SYLVA SYLVARUM (trad. Lasalle)/Centurie VI

Sylva Sylvarum
Centurie VI
Traduction par Antoine de La Salle.
Œuvres8 (p. 283-388).


Centurie VI.
Expériences et observations de simple curiosité, sur les fruits et les plantes en général.

Parmi les expériences et les observations auxquelles nous avons jusqu’ici donné place dans cette collection, il n’en est aucune qui ne soit ou fructueuse ou lumineuse ; c’est-à-dire, qui ne puisse fournir, ou de nouveaux moyens dans la pratique, ou de nouvelles lumières pour la découverte des causes ; plan dont nous nous écartons rarement, n’ayant pas moins d’éloignement pour les frivolités que pour toute espèce d’imposture. Cependant, comme un écrivain doit se prêter un peu aux différens goûts de ses lecteurs, nous allons aussi donner quelques observations et quelques expériences de pure curiosité.

501. Par exemple, il seroit agréable de pouvoir se procurer, sur un même arbre, des fruits de différentes espèces ; sur-tout si les uns, étant plus précoces, et les autres, plus tardifs, cet arbre pouvoit ainsi donner successivement des fruits mûre durant tout l’été. Pour parvenir à ce but, il suffiroit de greffer des scions de différentes espèces d’arbres sur les différentes branches d’un même arbre planté dans un sol gras et abondant en sucs. Par ce moyen, un même arbre donneroit des cerises, des pêches, des prunes et des abricots, de plus d’une espèce[1]. Mais quand nous disons des fruits de différentes espèces, nous entendons des fruits dont aucune espèce ne soit incompatible avec la nature du tronc : par exemple, nous doutons fort qu’un tronc sur lequel on pourroit greffer le prunier, se prêtât également à la greffe du pommier, du poirier, ou de l’oranger.

502. Ce seroit encore un objet de curiosité que de pouvoir donner aux fruits toutes les formes imaginables ; effet qu’on obtiendroit aisément en enveloppant ces fruits, lorsqu’ils seroient encore tendres, d’une espèce de moule en bois ou en terre à potier ; et de la figure qu’on voudroit leur donner. On auroit peut-être, par ce moyen, des concombres, de figure aussi allongée que celle d’une canne, ou parfaitement ronds, ou en forme de croix. On pourroit même donner aux fruits des figures plus composées, par exemple, celle d’un homme, d’un quadrupède, d’un oiseau, etc. Mais il faudroit pour cela que le moule fût de telle grandeur, que le fruit pût en remplir bien exactement la capacité. Car, si ce moule étoit trop étroit, il empêcheroit le fruit de grossir, et d’acquérir le volume propre à son espèce ; et s’il étoit trop grand, comme alors le fruit n’en rempliroit pas toute la capacité, on manqueroit encore la figure, comme on la manque, lorsque, voulant mouler une matière liquide ou molle, on ne remplit pas assez le moule. Mais on peut demander si cette enveloppe ne nuiroit pas au fruit en le privant de l’action du soleil ; question assez naturelle, mais à laquelle répond l’expérience même ; car on voit assez de fruits qui grossissent et mûrissent quoique couverts. D’ailleurs, ne pourroit-on pas donner à ce fruit un peu de soleil, en faisant au moule quelques trous çà et là. Pour faciliter ces expériences, on pourroit aussi employer des moules de plusieurs pièces réunies avec de la colle ou du mastic, et qu’on sépareroit aisément, lorsqu’on voudroit en tirer le fruit.

503. On peut aussi être curieux de voir des lettres ou autres figures gravées sur des fruits ou sur les arbres mêmes ; et c’est une petite satisfaction qu’on se procurera aisément en traçant, à l’aide d’une aiguille ordinaire, d’une épingle de tête, d’un canif, etc, sur les fruits ou l’écorce encore tendre, ces lettres ou ces figures qu’on verra croître en même temps que ces arbres ou ces fruits, conformément à l’expression que le poëte de la nature prête à un de ses bergers :

Je veux graver mes amours sur l’écorce d’un arbre encore tendre :
Tu croîtras, arbre plein de vigueur ; et vous aussi, vous croîtrez, mes amours[2] !

504. On pourroit orner des arbres d’une manière assez curieuse, en les garnissant de fleurs ou de plantes odoriférantes, qui sembleroient naître de leur tige. Il suffroit pour cela de faire sur la circonférence du tronc, un certain nombre de trous ; de mettre dans ces trous de bonne terre renforcée, animée par du fumier ; et de mettre dans cette terre des semences ou des rejettons de violiers, de fraisiers, de serpolet, de camomille, etc. ces plantes croîtroient autour de la tige comme dans un pot ; avec cette différence toutefois qu’elles tireroient peut-être de l’arbre quelque nourriture. On pourroit faire le même essai sur des scions de vignes ou de rosiers ordinaires ; et alors peut-être ces plantes, dont la substance est plus ligneuse, s’incorporeroient plus parfaitement avec l’arbre même.

505. Un antre genre de curiosité assez commun, c’est de donner différentes formes à des arbres, à des arbrisseaux ou à des arbustes, tels que le romarin, le genévrier, ou autres semblables ; ce qu’on exécuté en mettant dans leur intérieur une espèce de moule, et en les taillant extérieurement sur ce modèle. Mais une telle opération ne réussit que très imparfaitement sur de si petits végétaux, qui ne peuvent conserver longtemps la forme qu’on leur a donnée[3]. Les anciens étoient parvenus à construire des espèces de châteaux d’arbres, ayant des tours, des voûtes, des arcades, etc. par le moyen d’une charpente dont ces arbres suivoient la forme, et qui, en même temps, leur servoit d’appui[4] ; ce n’étoit qu’un objet d’embellissement et de magnificence.

506. Je classerai aussi parmi les simples curiosités, les expériences et les observations relatives aux couleurs des végétaux, quoiqu’elles semblent mériter une place plus honorable, la beauté dans les fleurs étant le principal objet, et ce qu’on y cherche ordinairement. On sait que les violettes, ainsi que les œillets de poëtes et les giroflées, pour peu qu’on n’ait pas soin de les arroser, de les transplanter ou de leur donner de nouvelle terre, dégénèrent et deviennent blanches. Par la même raison, il est probable que celles qui sont devenues blanches, recouvreroient leur première couleur, si elles étoient cultivées avec plus de soin ; car, cette couleur blanche est l’effet d’une sorte d’appauvrissement, d’un défaut de nourriture ; en exceptant toutefois les fleurs auxquelles cette couleur est naturelle, et qui n’en ont jamais d’autres.

507. Ainsi, il seroit à propos de faire de nouvelles observations sur ce sujet, afin de savoir précisément quelle espèce de qualité accompagne ordinairement telle ou telle couleur, et de pouvoir donner aux fleurs telle couleur à volonté, en leur donnant ces qualités qui l’accompagent. Or, dans chaque espèce de fleurs, les blanches ont ordinairement moins d’odeur que celles de toute autre couleur, comme on en voit des exemples dans les violettes simples, les roses, la giroflée et l’œillet de cette couleur, qui ont peu de parfum : observation qu’il faut appliquer également aux fleurs des arbres ; par exemple : celles du cerisier, du poirier, du prunier, qui sont blanches, n’ont presque point d’odeur ; au lieu que celles du pommier (franc ou sauvage), de l’amandier et du pêcher, qui sont rouges, ont une odeur plus suave et plus marquée. La raison de cette différence est que la substance, dont la fleur est composée, est ce qu’il y a de plus pur et de plus délicat dans la plante, cause à laquelle on doit attribuer aussi ces couleurs si éclatantes et si variées qu’on y admire. Or, si cette partie des sucs, qui est la plus atténuée et la mieux digérée, se trouve en très petite quantité dans la fleur, elle aura peu de parfum ; règle toutefois dont il faut excepter les plantes qui ont beaucoup de sucs. D’où il suit que, pour donner à une plante plus d’odeur, il faut plutôt diminuer sa nourriture, que l’augmenter. C’est ce dont on voit des preuves dans le satyrion blanc et dans la fleur de fêve. De plus, lorsqu’une plante est de nature à donner des fleurs de cette même couleur, mais dont la substance n’est pas sèche et atténuée, elles n’ont qu’une odeur désagréable : de ce genre sont celles du lilas et de l’épine-vinette.

508. Il faut dire le contraire de cette classe de petits fruits, connus sous le nom de baies[5] ; les blanches ont une saveur plus douce et plus délicate que les rouges, les noires, etc. La raison de cette différence est, que les baies plus colorées, ayant des sucs plus abondans, mais de moindre qualité, ne sont pas susceptibles d’une concoction aussi uniforme et aussi parfaite que les blanches, dont les sucs sont mieux proportionnés à la force digestive de la plante.

509. Parmi les fruits proprement dits, c’est tout l’opposé : les blancs sont les plus mauvais ; ce dont on voit des preuves dans les prunes pyriformes et les prunes de damas de cette couleur. Les noirs sont les plus estimés[6]. Par exemple, dans la classe des mûres (auxquelles on donne ordinairement le nom de baies, quoique ce soient de véritables fruits), les noires sont certainement meilleures que les blanches. Les prunes blanches d’automne, les prunes verdâtres et les prunes d’août, sont de fort mauvais fruits : ce qu’on doit attribuer à une quantité excessive d’humor aqueux, qui en délaie, pour ainsi dire, la saveur, et à une concoction moins parfaite ; la saveur plus douce et plus agréable des autres espèces devant être attribuée à la cause contraire. Aussi voit-on que les prunes des meilleures espèces, sont de nature un peu sèche, et que leur pulpe se sépare plus aisément du noyau ; différence qu’on observe dans les prunes de sainte Catherine, dans celles de damas noir, dans la pêche, l’abricot, etc. Cependant il y a des fruits qui ne deviennent jamais noirs, sans en être pires (et qui, à cet égard, ont de l’analogie avec les baies) ; les meilleurs de cette classe étant d’une couleur un peu pâle ; par exemple : les cerises, (les bigarreaux), connues sous le nom de cœurets ou de cœurs de pigeon, sont plus douces que les rouges ; et d’autant plus douces, que leur couleur tire plus sur le blanc ; au lieu que les grillottes, qui sont d’une couleur plus foncée, sont aussi plus aigres.

510. Prenez de la graine de giroflée[7], d’une seule espèce, par exemple, de la plus commune ; semez-les toutes sur une même plate-bande ; les fleurs qui en proviendront, seront de différentes couleurs, et à raison des différentes espèces de sucs que ces graines auront pu rencontrer dan la terre ;  ; diversité qui semble être entièrement l’effet du hasard, et sur laquelle l’art ne peut rien ; car, quoique puisse faire le jardinier le plus intelligent, à peine, sur une centaine de pieds, peut-il en obtenir deux ou trois qui soient de quelque prix : par exemple, qui donnent des fleurs purpurines, couleur de chair, panachées, etc. La cause de ces différences est, sans doute, que les veines de terre d’une même plate-bande, quoique contiguës, ne laissent pas de contenir des sucs de qualités très différentes ; et, selon que la semence rencontre les uns ou les autres, les fleurs qui en proviennent, sont de telle ou de telle sorte[8]. Un autre fait digne d’attention, c’est que les giroflées de couleur purpurine sont presque toujours simples ; il semble que le même suc ne suffise pas pour leur donner cette couleur (qui exige un humor abondant), et pour les rendre doubles.

511. On connoît peu de fruits qui soient rouges à l’intérieur, comme certaines espèces de pommes de reinette, de calville, etc. ou de mûres, de raisin, etc. encore, dans la plupart des fruits de ce dernier genre, cette couleur n’est-elle bien marquée que vers cette partie de leur pulpe, qui est immédiatement sous la peau. Il est encore, parmi les pêches, une espèce qui a un cercle rouge autour du noyau ; et la griotte est aussi un peu rouge intérieurement. Mais on ne trouve ni poire d’arbre franc, ni poire de sauvageon, ni prune, ni abricot, qui soit rouge au dedans ; il faut chercher la cause de cette différence.

512. La couleur dominante dans les plantes, c’est le verd, mais jamais on ne vit de fleur verte. Il faut pourtant en excepter certaine espèce de prime-vère, qui est, non pas précisément de couleur verte, mais d’une couleur pâle tirant sur le verd. On voit sur certains arbres des feuilles rougeâtres, ou couleur de rouille de fer ; et telle est souvent celle des feuilles nouvelles sur le chêne, la vigne, le coudrier, etc.[9]. Les feuilles jaunissent en se putréfiant. On trouve souvent sur le houx, quantité de feuilles jaunes qui ne paroissent ni moins fraîches, ni moins vigoureuses que les vertes. On peut conjecturer que le jaune est une couleur qui dépend d’une sève moins abondante que le verd, et, qu’à cet égard, il a plus d’analogie avec le blanc. D’ailleurs, on a observé que ces feuilles jaunes du houx se trouvent toujours sur le côté de l’arbre qui est exposé au nord, ou au nord-est[10]. Il y a aussi des racines de cette couleur ; par exemple, les carottes. Il est d’antres plantes, telles que l’amaranthe, dont la tige et les feuilles sont d’une couleur de sang ; et d’autres encore, dont la couleur tire sur celle de pourpre ou sur le rouge. Telles sont une variété de la sauge, une variété de la menthe et le rossoli. Quelques autres ont des feuilles toutes blanches ; de ce genre sont une autre espèce de sauge, et une autre espèce de menthe. Mais jamais on ne vit de feuilles couleur de pourpre ou d’azur : d’où l’on peut inférer que les fleurs, ainsi que les fruits, sont formées de la partie la plus atténuée et la mieux digérée des sucs de la terre ; au lieu que les feuilles se forment de sucs de qualité inférieure, et de nature plus commune.

513. Un autre objet de simple curiosité, ce sont les fleurs doubles ; avantage qu’on se procure aisément en transplantant les pieds à fleur, ou en leur donnant de nouvelle terre : au contraire, si on les néglige trop, de doubles elles deviennent simples. Mais voici une méthode expéditive pour parvenir au but dont nous parlons : dès que vos graines commencent à lever, on vos rejetons à pousser, enlevez-les, et transplantez-les dans une meilleure terre. Si l’on essayoit de greffer certaines plantes à fleur, comme la giroflée de la grande espèce, le rosier ordinaire, le rosier muscade, on obtiendroit peut-être, par ce moyen, des fleurs doubles. Il y a aussi des cerisiers à fleurs doubles, mais qui ne donnent point de fruit. Il se pourroit encore que par le concours de tous ces moyens qu’on emploie ordinairement pour accélérer l’ascension de la sève, l’arbre se couvrit d’un plus grand nombre de fleurs, et qu’elles fussent doubles ; ce qui formeroit un spectacle très agréable, sur-tout si l’on faisoit cette expérience sur le pommier, le pêcher ou l’amandier, dont les fleurs sont rouges ou rougeâtres.

614. Des fruits sans pepin ou sans noyau, sont encore un objet de curiosité, et peut-être quelque chose de plus ; car, quel que pût être le moyen qui meneroit à ce but, son effet seroit aussi de rendre la pulpe de ces fruits plus tendre et plus délicate. Si on enlève légèrement la moelle du scion, ou de la branche d’arbre à fruit qu’on veut mettre en terre, en y en laissant toutefois assez pour qu’elle puisse reprendre et végéter, ce pied donnera des fruits qui n’auront point, ou presque point de pépin ou de noyau. On dit encore que, si, après avoir fendu jusqu’à terre un plant jeune et vigoureux, et en, avoir ôté toute la moelle, on lie étroitement les deux parties séparées, on obtiendra le même résultat.

515. D’antres prétendent que, si l’on greffe un citronnier sur un coignassier, les citrons qui proviendront de cette greffe, n’auront point, ou presque point de pépins. Il est encore assez probable que, si l’on greffoit une espèce à fruits acides sur une espèce à fruits doux, l’ente donneroit des fruits plus doux que ceux des arbres de son espèce, et qui seroient aussi sans pépin ou sans noyau[11].

516. Si nous en croyons d’autres relations, ce n’est pas seulement en enlevant aux arbres leur moelle, qu’on peut obtenir des fruits sans pépins ou sans noyaux, mais aussi en empêchant la sève médullaire de s’élever par le milieu de l’arbre, et en la forçant, par une sorte de révulsion, à monter par les parties latérales et extérieures ; par exemple : en perçant l’arbre jusqu’à la moelle, et insérant un coin dans le trou ; ce qui seroit d’autant moins étonnant, que la moelle a une affinité manifeste avec cette substance dure et compacte, qui se trouve ordinairement dans l’intérieur du fruit ; l’une et l’autre ayant également des aspérités, et occupant le centre.

517. D’autres relations nous apprennent que, pour obtenir des fruits sans noyaux ou sans pépins, il suffit de n’arroser l’arbre qu’avec de l’eau chaude ; et la règle générale sur ce point est, que tout ce qui tend à convertir les arbres sauvages en arbres de jardin (les sauvageons en arbres francs), fait aussi que ceux de cette dernière espèce donnent des fruits sans pépins ou sans noyaux.

Expériences et observations sur les plantes qui dégénèrent et se convertissent en plantes d’une autre espèce.

518. Un principe incontestable, et continuellement vérifié par l’expérience, est que les plantes, par le défaut de culture, se détériorent de plus en plus dans leur propre espèce, et dégénèrent quelquefois jusqu’au point de se convertir en plantes d’une autre espèce. Les causes les plus ordinaires de cette dégénération sont, 1°. un trop long séjour dans la même terre, et le défaut de transplantation ; 2°. l’extrême sécheresse, à moins que l’humidité naturelle du sol ne prévienne cet inconvénient, ou n’y remédie ; 3°. la transplantation dans une plus mauvaise terre, et l’omission de tout ce qui concerne la composition et l’amendement de la terre. C’est ainsi que, faute de culture, la menthe aquatique se convertit en menthe de plaine[12] ; et le chou, en rave[13].

519. Lorsqu’on fait venir de pépins, de noyaux, de graines, etc. des arbres à fruit qui viennent ordinairement de racines, de boutures, de marcottes, de provins, etc. leurs fruits dégénèrent et deviennent sauvages ; c’est ce qu’on observe sur-tout dans la vigne, le figuier, l’amandier et le grenadier. Il en est de même de ceux qu’on obtient ordinairement par la greffe, et qu’on veut faire venir de noyaux, de pépins, etc. Cependant il est bon d’observer, comme nous l’avons fait précédemment, que le pêcher réussit mieux par le noyau que par la greffe. Ainsi, la règle que nous venons de prescrire, a besoin d’être modifiée par cette proposition, qui la limite et qui indique ses vraies exceptions ; savoir : que toute plante qui a besoin d’un humor très abondant, vient mieux de noyau que de greffe : car, quoique les sucs que l’ente tire du tronc sur lequel elle est greffée, soient beaucoup plus atténués et mieux digérés que ceux qu’elle auroit tirés immédiatement de la terre, cependant ils sont beaucoup moins abondans, et la quantité est, à cet égard, en raison inverse de la qualité.

520. Lorsque les semences sont trop vieilles, et conservent toutefois assez de force pour germer et croître, les plantes qui en proviennent dégénèrent ; aussi les jardiniers intelligens ont-ils soin, avant d’acheter des graines, de les éprouver en les jetant dans de l’eau qui bout légèrement ; car alors, si elles sont bonnes elles germent au bout d’une demi-heure.

521. Un fait assez étrange que je trouve dans un ancien auteur, c’est celui-ci : lorsqu’un basilic est trop long-temps exposé à un soleil ardent, il se change en serpolet ; fait d’autant plus étonnant, que ces deux plantes semblent avoir bien peu d’affinité l’une avec l’autre. Cependant la vérité est, que de toutes les plantes de nature chaude, le basilic est presque la seule dont la feuille soit onctueuse et pleine de sucs : or, si l’on suppose que cette substance onctueuse est absorbée et dissipée par l’action trop directe et trop continue du soleil, il en doit nécessairement résulter quelque grande altération dans la texture intime de cette plante.

522. D’autres auteurs prétendent que, si l’on enfouit à une certaine profondeur une branche de chêne[14], il en proviendra une vigne sauvage. Si ce fait a quelque réalité, ce n’est pas une raison pour croire que la branche de chêne, changeant tout-à-fait de nature, se convertit en vigne ; mais on doit plutôt supposer que cette branche, en se putréfiant, modifie la terre, et lui donne une certaine disposition ou aptitude à produire une vigne[15].

523. J’ai ouï dire (et cette transformation ne me paroît pas tout-à-fait impossible) qu’un vieil arbre destiné à fournir du bois de charpente, étant coupé par le pied, sa souche produit quelquefois un arbre d’une autre espèce ; par exemple, qu’une souche de hêtre produit un bouleau. Si le fait est vrai, il paroît que la vieille souche étant presque entièrement épuisée, et n’ayant plus assez de sève pour produire un arbre de son espèce, ne laisse pas d’en avoir encore assez pour produire un arbre d’une espèce inférieure, et qui demande beaucoup moins de nourriture.

524. C’est une opinion reçue parmi les cultivateurs, que, si l’on sème trop souvent dans une même terre la même espèce de graine, le bled qui en provient dégénère et perd beaucoup de sa qualité.

526. Il est également certain que, dans les années stériles, le grain qu’on a semé produit des plantes herbacées d’une autre espèce, comme l’a observé l’auteur des Géorgiques.

Trop souvent dans ces mêmes sillons, auxquels nous avions confié le plus bel orge, règne ensuite la funeste ivraie, et domine l’avoine inféconde (la folle avoine).

Et une règle assez générale, est que les plantes qui doivent être le produit de la culture, telles que le froment, l’orge, etc. lorsqu’elles viennent à dégénérer, se transforment en plantes herbacées d’une autre espèce, non-seulement différente de l’orge et du froment, mais même de celles que la terre produiroit spontanément ; la culture donnant aux plantes de ce genre un caractère particulier et purement accidentel, qu’elles perdent aisément.

Cette opération, par laquelle les plantes se transforment d’une espèce en une autre, peut être regardée comme un des plus profonds mystères de la nature ; la philosophie vulgaire, en déclarant impossible toute espèce de transmutation, ayant assez clairement témoigné qu’elle désespéroit de celle-ci comme de toutes les autres. Il n’est pas douteux que les difficultés d’une telle opération ne répondent à la grandeur de l’entreprise, et que, pour se mettre en état de l’exécuter, il ne faille observer la nature de fort près, la forcer, pour ainsi dire, dans ses derniers retranchemens, et la prendre sur le fait. Cependant nous voyons assez d’exemples frappans de ces transformations, pour être fondés à rejeter l’opinion qui les déclare inpossibles, et à chercher les moyens de les imiter nous-mêmes. En premier lieu, si nous tournons nos regards vers les êtres animés, nous voyons que ceux qui naissent de la putréfaction, se changent ensuite en d’autres espèces ; par exemple : les vers en mouches, les chenilles en papillons, etc. et il est assez vraisemblable qu’en général les animaux qui ne proviennent point d’une semence, peuvent se transformer en animaux d’une autre espèce. Car, c’est cette semence même, c’est sa nature propre, spécifique et déterminée, qui, en liant et emprisonnant, pour ainsi dire, l’être organisé, ne lui permet pas de s’éloigner de son moule primitif : d’où il semble qu’on puisse tirer cette conséquence : la terre peut bien produire des plantes spontanément et sans semence ; la transmigration des plantes d’une espèce à une autre espèce n’est donc pas impossible.

Ainsi, n’ayant à offrir au lecteur aucune expérience de cette nature, nous donnerons des indications ou directions, pour faire des essais en ce genre, dont le succès aura du moins quelque probabilité. Mais, quel que puisse être ce succès, le lecteur sévère et judicieux ne doit pas être étonné de nous voir quelquefois donner place dans cette collection, non-seulement aux expériences déjà faites ; mais même à des expériences à faire, et à de simples indications, ni regarder l’exposé qu’il va lire, comme une sorte d’anticipation ; car, celles de la première espèce ne dépendant pas de nous, nous sommes obligés de les prendre telles qu’elles se trouvent, et de nous contenter des lumières qu’elles peuvent nous fournir ; au lieu que celles du dernier genre étant tout-à-fait en notre disposition, du moins quant à la manière de les tenter, nous sommes, par cela seul, maîtres de les diriger avec plus de précision vers le grand but, vers la recherche des causes et la confection des principes généraux.

526. Ainsi, la première règle que doit se prescrire tout homme qui veut tenter de convertir des plantes d’une espèce en plantes d’une autre espèce, c’est de tâcher de faire prévaloir la nourriture sur la semence ; d’administrer aux plantes des sucs nourriciers qui soient d’une nature toute opposée à la leur, sans leur être tellement contraires qu’elles ne puissent germer et prendre leur accroissement. Par la même raison, il faut choisir des semences foibles, peu actives, et en général de mauvaise qualité. Il faudroit donc, conformément à ces vues, prendre des plantes aquatiques, et les repiquer[16] sur des collines ou dans des plaines ; et réciproquement transporter dans un terrein sec et sablonneux, celles qui demandent beaucoup d’humidité ; par exemple : transplanter la mauve ou l’iris aquatiques dans un sol très élevé ; ou encore le concombre, la laitue, le chou, etc. dans un sol sec et sablonneux ; et réciproquement planter la bruyère, l’épine, la fougère, etc. dans une terre humide et marécageuse. On conçoit aussi que des plantes de jardin, repiquées sur des montagnes élevées, pourroient y devenir plus médicinales ; mais en même temps moins comestibles. Peut-être même les herbes les plus sauvages se changeroient-elles, par quelques-uns de ces moyens, en herbes à salade. Telle est donc la première règle à suivre, pour tenter avec succès des transmutations de plantes.

527. La seconde est de mêler avec une grande quantité de semences d’une autre espèce, une petite quantité de la semence à transformer, afin de voir si les sucs de ces semences additionnelles ne pourroient pas, en modifiant la terre et lui donnant de nouvelles qualités, la mettre en état de produire quelque altération sensible dans la graine soumise à l’expérience. Par exemple : semez de la graine de persil avec de la graine d’oignon, de la graine de laitue avec de la graine de persil, ou enfin des semences de basilic avec des semences de thym, et voyez s’il en résultera quelque changement notable dans la saveur, l’odeur, etc. de la plante à transformer. Mais il seroit à propos d’envelopper dans un linge la graine en question, afin qu’elle ne se mêlât pas avec ces graines étrangères.

528. La troisième règle concerne la préparation ou composition de La terre : ce qu’on peut faire en mêlant avec cette terre, des débris de végétaux, écrasés, hachés fort menu, etc, soit les racines, soit les feuilles. Par exemple, mêlez avec cette terre des débris de feuilles de choux ainsi hachées, et semez-y des graines d’artichauds, de panais, de carottes, de navets, etc, De même, dans une terre que vous aurez préparée en y mêlant des débris de marjolaine, d’origan et de serpolet, jetez de la graine de fenouil[17] ; mais, si le résultat de ces essais étoit tel que nous le supposons, on pourroit se méprendre sur la marche de la nature dans cette opération, et s’imaginer que la graine mise en expérience auroit pompé les sucs de ces débris de végétaux, et que son altération, ou sa transformation auroit été l’effet de cette succion ; conjecture que nous avons déja rejetée : on devroit au contraire attribuer tout l’effet à la seule préparation de la terre, qui, ayant contracté, par ce moyen, de nouvelles qualités, auroit altéré la graine en question, et lui auroit donné un caractère différent, non-seulement du sien, mais même de celui des végétaux mêlés avec cette terre.

529. La quatrième règle est d’observer avec attention quelles sont les espèces de plantes que produit spontanément la terre qu’on veut employer ; de mettre cette terre dans des pots, et d’y semer la graine à transformer. Par exemple, au pied d’un mur où croissent beaucoup d’orties, prenez la terre que vous y trouverez ; ôtez-en toutes les racines et toutes les fibres de ces orties ; mettez-la dans des pots, et repiquez-y des pieds de giroflée ou de pariétaire ; ou encore semez-y des graines de ces deux espèces, et observez le résultat de cette expérience ; ou enfin, prenez de la terre préparée, pour produire spontanément des champignons (et l’on trouvera plus bas quelques indications sur ce sujet) ; mettez-la dans des pots, et semez-y de la graine de pourpier ou de laitue. Si ces essais sont heureux, ils serviront à confirmer le principe que nous avons posé plus haut ; sa voir : que le suc de la terre, ainsi préparée, est la vraie, la seule cause de l’altération de la semence.

530. La cinquième règle est de faire des dispositions telles que les plantes, dans leur accroissement, suivent une marche toute contraire à celle qu’elles suivroient naturellement, par exemple : de faire que celles qui sont ordinairement fort basses, ou rampantes, montent beaucoup. Dans cette vue, piquez près d’un pied de camomille, de thym ou de fraisier, un petit échalas, comme vous le feriez pour les pois, le chèvre-feuille, le houblon, etc. peut-être ces plantes monteront-elles le long de cet appui : quoi qu’il en soit, voyez ce qu’elles deviendront.

531. La sixième règle est de priver de l’action du soleil et de l’air extérieur, les plantes qui en ont le plus besoin ; il est peu de changemens aussi grands que ceux-là, et il est probable qu’ils produiroient quelque grande altération dans la nature de ces plantes. Par exemple : mettez de la terre dans un baril ; semez dans cette terre des graines de différentes espèces ; et mettez ce baril au fond d’un étang, ou dans le creux d’un grand arbre. Essayez aussi de semer des graines dans des caves ou autres souterrains[18]. Ou enfin ayant mis de la terre dans des pots et des graines dans cette terre, suspendez ces pots dans un puits, à une certaine distance de la surface de l’eau, et observez attentivement les résultats de ces différentes expériences.

Expériences et observations relatives aux moyens d’augmenter ou de diminuer à volonté l’accroissement des arbres en hauteur, et de se procurer des arbres nains.

532. On sait que les arbres (destinés à fournir des bois de charpente ou de menuiserie), qui ont le tronc plus dégarni de rejetons, montent plus droit, et sont de plus belle tige, dans les forêts qu’en pleine campagne ; différences qu’on doit attribuer à plusieurs causes concourantes. En premier lieu, les plantes tendent naturellement à profiter de l’action du soleil ; et celles des forêts en étant privées, montent, pour ainsi dire, vers cet astre. 2°. Dans les bois, chaque arbre étant obligé de partager les sucs de la terre avec ses voisins, n’éprouve jamais de plénitude. Or, l’on sait que la réplétion est toujours nuisible à l’accroissement des végétaux en hauteur. 3°. Leur chaleur y est mieux entretenue, ce qui contribue aussi à faire monter la sève avec plus de force.

533. Les arbres qui ont par eux-mêmes beaucoup de chaleur, tels que le pin et le sapin ; chaleur annoncée par ces gommes inflammables qu’on y voit transuder, s’élèvent naturellement à une grande hauteur, et sont ordinairement de belle tige ; leur tronc étant totalement dégarni de branches latérales depuis le pied jusqu’au sommet : ce qui vient en, partie de cette chaleur même, et en partie de la ténuité de leurs sucs propres ; deux causes qui déterminent avec force l’ascension de ces sucs.

534. Au rapport de certains auteurs, si l’on étend une toile forte sur la tête d’un arbre greffé fort bas, et au moment où sa pousse commence, on aura, par ce moyen, un arbre-nain, et qui s’étendra beaucoup latéralement. La raison de ce double effet est palpable ; tout ce qui est susceptible d’accroissement ne pouvant s’étendre que du côté où il trouve un espace libre.

535. La plupart des arbres viennent de racines, de pépins, de noyaux, etc. il en est cependant qui peuvent venir de boutures ; de ce genre est le mûrier : et si vous mettez en terre des scions ou des branches d’arbres de cette classe, quelques-unes de ces boutures reprendront : mais on dit que, par ce moyen, on ne peut obtenir que des arbres-nains ; ce qui seroit d’autant moins étonnant, qu’un scion ou une branche ne peut pomper les sucs de la terre avec autant de force que le feroit la racine, ou le pépin, le noyau, etc,

536. Toute plante dont la sève a un mouvement fort vif, n’acquiert point une grosseur proportionnée à sa longueur ; aussi voit-on ces plantes ramper, ou monter en s’entortillant autour des appuis qu’elles trouvent à leur portée, tels sont la brione, le pois, le houblon, le chèvre-feuille, le lierre, etc. ce qui est diamétralement opposé à notre but actuel ; car la condition la plus nécessaire pour obtenir des arbres-nains, c’est que la pousse soit moins prompte, et qu’ils aient moins d’élan pour s’élever.

Expériences et observations diverses concernant les plantes imparfaites, les excroissances végétales, et les plantes qui croissent sur d’autres (ou parasites).

Salomon, comme nous le lisons dans les saintes écritures, composa une histoire naturelle, où il décrivit tous les végétaux, depuis le cèdre, qui croît sur le Liban, jusqu’à la mousse qui croît sur les murailles ; car tel est le texte des meilleures versions ; et la vérité est que la mousse n’est, à proprement parler, qu’un rudiment, qu’une ébauche de plante ; c’est en quelque manière la moisissure de la terre et de l’écorce des arbres[19].

337. La mousse croît ordinairement sur les toits des édifices dont la couverture est en tuile, ou en chaume, et sur la crête des murs ; celle de ce genre est d’un verd assez vif et assez agréable. Or, qu’elle croisse le plus souvent sur ces corps en pente, c’est ce qui doit paroître d’autant moins surprenant, que si elle se forme d’un humor aqueux, d’eau ; en un mot, il faut que cette eau soit coulante, et non stagnante : et si elle croît ordinairement sur les tuiles ou les murs, c’est à cause de la sécheresse même de cette espèce de sol, qui, ne contenant pas assez d’humidité pour engendrer des plantes proprement dites, en contient toutefois assez pour produire de la mousse. Cependant lorsque la surface de ces corps s’amollit et se résout par l’effet naturel de la vétusté ou de toute autre cause, on y trouve quelquefois de véritables plantes, entr’autres la pariétaire[20].

Au reste, la mousse a presque toujours de petites tiges, un peu espacées entr’elles, outre son chevelu, qui est plus bas et rampant.

538. Elle croît encore sur les terrasses ou dans les allées et les avenues exposées au froid et tournées vers le nord, assez ordinairement dans celles où la terre est fréquemment foulée et battue, sur-tout peu de temps après qu’elles ont été sablées pour la première fois ; car tout sol où l’on empêche les plantes de croître, ne peut produire que de la mousse.

539. Les terres négligées depuis longtemps, se couvrent aussi de mousse ; et lorsque les cultivateure s’aperçoivent qu’elle commence à croître dans leurs prairies, ils ont soin de donner à ces terres quelques façons, pendant une année ou deux, toujours par la même raison ; savoir : parce que toute terre qui n’a plus assez de sucs pour nourrir des plantes, ne produit que de la mousse.

540. On trouve aussi beaucoup de mousse sur les terres qui environnent les fontaines. La raison de ce phénomène est que les fontaines, soutirant l’eau des terres voisines, n’y laissent plus que la quantité d’humidité suffisante pour engendrer de la mousse ; génération à laquelle concourt la fraîcheur de l’eau.

541. Cette mousse qui croît sur l’écorce des arbres, est comme leur chevelure ; elle est le produit d’une sorte d’excrétion, et de cette partie de la sève qu’ils n’ont pu s’assimiler : sur les grands arbres elle prend une figure qui approche de celle des feuilles.

542. On voit rarement de la mousse sur les arbres de nature fort humide, comme le peuplier (blanc ou noir), sur le saule, sur le hêtre, etc. soit parce que la sève des arbres de cette classe s’y porte avec plus de force dans les branches, comme nous l’avons déjà observé, soit parce que leur écorce, qui est plus lisse et plus unie que celle des chênes ou des frênes, ouvre ainsi moins de passages et d’issues à la mousse[21].

543. Tous les arbres fruitiers, plantés dans une terre argileuse, se couvrent de mousse, et elle y paroît sur les branches comme sur le tronc ; ce qu’on doit attribuer en partie à la froideur des terres de cette nature, le froid étant toujours un obstacle à la nutrition des plantes[22], et en partie à la viscosité de cette terre, qui, en arrêtant ou gênant le mouvement de la sève, l’empêche de monter avec force, et de se distribuer dans les parties hautes.

544. Nous avons dit, dans les articles précédens, que les arbres coriagineux (dont l’écorce est trop adhérente et trop serrée), étoient stériles, et se couvroient de mousse ; nou savons ajouté qu’on pouvoit corriger ce vice, en faisant çà et là de petites hachures dans leur écorce : ainsi, par la raison des contraires, si on lie un arbre, à l’aide d’une corde bien serrée qui fasse plusieurs révolutions autour du tronc ou des branches, ou par tout autre moyen semblable, on le verra se couvrir d’une grande quantité de mousse. Je présume qu’il en doit être de même des arbres exposés aux vents froids[23]. Il est également probable que, si, après avoir étêté un arbre, on couvroit la coupe de quelque matière visqueuse et compacte, on obtiendroit le même effet, et qu’on parviendroit également à ce but en arrosant les arbres avec de l’eau de fontaine très fraîche.

545. Il est une espèce de mousse, d’une odeur très suave, et dont les parfumeurs font usage ; elle croît sur le pommier. Dirigez vos observations vers cet objet, afin de savoir comment elle se forme, et de quelle nature elle peut être ; car, ce genre de mousse étant de quelque prix, c’est dans cette vue même que nous venons d’indiquer quelques expériences pour faire croître et multiplier la mousse à volonté.

Le genre d’excroissances végétales, qui semble avoir le plus d’analogie avec la mousse, et dont, par cette raison même, nous devons traiter immédiatement après, ce sont les champignons, qu’on doit aussi regarder comme des plantes imparfaites[24]. Deux propriétés assez étonnantes, les caractérisent : l’une, est leur saveur qui en fait un mets délicieux ; l’autre, leur rapide accroissement ; car ils croissent en une seule nuit, et sans être semés.

C’est même ce prompt accroissement qui a fait qualifier de champignons ces hommes qui font fortune tout à coup[25]. Ainsi, on doit penser qu’ils se forment d’un humor onctueux et abondant, mais grossier et imparfaitement digéré. C’est même en vertu de cette cause qu’ils occasionnent ce genre d’incommodité connu sous le nom d’incube (ou de cochemar) ; par la même raison, lorsqu’on en mange avec excès, ils suffoquent et deviennent un vrai poison : ce qui annonce qu’ils sont flatueux (venteux) ; mais ce sont des flatuosités par grandes masses, dont l’effet est seulement de gonfler, et non des flatuosités disséminées, mordicantes, et qui puissent occasionner des tranchées. Aussi, croit-on qu’ils ont la propriété d’exciter l’appétit vénérien.

546. On prétend que l’écorce du peuplier (noir ou blanc}, arbre de nature fort humide, hachée très menue, et jetée dans des sillons bien fumés, dispose la terre à produire en toute saison des champignons comestibles. D’autres prétendent qu’il faut ajouter à cette écorce du levain dissous dans de l’eau.

547. On dit encore que, pour faire pousser des champignons en quantité, dans un pays de montagnes, il suffit de brûler les chaumes par un temps pluvieux.

548. On prétend aussi que la corne de cerf limée, râpée, ou hachée fort menue, mêlée ensuite avec du fumier, et suffisamment arrosée, produit des champignons : ce qui seroit d’autant moins étonnant, que la corne de cerf est, comme l’on sait, formée d’une substance grasse et visqueuse. Peut-être la corne de bœuf produiroit-elle le même effet.

549. Quelques auteurs rapportent (et le fait nous semble incroyable), qu’on a vu naître un lierre sur le bois d’un cerf. Cependant, ajoutent-ils, on ne doit pas attribuer à la corne même cette étrange végétation ; mais croire plutôt que cet animal s’étoit frotté contre un lierre[26]. On ne connoît aucune autre substance que la terre, ou ce qui en provient, comme la tuile, la pierre, etc. qui ait la propriété de produire de la mousse ou toute autre substance herbacée. Cependant, pour vérifier ce fait, il seroit bon de faire quelques petits trous à la corne d’un bœuf ou d’un cerf, et d’y insérer des graines de fenouil, de moutarde ou de rave ; peut-être ces semences y germeroient-elles.

550. Il est un autre genre d’excroissance ou de plante imparfaite, qui ressemble à un champignon de la plus grande espèce, et qui est quelquefois aussi grande qu’un chapeau ; elle n’est point comestible, et est même vénéneuse. On la trouve ordinairement sur le tronc d’un arbre mort, ou sur les racines d’un arbre pourri. Ainsi, elle semble tirer tous ses sucs du bois pourri ; fait qui, pour le dire en passant, prouve que le bois, en cet état, fournit encore une sève assez active.

551. On trouve aussi quelquefois sur les parties extérieures d’un arbre mort un autre genre d’excroissance qui n’a pas encore de nom, Elle est aussi d’un fort grand volume, et a la forme d’un gâteau ; sa couleur est brune ou marron ; ses parties extérieures ont assez de consistance ; et l’on trouve dans son intérieur une sorte de moelle ; nouveau fait qui semble prouver que les arbres morts ne sont pas entièrement destitués de force végétative : en quoi ils ont de l’analogie avec les cadavres humains, sur lesquels les ongles et les cheveux continuent de croître pendant quelque temps.

552. On trouve dans les plaines une sorte de cosse ou de capsule, qui est d’abord aussi ferme qu’une balle de paume, et d’un blanc éclatant ; couleur qui dégénère ensuite, et qui devient semblable à celle d’un champignon[27]. Lorsqu’on la brise, il en sort une poussière qui est, dit-on, très pernicieuse pour les yeux, mais un assez bon remède pour les engelures ; il paroît que sa substance est de nature âcre, mordicante et corrosive[28].

553. Il est un autre genre d’excroissance, connue en Angleterre sous le nom de jews-ear (oreille de juif), qu’on trouve ordinairement sur les racines (et autres parties basses) de certains arbres ou arbrisseaux, entr’autres sur celles du sureau et du hêtre. Elle est d’un brun obscur, et remarquable par la propriété qu’elle a de s’enfler et d’acquérir un volune prodigieux, lorsqu’on la jette dans l’eau chaude. C’est un remède éprouvé pour les esquinancies et les inflammations à la gorge ; ce qui annonce que sa substance est émolliente et adoucissante.

554. Enfin, un autre genre d’excroissance spongieuse, c’est celle qu’on trouve ordinairement sur les racines du larix (ou mélèse), quelquefois aussi sur celles du cèdre et d’autres espèces d’arbres. Elle est friable et d’un blanc éclatant, Elle est connue sous le nom d’agaric, et l’on en tire une drogue estimée en médecine, par la propriété qu’elle a d’évacuer les phlegmes et les humeurs tenaces. Elle a aussi celle de désopiler la rate ; mais elle est nuisible à l’estomac : sa saveur paroît d’abord douce, puis amère.

555. Le gui est la seule plante parfaite qui croisse sur d’autres plantes. Suivant une tradition ridicule, il est un oiseau appelé l’oiseau du gui (espèce de grive), qui se nourrit des baies de cette plante ; mais qui souvent, ne pouvant les digérer, les rejette en entier avec ses excrémens : et cette graine venant à tomber dans quelque fente, y produit le gui. Mais on doit regarder cette relation comme une fable ; car il n’est pas probable que ces oiseaux recherchent un aliment qu’ils ne peuvent digérer[29] ; et quand on accorderoit ce point, il est beaucoup d’autres raisons qui ôtent à cette opinion toute probabilité. 2°. Cette plante ne croît que sur certaines espèces d’arbres, dont les fruits ne sont pas de nature à attirer ces oiseaux, et à leur servir d’aliment. Mais il se peut que l’oiseau en question se nourrisse des baies du gui, et qu’en conséquence on l’ait vu souvent se percher sur les branches d’arbres qui le produisent ; ce qui aura sans doute donné lieu à ce conte. Mais un autre fait qui décide la question, c’est qu’on trouve le gui, tantôt sur les branches, et tantôt dessous ; et dès-lors on ne peut plus dire qu’il provient d’une graine qui est tombée dessus[30]. Le gui croît ordinairement sur le pommier, franc ou sauvageon ; quelquefois sur le coudrier ; rarement sur le chêne ; et celui de cette dernière espèce a des propriétés médicales[31]. Il conserve sa verdure l’hiver comme l’été ; son fruit est d’une blancheur éclatante. En un mot, c’est une plante tout-à-fait différente de celle sur laquelle elle croît. Ainsi, dans cette question, il est deux points hors de doute : l’un, que cette superfétation a pour cause la surabondance de la sève dans la branche qui la produit ; l’autre, qu’elle est le produit d’une sorte d’excrétion de l’arbre, et provient de cette partie de la sève qu’il ne peut s’assimiler ; autrement cette sève produiroit des branches. Il paroît aussi que ce genre de suc est plus épais et plus visqueux que la sève ordinaire des arbres, comme on le voit par ses baies qui sont glutineuses. C’est en vertu de cette même cause qu’il conserve sa verdure l’hiver comme l’été ; avantage dont sont privés les arbres mêmes sur lesquels il croît.

556. Ces observations sur le gui sont autant de faits lumineux qui mènent à d’autres expériences, Ainsi, pour acquérir de nouvelles lumières sur ce point, il faudroit fendre l’écorce de quelque branche d’un pommier sauvageon, et arroser tous les jours la plaie avec de l’eau chaude, où l’on auroit auparavant délayé du fumier. Cette branche produiroit peut-être le gui, ou quelque autre plante de ce genre. Mais, selon toute apparence, pour assurer davantage le succès, il faudroit arroser ou oindre la branche avec quelque autre substance qui fût d’une nature moins analogue à celle de l’arbre, que cette eau dont nous venons de parler ; par exemple, avec de l’huile ou de la levure de bière, etc. pourvu que cette substance ne fût pas de nature à faire mourir la branche.

557. Il faudroit voir aussi ce qui naîtroit d’un arbre, si l’on empêchoit ses branches de pousser. Par exemple, après avoir étêté cet arbre, couvrez la coupe d’une quantité raisonnable de terre grasse, et voyez ce qui en résultera. Selon toute apparence, il poussera des racines, comme le font des rejetons courbés et repiqués par le petit bout dans une terre grasse, Mais peut-être cette expérience réussiroit-elle mieux, si l’on employoit, pour couvrir la coupe, quelque autre substance qui eût avec l’arbre moins d’affinité que la terre grasse ; par exemple, si l’on couvroit d’un morceau de cuir, de toile, de drap, etc. ou encore d’une couleur à l’huile, la coupe de cet arbre ; il n’est pas besoin d’ajouter qu’il faut faire choix d’une substance qui ne puisse être nuisible à l’arbre. C’estun fait constaté, qu’on a vu naître un pied de fougère sur un arbre étêté[32].

558. On peut regarder les épines des arbres, arbrisseaux, etc, comme un autre genre d’excroissance, attendu qu’elles ne se convertissent jamais en branches et ne poussent point de feuilles. Les végétaux à branches épineuses sont l’épine, soit blanche, soit noire, l’églantier, le rosier ordinaire, le citronnier, le pommier sauvageon, le groseiller de buisson, l’épine-vinette, etc. Les végétaux à feuilles épineuses sont le houx, le genévrier, une variété du genet, le chardon. La feuille de l’ortie est aussi armée de pointes qui ont je ne sais quoi de vénéneux. Enfin, les feuilles de la bourrache ont aussi des pointes, mais innocentes. La formation de ces pointes doit être attribuée au concours de plusieurs causes, telles que la célérité de l’accroissement, la nature sèche de la plante, et l’adhérence d’une écorce trop serrée. Car des esprits très actifs, une sève trop peu abondante, et une écorce trop serrée, sont autant de causes qui doivent aiguiser les formes, et par conséquent produire des pointes de cette espèce ; aussi sont-elles d’une forme pyramidale ; la sève, après s’être un peu portée au-dehors, se dissipant aussi-tôt[33]. Quant à ces pointes qu’on voit sur les feuilles de certaines plantes, elles ont pour cause une sève qui se porte dans ces feuilles en trop grande quantité, pour pouvoir s’y distribuer avec cette égalité et cette uniformité, d’où résulteroit le poli de leur surface. Et telle est aussi la cause de ces aspérités qu’on voit sur celles de l’ortie et de la bourrache. La même explication s’applique aux feuilles du houx : à la vérité, elles sont lisses et polies ; cependant leur surface n’est jamais plane (plate), mais plissée et remplie de sinuosités, toujours en vertu des mêmes causes.

559. Il y a aussi des plantes dont les feuilles, sans être épineuses, sont couvertes d’une sorte de duvet cotonneux et de velouté ; de ce nombre sont la rose-campian, ou rose-grecque, la giroflée de la grande espèce et le pas-d’âne ; duvet qui est le produit d’un esprit subtil et vigoureux, agissant dans une substance souple et onctueuse. Car l’on s’est assuré par l’expérience, que la giroflée de cette espèce et la rose-grecque, appliquées aux carpes des mains, sont un remède efficace pour la fièvre, soit tierce, soit quarte. On dit de plus, que des fumigations de pas-d’âne sont un remède pour la pulmonie. Cette dernière plante est aussi employée en chirurgie, pour raffermir les chairs.

560. On peut encore ranger dans la classe des excroissances végétales, les substances qui sont le produit d’une exsudation des plantes, accompagnée de putréfaction. De ce genre est la noix de galle, qu’on trouve ordinairement sur les feuilles du chêne, et quelquefois aussi sur celles du saule. Les cultivateurs en tirent même une sorte de pronostic, et prétendent que, dans les années où l’on y trouve beaucoup de vers, on est menacé de maladies pestilentielles ; ce qui n’est pas dénué de vraisemblance, les vers étant un produit de la putréfaction.

561. On voit aussi sur l’églantier une petite touffe de duvet ou de mousse, de forme circulaire et de diverses couleurs : lorsqu’on les ouvre, on les trouve toujours remplies de petits vers blancs.

Expériences et observations relatives à la production des plantes parfaites, sans semences.

562. Si l’on met dans des pots, de la terre qu’on tire en creusant les fondemens d’un édifice, une cave, un puits, etc. elle y produira différentes espèces de plantes, sur-tout de plantes herbacées, mais qui ne paroîtront qu’au bout d’un certain temps. Par exemple, si cette terre est prise à la profondeur d’une toise, elles pousseront dans l’année même ; si on la prend plus bas, elles ne paroîtront qu’au bout d’un an ou deux.

563. La nature des plantes que produit la terre tirée de ces excavations, est analogue à celle de la glèbe même. Si cette terre est fine et molle, elle produira aussi des plantes molles, telles que le gramen, le plantin, etc. Si elle est dure et de qualité inférieure, elle produira des végétaux hérissés d’aspérités, tels que l’ortie, le chardon, le sapin, etc.

564. On sait que, dans les allées couvertes d’un gravier épais et serré, la terre, ne produit d’abord qu’un gramen noueux et rampant ; puis un gramen plus dru. La cause de cette diversité de productions dans une même terre, n’est autre que le poids, la dureté et la résistance du gravier et du cailloutage récemment jeté, qui, ne permettant pas à l’herbe de monter droit, la force de se détourner et de sortir latéralement par les seuls endroits où elle trouve le passage libres ; mais ensuite lorsque la terre s’est un peu relâchée et ameublie à sa surface, le gramen ordinaire se fait jour et commence à pousser.

568. Si nous en croyons certains auteurs, de la terre prise à une certaine profondeur, dans un bois très fourré, dont le sol est fort humide, et mise ensuite dans des pots, y produit des plantes grasses et succulentes, telles que le pourpier, la nummulaire, la joubarbe, le pouliot, etc.

866. L’eau produit aussi quelques plantes qui ne prennent point racine au fond ; mais ce ne sont que des plantes imparfaites ; la plupart n’étant autre chose que des feuilles, et encore très petites. De ce genre est la lentille d’eau ou de marais, dont les feuilles sont aussi grêles que celles du thim, mais d’un verd plus gai : elle jette sous l’eau un grand nombre de filets fort déliés, qui ne vont point jusqu’au fond. Quant au lilas d’eau, il a de vraies racines qui s’enfoncent dans la terre. Et il en est de même de quantité d’autres plantes qui croissent dans les lacs, les étangs ou les marais.

567. Au rapport de quelques auteurs anciens, appuyé de témoignages d’écrivains modernes, on voit des plantes qui se forment à la surface de la mer. Ils les regardent comme de simples concrétions, et supposent qu’elles se forment de la portion glaireuse de l’eau, dans les endroits où le soleil agit avec beaucoup de force, et où la mer est peu agitée. Quant à l’algue et au chardon de mer (ou eryngium), on sait que ces deux plantes ont de vraies racines : la première, au fond de l’eau ; et la dernière, sur le rivage.

568. Les anciens ont observé que la neige même, fortement pressée et ensuite putréfiée, produit certaines plantes qui sont toutes amères ; entr’autres celle qui, dans la langue des Latins, étoit connue sous le nom de flomus, et qui aujourd’hui l’est en Angleterre sous celui de moth-mullein. Quoi qu’il en soit, il est certain qu’on trouve quelquefois dans la neige, des vers assez semblables aux vers de terre ; et dès-lors il n’est pas impossible qu’elle produise aussi des plantes.

569. D’autres anciens assurent que certaines plantes naissent de la pierre même ; ce qui est d’autant plus croyable, qu’on trouve quelquefois des crapauds dans l’intérieur des pierres de taille, On sait aussi que des cailloux qui n’ont pas été remués depuis long-temps, se couvrent de mousse[34]. On voit aussi la pariétaire et d’autres plantes à fleur, croître sur les murailles. Mais d’où sortent ces plantes ? Est-ce du milieu de la pierre, de la brique ou du ciment, ou encore des lézardes, ou enfin des joints ? C’est une question qu’on ne s’est pas encore mis en état de décider par des observations assez exactes en ce genre. Quant à ces sureaux ou à ces frênes qui croissent quelquefois sur de vieilles tours, il est visible qu’ils sortent des lézardes ou des joints ; puisqu’en prenant leur accroissement, ils écartent les pierres. Mais on peut demander encore si c’est le ciment, le mortier qui produit ces végétations, ou si elles proviennent seulement des graines que les oiseaux laissent tomber dans les ouvertures. On voit aussi des plantes croître sur les rochers ; mais on doit supposer qu’elles sont produites par la terre qui s’y trouve. Enfin, on a observé que de grands arbres qui croissent dans les carrières, enfoncent leurs racines dans la pierre même.

570. Au fond des mines d’Allemagne, nous dit-on, croissent des plantes de plusieurs espèces : les ouvriers prétendent qu’elles sont douées d’une vertu magique, et qu’elles ne souffrent pas qu’on les cueille.

571. Rarement le sable marin produit des plantes : ce que les anciens attribuoient à l’action du soleil qui dissipe trop promptement l’humidité par l’évaporation, pour qu’elle ait le temps de s’incorporer avec la terre, et qu’elle puisse fournir aux plantes quelque nourriture. On prétend de plus que la partie inférieure du sable se trouve toujours sur un lit d’argile, et qu’on ne trouve jamais de sable dans l’intérieur de la terre, à une certaine profondeur.

572. C’est un fait connu et constaté, que certaines plantes peuvent croître et vivre pendant quelque temps de leur propre substance, et sans tirer aucune nourriture de la terre, de l’eau ou de la pierre : voyez sur ce sujet l’expérience 29.

Expériences et observations diverses sur les plantes exotiques.

573. Des relations nous apprennent que de la terre qui avoit été prise dans l’Inde ou d’autres contrées éloignées, et employée à lester des vaisseaux, ayant été apportée en Italie, et répandue sur certains terreins, y produisit des plantes exotiques, et tout-à-fait inconnues en Europe. On ajoute que les racines, l’écorce et les semences de ces végétaux, pilées ensemble, mêlées ensuite avec d’antre terre, et fréquemment arrosées d’eau chaude, produisirent d’autres plantes semblables aux premières.

574. Les plantes tirées des pays chauds tendent naturellement, même sous notre climat, à pousser et à croître dans le même temps où elles le feroient sous leur propre climat, Ainsi, la plus sûre méthode pour les conserver, c’est d’arrêter leur pousse dans les temps froids. On dit aussi que les grains transportés des pays chauds dans les régions plus froides, sont plus précoces que les grains de même espèce ne le sont dans ces dernières contrées, On peut conjecturer que cette anticipation de la pousse seroit plus sensible dans les bleds que dans les arbres ; car, le froment étant une plante annuelle, et ayant des racines peu profondes, la force naturelle de la semence n’a pas le temps de se consumer : au lieu qu’un arbre ayant dans la terre un large embasement ou empâtement, et étant beaucoup plus vivace, donne ainsi plus de prise aux causes qui tendent à altérer ses qualités primitives.

575. Il est beaucoup de plantes naturelles aux pays chauds, qui ne laissent pas d’endurer, jusqu’à an certain point, la température d’un climat plus froid : en sorte que, si l’on a l’attention de ne les semer ou de ne les repiquer qu’à la fin du printemps, on les verra pousser, croître et se conserver durant la plus grande partie de l’été. Par exemple, si l’on met en terre, à la fin d’avril, des pépins d’orange, de citron, etc. ils germeront et fourniront d’excellentes salades, pour peu qu’on les mêle avec des herbes destinées au même usage : et je suis persuadé qu’il en seroit de même des semences de girofle et de poivre, si elles étoient encore assez fraîches au moment où on les mettroit en terre.

Observations diverses sur les différentes saisons où croissent les plantes.

576. Parmi les fleurs, les grains, les semences et les fruits, il en est de hâtifs et de tardifs. Les fleurs les plus hâtives de nos climats sont la primevère, la violette, l’anémone, le narcisse, le safran de printemps, et certaines espèces de tulipes ; toutes plantes de nature froide, et en conséquence plus sensibles que les végétaux de nature chaude, à l’action du soleil, qui alors commence à croître ; par la même raison que la main, lorsqu’elle est froide, est plus affectée d’un foible degré de chaleur, que lorsqu’elle est chaude. Celles qui paroissent immédiatement après, sont la pariétaire, une autre espèce de primevère, la jacinthe, la fleur de romarin, etc. puis la véronique, la rose, le lys, etc. Les dernières sont la giroflée, l’œillet, la fleur de la mauve de jardin, etc. Quant aux fleurs des arbres, les plus hâtives sont celles du pêcher, de l’amandier, du cornouiller, du merisier, etc. tous arbres abondans en sucs, de nature aqueuse ou huileuse. C’est en vertu de la même cause que les fleurs du safran de printemps, qui est rempli de sucs onctueux, sont également hâtives ; les plantes de ce genre étant aussi plus sensibles à l’action du soleil que celles d’une constitution plus sèche. Les grains et les légumes farineux se suivent dans cet ordre : d’abord, le riz et le froment ; puis l’orge et l’avoine ; enfin, les pois et les féves. Car, quoiqu’on mange beaucoup plutôt les pois et les haricots de l’année, cependant ces légumes ne parviennent que beaucoup plus tard à ce degré de sécheresse et de maturité où ils peuvent servir, en partie, de nourriture aux chevaux. Il paroît que les grains les plus huileux et les plus onctueux sont aussi les plus hâtifs. Quant aux fruits, les plus précoces sont les fraises, les cerises, les groseilles de buisson (ou groseilles à maquereau), les groseilles ordinaires, etc. Puis viennent les pommes et les poires des espèces les plus hâtives, les abricots, les framboises, etc. ensuite, les prunes de Damas, et, en général, presque toutes les espèces de ce genre, la pêche, etc. enfin, les pommes, les poires des plus grosses espèces, les raisins, les noix, les noisettes, les coings, les amandes, les prunelles, les baies de l’églantier, (le gratte-cu), le houblon, les nèfles, les cormes, les cornouilles, etc.[35].

577. Il est à propos d’observer que les arbres qui rapportent le plus tard, sont ordinairement ceux qui fleurissent le plutôt ; et de ce genre sont le pêcher, le cornouiller, le prunellier, l’amandier, etc. Cette floraison plus hâtive semble être l’effet d’une disposition expresse de la divine providence : autrement, les fruits qui doivent succéder à ces fleurs, ne profiteroient pas assez long-temps de l’action du soleil, pour parvenir à une complète maturité[36].

578. On voit, mais assez rarement, des arbres, arbustes, ou plantes à fruit, qui donnent deux récoltes par an : de ce nombre sont certaines espèces de poiriers et de fraisiers[37]. Il paroît que les végétaux de cette classe abondent en sucs ; et c’est en vertu de cette même cause, qu’après une période révolue, ils peuvent encore, avant que l’action du soleil soit trop affoiblie, en recommencer et en achever une seconde. Quelques variétés de la violette fleurissent deux fois par an, entr’autres la blanche double ; ce qui est d’autant moins étonnant, que cette plante est de nature trés humide. Certains rosiers rapportent aussi deux fois par an, pourvu qu’on ait soin de les tailler de la manière que nous ayons indiquée.

579. Quoiqu’en Russie le bled ne commence à pousser qu’à la fin du printemps, la moisson ne laisse pas d’y tomber à peu près dans le même temps que chez nous. La raison de cet accroissement si rapide dans ces régions froides, est que la neige y entretient la chaleur et la force de la terre. Aussi voyons-nous que les meilleures années sont ordinairement celles qui succèdent aux plus longs hivers[38]. Et, après de tels hivers, les fruits tardifs et les fruits précoces viennent assez ordinairement tous à la fois ; ce qui donne beaucoup d’embarras aux cultivateurs ; car alors vous aurez, par exemple, en même temps, des roses ordinaires et des roses de Damas : il en est de même de la récolte du froment et de celle de l’orge. Ce n’est pas toutefois que, dans de telles années, la seconde récolte soit plus hâtive qu’à l’ordinaire, mais parce que la première attend, pour ainsi dire, la seconde.

580. Dans les pays chauds, il est beaucoup d’arbres sur lesquels on voit en même temps des fleurs, des fruits récemment noués, et des fruits mûrs ; ce qui dure toute l’année sans interruption : et l’on sait que, dans nos contrées, l’oranger présente le même phénomène durant la plus grande partie de l’été : il en est de même du figuier, Il n’est pas douteux que toutes les plantes ne tendent naturellement à cela ; mais soit que la plupart n’aient pas une sève assez abondante, soit que, dans nos contrées, le froid de l’hiver, qui les resserre, arrête ou ralentisse le mouvement de cette sève, on ne peut voir ainsi réunis tous les différens degrés de l’accroissement et de la maturation, que sur les plantes très abondantes en sucs, et dans les pays chauds.

581. Certains végétaux ne vivent qu’une année ; et cette période révolue, meurent entièrement, les racines, ainsi que les parties extérieures : de ce genre sont la bourrache, la laitue, le concombre, le melon musqué, le basilic, le tabac, le sénevé, et toute espèce de bled. Il est d’autres plantes plus vivaces, et qui durent plusieurs années ; telles que l’hyssope, la germandrée, la lavande, le fenouil, etc. La courte durée des premières doit être attribuée à deux causes : l’une, est le peu de consistance et la foiblesse de leur semence ; foiblesse dont l’effet naturel est d’abréger leur période ; ce qu’on peut appliquer spécialement à la bourrache, à la laitue, au concombre, au bled, etc. La seconde cause est que, parmi ces plantes, il en est qui ne peuvent résister au moindre froid ; de ce nombre sont le basilic, le tabac, le sénevé, etc. Or, les plantes de cette dernière espèce ont beaucoup de chaleur naturelle.

Observations diverses sur la durée des plantes herbacées, des arbres, arbrisseaux, etc.

582. La durée des plantes est proportionnelle à leur volume : par exemple, le chêne, l’orme, le châtaignier, etc. sont très vivaces : cette règle toutefois ne regarde que les arbres ; la règle contraire ayant souvent lieu pour les plantes herbacées, les arbustes, etc. Par exemple, la bourrache, le chou, la citrouille, végétaux d’un grand volume, sont de très courte durée. Au lieu que l’hyssope, la sariette, la germandrée, le thym, la sauge, etc. sont plus vivaces. La raison de cette différence est que la durée des arbres doit être proportionnée à la quantité de leur sève et de leurs sucs propres ; leur écorce, d’ailleurs, les garantissant des intempéries de l’air ; au lieu que les plantes herbacées et les arbustes, n’étant formés et nourris que de sucs qui ont peu de force, leur tige est nécessairement molle et foible. D’où il suit que celles d’entre ces plantes qui ont une odeur forte et une tige ligneuse, doivent être plus vivaces.

583. Les arbres qui portent des noix, des glands, des faines, etc. sont de plus longue durée que ceux qui portent des fruits, sur-tout des fruits pleins de suc : par exemple, le chêne, le bouleau, le châtaignier, le noyer, l’amandier, le pin sont plus vivaces que le pommier, le poirier, le prunier, etc. La vraie cause de la plus longue durée des premiers, est la nature grasse et huileuse de leur sève et de leurs sucs propres, qui, par cela seul, se dissipent moins que des sucs d’une nature plus aqueuse,

584. Les arbres dont les feuilles paroissent les dernières, et tombent aussi le plus tard, sont de plus longue durée que ceux dont les feuilles naissent et meurent plutôt. La raison de cette différence dans la durée, est qu’une pousse plus tardive, en général, annonce une sève plus épaisse et plus fixe ; au lieu qu’une pousse plus prompte indique une sève plus fluide, et qui se résout plus aisément. C’est en vertu de cette même cause, que les sauvageons sont plus vivaces que les arbres francs, et que dans une même espèce, les arbres qui donnent des fruits acides, vivent aussi plus long-temps que ceux qui donnent des fruits doux.

585. Rien ne contribue plus à prolonger la durée des arbres, arbrisseaux, arbustes, plantes herbacées, etc. que le soin de les élaguer fréquemment ; l’effet de cette taille fréquente étant de renouveler la sève dans tous les végétaux. Cette opération fait aussi que la sève ayant moins de chemin à faire, et moins de branches à nourrir, agit avec plus de force sur celles qui restent, et les nourrit mieux. En sorte que si l’on avoit également soin d’élaguer à propos les plantes annuelles, de ne pas trop les dépouiller ; en un mot, de leur laisser prendre tout leur accroissement, elles deviendroient probablement plus vivaces, comme nous l’avons déjà observé. C’est une expérience qu’on peut tenter sur le pourpier, le concombre et autres semblables. Quant aux arbres, nous voyons que ceux qui sont plantés dans les cimetières, près des vieux édifices, ou dans d’autres lieux de cette nature, poussent confusément beaucoup de branches latérales et basses ; rarement ils sont de belle tige.

586. Il faudroit aussi tenter quelques expériences pour rendre les plantes plus vivaces : par exemple, pour rendre le bled plus qu’annuel, bien entendu qu’il faut traiter ces plantes de manière que l’hiver ne les fasse pas mourir ; car il ne s’agit ici que de prolonger leur période naturelle, Mais il est une règle assez sûre, qui doit diriger toutes ces expériences ; savoir : que tout ce qui peut contribuer à rendre une plante plus tardive, et à ralentir son accroissement, contribue ; par cela seul, à prolonger sa durée. Par exemple, on pourroit tenter un essai de ce genre sur le bled, en le faisant croître à l’ombre, et l’environnant, dans cette vue, d’une clôture en bois, et un peu élevée, mais de manière que le bois ne touchât pas à la plante, et même n’en fût pas assez près pour empêcher la circulation de l’air.

587. Quant aux moyens de conserver les végétaux et les fruits, cueillis ou non, c’est un sujet que nous traiterons dans le chapitre qui aura pour objet spécial la conservation des corps.

Observations sur les diverses figures des plantes.

588. Nous croyons devoir renvoyer ce que nous avons à dire sur les figures particulières des plantes de différentes espèces, au livre qui sera plus particulièrement consacré à de telles descriptions, et nous nous contenterons pour le préssent, de donner quelques observations générales sur ce sujet,

Les arbres et les végétaux plus petits, en poussant leurs branches et leurs rejetons, n’affectent aucune figure particulière, et ne suivent aucun ordre déterminé ; ce qu’on peut expliquer ainsi : la sève resserrée et retenue par l’écorce ou la peau, dans le tronc d’un arbre, ou le tuyau d’une plante herbacée, ne se porte au-dehors qu’au moment où elle commence à former des branches ; mais, dans son éruption, elle se fait jour au hazard, par les endroits de l’écorce ou de la peau qui lui opposent le moins de résistance. Il est vrai que la pousse, dans de certains arbres, étant plus irrégulière que dans tous les autres, leurs branches sont ainsi plus dispersées ; irrégularité qu’on observe dans le saule, le pommier-sauvageon, le coignassier, le néflier, le citronnier, etc. d’autres affectent une figure pyramidale (ou celle d’un cône renversé) ; de ce genre est le poirier (en latin pyrus, nom qui, suivant certains critiques, est dérivé du mot grec πνρος (puros) feu), Il en est de même du sapin, du cormier, de l’oranger, du tilleul, etc. Quelques-uns s’étendent davantage latéralement, et poussent beaucoup de branches, comme le hêtre et ses variétés. D’autres enfin n’affectent aucune figure particulière et déterminée. La cause de cette dispersion, ou de cette disposition confuse des branches, dans certaines espèces, est la prompte éruption de la sève, dont l’effet est d’empêcher que l’arbre ne croisse beaucoup en hauteur, et ne soit de belle tige ; la plupart de ses branches poussant latéralement, sans ordre et près de terre. Quant à la figure pyramidale du poirier et de ses analogues à cet égard, il est aisé de l’expliquer, en supposant que la sève, retenue dans le tronc long-temps avant la pousse, et se portant du centre à la circonférence au moment de son éruption, se distribue uniformément et agit également dans toutes les directions. Enfin, l’expansion latérale du hêtre et d’autres arbres semblables, a pour cause l’ascension rapide d’une sève abondante dont aucune partie ne se dissipe ; et qui se porte toute entière au-dehors en une seule fois.

589. On peut dire de certains végétaux, qu’en poussant leurs branches et leurs feuilles, ils observent une espèce d’ordre ; car on y voit des nœuds et des articulations distinctes, qui sont comme autant de pas que fait la germination, et de repos ménagés à la sève dans son ascension. Ces nœuds doivent être attribués au mouvement inégal de la sève qui, dans son ascension, semble quelquefois se lasser et s’arrêter en chemin. Il paroît que la tige, ou le tuyau de ces plantes, a certaines parties plus dures et plus serrées, qui font obstacle à cette ascension, jusqu’à ce que la sève se soit assez ramassée, fixée et consolidée, pour former un nœud ; ce qui, en rétrécissant le canal et gênant son mouvement direct, la détermine à se porter au-dehors. Aussi la plupart de ces tiges sont-elles creuses lorsqu’elles sont sèches ; c’est ce dont on voit des exemples dans la tige du fenouil, dans le tuyau du froment et le roseau.

590. Les fleurs ont toutes une figure déterminée ; le nombre de leurs pétales (ou feuilles), dans une même espèce, étant toujours le même : quelques-unes en ont cinq, les autres quatre, rarement davantage ; cinq, comme la prime-vère, la rose de l’églantier, la rose musquée simple, l’œillet simple, la giroflée simple, etc. quatre, comme le lilas, le lys, la fleur de la bourrache, celle de la buglosse, etc. Il en est-toutefois qui ont un nombre infini de pétales, mais toutes extrêmement petites ; de ce genre sont le souci, la fleur de trèfle, etc. Nous voyons aussi que le support ou calice des fleurs a une forme constante dans les mêmes espèces ; tel est celui de la rose avec ses cinq échancrures pointues, et celui de l’œillet avec les siennes. Il en est de même des feuilles dont la figure varie d’une espèce à l’autre, et est toujours la même dans une même espèce. Il en est d’arrondies, d’allongées, jamais de quarrées. Il en est d’autres dont le bord ou le limbe est dentelé comme une scie ; ce qu’on observe rarement dans les fleurs ; car la dentelure des pétales de l’œillet, ou de certaines variétés de la giroflée, nous paroît avoir moins d’analogie avec celles dont nous parlons, qu’avec les découpures des feuilles de chêne ou de la vigne ; mais on n’en voit point dont le limbe soit perlé[39].

Observations diverses sur les différences caractéristiques des plantes.

591. Il est peu d’arbres ou de plantes plus petites, où les fleurs paroissent avant les feuilles, comme sur le pêcher, l’amandier, le cornouiller, l’épine noire, etc. mais dans la plupart les feuilles devancent les fleurs ; c’est ce qu’on observe sur-tout dans le pommier, le poirier, le prunier, le cerisier, l’épine blanche, etc. La cause de cette différence est que les végétaux de la première espèce contiennent ou des esprits très actifs et très pénétrans, ce qui les met en état de fleurir dès le commencement du printems, quoiqu’ils ne rapportent qu’à la fin de l’été ; ou des sucs oléagineux qui leur donnent plus d’aptitude à produire des fleurs qu’à pousser des feuilles.

592. Parmi les végétaux, il en est qui conservent leur verdure pendant tout l’hiver ; et d’autres dont les feuilles tombent aux approches de cette saison. Du premier genre sont le houx, le lierre, le buis, le sapin, l’if, le cyprès, le genévrier, le laurier, le romarin, etc. La vraie cause de la propriété de ceux-ci est la substance serrée et compacte de leurs feuilles ou du pédicule de ces feuilles ; et la cause de cette cause est la nature visqueuse et tenace des sucs propres de la plante, ou sa chaleur et sa force naturelles. La première partie de cette explication s’applique nommément au houx, dont le suc propre est tellement visqueux, que son écorce sert à faire la glu. Il en faut dire autant du lierre, dont les rameaux sarmenteux sont durs, compacts et beaucoup moins fragiles que ceux des végétaux analogues mais dont la substance est plus sèche. Il en est de même du sapin, qui fournit la poix ainsi que du buis, dont le bois est dur et pesant, comme on en peut juger par les boules qu’on en fait, et de l’if, qui fournit un bois tout à la fois très fort et très flexible, dont on fait des arcs. Du second genre est le genévrier, dont le bois exhale une odeur forte et donne un feu dont la chaleur a beaucoup d’intensité. Il en est de même du laurier, dont le bois est de nature chaude et aromatique ainsi que du romarin parmi les arbustes. Quant aux feuilles, leur densité s’annonce par leur poli et leur éclat, comme dans celles du laurier, du houx, du buis, du lierre, etc. ou par leur consistance, leur roideur et leur forme aiguë, comme dans les autres végétaux de cette même classe.

Il faudroit essayer de greffer sur le houx, le romarin, le laurier ou le buis, ces végétaux étant en pleine sève durant l’hiver ; ou encore des végétaux de toute autre espèce, soit arbres à fruits, soit arbres de forêts, afin de voir s’ils ne pourroient pas conserver leurs fruits ou leurs feuilles beaucoup plus long-temps, et même durant une partie de l’hiver. Enfin, la camélée greffée sur le houx, seroit peut-être plus précoce et de plus haute taille.

593. Parmi les plantes, soit grandes, soit petites, il en est qui ne fleurissent point, et qui ne laissent pas de donner des fruits : d’autres donnent des fleurs sans donner de fruits. La plupart des arbres de haute futaie, et destinés à être mis en œuvre, tels que le chêne, le hêtre, etc. n’ont point de fleurs apparentes : il en est de même de quelques arbres à fruit, tels que le mûrier, le noyer, etc. et de quelques arbrisseaux ou arbustes, tels que le genévrier, le houx, etc. qui ne fleurissent jamais. Il est aussi des plantes herbacées qui donnent des graines ou semences qu’on peut regarder comme leurs fruits, mais qui ne donnent point de fleurs : tel est entr’autres le pourpier. Dans la classe des arbres, les espèces qui donnent des fleurs sans donner de fruits, sont en très petit nombre : de ce genre sont le cerisier à fleurs doubles, le saule, etc. Quant au cerisier, on peut soupçonner que ses fleurs doubles sont un produit de l’art et de la culture. Si cette conjecture étoit fondée, on pourroit essayer de rendre doubles les fleurs du pommier et de tout autre arbre à fruit. On ne voit qu’un très petit nombre d’espèces qui ne donnent ni fleurs ni fruits : de cette classe sont l’orme, le peuplier, le buis, la fougère, etc.

594. Parmi les végétaux, il en est qui continuent de monter jusqu’à ce qu’ils aient pris tout leur accroissement, et dont la tige est assez forte pour se soutenir elle-même ; tels sont la plupart des arbres ou des végétaux plus petits, Mais il en est d’autres, dont la tige grêle et foible rampe à la surface de la terre, ou monte en s’entortillant autour des arbres ou des appuis qu’elle trouve à sa portée : de ce genre sont la vigne, le lierre, les ronces, la brione, le chèvre-feuille, le houblon, la clématite, la camomille, etc. La raison de ce dernier effet est sensible : toutes les plantes tendent naturellement à monter ; mais, lorsque le mouvement de la sève est très vif, elle ne produit qu’une tige grêle et sarmenteuse, qui n’a pas assez de force pour se soutenir par elle-même : aussi la pousse et l’accroissement de tous les végétaux de cette dernière espèce sont-ils ordinairement très rapides.

Expériences et observations relatives aux moyens de composer ou d’améliorer la terre et d’aider son action.

595. Le principal et le plus connu de tous ces moyens, ce sont les fumiers. Mais il est en ce genre un choix à faire. On peut mettre au premier rang le crotin de brebis ; au second, le fumier des bêtes à cornes ; au troisième : celui de cheval, qui a trop de chaleur, dit-on, et qui en conséquence a besoin d’être mêlé. La fiente de pigeon est excellente pour les jardins, et en général pour tous les terreins où la couche végétale n’est pas fort épaisse. Quant à la méthode qu’il faut suivre en fumant les terres, la voici. Si ce sont des terres labourables, on commence par répandre le fumier dessus, avant d’y faire passer la charrue et de les ensemencer ; puis, en renversant la motte, on le mêle et on l’enterre. Car, si on le jetoit sur les champs long-temps auparavant, le soleil auroit le temps d’absorber et de dissiper cette substance graisseuse qui en fait toute la force. Si la terre à cultiver est une prairie, on jette le fumier un peu plus tard et aux approches de l’hiver, temps où le soleil, qui n’a plus autant de force, ne peut plus le dessécher. Quant à la manière d’amender la terre pour la culture des jardins, de former des couches, etc. c’est un sujet que nous avons déjà traité.

596. Le second genre de moyens est de répandre sur le terrein des substances de différentes espèces, comme marne, chaux, sable marin, ou de jeter sur la terre à cultiver, d’autre terre : par exemple, celle qu’on trouve au fond d’un étang ; ou encore de mêler ensemble ces substances ; ou enfin de combiner ces substances avec ces terres. La marne est celle qu’on préfère ordinairement comme ayant plus de graisse, sans avoir l’inconvénient d’échauffer excessivement les terres. Ce qui en approche le plus, c’est le sable marin ; il doit une partie de sa nature fécondante au sel dont il est imprégné, et qu’on peunt regarder comme la première ébauche, le premier élément de la vie. La chaux a l’inconvénient de brûler les terres, et ne convient qu’aux terres froides, humides et argileuses. Mais, comme je l’ai appris d’un cultivateur intelligent, c’est une erreur de croire que la chaux est avantageuse aux champs à grain, et ne convient point aux prairies : la vérité est qu’elle convient également aux uns et aux autres ; et la principale cause de ce préjugé que nous relevons ici, c’est qu’après avoir répandu la chaux sur les prairies, et l’avoir mêlée avec la terre, on fatigue le sol par des récoltes multipliées et sans lui donner de repos, ce qui l’épuise et l’affadit en fort peu de temps. Ainsi, il faudroit essayer de répandre la chaux sur les terres labourables, un peu avant d’y faire passer la charrue, et de l’enterrer ensuite comme le fumier ; bien entendu qu’on attendroit que les pluies eussent rendu la terre plus meuble et qu’on lui donneroit des repos suffisans[40]. Quant aux engrais composés de terre seule, on peut dire qu’à cet égard la terre se suffit à elle-même, et qu’elle tient souvent lieu de fumier, pourvu qu’elle soit bien choisie, Par exemple, j’ai vu un jardin sur lequel on avoit répandu, pour ainsi dire, un champ tout entier, et dont les arbres à fruit rapportèrent prodigieusement l’année même où ils furent plantés. Car de toutes les couches d’une terre végétale, c’est toujours celle de la surface qui est la plus féconde : or, celle de ce jardin avoit deux surfaces, au lieu d’une. Mais je suis persuadé qu’une terre où il se formeroit du salpêtre, seroit excellente, et que cette manière d’amender la terre seroit préférable à toutes les autres, si l’on pouvoit obtenir cet effet par des moyens peu dispendieux. Or, le vrai moyen d’accélérer la formation du salpêtre dans une terre, ce seroit de la garantir, autant qu’il seroit possible, de l’action du soleil, et d’empêcher l’herbe d’y croître. Par exemple, si l’on couvroit d’une couche un peu épaisse de chaume, ou de planches, une certaine étendue de terrein, il s’y formeroit peut-être du salpêtre[41].

Quant à la terre tirée du fond des étangs ou des rivières, c’est un très bon engrais, sur-tout si ces étangs n’ont pas été curés depuis long-temps ; car alors, l’eau dont cette terre est détrempée, est moins affamée[42]. Je présume aussi qu’il ne seroit pas inutile de la mêler avec de la chaux.

597. Le troisième genre de moyens pour amender les terres, se tire de ces substances, qui, sans être de la terre pure, ne laissent pas d’augmenter leur fertilité. On doit mettre au premier rang les cendres qui sont éminemment douées de cette vertu fécondante : en sorte que les cantons voisins du Vésuve ou de l’Ethna trouvent dans l’étonnante fécondité de leur sol, occasionnée par les cendres que ces volcans répandent dessus, un avantage qui semble compenser les terribles inconvéniens auxquels ils sont exposés par cette proximité. La suie répandue en petite quantité sur un champ ou sur les planches d’un jardin, n’est pas moins utile. Il en est de même du sel ; mais le haut prix de cette substance ne permet pas de l’employer à cet usage ; cependant on s’est assuré par l’expérience, que, mêlé avec le bled, ou en général avec les graines, et semé en même temps, il a de puissans effets. Je suis persuadé que la chaux pulvérisée et mêlée aussi avec les semences, auroit les mêmes effets ; et n’en auroit peut-être pas moins, employée de cette manière, qu’elle n’en a, lorsqu’on se contente de la répandre sur le terrein, comme nous l’avons prescrit plus haut. Quant à ce qui regarde la méthode de faire macérer les semences dans des eaux mêlées avec différentes substances pour leur donner de la force, et celle d’arroser les terres avec de telles eaux, c’est un sujet que nous avons aussi traité.

598. Le quatrième genre de secours qu’on pent donner à la terre, c’est d’y laisser mourir les végétaux, qui, en s’y putréfiant, l’engraisseront d’autant ; par exemple, les chaumes, et surtout les débris des pois. La fougère ; répandue sur le terrein à l’entrée de l’hiver, augmente aussi sa fécondité. Il faudroit faire quelques tentatives pour s’assurer si des feuilles mises en tas et mêlées avec de la chaux ou du fumier, pour leur donner plus de force, ne formeroient pas encore un bon engrais[43]. Car il n’est rien qu’on néglige et qu’on laisse perdre autant que les feuilles des arbres. D’ailleurs, dispersées comme elles le sont ordinairement, et employées sans être mêlées avec quelque autre substance, elles contracteroient une certaine aigreur : qu’elles pourroïent communiquer à la terre.

599. Le cinquième genre de moyens qu’on peut employer pour donner à la terre plus d’action, c’est la chaleur ; effet que les anciens obtenoient par le moyen suivant : ils profitaient d’un vent un peu fort pour brûler sur une grande étendue de terrein les bruyères, les glaïeuls, les fougères, etc. puis le vent, entraînant les cendres de ces végétaux, les dispersoit sur les terres. On sait que la chaleur produite par la réverbération des murs, et en général, par toute espèce de clôture ou d’abri, amende aussi les terres. Il en est de même de l’exposition au midi. Enfin, on obtient le même effet en faisant parquer les moutons sur la terre qu’on vent amender ; effet qu’on doit attribuer non-seulement à la chaleur que ces animaux communiquent au terrein, mais aussi au crottin ou autres matières excrémentitielles qu’ils laissent dessus. Nous avons dit dans le n°. précédent, que des fougères répandues sur les terres au commencement de l’hiver, contribuoient à les améliorer ; on peut conjecturer qu’elles ne produisent cet effet qu’en entretenant la chaleur du sol. Des cultivateurs intelligens soupçonnent que la méthode de ramasser les cailloux dispersés sur les champs, et de les y laisser en tas, comme on le fait ordinairement, contribue quelque peu à l’amendement des terres ; toujours par la même raison, parce qu’ils retiennent la chaleur du sol, et l’empêchent de se dissiper.

600. Le sixième genre de moyens, ce sont les arrosemens, qu’on peut faire de deux manières. L’une consiste à faire dériver les eaux sur les terres dans les temps convenables, et à les en faire écouler à propos. Car ces eaux amenées sur une terre dans telle saison, et n’y séjournant qu’autant qu’il le faut, y seront très utiles ; mais, amenées dans telle autre saison, et y séjournant fort long-temps ; elles y seront très nuisibles. D’ailleurs, c’est un moyen qu’on ne peut employer que pour les prairies situées le long des rivières. L’autre méthode est de tirer ces eaux des terres en pente où il y a des sources, et de les dériver sur les terres plus basses à l’aide de canaux, qui, étant situés transversalement, et saignés ensuite dans toute leur longueur, arrosent ainsi une plus grande étendue de terrein[44].

Cette pratique est également avantageuse aux terres à bled et aux prairies : elle le sera encore plus si ces terres en pente sont fécondes, parce qu’alors les eaux en passant entraîneront un peu de la graisse du sol[45]. Mais, de quelque manière qu’on emploie ce moyen, il sera toujours d’une grande utilité. Généralement parlant, les terres qui se trouvent couvertes d’eau durant l’hiver, soit par l’effet de quelque débordement, ou par toute autre cause, n’en sont que plus fécondes l’été suivant. C’est peut-être parce que ces eaux entretiennent la chaleur de la terre, et lui donnent une sorte de nourriture. Cependant les habitans des pays marécageux prétendent qu’il faut avoir l’attention de faire de bonne heure des saignées, de creuser des fossés, etc. pour empêcher que ces eaux ne séjournent trop durant le printemps ; et que les glaïeuls ou autres plantes aquatiques, n’aient le temps de croître sur ces terres inondées ; autrement, ils y formeront une espèce de petite forêt qui les privera de l’action du soleil, et y entretiendra l’humidité ; sans cette précaution, toute la récolte de l’année, en grains ou en herbages, sera perdue. Quant aux moyens de faire écouler des eaux trop abondantes ou trop stagnantes, et de sécher des terreins trop humides, c’est un sujet que nous traiterons ailleurs.

  1. Le texte latin semble promettre des cerises et des pêches sur le même arbre ; mais nous nous conformons au texte anglois dont les promesses sont moins magnifiques, et qui ne parle que des variétés d’une même espèce de fruit ; quoique, dans une des phrases précédentes il ait semblé promettre beaucoup plus. Ne demandons point des nèfles à un cerisier, ni des cerises à un châtaignier, ni de l’argent à un avare, ni des éloges à un glorieux mais demandons à chaque arbre et à chaque homme, le fruit qu’il veut donner.
  2. Le grand homme que nous interprétons n’est pas géomètre ; on le sent à chaque pas en le voyant se contenter si aisément de simples lueurs et d’à peu près : mais il est quelque chose de plus ; il est plein d’âme et de vie ; il anime tout ce qu’il touche ; il ne sait pas toiser la nature, mais il sait la sentir ; il sait en jouir et communiquer ses jouissances. Son style à la douceur et l’aménité qui nait du sujet même ; sujet innocent, paisible et frais ; où l’âme se repose avec délices, après avoir déploré, dans le sentiment de son impuissance, nos maux innombrables, enfans de nos vices ; et nos vices, enfans de nos erreurs. Les plantes sont privées du sentiment ; mais cette tendresse qu’elles ne ressentent point, elles l’inspirent.
  3. Parce que la pousse ultérieure, qui tend continuellement à changer cette forme, a proportionnellement un effet beaucoup plus sensible sur une petite plante que sur une grande.
  4. Cette phrase, dans l’original, est si mal construite, qu’il est impossible de deviner la construction qu’elle indique, et que je suis obligé de bâtir moi-même pour y trouver un sens ; mais ce château de ma façon n’est peut-être qu’un château en Espagne. Quoi qu’il en soit, j’ai dîné, il y a trente-quatre ans, à St. Germain-en-Laye, dans un arbre dont on avoit fait une espèce de chambre ; et les jardins de Marly prouvent la possibilité des constructions dont il parle.
  5. On ne donne ordinairement ce nom de baie qu’aux fruits du genièvre, du laurier, du myrthe, etc. Mais il comprend sous cette dénomination les fraises, les framboises, etc. Comme nous ne sommes que traducteurs, nous suivrons sa nomenclature, et nous choisirons nos expressions de manière qu’il n’en résultera point d’équivoque.
  6. Les prunes de perdrigon, les reines-claude et les mirabelles, etc. qui ne sont pas noires, et qui n’en sont pas pires, donnent à sa règle trois démentis bien prononcés, et renforcés par l’exemple d’une espèce de damas qui est extrêmement noire et détestable.
  7. L’édition angloise dit : de la graine de giroflée ; et l’édition latine, de la graine d’œillet ; mais au fond, cette différence est peu importante ; ce qu’il dit de la diversité des fleurs provenant de graines d’une même espèce, s’appliquant également à l’une et à l’autre.
  8. Cette explication suppose que toutes les semences provenues d’un même pied seroient parfaitement égales ; supposition très gratuite ; et il semble que cette diversité ait pour cause deux espèces de différences ; savoir : celles des semences et celles des veines de la terre. Quoi qu’il en soit, on peut appliquer ici notre méthode de renversement, et de trois manières.

    1°. Portez à un pied à fleurs panachées, la terre qui est autour d’un pied à fleurs non panachées ; et réciproquement.

    2°. Enlevez les deux pieds en en détachant toute la terre, et mettez chacun dans le trou de l’autre ; ou enlevez-les avec toute la motte, etc.

    3°. Semez la graine provenant de la fleur panachée, dans la motte où se trouvoit la fleur non panachée ; et réciproquement.

  9. Assez généralement, dans les années où le vin a de la force, les vignes ont beaucoup de feuilles rouges ; il semble que la même cause qui donne au vin une saveur forte, donne à la feuille une couleur analogue. Si cette observation était généralisée, on en pourroit tirer une sorte de pronostic relativement à la qualité du vin.
  10. Ou au nord-ouest, appelé Mistrau dans le dialecte provençal (mot dérivé du mot italien Maëstro, qui désigne ce vent) ; comme je l’ai observé moi-même dans un petit bois de houx, à une demi-lieue de Marseille, sur la route de cette ville à Aix ; bois qui borde la route à gauche.
  11. Cette proposition semble contredire un peu ce qu’il a avancé plusieurs fois dans les centuries précédentes ; savoir : que les qualités du tronc sur lequel on greffe, n’influent point du tout sur celles des fruits de l’ente, la branche adoptive, selon lui, prévalant toujours sur le tronc qui l’a adoptée.
  12. J’interprète l’original mot à mots ; l’édition latine s’exprime ainsi : Par le défaut de culture, la menthe sauvage se convertit en menthe de jardin ; c’est-à-dire, selon ce traducteur, que la menthe non cultivée se convertit, faute de culture, en menthe cultivée ; resteroit à dire que la culture convertit la menthe cultivée en menthe sauvage ; ce qui compléteroit l’absurdité.
  13. Il s’agit ici de la rave, légume ; racine grosse, large et plate, qu’en Bourgogne et dans d’autres provinces on substitue au navet ; en un mot, des raves de Curius.
  14. Il ne dit pas si elle doit être couchée ou droite.
  15. On doit se rappeler qu’il croit à la possibilité des générations spontanées, soit d’aninaux, soit de végétaux ; hypothèse qui a paru raisonnable pendant deux ou trois mille ans, par la raison que toutes les générations ont été spontanées, au moins une fois (à moins qu’on ne suppose qu’elles ont été opérées par un seul coup de baguette) ; que ce qui a nécessairement eu lieu une fois, peut bien avoir lieu une seconde fois, et qu’un germe n’est qu’un mot sans idée.
  16. Terme d’agriculture, imaginé sans doute pour éviter ce pléonasme : transplanter des plantes.
  17. Ces articles que nous traduisons sont de la graine d’invention et d’expérience ; nos idées se multiplient à l’infini : mais, pour ne pas arrêter trop long-temps le lecteur ; nous nous bornerons à sept.

    1°. Après avoir mis dans des pots cette terre mêlée avec des débris de végétaux, n’y semez aucune graine et n’y plantez aucun pied, afin de voir ce que la terre produira spontanément. Mais il y aura toujours un peu d’équivoque dans le résultat ; car l’air est plein de graine, et la nature sème invisiblement.

    2°. Semez ces graines, non dans la terre mélangée ; mais dans les débris mêmes de végétaux ; ou mettez ces débris sous les racines des plantes, en y faisant tremper le chevelu de ces racines.

    3°. Faites dans un champ ou un jardin, un grand nombre de trous un peu espacés et sur une ligne fort longue ; mettez dans ces trous de la terre mêlée avec des débris de végétaux ; et, dans cette terre, des graines, ou des pieds de plantes d’une autre espèce. Enfin, semez ou plantez dans les intervalles, c’est-à-dire, dans le sol naturel du lieu, des végétaux tous de même espèce, mais d’une espèce différente de celles de ces plantes mortes (méthode alternative).

    4°. Mettez dans un pot de la terre mêlée avec les débris d’un seul végétal ; dans un second pots de la terre mêlée avec les débris de végétaux de deux espèces différentes ; dans un troisième pot, de la terre mêlée avec les débris de végétaux de trois espèces, et ainsi de suite : à cette suite ajoutez une autre suite toute semblable : dans l’un des pots de chaque couple, ne mettez rien ; et mettez dans l’autre des graines ou des pieds de plante d’une espèce différente de celles dont les débris s’y trouvent mêlés avec la terre (méthode de gradation).

    5°. Mettes dans différens pots de la terre mêlée avec des graines de douze on quinze espèces différentes ; puis, dans une partie de ces pots, mettez des graines ou des pieds de plantes d’espèces différentes de celles des premières graines, et dans les autres ne mettez rien : La situation de ces plantes, lorsqu’elles commenceront à germer, sera fort semblable à la nôtre ; elles se mangeront réciproquement ; puis la plus forte étouffera toutes les autres, et vivra de leur mort.

    6°. Il faudroit aussi râper, limer, hacher, etc. des écorces d’arbres, les mêler avec la terre, et ne rien mettre dans cette terre, ou y mettre soit la graine, soit le pied en question.

    7° Mêlez la terre avec un grand nombre de boutons ou d’yeux tirés d’arbres de différentes espèces, et laissez cette terre sans y rien semer ni planter ; ou semez-y des graines, piquez-y des pieds de plantes à transformer ou à altérer, etc.

    Il me paroit impossible que ces sept expériences ne présentent aucun résultat nouveau ; on ne peut arracher à la nature son secret que par une sorte d’importunité.

  18. Semez dans des caves ou autres souterrains, des graines de plantes qui croisent sur les montagnes ; et ayant pris dans une excavation, de la terre à différentes profondeurs, répandez-la sur un terrein élevé (méthode de renversement).
  19. Nous supposons presque toujours involontairement que les corps très petits sont organisés moins parfaitement que les grands ; comme si la nature étoit un ouvrier semblable aux nôtres, et avoit plus de peine à travailler en petit ; mais ses outils sont plus fins que nos yeux ; et ce que nous pouvons voir, n’est qu’une partie infiniment petite de ce qu’elle peut faire.
  20. Ces végétations, et la grandeur des plantes qu’on trouve sur ces toits ou ces murs, paroissent dépendre plutôt de la quantité de terre que le vent y a portée.
  21. Ne seroit-ce pas plutôt parce que ces aspérités de l’écorce du chêne ou du frêne, retenant la terre que le vent y porte, servent comme de pots aux petites plantes dont la mousse est l’assemblage ?
  22. Pour qu’une plante puisse se nourrir, il faut que les suce alimentaires puissent pénétrer intimement toute sa substance ; pour qu’ils puissent la pénétrer, il faut que ses pores s’ouvrent, et que ses parties s’écartent un peu les unes des autres. Or, le froid rapproche les parties, contracte et ferme ; la chaleur écarte, dilate et ouvre.
  23. Le froid qui, en rapprochant les petites parties, arrête ou ralentit ainsi le mouvement de la sève, tient lieu d’une ligature.
  24. Nous appelons imparfaites les plantes que nous connoissons imparfaitement, ou qui ne ressemblent pas à celles que nous qualifions de parfaites ; mais une chose est parfaite ou imparfaite, selon qu’elle remplit ou ne remplit pas sa destination. Or, nous ne connoissons pas la destination des champignons ; nous ne savons pas même s’ils en ont une ; ainsi nous ne pouvons juger de leur perfection ou de leur imperfection, sinon relativement à nous.
  25. Ces champignons humains sont ordinairement fort insolens ; ils sont si petits, qu’ils se croient grands ; n’étant pas encore assez accoutumés à leur apparents grandeur pour ne la plus sentir : ils sont tous, ainsi que les champignons végétaux, ou excellens, ou détestables.
  26. Et que quelque graine, avec un peu de terre, s’étoit logée dans les aspérités du bois, etc. etc, etc, car nous n’aimons pas les miracles ; et voilà une explication toute prête, sinon pour le passé, du moins pour l’avenir.
  27. De quelle espèce de champignon ? car il en est de toutes les couleurs.
  28. Il veut sans doute parler du lycopodium, espèce de champignon où l’on trouve une poussière très inflammable, qu’on met, dit-on, dans les torches creuses des furies destinées à représenter sur le théâtre l’enfer en mignature, et à désennuyer les Parisiens en leur faisant peur.
  29. Il se peut qu’ils avalent ces baies, par la même raison qu’ils avalent de petites pierres qu’ils ne digèrent pas non plus.
  30. Il se pourroit que la graine, mêlée avec des excrémons visqueux, tombant sur une branche agitée par le vent, et poussée par quelque petite branche voisine, passât dessous, sans cesser d’être adhérente.
  31. Il est céphalique.
  32. Sur lequel il étoit tombé de la terre et de la graine de fougère.
  33. Voyez dans la Méchanique morale (Liv. IV, article des formes), la manière dont nous avons tenté d’expliquer la production des formes sphériques, ovalaires, pyreuses, tubulaires, rameuses, pyramidales, coniques, etc. en l’attribuant au concours de trois causes ; savoir : 1°. une force expansive et agissant du centre à la circonférence ; 2°. une matière plus où moins homogène, plus ou moins aqueuse ou onctueuse, plus où moins disposée à obéir à l’action de cette force ; 3° la pression en tous sens, ou en certains sens seulement, exercée par la terre, l’eau ou l’air, qui réagit contre la force expansive, et rive, pour ainsi dire, le clou.
  34. Comme semble l’annoncer ce proverbe si ancien parmi nous : Pierre qui roule n’amasse pas de mousse.
  35. Auxquelles on donne le nom de cornes dans les provinces où elles sont moins communes.
  36. On doit observer aussi que les fruits transportés autrefois des pays chauds dans nos contrées, tels que la pêche, le raisin, etc. sont ceux qui mûrissent le plus tard ; et qu’au contraire ceux qui sont naturels aux climats froids, comme la fraise, la groseille, la cerise (qu’on a trouvés prodigieusement multipliée dans les parties méridionales de la Sibérie), sont ceux qui mûrissent le plutôt. J’ai trouvé des fraisiers et des groseilliers dans des fentes de rochers pendant en sur-plomb, sur les côtes de l’île de Terre-Neuve, ou plutôt de l’île du Quairpont, qui n’est séparée de la grande île que par un petit détroit : leurs fruits étoient mûrs au mois de juillet, quoique la température fût souvent assez froide, On y trouve une autre plante fort basse, connue des marins sous le nom de plate-bière, dont la feuille a quelque analogie avec celle de la vigne ; mais dont la forme, le couleur et la saveur acidule ont de l’analogie avec celles de la framboise ; tous faits qui semblent conduire à ce raisonnement : puisque les fruits qui deviennent doux en mûrissant, sont acides avant d’être mûrs, il paroît que les fruits qui demeurent acides, même lorsqu’ils sont mûrs, demandent moins de chaleur que ceux dont la maturité rend la saveur plus douce, et par conséquent doivent mûrir plutôt.
  37. J’ai trouvé, le 11 novembre 1767, des fraises mûres et des violettes, dans le parc de Versailles, près de Trianon ; le 12 de mai de l’année suivante il neigeoit. On verra, à la fin de la neuvième centurie, les causes du premier de ces deux phénomènes.
  38. Ce qui peut venir aussi de ce que la pousse étant extrêmement retardée, les végétaux sont moins exposés à l’effet pernicieux des gelées tardives. Au reste, les hivers les plus rudes sont ordinairement les moins longs ; il semble qu’à cet égard, comme à tant d’autres, la durée soit en raison inverse de l’intensité.
  39. Il en est pourtant dont le bord est crénelé, c’est-à-dire, dont les dents ont une forme arrondie, et qui approchent de celle dont il parle.
  40. J’ai sous les yeux les résultats d’un grand nombre d’expériences en ce genre : tout considéré, il se trouve que la chaux, de quelque manière qu’on l’emploie, donne d’abord des récoltes brillantes, et épuise le sol en peu d’années. Mais, peut-être en l’employant en moindre quantité, pourroit-on avoir d’abord des récoltes moins brillantes, en avoir plus long-temps de moyennes, et épuiser le sol plus lentement, ou même ne pas l’épuiser ; en un mot, on pourroit ne l’employer que comme une dernière ressource.
  41. Le texte de l’édition angloise prescrit de bâtir sur ce terrein une grande chaumière qui le couvre tout entier ; et celui de l’édition latine conseille seulement de le couvrir de chaume. Mais le premier moyen seroit trop dispendieux, et le vent emporteroit l’autre ; ainsi, nous nous en tiendrons aux planches, en réservant ce merveilleux moyen pour quelque menuisier qui voudra se ruiner.
  42. Moins affamée de sels ou autres principes fécondans, qu’elle peut dissoudre, et par conséquent moins disposée à affadir et à énerver la terre.
  43. Voyez, sur ce sujet, le Socrate rustique.
  44. Autour de la ville de Canton en Chine, presque toutes les collines sont taillées en gradins ; il semble que ce soit dans les mêmes vues. Au reste, cette méthode a l’inconvénient d’entraîner et de charger dans les fonds une partie de la couche végétale des terres élevées. Mais, dans la culture en petit, on remédie à cet inconvénient, en creusant, au-dessous de chaque pièce de terre (comme on le fait dans les environs d’Auxerre), un fossé où on reprend la terre que les eaux y ont entraînée.
  45. Sans doute ; mais ce qu’elles donneront aux terres les plus basses, elles l’ôteront aux terres les plus élevées ; il en sera de ces terreins et de leurs propriétés, comme de nous car ici et par-tout, ce que l’un gagne, l’autre le perd ; et il est très difficile de faire du bien aux uns, sans faire du mal aux autres.