce que la sève dans ce petit arbre, ayant peu de bois et de feuilles à nourrir, se jette presque toute dans le fruit ? question qui semble s’appliquer aussi aux arbres vivans.
  24. Entre Capoue et Naples, pays où, suivant l’expression des poëtes, on est dans l’usage de marier la vigne à l’ormeau, les branches de ces vignes, qui vont d’un arbre à l’autre, formant des espèces de guirlandes, tous ces ormeaux ont l’air de se donner la main, et tout le pays semble prêt à danser ; ce qui plaît d’abord à la vue, et paroît ensuite trop monotone.
  25. En Savoie, les vignes rampent, les hommes grimpent, le moral est doux, et le vin fort aigre. Au contraire, à Naples, le vin est doux, le moral est aigre, les vignes grimpent et les hommes rampent, quand ils ne sont pas assez forts pour obliger ceux qui ne vont point à la messe d’aller à vêpres.
  26. En multipliant les greffes, et greffant en couronne sur le tronc du sauvageon, on remédie à l’inconvénient dont il parle ; d’ailleurs, est-il bien certain que toutes ces grosses branches qu’on laisserait, que tout ce bois que la sève auroit à nourrir, ne feroient point de tort aux branches adoptives ? Quand on greffe sur un tronc fort bas de sauvageon, la sève va presque toute aux entes.
  27. Soit qu’on les transplante ou qu’où leur donne de nouvelle terre.
  28. Je suis obligé de réformer un peu le texte original. Cette opinion présentée comme elle l’est dans ce texte, paroit une trivialité ; cependant, sous cet obscur et défectueux énoncé, se cache une grande vérité : tâchons de l’en tirer en remontant à un principe plus élevé. Un être organisé, soit animal, soit végétal, ne pouvant être affecté que par le changement, ne l’est plus par les degrés auxquels il est depuis long-temps accoutumé, et par conséquent il ne peut l’être par un bien qui demeure toujours le même et au même degré. Ainsi, une plante, un animal, un homme, un empire ne peuvent prospérer long-temps que dans un état d’accroissement, et en passant par degrés du mal au bien et du bien au mieux. Ainsi, pour rendre sa prospérité durable, il faut le placer d’abord dans une situation telle qu’on puisse toujours le faire changer en mieux. Mais, si nous le plaçons au haut de l’échelle, il nous sera ensuite impossible de le faire monter ; et s’il avance encore, il ne pourra plus que descendre. Tel étoit le cas du magnifique infortuné qui bâilloit sur le trône de l’univers, et brûloit Rome pour se désennuyer. Un roi est presque toujours malheureux, parce qu’il est trop haut, et ne sait pas se ménager, en descendant quelquefois volontairement, le plaisir de remonter. Ainsi, pour faire prospérer un empire, un lapin, un roi et un navet, il faut le placer d’abord, sinon au plus bas, du moins fort bas, afin de lui laisser presque toute l’échelle du mieux à monter. D’où nous tirerons en passant cette conséquence morale : plus la situation où l’on se trouve habituellement est heureuse en elle-même, plus il est nécessaire d’en descendre quelquefois, pour ne pas se rassasier de son bonheur et de soi-même.
  29. Et s’exercer, en commençant chaque journée, dans un genre beaucoup plus difficile que celui dont on est habituellement occupé, afin que ce travail habituel paroisse un repos : tel étoit encore l’esprit de l’institution de Lycurgue ; persuadé qu’il ne peut exister entre les nations de véritable égalité, et qu’il faut absolument être le plus fort pour n’être pas le plus foible, commander pour ne pas obéir, et être courageux pour n’être pas esclave, il leur assura la supériorité en les rendant guerriers, et il les rendit guerriers en leur rendant la paix plus pénible que la guerre.
  30. Ou dans un trognon de chou (comme je l’ai vu faire avec succès) ; dans une incision un peu profonde faite à la peau humaine ; etc.
  31. Plante à laquelle les marins donnent le nom de goémond, sans en distinguer les espèces.
  32. Si cette assertion étoit fondée, les arbres à fruits que l’homme ne cultive pas, et dont la première floraison a lieu dans un temps calme, mourroient tous. Or, ces arbres ne meurent pas. Cette assertion est donc dénuée de fondement, à moins qu’on ne suppose que la culture produit dans les arbres de jardin une surabondance, un luxe de sève.
  33. Cette eau étoit peut-être trop chaude. Ce n’est pas assez de dire, en général, que l’eau chaude vaut mieux pour les arrosemens que l’eau froide ; il faut de plus dire à peu près quel doit être ce degré de chaleur, dans les différentes saisons : il faudroit arroser avec des portions de la même eau chauffée à différens degrés, une suite de plantes de même espèce et de même âge ; expérience d’autant plus facile, qu’elle n’exige d’autre instrument qu’un thermomètre et une chaudière. Selon toute apparence, l’eau tiède, en tout temps vaut mieux que l’eau très froide.
  34. Toutes choses égales, la grosseur du fruit doit être proportionnelle à la quantité de sève fournie à la branche qui le porte : or, la sève est fournie à l’ente par le tronc qui l’a adoptée : ainsi plus ce tronc a de sève, plus les fruits que donne l’ente, doivent être gros. Ce raisonnement paroit d’une rigueur géométrique, et n’en vaut peut-être pas mieux. Il est exact, si, en raisonnant, j’ai eu égard à toutes les causes qui peuvent faire grossir le fruit. Or, ne connoissant pas toutes ces causes, je n’ai pu y avoir égard dans mon raisonnement. Je ne puis donc savoir s’il est exact, qu’après avoir vu l’expérience y apposer son sceau ; il en est de même de tous les autres. Toutes les conjectures du plus puissant génie ne valent pas un grain de bled ; cependant, comme on ne se détermine à tenter une expérience qu’après avoir conjecturé que le moyen qu’on veut employer peut produire l’effet qu’on veut obtenir, des conjectures immédiatement déduites de l’expérience sont non-seulement utiles, mais même nécessaires. L’analogie est le guide qui mène de l’expérience qu’on a, à celle qu’on n’a pas ; et quoiqu’il y ait de mauvais guides, il ne s’ensuit pas qu’il ne faut point de guides : mais, pour arriver, il faut faire le voyage ; et la carte du pays n’est pas le pays même.
  35. D’insérer un scion de pommier dans un trognon de chou.
  36. Puis la graine de ces choux donna des ortolans, qui, étant greffés sur une huître à l’écaille, donnèrent une trompette marine. Quand on ne greffe pas sur l’expérience ; on ne cueille que des sottises.
  37. Une autre greffe à tenter, ce seroit celle des petites plantes ; par exemple, celle des plantes à fleur, dont la tige et les branches ont un peu de consistance ; on obtiendroit peut-être par ce moyen des variétés fort curieuses. Mais, selon toute apparence, nous dira-t-on, une telle greffe ne réussira pas : sans doute, répondrons-nous, sur-tout si on ne l’essaie point.
  38. On pourroit aussi tenter la greffe sur greffe ; je veux dire qu’après avoir greffé en fente sur un tronc une branche un peu forte, on pourrait greffer en écusson sur cette branche. Par la mème raison que la sève modifiée par le sauvageon, vaut mieux que la sève tirée immédiatement de la terre ; cotte sève, modifiée par la première ente, vaudroit peut-être mieux que celle qui est immédiatement fournie par le sauvageon. Du moins, ce raisonnement n’ayant rien d’absurde, son résultat mérite d’être vérifié par l’expérience.
  39. En rasant la sommité seulement.
  40. On n’a que trop fait, depuis dix ans, cette terrible expérience : que d’arbres l’ambition a engraissés de sang humain ! Mais, à mesure que ces arbres s’engraissent, les empires maigrissent.
  41. L’expression du texte original est tellement équivoque, qu’on ne peut distinguer si ce qu’il faut mettre dans ce trou est le concombre même, ou sa semence : il paroit que c’est la semence ; car, si l’on mettoit des concombres dans un trou un peu profond, et rempli de sciure de bois dont ils fussent totalement enveloppés, on les conserveroit peut-être fort long-temps ; mais on ne les rendroit pas moins aqueux.
  42. Il n’est pas probable que de l’eau renfermée dans un pot puisse agir sur ce concombre, et par conséquent rien ne nous excite à tenter cette expérience ; cependant ce qui n’est pas probable est quelquefois vrai. Car nous ne qualifions de probables, que les conjectures qui se lient par quelque analogie aux loix physiques que nous connoissons, et nous qualifions d’absurdes, de ridicules, toutes celles qui ne peuvent s’y lier par aucune relation de cette espèce. Mais nous ne connoissons pas toutes les loix physiques. Il y a donc beaucoup de phénomènes qui ne peuvent s’expliquer par les loix que nous connoissons. Ces faits se lient sans doute par quelques rapports à ces dernières loix ; mais nous ne connoissons pas ces rapports, Ainsi notre prétendue règle tend à nous confiner éternellement dans le cercle étroit où notre scientifique et bavarde ignorance nous a circonscrits. Cette règle est donc elle-même souverainement ridicule. Il faut donc, pour ne pas l’être soi-même, tenter quelquefois des expériences qui le paroissent. Ainsi, je voudrois, en rougissant, tenter celle-ci, non pour voir si les rameaux du concombre rempliroient en vingt-quatre heures tout l’intervalle compris entre lui et le pot, mais pour voir si le voisinage d’une grande quantité d’eau aurait quelque influence sur cette plante. Notre physique ne traite que des fluides qui tombent sous les sens, et la nature fait tout à l’aide de fluides qui leur échappent. Ces fluides, que l’œil du corps ne voit pas, la raison les voit dans leurs effets ; et pour les voir de plus près, il faut quelquefois s’éloigner des routes battues.
  43. Ces facultés, que la nature a mises au plus haut degré dans certains animaux, et à un moindre degré dans d’autres animaux, pourquoi ne les auroit-elle pas mises à un degré encore plus foible dans certaines plantes, les végétaux étant composés du mème fonds matériel que les animaux ? Certaines parties de l’animal végètent ; il se peut que certaines parties des plantes dont l’organisation a plus d’analogie avec les parties végétales de l’animai, aient aussi un foible degré de sentiment et de perceptions analogues à celles d’où dépendent nos mouvemens automatiques. Lorsque l’inanition de mon corps y fait naître le besoin d’alimens, mon corps cherche machinalement de la nourriture, et je n’ai pas besoin de réflexion pour cela. Il se peut qu’une semblable inanition occasionne dans la plante des mouvemens analogues et moins sensibles ; mais la plupart des naturalistes ont dit : la faculté de sentir et de percevoir n’existe que dans les êtres où je l’aperçois : or, je la vois dans les animaux, et je ne l’aperçois pas dans les végétaux : donc elle n’est que dans les premiers. Voilà pourtant le pitoyable argument d’après lequel on refuse totalement aux végétaux la faculté de percevoir.
  44. Ces trous, grands ou petits, sont des espèces de cautères faits sur un membre de bois. Les arbres sont sujets à certaines maladies de l’écorce, analogues aux maladies de la peau dans les animaux ; et qui semblent exiger des remèdes également analogues.
  45. D’une humidité onctueuse, et non d’une humidité aqueuse ; ce qui est fort différent. Aussi est-elle très indigeste, comme toutes les substances fort grasses, et peu convenable aux estomac foibles ; sinon en très petite quantité.
  46. Cette description n’est rien moins que claire : il paroît qu’il faut courber la branche pour la faire entrer dans le pot avec le fruit noué ; puis assujettir cette branche à l’aide d’un petit échalas piqué auprès, de peur que l’élasticité de cette branche ne puisse la relever et la faire sortir du pot.
  47. Une autre épreuve à faire, ce seroit d’envelopper d’un petit sac de papier huilé les fruits, un peu avant qu’ils soient tout-à-fait mûrs, et en les laissant sur l’arbre : l’effet de cette enveloppe seroit-il d’augmenter ou de diminuer leur volume et leur qualité ? C’est l’expérience seule qui peut répondre à ces deux questions d’une manière satisfaisante.
  48. Ne seroit-ce pas plutôt parce que le contact de l’air libre, tendant à dessécher et à durcir l’enveloppe la plus extérieure du fruit, et à la rendre moins extensible, ce pot qui le couvre, le privant, en totalité, ou en partie, du contact de l’air extérieur, tend ainsi à l’amollir et à le rendre plus extensible ?
  49. On pourroit cependant donner à cette assertion qu’il combat, quelque probabilité, en raisonnant ainsi : les mèmes causes qui concourent à la formation d’une chose peuvent contribuer à sa conservation. Or, la situation où cette pierre étoit dans la carrière, relativement aux quatre points cardinaux, a pu être, à notre insu, une des causes concourantes à sa formation.
  50. Ou en bois.
  51. On désignerait ces espèces mixtes et composées de plusieurs espèces différentes, par des noms mixtes et composés aussi des noms respectifs des espèces composantes. Car les mots étant destinés à représenter les idées ; et les idées, à représenter les objets réels, lorsque les idées ou les objets se composent, les mots qui les représentent doivent se composer aussi.
  52. Peut-être parviendroit-on à produire de nouvelles espèces par la greffe alternative et la greffe sur greffe ; je veux dire, en greffant alternativement sur la circonférence d’un sauvageon, des branches un peu fortes de pêcher, d’abricotier, de prunier, etc. puis d’autres branches sur ces premières ; enfin, d’autres encore sur ces dernières ; en allant aussi loin que le permettroit la nature, et en greffant sur les premières entes, tantôt des scions de même espèce, tantôt des scions d’espèce différente : ou des écussons ; ou, etc.
  53. Peut-être faudroit-il les gratter un peu tous deux, des deux côtés qui doivent se toucher, mais de manière que les enveloppes ou écorces naissantes se touchassent exactement par les bords.
  54. Toutes ces réunions artificielles de tiges sont autant de greffes par approche.
  55. Il se peut que les plantes se portent, ainsi que les animaux, vers les substances qui leur sont utiles et en vertu de la même cause, comme nous l’avons observé dans une des notes précédentes ; mais cette supposition n’est point nécessaire pour expliquer le fait dont il est ici question. La racine, ou toute autre partie de la plante ne peut croître qu’à l’aide des sucs qui lui conviennent ; et, par conséquent, elle ne peut s’étendre que du côté où se trouvent ces sucs. Ainsi, lorsqu’à sa gauche se trouve une portion de terre qui ne contient point de tels sucs, et à sa droite, une autre veine qui en contient ; comme alors elle ne jette ses fibres que vers la droite et non vers la gauche, elle semble éviter la gauche, et se porter par choix vers le droite.
  56. Cette propriété est beaucoup plus commune que ne le pensent la plupart des botanistes ; je soupçonne même que toutes les plantes à fleurs radiées sont héliotropes (ou tourne-sols) c’est-à-dire, qu’elles ont la propriété de se tourner et de se pencher, non vers le soleil seulement, mais vers la chaleur en général. C’est une observation que j’ai faite moi-même, durant mon dernier voyage à Rome, sur un grand nombre de plantes radiées, dont je connoissois les analogues en France, mais dont j’ignorois les noms, même dans la langue vulgaire. Soient deux murs un peu élevés, assez proches l’un de l’autre, parallèles entr’eux, et fort longs. Toutes les plantes radiées qui se trouvent au pied du mur sur lequel donne le soleil, se tournent et se penchent à peu près vers cet astre ; et toutes celles qui se trouvent près du mur opposé, c’est-à-dire, à l’ombre, se tournent et se penchent vers l’autre mur, c’est-à-dire, vers le reflet ou vers la chaleur. On sait aussi que presque toutes les plantes tenues en serre au jardin national, sont sensiblement tournées et penchées vers les fenêtres : mais quelle est la cause de cette direction et de cette inclinaison communes ? est-ce l’air extérieur, la chaleur ou la lumière ? deux de ces causes ? ou toutes les trois ? C’est ce qu’il seroit possible de décider, en exposant successivement des plantes de cette classe ; d’abord, à l’action isolée de chacune de ces trois causes ; puis à l’action combinée de deux ; enfin à l’action réunie de toutes les trois.
  57. À Paris, ils font cette croix avec de la paille ; aussi a-t-elle de plus grandes dimensions, sans en être moins légère.
  58. Cette exception ne doit point avoir lieu, En allant avec M. Hérault de Séchelles, a son château d’Épône en Normandie, au commencement de l’été de 1788, j’observai ce phénomène sur toutes les herbes d’une grande prairie, entre Meulan et Poissy, principalement sur les luzernes, Nous descendimes de voiture pour l’observer de plus près. Cet humor écumeux, qui ressembloit à de la salive, paroissoit dans une espèce d’ébullition. Nous jugeâmes qu’il avoit pour cause un soleil très ardent qui succédoit à de grandes pluies. La transpiration des plantes, qui ordinairement est insensible, étoit alors très abondante, et, par cela seul, devenue sensible ; elles étoient toutes en sueur.
  59. Commencez par mettre l’éponge ; puis vous mettrez la toile, la terre et les graines ; attendu que la matière est impénétrable.
  60. Il en est de même des moutons de pré salé.
  61. Il semble que les qualités spécifiques des fruits, des semences, des feuilles, etc. dépendent de l’organisation ou de la texture particulière de ces plantes, et non de ce qu’elles tirent de la terre des sucs de différentes espèces, et analogues à leurs constitutions respectives puisque des plantes d’espèces très différentes peuvent se nourrir assez long-temps d’eau pure et d’eau seule.
  62. Spalanzani, qui a traduit en italien la contemplation de la nature (de Charles Bonnet), a mis en tête de cette traduction une excellente préface, où l’on trouvera des expériences fort curieuses, tendant à colorer des plantes en les arrosant avec des eaux chargées de la couleur qu’on veut leur donner ; expériences qui ont réussi.
  63. J’entrevois un cinquième moyen qui seroit encore préférable à ce quatrième ce seroit de le combiner avec les trois autres ; car, pourquoi opter entre des choses qu’on peut réunir ?
  64. Quoique nous ayons qualifié de mathématiques ou de physico-mathématiques, tel des exemples que nous employons à éclaircir cette règle, et à en montrer les usages, à proprement parler, ils sont physiques par leur destination ; puisqu’ayant à chaque instant besoin, en physique, de déterminer des quantités ou des directions avec des instrumens imparfaits, on a continuellement besoin de cette méthode de renversement, ou d’une méthode équivalente ; mais, d’ailleurs, le choix de ces noms importe peu à notre objet.
  65. On pourroit craindre que les dentures des deux cartons, lorsqu’ils se voileroient, ou seroient trop violemment agités par le roulis, le tangage, ou le choc de le fausse lame, se désengrenassent ; mais il est une infinité de moyens pour prévenir cet inconvénient : en voici deux. 1°. Tenez le limbe du carton antérieur, qui doit porter l’aiguille aimantée, beaucoup plus épais que son milieu, et faites sa denture sur cette partie épaisse. 2°. Au lieu d’une denture, fixez sur ce carton, et circulairement, un grand nombre de petites pointes verticales de cuivre, qui soient à des distances égales entr’elles, et à celles des dents du carton postérieur ; ou, réciproquement, fixez ces pointes sur le carton postérieur, et mettez la denture au carton antérieur. Que le cercle formé par les bases de ces pointes, sur l’un des deux cartons, soit égal à celui que forme la denture de l’autre, en comptant le rayon de chaque cercle, depuis le point de l’engrenage. Par ce moyen, l’un des cartons portant sur l’autre, et le petit frottement produit par l’engrenage, les rendant un peu adhérens, ils ne désengreneront point.

    On pourroit aussi, an lien de carton, employer quelque bois léger pour faire la totalité, ou du moins le limbe de chaque rose où se trouve la denture, Comme la quantité de la variation de la déclinaison magnétique, en différens temps, dans chaque lieu, est fort petite ; et médiocre, en différens lieux, dans le même temps, ce seroit assez, même pour les voyages de très longs cours, de mettre une denture ou des pointes sur la moitié de chaque rose.