SYLVA SYLVARUM (trad. Lasalle)/Centurie IV

Sylva Sylvarum
Centurie IV
Traduction par Antoine de La Salle.
Œuvres8 (p. 1-144).
Centurie IV.

Expériences et observations sur la clarification des liqueurs, et sur les moyens d’accélérer cette opération.

Abreger, par le moyen de l’art, le temps que la nature emploie ordinairement dans ses opérations, et en accélérer les plus heureux effets, c’est avoir pénétré dans un de ses plus profonds mystères, et saisi un de ses plus importans secrets. Et même, osons le dire, cette accélération est, parmi les actes miraculeux de la puissance divine, celui qui tient le premier rang après celui par lequel la matière fut tirée du néant. Or, tel est le sujet que nous allons traiter, en renvoyant ce que nous avons à dire sur les moyens d’accélérer la germination, aux centuries où nous traiterons des plantes en général, notre dessein, pour le moment, étant de nous occuper des autres genres d’accélération.

301. Il est beaucoup de liqueurs auxquelles les parties grossières et féculentes qui flottent çà et là à leur surface ou dans leur intérieur, donnent d’abord un œil trouble ; telles sont le moût de vin ou de bière, les sucs tirés par expression de différentes espèces de fruits, de plantes herbacées, etc. liqueurs qui, ensuite, lorsqu’on les laisse reposer suffisamment, déposent et se clarifient peu à peu. Mais cette clarification, on peut l’accélérer par certains moyens qui servent à aiguillonner, pour ainsi dire, la nature, à hâter sa marche, en la suivant, et à la surpasser en l’imitant ; sans compter que ces moyens peuvent servir à préparer, d’une manière plus expéditive, différentes espèces de boissons ou d’assaisonnemens, ou mener à d’autres fins qui se rapportent à celles-là. Or, pour connoître les moyens d’accélérer la clarification des liqueurs, il faut d’abord connoître ses causes, qui, une fois bien connues, indiqueront ces moyens[1].

302. La première de ces causes est la séparation ou l’opération par laquelle les parties un peu grossières se séparent des parties les plus ténues.

La seconde est l’égale distribution des esprits entre toutes les parties tangibles ; cause qui peut aussi contribuer par elle-même à ôter aux liqueurs cet œil trouble qui blesse la vue.

La troisième est l’atténuation des esprits mêmes ; ce qui donne aux liqueurs plus d’éclat et de transparence.

303. La séparation peut être opérée par différentes causes ; savoir : le simple poids, comme on en voit un exemple dans ce sédiment que laisse au fond d’un vaisseau une liqueur qui dépose ;

Par la chaleur ;

Par le mouvement ;

Par la précipitation ou la sublimation ; c’est-à-dire, par la cause qui détermine certaines parties vers le haut, et les autres vers le bas (ce qu’on peut regarder comane l’effet d’une sorte d’attraction) ;

Par l’adhésion, qui a lieu lorsqu’ayant mêlé et agité avec la liqueur à clarifier une substance glutineuse ou visqueuse, cette dernière substance, lorsqu’on l’en sépare, entraîne avec elle les parties les plus grossières ;

Enfin, par la filtration.

304. L’égale distribution des esprits est l’effet ou d’une chaleur modérée, ou du mouvement et de l’agitation (car, dans cette énumération de causes, nous ne devons point parler du laps de temps (ou de la longue durée) que notre principal but est d’abréger), on de l’addition de quelque substance qui peut, en dilatant la liqueur, mettre ainsi les esprits en état de la pénétrer plus aisément en tout sens.

305. Les causes qui opèrent l’atténuation des esprits sont, ou la chaleur encore, ou le mouvement, ou l’addition de quelque substance qui ait la propriété d’atténuer.

Après cette énumération de causes, dont le but est de généraliser les procédés tendant à accélérer la clarification des liqueurs, et de donner plus d’étendue à la pratique en ce genre, on doit fixer son attention sur les exemples particuliers et les procédés plus détaillés que nous allons donner,

306. Un moyen fort connu pour débarrasser le vin et la bière de la plus grande partie de leurs fèces[2] ou de leur lie, et de les clarifier plus promptement, c’est de soutirer ces liqueurs. Car, quoique la lie ait la propriété de conserver la force de la boisson, et de la préserver plus long-temps de la corruption, elle ne laisse pas de s’y décharger de certaine substance épaisse qui l’empêche de se clarifier. Ce premier exemple se rapporte à la séparation.

307. On pourroit aussi, dans des vues toutes opposées, essayer de mettre la lie, et, en général, les fèces d’une liqueur dans une autre portion de la même liqueur, afin de voir ce qui en résulteroit. Car, quoiqu’en général l’effet de ces parties grossières soit de donner à la liqueur un œil trouble, elles ne laissent pas d’atténuer les esprits. Ainsi, ayant rempli de bière nouvelle deux piéces un peu grandes, soutirez l’une, tirez-en la lie, mettez-la dans l’autre, et voyez si cette opération présente quelque résultat nouveau et notable. Cet exemple se rapporte au but d’atténuer les esprits.

308. Mettez dans de la bière nouvelle une certaine quantité de bière vieille, afin de savoir s’il en résulte une plus prompte clarification ; en supposant que l’effet de cette dernière soit de dilater la première, d’en pénétrer tout le corps, de diviser ses parties les plus grossières, de les déterminer à se précipiter et à se joindre à la lie déjà formée.

309. Lorsqu’on fait infuser la drêche[3], des herbes, ou toute autre substance de cette nature, plus l’infusion dure, plus la liqueur devient trouble et épaisse. Au contraire, plus une décoction dure, mieux elle opère la défécation, et plus la liqueur se clarifie. La raison de cette différence est sensible ; la longue durée d’une infusion fait qu’une plus grande quantité de parties grossières se détachent de la substance qu’on fait infuser, et se mêlent à la liqueur ; au lieu que la longue durée de la décoction, qui, à la vérité, produit aussi d’abord le même effet, ne laisse pas néanmoins de donner à la liqueur le temps de se clarifier ; en rejetant vers sa surface ces parties grossières, ou en les précipitant sous la forme de lie, ou de marc[4]. Aussi la vraie méthode, pour clarifier complètement une liqueur, est-elle de commencer par l’infusion et de finir par la décoction ; c’est celle qu’on suit ordinairement pour faire la bière : on fait d’abord infuser la drêche, puis on la met en décoction avec le houblon. Ce dernier procédé n’est qu’un cas particulier du procédé général que nous désignons par le mot de séparation.

310. Prenez une bouteille pleine de bière nouvelle, bouchez-la exactement, et entourez-la de charbons ardens jusqu’à la naissance du col, et faites durer l’expérience pendant dix jours, en renouvelant chaque jour les charbons. Enfin, comparez cette bière avec de la bière de même qualité, placée dans le même lieu, et à laquelle vous n’aurez pas fait subir cette opération[5]. Prenez une autre bouteille de la même bière, entourez-la de chaux, vive ou éteinte, comme vous avez entouré l’autre de charbons ; et pour le reste, suivez le procédé même que nous venons de décrire. Ces deux expériences se rapportent au double but de distribuer également les esprits, et de les atténuer, par le moyen de la chaleur.

311. Ayant pris des bouteilles pleines de vin, de bière, ou de toute autre liqueur fermentée, agitez-les avec la main, en faisant les mêmes mouvemens que si vous vouliez les rincer, ou mettez-les sur une charrette qui roule sur un chemin fort rude et fort inégal. Agitez cette liqueur, pendant deux jours, de l’une ou de l’autre manière ; mais ayez soin de ne pas remplir tout-à-fait chaque bouteille, afin qu’il y reste un peu d’air, et que la liqueur ayant un peu de jeu sous le bouchon, puisse aller et venir, lorsque vous l’agiterez. Après l’avoir bien remuée par l’un de ces deux moyens, versez-la dans une autre bouteille bouchée très exactement, et de manière qu’il n’y reste point de vuide ; car, s’il y restoit trop d’air, la liqueur s’éventeroit, elle perdroit une partie de sa teinte, et ne se clariferoit pas complètement. Laissez la bouteille en cet état pendant vingt-quatre heures ; versez la liqueur dans une troisième bouteille où il reste de l’air, et que vous agiterez comme nous venons de le dire ; puis dans une quatrième, où il n’en reste point, et que vous tiendrez en repos : et ainsi de suite alternativement pendant sept jours. Mais quand vous transvaserez la liqueur, faites-le rapidement, de peur qu’elle ne s’évente. Il seroit bon de faire la même épreuve, sans transvaser, et en laissant un peu d’air, même au-dessous du gouleau[6]. C’est à la double fin de distribuer également les esprits et de les atténuer par le moyen du mouvement, qu’on doit rapporter ce dernier procédé,

312. Quant à la filtration, soit intérieure, soit extérieure (ce qui est un genre de séparation), il faut essayer de clarifier la bière par voie d’adhésion, en y mêlant une certaine quantité de lait, et agitant ensemble ces deux liqueurs ; car il se pourroit qu’alors les parties grossières de la liqueur s’attachassent au lait ; mais peut-être ensuite ne seroit-il pas facile d’en séparer ce lait : au reste, c’est ce qu’on peut vérifier promptement par l’expérience, On l’emplaie aussi assez ordinairement pour clarifier l’hypocras : les parties grossières de cette dernière liqueur s’attachent au lait qu’on enlève ensuite, et la liqueur devient parfaitement claire, comme nous l’avons observé ailleurs. C’est dans les mêmes vues que, pour clarifier plus complètement la bière, en l’entonnant, on la passe à la chausse ; et alors plus le filtre est fin, plus la liqueur est limpide,

Expériences diverses sur les moyens de provoquer et d’accélérer la maturation[7], d’abord celle des boissons, puis celle des fruits.

Il est temps de passer à une recherche complète et détaillée sur les moyens de provoquer et d’accélérer la maturation, recherche qui se divise naturellement en trois parties, à raison de ses trois objets ; savoir : la maturation des fruits, celle des boissons ; enfin, celle des ulcères et des apostumes. Quant à cette dernière, nous la renvoyons à un autre lieu, et la remettons à un autre temps, nous proposant de nous en occuper, lorsque nous aurons pour objet direct et spécial les expériences propres à la médecine. Il est sans doute encore d’autres genres de maturation, comme celle des métaux, etc. Mais nous n’en parlerons ici que par occasion, et à mesure que nous y serons conduits par l’ordre naturel de notre sujet. Nous croyons devoir, pour le présent, commencer par la maturation des boissons, vu l’analogie et l’étroite relation de ce sujet avec celui que nous venons de traiter ; je veux dire avec les moyens de clarifier les liqueurs.

313. La maturation d’une boisson (liqueur) est opérée par la réunion et la concentration des esprits, qui est l’effet d’une concoction ou digestion plus parfaite des parties grossières et tangibles. Cette opération peut être facilitée et accélérée par les mêmes moyens que la clarification dont nous venons de parler. Il faut cependant observer qu’à force de clarifier les liqueurs, on finit par rendre les esprits si obtus[8], qu’ils perdent toute leur activité, et qu’alors la liqueur, qui doit avoir un peu de sêve et de bouquet, perd toute sa force. Aussi, lorsqu’on emploie l’ambre pour clarifier plus complètement une liqueur, devient-elle tout à la fois très limpide, et d’une saveur très plate.

314. On est à même d’observer le progrès et les différens degrés de la maturation dans le moût, dans le vin déjà potable, et dans le vinaigre. Quant au moût, ses esprits ne sont pas encore bien réunis ; ceux du vin sont mieux concentrés, ce qui donne à ses parties un peu d’onctuosité ; ceux du vinaigre sont aussi assez bien réunis, mais en très petite quantité ; la plus grande partie de ces esprits, sur-tout la plus ténue, s’étant déjà dissipée par l’évaporation ; car on sait que la méthode la plus ordinaire pour faire le vinaigre, c’est d’exposer au soleil le vaisseau qui contient le vin. Aussi le vinaigre n’est-il plus susceptible d’être brûlé[9] ; par cette raison même que nous venons d’indiquer ; savoir : parce que l’évaporation a dissipé et épuisé la plus grande portion des parties les plus ténues.

315. Lorsqu’une boisson éventée ayant perdu la plus grande partie de sa teinte et de sa force, est comme morte, on la ressuscite, en y renforçant et y ranimant le mouvement des esprits ; c’est ainsi qu’un temps serein, et bien découvert, dilatant les esprits, leur donne plus de vie et d’activité[10]. On sait que le soin de mettre en bouteilles la bière, lorsqu’étant encore nouvelle et abondante en esprits, elle mousse et pétille au moment où on ôte le bouchon, donne à cette liqueur plus de force et de piquant, et fait que l’air s’y incorpore, en plus grande quantité, ou plus complètement. On peut aussi, en mettant dans le cellier un réchaud plein de braise ou de charbon allumé, renouveler la fermentation[11]. De la bière nouvelle, mêlée avec de la bière qui a déjà perdu une partie de sa force, y provoque aussi une nouvelle effervescence. De plus, si nous devons croire ce qu’on nous dit à ce sujet, de la bière nouvelle, mêlée avec de la bière vieille, et déjà affoiblie, occasionne dans celle-ci une nouvelle ébullition. Enfin, je présume qu’il ne seroit pas inutile de mêler à la liqueur quelque substance qui pût réveiller et ranimer ses esprits ; par exemple : de mettre dans les bouteilles du nitre, de la chaux, etc.[12]. On n’ignore pas que la crême se forme plus vite, et s’élève plus promptement à la surface, lorsqu’on tient le vaisseau qui contient le lait, plongé dans de l’eau très froide ; il paroît qu’alors c’est le froid virtuel de l’eau qui précipite le petit lait[13].

316. On s’est assuré par l’expérience, que le soin d’enfouir des bouteilles pleines de vin, de bière, etc. et bien bouchées, dans une terre très sèche, et à une certaine profondeur, ou de Les tenir plongées dans l’eau d’un puits, ou, ce qui vaut encore mieux, de les suspendre dans un puits très profond, un peu au-dessus de la surface de l’eau ; enfin, de les tenir, pendant plusieurs jours, dans l’une ou l’autre de ces situations, est une excellente méthode, non-seulement pour boire frais, mais même pour donner de la force à la boisson : effet qui au fond n’a rien d’étonnant ; car il n’est pas à craindre que le froid occasionne l’évaporation et la dissipation des esprits, comme le fait la chaleur ; quoiqu’il les raréfie[14], il ne laisse pas de les rendre plus vigoureux ; et en les irritant, il fait ainsi qu’ils s’incorporent plus parfaitement avec toutes les autres parties de la liqueur.

317. Quant à la maturation des fruits, elle est opérée par toutes les causes dont l’effet général et commun est de rappeler aux parties extérieures les esprits, qui alors, en se portant successivement dans toutes, et s’y arrêtant en partie, à mesure qu’ils y passent, se distribuent ainsi plus également dans le tout ; à quoi il faut joindre un certain degré de concoction ou de digestion des parties grossières, qui a pour cause la chaleur, le mouvement, l’attraction ; enfin, un commencement de putréfaction, genre d’altération dont les premiers degrés ont quelque analogie avec la maturation.

318. Nous avons nous-mêmes fait autrefois quelques expériences dans cette vue, sur un certain nombre de pommes de même espèce et de même qualité ; nous en mîmes dans du foin, dans de la paille, dans le fumier, dans de la chaux, dans de la cendre, etc. quelques autres furent couvertes d’oignons ou de pommes sauvages ; d’autres enduites de cire ; d’autres encore simplement renfermées dans une boite ; une seule enfin fut boucanée ou suspendue dans la fumée. Voici quels furent les résultats de ces expériences.

39. Au bout d’un mois, la pomme enduite de cire étoit aussi fraîche que si elle venoit d’être cueillie, et avoit conserré toute sa saveur ; ses pépins étoient d’un brun fort clair et blanchâtres ; tous effets qui doivent d’autant moins étonner, qu’en éloignant tout-à-fait l’air extérieur qui absorbe toujours la partie fluide des corps qu’on expose à son action, on éloigne, par cela même, tout ce qui peut consumer l’humidité du fruit et le flétrir. Cependant un inconvénient attaché à cette méthode, est que la cire donne à ce fruit un assez mauvais goût ; mais, selon toute apparence, une grenade, ou tout autre fruit, armé d’une enveloppe aussi épaisse et aussi forte, ne seroit point sujet à cet inconvénient.

320. La pomme enfumée ressembloit à une vieille pomme conservée par les moyens ordinaires ; elle étoit flétrie, ridée, sèche, molle, d’une saveur très douce, et jaune à l’intérieur. La raison de ce dernier effet, est qu’une chaleur de cette espèce, qui n’est point assez forte pour liquéfier, ou pour torréfier, ne peut endommager le fruit ; elle est précisément ce qu’elle doit être pour hâter sa maturité ; car nous voyons qu’une chaleur beaucoup plus forte amollit les pommes au point de les rendre presque liquides, et que la peau de ces poires, qu’on soumet à l’action du feu, après les avoir coupées par quartiers, se torréfie au point de se réduire en une espèce de charbon ; effet que ne peut produire cette chaleur plus douce dont nous parlons. L’effet de cette espèce de fuliginosité (ou de suie) dont se couvre une pomme exposée à la fumée pendant un certain temps, contribue aussi quelque peu à la maturation. Cette pratique où l’on est de faire dessécher au four les poires, les prunes, etc. en les retirant de temps en temps, et dès que cette humidité qu’on y voit transuder commence à paroître, présente un procédé qui a quelque analogie avec le nôtre ; mais alors la chaleur à laquelle on expose ces fruits, est beaucoup plus forte.

321. Les pommes que nous avions mises dans la cendre ou dans la chaux, étoient en pleine maturité, comme le prouvoient leur couleur, qui étoit d’un jaune agréable, et leur saveur très douce ; effets qui devoient d’autant plus avoir lieu, que ce degré de chaleur qui est propre à la chaux et à la cendre, degré uniforme et constant, qui ne peut ni liquéfier, ni dessécher excessivement, approche fort de ce degré moyen qui est nécessaire pour la maturation. Vous observerez de plus que ces pommes étoient d’une saveur très agréable et très bonnes à manger. Ainsi, cette expérience, si facile à répéter, auroit aussi son utilité.

322. Les pommes couvertes d’oignons ou de pommes sauvages, étoient aussi parfaitement mûres. Or, ce dernier effet, ce n’est pas à la chaleur qu’il faut l’attribuer, mais à l’action propre et spéciale de ces substances acides ; son véritable effet étant de rappeler à l’extérieur les esprits qui alors pénètrent toute la substance du fruit, et s’y distribuent plus également, ce qui diminue tout À la fois sa dureté et sa saveur revêche. C’est en vertu de cette même cause, que des fruits mis en tas, sur-tout les pommes à cidre, qu’on est dans l’usage d’entasser ainsi, parviennent plutôt à leur maturité : il en est de même des raisins dont on entasse les grappes ; de là cet ancien proverbe : raisin contre raisin mûrit plutôt[15].

323. Les pommes qui avoient été mises dans du foin, et celles qui l’avoient été dans de la paille, avoient aussi sensiblement mûri, mais elles étoient un peu moins avancées que les autres (cependant nous trouvâmes que le foin avoit, à cet égard, quelque avantage sur la paille). La raison de leur effet commun, est que le foin et la paille n’ont qu’une chaleur très foible, très douce, très renfermée, et qui n’est point de nature à dessécher le fruit.

324, Enfin, celles qui avoient été simplement renfermées dans une boîte, étoient parvenues à leur point de maturité, ce qui peut s’expliquer ainsi : l’air renfermé et comme emprisonné, est doué d’un certain degré de chaleur, comme le prouve celle des étoffes de laine, des fourrures, de la bourre de laine ou de soie, etc.

Nous devons avertir qu’à chacune de ces pommes mises en expérience, nous avions eu l’attention d’en joindre une autre, de même qualité et de même espèce, qui étoit restée dans l’air libre, pour servir d’objet de comparaison, et afin de voir si la première étoit en effet devenue plus jaune, d’une saveur plus douce, etc. ou, ce qui est la même chose, si sa maturation avoit été réellement accélérée.

325. Il n’est personne qui ne sache, d’après sa propre expérience, que si l’on roule, avec un peu de force, sur une table, une poire ou tout autre fruit de ce genre, en s’amollissant, il devient d’une saveur sensiblement plus douce et sur-le-champ ; ce qui n’a d’autre cause que l’action des esprits qui, par ce moyen, se répandent doucement et se distribuent plus également dans tonte la substance du fruit ; car c’est leur inégale distribution qui est la vraie cause de cette saveur âpre et revêche qu’il avoit auparavant. Mais, en le roulant avec tant de force, on ne produit tout au plus qu’un effet moyen entre celui de la coction et celui de la simple maturation. Ainsi, il est assez probable que, si l’on rouloit plus doucement un fruit de cette espèce, sept jours de suite, savoir, deux fois par jour, comme alors on suivroit une marche plus graduelle et plus analogue à celle de la nature, la maturation seroit plus délicate et plus complète.

326. Enlevez une petite portion de la peau d’une pomme, et serrez ce fruit, afin de voir si cette simple solution de continuité ne suffiroit pas pour accélérer un peu la maturation ; car on sait qu’un grain de raisin, ou tout autre fruit piqué par une guêpe, un ver ou une mouche, mûrit plus vite, et acquiert plutôt une saveur douce.

327. Piquez une pomme tout autour, avec une pointe assez fine, et en donnant à ces trous peu de profondeur ; puis humectez toute sa surface avec du vin d’Espagne, de l’esprit-de-vin, ou de l’esprit-de-canelle, etc. pendant dix jours de suite, une fois chaque jour, et voyez si elle perd plutôt sa crudité, en vertu de cette chaleur inhérente au vin d’Espagne, à l’esprit-de-vin, ou à ces autres eaux si actives.

N. B. Qu’à chacun des fruits sur lesquels on fera ces dernières expériences, il faudra aussi en joindre un autre, de même espèce et de même qualité, pour servir d’objet de comparaison, comme nous l’avons fait dans les précédentes expériences.

Observations diverses sur l’art de faire de l’or.

Le genre humain a été jusqu’ici indignement abusé par le charlatanisme de ces alchymistes qui, en différens temps et en différens lieux, se sont vantés de posséder le secret de la confection de l’or. Ce n’est pas que l’entreprise soit impossible en elle-même ; mais les moyens proposés jusqu’ici sont illusoires dans la pratique ; et les théories dont on a déduit ces procédés, ne sont pas moins chimériques : le tout n’est qu’un tissu d’erreurs ou d’impostures.

En effet, prétendre : que La nature tend perpétuellement à convertir en or tous les métaux ; que, si elle étoit dégagée de ses liens, et débarrassée de tous les obstacles qui arrêtent, ralentissent ou détournent son action, elle ne manqueroi jamais son but ; que les impuretés, les crudités, et l’espèce de lèpre ou de galle des autres métaux, une fois guérie, ils deviendroient tous de l’or, de véritable or ; enfin, qu’une très petite quantité de je ne sais quelle poudre de projection, et de ce qu’ils appellent le remède, suffiroit pour convertir en or une quantité immense des métaux les plus vils, et pour multiplier à l’infini ce précieux métal ; toutes ces assertions sont autant de rêves, et les autres fondemens de l’alchymie[16] sont de même nature ; car, pour donner un peu de vraisemblance à cette multitude de suppositions toutes gratuites, ils allèguent les chimériques principes de l’astrologie judiciaire, ou certains dogmes un peu plus spécieux de la magie naturelle, où même de superstitieuses interprétations de certains passages de l’écriture sainte, ou encore des traditions auriculaires, ou enfin, de prétendues autorités d’anciens auteurs, etc. D’un autre côté, on ne peut disconvenir que, par un grand nombre d’expériences et d’observations utiles, ils n’aient répandu la lumière la plus vive sur certaines parties des sciences, et rendu, par ce moyen, de vrais services à l’humanité[17]. Pour nous, quand il sera temps de traiter de la transmutation des corps, et des expériences relatives aux métaux, ou en général aux minéraux, abandonnant tous ces rêves de l’alchymie, nous marcherons dans les voies de la nature, dans les seules qui puissent mener à ce grand but. En attendant, nous approuvons fort le judicieux parti qu’ont pris les Chinois, qui, désespérant de la confection de l’or, ont tourné toute leur attention et tous leurs efforts vers celle de l’argent, et s’en occupent avec une assiduité qui tient un peu de la folie. En effet, on conçoit, à la première vue, qu’il doit être plus difficile de composer l’or, celui de tous les métaux qui a le plus de poids et de matière propre sous un volume déterminé, que de faire de l’argent, par exemple, avec du plomb ou du mercure, deux métaux dont la pesanteur spécifique excède celle du dernier ; car alors il s’agiroit moins d’augmenter la densité de ces deux métaux, que de les rendre plus fixes. Mais, avant que de tourner nos vues de ce côté-là, comme nous avons actuellement pour objet les axiomes relatifs à la maturation en général, nous allons donner quelques principes d’où nous déduirons certains procédés tendant à mûrir aussi les métaux, mais en vue de les convertir tous d’une espèce en une autre, et quelques-uns en or. Car notre sentiment est que la route qui meneroit le plus directement à la confection de l’or, seroit la parfaite maturation, concoction ou digestion des métaux. Et ce qui nous a mis en partie sur la voie, ce sont les vues que nous a données certain Hollandois que nous avons connu, et qui, à force de se vanter devant un personnage distingué, d’avoir découvert le secret de la pierre philosophale, étoit parvenu à le lui faire accroire, et à vivre avec lui dans la plus intime familiarité. Ayant été souvent en tiers dans leurs entretiens sur ce sujet, j’entendois cet homme dire avec confiance : l’entreprise n’est rien moins qu’impossible ; mais si les alchymistes se consument en efforts impuissans et manquent toujours le but, c’est parce qu’ils emploient une chaleur trop forte : car la composition de l’or, ajoutoit-il, demande une chaleur modérée et entretenue à peu près au même degré ; la confection des métaux, pris généralement, étant une œuvre que la nature n’exécute que dans l’intérieur de la terre, lieu où la chaleur ne parvient qu’après avoir perdu presque toute sa force[18], et la confection de l’or exige une chaleur encore plus douce et plus réglée, que celle qui est nécessaire pour la formation des autres métaux. En conséquence, il se flattoit de parvenir à ce but à l’aide d’une grande lampe dont la chaleur seroit suffisamment tempérée et toujours la même ; enfin, que, moyennant cette condition, la confection de l’or serait l’affaire de quelques mois. L’idée de cette lampe a je ne sais quoi d’extravagant ; mais ce qu’il disoit de cette chaleur trop forte qui fait manquer l’opération, de la nécessité de la tempérer, et de l’entretenir toujours au même degré ; cette assertion, dis-je, n’est rien moins qu’une absurdité, et mérite de fixer l’attention.

Ainsi, revenons aux principes relatifs à la maturation et annoncés ci-dessus.

Le premier est qu’on ne doit employer qu’une chaleur tempérée, la seule qui puisse opérer une concoction ou digestion complète ; mais on ne doit la regarder comme tempérée, qu’autant qu’elle est appropriée et proportionnée à la nature du sujet ; car, tel degré de chaleur qui seroit suffisant pour les fruits ou les boissons, n’auroit pas assez d’action sur les métaux.

Le second est de renforcer, d’animer les esprits du métal, et de dilater les parties tangibles, d’agrandir leurs pores ; sans ces deux adminicules, quelque modification nouvelle qu’on puisse donner aux esprits métalliques, on ne pourra les mettre en état de digérer suffisamment ces parties.

Le troisième est de faire en sorte que les esprits se distribuent également à toutes les parties du métal, qu’ils aient une action uniforme, et ne se meuvent point comme par sauts ; l’effet de cette distribution et de cette action uniformes étant d’unir plus étroitement les parties tangibles, et de les rendre plus flexibles ; ce qui exige, non une chaleur variable, et tantôt plus forte, tantôt plus foible, mais une chaleur uniforme et constante.

Le quatrième est de ne laisser aucune issue par où les esprits puissent s’exhader et se dissiper ; l’effet de leur émission étant de rendre le métal plus dur et plus aigre. C’est un effet qu’on n’obtiendra qu’en soumettant le métal à l’action d’un feu modéré, et en le tenant dans des vaisseaux parfaitement clos.

Le cinquième est de n’opérer que sur les métaux les plus convenables et les mieux préparés pour la transmutation ; choix qui facilite encore cette opération.

Le sixième est de s’armer de patience, de faire durer l’opération autant qu’il est nécessaire, en un mot, de savoir attendre, non pour se bercer d’éternelles et chimériques espérances, en imitant la ridicule patience des alchymistes ; mais pour donner à la nature assez de champ, et lui accorder tout le temps dont elle a besoin, pour se développer.

C’est de ce petit nombre de principes très fondés ct très certains, qu’on doit tirer des lumières pour se diriger dans l’expérience que nous allons indiquer ; principes toutefois dont il est très permis de douter, et qui ne soutiendroient peut-être pas l’épreuve d’une méditation plus profonde.

328. Dans un fourneau de petites dimensions, entretenez un feu doux, égal et suffisant pour que le métal soit perpétuellement dans l’état de fusion, sans jamais passer ce degré ; condition essentielle à notre dessein. Quant à la matière, prenez une certaine quantité d’argent, celui de tous les métaux connus qui a le plus d’affinité avec l’or : ajoutez-y de mercure et de nitre (poids juste) ; deux substances qui serviront à renforcer les esprits et à dilater le métal, à agrandir ses pores. Soutenez l’opération durant six mois tout au moins. Je voudrois qu’on jetât aussi de temps en temps dans le creuset quelque substance huileuse, et de la nature de celles qu’on emploie ordinairement pour la réduction de l’or, lorsque, fatigué par des séparations réitérées, il est devenu aigre ; addition dont l’effet seroit d’unir plus étroitemenr les parties du métal, de rendre leur assemblage plus serré, et de leur donner plus de poli ; condition qui n’importe pas moins à notre but. Car on sait que l’or, qui est le plus pesant et le plus compact (le plus dense) de tous les métaux, est aussi le plus flexible et le plus ductile. Mais, quoique le mercure soit, après l’or, celui de tous les métaux qui a le plus de pesanteur spécifique, on ne doit pas se flatter de pouvoir faire de l’or avec ce seul métal, qui ne pourroit long-temps résister à la force pénétrante du feu. Le métal qui, après l’argent, nous paroît tenir le premier rang, c’est le cuivre, qui en approche fort par sa constitution naturelle et son aptitude relativement à notre but[19].

Observation sur la nature de l’or.

329. Les caractères distinctifs de l’or sont sa grande pesanteur spécifique, l’étroite union de ses parties, sa fixité, sa flexibilité ou sa ductilité ; la propriété qu’il a de n’être point sujet à la rouille ; enfin, sa couleur jaune. La voie la plus sûre, mais en même temps la plus longue et la plus difficile pour faire de l’or, ce seroit de chercher successivement les causes de ces différentes qualités ou propriétés que nous venons de dénombrer, et les axiomes qui s’y rapportent. Car, si l’on parvenoit à composer un métal qui eût toutes ces propriétés, on pourroit alors en toute sûreté laisser les hommes disputer pour savoir si ce seroit de l’or ou non[20].

Expériences et observations sur les causes ou moyens qui provoquent ou accélèrent la putréfaction.

La putréfaction et les causes ou moyens qui peuvent la provoquer ou l’accélérer, sont un sujet qui, par ses relations avec une infinité d’autres, ouvre à nos recherches le plus vaste champ ; sujet d’autant plus intéressant, que la corruption est symétriquement opposée à la génération dont elle est comme le pendant ; ces deux modes de la matière se succédant alternativement, sont, en quelque manière, les deux termes, les deux limites entre lesquelles se trouvent circonscrites toutes les opérations de la nature qui va et revient sans cesse de l’une à l’autre ; enfin, ce sont comme les deux guides (routes) qui conduisent, l’un, à la vie ; l’autre, à la mort.

330. La putréfaction d’un corps a pour cause l’action des esprits qui s’agitent dans son intérieur, et font effort pour s’échapper de leur prison, afin de s’agréger à l’air extérieur, et de jouir librement du soleil. Cet effort, par lequel ils tendent à se répandre dans la masse de l’air, et qui est un commencement d’émission, est susceptible de plus et de moins, et principalement de cinq degrés, qui se manifestent par cinq différentes espèces d’effets.

1°. Lorsque les esprits étant retenus dans un corps, ce mouvement qui les sollicite à s’en échapper, est très violent, son effet est la liquéfaction de ce corps ; et tel est le cas des métaux en fusion, etc.

2°. Mais lorsque ce mouvement est plus doux et plus régulier, il opère la maturation et la digestion des parties tangibles du composé ; tel est son effet dans les fruits et les boissons.

3°. Si les esprits n’étant pas entièrement retenus dans les limites du composé, tendent à se porter au-dehors avec une force médiocre, mais par un mouvement tumultueux, confus et irrégulier, le résultat de cette action est la putréfaction, dont l’effet propre et spécial est la dissolution ou décomposition irrégulière de l’assemblage ; nous en voyons des exemples dans les viandes ou les fruits qui se corrompent, ainsi que dans le bois pourri et lumineux, etc.

4°. Mais si ce mouvement a une certaine régularité, et se fait avec un certain ordre, alors la matière du composé se vivifie et prend des formes régulières, comme le prouve la génération spontanée de certains animaux dans les substances putrides et celle des animaux plus parfaits.

5°. Si ces esprits qui font effort pour s’échapper, trouvent le passage libre, l’effet de leur action est la dessiccation, le durcissement, la consomption, etc. ce dont on voit des exemples dans les briques, dans l’évaporation des liquides[21], etc.

331. Les différentes causes ou les différens moyens qui peuvent provoquer ou accélérer la putréfaction, se réduisent à peu près aux suivans. Le premier est l’addition d’un humor crud et aqueux ; témoin la prompte putréfaction de la viande, des fruits ou du bois, humectés d’eau ; les substances huileuses et onctueuses ayant, an contraire, la propriété de les conserver.

332. 2°. La putréfaction a encore lieu lorsqu’un corps déjà corrompu excite et invite, pour ainsi dire, un autre corps qui ne l’est pas, à se putréfier ; tel est le cas d’un fruit sain mis en contact avec un fruit déjà gâté ; et celui des substances auxquelles on mêle ou applique du fumier, qui a subi une complète putréfaction. Nous en voyons un exemple frappant dans les cimetières où l’on ensevelit journellement, et où la terre consume beaucoup plus vite les cadavres qu’on y dépose, que ne le feroit la terre pure.

353. La troisième cause est tout ce qui, en comprimant trop fortement les esprits, les resserre dans leur prison avec une violence qu’ils ne peuvent endurer ; ce qui les irrite et les détermine à faire de plus grands efforts pour s’échapper[22]. C’est un effet qu’on observe dans le bled et les vêtemens qu’on a tenus trop renfermés et qui ont contracté ainsi une mauvaise odeur. On en voit des exemples encore plus frappans dans les fièvres, dont la plupart ont pour causes des obstructions et le défaut de mouvemens des humeurs ; ce qui occasionne leur putréfaction[23].

334. La quatrième cause est la solution de continuité, comme on le voit par les pommes ou autres fruits de ce genre, qui, étant fendus, percés, etc. se gâtent plus vite ; il en est de même du bois ou de la chair d’un animal vivant qui est blessé dans quelque partie.

335. La cinquième est l’émission ou le mouvement inégal, tumultueux et irrégulier des esprits, qui, dans un corps, sont le vrai lien de l’assemblage, et comme l’ancre qui le maintient[24]. Car, sitôt que cette espèce de régime qui maintient ensemble toutes les parties d’un composé, est dissous ; chaque partie alors n’obéissant plus qu’à sa propre tendance, court s’agréger à ses homogènes. C’est ainsi qu’on voit le sang ou l’urine se dissoudre et se décomposer en se refroidissant ; genre de décomposition dont on voit aussi un exemple dans la gangrène et la mortification des chairs occasionnée par les opiates ou par un froid excessif. Telle est encore l’idée que je me forme de la peste, maladie où la violente agitation des esprits occasionnée par la malignité de la vapeur contagieuse, les déterminant, pour ainsi dire, à secouer le joug, les humeurs alors, ainsi que la chair et les esprits secondaires, moins ténus et moins actifs, se décomposent et font schisme[25]. C’est une espèce d’anarchie.

336. La sixième cause est celle qui agit lorsqu’un esprit étranger, plus fort et plus actif que l’esprit domestique du composé, s’y insinue ; tel est le cas de la morsure d’un serpent. La raison générale de ce phénomène est que toute substance vénéneuse occasionne une tumeur qui peut aussi avoir pour cause l’action expansive des esprits, lorsqu’ils se portent en trop grande quantité ou avec trop de force dans une partie, ce dont nous voyons un exemple dans l’enflure occasionnée par une blessure, une contusion, etc, ou encore leur excessive condensation, comme le prouve ce genre d’enflure qui est occasionné par un froid excessif. Telle est encore l’action des esprits engendrés accidentellement par cette putréfaction qui a lieu dans les fièvres ; esprits qui, bien que nés dans de corps même, ne laissant pas d’y être vraiment étrangers, éteignent et suffoquent les esprits naturels et la chaleur.

337. La septième cause est un degré de chaleur qui, étant trop foible pour imprimer aux esprits un mouvement suffisant, ne peut en conséquence ni digérer les parties tangibles, ni déterminer ces esprits à se porter au dehors. C’est cette cause qui, dans un lieu trop chaud, agit sur la viande et en accélère la putréfaction ; au lieu qu’elle se conserve assez long-temps dans un garde-manger frais et humide, Il est également certain que la génération (dont la putréfaction est comme la sœur bâtarde) est l’effet d’une chaleur douce et paisible, comme le prouvent assez l’effet de cette chaleur artificielle, qu’on emploie quelquefois pour faire éclore des œufs, et celui de la chaleur naturelle de la matrice, etc.

338. La huitième cause est tout ce qui peut, en relâchant l’assemblage d’un composé, provoquer ainsi la dilatation ou l’expansion des esprits, qui auparavant étant resserrés, comprimés et retenus dans l’intérieur, par la trop grande solidité de l’enveloppe, faisoient de vains efforts pour s’échapper. Telle est la cause de cette rouille artificielle que produisent les eaux fortes (les acides, minéraux, végétaux et animaux) sur le fer, le plomb, etc. Aussi voit-on qu’il suffit d’humecter une substance quelconque, pour en provoquer ou en accélérer la rouille ou la putréfaction ; l’effet de cette humidité étant d’amollir l’enveloppe ou la croûte de ce corps, et de donner une issue aux esprits qui font effort pour s’échapper.

339. La neuvième cause est la succession alternative du chaud et du froid, de la sécheresse et de l’humidité ; vicissitude dont l’effet, comme l’on sait, est de rendre la terre plus friable, plus meuble, et de la résoudre en parties très fines et très déliées ; ce qu’on observe sur-tout au printemps, lorsqu’après de grandes gelées, le soleil commence à prendre de la force. Il en est de même du bois qui se putréfie plus promptement lorsqu’il est alternativement sec et humide.

340. La dixième cause enfin, est le temps et l’action des esprits mêmes qui ne peuvent se tenir en repos et demeurer à leur poste ; sur-tout lorsqu’étant, pour ainsi dire, abandonnés à eux-mêmes, ils ne sont éveillés, ranimés par aucune agitation, aucun mouvement local. C’est ce qu’on observe dans le bled quand on n’a pas soin de le remuer, et dans les individus qui ne font pas assez d’exercice[26].

341. Toute moisissure n’est qu’un commencement, qu’une ébauche de putréfaction[27] ; et de cette nature est celle qui se forme sur les pâtés, les oranges, les citrons, etc. et qui à la longue se change en vers, ou subit un genre de putréfaction encore plus dégoûtant, et qui ordinairement exhale une odeur très fétide. Mais, si le corps dont il s’agit est liquide, et de nature à ne pas se putréfier dans sa totalité, alors il pousse à sa surface, ou dépose une substance crasse et féculente ; comme on en peut juger par cette substance verte dont se couvrent les eaux croupissantes, et par le sédiment des eaux distillées.

342. La mousse peut être regardée comme la moisissure de la terre et des arbres sur lesquels elle se forme, ou même encore comme un commencement, une ébauche de germination ; et d’après cette idée, nous la classerons parmi les substances végétales.

Expériences et observations sur les moyens de prévenir, d’arrêter ou de ralentir la putréfaction.

Une recherche vraiment utile, c’est celle qui a pour objet les causes qui peuvent prévenir, arrêter ou retarder la putréfaction ; car c’est de cette source même qu’on doit tirer les moyens de conserver les corps qui sont susceptibles de deux genres de dissolution dont l’un est la dessiccation extrême, ou la consomption et l’autre la putréfaction. Quant à ce genre de putréfaction auquel le corps humain, ou ceux des autres animaux, sont sujets, et qui se manifeste par les fièvres, les vers, les pulmonies ou phthisies, les apostumes, les ulcères, etc. tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, ce sujet fait une grande partie de la médecine et de la chirurgie. Ainsi, renvoyant toutes les expériences et les observations de ce genre, au traité qui aura pour objet spécial toutes celles qui se rapportent à la médecine, nous nous contenterons, pour le moment, de traiter des autres genres de putréfaction ; exposé sur lequel répandront un grand jour toutes ces indications que nous venons de donner dans l’article précédent, en dénombrant et spécifiant toutes les causes qui peuvent provoquer ou accélérer la putréfaction. Car ôter toutes les causes qui peuvent provoquer ou accélérer la putréfaction, n’est-ce pas prévenir, arrêter ou retarder la putréfaction ?

343. Le premier de ces moyens dont il s’agit, c’est le froid. On sait, par exemple, que les alimens tant solides que liquides, se putréfient ou s’aigrissent moins vite durant l’hiver que durant l’été. On sait aussi que les fruits et les fleurs, gardés dans des glacières, conservent assez long-temps leur fraîcheur, leur couleur, leur odeur, leur saveur, etc. l’effet du froid, qui contracte ces corps et rapproche leurs parties tangibles, étant de retenir les esprits dans leur intérieur, et d’en empêcher l’émission[28].

344. La seconde cause est l’astriction ; car la dissolution et l’astriction dépendant de deux mouvemens diamétralement opposés, il est clair que la dernière doit être un obstacle à la première[29]. Aussi voit-on que les médicamens connus sous le nom d’astringens, sont éminemment anti-putrides, et c’est en vertu d’une semblable propriété, qu’une petite quantité d’huile de vitriol (d’acide vitriolique) suffit pour prévenir ou retarder assez long-temps la putréfaction de l’eau,

345. Le troisième moyen est tantôt l’exclusion, tantôt l’admission de l’air extérieur ; ces deux causes, quoique de nature opposée, ne laissant pas d’avoir quelquefois les mêmes effets, qui varient à raison de la nature et de la disposition du sujet soumis à leur action. Par exemple, le vin et la bière, gardés dans des bouteilles bien bouchées, se conservent quelquefois pendant plusieurs années ; et le bled gardé dans un souterrein profond, s’y conserve mieux que dans une grange ou un grenier. En vertu de la même cause des fruits enduits de cire ne perdent que très lentement leur fraîcheur et leur goût ; ceux qu’on tient plongés dans du miel on dans la farine, se conservent également bien ; et il en est de même des boissons des liqueurs et des sucs de différente espèce, sur lesquels on répand un peu d’huile. Au contraire, lorsqu’on n’a pas soin de mettre à l’air les vêtemens, les teignes s’y engendrent, et ils contractent une odeur de moisi ou de renfermé. La raison de ces deux effets si opposés d’une même cause est que l’exclusion de l’air, lorsqu’il est besoin de retenir les esprits dans l’intérieur des corps contribue à leur conservation, et tel est le cas du bled et des boissons ; au lieu que, dans tous les cas où l’émission des esprits est nécessaire pour expulser toute l’humidité superflue (tout l’humor surabondant), l’exclusion de l’air devient nuisible et les corps qui se rapportent à cette classe, ne se conservent qu’autant qu’on les expose de temps en temps à l’action de ce fluide.

346. Le mouvement, l’agitation est un obstacle à la putréfaction qui exige du repos ; et comme ce mouvement subtil et imperceptible qui en est la cause efficiente, est troublé par l’agitation, il s’ensuit, par la raison des contraires, que le mouvement local doit être un moyen pour conserver les corps et les préserver de la putréfaction. On voit, par exemple, que le bled se conserve très bien dans les greniers où on le remue fréquemment, ainsi que dans ceux où on le fait couler, par une espèce de trémie, de l’étage supérieur à l’étage inférieur ; ce qui le garantit des inconvéniens auxquels il est sujet, tant que la substance douce qui en fait partie est susceptible de fermentation. On sait de plus que les eaux coulantes ne sont point sujettes à la putréfaction, dont les fréquens exercices préservent aussi le corps humain ; au lieu que le repos, le défaut de mouvement et les obstructions, genre d’obstacles qui arrêtent le cours des humeurs et le mouvement de la perspiration, provoquent la putréfaction.

347. La cinquième cause est l’évaporation ou l’extraction de cette partie de l’humor d’un composé, qui est venue du dehors et lui est comme étrangère ; car, puisque l’humidité accélère la putréfaction, il s’ensuit naturellement qu’une dessiccation, convenable et suffisante, (c’est-à-dire, qui ne va pas jusqu’à enlever au composé son humor le plus radical[30]), doit la prévenir ou la retarder. C’est ce dont on voit encore un exemple dans les plantes herbacées, ou les fleurs qui, lorsqu’on les dessèche lentement à l’ombre, ou par une insolation de courte durée, se conservent assez long-temps ; car l’émission de cet humor étranger et foiblement adhérent détermine au dehors la partie la moins parfaitement combinée de l’humor radical qu’il entraîne après lui ; puis ces deux espèces d’humor s’exhalent ensemble.

348. 6°. Tout ce qui peut animer les esprits et renforcer leur action. Car, de même qu’une chaleur forte met les corps en état de résister aux causes de putréfaction, et qu’au contraire une chaleur foible les en rend plus susceptibles, des esprits vigoureux les en préservent aussi ; au lieu que des esprits sans force et sans activité les rendent plus putrescibles. On sait, par exemple, que l’eau salée se corrompt moins vite que l’eau douce ; et que des huîtres saupoudrées de sel, ou des viandes et autres alimens saupoudrés de substances aromatiques, se conservent assez long-temps. Il seroit bon de faire quelques expériences dans ce même esprit ; par exemple, de mettre de la chaux dans l’eau, ou dans toute autre liqueur potable, afin de savoir si elle suffiroit pour l’empêcher de se corrompre ou de s’aigrir. La bière forte, comme on sait, se soutient beaucoup mieux que la petite bière ; et toute substance aromatique contribue sensiblement à la conservation des liqueurs et d’autres substances en poudre, soit en donnant à leurs esprits plus de force et d’activité, soit en s’imbibant de l’humor superflu et peu adhérent, qu’elle enlève aux corps par ce moyen.

349. Le septième moyen est l’extraction des parties les plus crues et les plus aqueuses du composé ; ce qui le rend plus égal dans toute sa substance, et plus homogène. Car tout composé dont les parties sont dans un état de combinaison imparfaite, est plus disposé à la putréfaction et l’on voit aussi que les substances aqueuses sont plus putrescibles que les substances huileuses. Par exemple, les eaux distillées se conservent mieux que les eaux crues ; et en général, les matières qui ont été soumises à l’action du feu, se conservent aussi plus long-temps que les autres tels sont, par exemple les poires, les figues, les raisins, etc. desséchés par le moyen du feu.

350. Le huitième moyen est d’enlever à mesure la partie qui commence à se corrompre, et qui n’est autre chose qu’un humor aqueux et non combiné. Or, ce qui rend cette extraction nécessaire, ce n’est pas seulement la raison exposée ci-dessus ; savoir : que cet humor étranger et surabondant, à mesure qu’il se dissipe, tire au dehors l’humor foiblement adhérent et l’emporte avec soi ; c’est encore parce que, si on laisse dans le composé cet humor superflu, il communique à toutes ses parties la qualité putride de celle qu’il occupe, et de proche en proche infecte le tout. Telle est la raison du procédé qu’on suit ordinairement en embaumant un cadavre[31]. Et c’est aussi en vertu de la même cause, que les fruits, les plantes herbacées et les fleurs, se conservent assez bien dans du son ou de la farine.

351. Le neuvième moyen est le mélange d’une substance huileuse ou sucrée avec celle qu’on veut conserver ; car les substances de ces deux espèces ne sont pas très disposées à la putréfaction, l’air ayant peu de prise sur elles ; et comme elles ne se putréfient pas aisément, en communiquant cette propriété ou disposition à celles auxquelles elles se trouvent mêlées elles les conservent en se conservant elles-mêmes ; aussi voit-on que les sirops et les onguens se conservent plus long-temps que les sucs naturels.

352. Le dixième moyen est l’addition et le mélange de quelque substance sèche aux corps à conserver. Car la putréfaction commence par les esprits, puis elle attaque les liquides, mais elle n’a point de prise sur les substances sèches. C’est par cette raison que les jambons, les langues, le bœuf, et en général toute espèce de viandes fumées ou boucanées sont plus de garde.

353. Si nous devons en croire les anciens, les corps se conservent beaucoup mieux dans un air libre et exposé au vent, que dans toute autre espèce d’air. Ce qui nous paroît d’autant plus vraisemblable, que, si cet air qui est exposé au vent est surchargé et comprimé par ce moyen, au lieu de se pénétrer de la substance qui s’exhale, il doit plutôt la repousser vers le corps. Pour vérifier cette conjecture, par notre propre expérience, nous avons mis un morceau de viande et une fleur dans une vessie enflée à l’aide du souffle ; mais sans succès : ce qui n’est pas étonnant, car une vessie sèche ne s’enfle pas bien, et une vessie humide provoque la putréfaction. Ainsi, il faudroit tenter cette expérience d’une autre manière par exemple, condenser l’air à l’aide d’un soufflet, dans un tonneau, ou dans tout autre vaisseau où l’on auroit mis auparavant les corps qu’on voudroit conserver puis au moment où l’on retireroit le soufflet, boucher aussi-tôt le trou auquel on l’auroit ajusté[32].

Expériences et observations sur le bois pourri et lumineux.

354. Nous n’avons épargné ni temps ni soins pour faire des expériences et des observations exactes sur le bois pourri et lumineux, qui devoit d’autant plus fixer notre attention, que de toutes les substances lumineuses qui se trouvent à notre portée, c’est celle dont la lumière a le plus de durée, et est accompagnée du mouvement le moins sensible : la flamme et le feu se dissipent continuellement ; le sucre ne luit qu’au moment où on le râpe ; l’eau de mer n’est lumineuse qu’à l’instant où elle est choquée ; les vers-luisans ne brillent qu’autant qu’ils sont vivans, ou du moins leur lumière ne subsiste que très peu de temps après leur mort ; enfin, les écailles de poisson ne deviennent lumineuses que lorsqu’elles se putréfient ; en quoi elles paroissent avoir quelque affinité avec ce bois dont nous parlons ; et il est hors de doute que la putréfaction dépend d’un mouvement intestin, ainsi que le feu et la lumière. Quant au bois pourri, tels furent les résultats de nos expériences et de nos observations sur cette substance :

1°. L’intensité de la lumière n’étoit pas la même dans toutes les parties lumineuses de ce bois ; elle étoit plus vive dans les unes, et plus pâle dans les autres ; mais, quelque vive qu’elle puisse être, elle a toujours beaucoup moins d’éclat[33] que celle d’un ver-luisant.

2°. Les bois susceptibles de devenir lumineux lorsqu’ils se putréfient, sont le saule, le frêne, le coudrier, etc. mais il se peut que d’autres espèces de bois aient la même propriété.

3°. Les racines, la tige et les branches indistinctement ont cette propriété de luire ; mais les racines l’ont à un plus haut degré.

4°. Si l’on considère, durant le jour, les parties de ce bois qui luisent dans les ténèbres, les unes paroissent blanchâtres ; les autres, rougeâtres.

5°. Telles de ces parties lumineuses sont molles et même un peu moites, les autres sont plus solides et plus dures ; ainsi l’on pourroit donner à ces dernières telle figure qu’on voudroit ; par exemple, en faire des croix, des grains de chapelet, etc. Cependant quelque figure qu’on puisse donner à ce bois, dès qu’il paroîtra lumineux, cette figure cessera d’être distincte ; ses contours seront mal terminés, et elle paroîtra aussi vague que celles qui se trouvent sur un chenet ou tout autre morceau de fer, le paroissent lorsqu’il est chauffé jusqu’au rouge ; les limites de la lumière et de l’ombre qui doivent être distinctes pour marquer le contour et les différens traits, devenant alors très confuses[34].

6°. Nous retranchâmes d’un morceau de ce bois toute sa partie lumineuse, la section se terminant bien précisément à l’endroit où il cessoit de luire ; mais ensuite la partie voisine de celle qui étoit lumineuse, ayant été exposée au grand air et à la rosée, le devint aussi ; ce qui porteroit à croire que la putréfaction avoit gagné de proche en proche, et s’étoit communiquée peu à peu aux parties restantes de ce bois.

7°. Un autre morceau de bois mort de même espèce, qui d’abord ne luisoit point quoiqu’il eût déjà été exposé au grand air, ayant été mis à l’air de nouveau pendant une seule nuit, devint lumineux.

8°. Un autre morceau de bois pourri, qui étoit d’abord lumineux, mais que nous avions tenu pendant cinq où six jours dans l’intérieur de la maison, et qui commençoit à se dessécher, avoit perdu sa propriété de luire ; mais, exposé ensuite une seconde fois au grand air, il la recouvra[35].

9°. Des morceaux de ce bois, que nous avions tenus pendant sept jours dans un lieu sec, avoient aussi perdu la propriété de luire, D’autres qui étoient restés pendant le même temps dans une cave ou autre lieu obscur[36], la conservèrent.

10°. Si, après avoir fait plusieurs trous à un morceau de bois de cette espèce, on l’expose à l’air pendant quelque temps, il acquiert plutôt cette propriété dont nous parlons ; ce qu’on peut expliquer en disant que cette plus grande aptitude à devenir lumineux est l’effet de la solution de continuité qui provoque ou accélère la putréfaction, comme nous l’avons observé dans les articles précédens.

11°. Tant que ce bois est vif et végète, les morceaux qu’on en tire ne deviennent point lumineux ; et le seul qui le devienne, c’est celui qui est mort sur pied.

12°. Un morceau de ce bois déja lumineux ayant été humecté d’huile, conserva sa propriété pendant une quinzaine de jours.

13°. Ayant fait macérer dans de l’eau d’autres morceaux du même bois, nous eûmes le même résultat que par le moyen précédent, et même un résultat plus sensible et plus marqué.

14°. Mais pendant combien de temps un morceau de ce bois, exposé au grand air durant la nuit, puis tenu dans l’intérieur de la maison, et arrosé d’eau durant le jour, conserveroit-il la propriété dont nous parlons ? C’est une question à laquelle nous ne pouvons faire une réponse satisfaisante, n’ayant pas poussé assez loin nos expériences et nos observations sur cette substance.

15°. Mais nous nous sommes assurés par nous-mêmes que, si l’on expose à l’air pendant une forte gelée, un morceau de cette même espèce de bois, sa lumière ne souffre aucun déchet.

16°, Nous avions un morceau du même bois assez gros et tiré d’une racine ; nous en retranchâmes toute la partie lumineuse ; puis, ayant tenu le reste dans un lieu sec, pendant deux nuits seulement, nous trouvâmes qu’il étoit devenu lumineux[37].

Observation sur les accouchemens avant terme.

355. Les accouchemens avant terme peuvent avoir deux espèces de causes ; 1°. toutes celles qui font parvenir plutôt l’embryon au point de parfaite maturité ; 2°. toute cause qui, en agissant dans le corps de la mère, peut provoquer l’expulsion du fœtus et la chute du fruit. Le premier genre d’accélération est avantageux ; c’est un signe de la bonne constitution et de la force du fœtus. Il n’en est pas de même du second, qu’on doit regarder comme un symptôme fâcheux, ayant pour cause quelque maladie ou infirmité. Ainsi on peut faire fonds sur cette règle des anciens : Que l’enfant qui vient au terme de sept mois peut vivre ; mais que celui qui vient au terme de huit : meurt ordinairement. Nous pouvons adopter le fait, en rejetant leur explication, qui nous paroît imaginaire et fabuleuse : car, selon eux, la raison de cette différence est, que le septième mois est celui de saturne, planète maligne ; au lieu que le huitième est celui où règne la lune, planète bénigne. Une explication un peu mieux fondée, ce seroit la suivante : un accouchement très anticipé annonce la vigueur du fœtus ; et un accouchenent qui l’est moins, annonce la foiblesse de la mère[38].

Expériences et observations sur l’accroissement des animaux en général, et principalement sur celui de la stature dans notre espèce.

356. L’accélération de l’accroissement, et sur-tout de celui de la stature, dépend de différentes causes ; savoir : 1°. d’une nourriture plus abondante ; 2°. de la qualité des alimens ; 3. de tout ce qui peut exciter et renforcer la chaleur naturelle.

Quant à la première cause, l’excès dans la quantité des alimens nuit beaucoup à l’accroissement des enfans, sur tout à celui de la stature ; et il les rend seulement plus corpulens ; son effet le plus ordinaire étant de distendre le corps, et de l’étendre plus en largeur et en épaisseur qu’en hauteur. C’est ce dont nous voyons une image dans les plantes mêmes ; car l’on sait que, si un arbre ou arbrisseau encore jeune s’étend beaucoup latéralement, il monte peu et se couronne de bonne heure.

Quant à la qualité des alimens, ils ne doivent pas être de nature trop sèche (trop dessiccative). Par exemple : les enfans nourris principalement de lait, dans les pays où l’on fait grand usage de ce genre d’aliment, grandissent plus vite, et parviennent à une plus haute taille[39], que ceux qu’on a nourris presque uniquement de pain et de viande. De plus, suivant une opinion populaire, pour avoir des chiens de très petite taille, il suffit de les nourrir de lait où l’on ait fait bouillir des racines de marguerite, plante éminemment dessiccative. Quoi qu’il en soit, il est hors de doute que les alimens de nature trop sèche retardent l’accroissement des enfans, et principalement celui de leur stature. Il faut aussi que les substances alimentaires soient apéritives ; ce qui détermine les esprits à se porter et à agir avec plus de force de bas en haut, etc. Ce n’est pas sans fondement que Xénophon, parlant de l’éducation des Perses, recommande si fort l’usage du cresson alénois (qui, avec le pain et l’eau pure, étoit la principale nourriture de leurs enfans), et lui attribue la propriété d’accélérer l’accroissement du corps, en le rendant plus svelte et plus agile. Cette plante n’est autre que le nasturtium des Latins : lorsqu’elle est encore tendre, elle est en effet très salutaire et d’une saveur très agréable. Quant à la chaleur naturelle, les vrais moyens de l’exciter et de l’augmenter, ce sont les fréquens exercices, une vie active et même un peu dure, Ainsi, cette vie sédentaire qu’on fait mener aux enfans des villes, dans les écoles où on les envoie de si bonne heure, nuit à leur accroissement ; ceux de la campagne auxquels on n’a point fait faire de telles études, étant ordinairement d’une stature plus haute. Il faut aussi avoir attention de ne pas nourrir les enfans de substances de nature froide. Par exemple, si on les allaite trop long-temps, une telle nourriture les rend moins ingénieux et les empêche de grandir[40]. On s’est même assuré par l’expérience, que de jeunes chiens nourris de lait où l’on a fait dissoudre du nitre, ne croissent presque point, mais qu’ils sont plus vivaces ; ce qui est d’autant moins étonnant, que les esprits du nitre sont froids par eux-mêmes ou refroidissans ; et quoique cette substance, lorsqu’on n’en fait usage que dans l’âge mûr, puisse contribuer beaucoup à la prolongation de la vie, elle ne laisse pas d’être nuisible aux enfans ou aux animaux fort jeunes, et d’arrêter ou de retarder leur accroissement ; toujours par la même raison, parce que c’est la chaleur qui est la principale cause de cet accroissement ; mais lorsque l’homme est parvenu à cet âge moyen où il cesse de croître, et où la chaleur raréfie et consume trop les esprits vitaux, le nitre, dont les esprits sont froids, et qui a la propriété de condenser, peut, en balançant l’effet de la chaleur, y remédier en partie.

Observations sur le soufre et le mercure, deux des principes de Paracelse.

Les différentes espèces de corps paroissent se diviser en deux grandes familles ou classes, que nous pouvons distinguer par différentes dénominations, comme celles de sulfureuses et de mercurielles (première dénomination qu’emploient les chymistes pour les caractériser ; car le sel, qui est leur troisième principe, n’est au fond qu’un composé des deux premiers), ou par celles d’inflammables et de non inflammables, de mûres et de crues, d’huileuses et d’aqueuses. En effet, il n’est pas douteux que, parmi les corps renfermés dans le sein de la terre, le soufre et le mercure ne soient comme les chefs de leurs familles ou tribus respectives. Dans les végétaux et les corps animés, l’huile et l’eau jouent le même rôle ; dans l’ordre inférieur des substances pneumatiques, celles qui correspondent à ces deux principes, sont l’air et l’eau ; enfin, leurs analogues, dans l’ordre supérieur, sont la substance même des étoiles et le pur éther qui remplit ces intervalles immenses qu’elles laissent entr’elles. En effet, quoique les deux substances de chacun de ces couples, par les qualités de leurs élémens primitifs, diffèrent beaucoup de celles des autres couples, elles ne laissent pas d’avoir avec elles beaucoup d’analogie, sur-tout par rapport à leur destination. Car, de même que le soufre et le mercure sont les deux principes élémentaires des métaux, l’eau et l’huile sont aussi les deux principaux élémens des animaux et des végétaux, et semblent ne différer l’une de l’autre que par leur degré de maturation et de concoction[41]. La flamme, suivant l’opinion commune, n’est qu’un air allumé ; en effet, ces deux substances sont très analogues par leur mobilité et leur facilité à céder aux moindres impulsions : enfin, cet éther qui remplit l’espace que laissent entr’elles les étoiles (quoiqu’on doive rejeter l’opinion de ceux qui prétendent que chaque étoile n’est que la partie la plus dense de son orbe), ne laisse pas d’avoir avec ces astres cela de commun, qu’il a aussi un mouvement de circulation, sans compter beaucoup d’autres analogies. Ainsi, celui qui auroit découvert le moyen de convertir l’eau ou l’humor aqueux en huile ou en humor huileux, pourroit se flatter d’avoir pénétré dans un des plus profonds et des plus importans secrets de la nature ; secret qui seroit pour nous d’une toute autre utilité que celui de la conversion de l’argent où du mercure en or.

357. Les exemples qu’on peut donner de la conversion de la substance crue ou aqueuse, en substance grasse ou huileuse, sont de quatre espèces.

La première est le mélange de la terre et de l’eau, qui, étant combinées ensemble par l’action du soleil acquièrent ainsi une onctuosité nitreuse[42], beaucoup plus grande que celle qu’elles auroient séparément, comme le prouve la propriété qu’elles ont, lorsqu’elles sont ainsi combinées ensemble, de produire des plantes qui se nourrissent des sucs de ces deux espèces, tempérés l’un par l’autre.

L’exemple de la seconde espèce est l’assimilation de la substance alimentaire, dans les plantes et dans les corps animés. Car, en premier lieu, les plantes convertissent l’eau et la terre pures en une assez grande quantité de substance huileuse : et les animaux, quoique la plus grande partie de leur chair et de leur substance grasse soit tirée d’alimens de nature huileuse, tels que le pain et la viande, ne laissent pas de s’assimiler aussi une certaine portion de l’eau pure qu’ils boivent. Mais ces deux moyens de conversion, de la substance aqueuse en substance huileuse, je veux dire, la combinaison et l’assimilation, produisent leurs effets à l’aide d’un appareil très compliqué de couloirs et de lentes filtrations dans une infinité de canaux déliés et tortueux, par la longue durée d’une chaleur douce et presque uniforme ; enfin, à force de temps.

L’exemple de la troisième espèce, c’est un commencement, une ébauche de putréfaction ; comme on le voit par les eaux croupies et par les fèces des eaux distillées ; deux sortes de substances qui ont je ne sais quoi d’huileux et d’onctueux.

L’exemple de la quatrième espèce, c’est l’édulcoration de certains métaux ; tels que le sucre de saturne, etc.

358. La conversion de l’eau en une substance de nature plus analogue à celle de l’huile, s’opère par voie de digestion ; car l’huile n’est presque autre chose que de l’eau digérée, et cette digestion est opérée par la chaleur, qui peut être ou extérieure ou intérieure ; cependant elle pourroit être l’effet d’une simple provocation ou cacitation occasionnée par l’addition et la combinaison d’une substance déjà huileuse et digérée ; car alors celle-ci communiqueroit un peu de sa nature à celles avec lesquelles on la combineroit. La digestion s’opère aussi très complètement par l’assimilation directe des substances crues aux substances déjà digérées ; comme dans les animaux, dont les alimens sont des substances beaucoup plus crues que les corps mêmes à nourrir. Mais, comme nous l’avons dit, ce mode de digestion est une opération fort longue et fort compliquée. Au reste, la nature de ces deux principes dont nous parlons, leur mode d’action, et les différentes voies par lesquelles ils peuvent se combiner, étant un sujet très difficile à éclaircir, et un des plus profonds mystères de la nature, on ne doit pas exiger que nous traitions à fond une telle matière dans cet article, où nous ne pouvons et ne devons en donner qu’une idée ; nous réservant à l’approfondir davantage dans le chapitre qui aura pour objet direct et spécial la conversion des corps ; et nous y reviendrons aussi dans celui où nous traiterons des premières compositions ou combinaisons de la matière, qui, semblables à une assemblée d’États généraux[43], donnent des loix à tous les corps de l’univers.

Observations sur le caméléon.

359. Le caméléon est à peu près de la grandeur d’un lézard ordinaire (d’Europe) : sa tête est tout-à-fait disproportionnée : il a de très grands yeux : il ne peut tourner la tête, sans tourner en même temps une partie du corps, son cou étant inflexible comme celui du porc : il a le dos recourbé : sa peau est tachetée et semée de tubercules, moins prominentes sous le ventre et dans la région voisine : il a la queue très longue et très menue : chaque patte est divisée en cinq parties qui ressemblent à des doigts ; savoir : trois en dehors, et deux en dedans : sa langue, qui est d’une longueur excessive, a vers son extrémité une petite cavité ; il la darde fort loin, pour prendre des mouches. La couleur de cet animal est d’un verd tirant sur le jaune (le ventre et les parties voisines étant d’une couleur plus blanche et plus éclatante) ; couleurs pourtant qui sont interrompues par des taches bleues, ronges, etc. Lorsqu’on le met sur un corps de couleur verte, il paroît verd, tontes ses autres couleurs disparoissont aussi-tôt ; mis sur un corps jaune, il devient jaune ; mais, si on le met sur un corps bleu, rouge ou blanc, sa couleur naturelle subsiste, elle devient seulement d’un verd plus vif et plus éclatant. Mis sur un corps noir, il paroît d’un noir vague et semé de taches vertes. L’air n’est pas son unique aliment, comme on le croit communément, mais seulement le principal ; et il se nourrit aussi de mouches, comme nous le disions plus haut, Cependant des observateurs assez attentifs, qui ont gardé pendant une année entière des animaux de cette espèce, ne les ont jamais vu avaler autre chose que de l’air, Il est bon d’observer en passant, qu’au moment où ils avalent cet air, leur ventre s’enfle, et leurs mâchoires se ferment ensuite : ils ne les ouvrent ordinairement que lorsqu’ils se tournent vers le soleil. Une tradition tirée du répertoire de la magie, et qui mérite peu qu’on s’y arrête, nous dit qu’on peut, en brûlant un caméléon sur le-toit d’un édifice ; exciter des orages ; ce qui n’est qu’une conséquence de certaines opinions sur les sympathies ; conséquence aussi imaginaire que les principes dont on la déduit : cet animal, disent-ils, ne vivant que d’air, il est évident qu’il doit avoir la plus grande influence sur l’atmosphère, et par conséquent la faculté d’y occasionner des plus violentes agitations.

Observation sur les feux souterrains.

360. Au rapport d’un ancien auteur, dans certains cantons de la Médie, on voit des flammes s’élancer du sein de la terre, même dans les plaines ; mais des flammes claires, pures, et non accompagnées d’une éruption de fumée, de cendres, de pierre ponce ou de lave, comme celles qui paroissent dans les éruptions volcaniques. La raison manifeste de cette différence est, que les flammes qui s’élancent du sol de ces plaines, ne sont point d’abord comprimées, ni en partie étouffées, comme elles le sont dans l’intérieur des montagnes connues sous le nom de volcans ; ou dans les tremblemens de terre accompagnés d’éruptions de flammes. Il y a aussi des feux obscurs qui couvent, pour ainsi dire, sous les roches, et qui ne produisent aucune flamme spontanée ; mais, si l’on verse de l’huile sur la terre qui est au-dessus, la flamme paroît aussi-tôt. On peut conjecturer que, dans ce dernier cas, le feu est trop étouffé et trop foible pour soulever les rochers ; c’est plutôt une chaleur qu’une flamme ; chaleur toutefois suffisante pour enflammer l’huile.

Observation sur le nitre.

361. D’autres relations nous apprennent que l’eau de certains lacs ou étangs est tellement chargée de nitre, que si on y tient plongés pendant quelque temps du linge ou des vêtemens sales, ils s’y blanchissent d’eux-mêmes et sans autre préparation ; mais que s’ils y restent trop long-temps, ils se réduisent en cendres. Cette qualité détersive du nitre mérite d’autant plus de fixer l’attention, que cette substance est de nature très froide ; car l’on sait que l’eau froide est moins détersive que l’eau chaude : mais la véritable cause de cette propriété du nitre, c’est la ténuité de ses esprits qui divisent et détachent des corps sur lesquels ils agissent, toutes les saletés et les matières visqueuses qui s’y étoient attachées.

Observation sur la congélation de l’air.

362. Prenez la plus grande vessie que vous pourrez trouver ; et après l’avoir remplie d’air, à l’aide de votre souffle, liez-en étroitement le cou avec un fil de soie ciré ; et pour la fermer encore plus exactement, mettez-y une espèce de bouchon de cire que vous appuierez avec force : par ce moyen, lorsque le cou de cette vessie se sera desséché, l’air ne pourra y entrer, ni en sortir. Puis vous l’enfouirez à la profondeur de trois ou quatre pieds, et la déposerez dans un trou creusé auparavant en forme de voûte ; ou bien encore vous la mettrez dans une glacière, après avoir fait dans la neige un trou suffisant pour la loger, et laissé tout autour un espace vuide. Enfin, après l’y avoir laissée pendant une quinzaine de jours, voyez ensuite si elle s’est désenflée et est devenue flasque. Car, si cet effet a lieu, vous pourrez en conclure que l’air y aura été condensé par le froid ambiant de la terre ou de la neige, et qu’il sera devenu d’une nature un peu plus analogue à celle de l’eau. Un tel résultat, s’il avoit lieu, mériteroit de fixer l’attention, comme pouvant mener à une infinité de conséquences importantes[44].

Expériences et observations sur la conversion de l’eau en crystal, par le moyen de la congélation.

363. Des relations dignes de foi nous apprennent que, dans certaines grottes très profondes, on trouve des morceaux de crystal qui demeurent suspendus à la voûte où se forment aussi des espèces de gouttières d’où tombent de petits morceaux d’une substance qui paroît n’être qu’une sorte de crystal ébauché. On ajoute que, dans d’autres grottes, mais plus rarement, l’eau qui se transforme ainsi venant des terres qui sont au-dessous, ces morceaux de crystal s’élèvent plus ou moins au-dessus du sol auquel ils demeurent adhérens. Quoiqu’on ne voie ici, au premier coup-d’œil, que le simple-effet du froid, il se pourroit néanmoins que cette eau, en se filtrant ainsi à travers les terres, y contractât, par ce moyen, une qualité plus glutineuse ; une plus grande disposition à se glacer et à acquérir, par sa congélation, une solidité dont par elle-même elle ne seroit pas susceptible[45]. Pour vérifier cette conjecture, faites l’expérience suivante. Dans un temps de forte gelée, jeter une certaine quantité de terre dans un vaisseau un peu profond, après avoir mis sur son orifice une toile à laquelle vous ferez faire la poche en dedans, afin que la terre ne tombe pas au fond de ce vaisseau. Puis versez sur cette terre de l’eau en telle quantité qu’elle puisse se filtrer à travers. Enfin, après avoir donné à cette eau qui sera tombée au fond, le temps de se glacer, voyez si cette glace est plus dure et plus difficile à rompre, ou à fondre, que la glace ordinaire. Je présume aussi que si cette terre, à travers laquelle l’eau doit se filtrer, alloit en se rétrécissant depuis le haut du vaisseau jusqu’au fond de la poche de toile, et avoit à peu près la forme d’un pain de sucre ou d’un cône renversé, le résultat de l’expérience seroit plus sensible et plus marqué ; car alors la place qui se formeroit au fond du vaisseau, auroit moins d’épaisseur : or, l’on sait que toute transformation est plus facile, lorsque la quantité de la matière à transformer est très petite.

Expérience sur la manière de conserver la couleur et l’odeur des feuilles de rose.

364. Après avoir effeuillé des roses de Damas, et avoir desséché ces feuilles par l’insolation, en les mettant sur les plombs, sur une terrasse, sur un balcon, etc. par un beau temps, entre midi et deux heures, ou à peu près, mettez-les dans une bouteille de terre qui n’ait ni humidité ni odeur, ou encore dans une bouteille de verre à goulot long et étroit : pressez-les dans cette bouteille, sans les trop fouler ; puis bouchez-la très exactement. Au bout d’un an, ces feuilles auront encore, non-seulement tout leur parfum, mais même leur couleur, qui sera assez vive. On doit observer à ce sujet, que, dans les plantes ou toute autre espèce de composés susceptibles d’être détruits par la putréfaction, ou par l’extrême dessiccation, il n’est rien qui contribue plus à leur destruction que l’humor étranger, surabondant, non combiné et comme flottant dans leurs plus grands pores, lorsqu’on n’a pas eu d’abord la précaution de les en débarrasser. Car alors cet humor, à mesure qu’il se porte à l’extérieur, entraînant avec lui l’humor radical et inné de ces corps, ils s’exhalent ensemble. C’est en vertu de cette même cause, que des sueurs modérées conservent les sucs (les huneurs, les liquides) des corps animés.

N. B. Que ces feuilles de roses, lorsque l’insolation est achevée, n’ont plus ou presque plus d’odeur ; que celle qu’elles ont ensuite, et qu’on ne doit point du tout confondre avec la première, paroît être le produit de l’action ultérieure des esprits, d’une nouvelle expansion.

Expériences diverses sur la durée de la flamme.

365. Un objet qui, par son importance, ne mérite pas moins que les précédens, de fixer notre attention, c’est la durée plus ou moins longue de la flamme, à raison des natures diverses des corps enflammés. Mais la première observation qui se présente sur ce sujet, c’est celle-ci : quoiqu’en général l’apparition de la flamme soit de courte durée, et presque instantanée, elle ne laisse pas d’être, à cet égard, susceptible de plus ou de moins. Ainsi, nous nous attacherons d’abord et principalement à la considération des substances qui s’enflamment en totalité, immédiatement et sans le secours d’une mèche. Tels furent Les résultats de quelques expériences dirigées vers ce premier objet.

L’inflammation d’une cuillerée d’esprit de vin légèrement chauffé, dura une minute cinquante six secondes[46] ;

Celle de la même quantité d’esprit de vin, mêlée avec de nitre, dura une minute trente-quatre secondes[47] ;

L’esprit de vin mêlé avec égale quantité de sel commun, brûla pendant une minute vingt-trois secondes ;

Mêlé avec égale quantité de poudre à canon (ce qui formoit une liqueur très noire lorsqu’elle fut dissoute), une minute cinquante secondes ;

Un petit morceau de cire de forme cubique ou ronde, et dont la quantité[48]

égaloit la moitié de celle de l’esprit de vin, ayant été placé au milieu, l’inflammation ne dura qu’une minute vingt-sept secondes[49] ;

L’esprit de vin mêlé avec de lait, brûla pendant une minute quarante secondes ;

Et le lait se coagula.

Mêlé avec d’eau, une minute vingt-six secondes ;

Mêlé avec quantité égale d’eau, quatre secondes seulement ;

Un petit caillou étant placé au milieu de la cuiller, la déflagration de l’esprit de vin dura une minute trente-quatre secondes ;

Enfin, un petit morceau de bois de la grosseur de celui d’une flèche, et de la longueur du doigt, ayant été ainsi placé eu milieu, l’inflammation fut précisément de même durée[50].

Ainsi, l’inflammation de l’esprit de vin seul fut celle qui dura le plus ; et l’inflammation de cette liqueur combinée avec le sel commun, puis celle de cette même liqueur combinée avec égale quantité d’eau, furent celles qui durèrent le moins.

366. Mais une question à laquelle ces expériences donnent lieu, et qu’il importeroit fort de résoudre, c’est celle-ci : Quelle est ici la vraie cause de la plus prompte extinction de la flamme ? est-ce la force et l’activité même de cette flamme qui alors consume plus vite la matière inflammable ? ou bien, est-ce la résistance du corps solide qu’on joint à cette matière inflammable, et qui se refuse à l’inflammation ? Or, c’est une question qu’on pourra décider, en comparant les quantités d’esprit de vin restantes après l’extinction de ces différentes flammes. Il paroît que c’est la dernière des deux causes supposées, qui est la véritable : je veux dire que la plus prompte extinction de la flamme doit être attribuée à la résistance du corps non inflammable, puisque de toutes ces inflammations, les moins durables sont celles de l’esprit de vin combiné avec les matières les moins inflammables.

367. Il ne sera pas inutile d’observer que cet esprit de vin, après qu’il s’est ainsi éteint de lui-même, n’est plus susceptible de s’enflammer, et a perdu cette saveur piquante qu’il avoit auparavant : celle qu’il a alors n’est point acide comme elle le seroit, si, par l’inflammation, il s’étoit converti en une sorte de vinaigre, et comme l’est celle du vin chaud ; mais c’est une saveur plate et comme émoussée.

368. Nous devons encore observer que, dans cette expérience où l’on joint à l’esprit de vin un morceau de cire, cette dernière substance se dissout, tandis que la liqueur brûle ; mais il ne faut pas croire pour cela qu’alors cette cire, après s’être fondue, s’incorporant avec l’esprit de vin, il ne se forme du tout qu’une seule et même flamme ; mais au contraire, la cire venant à couler et à flotter sur l’esprit de vin, la flamme de cette liqueur se retire à mesure, et son volume diminue de plus en plus, jusqu’à ce que la cire, à force de s’étendre, s’emparant de tout l’espace, occasionne ainsi la totale extinction.

369. Ces épreuves sur l’inflammation de l’esprit de vin seul, ou combiné avec différentes substances, sont des expériences lumineuses, et non des expériences fructueuses : actuellement nous allons tourner notre attention vers ces autres genres de flammes que présentent à la vue les bougies, les chandelles, les lampes, les flambeaux, etc. composés d’une substance inflammable, et d’une mèche qui provoque l’inflammation. Les observations de ce dernier genre n’ont pas simplement pour objet la découverte des causes, et ne sont rien moins qu’une pure spéculation. Car, si, en combinant différentes substances, on pouvoit en composer une dont la flamme donnât une lumière aussi vive que les autres, et qui fût de plus longue durée, ce seroit un grand objet d’économie.

Nous fîmes mouler d’abord des bougies de cire pure, puis d’autres bougies composées de cire mêlée avec différentes substances ; savoir, les suivantes : l’eau, l’eau-de-vie, le lait, le sel commun, l’huile, le beurre, le nitre, le soufre, la sciure de bois ; chacune de ces dernières substances étoit à la cire dans le rapport d’un à six ; chacune de ces bougies composées étoit précisément de même poids que celle de cire pure, et les mèches étoient aussi toutes égales. Tels furent, quant à la facilité à s’enflammer, et à la durée de l’inflammation, les résultats de nos expériences.

La bougie où il entroit de la sciure de bois fut celle qui dura le moins ; sa lumière fut d’abord assez claire et assez vive, ce qui dura jusqu’à ce qu’elle fût en partie consumée ; mais ensuite la sciure de bois se ramassant autour de la mèche, forma ainsi un lumignon fort gros et fort long, qui rendit la flamme très obscure ; en sorte que la durée de cette bougie fut de moitié moindre que celle de la bougie de cire pure.

La seconde, pour la promptitude à se consumer, fut celle qui étoit en partie composée d’huile ou de beurre ; elle dura d’un cinquième moins que la bougie de comparaison (celle de cire pure).

Au troisième rang fut cette bougie de cire pure.

Au quatrième, celle où l’on avoit fait entrer du sel commun, et dont la durée fut d’un huitième plus longue que celle de la dernière.

Au cinquième, celle où il y avoit de l’eau-de-vie ; sa durée excéda d’un cinquième celle de la bougie de comparaison.

Viennent ensuite les deux bougies dont l’une étoit en partie composée de lait, et l’autre, en partie d’eau : leur durée fut à peu près égale à celle de la précédente ; cependant celle où il y avoit de l’eau, eut, à cet égard, un peu d’avantage sur les deux autres.

Les quatre dernières pétilloient fréquemment et lançoient des étincelles.

La bougie où l’on avoit mis du nitre, ne resta allumée que pendant douze secondes, et encore pendant ce temps si court, elle lançoit continuellement des flammèches qui se convertissoient aussitôt en vapeurs.

Celle dont le soufre faisoit partie, ne dura pas plus que la précédente ; le soufre quise ramassa autour de la mèche y ayant bientôt formé une croûte très dure, qui l’éteignit.

Ainsi, l’addition du sel commun à la cire augmente la durée d’un huitième, et l’addition de l’eau l’augmente d’un cinquième.

370. Après avoir ainsi varié les expériences relatives à la matière même des bougies ou chandelles, les mèches étant toutes égales et de même espèce, nous avons voulu faire aussi quelques épreuves sur les mèches de différentes substances ; par exemple, de coton, de fil à coudre, de jonc, de soie, de paille, de bois, etc.

Ces trois dernières substances ne donnérent qu’une flamme obscure et d’un très petit volume, qui s’éteignit dès qu’elle fut parvenue jusqu’à la cire.

Quant aux trois autres, le fil se consuma plus vite que le coton ; la différence, à cet égard, ayant été d’un sixième ; et le coton, plus vite que le jonc, qui dura au moins un tiers de plus.

Quant au volume de la flamme ; celle du coton et celle du fil avoient à peu près les mêmes dimensions et la même clarté ; mais celle du jonc étoit beaucoup plus petite et plus obscure.

Reste à savoir si une mèche composée en partie de cette substance, connue sous le nom même de mèche, et en partie de bois, comme le sont ordinairement celles des lambeaux, se consumeroit plus vite ou plus lentement que celle qui le seroit uniquement de la première ?

371. Nous n’avons jusqu’ici considéré, que par rapport à leur espèce, les différentes matières dont les bougies et les mèches peuvent être composées ; mais elles doivent aussi être envisagées par rapport à leurs qualités qui peuvent contribuer à la durée de la flamme, selon que ces matières sont sèches ou humides, dures ou molles, vieilles ou nouvelles, etc. Par exemple, les maîtresses de maison, un peu entendues, mettent les chandelles une à une dans du son ou de la farine ; ce qui, en les séchant et les durcissant, fait qu’elles ne brûlent pas si vite ; on dit même que celles qui ont subi cette facile préparation, durent deux fois plus que les chandelles ordinaires : ainsi deux causes peuvent contribuer à leur durée ; savoir : cette préparation même, et l’attention de n’en faire usage que long-temps après qu’elles sont faites. On sait aussi que les bougies durent beaucoup plus que les chandelles ; toujours par la même raison, parce que la cire est plus sèche, plus ferme et plus dure que le suif[51].

372. La durée d’une flamme est aussi, toutes choses égales, proportionnelle à la difficulté avec laquelle elle tire son aliment ; comme le prouve cette lumière qu’on voit dans le palais des rois d’Angleterre, qui est destinée à durer toute la nuit (destination d’où elle tire sonnom d’all-nigt (toute la nuit, ou veilleuse), et qui n’est composée que d’un large gâteau de cire, avec une mèche au milieu. C’est la largeur de ce gâteau qui produit l’effet dont nous parlons ; il fait que la flamme tirant de plus loin son aliment, le consume moins vite. Par la même raison, la lumière des lampes dure plus que toute autre, parce que le vaisseau qui contient l’huile, est beaucoup plus large qu’une chandelle, une bougie, un flambeau, etc.

373. Prenez une lampe d’étain dont une partie ait la forme d’une petite tour, et qui, prise en totalité, ait à peu près celle d’une équerre ; que la hauteur de cette tourelle soit triple de la longueur de cette partie inférieure qui lui sert de base ; que cette dernière partie ait un trou à son extrémité la plus éloignée de la tourelle. Renversez cette lampe pour la remplir d’huile par ce trou, puis remettez-la dans sa première situation ; ajustez une mèche au trou, et allumez-la ; l’huile de cette lampe se consumera fort lentement, et sa lumière sera de très longue durée : nous en avons déjà dit la raison ; c’est parce que la flamme tire de fort loin l’huile qui est son aliment. Vous trouverez aussi qu’à mesure que l’huile se consume, et que son niveau baisse, la partie supérieure se remplit d’air ou d’une substance aériforme, qui provient de l’huile raréfiée par la chaleur. Il seroit à propos de faire un trou au sommet de la tourelle, lorsque l’huile seroit presque toute consumée, et d’approcher aussi-tôt de ce trou la flamme d’une bougie, afin de voir si, au moment où cette substance aériforme, provenue de l’huile, s’échapperoit, elle prendroit feu. Il faudroit aussi à cette lampe d’étain en substituer une de verre, afin qu’on pût voir à l’œil l’air ou la vapeur se ramasser peu à peu dans la partie supérieure de la tourelle[52].

374. Une quatrième condition nécessaire pour augmenter la durée de la flamme, est que l’air où elle est plongée soit renfermé et immobile, Car on sait qu’une chandelle dont la flamme est agitée par le vent, se consume beaucoup plus vite, et qu’elle dure plus long-temps dans une lanterne ou dans un bocal, qu’en plein air. Certaines relations nous parlent de lampes ou de chandelles, dont la lumière a étonnamment duré dans des tombeaux ou des grottes[53].

375. Une cinquième cause qui peut aussi contribuer plus ou moins à la durée de la flamme, ce sont les qualités de l’air qui l’environne, et qui peut être chaud ou froid, sec ou humide, etc. Un air très froid, en occasionnant dans la flamme une sorte d’irritation, et en la rendant plus active, fait aussi qu’elle consume plus vite son aliment ; et c’est en vertu de la même cause que, dans un temps de forte gelée, le feu est plus âpre. Ainsi, on peut présumer qu’un air déjà échauffé, diminue l’activité de la flamme dont nous parlons ici, et contribue à sa durée. L’air sec n’augmente ni ne diminue cette durée ; mais l’air humide l’augmente ; il éteint, pour ainsi dire, la flamme, en partie, comme on le voit par cette propriété qu’ont les vapeurs humides d’une mine, d’éteindre les lumières[54]. Quoi qu’il en soit, cet air humide, diminuant l’éclat et l’activité de la flamme, doit, par cela seul, contribuer à sa durée.

Expériences et observations sur la méthode d’enfouir simplement, ou de tenir plongés dans l’eau et au-dessous de la surface de la terre, des corps de différentes espèces.

376. La méthode de déposer les corps dans le sein de la terre, est d’une grande utilité pour les conserver, les condenser, ou les durcir. Lorsque vous voulez obtenir ces deux derniers effets, il faut les enfouir de manière qu’ils soient en contact avec la terre, comme on le pratique ordinairement pour cette espèce de terre qui est la base de la porcelaine ; méthode qu’il faut suivre également pour conserver des corps durs ou du moins solides, tels que le bois, l’argile, etc. Mais, si ces corps que vous voulez conserver sont mous, tendres, il faut alors faire de ces deux choses l’une : ou les renfermer dans des boîtes, afin que la terre ne les touche pas ; ou les déposer dans des trous voûtés, de manière qu’il reste un vuide au-dessus : car, s’ils étoient en contact avec la terre, elle leur feroit plus de mal en les putréfiant, par l’humidité qu’elle leur communiqueroit, qu’elle ne leur feroit de bien, par son froid virtuel qui tendroit à les conserver ; à moins que cette terre ne fût sablonneuse et très sèche.

377. Une orange, un citron et une pomme, enveloppés dans un linge, et tenus pendant quinze jours à la profondeur de quatre pieds, dans une terre humide et par un temps pluvieux, ne nous présentèrent, lorsque nous les en tirâmes, aucun indice de putréfaction où de moisissure ; ces fruits étoient seulement devenus un peu plus durs ; ils n’avoient rien perdu de leur couleur, ni de leur fraîcheur ; la saveur seulement s’étoit un peu affoiblie : les ayant tenus un peu plus long-temps dans le même lieu, nous y aperçûmes un commencement de putréfaction.

378. Ayant aussi enfoui une bouteille pleine de bière avec les mêmes conditions que ci-dessus, nous trouvâmes que cette liqueur avoit acquis un peu plus de force ; qu’elle étoit plus limpide et de meilleur goût. Il en fut de même du vin sur lequel nous fîmes aussi cette épreuve. Le vinaigre enfoui de la même manière, étoit devenu plus fort et avoit plus de parfum ; son odeur avoit même quelque analogie avec celle de la violette. Au bout d’un mois, ayant tiré de là ces liqueurs, nous trouvâmes qu’elles n’avoient rien perdu de leur force ; il nous semble même qu’elles avoient un peu gagné.

379. Des expériences de cette nature pourroient devenir très fructueuses, si l’on parvenoit ainsi à conserver jusqu’à l’été, et même durant cette saison, certains fruits, tels que les oranges, les citrons, les grenades, etc. De quel prix ces fruits ne seroient-ils pas dans une telle saison ! et l’on parviendroit peut-être à ce but, en les renfermant dans des vaisseaux bien bouchés, afin de les garantir de l’humidité de la terre ; ou encore en les mettant dans une glacière. Au reste, il n’est pas inutile d’avertir toute personne qui a dessein de faire des expériences et des observations sur les effets du froid, qu’elle aura principalement besoin de trois choses ; savoir : d’une glacière, d’un trou un peu grand et voûté, à la profondeur de vingt pieds au moins ; enfin, d’un puits profond.

380. On prétend que, si l’on enfouit de la même manière des perles, des coraux, des turquoises et autres pierres précieuses, qui ont perdu une partie de leur couleur ou de leur éclat, elles recouvrent l’un ou l’autre par ce moyen. Une telle expérience, si elle réussissoit, seroit encore plus lucrative que la précédente ; mais l’ayant tentée nous-mêmes, en tenant enfouies, pendant six semaines, des pierres de cette espèce, nous le fîmes sans succès. Peut-être réussiroit-on mieux en les tenant au fond d’un puits ou dans une glacière, lieux où le froid ayant plus de force contractive, rapproche davantage les parties colorées, rend l’assemblage plus serré, et doit par conséquent donner à la couleur plus d’intensité.

Observation relative aux effets que produisent sur le corps humain les vents qui soufflent des différentes parties du monde.

381. Lorsque le vent est au midi, on éprouve une sorte de pesanteur ; on se sent plus paresseux et moins agile que lorsqu’il est au nord. La raison de cette différence est que le vent de midi fond, pour ainsi dire, les humeurs qui, alors devenues plus fluides, se répandent dans toutes les parties du corps, pèsent davantage sur elles et les surchargent, à peu près comme le bois et autres substances analogues se gonflent et se renflent dans un temps humide. En second lieu, la vigueur des mouvemens, l’activité et l’agilité dépendent principalement de l’état des nerfs[55], qu’un vent de midi relâche excessivement.

Observation sur les maladies propres aux différentes saisons, principalement à l’été et à l’hiver.

382. Suivant une opinion très commune, il y a plus de maladies durant l’été ; mais elles sont plus mortelles durant l’hiver ; à l’exception de la peste, qui règne ordinairement en été ou en automne. La raison de cette différence est que la plupart des maladies ont pour cause la chaleur[56] ; et pour remède les sueurs ou les purgations, que provoque, augmente ou facilite la chaleur de l’été. Quant aux maladies contagieuses, si elles sont plus mortelles dans cette dernière saison, c’est par la raison toute simple, qu’elle est plus féconde en maladies de cette nature ; car d’ailleurs, ces maladies, lorsqu’on en est atteint durant l’hiver, n’en sont que plus dangereuses.

Observation sur les années et les températures pestilentielles.

383. On croit communément que les années où la température dominante est chaude et humide, recèlent un principe pestilentiel ; mais ce n’est qu’un préjugé populaire, fondé sur ce principe-très hazardé : qu’à la surface de la terre, la cause la plus ordinaire de la putréfaction est la combinaison de la chaleur et de l’humidité ; cette assertion est démentie par ce qu’on a souvent observé en Angleterre, où, durant certains étés d’une sécheresse extraordinaire, ce fléau a fait de si grands ravages. La véritable raison du phénomène à expliquer, pourroit être que la sécheresse agissant avec plus de force sur le corps des insulaires accoutumés à un air humide et exaspérant leurs humeurs, les rend ainsi plus disposés à la putréfaction et à l’inflammation. De plus, assez ordinairement les températures extrêmement sèches infectent les eaux et les rendent moins salubres ; sans compter que, dans la partie septentrionale de l’Afrique, la saison où les maladies dont nous parlons se manifestent le plus souvent, c’est l’été ; temps où, comme l’on sait, la température est chaude et sèche.

Observation relative à une erreur commune sur les maladies épidémiques.

384. Il est beaucoup de maladies, soit épidémiques, soit d’une autre classe, qui ont leurs temps propres et déterminés ; mais c’est sans fondement qu’on les impute à la constitution, ou à la disposition que l’air a au moment où elles se font sentir ; leur véritable cause est dans le temps antérieur qui en recèle le principe, et qui étend son influence jusqu’à celui où elles paroissent ; en vertu de cet enchaînement des saisons qui fait que chacune n’est qu’une conséquence et un développement des précédentes[57]. Aussi voyons-nous qu’Hippocrate, dans ses Pronostics, donne de judicieuses observations sur les maladies dont la nature est analogue à celle des saisons précédentes, et qui en sont les effets.

Expériences et observations sur l’altération et la conservation des liqueurs, au fond des puits, ou dans des souterrains profonds et voûtés.

385, Après avoir bouché bien exactement un certain nombre de bouteilles remplies de différentes liqueurs, nous les avons fait descendre dans un puits de la profondeur de vingt brasses au moins ; les unes étant plongées dans l’eau, et les autres suspendues à une brasse au-dessus de sa surface, Les liqueurs soumises à cette épreuve étoient la bière, non pas tout-à-fait nouvelle mais déjà bonne à boire, le vin et le lait. Tels furent les résultats de cette expérience.

La bière et le vin, placés, soit au-dessous, soit au-dessus de la surface de l’eau, n’avoient rien perdu de leur teinte, ni de leur force ; mais ces liqueurs étoient aussi bonnes, et même un peu meilleures, un peu plus faites que d’autres portions de liqueurs de même espèce, de même qualité et de même date, mises aussi en bouteilles et tenues dans la cave. Cependant les liqueurs des bouteilles suspendues au-dessus de l’eau, étoient sensiblement meilleures que les liqueurs respectives des bouteilles plongées : de plus, la bière tenue hors de l’eau moussoit un peu ; au lieu que celle qui avoit été tenue dans l’eau, ne moussoit pas ; celle-ci pourtant avoit aussi acquis de la force. Le lait s’étoit aigri et commencent à se gâter. Nous savons néanmoins que, dans certain village auprès de Blois, on est dans l’usage de faire cailler le lait dans des caves très profondes ce qui lui donne une saveur très agréable. C’est même en partie la connoissance de ce fait qui nous a donné l’idée de suspendre dans un puits le vaisseau qui contient cette liqueur. Nous ignorons si, dans ce village dont nous venons de parler, on met le lait sur le feu avant de le mettre à la cave. Il seroit donc à propos de tenter cette même expérience sur du lait qui eût bouilli, et sur de la crème ; car le lait étant par lui-même une substance très composée ; savoir : de crème, de caillé et de petit-lait (d’une partie butireuse, d’une caséeuse et d’une séreuse) il tourne et se décompose aisément. Il ne seroit pas non plus inutile de faire une semblable épreuve sur le moût de bière, afin de voir si cette méthode de suspendre dans un puits des bouteilles remplies de cette liqueur, peut contribuer à en accélérer la maturation et la clarification.

Observation sur le bégaiement et ses causes.

386. Le bégaiement est un défaut assez commun ; défaut qui peut avoir pour cause le refroidissement excessif de la langue ; car on sait que l’effet naturel du froid est de diminuer l’aptitude au mouvement. Aussi voit-on que les imbéciles sont ordinairement bègues, ou du moins balbutient fréquemment. On sait aussi que les bègues ont la prononciation plus facile après avoir bu un peu de vin, liqueur dont l’effet est d’échauffer. On observe encore que ceux qui ont ce défaut l’ont beaucoup plus en commençant à parler, que dans la suite de leurs discours, leur langue s’échauffant peu a peu par l’effet naturel de son mouvement. La véritable cause du bégaiement dans certains sujets, pourroit être la sécheresse de la langue ; sécheresse qui, ainsi que le froid, diminue l’aptitude au mouvement. En effet, l’histoire parle de personnages illustres et d’une profonde sagesse, qui étoient bègues tel fut entr’autres Moyse qui suivant le langage de l’écriture sainte, avait la langue embarrassée[58] ; enfin, l’on sait que les bègues sont ordinairement très colères et très bilieux ; l’effet de la colère, et en général de la bile, étant de rendre la langue sèche[59].

Expériences et observations sur les odeurs.

387. Les parfums et autres odeurs de ce genre sont plus agréables dans un air libre et à une certaine distance, que lorsqu’on approche excessivement des narines la substance odorante, ou réciproquement. Cette différence a deux causes : l’une est une combinaison plus parfaite des parties odorantes qui, dans le premier cas, s’incorporent mieux les unes avec les autres : c’est ainsi que l’harmonie flatte davantage l’oreille, quand toutes ses parties se fondant, pour ainsi dire, les unes dans les autres, on n’entend pas distinctement les sons élémentaires, mais un son unique et composé de tous. La seconde cause est que toute odeur agréable se trouve naturellement combinée, dans les substances odorantes, avec quelque odeur crue et terrestre, qui disparoît à une certaine distance ; la première, qui est inhérente à des esprits plus subtils et plus ténus, se faisant, par cela même, sentir beaucoup plus loin ; tandis que la partie la plus grossière et la moins pénétrante reste, pour ainsi dire, en chemin.

388. Les substances sèches et d’odeur agréable étant piquées, pressées, pilées, broyées, etc. exhalent une odeur plus suave. Comme on l’éprouve en piquant ou en pressant avec force une écorce d’orange, de citron, etc. En général, le simple mouvement et la simple agitation, sans aucune solution de continuité, suffit pour développer dans un corps de cette espèce, par exemple, dans un coussinet ou sachet de senteur, la partie la plus suave de la substance odorante, et pour donner à l’odeur plus d’intensité. Cet effet a deux causes : 1°. un effluve plus abondant des esprits odorans auxquels on donne une issue, et dont on facilite l’émission par la trituration, la ponction, la compression, et jusqu’à un certain point aussi, par la simple agitation. Mais, dans le second cas, il y a une cause de plus ; savoir : l’impulsion donnée à l’air, véhicule naturel des odeurs, et qui, étant ainsi agité, doit porter l’odeur plus loin.

389. Les plantes, dont les feuilles sont sans odeur, sont ordinairement celles dont les fleurs exhalent l’odeur la plus suave. De ce genre sont la violette, la rose, la pariétaire, la giroflée, de la grande ou de la petite espèce ; l’œillet, le chèvre-feuille, la fleur de vigne, de pommier, de tilleul, de fèves, etc. La raison de ce phénomène paroît être que, dans les plantes qui ont assez de force et de chaleur pour que leur partie odorante pénètre dans les feuilles, la fleur qui doit perdre d’autant, ne peut plus donner qu’une odeur foible, en comparaison de celle des feuilles ; mais lorsque la plante a moins de chaleur, ses esprits ne sont suffisamment digérés, atténués et séparés des sucs grossiers, que dans la floraison, et non plutôt.

390. Il est, comme nous l’avons dit, des substances odorantes qui, étant brisées, pilées, broyées, etc. exhalent une odeur plus suave : au contraire, les fleurs étant foulées, pilées, battues, etc. perdent une grande partie de leur parfum. La cause de cette différence est qu’en écrasant ces fleurs, on détermine les émanations les plus grossières et les plus terrestres à sortir en même temps que les esprits les plus ténus ; ce qui, en les mêlant ensemble, et en combinant ainsi la mauvaise odeur avec la bonne, doit être au détriment de cette dernière ; au lieu que, dans les substances dont l’odeur a plus de force, ce mélange n’a pas lieu ; ou, s’il a lieu, la partie suave prédomine.

Expériences et observations relatives au choir des eaux destinées à servir de boisson.

391. Une recherche vraiment utile, c’est celle qui a pour objet le choix des eaux destinées à servir de boisson. On peut, jusqu’à un certain point, s’en rapporter, pour ce choix, au simple goût des buveurs d’eau ; moins pourtant qu’aux autres genres d’expériences.

1°. De deux eaux, la meilleure c’est d’abord la plus légère : on trouve à cet égard quelque différence entre telle eau et telle autre ; mais elle est peu sensible, et n’indique que très foiblement leur degré de salubrité.

392. 2°. De deux eaux différentes soumises à l’action du même feu, ou de deux feux égaux, on peut regarder comme la meilleure celle qui se consume et s’évapore le plus vite.

393. 3°. De plusieurs eaux mises dans des bouteilles, ou d’autres vaisseaux ouverts et parfaitement égaux en tout, la meilleure sera celle qui sera le plus long-temps à se corrompre et à contracter une mauvaise odeur.

394. 4°. Faites de la bière forte ou de la petite bière avec différentes eaux, en mettant dans toutes une égale quantité de drêche ; celle de ces eaux qui donnera la liqueur la plus généreuse et la moins crue, sera la meilleure ; elle pourra toutefois être inférieure aux autres par ses propriétés médicales. On trouve ces conditions dans celles que fournissent les grands fleuves, les rivières navigables, les lacs, les grands étangs, lorsque le fond n’est point fangeux : toutes eaux sur lesquelles le soleil peut agir plus que sur celles des fontaines ou des petites rivières. L’eau qui approche le plus de ces dernières, pour la salubrité, c’est celle qui se trouve sur un fonds de craie ; substance qui contribue à sa concoction. Par la même raison, lorsqu’on fait usage d’eau de puits, il faut que ce puits soit très profond. Cependant l’eau de craie qu’on trouve fort près de la surface de la terre, est un peu trop mordante, comme on le voit par la propriété qu’elle a de nettoyer les vêtemens ; et à la longue, de les corroder, de les user.

395. Les maîtresses de maison distinguent la qualité des différentes eaux par le plus ou moins de facilité avec laquelle elles prennent le savon : selon toute apparence, ce sont les eaux les plus onctueuses qui le prennent le mieux ; les eaux crues détruisant l’onctuosité de cette substance.

396. On peut encore juger de la qualité des eaux par la nature des lieux où elles prennent leur source ; et, en général, de ceux d’où elles viennent. L’eau de pluie est celle qu’on préfère en médecine, à cause de sa ténuité. On dit pourtant qu’elle se putréfie aisément ; ce qui peut venir de cette ténuité même de ses esprits. Ces eaux de pluie qu’on recueille dans des citernes, telles qu’on en voit à Venise et dans d’autres lieux, n’en sont pas plus salubres ; ce qui vient sans doute de ce que les toits des maisons empêchent que le soleil n’agisse dessus. L’eau de neige fondue doit être d’autant plus suspecte, que les peuples qui habitent au pied des montagnes à neige, ou sur leur pente, sur-tout les femmes, sont sujets, à cause de ces eaux de neige qu’ils boivent, à avoir des goîtres[60]. L’eau de puits, à moins qu’elle ne soit sur un fonds de craie, ou qu’elle ne vienne d’une source très élevée, cuit mal la viande, et lui donne une couleur rouge qui décèle son insalubrité. L’eau des sources qui se trouvent au sommet des montagnes élevées, est la meilleure : par cela même qu’elle se trouve là, il semble qu’elle soit plus légère, et qu’elle ait une tendance à s’élever, D’ailleurs, elle est plus pure et moins mêlée avec d’autres eaux ; enfin, elle s’est mieux filtrée à travers une grande étendue de terre. Car les eaux des vallées se mêlent dans l’intérieur de la terre avec d’autres eaux qui se trouvent au même niveau, et qui, de différens points, se rendent dans ces fonds. Au lieu que celles dont la source est très élevée, traversant une grande épaisseur de terre pure, se mêlent beaucoup moins avec d’autres eaux[61].

397. On peut encore juger de la qualité des eaux par la nature du sol sur lequel elles coulent ; en un mot, par celle de leur lit. Au premier rang ; pour la limpidité, la saveur et la salubrité, est celle qui coule sur de petits cailloux ; au second rang, celle qui coule dans un lit dont les parois sont revêtues d’argile on de terre glaise ; au troisième, celle qui est sur un fonds de craie ; au quatrième, celle qui se trouve sur le sable : la pire est l’eau bourbeuse et dormante sur un fonds de vase ou de limon. Il ne faut pas non plus trop se fier à celles qui ont une saveur douce ; car on en tronve ordinairement de telles au-dessous des grandes villes, d’où elles entraînent et charrient beaucoup d’immondices.

Observation sur la chaleur tempérée qui règne en certains lieux situés sur la zone torride.

398. Au Pérou et dans quelques autres contrées, quoique situées sur la zone torride, la chaleur n’est pas aussi insupportable qu’en Barbarie ou dans les régions qui se trouvent sur la limite de cette zone, un peu en dedans. Cette différence est l’effet composé de plusieurs causes ; savoir : 1°. La grande brise (le vent alisé) produit par le mouvement de l’air dans les plus grands cercles qui répondent au milieu de cette zone ; vent qui doit y diminuer la chaleur[62]. Aussi voit-on que, dans toutes les contrées où ce vent souffle, lorsque la brise est un peu forte, il fait moins chaud à midi qu’à neuf ou dix heures du matin.

À cette première cause il faut joindre la longue durée des nuits durant lesquelles l’effet de la rosée qui est abondante, balance celui de la chaleur du jour.

La troisième cause est la durée du séjour du soleil au-dessus de l’horizon ; non pas celle qui se rapporte à la succession alternative du jour et de la nuit, et dont nous parlions plus haut ; mais celle qui se rapporte aux saisons ; car, le soleil qui décrit, par son mouvement annuel, l’écliptique, cercle oblique à l’équateur, allant et revenant d’un tropique à l’autre, passe deux fois au-dessus de chaque lieu situé sur la zone torride ; avec cette différence qu’il s’écoule six mois entre ses deux passages au-dessus des lieux situés au milieu de la zone torride, ce qui y produit deux étés et deux hivers ; au lieu qu’après avoir passé au-dessus des lieux situés vers la limite de cette zone, il y repasse presque aussi-tôt ; ce qui n’y produit qu’un seul été fort long[63].

Observation sur la couleur noire de certaines nations.

399. Dans certaines contrées, telles que l’Éthiopie et la Guinée, le soleil teint les hommes d’une couleur sombre et tirant sur le noir. Mais ce qui semble prouver que cette couleur n’est pas l’effet de la seule chaleur, c’est le teint de nos verriers qui travaillent continuellement au feu, et qui néanmoins ne sont pas noirs ; la raison de cette différence peut être que la chaleur du feu, qui est très forte, pompant et léchant, pour ainsi dire, le sang et les esprits, les détermine ainsi à s’exhaler ; de là ce teint pâle et blafard des verriers ; au lieu que l’effet de la chaleur du soleil, qui est plus douce, est seulement de tirer le sang aux parties extérieures, et de le cuire plutôt que de le pomper et de l’absorber. Aussi voit-on que les nègres sont ordinairement très charnus et très corpulens, mais en même temps très mal faits et très laids ; ayant, par exemple, les lèvres excessivement grosses, etc, ce qui prouve assez que, dans les sujets de cette classe, l’huimidité est retenue au dedans, et non déterminée au dehors. Nous voyons de plus que les contrées dont les habitans sont de cette couleur, abondent en eaux, comme rivières, lacs, etc. par exemple, Méroë, qui étoit la capitale de l’Éthiopie, étoit bâtie au milieu d’un grand lac ; et le Congo, région habitée par des nègres, est aussi arrosé par de grands fleuves. On en peut dire autant des rives du Niger, ainsi que de la contrée située au-delà du Cap-Verd, et où l’excessive humidité occasionne fréquemment la peste. Mais l’Abyssinie, la Barbarie et le Pérou, dont les habitans sont de couleur tannée, olivâtre ou blafarde, sont, généralement parlant, des régions sablonneuses et sèches. Quant à ce qui regarde ces Éthiopiens ou ces autres nègres si charnus et si bouffis dont nous parlions, il se pourroit qu’ils fussent très sanguins, et fussent à l’intérieur d’une couleur rouge que leur peau noire déroberoit à la vue[64].

Observations sur le plus ou moins de durée des mouvemens que font, après leur mort, les différentes classes d’animaux.

400. Certains animaux, assez long-temps après qu’on leur a coupé la tête, ne laissent pas de faire encore quelques mouvemens ; de ce genre sont les oiseaux : d’autres (tels que l’homme et les autres animaux terrestres), après l’amputation de cette partie, font aussi quelques mouvemens, mais qui durent fort peu ; d’autres enfin, tels que les serpens, les anguilles, les vers et les mouches, quoique coupés par morceaux, ne laissent pas de frémir et de palpiter. Au fond, ces différens faits n’ont rien d’étonnant ; car, en premier lieu, la mort a pour cause immédiate la dissolution et l’extinction des esprits ; la destruction ou la putréfaction des organes n’en étant que la cause médiate. Mais certains organes sont tellement nécessaires à la vie de l’animal, que de leur destruction s’ensuit infailliblement la prompte extinction des esprits ; il y a pourtant un certain intervalle de temps entre l’une et l’autre. C’est ainsi qu’au rapport d’un auteur ancien, regardé comme classique, et dont la foi ne peut être suspecte, un bœuf ayant été immolé en sacrifice, on l’entendit mugir, quoique le cœur lui eût été arraché. Une relation également digne de foi nous dit, qu’après qu’on eut ouvert le crâne à un jeune porc, et tiré la cervelle, quelqu’un l’ayant mise sur sa main, on la vit palpiter ; mais le cerveau n’avoit souffert aucune lésion, et tenoit encore à la moelle épinière. Pendant tout ce temps, l’animal paroissoit tout-à-fait mort ; on n’y apercevoit plus le moindre mouvement : mais ensuite la cervelle ayant été remise en sa place, et les os du crâne parfaitement réunis, il marcha un peu[65]. On sait aussi qu’un homme à qui, en vertu de la loi du talion, on avoit arraché un œil, mais de manière qu’il pendoit encore au nerf optique, fut privé de la faculté de voir tant que son œil fut en cet état ; mais qu’ensuite l’œil ayant été remis à sa place, il recouvra la vue. Pour expliquer ces différens faits, observons d’abord que le principal siège des esprits vitaux est dans la tête ; savoir : dans les ventricules du cerveau qui dans l’homme et les animaux terrestres, ont beaucoup d’ampleur et de capacité. C’est par cette raison que les animaux de cette classe, après l’amputation de la tête n’ont plus, ou presque plus de mouvement. Il n’en est pas de même des oiseaux ces derniers animaux ayant la tête fort petite, leurs esprits sont plus répandus dans les nerfs ; différence qui les met en état de faire encore, après cette amputation, quelques mouvemens qui subsistent un peu plus long-temps ; durée même quelquefois assez longue, comme le prouve le fait suivant, rapporté par Suétone : certain Empereur, pour faire montre de son adresse à tirer de l’arc, ayant pris une longue flèche à deux pointes bien acérées, ajusta une autruche au moment où elle traversoit le théâtre, et adressa si juste, qu’il lui coupa la tête ; mais cet oiseau ne laissa pas de continuer sa course pendant quelques instans[66]. Quant à ce que nous disions des serpens, des anguilles, des vers et des mouches, les esprits vitaux étant répandus et distribués plus également dans la totalité de leur corps, il n’est pas étonnant qu’après qu’ils ont été coupés en un grand nombre de morceaux, ces morceaux frémissent et palpitent.

  1. L’unique méthode pour accélérer une opération, ou augmenter ses effets, c’est d’employer, en plus grande mesure, chaque moyen répondant à ses causes, ou d’en réunir un certain nombre, ou de les faire agir plus souvent, plus long-temps, plus immédiatement, plus directement, etc.
  2. J’emploierai souvent ce terme, qui est reçu en physique, pour embrasser, à l’aide d’un seul mot, plusieurs termes particuliers, tels que lie, marc, sédiment, dépôt, etc.
  3. L’orge, d’abord germé, puis séché, enfin moulu, qu’on fait ensuite infuser pour faire de la bière.
  4. Ce qui vient, en partie, de ce que la liqueur étant dilatée par le feu, sa pesanteur spécifique diminue.
  5. Selon toute apparence, la bouteille éclatera, et crèvera les yeux à l’observateur.
  6. Faites tout cela, et, selon toute apparence, vous boirez de la bière ou du vin détestable ; mais, avant de porter un jugement, essayez ; car il y a des vins, entr’autres celui de Bordeaux, que l’agitation bonifie.
  7. Nous serons souvent obligés d’employer ce terme, quoiqu’il soit trop nécessaire pour être bien reçu. La maturité est l’état d’une chose mûre, et la maturation est l’opération qui la mûrit ; ce qui est fort différent, On dit d’une liqueur, qu’elle se fait, et non qu’elle mûrit, Convenons toutefois que ni l’un ni l’autre de ces deux termes ne nous apprennent rien, sinon qu’une certaine opération commencée sur l’arbre où l’arbrisseau, s’achève dans la cave, ou dans le fruitier, Mais la vérité est que nous avons besoin de termes pour désigner, non-seulement les choses dont nous connoissons le méchanisme, mais même celles dont l’existence est démontrée ; et le nature, inconnue.
  8. L’original dit, si polis, si lisses ; il suppose que l’action des liqueurs acides ou spiritueuses dépend de la forme aiguë de leurs parties.
  9. Il veut dire apparemment qu’avec le vinaigre on ne peut plus faire de bonne eau-de-vie.
  10. Les esprits de qui ou de quoi ? C’est ce que l’original ne dit pas.
  11. M. Maupin, qui, de son propre aveu, avoit appris dans son cabinet à faire d’excellent vin, nous recommandoit, dans le temps où on l’écoutoit, de jeter dans la cuve un seau de vin fortement chauffé, sur-tout dans les années froides et humides ; et, par ce moyen si simple, il faisoit, dans ses livres, du vin de Bourgogne avec le vin de Nanterre. Je me suis assuré, par le témoignage d’un grand nombre de cultivateurs de différens lieux, que cette pratique peut être utile dans le cas spécifié. Cependant j’aimerois encore mieux du vin de Nuits, fait par la nature et les industrieux habitans de cette ville, que du vin de Nanterre, où même de Surène, converti en vin de Bourgogne par la plume de M. Maupin, et mêlé avec du vin des cruches de Cana en Galilée ; je craindrois toujours que ces vins miraculeux ne se sentissent de leur origine.
  12. Ou de l’alun, du sucre, etc. ce qui fait mousser la liqueur.
  13. La crème, qui est une espèce de coagulum, se forme plus vite dans le cas supposé ; parce que l’effet propre du froid est de rapprocher les parties, de multiplier leurs contacts réciproques, et de coaguler. Mais, pour mieux s’assurer de la véritable cause ; il faudroit plonger un certain nombre de petits vaisseaux remplis de différentes portions du même lait, dans différentes eaux de plus en plus froides ; enfin, dans un mélange de glace et de salpêtre pilés.
  14. Il veut dire qu’il en diminue la quantité, ou du moins le volume ; car l’effet du froid n’est pas de raréfier, mais au contraire de condenser.
  15. On appliquoit ce proverbe à l’amitié ; mais il faut distinguer : dans les sociétés peu nombreuses et bien choisies, les individus, en se communiquant leurs sentimens et leurs idées, se mûrissent réciproquement. Dans la multitude, ils ne se mûrissent pas, mais ils se pourrissent réciproquement ; car c’est presque toujours un vice qui les entasse ; et si nous en croyons Jean-Jacques, de toutes les productions de la terre, l’homme est celle qui gagne le moins à être mise en tas.
  16. Entr’autres leurs notions sur l’agent universel et sur le principe aurifique. Toute l’alchymie n’est qu’un rêve de l’avarice et de la paresse.
  17. Quelquefois, en courant après un lièvre, qu’on n’attrape pas, on attrape un lapin après lequel on ne couroit pas : le tout, pour attraper quelque chose, c’est de courir et sans se lasser : or, les fous courent mieux et sont plus obstinés que les sages qui profitent de tout et n’inventent rien, sinon cet art même de profiter de tout, qui vaut bien l’autre.
  18. S’il existoit un feu central, il se pourroit que les métaux eussent été formés à une grande profondeur, et ensuite poussés vers la surface par les éruptions, et en général par l’action expansive de ce feu.
  19. Nous ne doutons nullement qu’en suivant avec une scrupuleuse exactitude le procédé indiqué par l’auteur, on ne parvienne à convertir l’or en charbon ; en attendant qu’on puisse convertir le charbon en or. Mais jusqu’ici, quelque ingéuieuse méthode qu’on ait pu imaginer, on n’a encore trouvé au fond du creuset que l’or qu’on y avoit mis ; je veux dire que les uns l’y mettent, et que les autres le trouvent ; car assez ordinairement le souffleur en mange une moitié, emporte l’autre, et souffle le tout ; laissant au fond du creuset l’espérance et le vuide dont se paissent les amateurs.
  20. Cette méthode ne seroit pas plus sûre que facile et expéditive ; elle ne pourroit l’être que dans le cas où l’on seroit assuré de n’avoir oublié dans cette énumération aucune des propriétés essentielles de l’or ; ce qui suppose qu’on les connoîtroit toutes, et que de plus on auroit un moyen pour s’assurer qu’on n’en ignore plus aucune : actuellement pouvons-nous dire que nous connoissons toutes les propriétés essentielles de l’or, et que nous sommes certains d’avoir cette connoissance complète ? Non, sans doute. Si, ayant d’abord découvert la propriété radicale de ce métal (sa forme ou cause formelle), nous en eussions déduit celles d’entre ses autres propriétés qui sont connues aujourd’hui, nous pourrions-espérer d’en déduire aussi celles que nous ne connoissons pas encore. Mais ce n’est point par la méthode à priori que nous avons acquis la connaissance de ces propriétés ; nous les avons découvertes successivement par la voie de l’observation et de l’expérience, c’est-à-dire ; par celle d’un tâtonnement plus ou moins aveugle. Il est donc très probable que nous ne les connoissons pas toutes, et que nous en découvrirons encore d’autres par la même voie, Ainsi, la voie la plus sûre pour découvrir l’art de faire de l’or, n’est point de faire l’énumération de ses propriétés connues, ni d’en chercher les causes. Cependant, si les hommes, voulant bien se contenter des propriétés de l’or déjà connues, un alchymiste parvenoit à composer un métal qui les eût tontes, ce métal pourroit n’être pas de l’or relativement à la nature, mais il en seroit par rapport à eux, comme l’observe notre auteur : car tout est relatif, et l’essentiel est de nous donner l’or que nous demandons, ou de nous apprendre à nous en passer.
  21. Cette évaporation étant visiblement l’effet de la chaleur et de l’action de l’air extérieur qui balaie et lèche, pour ainsi dire, la surface de ces liquides, il ne semble pas fort nécessaire de supposer des esprits qui aient envie de prendre l’air, et de se promener au soleil ; mais une des notes précédentes prouve cette nécessité.
  22. Ces expressions sont trop poétiques : comme notre auteur est lui-même plein de vie, il vivifie et personnifie tout ; ce qui est sans doute une source d’erreurs en physique. Cependant, si par hazard nos propres esprits avaient beaucoup d’analogie avec ceux-là, il ne seroit pas étonnant que leurs efforts eussent de l’analogie avec les nôtres ; l’agent universel est par-tout, puisqu’il est universel ; il est donc dans les corps inanimés et en nous.
  23. Les liquides du corps humain semblent n’être tous que des espèces d’émulsions qu’entretient de mouvement, et que détruit le repos. En général, nos fluides et nos solides sont des substances extrêmement putrescibles, et dont le seul mouvement peut empêcher la putréfaction. Mais, par cela même que la stagnation de ces humeurs les putréfie, elles deviennent irritantes ; elles rendent les oscillations des artères plus fréquentes ; elles accélèrent la circulation du sang ; multiplient les chocs de ses globules, soit les uns contre les autres, soit contre les parois des vaisseaux : elles le rendent donc plus fluide ; et c’est ainsi que, dans les cures spontanées, passé un certain point, la cause même du mal en devient le remède.
  24. Il a dit plus haut que les esprits tendoient naturellement à se porter au-dehors. Ils ont donc un mouvement expansif : or, comment un mouvement expansif, c’est-à-dire, tendant à écarter les unes des autres les parties du composé, peut-il être le lien de l’assemblage ?
  25. À peu près comme dans une révolution politique, sitôt que cette force qui, en comprimant excessivement les individus les plus hétérogènes, les maintient ainsi dans une apparente union, vient à être détruite par l’explosion des vices et l’inertie des vertus, chaque individu alors ne suivant plus que l’impulsion de son propre naturel, ou de ses propres habitudes, et n’obéissant plus qu’à lui même, les âmes serviles forment une faction ; et les âmes fières, une autre ; tandis que des âmes, plus fières encore, demeurent isolées faute d’analogues. Certains hommes, très-inutiles on très nuisibles par eux-mêmes, ne laissent pas d’être nécessaires, par leur situation même, aux honnêtes gens : ce n’est pas leur personne, mais leur fonction, leur nom qui est nécessaire : ce sont des espèces de signes algébriques ; il faut dégager l’inconnue, mais non pas l’effacer.
  26. Ce qui ne peut servir qu’à augmenter sa force centrifuge et à rester seul.
  27. Les observations microscopiques nous ont appris que c’est une vraie végétation ; c’est un petit jardin.
  28. D’ailleurs, toute dissolution n’étant autre chose que la séparation des parties du composé, et l’effet du froid étant de rapprocher ces parties, il est clair que son effet direct est d’empêcher, d’arrêter ou de retarder la dissolution. Cette vérité, ainsi présentée, devient triviale, et n’en vaut que mieux.
  29. Voyez la note précédente.
  30. Celui qui est le plus exactement combiné, et le plus étroitement uni aux autres parties du Composé ; car si cette extraction avoit lieu, il en résulteroit, comme il le disoit plus haut, ce genre de dissolution qui est l’effet d’une trop grande dessiccation.
  31. On commence par en tirer la cervelle, les intestins, et toutes les parties les plus putrescibles.
  32. On pourroit aussi essayer de mettre de la viande, des fruits, etc. dans l’air déphlogistiqué, dans le gaz méphitique et dans le vuide fait à l’aide de la machine pneumatique. S’il est vrai que le contact de l’air soit une condition essentielle à la putréfaction, il paroit que les corps devroient se conserver dans le vuide ; à moins qu’on ne suppose que l’air même qui se trouve dans ces corps suffit pour la provoquer. Mais, pour appliquer encore ici cette règle que nous avons si souvent observée dans les notes précédentes et que désormais, soit pour abréger l’expression, soit pour fixer les idées, nous appellerons la règle de gradation, de progression ou de série, il faudroit mettre plusieurs petits morceaux de viande tirés de la même pièce, ou plusieurs fruits de même espèce et de même qualité etc. dans une suite de récipiens où le vuide seroit de plus en plus exact. Car, si ces corps se conservoient mieux dans les récipiens où le vuide seroit plus exact que dans ceux où il le seroit moins, il s’ensuivroit que l’exclusion de l’air est un moyen de plus pour les conserver.
  33. J’ai considéré avec toute l’attention nécessaire ces six espèces de lumières, celle du bois pourri, celle des parties de poisson putréfiées, celle de la pierre de Bologne (observée alla specola, cabinet de physique et d’histoire naturelle de l’institut), celle du ver-luisant de France, celle des lucioles d’Italie (observée à Rome ainsi que sur le Pô, le Tésin et leurs rives) ; enfin celle du grand scarabée lumineux de St. Domingue et il m’a paru que, pour le degré de lumière, on pouvoit les ranger dans l’ordre même où je les place ici ; un seul de la dernière espèce, mis dans une fiole, m’éclairoit assez pour que je pusse lire un caractère plus fin que celui-ci.
  34. Par la même raison qu’on ne peut tracer une figure distincte sur un papier humide ; parce que la lumière, que lance ce corps rougi au feu, se répand dans l’espace environnant, on plutôt dans l’air ambiant qui boit, pour ainsi dire, cette lumière.
  35. Il ne dit pas si c’étoit durant le jour ou durant la nuit, ni combien de temps il l’avoit tenu à l’air.
  36. Il faut ajouter, et humide ; car l’obscurité n’est pas l’opposé de la sécheresse ; et d’ailleurs il paroît, d’après la totalité de ces expériences, que l’humidité de l’air auquel on expose ce bois, est une condition nécessaire pour le rendre lumineux en augmentant sa putridité.
  37. Pourquoi pendant deux nuits ? Où les mettoit-il durant le jour ? c’est ce qu’il ne dit pas. Au reste ce plan de recherches est un modèle précieux ; car on voit qu’il tourne et retourne son sujet pour l’envisager par toutes ses faces, et saisir toutes ses relations ; cependant sa description n’est pas encore assez circonstanciée ; ni assez précise ; et ce sujet peut être mieux approfondi. Par exemple, on pourroit encore mettre le bois pourri (et déjà lumineux, ou susceptible de le devenir) dans l’eau, le vin, l’esprit de vin, l’huile, etc, dans l’air déphlogistiqué, dans l’air méphitique, dans le vuide, dans l’air condensé, etc. diriger dessus un courant d’air ; ou l’exposer à l’action d’un air en mouvement ; l’exposer à un très grand froid, ou à une très grande chaleur, où à l’un et à l’autre alternativement ; l’électriser, le frotter, le frapper, le mettre dans l’eau bouillante, le frire, le boucaner, etc. toujours en appliquant notre règle de gradation ; je veux dire, en employant, sur une suite de sujets (de morceaux de ce bois} chacun de ces moyens, à différentes mesures ; en réitérant ou faisant durer plus ou moins cet emploi ; en réitérant plus ou moins l’emploi alternatif de ce moyen et de son opposé ; soit pour s’assurer de son véritable effet, soit pour connoître les limites (le minimum et le maximum) hors desquelles il n’a plus d’effet.
  38. Cette explication ne vaut pas mieux que l’autre : si tel degré de foiblesse de la mère avance d’un mois son terme, il se peut qu’une foiblesse encore plus grande l’avance de deux.
  39. Il paroît que les Irlandois, les Suisses et les Saxons doivent principalement à cette cause leur haute stature.
  40. Ce passage semble contredire ce qu’il a dit plus haut ; mais il parloit d’abord du lait de vache dont la plus grande partie devoit avoir passé au feu ; actuellement il parle de lait de femme et d’allaiter ; ce qui est fort différent.
  41. Ainsi, en se prêtant un peu à ces suppositions très gratuites, on peut dire que l’huile est une eau cuite ; la terre, une eau sèche (à force d’être gelée) ; l’eau, une huile crue, ou une terre fondue ; l’air, une eau extrêmement dilatée, etc. etc. car, lorsqu’on marche au hazard, en s’arrêtant de bonne heure, on s’égare moins.
  42. Quelle physique ! Toujours des suppositions ! 1°. Qu’est-ce qu’une onctuosité nitreuse ? 2°. Cette onctuosité est-elle bien réelle ? 3°. Cette onctuosité ne viendroit-elle pas de ce que la matière même, émanée du soleil, se combine avec l’eau et la terre ? 4°. Est-il bien certain que l’eau et la terre doivent à une onctuosité nitreuse la faculté de produire des plantes, et qu’elles ne la doivent pas à cette matière solaire ?
  43. On a ce que nous appelons une assemblée primaire.
  44. Mais, si l’air se contracte en pareil cas dans la boute du thermomètre de Drebbel, comme il l’a dit tant de fois, il est clair que, dans cette vessie, il doit également se contracter, Ainsi cette expérience n’a rien de merveilleux.
  45. On pourroit décider cette question, en filtrant l’eau à travers différentes épaisseurs de la même espèce de terre. Car, si celle qui se seroit filtrée à travers une grande épaisseur de cette terre, devenoit, par sa congélation, visiblement plus solide que celle qui se seroit filtrée à travers une moindre épaisseur, il s’ensuivroit que la filtration de l’eau à travers les terres la dispose à acquérir une plus grande solidité par la congélation.
  46. Aux battemens de pouls qu’il emploie pour mesurer le temps, nous substituerons des secondes ; ce qui revient à peu près au même ; car le pouls d’un Français, de25 à 30 ans, de complexion moyenne, dont la situation est supportable, et qui raisonne quelquefois, bat de 60 à 70 fois par minute, comme nous nous en sommes assurés par l’expérience. Ainsi, la durée d’un battement de poule d’un Anglois, déja sur l’âge, philosophe et disgracié, est d’environ une seconde ; et nous pouvons, sans erreur sensible, prendre pour des secondes les battemens de pouls de notre auteur.
  47. Si la quantité de l’esprit de vin étoit la même que dans la première expérience, la cuiller étoit pleine et le nitre n’y pouvoit tenir ; il veut dire, cinq parties d’esprit de vin et une de nitre, la cuiller n’étant pas tout-à-fait pleine ; car le sixième de nitre avoit moins de volume qu’un poids égal d’esprit de vin.
  48. Cette quantité fut probablement déterminée par le poids ; il ne dit point si le petit morceau de cire étoit fixé, ou non, sur le fond de la cuiller.
  49. L’édition angloise met ici un point qui nous paroît nécessaire ; mais toutes les éditions latines mettent un point et une virgule : cette dernière ponctuation porteroit à croire qu’il s’agit encre du morceau de cire ; mais la suite du discours fera voir que le traducteur latin s’est trompé ; car l’auteur, en tirant de ces expériences les conséquences qu’elles indiquent, ne parle point de la combinaison du morceau de cire avec toute autre liqueur que l’esprit de vin.
  50. Il paroît que ces corps solides n’avoient d’autre effet que de diminuer la quantité de l’esprit de vin, à raison de l’espace qu’ils occupoient dans la cuiller.
  51. Pour remplir cet objet, on pourroit les tenir fort long-temps dans une glacière.
  52. L’œil ne verroit pas cette vapeur qui est une substance aériforme ; il ne verroit qu’un vuide, c’est-à-dire, rien du tout.
  53. Suivant ces traditions, ces lumières s’éteignoient aussi-tôt qu’on leur donnoit de l’air ; mais quelques physiciens conjecturent que ce n’étoit autre chose que des moufettes, qui, à l’approche de la lumière qu’on portoit dans ces souterrains, prenoient feu.
  54. Selon toute apparence, ce ne sont pas des vapeurs humides, mais des moufettes, ou de l’air méphitique.
  55. Et de celui de la fibre musculaire, qui, dans un temps humide, est plus lâche ; l’humidité aqueuse ayant le double effet d’accourcir les cordes végétales et d’allonger les cordes animales. De plus, l’air humide est an-électrique, ou conducteur d’électricité. Le corps humain, dans un temps humide, est, en quelque manière, une bouteille de Leyde mal isolée, et qui se décharge continuellement de son fluide électrique dans l’air environnant. L’homme est alors un mauvais ouvrier qui travaille avec un mauvais outil ; ce qui diminue doublement le produit de son travail, relativement à la qualité et à la quantité.
  56. La plupart des maladies ont pour cause la suppression de quelque évacuation nécessaire, d’une ou de plusieurs espèces ; et par conséquent le froid, sur-tout le froid subit, après une grande chaleur, soit que ce froid ait pour cause les variations de l’atmosphère, celles des passions, ou celles des exercices ; des occupations, du régime alimentaire, etc.
  57. Le temps présent est gros de l’avenir, suivant l’expression de notre auteur. Quelquefois, comme nous l’avons observé ailleurs, l’hiver donne à un individu un coup mortel dont il meurt en été ; cependant le température régnante durant cet été-là, n’est pas pour cela cause de sa mort. Elle peut ou y contribuer, ou être insuffisante pour l’empêcher ; mais certainement elle agit d’une manière ou de l’autre, son effet ne pouvant être nul.
  58. Il suppose comme les anciens et quelquesuns de leurs disciples, qu’il existe une relation entre ces deux choses, sécheresse de la complexion et sagesse ; opinion qui n’est pas tout-à-fait dénuée de fondement. Chacun sait, par sa propre expérience, qu’un rhume rend presque entièrement incapable d’une méditation soutenue ; il semble qu’un imbécile, un sot, soit un homme dont le cerveau est habituellement surchargé d’humidité, et dont l’esprit est toujours enrhumé : mais, pour donner de la solidité à ce principe, qui n’est rien moins que général, il faut le limiter ; car l’effet ordinaire d’une complexion extrêmement sèche, est la turbulence de l’esprit et la violence du caractère.
  59. Le bégaiement paroit avoir deux causes principales : la mauvaise conformation des instrumens de la parole, et la confusion des idées, qui peut aussi être produite par deux causes opposées ; savoir : au physique, une chaleur, ou un froid excessif ; et au moral, la colère, la joie, etc. ou la crainte, la honte ; etc.
  60. Grosse tumeur qu’ont au cou quelques habitans du Valais, et quelques femmes de Semur, ville où les eaux sont crues et séléniteuses.
  61. Cette explication ne laisse pas de souffrir quelques difficultés. Si ces sources sont précisément au sommet d’une montagne, et ne viennent point d’une autre, elles ne traversent aucune terre ; si elles sont près du sommet, l’épaisseur de terre qu’elles traversent est très petites et si elles viennent d’une autre montagne, elles traversent une épaisseur de terre beaucoup plus grande, et elles se mêlent beaucoup plus avec d’autres eaux, que celles qu’on trouve dans les vallées.
  62. Cette partie de son explication est à contre-sens ; car le vent alisé règne non-seulement dans le milieu de la zone torride, mais aussi dans les parties plus septentrionales ou plus méridionales, jusqu’aux tropiques et même fort au-delà. D’ailleurs, plus on va au nord (dans notre hémisphère), plus ce vent s’approche du nord-est, et plus il doit être frais.
  63. J’ai été obligé de changer totalement le texte original qui s’exprime ainsi : car, sous la ligne, le soleil croise ou traverse la ligne ; ce qui y produit deux étés et deux hivers : mais, sur les limites de la zone torride, il passe deux fois et revient sur ses pas, ce qui n’y produit qu’un seul été fort long. Au reste, les trois causes indiquées se combinent avec beaucoup d’autres, dont quelques-unes ne sont que la même agissant de différentes manières (mais, pour abréger, nous nous bornerons à six.

    1°. Au milieu de la zone torride, les crépuscules sont plus courts ; parce que les parallèles à l’équateur que le soleil y paroît décrire par son mouvement diurne, étant perpendiculaires à l’horizon, cet astre s’éloigne plus promptement de ce grand cercle.

    2°. Le Pérou dont il s’agit, est un pays fort élevé.

    3°. Il est situé près de montagnes à neige et à glace.

    4. Ces mêmes montagnes font que le soleil y paroît plus tard, disparoît plutôt, et demeure moins long-temps sur l’horizon.

    5°. Le Pérou est entre deux grandes mers ; savoir : la mer atlantique et la mer pacifique.

    6°. Plus on s’avance vers le midi, plus on trouve d’eau, et le Pérou est fort méridional relativement aux contrées dont il parle. Aussi fait-il beaucoup plus chaud dans toutes les régions situées sous le tropique du Cancer, que dans toutes celles qui se trouvent sous le tropique du Capricorne.

  64. Un paysan qui voudroit résoudre cette question, considérant, d’un côté, la couleur des nègres ; de l’autre, l’extrême chaleur qui règne dans leur pays, diroit tout simplement : ce sont des hommes rôtis par le soleil ; car, après tout, on ne voit point de nègres dans les pays froids, ni d’hommes fort blancs dans les pays chauds. Ainsi la grande chaleur est la cause nécessaire de cette couleur noire ; mais il ne s’ensuit pas de là qu’elle en soit la cause suffisante ; puisque les habitans de Sumatra, qui sont presque sous la ligne, et qui habitent un pays fort bas, ne sont pas très noirs. De plus, un nègre qui a peur, pâlit sensiblement ; mais il ne devient pas blanc pour cela. Cette couleur dépend donc en partie du sang, en partie de la peau. Leur sang est d’une couleur beaucoup plus sombre que le nôtre. Cette couleur combinée avec celle d’une peau très basanée, paroît être la cause de leur couleur noire, Quelques physiologistes prétendent qu’à ces deux causes il faut ajouter la nature et la constitution de leur tissu cellulaire ; toutes causes qui ne sont peut-être que des effets de la chaleur agissant pendant plusieurs milliers d’années.
  65. Puis il courut jouer à la fossette.
  66. J’ai vu plusieurs fois des poulets, auxquels on avoit tranché net la tête, à l’aide d’un rasoir, parcourir un espace de plusieurs pieds, revenir sur leurs traces, et tomber enfin. C’étoit une jeune fille, fort jolie, qui faisoit cette expérience ; au moment où elle jouoit ainsi, elle me paroissoit horrible. Une triste et cruelle nécessité, fille de l’habitude et mère de presque tous nos vices, nous oblige d’égorger les animaux pour nous en nourrir ; mais gardons-nous de jouer avec leur existence et de rire de leurs souffrances ; ils sont nos frères par la douleur et la mort.