SYLVA SYLVARUM (trad. Lasalle)/Centurie IX

Sylva Sylvarum
Centurie IX
Traduction par Antoine de La Salle.
Œuvres9 (p. 167-327).

Centurie IX.
Expériences et observations tendant à prouver que la faculté de percevoir réside dans les corps mêmes privés de la faculté de sentir ; application de cette théorie aux prédictions et à la découverte des choses cachées.

Un des faits les mieux constatés par une continuelle expérience, c’est celui-ci : tous les corps, quels qu’ils puissent être, même ceux qui sont privés de la faculté de sentir, ne laissent pas d’être plus ou moins doués de la faculté de percevoir. Car, lorsque les corps sont appliqués à d’autres corps, on les voit, en conséquence d’une sorte de choix, s’unir aux substances avec lesquelles ils ont de l’affinité, et repousser ou fuir celles dont la nature est opposée à la leur[1]. Lorsqu’un corps agit sur un autre corps, son action est toujours précédée d’une perception qui a lieu, et dans le corps altérant et dans le corps altéré ; autrement les corps ne pourroient agir les uns sur les autres, n’auroient aucune influence réciproque, et seroient tous semblables. Dans certains corps, cette perception est si subtile, qu’elle échappe aux sens, instrumens trop grossiers relativement à des nuances si délicates et à des impressions si légères. C’est ainsi que le thermomètre indique les plus légères variations de la température par rapport au chaud et au froid, variations dont nous ne sommes avertis par aucune sensation. Cette perception si fine a quelquefois lieu à une certaine distance aussi-bien que dans le cas du contact immédiat, comme nous en voyons des exemples, soit dans cette attraction que l’aimant exerce sur le fer, soit dans la naphte babylonique, qui prend feu à une distance assez grande d’un corps enflammé. Ainsi, ces perceptions délicates sont un sujet qui mérite de fixer l’attention de l’observateur, et d’être approfondi par une recherche ex-professo ; ces facultés de percevoir et de sentir étant les deux grandes clefs du sanctuaire de la nature, et la première étant quelquefois la meilleure. C’est aussi une des principales bases de la divination naturelle[2]. Car ces perceptions délicates indiquant les plus foibles degrés d’un phénomène commençant, annoncent ainsi de bonne heure ses degrés plus sensibles et plus marqués qui n’auront lieu que longtemps après. Or, ces indications ne servent pas seulement à prédire les événemens futurs, mais aussi à découvrir les choses cachées dans le présent, comme le prouvent une infinité d’expériences et d’observations délicates en ce genre. Par exemple, doutez-vous si des semences sont vieilles ou nouvelles, vos sens seront en défaut, et ne pourront vous instruire sur ce point ; mais jetez ces semences dans l’eau bouillante, et vous distinguerez aisément les nouvelles ; car elles germeront presque sur-le-champ. De même le témoignage des sens ne suffit pas pour juger des bonnes ou des mauvaises qualités de l’eau destinée à servir de boisson ; mais on reconnoît bientôt la meilleure, par la promptitude avec laquelle elle s’évapore et se consume, ou par beaucoup d’autres moyens indiqués dans la quatrième Centurie. De même enfin, dans la physiognomonie, les simples linéamens du corps décèlent ces dispositions naturelles de l’âme et ces inclinations primitives, que la dissimulation nous excite à voiler par mille prétextes, et que l’éducation nous apprend à vaincre ou à réprimer. Ainsi, nous ne traiterons dans cet article que de ce genre de perceptions qui se rapportent à la divination naturelle, et à l’art de découvrir les choses cachées, quoique présentes ; renvoyant à un autre lieu ce qui regarde les perceptions relatives à d’autres objets. Cette divination, à la vérité, peut avoir d’autres bases : par exemple, si vous connoissez les causes et les phénomènes qui accompagnent ou ces causes, ou leurs effets, vous êtes, par cela même, en état de prédire ces effets ; et il en est de même de la découverte des choses cachées. Cependant, nous nous attacherons ici plus particulièrement à ce genre de divination et de découvertes qui ont pour fondement une perception fine et anticipée[3].

Il n’est pas douteux qu’on ne puisse pressentir la disposition de l’air ou de l’eau à la corruption, ou à la putréfaction, long-temps avant qu’elle se manifeste par des effets sensibles ; telles que maladies épidémiques, nielle, etc. Ainsi, nous commencerons par indiquer quelques signes, ou pronostics relatifs aux années d’une constitution pestilentielle et insalubre.

801. Nous avons parlé, dans les Centuries précédentes, des indications que fournissent les vents de midi, d’une longue durée et sans pluie ; ainsi que de celles qu’on peut tirer des vers qu’on trouve quelquefois dans les pommes de chêne, ou fausses galles. L’apparition d’une multitude immense de grenouilles, de crapauds, de sauterelles, de mouches et d’autres animaux semblables, qui sont autant de produits diversifiés de la putréfaction, est encore un pronostic de qualités pestilentielles dans l’air, l’eau, etc.

802. Les chaleurs excessives qui se font sentir de très bonne heure, même au printemps, sur-tout au mois de mai, et accompagnées de grands calmes, an- noncent aussi une température insalubre. Et, généralement parlant, on doit avoir la inême idée de toutes les années où il tonne et vente peu.

803. Une sécheresse excessive qui dure tout l’été, même jusqu’à la fin d’août, et à laquelle succèdent de petites pluies suivies d’une nouvelle sécheresse, sont d’un sinistre présage, et annoncent beaucoup de maladies pour l’été de l’année suivante. Car, vers la fin du mois d’août, ces douces émanations de la terre qui ont pénétré dans les arbres et les plantes herbacées, s’étant exhalées et dissipées, sur-tout ce mois ayant été sec, comme nous le supposons, si la terre transpire alors, il ne peut plus s’en élever qu’une vapeur grossière, qui, se répandant insensiblement dans tout le corps de l’atmosphère, corrompt toute la masse de l’air, et lui communique des qualités nuisibles. Les petites pluies qui tombent après une telle température, amollissant la surface de la terre, provoquent ainsi une abondante émission de vapeurs pernicieuses. Aussi, les personnes qui, après ces pluies, ont l’imprudence de s’exposer au grand air, courent-elles risque d’être atteintes de maladies graves. Lorsque les Africains, après une grande sécheresse, voient tomber ces premières pluies, ils ne sortent point du tout. Mais, s’il tomboit d’abord de grosses pluies, au lieu de provoquer la transpiration de la terre, elles y mettroient obstacle, en détrempant sa surface, et bouchant ses pores. De plus, dans le premier cas même, si la sécheresse revient, elle fait durer et fixe, en quelque manière, la corruption de l’air, que les premières pluies ont commencée ; elle aggrave ses funestes effets, et étend son influence jusqu’à l’été de l’année suivante ; à moins que ses impressions ne soient détruites ou très affoiblies par l’acrimonie et la force pénétrante du froid d’un hiver très rigoureux, qui toutefois succède rarenent à de telles sécheresses.

804. Lorsque les maladies contagieuses et épidémiques, telles que petites véroles, fièvres pourprées, petites fièvres, soit intermittentes, soit périodiques, qui sont des restes de l’été, durent tout l’hiver, c’est un fort mauvais signe, et un pronostic de maladies graves pour l’été suivant. Leur longue durée et leur obstination annoncent que la putréfaction étant très intime et très profonde, n’a pu parvenir à son maximum, et achever toute sa période en une seule fois.

805. Pour faire quelque expérience tendant à notre but, il faudroit exposer à l’air libre un morceau de viande ou de poisson crud ; et s’il se putréfioit promptement, ce signe annonceroit qu’il y auroit dans l’air une disposition marquée à la putréfaction. Cependant, comme on ne peut juger si cette putréfaction est prompte ou lente, qu’en comparant le résultat d’une expérience de ce genre, avec celui d’une expérience semblable faite dans une autre année, il ne seroit pas inutile de la faire dans la même année, et précisément dans le même temps, en exposant deux morceaux de viande ou de poisson crud, de la même espèce et du même volume ; l’un, à l’air extérieur ; l’autre, à celui de l’intérieur d’une maison ; car je présume que, si l’air avoit alors une disposition générale à la putréfaction, la viande ou le poisson se putréfieroit plus promptement dans l’air extérieur qui a plus de force et d’influence, que dans l’air intérieur qui en a beaucoup moins, et dont les qualités peuvent être corrigées par une infinité de causes locales. Le meilleur temps pour faire cette expérience, ce seroit la fin de mars, l’époque où l’on peut le mieux juger de l’influence qu’a eue l’hiver précédent, et de celle qu’aura l’été suivant, sur la constitution générale de l’air. Et comme il n’est pas douteux que les émanations de la terre ne modifient et ne teignent, pour ainsi dire, la masse d’air qui s’appuie dessus ; pour en juger plus sûremnent, il faudroit mettre un morceau de viande ou de poisson sur la terre même, et un autre tout semblable, au bout d’une longue perche plantée verticalement.

806. Prenez de la rosée de mai, et voyez si elle se putréfie promptement ou lentement ; cette substance étant aussi très propre pour indiquer le plus ou le moins de disposition de la terre et des vapeurs terrestres à la putréfaction.

807. La sécheresse des mois de mars et de mai, le mois d’avril, placé entre deux, étant pluvieux, annonce un été salubre ; et le signe contraire annonce un été mal sain.

808. Les moyens que nous venons d’indiquer pour connoître la disposition générale de l’air, ne serviroient pas seulement à former des pronostics certains sur le plus ou moins de salubrité des différentes années ; mais on en tireroit aussi des indications également sûres, dans le choix de son domicile, ou du moins d’un lieu de séjour et de retraite pour rétablir sa santé ; enfin, ils fourniroient d’autres indications relativement aux précautions à prendre pour conserver ses provisions, ou au choix à faire d’un domicile où elles pussent se conserver aisément. Les expériences que nous avons indiquées, peuvent remplir ce triple objet.

809. Quant au choix d’un lieu de domicile ou de séjour, il faut faire différentes épreuves, pour connoître non-seulement le plus ou moins de disposition de l’air à la corruption, mais encore ses degrés de chaleur ou de froid, de sécheresse ou d’humidité. Car toutes ces considérations importent à la santé et sous plus d’un rapport. On sait (et c’est une observation que nous avons déjà faite), que, dans certaines maisons, les sucreries, les pâtisseries, et les viandes cuites se moisissent ou se putréfient plus vite que dans d’autres. On en voit aussi ou les boiseries suent à tel point, qu’elles se couvrent de gouttes sensibles ; tous effets manifestes de l’excessive humidité de l’air de ces maisons. Mais, comme il vaut mieux s’assurer de toutes ces choses, avant de bâtir, que de courir tous les risques de l’expérience, on peut avoir recours aux moyens suivans.

810. Dans chacun des différens lieux entre lesquels vous voulez faire un choix pour votre séjour ou votre domicile, mettez de la laine, une éponge, un morceau de pain, etc. puis voyez si ce corps ne devient pas plus humide et plus pesant. S’il le devient en effet, ce signe annonce que l’air de ce lieu est humide et grossier ; humidité qui sera proportionnelle à l’augmentation du poids de ce corps.

811. On sait que, dans certains lieux, l’air est sujet à des variations plus grandes et plus fréquentes que dans d’autres ; variations qui peuvent dépendre, soit de la nature même du sol, soit du voisinage des bois et des montagnes, et qui sont fort contraires à la santé. Il faudroit placer, à la même heure du jour, en différens lieux où il n’y eût point d’ombre, et entièrement découverts, deux thermomètres parfaitement égaux à tous égards. Ces instrumens une fois placés, chaque fois que vous vous absenterez, vous observerez à votre départ et à votre retour, le degré auquel se sera fixée la liqueur, dans le tube de chacun ; vous comparerez ensemble d’abord ces deux degrés ; puis les variations de l’un de ces tubes, à celles de l’autre. Cela posé, vous jugerez que celui des deux lieux où la liqueur aura le plus baissé, est le plus chaud, et au contraire[4]. Or, plus il y aura, dans l’un de ces deux lieux, de différence par rapport à l’élévation ou à l’abaissement de la ligueur dans le tube, entre le moment de votre départ et celui de votre retour, ou plus le temps écoulé entre ces deux momens sera court, les différences étant les mêmes, plus aussi les variations et les inégalités de l’air, relativement à sa température, seront grandes et fréquentes. Enfin, plus il y aura de différence à cet égard entre les deux lieux à comparer, plus il y en aura aussi entre leurs variations, par rapport à la température[5].

812. Des pronostics non moins utiles que les précédens, ce sont ceux qui ont pour objet les grands froids, les hivers longs et rigoureux, ainsi que les étés fort chauds et fort secs ; pronostics qui peuvent tout à la fois conduire à la découverte des causes, et indiquer de bonne heure les mesures à prendre, soit pour multiplier, soit pour conserver les subsistances. Nous avons déjà parlé des pronostics qui se tirent de la multiplication excessive des baies de l’eglantier, des graines de l’épine blanche et des mûres de buisson. De plus si les boiseries et les pierres qui suent ordinairement, et qui deviennent sensiblement humides au commencement de l’hiver, se trouvent alors fort sèches, ou encore si ces eaux qui dégouttent ordinairement des auvents ou des toits, à cette même époque, sur-tout le matin, tombent beaucoup plus tard, tous ces signes annoncent des gelées âpres, et un hiver très rigoureux ; vu qu’ils indiquent la constitution sèche de l’air, et une disposition constante au beau temps qui, en hiver, est presque toujours accompagné de fortes gelées.

813. En général un été froid et humide annonce un hiver très rigoureux ; car alors l’action des rayons solaires, pendant tout l’été n’ayant pas été suffisante pour dissiper les vapeurs aqueuses qui se sont élevées de la terre, elles se réfléchissent, pour ainsi dire, et retombent sur l’hiver.

814. Un été et un automne chauds et sur-tout si la chaleur et la sécheresse se prolongent fort avant dans le mois de septembre, annoncent que le commencement de l’hiver sera fort doux ; que le froid ne se fera sentir que vers la fin de cette saison, et se prolongera dans le printemps ; un automne chaud et sec, après un été de même nature, annonçant que la chaleur et la sécheresse dominent encore, et que les vapeurs aqueuses, qui ordinairement diminuent l’une et l’autre, dans cette saison, ne se sont pas élevées en assez grande quantité pour produire ce double effet.

815. Un hiver fort doux et où l’on voit encore de la verdure, pronostique un été chaud et sec, les vapeurs se tournant alors en pluie durant l’hiver ; vapeurs qui, dans le cas opposé, auroient été fixées par la gelée, et se seroient ensuite répandues dans le corps de l’atmosphère, à la fin du printemps, et durant tout l’été de l’année suivante.

816. Lorsque les oiseaux de passage paroissent de bonne heure, ils annoncent une température semblable à celle des pays d’où ils viennent : par exemple, si les oiseaux accoutumnés aux climats froids, comme les corbeaux, les outardes, les bécasses, etc. viennent des régions septentrionales plutôt qu’à l’ordinaire, on peut les regarder comme autant de courriers qui annoncent l’approche de l’hiver. Mais, si ce sont des oiseaux du pays même, qui paroissent ainsi avant le temps, ils pronostiquent une température analogue à celle de la saison où ils paroissent ordinairement. Par exemple, si les hirondelles, les chauve-souris, les coucous et autres oiseaux semblables, qui ne paroissent ordinairement qu’au commencement de l’été, se montrent de bonne heure, c’est un présage de grandes chaleurs pour l’été suivant[6].

817. Les pronostics les plus immédiats, c’est-à-dire ceux qui se rapportent à un temps fort court et peu éloigné, sont plus sûrs que ceux qui se rapportent aux saisons. Par exemple, un bruit sourd qui se fait entendre sur les rivages de la mer, ou un murmure semblable à celui des vents, et qu’on entend dans les bois, quoiqu’aucun vent ne se fasse encore sentir, annonce que dans peu il ventera. Car les vents de cette nature, qui viennent de l’intérieur de la terre, du moins en grande partie, ne sont pas d’abord sensibles, et ne le deviennent qu’au moment où ils sont resserrés et comprimés par l’eau ou par les bois. Aussi un bruit souterrain fournit-il la même indication.

818. L’air de la région la plus élevée de l’atmosphère est promptement affecté par les vapeurs qui s’y ramassent et qui sont la matière première des tempêtes ; et il l’est d’une manière sensible longtemps avant que celui de la région inférieure où nous vivons le soit sensiblement. Ainsi, lorsque les petites étoiles disparoissent, c’est ordinairement un présage de tempête prochaine. On trouvera beaucoup d’exemples du même genre dans notre histoire des vents[7].

819. Les montagnes, grandes et élevées, sont aussi plus promptement affectées[8] que les plaines ou les vallées, par cette disposition de l’air d’où résultent les tempêtes. Aussi, dans le pays de Galles, lorsqu’on voit certaines montagnes couvertes de nuages fixes, que le vulgaire appelle leur bonnet de nuit, regarde-t-on ce phénomène comme un sinistre présage. Les tempêtes se formant ordinairement dans ce qu’on appelle la moyenne région de l’air, il n’est pas étonnant qu’avant le moment où elles se font sentir, on voie les vapeurs qui les enfantent se ramasser dans la région la plus voisine.

820. L’air et le feu ont une sorte de perception fine et délicate d’un vent prêt à s’élever, mais qui n’est pas encore sensible pour l’homme. Par exemple : le mouvement tremblotant de la flamme des chandelles nous annonce un vent dont nous ne sentons pas encore le souffle, et la forme sinueuse qu’elle prend en s’élevant, nous avertit aussi que l’air est déjà un peu agité. Il en est de même des charbons, lorsque les cendres s’en détachent plus vite et en plus grande quantité qu’à l’ordinaire. La raison de ces indications est qu’aucun vent n’est sensible pour nous dans le premier instant, et avant d’avoir donné à l’air une impulsion d’une certaine force ; ainsi la flamme étant plus mobile que l’air, une foible impulsion doit la mettre plutôt en mouvement. Quant aux cendres, il n’est pas étonnant qu’elles se détachent si aisément des charbons avant qu’on ait senti l’impression d’aucun vent ; car nous ne connoissons ordinairement la direction du vent qui souffle que par celle qu’il fait prendre aux herbes, aux brins de paille, aux plumes et autres corps légers qu’il élève dans l’air. Lorsque le vent s’élève des profondeurs de la mer, non-seulement il produit un bruit sourd, qui paroît venir de l’eau, mais de plus il fait monter à sa surface de petites bulles et une écume blanche, en forme de cercles ; car un vent de cette espèce n’est pas sensible à sa première éruption, et ne le devient qu’au moment où, sortant de dessous l’eau en certaine quantité, il prend un peu de corps et de force.

821. Nous avons parlé ci-dessus de l’indication fournie, soit par les cendres qui se détachent des charbons, soit par les brins d’herbe ou de paille, et autres corps légers que le vent agite et disperse. Ainsi, en général, des corps légers de cette espèce, comme plumes, duvets de chardons etc. mis en mouvement, et flottant çà et là dans l’air, décèlent un vent prêt à s’élever, et qui n’est annoncé par aucun souffle sensible.

Quant aux pronostics qu’on peut tirer des animaux, relativement à la température, il est bon d’observer que, vivant presque toujours en plein air (sub dio), ils ont, par cela seul, un sentiment plus fin et plus prompt des légères variations de l’air, que l’homme qui se trouve presque toujours renfermé dans l’intérieur des maisons ; et les oiseaux ont, à cet égard, un avantage marqué sur les animaux terrestres ; car, ils vivent dans un air beaucoup plus libre et plus pur, sans compter qu’ils sont à même d’exprimer, par les inflexions de leurs voix et les variations de leur vol, les changemens qu’ils pressentent.

822. Des oiseaux aquatiques, tels que les mauvis, les mouettes, etc. volant en troupe de la mer vers le rivage ; ou au contraire, des oiseaux terrestres, tels que les hirondelles, les corneilles, etc. volant de la terre vers l’eau, et la frappant avec leurs ailes, sont un double présage de pluie et de vent. La raison de cette double indication n’est autre que le plaisir même qu’éprouvent les oiseaux de ces deux espèces, lorsque l’air devient plus dense et plus humide ; plaisir qui les excite à se mettre en mouvement, à voler en troupe, et à battre aussi des ailes (quelle que soit d’ailleurs la direction qu’ils prennent). On doit être d’autant moins surpris de voir les oiseaux aquatiques donner des signes de joie, lorsque l’air devient analogue à l’eau, leur élément, que les oiseaux terrestres, comme on le sait, se plaisent également dans un air humide, et aiment à se baigner. C’est en vertu de la même cause qu’on voit alors certains oiseaux se plumer ou arranger leurs plumes ; qu’on entend les oies crier fréquemment ; et que les corneilles semblent implorer, appeler la pluie ; tous signes de la sensation agréable qu’éprouvent ces oiseaux à mesure que l’air s’amollit et se détend.

823. Lorsque le héron s’élève fort haut, et paroît même quelquefois au-dessus d’un nuage, c’est un signe de vent ; au contraire, le milan prenant un essor très élevé, est un présage de calme et de beau temps. La raison de cette différence est que chacune de ces deux espèces d’oiseaux, en s’élevant ainsi, cherche naturellement le genre d’air qui lui convient le mieux, et dans lequel elle se plaît le plus. Or, le héron, en qualité d’oiseau aquatique, doit se plaire dans un air un peu dense, sans compter que cet oiseau ayant le vol assez pesant, a besoin, pour se soutenir, d’un air un peu grossier ; mais le héron, en s’élevant jusqu’à cette région supérieure, cherche moins la densité de l’air que sa fraîcheur : or, en qualité d’oiseau de proie, et par conséquent fort chaud, il doit aimer l’air frais. Aussi le voit-on souvent voler contre le vent, à peu près comme on voit les truites et les saumons nager contre le courant. Cependant il est vrai, en général, que tous les oiseaux recherchent de préférence un air d’une certaine profondeur, par la même raison que les nageurs aiment les eaux profondes ; car, lorsqu’ils sont ainsi élevés, ils peuvent se soutenir, en tenant simplement leurs ailes étendues, et presque sans leur donner de mouvement.

824. Lorsque les poissons se jouent à la surface de l’eau, c’est ordinairement un signe de pluie ; car le poisson n’aimant point l’air sec, il ne s’approche de l’air extérieur que lorsqu’il devient plus humide ; et lorsque cet air est sec, ces animaux doivent, pour l’éviter, nager, comme ils le font, à une plus grande profondeur.

825. Généralement parlant, un air humide ranime et réjouit tous les animaux terrestres ; on les voit alors paître avec plus d’avidité. Lorsque les moutons pressentent la pluie, ils dorment beaucoup moins, et courent de grand matin aux prairies. Le gros et le menu bétail, les daims, etc, à l’approche de la pluie, sont aussi plus avides. On voit même alors les génisses lever fréquemment la tête, et aspirer l’air humide par leurs naseaux, avec un plaisir manifeste.

826. À l’approche d’un temps pluvieux, la tige du trèfle se renfle, et cette plante prend une attitude plus droite ; l’effet naturel de l’humidité étant de redresser les tiges et de courber les feuilles. Il est une plante qui porte des fleurs rouges, qu’on trouve parmi les chaumes, après la moisson (la pimprenelle), et qui fournit aussi une indication de ce genre ; car, lorsque sa feuille se déploie le matin, on peut compter sur le beau temps pour toute la journée.

827. Dans notre espèce même, à l’approche de la pluie ou de la gelée, les cicatrices, les cors, etc, se font sentir plus vivement ; les maux actuels sont plus douloureux, et les maux assoupis se réveillent ; la première de ces deux causes augmentant la quantité des humeurs ; et la dernière, leur acrimonie : aussi l’effet commun de ces deux extrêmes est-il de provoquer la goutte.

828. Les vers, la vermine, etc. semblent aussi pressentir la pluie ; car, à l’approche d’un temps pluvieux, les vers de terre paroissent ; les taupes fouillent davantage et poussent à la surface plus de terre ; les mouches et les puces piquent plus sensiblement, etc.

829. Les effets sensibles de l’humidité sur les corps solides, fournissent aussi des indications relativement à la pluie ; par exemple, à l’approche d’une température de cette espèce, les pierres et les boiseries suent ; les boîtes ne s’ouvrent qu’avec peine ; les chevilles d’un violon sont plus difficiles à tourner, etc. Cependant les effets du premier genre ne doivent être attribués qu’à une cause extérieure ; car la pierre et les boiseries ne font qu’attirer l’humidité, et la retenir à leur surface ; au lieu qu’elle pénètre dans l’intérieur de ces autres bois, et les fait renfler sensiblement.

Observations sur les différentes causes qui, en agissant sur l’estomac, y excitent l’appétit.

830. Les substances froides et sèches sont celles qui excitent le plus l’. appétit ; car le froid décèle, en quelque manière, l’indigence (la foiblesse) de la nature, et annonce qu’elle a besoin de secours ; il en faut dire autant de la sécheresse. Aussi voit-on que tous les acides, tels que vinaigre, jus de citron ou de limon, verjus, huile de vitriol, etc. provoquent la faim. Et cette maladie connue sous le nom de faim canine, n’a d’autre cause qu’une matière acide, qu’un phlegme de nature vitreuse, qui s’est attaché à l’orifice de l’estomac. Mais, si les substances acides excitent l’appétit, c’est encore parce qu’elles contractent les nerfs qui ont leur insertion dans l’orifice de l’estomac ; contraction qui provoque puissamment la faim. Les oignons, le sel et le poivre, employés comme assaisonnemens, produisent le même effet en irritant et agaçant ces mêmes nerfs ; car l’effet du mouvement est de déterminer les fluides vers les parties mues, et d’humecter ainsi ces parties. L’absynthe, les olives, les câpres et autres substances plus ou moins amères, qui ont aussi la propriété d’exciter l’appétit, la doivent à leur qualité abstersive (détersive). Ainsi, les quatre principales causes qui peuvent exciter l’appétit, sont le refroidissement de l’estomac uni à un certain degré de sécheresse, la contraction, l’irritation et l’action detersive, sans compter le jeûne même, qui n’est qu’une sorte de vuide ; mais, lorsqu’il est poussé trop loin, il produit quelquefois l’effet opposé ; l’extrême inanition déterminant vers l’estomac des humeurs tenues et bilieuses dont l’effet propre est d’émousser l’appétit.

Observation relative à l’odeur agréable qui est quelquefois l’effet de l’arc-en-ciel.

831. Les anciens ont observé que les terres sur lesquelles s’appuie l’extrémité de l’arc-en-ciel, ou au-dessus desquelles il est comme suspendu, exhalent une odeur agréable. La raison de ce phénomène peut être que ces terres contiennent quelque substance d’une odeur suave, que la douce rosée de l’iris en tire peu à peu, et détermine à s’exhaler ; car tel est aussi l’effet des pluies très fines qui répandent dans la terre je ne sais quoi de doux et de suave ; mais l’humor aqueux dont se forment ces pluies, n’est jamais aussi atténué, ni aussi délicat que celui de l’arc-en-ciel. Il se peut encore que ce dernier genre d’humor recèle une sorte de parfum ; en effet, l’iris n’est autre chose qu’un assemblage de gouttes imperceptibles, qui ne peuvent prendre ainsi la forme d’une rosée très fine qu’autant qu’elles se rassemblent dans la région la plus basse de l’atmosphère ; région où elles se chargent peu peu de la partie la plus suave des fleurs et des autres parties des plantes herbacées ; à peu près comme le feroit une eau distillée. Car les pluies et les rosées ordinaires tombant de fort haut, ne peuvent conserver un tel parfum qui, dans le long espace qu’il auroit à parcourir pour monter jusqu’à cette région si élevée, se dissiperoit nécessairement. D’ailleurs, ne se pourroit-il pas qu’à notre insu, telle espèce d’eau fût par elle-même un peu douée de cette odeur suave, quoiqu’elle ne fût pas sensible dans l’eau des étangs, des rivières, des fontaines, etc. Mais une bonne terre, récemment labourée, exhale une odeur suave et rafraîchissante ; parfum que l’eau a peut-être aussi lorsqu’elle n’est pas trop homogène ; car les substances d’une texture trop uniforme ne peuvent affecter les sens. Au reste, il est certain que le sel commun, qui n’est qu’une sorte d’eau consolidée par une longue congélation, exhale quelquefois une odeur assez analogue à celle de la violette.

Observation sur les odeurs agréables, et leurs causes.

832. Toute odeur agréable suppose deux conditions absolument nécessaires ; savoir : un certain degré de chaleur pour digérer la matière qui en est la base, et un certain degré d’humidité pour en répandre les émanations. Quant à la chaleur, nous voyons que les bois et les épices, d’une odeur suave et forte, sont des productions plus communes dans les pays chauds, que dans les pays froids ; et l’humidité n’est pas moins nécessaire que la chaleur, à la formation de ces odeurs dont nous parlons ; car on sait que les substances trop desséchées perdent tout leur parfum, et que les fleurs des plantes qui sont encore sur pied, exhalent une odeur plus suave le matin et le soir, qu’à midi. Certaines substances odoriférantes perdent aussi tout leur parfum lorsqu’on les tient près du feu ; de ce genre sont la violette, la pariétaire, la giroflée, etc. et généralement toutes les fleurs qui contiennent des esprits très froids et très délicats. Il en est d’autres, telles que l’eau-rose, etc. qui conservent leur odeur, soit qu’on les approche ou les éloigne du feu. D’autres enfin n’ont point d’odeurs, ou du moins n’ont une odeur très agréable qu’autant qu’on a soin de développer leur partie odorante par l’action du feu. Il faut ranger dans cette classe le genièvre, la plupart des gommes les plus douces, et, en général, toutes les substances dont la partie odorante est enveloppée dans un humor gras et onctueux. Mais on peut dire, en général, que toutes les odeurs de cette espèce sont plus agréables, lorsque la chaleur qui les développe est un peu foible ; ou lorsque leur force naturelle est diminuée par un moyen quelconque parce qu’alors l’effet de leur émission est plutôt de chatouiller et de flatter le sens, que de le rassasier. Aussi l’odeur des violettes et des roses est-elle plus suave que celles des épices et des gommes enfin les odeurs agréables, mais naturellement fortes, ne plaisent qu’à une certaine distance.

Observation sur la nature corporelle des odeurs.

833. Il est certain que toutes les odeurs, sans exception, sont accompagnées de l’émission de quelque substance corporelle : et c’est en quoi elles diffèrent de la lumière, des couleurs et des sons, qui, en conséquence, se portent à des distances beaucoup plus grandes. Je sais que l’odeur qui s’exhale des bois de citronnier ou d’oranger, et des plaines couvertes de romarins, se portent à de grandes distances en mer ; peut-être même à celle de vingt milles. Mais au fond, qu’est-ce que cela ? Le bruit du canon se porte aussi loin cependant le mouvement dont il est l’effet est resserré dans une sphère bien étroite ; au lieu que ces bois et ces plaines dont nous parlons, occupent de grands espaces. De plus, on voit que les odeurs s’attachent aux corps solides ; comme le prouve celle des gants parfumés, ce qui démontre suffisamment leur nature corporelle, sans compter qu’elles sont souvent de très longue durée ; ce qu’on ne peut dire des sons ni de la lumière.

Observations sur les odeurs, soit fétides, soit agréables.

834. Les excrémens de la plupart des animaux exhalent une mauvaise odeur, qui affecte principalement les animaux de la même espèce. Sans parler de l’homme, les chevaux, dont l’écurie est souvent nettoyée, sont plus beaux et plus vigoureux. Il en est de même des pigeons dont on nettoie fréquemment le colombier, ainsi que de tous les oiseaux tenus en cage ; nous voyons même que le chat a soin de couvrir ses excrémens et de les cacher à la vue : observations qu’il faut appliquer principalement aux animaux carnivores. Parmi les animaux terrestres, le chien est presque le seul qui aime les odeurs fétides ; nouvelle preuve qu’il y a dans l’odorat de cet animal quelque chose de particulier qui le distingue de celui de tous les autres animaux de cette classe. La cause de cette impression que l’odeur des excrémens fait sur presque tous les animaux, est facile à apercevoir : si le corps même les rejette, à plus forte raison les esprits doivent-ils les rejeter ; et l’on sait d’ailleurs que les excrémens qui sont le résidu de la première digestion ; par exemple, les selles, sont aussi ceux qui exhalent l’odeur la plus fétide ; ceux qui proviennent de la seconde digestion, tels que l’urine, sentent un peu moins mauvais ; et ceux qui proviennent de la troisième, encore moins, Les sueurs, par exemple, exhalent une odeur plus supportable que celle des deux premiers genres de déjections, sur-tout la sueur des sujets de complexion fort chaude. De même, la plupart des substances putréfiées sentent mauvais ; et c’est tantôt une odeur fétide, tantôt une odeur de moisi, La cause de cette odeur rebutante des matières excrémentitielles, peut être qu’il résulte de la putréfaction un arrangement de parties, une texture contraire, par sa nature et ses effets, à celle qui constitue un corps sain et vigoureux ; la première n’étant, à proprement parler, que la dissolution de cette dernière forme (mode ou manière d’être), Une autre raison plus intime et plus profonde, qui peut servir à expliquer le même fait, c’est que les objets qui sont de nature à flatter un sens quelconque, doivent cet avantage à une texture plus uniforme, à un arrangement de parties plus régulier, à l’espèce d’ordre qui règne dans leur composition : lorsque cette condition leur manque, ils blessent toujours les sens respectifs. C’est ainsi qu’un mélange de couleurs disparates choque la vue ; qu’une combinaison de sons discordans blesse l’oreille, et qu’un salmis, composé d’alimens, de saveurs trop différentes, est repoussé par le goût ; enfin, qu’une surface rude et hérissée d’aspérités déplaît au tact. Cela posé, la putréfaction d’un corps n’est que la dissolution de sa première forme ; ce n’est qu’un assemblage confus et indigeste de parties peu analogues les unes aux autres. Il est néanmoins une exception assez frappante, qui semble contredire notre principe. Certaines substances putréfiées et excrémentitielles, comme le musc, la civette, etc. ne laissent pas d’exhaler une odeur très suave ; à quoi, si nous devons en croire certains auteurs, il faut ajouter l’ambre gris, qui selon eux, provient du sperme d’un poisson ; opinion tout-à-fait dénuée de vraisemblance : enfin, la mousse, je veux dire celle qu’on trouve sur le pommier (sauvageon), a une odeur un peu plus agréable que celle des excrétions du même genre ; toutes exceptions qu’on peut expliquer, en supposant qu’il reste dans ces substances excrémentitielles et putréfiées un peu des esprits de la meilleure qualité, qui auront passé en même temps, et qui s’y seront fixés ; observation qu’il faut appliquer sur-tout aux animaux de complexion fort chaude. Mais à ces causes il en faut joindre une plus déliée et plus difficile à apercevoir ; c’est, dis-je, que les sens humains repoussent naturellement tout plaisir excessif, et semblent demander qu’il s’y mêle de temps en temps quelque nuance de douleur et de sensation déplaisante. On sait, par exemple, combien un petit nombre de dissonances qui se mêlent à un grand nombre d’accords, et en rompent l’uniformité, rendent l’harmonie plus suave. Il est aussi des saveurs naturellement déplaisantes, telles que celles des harengs saurs, du caviar, du fromage de parmesan, etc. qui ne laissent pas de plaire au goût, lorsqu’elles se trouvent combinées avec d’autres dans une juste proportion. Peut-être en est-il de même des odeurs ; car toutes celles dont nous parlions plus haut, ont une certaine force et une sorte d’acrimonie, dont l’effet est d’éveiller et d’agacer le sens respectif[9]. On observe aussi que des lieux où urinent un grand nombre de personnes, s’exhale une odeur qui a quelque analogie avec celle de la violette, et que l’urine d’une personne qui a mangé de la muscade, exhale aussi une odeur agréable[10].

Les notions générales, vagues et superficielles, sur les élémens et leurs combinaisons, sur les influences des corps célestes, sur le froid et le chaud, le sec et l’humide, sur les qualités actives et passives, ont fait méconnoître la véritable marche de la nature, et confondu toutes les idées sur son action progressive, sur la vraie nature des modes, actifs et passifs, de la matière ; enfin, sur les textures intimes et constitutives des corps. Ainsi, écartant d’abord toutes ces notions vagues et fantastiques, nous fixerons notre attention sur des exemples d’un meilleur choix, et analysés avec plus de soin, pour en extraire des principes mieux déterminés, qui nous conduiront peu à peu, et par une sorte d’échelle, aux principes les plus généraux. Mais, nous nous contenterons pour le moment de donner ici quelques exemples de ces actions progressives de la nature et de ces textures intimes de la matière.

Observations sur les causes de la putréfaction.

835. Toute putréfaction a pour principale cause l’action des esprits renfermés dans le corps qui se putrefie ; et pour cause concourante, l’action des corps environnans, soit air, soit liquide, ou toute autre substance. Ce dernier genre d’action peut avoir lieu de deux manières ; savoir : ou par l’introduction de quelque substance qui passe des corps ambians dans celui qui se putréfie ; on par provocation ; je veux dire, par l’action de quelque corps extérieur et contigu, qui excite le corps en question (ou ses parties), et le sollicite, pour ainsi dire, à la putréfaction. Quant à l’opinion commune sur ce sujet ; savoir : que la putréfaction a pour cause, ou le froid, ou une chaleur étrangère et extraordinaire ; ce n’est qu’une supposition hazardée, et qui ne peut soutenir l’examen. Car, dans les corps inanimés, le froid est le plus puissant obstacle à la putréfaction ; en accordant toutefois qu’il détruit toute vivification, en éteignant, pour ainsi dire, le feu vital ; la vivification dépendant principalement de l’action des esprits atténués jusqu’à un certain point, et l’effet direct du froid étant de les coaguler, de les glacer. L’opinion qui attribue la putréfaction à une chaleur étrangère, n’est pas mieux fondée. Il est vrai que, si cette chaleur accidentelle et étrangère, étant excessive, prédomine sur la chaleur naturelle et sur les esprits innés du corps en question, elle tend à le décomposer ou à y produire quelque altération notable. Mais ces effets ont pour cause l’émission ou la compression, ou la suffocation des esprits innés, ainsi que la disposition confuse et l’inégale distribution des parties tangibles, et non un prétendu conflit entre la chaleur naturelle et la chaleur accidentelle.

Observation relative aux mixtes imparfaits.

836. Lorsque la nature tend à opérer quelque transmutation, ou quelque grande altération, il se forme un genre de composé, moyen entre celui qui existoit d’abord, et celui auquel tend son action ; composés que nous qualifions de mixtes imparfaits, dont la nature n’a rien de permanent, et qui sont ordinairement de courte durée : telles sont les différentes espèces de brouillard, de fumée, de vapeurs, etc. le chyle dans l’estomac, les animaux lorsque la vivification n’est encore qu’ébauchée. Cette action moyenne, dont les mixtes imparfaits sont le produit, les anciens l’avoient désignée par les mots d’inquination, d’inconcoction, (de crudité, d’indigestion) ; mais ce n’est an fond qu’un commencement de putréfaction ; car les parties d’un composé de ce genre sont dans un état de confusion, jusqu’à ce que le tout ayant pris telle, forme déterminée, ou telle autre, elles se soient arrangées dans un ordre fixe et permanent.

Observations sur l’état de concoction et sur celui de crudité.

837. Ces mots de concoction ou de crudité sont tirés de ce qu’on a observé dans les animaux, soit dans leur tout, soit dans leurs parties ; puis on a appliqué leur signification aux liqueurs, aux fruits, etc. par exemple, on l’applique également aux alimens, aux urines, aux excrémens, etc. etc. Les quatre espèces de digestions ; savoir : celles qui ont lieu successivement dans l’estomac, dans le foie, dans les artères et dans les nerfs, sont également qualifiées de concoctions ; et on les regarde comme autant d’effets successifs de la chaleur ; toutes notions hazardées dont se contente un esprit étroit et superficiel, qui s’attache à un petit nombre d’objets, et ne sait point étendre sa vue au-delà des objets les plus familiers. Ceux qui attachent à ce mot de concoction, la signification la plus fixe et la mieux déterminée, regardent ce genre d’action comme une altération graduelle par laquelle un corps se change en un corps d’une autre espèce, et passe de l’état de crudité à celui de digestion, qui est le dernier terme de cette action progressive et la fin de toute l’opération. Tant que le corps à convertir ou à altérer, a sur la cause efficiente qui tend à opérer cette conversion, un avantage assez grand pour résister à son action, et pour conserver, jusqu’à un certain point, sa première forme, ou texture, ce corps demeurant dans un état de crudité ou d’indigestion, toute l’action qui a lieu alors doit être désignée par cette dénomination même. Cette concoction, il est vrai, est en grande partie l’effet de la chaleur, mais non de la chaleur seule ; tout ce qui peut provoquer ou faciliter la conversion ou l’altération, comme le repos, l’addition d’une substance déjà digérée, devant aussi être regardé comme autant de causes ou de moyens de concoction. Ce genre d’action a deux périodes ou degrés ; l’une est l’assimilation ou conversion totale et absolue d’une substance en une substance d’une autre espèce ; l’autre est la maturation. Les sujets où la première est le plus sensible, sont les corps animés qui s’assimilent complètement les substances alimentaires, et les convertissent en leur propre substance, ainsi que les végétaux et les minéraux, où s’opère également une transmutation complète : l’autre degré, savoir la maturation, se manifeste dans les fruits ou les liqueurs fermentées et destinées à servir de boisson ; où le plus haut degré, le dernier terme de la conversion, n’est pas l’effet désiré, ni le but auquel on tend ; mais où il s’agit seulement du degré d’altération, d’où résulte une simple conversion en ce genre de forme qui approprie le sujet en question, aux besoins, vrais ou faux, de notre espèce ; par exemple, d’où résulte la clarification de ces liqueurs, la maturation de ces fruits, etc. Mais on doit observer à ce sujet, qu’il est deux espèces de conversions absolues et complètes : l’une a lieu lorsqu’un corps se convertit en un autre corps déjà existant ; par exemple, lorsque les alimens se convertissent en chair, en sang, etc. c’est celle dont nous parlions d’abord, et que nous avons qualifiée d’assimilation : l’autre est celle d’où résulte la formation d’un corps tout-à-fait nouveau, et qui n’existoit pas avant l’opération ; telle seroit, par exemple, la conversion de l’argent en or, et celle du fer en cuivre : ce dernier genre de conversion, pour mieux distinguer et déterminer les idées, il seroit plus à propos de le désigner par le mot de transmutation.

Observations sur ce genre de changemens, qu’on peut qualifier d’altérations majeures.

838. Outre la concoction et la maturation, il est d’autres genres d’altération fort sensibles, et qui méritent d’être observés ; par exemple, lorsqu’une cause altère un corps à tel point qu’il ne revient plus à son premier état, ce changement peut être qualifié d’altération majeure. De ce genre sont celles qu’ont subies les alimens bouillis, rôtis, frits, etc. le pain et la viande cuits au four ; le fromage fait avec le caillé ; le beurre provenant de la crème ; le charbon de bois ; la brique faite de terre cuite ; et une infinité d’autres semblables. Mais attacher des notions philosophiques à des termes populaires, ou dire, à l’exemple des anciens, lorsqu’on ne peut parvenir à concilier ses propres idées, que c’est faute de termes propres et d’une nomenclature assez exacte, de telles allégations ne sont que des voiles spécieux dont on veut couvrir son ignorance : tant qu’on se contentera de rapprocher et de combiner artificiellement un petit nombre de notions triviales, au lieu de réformer ces notions mêmes, et d’en extraire d’autres, mieux déterminées, d’un nombre suffisant de faits choisis avec plus de soin, et comparés avec toute l’exactitude requise ; on n’aura qu’une science hazardée, vague et indigeste.

Les textures et les qualités des corps sont susceptibles d’une grande diversité ; par exemple, un corps peut être dense on rare, tangible ou pneumatique, volatil ou fixe, solide ou fluide, dur ou mou, cohérent ou incohérent, susceptible ou non susceptible de congélation, fusible ou infusible, fragile ou tenace, ductile ou non ductile, poreux ou solide, lisse ou hérissé d’aspérités, veineux ou fibreux, grénu ou d’une texture serrée ; et il en faut dire autant d’une infinité d’autres textures ou qualités. Mais attribuer toutes ces différences à celles du chaud et du froid, de l’humidité et de la sécheresse ; de telles explications sont aussi frivoles qu’expéditives. Au reste, on peut consulter à ce sujet celui de nos ouvrages qui porte pour titre, Abécédé de la nature ; et meme recourir, dans celui-ci, à quelques-uns des articles précédens. Cependant, notre dessein est de traiter encore dans les suivans la plupart de ces sujets mêmes.

Observations sur les corps considérés comme fusibles ou non fusibles.

839. La liquéfaction a pour cause constante l’action des esprits qui travaillent dans l’intérieur d’un corps, et qui tendent à le dilater. Ainsi, tous les corps qui abondent en esprits très expansiles, et ceux dont les esprits sont étroitement resserrés à l’intérieur, ou s’y trouvent dans un état paisible, et semblent s’y plaire, sont naturellement fusibles. Car tels sont dans les corps les trois genres de dispositions qui arrêtent ou retardent l’émission des esprits ; les effets des deux premières dispositions se manifestent dans les métaux ; et ceux de la dernière sont sensibles dans le suif, la poix, le soufre, le beurre, la cire, etc. La disposition à ne se point liquéfier est au contraire une conséquence de la trop facile émission des esprits ; d’où résulte la contraction des parties grossières. Aussi, voit-on que les corps qui contiennent très peu d’esprits, ou dont les esprits s’exhalent aisément, tels que le bois, l’argile, la pierre de taille, etc. ne sont pas susceptibles de se liquéfier. Cependant, quelques-uns de ces corps mêmes qui ne se liquéfient point, ou ne se liquéfient que très difficilement, ne laissent pas de s’amollir sensiblement ; tel est, par exemple, le fer dans la forge, ou une verge de bois tenue pendant quelque temps dans les cendres chaudes, ce qui la rend plus souple et plus flexible. De plus, parmi les corps fusibles, les uns, comme les métaux, la cire, etc. peuvent être liquéfiés ou dissous par l’action du feu ; les autres, tels que le sel, le sucre, etc. ne sont dissolubles que dans l’eau. La raison de cette différence est que, dans les premiers, la chaleur dilate les esprits qui ensuite écartent les unes des autres les parties tangibles ; au lien que, dans les derniers, c’est la liqueur même qui, en pénétrant dans le composé, écarte ses parties disposées à la recevoir et à la loger dans leurs interstices. Il est aussi d’autres corps susceptibles d’être dissous par ces deux moyens également ; de ce genre sont les gommes, etc. double propriété qu’on n’observe que dans ceux qui abondent en esprits, et dont les parties privées d’humidité l’appètent et s’en pénètrent avec une sorte d’avidité. La première de ces deux causes facilite et renforce l’expansion des esprits, par l’action du feu ; et la dernière est une sorte de stimulant qui dispose les parties à admettre la liqueur dans leurs interstices ou vuides diséséminés.

Observations sur les corps considérés comme fragiles, ou comme tenaces.

840. Parmi les corps fragiles, les uns se brisent seulement à l’endroit où agit la force qui tend à les rompre ; les autres éclatent et se brisent de tous les côtés à la fois. La cause de la fragilité n’est autre que l’inaptitude à s’étendre : aussi la pierre est-elle plus fragile que le métal ; la terre cuite, plus que la terre crue ; et le bois sec, plus que le bois verd, etc. La cause de ce peu de disposition à s’étendre, est la petite quantité des esprits contenus dans le corps en question ; l’effet direct de leur action étant de provoquer et de faciliter l’extension et la dilatation ; inaptitude qui, dans les corps, est toujours unie à la porosité et à la sécheresse des parties tangibles. Au contraire, les corps tenaces abondent en esprits, sont beaucoup moins poreux, et contiennent un humor abondant, dont leurs parties sont continuellement baignées. C’est en vertu de cette cause que le cuir et le parchemin s’étendent si aisément, et que le papier n’a point cette propriété : les étoffes sont aussi aisées à détirer, et très extensibles ; mais le linge l’est beaucoup moins.

Observations sur les deux sortes de substances pneumatiques qui se trouvent dans l’intérieur des corps.

841. Tout corps solide est composé de parties de deux espèces, et de natures très différentes ; les unes, pneumatiques, et les autres, tangibles. Mais on doit observer que, dans la plupart des corps, la substance pneumatique est l’esprit natif (inné) et propre de ces corps ; au lieu que, dans beaucoup d’autres, ce n’est autre chose que l’air même qui s’est peu à peu logé dans leurs pores ; de ce genre sont ceux que la chaleur ou le temps seul a excessivement desséchés. Car, dans ceux-ci, à mesure que l’esprit natif s’exhale, et entraîne avec lui l’humor qui s’y trouve, l’air s’insinuant peu à peu dans leurs pores, remplit les places qu’ils ont laissées vuides. Aussi, les corps de cette classe sont-ils toujours les plus fragiles ; l’esprit inné qui s’en est exhalé, et dont ils sont privés, étant plus extensible que l’air, et ayant plus de disposition à obéir à la plus foible impulsion, sur-tout à suivre les mouvemens des parties tangibles. Les esprits natifs sont aussi susceptibles d’une grande diversité ; il en est de chauds et de froids, d’actifs et d’inertes, etc. différences d’où résultent la plupart de ces modes ou manières d’être connues sous le nom de vertus ou de qualités[11]. Mais, cet air disséminé dans l’intérieur des corps est sans action, il les rend insipides et incapables de stimuler nos organes.

Observations sur la concrétion et la dissolution des corps.

842. La concrétion de la plupart des corps est détruite par les causes contraires[12]. C’est ainsi que la chaleur fait fondre la glace que le froid avoit formée ; ou encore, que le sel et le sucre, qui ne sont que des concrétions formées par l’action du feu, sont dissous par le froid et l’humidité. Quant à l’huile, un froid médiocre ne suffit pas pour la congeler ; ni une chaleur médiocre, pour l’épaissir. La raison de ces deux effets produits par deux causes, en apparence contraires, est néanmoins la même dans les deux cas. Cette raison commune est que les esprits de l’huile ne s’exhalent que fort peu, par l’action de l’un ou de l’autre de ces deux moyens ; l’effet direct du froid étant de retenir les esprits au dedans, et celui de la chaleur n’étant pas de la rappeler au dehors, à moins qu’elle ne soit excessive. De plus, quoique le froid contracte et resserre les parties tangibles, cependant il ne produit pas le même effet sur les esprits ; son effet étant plutôt de les gonfler et d’augmenter leur volume, que de les congeler et de les contracter ; car, lorsque l’eau se glace dans un vaisseau, son volume augmente au lieu de diminuer, et quelquefois même on voit sa surface se soulever.

Observations sur les corps durs, et sur les corps mous.

843. La dureté des corps a pour principale cause la disette des esprits, et leur peu de proportion avec les parties tangibles. Si ces deux conditions se trouvent, en grande mesure, dans un composé, non-seulement elles le rendent dur, mais de plus elles le rendent fragile et incapable de résister à la compression. Il faut ranger dans cette classe l’acier, la pierre, le verre, le bois sec, etc. La mollesse, au contraire, est l’effet de l’abondance des esprits ; abondance qui, dans les corps, est toujours unie avec une grande facilité à céder à la pression. À quoi il faut ajouter une distribution plus égale des esprits entre les parties tangibles ; ce qui dispose les parties à glisser plus facilement les unes sur les antres, et rend le tout plus ductile ; c’est ce qu’on observe dans l’or, le plomb, la cire, etc. Mais il faut remarquer que ces corps que nous qualifions de mous, sont de deux espèces : les uns, en cédant la place à d’autres corps, ne changent pas de volume, et ne s’élèvent pas dans des parties différentes de celle qui a cédé. Par exemple, si vous mettez sur de la cire un corps pesant, elle n’augmentera pas de volume, elle ne cédera à la pression que dans l’endroit pressé, et aucune de ses parties ne se soulèvera ; car il ne faut pas s’imaginer que, lorsqu’on fait une empreinte dans de la cire, les parties abaissées par la pression forcent les autres à s’élever ; mais penser que la seule partie qui a été déprimée cède sa place, et que toutes les autres restent où elles étoient. Il n’en est pas de même de l’eau, ni des autres liqueurs qui forment la seconde classe, la partie pressée cédant aussi au corps qui la presse ; mais les autres parties s’élevant en même temps, le niveau de la liqueur monte, et le volume total est augmenté : ce qui, à proprement parler, n’est pas une vraie cession, puisque cette place que la liqueur cède dans un endroit, elle la reprend dans un autre.

Observation sur les corps ductiles et extensibles.

844. Tous les corps ductiles et extensibles, comme les métaux dont on fait des cordes d’instrumens, et la laine, le coton, le chanvre, etc. qu’on peut filer, ont naturellement une grande force de cohésion, dont l’effet est de les mettre en état d’obéir à la force qui tend à les allonger, sans se détacher les unes des autres, et de résister à la solution de leur continuité. De même, certains corps visqueux, tels que la poix, la cire, la glu, le fromage amolli par le feu etc. se filent en quelque manière, et se prêtent à leur extension. Mais il est une différence sensible entre les corps visqueux et les corps composés de fibres : la laine, par exemple, la filace, le coton, la soie (sur-tout la soie écrue), outre leur ténacité naturelle qui permet d’en faire des fils d’une extrême finesse, ont de plus besoin d’un peu d’humidité pour unir plus étroitement leurs fibres, et les incorporer ensemble plus parfaitement : sans compter qu’il faut aussi les tordre un peu, comme on le voit par la manipulation ordinaire des fileuses qui ne peuvent filer ces matières qu’en les humectant à mesure, et en les tordant à l’aide d’un rouet ou d’un fuseau. Il en est de même de l’or, de l’argent, etc. métaux dont on ne peut former des fils qu’en les tordant aussi.

Observations relatives à d’autres qualités de la matière et à d’autres caractères distinctifs des corps.

845. Les corps peuvent être envisagés comme étant susceptibles, ou non, de recevoir des empreintes, d’être moulés, fendus, forgés, etc. mais de telles différences, et autres semblables propriétés de la matière, ne tiennent qu’à des notions triviales, et appliquées aux instrumens et aux usages les plus communs. Ce ne sont que des effets un peu diversifiés des causes dont nous allons faire l’énumération, mais sans les appliquer, ni en donner d’exemples, pour épargner au lecteur des longueurs fastidieuses. Ces causes sont :

1°. Le plus ou le moins de disposition des corps à céder à toute force, qui tend à resserrer leur matière dans un plus petit espace, mais sans changer leur capacité extérieure, leur volune total[13].

2º. La résistance plus ou moins grande qu’ils opposent à la séparation de leurs parties et à la solution de leur continuité.

3º. La résistance plus ou moins grande qu’ils opposent à toute force, tendant à les contracter ou à les dilater, à augmenter ou à diminuer leur volume total.

4°. La quantité plus ou moins grande de substance pneumatique qui entre dans leur composition.

5°. La nature même de cette substance pneumatique, qui peut être ou leur esprit inné (natif, propre), ou seulement de l’air disséminé entre leurs parties, et logé dans leurs interstices.

6°. La nature de ces esprits innés qui peuvent être actifs et ardens, ou inertes et paisibles.

7°. La détention ou l’émission de ces esprits.

8°. La dilatation ou la contraction de ces mêmes esprits supposés, retenus dans l’intérieur des corps.

9°. La manière dont ils y sont distribués, et leur proportion avec les parties tangibles, car ils peuvent y être partagés également ou inégalement, y être accumulés ou dispersés.

10°. La densité ou la rarité des parties tangibles.

11°. Leur égalité ou inégalité.

12°. Leur état de crudité ou de digestion.

13º. La nature de leur substance, de leur matière propre, qui peut être sulphureuse ou mercurielle, huileuse ou aqueuse, sèche et terrestre, ou humide et liquide, division sur laquelle il est bon d’observer que ces natures, sulphureuse et mercurielle, semblent être des natures vraiment radicales et élémentaires, des principes proprement dits.

14°. La situation longitudinale ou transversale de ces parties tangibles ; cette distinction s’applique à la chaîne et à la trame d’un tissu ; ces parties pouvant aussi être placées plus ou moins extérieurement ou intérieurement : en un mot, leurs situations absolues et respectives.

15°. Le nombre et la grandeur de leurs pores, ou des vuides qu’elles laissent entr’elles.

16°. Les situations, absolues et respectives, de ces pores.

Il est beaucoup d’autres causes semblables[14] que nous aurions pu joindre à cette énumération ; mais nous croyons devoir pour le moment nous en tenir à celles-ci, qui se sont d’abord présentées à notre esprit.

Expérience sur ce genre de durcissement qui est l’effet de la sympathie et de l’analogie ou affinité de substance.

846. Faites fondre du plomb ; au moment où il commence à se refroidir et à redevenir solide, faites un petit trou au milieu, et mettez-y du mercure enveloppé dans un linge ; ce dernier métal cessera d’être coulant, il se fixera et deviendra malléable. C’est un exemple frappant de durcissement, occasionné par la sympathie ou l’analogie de deux substances, et par l’action d’un corps qui en excite un autre à l’imiter[15]. Car attribuer cette fixation à la vapeur du plomb, ce seroit s’attacher à l’explication la moins probable. Il seroit à propos de multiplier et de varier les expériences de ce genre, afin de voir s’il ne seroit pas possible de fixer ce métal au point qu’on pût lui donner, comme aux autres métaux, telle ou telle forme à volonté. Si le succès étoit tel que je le suppose, on pourroit faire, avec ce métal ainsi fixé, des vaisseaux, des outils, etc. qui seroient d’un assez bon service, pourvu qu’on eût l’attention de ne pas trop les exposer à l’action du feu[16].

Observation sur le miel et le sucre.

847. Le grand usage que nous faisons du sucre, a fait presque entièrement tomber celui du miel ; ce qui a fait négliger et perdre à la longue les observations qu’on avoit faites sur cette dernière substance et les différens genres de préparations qu’on savoit lui donner dans le temps où on y attachoit plus de prix. En premier lieu, il paroit qu’on tiroit du miel de certains arbres, ainsi que des abeilles ; c’étoient les larmes et

s’assurer s’il veut dire qu’on n’auroit pas besoin d’un grand feu, pour faire avec le mercure ainsi fixé, des vases, des outils, etc. d’un bon service ; ou que ces ouvrages ne seroient pas en état d’endurer un grand feu. Le traducteur latin s’est attaché au premier de ces deux sens ; j’ai cru devoir préférer le dernier, parce que, selon toute apparence, le mercure ainsi fixé sera encore très fusible ; mais on peut, sans inconvénient, adopter les deux sens à la fois, ces deux propositions étant également probables ; et c’est en cela proprement que consiste l’équivoque. comme le sang des arbres de cette espèce. Un auteur ancien nous apprend qu’à Trébizonde on recueilloit sur le buis une sorte de miel, qui faisoit tomber en démence ceux qui en mangeoient[17]. Les anciens avoient encore une autre espèce de miel, qui acquéroit, soit par lui-même soit par quelque manipulation la consistance du sucre, mais d’une saveur moins douce que le nôtre. On tiroit aussi du miel, une sorte de vin par le procédé suivant. On délayoit cette substance dans une grande quantité d’eau ; on agitoit le tout ensemble ; on passoit la liqueur puis on la faisoit bouillir dans une chaudière de cuivre jusqu’à ce qu’elle se fût réduite à moitié[18]. On la versoit ensuite dans des vaisseaux de terre, où on la laissoit fermenter pendant quelque temps. Enfin on l’entonnoit dans des vaisseaux de bois où elle se conservoit pendant plusieurs années. Aujourd’hui même, en Russie, et dans d’autres contrées septentrionales, où le vin est rare, on y supplée par une sorte d’hydromel pur et vineux ; liqueur qui, lorsqu’elle est faite avec soin, est fort limpide, et fournit une sorte de boisson très salubre. Les Gallois en ont une du même genre, mais elle est un peu plus composée ; ils y font entrer certaines plantes herbacées, et des substances aromatiques. Quoi qu’il en soit, pour remplacer jusqu’à un certain point le miel que, dans nos contrées, on n’emploie plus à cet usage, ne pourroit-on pas faire avec le sucre même, une sorte d’hydromel (nom qu’au défaut d’un autre nous pouvons lui donner), mais où il n’entreroit point de miel, liqueur qui, après avoir subi une coction suffisante, étant suffisamment cuite, seroit peut-être de garde comme l’hydromel proprement dit. Cette boisson, il est vrai, seroit moins détersive, moins apéritive et moins laxative que l’hydromel ordinaire ; mais elle seroit plus agréable au goût, plus stomachique, plus adoucissante et mieux appropriée aux maladies qui ont pour cause commune l’acrimonie des humeurs ; car on sait que le sucre dissous dans la bière ou dans l’aîle, est un assez puissant remède pour les maladies de ce genre.

Observation sur la possibilité de raffiner davantage les métaux les plus vils.

848. Au rapport de quelques anciens, on trouvoit, dans certaines contrées, un acier très fin et susceptible d’être poli, au point d’imiter la blancheur et l’éclat de l’argent. Ils ajoutent qu’on trouvoit aussi, dans l’Inde, un cuivre qui, étant poli avec le même soin, avoit tout l’éclat de l’or, et étoit difficile à distinguer de ce métal. Cependant, ces deux opérations n’étoient que superficielles, et laissoient les deux métaux dont nous parlons dans leur état naturel. Mais je doute qu’on ait poussé aussi loin qu’on l’auroit pu, l’art de purifier et de raffiner les métaux qu’on qualifie de vils, tels que le fer, le cuivre, l’étain, etc. lorsqu’on est parvenu à leur donner le degré de finesse et de pureté suffisant pour les emplois qu’on en fait ordinairement, on s’en tient là ; mais je dis qu’on pourroit faire quelque chose de plus.

Observations sur certaines espèces de ciment et de pierres qu’on trouve dans les carrières.

849. En faisant des excavations un peu profondes, on trouve quelquefois un ciment qui, dans l’intérieur de la terre est fort mou, mais qui, ensuite étant exposé à l’action des rayons solaires, devient dur comme le marbre. On tire aussi des carrières les plus connues du comté de Sommerset, des pierres qui sont fort molles et se taillent aisément, tant qu’elles sont dans ces carrières ; mais qui, employées dans les édifices deviennent extrêmement dures.

Observations relatives aux moyens de changer la couleur du poil des animaux terrestres et du plumage des oiseaux.

850. Généralement parlant, dans tous les animaux, l’âge change peu à peu la couleur du poil et du plumage ; qu’il rend d’abord gris, puis tout-à-fait blanc : c’est ce qu’on observe sur-tout dans l’homme (changement toutefois plus ou moins prompt dans les différens individus), ainsi que dans les chevaux gris-pommelé (ou bleus), qui deviennent tout blancs ; dans les écureuils qui grisonnent en vieillissant, et dans une infinité d’autres animaux terrestres. Il en est de même des oiseaux : par exemple, les jeunes cygnes, qui sont d’abord de couleur cendrée, blanchissent peu à peu ; il en est de même des éperviers qui, de bruns, deviennent gris ou blancs. Il est aussi des oiseaux auxquels, à mesure que leurs plumes tombent, il en repousse d’une autre couleur. Par exemple, le rouge-gorge, après sa mue, recouvre peu peu cette couleur qui lui est propre. Il en est de même du chardonneret, quant aux plumes de la tête. La raison de ce changement est sensible : c’est l’humidité qui colore le poil ou le plumage, et c’est la sécheresse qui rend l’un ou l’autre, d’abord gris, puis tout-à-fait blanc ; or, l’effet naturel de l’âge est de dessécher par degrés le poil et le plumage. Quant aux plumes, celles qui repoussent après la mue, sont, en quelque manière, plus jeunes et comparables à celles des animaux tout petits. De même, dans l’homme, la barbe est plus jeune que les poils de la tête ; aussi blanchit-elle ordinairement plus tard. De ces principes on peut déduire des moyens pour changer la couleur du plumage des oiseaux, ou pour retarder l’époque où les cheveux et la barbe blanchissent. Mais on peut aussi consulter à ce sujet le premier article de la première Centurie.

Observations sur les différences caractéristiques des deux sexes dans les animaux.

851. Dans certaines espèces d’animaux, les individus des deux sexes sont si semblables, qu’on ne peut les distinguer que par les parties de la génération ; tels sont entr’autres les chevaux et les jumens, les chiens et les chiennes, les pigeons, mâles et femelles, etc. Il en est d’autres où les deux sexes sont distingués par la hauteur de la taille, la grosseur, etc. mais non pas toujours de la même manière, et quelquefois même de manières opposées. Dans la plupart des especes, comme celles de l’homme, du faisan, du paon, du dindon, de la pintade, etc. le mâle est plus gros et de plus haute taille que la femelle ; au lieu que, dans quelques-unes, mais en fort petit nombre ; par exemple, dans celle de l’épervier, c’est le contraire. Dans d’autres encore, le sexe est caractérisé par la quantité, la couleur, le plus ou moins de crispation des poils ou des plumes ; par exemple, la crinière du lion mâle est plus ample, plus fournie, plus roide, et plus hérissée que celle de la femelle, dont le poil est plus lisse, plus souple et plus couché ; différence qu’on observe aussi entre la chatte et le matou. De même, dans le taureau, le poil du front est plus roide et plus hérissé que dans la vache. Dans plusieurs espèces d’oiseaux, tels que le paon, le faisan, le chardonneret, etc. le mâle est caractérisé par un plumage de couleurs plus vives et plus éclatantes. Dans quelques espèces, les deux sexes sont différenciés par certaines parties qui se trouvent dans l’un et qui manquent dans l’autre, ou qui n’ont pas précisément la même forme dans l’un et dans l’autre. Par exemple, les daims ont des cornes, au lieu que les daines n’en ont point ; et les cornes du bélier sont plus torses que celles de la brebis. La tête du coq est ornée d’une belle crête, et ses pattes sont armées d’éperons ; deux parties qui, dans la poule, manquent, ou ont moins de volume. Les dents ou défenses du verrat sont plus longues et plus fortes que celles de la truie. Le fanon du coq-d’Inde est plus long et plus renflé que celui de sa femelle ; les hommes ont la voix plus forte que les femmes. Enfin, il est aussi beaucoup d’espèces où les deux sexes sont distingués par leurs facultés. Par exemple, on sait que, parmi les oiseaux chantans, ce sont les mâles qui chantent le mieux. La cause principale et sensible de toutes ces différences d’un sexe à l’autre, est que les mâles sont d’une complexion plus chaude et plus forte que les femelles ; explication d’autant plus probable, que les mâles mêmes, lorsqu’ils sont encore jeunes, ressemblent tout-à-fait aux femelles ; à peu près comme dans notre espèce, les eunuques ressemblent aux femmes ; et, comme dans toutes, les mâles châtrés ont beaucoup d’analogie avec les femelles. Cela posé, on sait que la chaleur est la cause efficiente et directe du prompt accroissement et de la grandeur de la taille, pourvu, toutefois, qu’elle trouve une quantité suffisante d’humor sur laquelle elle puisse agir. Mais, dans le petit nombre d’espèces, comme celles de l’épervier et du moineau, où la chaleur se trouve en excès par rapport à l’humor, la femelle est plus grande que le mâle. Enfin, si la chaleur et l’humidité se trouvent à peu près égales, alors aucune différence sensible ne distingue le mâle d’avec la femelle, comme dans l’espèce du cheval, du chien, etc. observation que nous avons déjà faite. Les cornes des bœufs et des vaches sont aussi beaucoup plus grandes que celles des taureaux ; différence qu’on doit attribuer à celles de la quantité d’humor, qui est beaucoup plus grande dans les premiers. La quantité et la crispation des poils, dans certaines espèces, ainsi que la barbe, dans la nôtre, doivent encore être attribués à une plus grande chaleur ; son effet étant de déterminer au-dehors un humor plus atténué et plus délicat, dont le défaut de chaleur empêche l’excrétion : de là ces couleurs vives et éclatantes du plumage des oiseaux mâles. C’est encore la chaleur qui, en poussant au-dehors certaines substances plus dures, détermine la formation de plusieurs genres d’excroissances ; et telle est, par exemple, la cause de la formation des cornes, dans certaines espèces, de leur plus grand volume, dans les mâles de quelques autres ; du grand volume de la crête et des éperons du coq, du fanon du coq-d’Inde, des défenses du verrat. C’est encore la chaleur qui, en dilatant et agrandissant les cavités et en général tous les organes de la voix dans les mâles de notre espèce, rend leur voix plus grave et plus forte que celle des femelles.

Observations sur la grandeur et le volume respectif des différentes classes d’animaux.

852. Parmi les poissons, il en est dont le volume excède de beaucoup celui de tout animal terrestre ; par exemple, celui de la baleine l’emporte de beaucoup sur celui de l’éléphant ; et l’on peut dire aussi qu’en général les animaux terrestres sont plus grands que les oiseaux. Quant aux poissons, si les animaux de cette classe sont d’un très grand volume, ce peut être parce que, ne vivant point dans l’air, leur humor n’est pas déterminé au-dehors, pompé ni absorbé par l’action de ce fluide réunie avec celle des rayons solaires ; sans compter que portés et comme voiturés sur les eaux, ils vivent dans une sorte de repos perpétuel ; au lieu que les mouvemens et les efforts beaucoup plus grands que les animaux terrestres sont continuellement obligés de faire pour marcher ou courir d’un lieu à l’autre, consument leur substance et les épuisent plus promptement. Si les animaux terrestres sont, généralement parlant, plus grands que les oiseaux, c’est parce que leur séjour dans la matrice étant de beaucoup plus longue durée, ils ont plus de temps pour s’y nourrir après leur formation, et y prendre leur premier accroissement ; au lieu que, dans les oiseaux, l’œuf une fois pondu, le corps de la femelle ne fournit plus rien pour la nourriture et l’accroissement du fœtus ; car l’incubation ne sert qu’à le vivifier et non à le nourrir.

Observations relatives aux moyens de se procurer des fruits sans pépins ou sans noyaux.

853. Nous avons en partie indiqué, dans la cinquième, la sixième et la septième Centurie, les moyens de se procurer des fruits sans noyaux ou sans pépins. Nous observerons de plus ici que la condition requise pour parvenir à ce but, n’est autre qu’un humor très abondant ; le pépin ou le noyau se formant de la sève la plus sèche (la moins fluide), nous avons vu qu’il ne seroit pas impossible de détourner la sève de manière qu’un arbre ne produisît que des fleurs sans donner de fruits, et nous avons offert un exemple de ce genre dans le cerisier à fleurs doubles ; à plus forte raison le seroit-il de faire produire à un arbre fécond des fruits sans pépins et sans noyau. Une relation dont nous avons parlé, nous apprend que si l’on greffe un scion de pommier sur un trognon de chou, l’ente donnera des pommes fort grosses et sans pépin. Il est assez probable que si l’on enlevoit à un arbre une partie de sa moelle, de manière que la sève ne pût ensuite passer que par l’écorce, on obtiendroit le même effet ; car l’on s’est assuré, par des expériences et des observations faites sur des arbres étetés, que, si l’eau se ramasse sur la coupe et creuse le bois, ils poussent plus vigoureusement, et rapportent davantage : à quoi nous ajouterons un autre fait qui passe pour bien constaté ; savoir : que si, en greffant un scion d’arbre à fruit, on l’insère par le petit bout, l’ente donnera des fruits qui n’auront point ou presque point de pépins ou de noyaux.

Observations sur les moyens de donner au tabac plus de qualité.

854. Le tabac est un genre de production très précieux dans tous les pays où il est d’un grand débit ; car on prétend qu’une âcre (un peu plus d’un arpent et demi, mesure de Paris), ainsi employée, en rend pour la valeur de 200 livres sterlings ; somme plus que suffisante pour indemniser des dépenses et des soins qu’exige la culture de cette plante. Je n’ignore pas que ces avances sont fort grandes, mais elles ne sont encore rien en comparaison des profits. Malheureusement le tabac d’Angleterre est peu estimé ; il est sans force et sent trop la terre. Par la même raison, quoique le tabac de Virginie croisse sous un climat plus favorable, il ne vaut guère mieux. En sorte que, si l’on pouvoit trouver les moyens de rendre celui d’Angleterre moins crud et plus aromatique, on pourroit compter sur de gros profits. On s’étoit flatté de parvenir à ce but en le faisant macérer dans une décoction ou infusion de tabac des Indes ; mais un tel procédé n’est qu’un badinage et une vraie falsification ; car aucune des substances qui ont achevé leur période, et, pour ainsi dire, fait leur temps, n’est susceptible d’un véritable amendement ; et pour améliorer toutes choses, c’est sur-tout à leurs commencemens qn’il faut s’attacher. Il est clair qu’il faut employer, pour compléter la maturation du tabac, les mêmes moyens qu’on emploie ordinairement pour compléter celle des autres plantes ; je veux dire leur procurer plus de chaleur, en renforçant celle de la terre ou celle du soleil, ou l’une et l’autre. Or, on trouvera quelques indications relativement à ce but, dans la manière même dont on cultive les melons musqués ; car on a soin de les semer sur une couche chaude, composée de fumier et de terreau, assise sur un terrein en pente, à l’exposition du midi, pour augmenter la chaleur par la réverbération, dressée de plus sur des tuiles, ce qui augmente encore cette chaleur ; enfin, couverte de paille, au besoin, pour garantir ces plantes des gelées et des vents froids. On a aussi quelquefois soin de les transplanter, ce qui anime quelque peu leur végétation. Je dis donc que, par le concours de tous ces moyens, on est parvenu à se procurer, en Angleterre même, des melons aussi bons que ceux d’Italie ou de Provence : eh bien ! rien n’empêche d’employer ces mêmes moyens pour la culture du tabac. Il faudroit aussi essayer d’en faire macérer les racines dans une eau chargée de quelque substance qui fût de nature à leur donner plus de force, et à les faire pousser plus vigoureusement.

Observations sur les effets semblables des chaleurs de différentes espèces.

855. La chaleur du feu artificiel peut, comme celle du soleil, mûrir les fruits et opérer la vivification des animaux. De même la chaleur vitale et celle du soleil peuvent quelquefois se remplacer et se suppléer réciproquement. Les fruits d’un arbre planté derrière une cheminée où l’on fait continuellement du feu, mu- rissent beaucoup plus vite. Une vigne dont on met les branches à l’abri, en les faisant entrer par la fenêtre d’une cuisine ou d’une chambre à feu, rapporte au moins un mois plutôt que les autres ; par le moyen d’un tuyau de poële qu’on fait passer dans une orangerie, on se procure des oranges, même dans nos contrées. On prétend aussi qu’on est parvenu à faire éclore des œufs à l’aide de la chaleur d’un four. Enfin, quelques auteurs anciens prétendent que l’autruche dépose ses œufs dans le sable, où ensuite la chaleur du soleil les fait éclore.

Observations sur la dilatation et le renflement des corps qu’on fait bouillir.

856. Lorsqu’on fait bouillir l’orge, il ne se renfle pas beaucoup ; le froment, davantage ; le riz, infiniment plus ; et cela au point qu’un quart de pinte de riz crud donne une pinte de riz cuit. La raison de ce gonflement et des différences à cet égard, est qu’un corps exposé à l’action du feu se dilate d’autant plus, que sa substance est plus compacte et son tissu plus serré. Or, des trois espèces de grains dont nous venons de parler, l’orge est le plus poreux ; le froment est un peu plus solide, et le riz est le plus compact des trois. Il se peut aussi que telle substance de cette classe ait un certain degré de viscosité, et soit plus extensible que les autres. C’est ce dont nous voyons un exemple frappant dans les substances colorantes ; car une petite quantité de safran teint plus fortement une quantité déterminée d’eau, que ne pourroit le faire une grande quantité de vin ou de bois de Brésil.

Observation sur l’édulcoration des fruits.

857. La saveur des fruits peut être adoucie par différentes causes ou différens moyens : 1°. par la simple compression ; savoir, en les roulant doucement sur une table, ou en les pressant légèrement avec la main : de ce genre sont les poires, les prunes de Damas, etc. 2°. Par un commencement de putréfaction, comme les nèfles, les cormes, les prunelles, les baies de l’églantier, etc. 3°. Par le temps seul ; on peut ranger dans cette classe les pommes, les poires de la grosse espèce, les grenades. 4°. Par les différens moyens qui peuvent accélérer et perfectionner leur maturation ; par exemple, en les mettant dans du foin, dans de la paille, etc. 5°. Par l’action du feu, en les torréfiant, en les faisant bouillir, cuire au four, etc. Si la saveur de certains fruits devient plus douce lorsqu’on les roule doucement sur la table, ou lorsqu’on les presse légèrement avec la main, c’est tout simplement parce qu’on amollit leur substance par ce moyen ; et par la même raison que, pour amollir les tock-fish[19], les viandes salées, etc. on les bat sur un corps dur, avant de les faire cuire. La putréfaction produit le même effet, parce qu’elle fait contracter aux esprits renfermés dans le corps du fruit, un certain degré de chaleur qui les met en état de digérer les parties les plus dures et les plus grossières. Car on doit observer en passant, que toute putréfaction est accompagnée d’une certaine chaleur, soit occulte, soit sensible. Si l’on parvient au même but en les gardant simplement et à l’aide du temps seul, c’est parce que les esprits qui se trouvent dans leur intérieur, continuant d’agir sur leur substance et de la consumer, l’atténuent ainsi peu à peu. C’est encore le foible degré de chaleur, produit par les différens moyens qu’on emploie pour achever la maturation de ces fruits, qui rend leur saveur plus douce. Enfin, on doit être d’autant moins étonné de voir la saveur de ces fruits adoucie par l’action du feu, que l’effet propre et direct de la chaleur est d’atténuer les substances, et d’incorporer plus parfaitement leurs principes. Car toute saveur acide dans un composé vient de ce que ses parties sont encore trop grossières ; et l’effet naturel de l’incorporation plus parfaite de ses principes, est d’en rendre la substance et la texture plus homogène dans toutes ses parties ; ce qui doit aussi en adoucir la saveur.

Observations sur les viandes comestibles ou non comestibles.

858. Parmi les différentes espèces d’animaux, il en est dont la chair est comestible en tous temps, et d’autres qui ne paroissent tels que dans une extrême famine. La raison de cette différence est l’excessive amertume des viandes de cette dernière espèce. Aussi, la chair des animaux féroces, ou colériques et bilieux, tels que les lions, les loups, les écureuils, les chiens, les renards, et les chevaux mêmes, sont-ils pour l’homme un mauvais aliment. Il est vrai que la chair de cheval a fait autrefois et fait encore partie de la nourriture de certaines nations, telles que les Scythes (au-jourd’hui les Tartares), que les Grecs, par cette raison, qualifioient d’ hippophages (mangeurs de cheval). Aujourd’hui même les Chinois ne dédaignent pas un tel genre d’aliment, et les plus gourmands d’entr’eux s’accommodent très bien d’un pâté de poulain. Généralement parlant, la chair des oiseaux carnivores (vulgairement appelés oiseaux de proie), est aussi un mauvais aliment ; non parce qu’ils se nourrissent de chair, mais parce qu’ils sont d’un tempérament très bilieux : par exemple, quoique les poules-d’eau, les mouettes, les pélicans, les canards sauvages, etc. se nourrissent de chair, ils n’en sont pas moins bons à manger ; et même certains oiseaux de proie, tels que l’épervier, la corneille, le hibou, etc. ne laissent pas d’être d’assez bons mets, lorsqu’ils sont encore tout jeunes et sortant du nid. La chair humaine est pour l’homme un mauvais aliment ; ce qu’on peut attribuer à cinq causes. Un sentiment naturel d’humanité nous inspire de l’aversion et de l’horreur pour un aliment de ce genre. En second lieu, la chair de tout animal mort naturellement est une mauvaise nourriture. Aussi voit-on que les cannibales eux-mêmes ne mangent point la chair des hommes morts de cette manière, mais seulement la chair de ceux qui ont été tués. En troisième lieu, il faut qu’il y ait quelque disparité (différence) entre la nourriture et le corps à nourrir, et toute substance trop analogue à celle de l’animal qui s’en nourrit, lui est nuisible[20]. On voit, il est vrai, des personnes qui, dans des maladies de langueur et de consomption, se nourrissent de lait de femme, et s’en trouvent bien. Cependant, je regarde comme une extravagance l’idée de Marcile Ficin, qui osoit proposer, comme un moyen très efficace pour la prolongation de la vie, d’ouvrir la veine à un jeune homme d’une santé vigoureuse, et d’en sucer le sang. On prétend aussi que les sorcières sont friandes de chair humaine. Si le fait est vrai, abstraction faite de ce qu’un tel goût peut avoir d’odieux et d’infernal, je présume qu’elles ne font usage de cet horrible aliment que pour se disposer à leurs opérations magiques. Il se peut que les vapeurs qui s’en élèvent, leur plaisent en exaltant leur imagination ; car on sait assez que toute la prétendue félicité des femmes de cette espèce, est dans leur imagination et tout-à-fait chimérique, comme nous l’avons observé ailleurs.

Observations sur la salamandre.

859. Suivant une antique tradition, la salamandre peut vivre dans le feu et a même la faculté de l’éteindre. Si ce fait est réel, il suppose dans le corps de cet animal deux conditions absolument nécessaires pour produire un tel effet ; l’une est une peau fort compacte, que la flamme (dont la partie centrale, comme nous l’avons observé dans la quatrième Centurie, brûle avec moins de force que les parties latérales) ne puisse pénétrer et entamer. Car l’on sait que, si, après avoir couvert la paume de sa main, d’une couche assez épaisse de blanc d’œuf, et versé dessus de l’eau-de-vie, on met le feu à cette liqueur, on peut endurer cette flamme pendant quelque temps. L’autre condition est que le corps de cet animal soit excessivement froid et doué d’une faculté extinctive, dont l’effet naturel soit d’étouffer le feu[21]. Car on s’est assuré par l’expérience, que le lait éteint mieux le genre de feu d’artifice connu parmi nous sous le nom de feux sauvages, que ne le peut l’eau, parce que la première de ces deux liqueurs les pénètre plus aisément et plus intimement.

Observations sur l’apparente opposition qu’on voit entre les effets du temps sur les fruits, et ceux qu’il produit sur les liqueurs.

860. Le temps diminue peu à peu la saveur acide qu’ont d’abord certains fruits, tels que les pommes les poires, les grenades, etc. et rend par degrés cette saveur plus douce. Au contraire, certaines liqueurs, même celles qu’on fait avec des sucs tirés par voie d’expression de certains fruits ou grains, telles que la bière nouvelle, le moût de vin, le verjus nouveau, etc. perdent peu à peu la saveur douce ou acidule qu’ils avoient d’abord, et le temps les rend acides ou augmente leur acidité. La raison de cette différence est que, dans les corps de la dernière espèce, les esprits sont mieux réunis et plus concentrés. Car l’effet du temps est d’atténuer les esprits dans les corps de ces deux espèces ; avec cette différence, toutefois, que, dans les premiers ils sont plus rares, plus dispersés, et plus maîtrisés par les parties les plus grossières et les plus tangibles, sur lesquelles leur action ne peut produire d’autre effet qu’une digestion plus complète : au lieu que, dans les derniers, ces esprits dominent ; et les parties tangibles leur opposant moins de résistance, ils acquièrent eux-mêmes plus de force, ce qui en donne aussi davantage à la liqueur ; en sorte que, si ces esprits sont de nature très chaude, la liqueur devient inflammable ; ce qui, en même temps, augmente peu à peu son acidité, à mesure que les esprits les plus volatils s’exhalent.

Expérience relative aux contusions.

861. Les anciens ont observé que des plaques ou lames de métal promptement appliquées sur les contusions, empêchent que les parties ne s’enflent. La raison de leur effet, en pareil cas, n’est autre que la répercussion sans humectation et sans intromission d’aucune autre substance. Car ces lames n’ont qu’un froid virtuel, et non résidant réellement dans aucune substance particulière qui puisse s’introduire dans la partie blessée ; au lieu quo les emplâtres et les onguens y pénètrent. La véritable cause de l’enflure occasionnée par une contusion, n’est autre que l’action même des esprits, qui, se portant avec rapidité vers la partie frappée, comme pour la secourir, y entraînent avec eux, y poussent les humeurs. Et une preuve qu’elle n’est pas l’effet de la répulsion et du retour des humeurs dans la partie blessée, c’est que la goutte et le mal de dents occasionnent aussi une enflure dans les parties respectives, quoique la cause de ces deux espèces de maux n’ait rien de commun avec une percussion.

Observation sur le genre de racines appelées orris.

862. Ce genre de racines, désigné par les anciens auteurs sous le nom d’orris, a une propriété singulière qui la caractérise, et qui est presque unique en son espèce. On sait qu’ordinairement les racines ne sont pas odoriférantes ; et lorsqu’elles le sont, leur parfum ne diffère point sensiblement de celui des feuilles et du bois ; au lieu que les feuilles de l’orris sont sans odeur, et que celle de ses fleurs sont loin d’égaler celle de ses racines. Il paroît que cette racine est douée d’une chaleur douce et foible, qui, au moment où en s’élevant au-dessus de la surface de la terre, elle commence à être exposée à l’action du soleil et de l’air extérieur, s’évanouit aussi-tôt : explication d’autant plus vraisemblable, que cette racine est éminemment émolliente, et que son odeur a beaucoup d’analogie avec celle de la violette.

Observation sur la compression des liqueurs.

863. Quelques auteurs anciens prétendent que, si, après avoir rempli d’une liqueur un grand vaisseau, on la soutire pour la mettre en bouteilles, et qu’ensuite on la remette dans le grand vaisseau, il ne sera plus entièrement plein, et pourra en contenir une certaine quantité de plus. Ils ajoutent que cette différence est beaucoup plus sensible dans le vin que dans l’eau. Quoique ce fait paroisse, à la première vue, assez étonnant, on peut faire disparoître tout le merveilleux par une explication triviale, en disant que, lorsque l’on verse la liqueur des bouteilles dans le grand vaisseau, il s’en perd une partie qui s’attache aux parois de ces bouteilles. Cependant, on pourroit attribuer cet effet de une cause plus cachée ; savoir : que la liqueur n’est pas aussi comprimée dans le grand vaisseau que dans les bouteilles ; car, dans ce vaisseau, ce qui se présente à la rencontre de la liqueur et qui la presse le plus, c’est cette liqueur même dont elle est environnée ; au lieu que, dans les bouteilles, ce qui la presse le plus, ce sont leurs parois qui, prises en total, forment une très grande surface ; compression qui l’empêche de se dilater de nouveau, et de recouvrer son premier volume[22].

Observations relatives à l’action de l’eau sur l’air contigu.

864. Lorsque l’eau est en contact avec l’air, elle le rafraîchit, mais sans l’humecter, à moins qu’elle ne soit sous la forme de vapeur. La raison de ce fait est sensible ; la chaleur et le froid ne se communiquent que virtuellement, c’est-à-dire, sans communication de substance[23] ; au lieu que l’humidité ne se communique qu’en communiquant aussi la substance humide, et non le mode seulement : et pour qu’une liqueur puisse humecter un corps, il faut qu’il se pénètre réellement et substantiellement de cette liqueur. Mais, lorsque les pesanteurs spécifiques de deux corps sont tellement différentes, qu’ils ne peuvent se mêler ensemble, cette pénétration ne peut plus avoir lieu. C’est par cette même raison que l’huile reste sur l’eau sans s’y mêler, et qu’une goutte d’eau qui coule rapidement sur un brin de paille, ou tout autre corps poli, glisse dessus, sans l’humecter[24].

Observation sur la nature de l’air.

865. Les nuits ou presque toutes les étoiles paroissent, et où la lune paroit aussi dans tout son éclat, sont plus froides que celles où le temps est nébuleux. La raison de cette différence n’est autre que la sécheresse et la ténuité de l’air, qui, dans le premier cas, le rend plus pénétrant, plus perçant, plus stimulant. C’est par cette même raison qu’il fait plus froid sur les grands continens que dans les îles. Quant à ce qui regarde plus particulièrement la lune, quoique cet astre dispose naturellement l’air à devenir plus humide[25], cependant, lorsque son disque paroît bien net, cela même annonce que l’air est fort sec[26]. De plus, l’air renfermé a plus de chaleur que l’air libre ; ce qui peut venir de ce que la véritable cause du froid est l’expiration (la transpiration) du globe terrestre[27], qui doit être plus forte et plus sensible dans les lieux découverts[28]. À quoi l’on peut ajouter que l’air, lorsque ses qualités naturelles ne sont pas trop altérées par cette transpiration, recèle un foible degré de chaleur ; à peu près comme il recèle un foible degré de lumière : autrement les chats et les hiboux ne pourroient voir durant la nuit ; degré de lumière toutefois qui est extrêmement foible, et proportionné aux esprits visuels de ces animaux[29].

Observations et expériences relatives aux yeux et à la vue.

866. Dans la plupart des individus, les deux yeux font toujours les mêmes mouvemens ; et l’un ne peut se porter d’un côté sans que l’autre se meuve dans le même sens, et avec la même vitesse : par exemple, si l’un se tourne vers le nez, l’autre se tourne en dehors ; ce qu’il ne peut faire sans se mouvoir dans le même sens. La raison de ce phénomène si connu n’est autre qu’un mouvement de corrélation harmonique dans les esprits et dans les parties qui en sont remplies ; cependant on peut, par des essais réitérés, soit volontaires, soit involontaires, être en état de faire le contraire ; car on voit assez de personnes qui louchent à volonté. Et, suivant une tradition populaire, si l’on place un enfant sur une table, en mettant une chandelle derrière lui, ses deux yeux se tournent en dehors comme s’ils cherchoient la lumière, et faisoient effort pour la voir. On dit même qu’une telle position trop réitérée peut les faire devenir louches.

867. On voit plus distinctement, à l’aide d’un seul œil, en tenant l’autre fermé, qu’en tenant les deux ouverts[30]. Cette différence peut venir de ce que les esprits, étant plus réunis et plus concentrés, dans le premier cas, ils acquièrent, par cela même, plus de force. Car on peut, à l’aide d’un miroir, s’assurer par sa propre expérience, que, lorsqu’on tient un ail fermé, la prunelle de celui qui reste ouvert se dilate beaucoup plus qu’auparavant.

868. Lorsque les axes des deux yeux sont tournés de différens côtés, les objets paroissent doubles ; illusion d’autant moins étonnante, que, voir deux objets, voir deux fois le même objet, ou le voir en deux lieux différens, c’est (du moins quant à l’apparence et à la sensation) à peu près la même chose. C’est par une raison semblable qu’une petite balle temue entre deux doigts croisés l’un sur l’autre, paroît double.

869. Les personnes qui ont la vue basse, ont sur les autres certains avantages produits par la même cause, et qui compensent en partie ce défaut ; par exemple, elles n’ont pas besoin d’une si forte lumière pour voir distinctement ; elles voient meux de fort près, et elles peuvent tracer ou lire des caractères beaucoup plus fins[31]. La raison de cette différence est que, dans les sujets de la première classe, les esprits visuels étant plus rares et plus atténués que dans ceux de la dernière, une lumière forte ne feroit que les raréfier et les disperser encore davantage. Par la même raison, ces esprits ont besoin d’être contractés : or, cette contraction leur donne plus de ton et de force que n’en ont ceux des yeux ordinaires où elle est beaucoup moindre. C’est en vertu de la même cause que l’œil, en regardant par les pinules d’un instrument de mathématique, ayant beaucoup plus de force, voit plus clairement et plus distinctement[32]. C’est ce qu’on éprouve lorsqu’on regarde un objet en tenant les paupières à demi-fermées, comme le font, habituellement et par instinct, les personnes qui ont la vue fort basse. Mais lorsque les personnes âgées veulent lire, elles ont soin d’éloigner de leurs yeux le papier ; parce que la disposition des esprits visuels, dans ces derniers sujets, étant diamétralement opposée à celle qu’ils ont habituellement dans les personnes qui ont la vue basse, ils ne peuvent se réunir et se concentrer suffisamment, qu’autant que l’objet se trouve à une certaine distance de leurs yeux[33].

870. Lorsqu’ayant devant soi le soleil ou une chandelle allumée, on regarde un objet placé du même côté, en tenant une main en partie sur ses yeux, on voit plus distinctement cet objet. La raison qui rend alors nécessaire cette espèce de garde-vue naturel, est que le grand éclat de ces deux corps lumineux affoiblit l’œil : la lumière qu’ils répandent autour d’eux étant suffisante pour la vision, il est clair que leur lumière directe doit être trop forte ; car on sait qu’en général l’effet d’une lumière trop vive est d’éblouir, d’offusquer ; impression si forte, que, si l’on regarde le soleil trop fixement et trop fréquemment, on risque de devenir aveugle. De plus, lorsqu’on passe tout-à-coup d’un endroit fort éclairé, à un lien très obscur, une sorte de nuage se répand sur la vue ; on voit d’abord confusément tous les objets, mais ensuite on les distingue peu à peu. La raison de cette vision confuse est que ce passage brusque d’un opposé à l’autre, produit un mouvement tumultueux et irrégulier dans les esprits qui ne peuvent faire leurs fonctions qu’après avoir eu le temps de se recueillir et de se remettre[34]. Car, lorsqu’ils ont été excessivement dilatés par une lumière très vive, ils ne peuvent d’abord se contracter autant qu’il le faudroit ; et, par la raison des contraires, lorsqu’ils ont été excessivement contractés par l’obscurité, ils ne peuvent se dilater sur-le-champ autant qu’il est nécessaire : dans les deux cas, il leur faut un certain temps pour prendre la disposition convenable. De plus, l’un et l’autre extrême, je veux dire, l’extrême dilatation et l’extrême contraction peuvent également rendre aveugle : par exemple, lorsqu’on fixe trop long-temps le soleil ou le feu ordinaire, c’est l’excessive dilatation qui blesse l’œil. Et lorsqu’on aime trop à lire ou à tracer des caractères extrêmement fins, c’est alors la cause contraire qui blesse l’organe.

871. Dans la colère, comme on l’observe fréquemment, les yeux deviennent rouges ; au lieu que, dans la honte, ce ne sont pas les yeux qui se teignent de cette couleur, mais les oreilles et les parties situées derrière. La raison de cette différence est que, dans la colère, les esprits se portent à la partie supérieure de la tête, et ont plus d’activité ; effet qui doit être plus sensible dans les yeux que dans toute autre partie, parce qu’ils sont transparens, quoique cette couleur teigne aussi les joues et la région des oreilles. Dans la honte, il est vrai, les esprits se portent aussi aux yeux et à la face, comme pour les secourir, ces parties étant celles qui travaillent le plus dans cette passion. Mais alors, les yeux repoussent, en quelque manière, ces esprits, parce qu’alors, ne voulant pas regarder autour d’eux, en un mot, ne voulant pas agir, ils n’ont pas besoin de ce principe d’action : car on sait qu’une personne, saisie de honte, n’a jamais le regard ferme, et qu’au contraire elle baisse les yeux. Or, l’effet de cette répulsion est de détourner les esprits qui, dans le premier instant, affluent aux yeux, mais qui ensuite se portent vers les oreilles et les parties voisines.

872. Les objets visuels peuvent bien exciter dans les esprits un plaisir très vif, mais non une grande douleur, une sensation très déplaisante : ou, s’ils les affectent péniblement, ce n’est que médiatement et en conséquence de quelque souvenir, comme nous l’avons déjà observé. Par exemple, l’éclat des diamans, les couleurs vives et variées de ces plumes qu’on apporte des Indes, un jardin bien cultivé, un appartement magnifique, une belle personne, les objets de cette nature, lorsqu’ils frappent la vue, égaient, pour ainsi dire, les esprits vitaux, en les affectant agréablement. Si aucun des objets qui se rapportent à la vue, ne peut la blesser proportionnellement autant que ceux dont nous venons de parler peuvent la flatter, la raison de cette différence est sans doute que, la vue étant de tous les sens le plus immatériel, il n’est aucun objet assez grossier (qui ait assez de corps) pour pouvoir en blesser l’organe. Mais la principale cause de cette exception est, qu’il n’est point d’objet réel et positif qui puisse, en agissant sur cet organe, le blesser sensiblement. Car les objets qui se rapportent aux autres sens ; par exemple, les accords et les dissonances, les odeurs suaves ou fétides, les saveurs douces ou amères, les corps excessivement chauds ou excessivement froids, sont autant d’objets réellement existans, et dont l’action sur les organes respectifs est toute aussi réelle ; an lieu que la couleur noire et l’obscurité ne sont que de pures privations, et par conséquent elles n’ont point ou presque point d’action sur l’organe de la vue[35]. Leur effet, à la vérité, est d’attrister quelque peu ; impression toutefois extrêmement foible.

Observations relatives à la couleur de la mer, ou de toute autre espèce d’eau.

873. L’eau de la mer, ou toute autre espèce d’eau, paroît noirâtre, lorsqu’elle est en mouvement ; et beaucoup plus blanche lorsqu’elle est en repos : différence dont la cause est facile à apercevoir ; car, lorsque cette eau est en mouvement, les rayons lumineux, en la traversant, ne peuvent plus suivre des lignes droites, ce qui doit la rendre plus obscure ; et le contraire doit avoir lieu dans le cas opposé. De plus, la transparence est toujours accompagnée d’une sorte de blancheur, sur-tout lorsqu’il s’y joint quelque réflexion des rayons de lumière. Par exemple, une glace mise au tain, est plus blanche que le verre simple[36] ; il faudroit pousser plus loin ces expériences et en imaginer d’autres, pour savoir comment et jusqu’à quel point le mouvement des corps transparens peut faire obstacle à la vision.

Observations relatives aux poissons à écailles[37].

874. Quelques naturalistes de l’antiquité rangent parmi les insectes les poissons à écailles ; mais je ne vois pas la raison sur laquelle ils peuvent fonder une telle classification ; car on observe dans les animaux dont nous parlons, la distinction des sexes ; et ils ne sont pas non plus des produits de la putréfaction, sur-tout ceux qui sont doués de la faculté locomotive. Cependant, il est certain que les huitres, les pétoncles, et les moules qui ne changent point de place, ne sont pas différenciées par les sexes, ou du moins n’ont point de sexe apparent. Il faudroit faire de nouvelles observations sur ce sujet, pour connoître le mode et le temps de leur génération. Il paroît que les écailles des huîtres de forment dans des endroits où l’on n’en voyoit point auparavant. Et l’on s’est assuré par l’observation, que les moules de la grande espèce, dont l’écaille est très mince, et qu’on trouve au fond des étangs ou des lacs, se forment dans l’espace de trente ans. Mais un fait qui peut paroître plus étonnant, et qui ne laisse pas d’être bien constaté, c’est qu’elles ont non-seulement la faculté d’ouvrir et de fermer leur écaille, comme les huîtres, mais encore celle de changer de place.

Observation sur les différences qu’on observe dans l’homme, entre les organes du côté gauche et ceux du côté droit, par rapport à la force.

875. Il n’est dans le corps humain, quant aux sens proprement dits, aucune différence notable entre le côté droit et le côté gauche[38]. Mais les membres (le bras et la jambe), du côté droit, ont plus de force que ceux du côté gauche. La raison de cette différence peut être que le cerveau, principal instrument des sens et siège commun de la sensibilité, est à peu près le même des deux côtés, sa partie droite et sa partie gauche ne différant point sensiblement l’une de l’autre ; au lieu que le mouvement, les facultés et les organes qui s’y rapportent, tirent quelque secours du foie situé du côté droit. La raison de cette différence peut être que, dans l’usage que nous avons fait de nos sens depuis notre naissance, nous avons exercé les organes de la droite et ceux de la gauche indifféremment ; au lieu que l’éducation nous a accoutumés à exercer de préférence les membres du côté droit, habitude qui doit donner quelque avantage à ceux-ci. Or, une preuve que c’est seulement l’effet de l’habitude, est qu’on voit beaucoup de gauchers, c’est-à-dire, d’individus dont la main gauche a plus de force et d’adresse que la droite, parce qu’ils l’ont plus souvent exercée.

Observations sur les frictions.

876. Les frictions font grossir les parties frottées et les rendent plus charnues, comme on le voit par leur effet sur les personnes qui font habituellement usage de ce moyen, et sur les chevaux qu’on a soin d’étriller. La cause de cette augmentation de volume est que les frictions attirent dans les parties frottées une quantité d’esprits et de sang, beaucoup plus grande que celle qui s’y porteroit naturellement. À quoi l’on peut ajouter qu’elles tirent avec plus de force la substance alimentaire de l’intérieur à l’extérieur ; qu’en relâchant la fibre, elles ouvrent les pores, et fraient ainsi un passage plus facile aux esprits, au sang et aux sucs alimentaires ; enfin, qu’elles digèrent ou évacuent l’humor excrémentitiel et superflu qui auroit séjourné dans les parties ; tous effets qui concourent à l’assimilation. On observe aussi que les personnes qui font usage de frictions, engraissent plus vite, et prennent plus d’embonpoint que celles qui font beaucoup d’exercice. La raison de cette différence est que les frictions n’ébranlent point les parties intérieures et les laissent en repos ; au lieu que les exercices les mettent en mouvement, et quelquefois dans une très violente agitation. C’est, par cette même raison, comme nous l’avons déjà observé, que les galériens sont gras et charnus, par la raison, dis-je, que leur genre de travail met plus en mouvement les membres que les parties internes.

Observation sur le genre d’illusion qui, à une certaine distance, fait paroître plane (plate) la surface d’un globe ou d’une sphère.

877. La surface d’une boule, et en général, d’une sphère, vue de très loin, paroît plate. La raison de cette apparence est que, les distances n’étant par rapport à la vue, qu’un objet secondaire, on ne peut en juger que par la dégradation de la lumière. Ainsi, quand la distance est trop grande pour qu’on puisse distinguer cette dégradation ; les parties de l’objet paroissent toutes, ou à égales distances, ou toutes dans le même plan, en un mot, toutes semblables ; observation qu’on doit appliquer généralement à tous les objets qu’on ne peut voir distinctement. C’est ainsi qu’un écrit, vu à une trop grande distance, pour qu’on puisse distinguer les caractères, ne paroît qu’un papier d’une couleur sombre et obscure ; et que toute surface qui porte des figures, soit en relief, soit en creux, mais vue de fort loin, paroît plate.

Observation sur le mouvement apparent des limites de l’ombre et de la lumière.

878. Lorsqu’on fixe la vue sur les limites de la lumière et de l’ombre, elles paroissent toujours comme tremblotantes. La cause de ce mouvement apparent de trépidation est que cette poussière fine qui flotte dans l’air, et qu’un rayon solaire qui pénètre dans une chambre, fait apercevoir, est dans une agitation perpétuelle, même lorsqu’il ne règne aucun vent sensible. Ainsi, comme le milieu à travers lequel on voit la limite de la lumière et de l’ombre, est réellement en mouvement, cette limite doit y paroître aussi.

Observation sur les vagues et les brisans.

879. Sur les bas-fonds et dans les détroits, on voit ordinairement plus de vagues et de brisans que sur les mers vastes et profondes. La raison de cette différence est, qu’en supposant que l’impulsion soit la même, dans tous les cas, sur les mers vastes ou il y a plus d’eau et d’espace, la lame étant plus longue et sa pente plus douce, la chute doit être moins brusque, et il doit s’y former un houle plus long et plus doux : au lieu que, dans les mers où il y a moins d’eau et d’espace, le mouvement de l’eau est plus vif, elle heurte plus fréquemment contre le fond ; et comme sa pente est plus escarpée, elle imite davantage la cascade ; car la vague ne brise que dans les endroits où l’eau se précipite en retombant[39].

Observation relative aux moyens de dessaler l’eau de la mer.

880. Quelques auteurs anciens prétendent que l’eau salée, lorsqu’on la fait bouillir et refroidir ensuite, est plus potable que lorsqu’elle n’a point passé au feu. On sait de plus que, dans la distillation de l’eau salée, les parties salines ne s’élèvent point avec les vapeurs aqueuses ; car toutes les eaux distillées sont douces. La raison de la saveur douce des eaux salées après leur distillation, est qu’une partie des molécules salines dont cette eau est imprégnée, s’élevant à sa surface sous la forme d’écume, l’autre se précipite au fond, et y forme un sédiment. Ainsi, l’effet de cette distillation est plutôt une séparation des parties salines d’avec celles de l’eau, qu’une évaporation du tout. Mais la substance à laquelle est inhérente la saveur salée est trop grossière pour s’élever sous la forme de vapeurs ; et il en est de même de celles auxquelles est attachée la saveur amère. Car une eau chargée d’absynthe, par exemple, ou de toute autre substance de cette nature, n’est point amère après sa distillation.

Observation sur les eaux de certains puits creusés sur le rivage de la mer, et qui redeviennent salées.

881. Nous avons dit (dans le premier n°. de la première Centurie) que, si l’on creuse des puits sur le rivage de la mer, on y trouve de l’eau douce, l’eau de la mer se filtrant à travers les sables, et y déposant sa salure ; mais quelques anciens prétendent de plus, que sur certains rivages de l’Afrique, l’eau de ces mêmes puits, au bout d’un certain temps, redevient salée, ce qui n’est pas difficile à expliquer ; car on conçoit aisément que le sable, à travers lequel s’est souvent filtrée l’eau de la mer, est imprégné du sel qu’elle y a laissé en passant, qu’étant lui-même salé, il perd ainsi sa propriété de filtre, et que l’eau qui passe ensuite à travers, se chargeant d’une partie de ce sel, doit le devenir également. Ainsi, le remède à cet inconvénient est tout simplement de creuser d’autres puits, quand l’eau des anciens est redevenue salée, à peu près comme on change de passoire ou de filtre[40].

Observations sur le genre d’attraction qui est l’effet de l’analogie ou affinité de substance.

882. D’autres anciens ont observé que le sel se dissout plus aisément dans une eau déjà salée que dans l’eau douce. La raison de cette singularité est que le sel que la première de ces deux espèces d’eau tient déjà en dissolution, attirant le nouveau sel qu’on y met, celui-ci se dissout plus aisément, et se répand plus vite dans toute la masse d’eau. Si cette expérience a quelque réalité, elle mérite de fixer l’attention ; car elle indique un moyen général pour accélérer et faciliter toutes les infusions ; et c’est en même temps un exemple frappant de ce genre d’attraction qui est l’effet de l’analogie de substance. Prenez, par exemple, deux quantités égales de sucre, mettez l’une dans une eau déjà sucrée ; et l’autre, dans une eau qui ne le soit pas[41], afin de voir si la première le deviendra plus promptement.

Observation sur l’attraction.

883. Mettez dans du vin un morceau de sucre, dont une partie soit plongée dans cette liqueur ; et l’autre, élevée au-dessus de sa surface. Vous observerez avec étonnement que la partie élevée au-dessus de la liqueur s’amollira et se dissoudra plus vite que la partie plongée. La raison de cet effet singulier est que la partie du sucre plongée dans le vin ne se dissout qu’en vertu d’une simple infusion ou dispersion ; an lieu que, dans la partie élevée au-dessus, la liqueur est attirée avec force, par une espèce de succion ; tout corps spongieux ayant la propriété de chasser l’air de ses pores, et d’attirer avec force les liquides contigus ; car une éponge, aussi en partie plongée dans une liqueur, présente le même phénomène que ce morceau de sucre. Il seroit utile de tenter quelques nouvelles expériences du même genre, pour découvrir les moyens de faire les infusions plus exactes par voie d’attraction.

Observation sur la chaleur qui règne dans l’intérieur de la terre.

884. L’eau des puits est plus chaude en été qu’en hiver ; il en est de même de l’air des caves. La raison de cette différence est que, dans les parties de l’intérieur de la terre les moins éloignées de sa surface, règne un certain degré de chaleur, indiqué par les veines mêmes de soufre, etc. qu’on y trouve ; chaleur qui est plus forte et plus sensible dans cette région, lorsqu’elle y est concentrée et retenue, comme en hiver, mais que les grandes chaleurs de l’été diminuent par la perspiration, en dilatant les pores de la terre[42].

Observation relative aux moyens de traverser les airs en volant.

885. Au rapport de quelques historiens, les habitans de Leucade, en vertu d’une coutume superstitieuse, précipitoient un homme du haut d’un rocher dans la mer, après avoir attaché autour de lui, à l’aide de longues cordes, quantité de grands oiseaux, et avoir garni tout son corps de plumes, formant des espèces d’ailes qui demeuroient étendues, afin de ralentir sa chute, et de rompre le coup[43]. On voit que certains oiseaux, armés d’ailes très fortes, tels que le milan, l’autour, l’aigle, etc. peuvent, outre le poids de leur propre corps, soutenir, en volant, une masse assez pesante. Je présume aussi qu’à l’aide d’ailes formées de plumes très déliées et jointes bien exactement, qui seroient d’un fort grand volume, et qui demeureroient aussi toujours étendues, il seroit possible de soutenir, dans les airs, un poids assez grand, pourvu que le tout fût bien en équilibre, et ne penchât pas plus d’un coté que de l’autre. On pourroit peut-être, en étendant un peu ces idées, trouver un moyen de traverser les airs en volant[44]

Observation sur l’écarlate.

886. Dans plusieurs contrées, sur-tout dans la Céphalonie, croît un arbrisseau connu dans le pays sous le nom de chêne verd ou de chêne nain ; sur les feuilles duquel se forme une espèce de tumeur ou d’ampoule, d’où l’on tire une poudre d’un rouge vif. Cette poudre, peu de temps après qu’on l’a recueillie, se change en vers, qu’on tue, dit-on, à l’aide du vin, dès qu’ils commencent à s’animer. C’est de cette poudre qu’on tire la couleur connue dans le commerce sous le nom d’écarlate.

Observations relatives à certain genre de maléfices.

887. En Xaintonge, on connoît un moyen pour rendre un homme inhabile à la génération ; moyen également pratiqué en Gascogne, où l’on appelle cela nouer l’aiguillette. C’est ordinairement le jour des noces qu’on en fait usage. Dans la Xaintonge, ce sont les mères elles-mêmes qui se chargent de cette opération ; c’est une précaution pour empêcher l’effet de tout charme de cette nature qui pourroit être jeté par un autre ; car ce qu’elles font, à cet égard, elles peuvent ensuite le défaire à volonté. C’est un genre de délit dont les tribunaux prennent connoissance, et contre lequel les loix ont décerné des peines : ainsi, il est plus important qu’il ne le semble à la première vue[45].

Observation relativement à l’eau que la flamme fait monter dans un vaisseau.

888. Voici une expérience triviale ; mais la cause du phénomène qu’elle présente, n’en est pas mieux connue. Prenez un pot, ou mieux encore, un verre, afin de pouvoir observer ce qui se passera dans l’intérieur du vaisseau ; puis ayant allumé un bout de chandelle (ou un morceau de papier), placez-le dans le milieu d’une assiette remplie d’eau ; et ayant renversé le vaisseau, mettez-le dessus, de manière que cette flamme y soit renfermée ; elle y fera monter une certaine quantité d’eau. Pour expliquer ce fait, on suppose ordinairement que c’est la chaleur qui, en tirant et pompant, pour ainsi dire, l’eau, la fait monter ; mais une telle explication n’est rien moins que satisfaisante. Car cette ascension est évidemment l’effet du mouvement de liaison, que les scholastiques appellent l’horreur du vuide, et qui procède ainsi ; dès que la flamme est couverte par le vaisseau, elle est en partie suffoquée par cet air ainsi renfermé ; son volume diminue par degrés, et, tandis qu’il décroît, l’eau commence à monter, mais fort peu, parce qu’elle ne monte qu’à raison du vuide qui se forme à mesure que le volume de cette flamme diminue. Mais, au moment où elle s’éteint tout-à-fait, l’eau monte tout à coup en grande quantité ; parce qu’alors, cette flamme n’occupant plus aucune partie de l’espace, l’air et l’eau en même temps lui succèdent rapidement, et viennent occuper tout cet espace qu’elle a laissé vuide en s’éteignant[46]. Si, au lieu d’eau, on met dans l’assiette de la farine ou du sable, on observera le même effet ; ce qui ruine l’explication ordinaire par laquelle on suppose que le liquide attiré par la flamme monte pour lui servir d’aliment ; car elle fait monter ainsi toute espèce de corps indifféremment ; le mouvement de liaison produisant toujours de tels effets : mouvement qui rend quelquefois l’assiette si adhérente au verre, qu’on peut, en soulevant ce vaisseau avec la main, enlever en même temps cette assiette avec tout ce qu’elle contient : ce qui, toutefois, ne réussit que lorsqu’au lieu d’eau, on met de l’huile dans l’assiette. Mais il n’en est pas moins vrai qu’à l’instant même ou l’on pose l’orifice du verre sur l’assiette, l’eau s’élève un peu ; qu’ensuite elle monte plus lentement, et qu’au moment où la flamme s’éteint tout-à-fait, ce fluide monte tout à coup, comme nous venons de le dire : toutes circonstances qui porteroient à croire qu’il y a en effet un peu d’attraction au commencement : mais c’est un point qui sera mieux éclairci lorsque nous traiterons ex-professo de ce genre d’attractions qui peuvent être attribuées à la chaleur.

Observations relatives aux différentes espèces d’influences que la lune peut avoir sur les corps terrestres.

Quand nous exposerons les observations et les expériences relatives aux corps célestes considérés généralement, il sera temps de montrer quels sont, outre les effets manifestes de la chaleur et de la lumière, les secrètes influences et les actions plus cachées qu’ils peuvent exercer sur les corps terrestres. Mais, pour le moment, nous nous contenterons de donner quelques principes, à la lumière desquels on pourra faire des observations plus méthodiques, et obtenir des résultats plus certains relativement aux influences et à l’action particulières de la lune, qui, de tous ces grands corps, est, pour ainsi dire, notre plus proche voisin.

Les influences de la lune les mieux constatées par l’observation ou l’expérience, sont de quatre espèces. Elle a la faculté ; 1°. d’attirer la chaleur de notre globe, et de la déterminer au dehors ; 2°. de provoquer la putréfaction ; 3°. d’augmenter l’humidité ; 4°. d’exciter des mouvemens dans les esprits.

889. Quant l’attraction qu’elle exerce sur la chaleur, il faut, comme nous l’avons déjà prescrit, prendre une certaine quantité d’eau chaude ; en exposer une moitié aux rayons lunaires, et l’autre, à l’air libre seulement, en garantissant celle-ci de l’action de ces rayons par l’interposition de quelque corps qui fasse ombre et analogue à un parasol ; enfin, s’assurer par l’observation si celle qui demeure exposée aux rayons lunaires se refroidit en effet plus promptement, comme on le prétend. Cependant, comme ce corps interposé ne seroit pas d’un grand effet, il faudroit, pour obtenir un résultat plus sensible, exposer à l’air libre deux quantités égales d’eau chaude ; l’une, quand la lune paroît sur l’horizon ; et l’autre, quand elle n’y paroît pas ; mettre cette eau chaude tantôt dans une bouteille de verre, tantôt dans une cuvette ; enfin, tenter aussi cette expérience sur du fraisi (résidu de charbon de terre) sur un fer rouge, etc.

890. Pour vérifier les faits relatifs à la putréfaction, exposez à l’air libre, pendant deux temps égaux, deux morceaux égaux aussi, soit de viande, soit de poisson ; l’un, quand la lune est sur l’horizon ; l’autre, quand elle n’y est pas ; puis voyez si le premier se corrompt plus vite. Faites la même épreuve sur un chapon, ou sur toute autre pièce de volaille, afin de savoir si, étant exposée aux rayons lunaires, elle se mortifie et devient plus tendre en moins de temps. Soumettez à la même épreuve des mouches mortes ou des vers morts, après avoir versé dessus un peu d’eau : ou encore une pomme, une orange, etc. après l’avoir piquée ; on, enfin, un morceau de fromage de Hollande, sur lequel vous aurez auparavant versé un peu de vin ; enfin, voyez si ces fruits ou ces insectes se corrompent plus vite ; et si les mites s’engendrent plus promptement dans ce fromage.

892. Quant à l’augmentation de l’humidité, on croit communément que les graines germent plus promptement, et que les cheveux, les ongles, les haies et les plantes herbacées poussent plus vite, lorsqu’on a l’attention de ne semer ou planter les unes, et de ne couper les autres que dans le temps on la lune est croissante. On trouve aussi, dit-on, vers le temps de la pleine lune, plus de cervelle dans la tête des lapins, des volailles, des veaux, etc. plus de moelle dans les os ; enfin, plus de pulpe (de chair) dans les huîtres, les pétoncles, les moules, etc. Ce dernier point seroit le plus facile à vérifier ; il suffiroit pour cela de garder ces coquillages dans des espèces de puits.

892. Prenez des semences de plantes à racines bulbeuses ou charnues (par exemple, de la graine d’oignon, etc.) ; mettez-les en terre ; les unes, immédiatement après la nouvelle lune ; les autres, immédiatement après la pleine lune ; bien entendu que toutes ces semences seront de même qualité et mises dans la même terre ; mais, pour s’assurer davantage de cette égalité, il faudroit mettre cette terre dans des pots, et tenir ces pots dans un lieu qui ne fût exposé ni à la pluie, ni à l’action du soleil ; autrement les variations et les différences de ce genre pourroient jeter quelque incertitude dans les résultats de ces expériences ; enfin, observer avec précision au bout de combien de temps germent, et à quelle hauteur s’élèvent, dans un même temps, les unes et les autres ; en un mot, en quoi diffèrent toutes ces plantes semées dans ces deux temps différens.

893. Il est assez probable que, dans l’homme, le cerveau est plus humide et augmente de volume, vers le temps de la pleine lune. Ainsi, des fumigations avec le bois d’aloës, le romarin, l’encens, etc. seroient alors utiles aux sujets qui ont habituellement le cerveau humide et aux grands buveurs. Il est également probable que, dans le corps humain, la quantité des humeurs croît et décroit à peu près comme la lune et dans les mêmes temps. Ainsi, il ne seroit pas inutile de se purger deux ou trois jours ayant la pleine lune ; car, durant le décours de cet astre, on auroit moins à craindre une nouvelle plénitude[47].

894. Il est bon d’observer, par rapport à ces mouvemens, excités dans les esprits par l’action de la lune, que l’accroissement plus rapide des haies, des plantes herbacées, des cheveux, etc. durant l’accroissement de la lumière de cet astre, ne doit pas moins être attribué à cette espèce de révolution qu’il occasionne alors dans ces esprits, qu’à l’augmentation de l’humidité ; c’est ce dont on voit un exemple frappant dans l’affection des lunatiques.

895. La lune a sans doute des influences d’une autre espèce, et celles dont nous venons de parler, ont aussi d’autres effets ; mais ces différens points n’ont pas encore été suffisamment vérifiés par l’observation. Il se pourroit, par exemple, qu’un vent de nord ou de nord-est, venant à souffler vers le temps de la pleine lune, le concours de ces deux causes donnât au froid plus d’intensité ; et, par la même raison, qu’un vent de sud ou de sud-ouest qui souffleroit vers le même temps, produisît dans l’air une disposition, une sorte d’habitude d’où résulteroient des chaleurs et des pluies de plus longue durée[48]. Mais cette conjecture auroit besoin d’être vérifiée par l’observation.

896. Il se peut aussi que les enfans ou les animaux qui naissent vers le temps de la pleine lune, prennent plus d’accroissement et de force que ceux qui naissent durant le décours ; et peut-être en est-il de même de ceux qui ont été conçus vers la première époque. Ainsi, l’attention de ne faire couvrir les vaches et les brebis que vers le temps de la pleine lune, pourroit n’être pas tout-à-fait inutile dans l’économie rustique. Par la mêine raison, il seroit peut-être à propos de ne faire couver que les œufs pondus à la même époque ; tous effets sur lesquels on doit suspendre son jugement jusqu’à ce qu’ils aient été constatés par l’expérience. Il y auroit enfin d’autres observations à faire, pour savoir si les orages et les tremblemens de terre ne sont pas plus fréquens vers l’époque de la pleine lune, que dans tout autre temps[49].

Observation sur le vinaigre.

897. L’opération qui convertit le vin en vinaigre, est une sorte de putréfaction ; car, pour faire le vinaigre, on expose des vaisseaux remplis de vin à l’action du soleil le plus ardent ; ce qui, en rappelant à l’extérieur les esprits les plus oléagineux de la liqueur, ne lui laisse plus qu’une saveur aigre et revêche. On sait aussi que le vin brûlé (chauffé) est plus aigre et plus astringent que celui qui n’a point passé au feu. On prétend que, dans un vaisseau passant sous la ligne équinoxiale, le cidre mûrit (se fait), tandis que le vin et la bière s’aigrissent. Il faudroit exposer à l’action des rayons solaires, durant l’été, un petit baril rempli de verjus, comme on y expose le vin destiné à faire le vinaigre ; ce qui pourroit, peut-être, en mûrissant un peu plus cette liqueur acide, lui donner une saveur plus douce.

Observation sur les animaux qui dorment durant tout l’hiver.

898. On connoît plusieurs espèces d’animaux qui dorment durant tout l’hiver ; de ce genre sont l’ours, le hérisson, la chauve-souris, la marmotte, l’abeille, etc. animaux qui engraissent beaucoup durant le sommeil et ne rendent point d’excrémens. La cause qui les fait ainsi engraisser en dormant, peut être le défaut d’assimilation ; toute cette partie des sucs alimentaires qui ne s’assimile point à la chair, et ne se convertit point en cette substance, se tournant en sueurs ou en graisse. On a observé aussi que ces aniinaux, dans une partie du temps de leur sommeil, sont absolument sans mouvement, et que, le reste du temps, ils ont quelques mouvemens, mais sans changer de place. Ils cherchent ordinairement quelque lieu clos et un peu chaud, où ils se tiennent cachés durant ce long sommeil. Les Hollandois, qui ont hiverné dans la nouvelle Zemble, ont observé que les ourses, dans cette contrée, s’endorment vers le milieu de novembre, et qu’alors les renards, que la crainte tenoit cachés, commencent à paroître. Quelques auteurs anciens prétendent que les ourses sont pleines et mettent bas durant leur sommeil même ; qu’en conséquence rarement on en voit de pleines.

Observations sur la génération des aninullit, soit par voie d’accouplement, soit par la putréfaction.

899. Parmi les différentes espèces d’animaux, les uns proviennent de l’accouplement d’un mâle avec une femelle ; les autres ne sont que des produits de la putréfaction ; et dans cette dernière classe, il en est qui, bien qu’engendrés eux-mêmes par la putréfaction, ne laissent pas d’engendrer ensuite par la voie de l’accouplement[50]. Actuellement, pour illdiquer les causes de la différence de ces deux espèces de génération, nous observerons, en premier lieu, que la principale cause de toute vivification est une chaleur douce, paisible et réglée, agissant sur une matière glutineuse et extensible ; car c’est cette chaleur qui provoque l’expansion des esprits dans le composé susceptible de s’organiser ; et la viscosité de sa substance a deux effets principaux ; l’un est d’y retenir les esprits et d’en empêcher l’émission ; l’autre est que cette matière souple, obéissant à l’action expansive des esprits, se gonfle peu à peu, se ramifie, se figure et s’organise. On voit en effet que toute espèce de matière spermatique ou menstruelle, et de substance où s’engendrent des animaux par la putréfaction, est toujours plus ou moins épaisse, glutineuse et extensible. Ainsi, il ne reste plus que deux causes qui puissent mettre une différence marquée entre la génération opérée par le moyen d’une matière spermatique, et celle qui est le produit de la putréfaction. La première est que les animaux d’une figure précise et déterminée, tels que ceux qui proviennent d’un accouplement, ne peuvent être engendrés par une chaleur foible et momentanée, ou très variable ; ni se former que dans une matière qui ait subi toutes les préparations nécessaires, et qui ait précisément la disposition convenable à leur espèce particulière et respective. La seconde est que, la formation des animaux parfaits est beaucoup plus lente que celle des animaux qui sont le produit d’une génération spontanée. Or, cette formation exigeant beaucoup plus de temps, l’esprit vivifiant pourroit s’exhaler avant que l’animal fût entièrement organisé, si la matière dont il doit se former, n’étoit renfermée dans quelque réceptacle[51], où la chaleur puisse être continue, qui puisse fournir une substance propre pour nourrir le fœtus, et une clôture assez exacte pour empêcher l’émission de cet esprit. Les matrices des femelles vivipares ont toutes ces conditions ; aussi voit-on que les animaux engendrés par la putréfaction sont d’une figure plus vague et moins déterminée que les animaux parfaits ; que leur complète formation demande beaucoup moins de temps ; et qu’ils n’ont pas non plus besoin d’un réceptacle si exactement clos ; quoique le plus souvent ils ne puissent se passer d’une cavité quelconque un peu close. Quant au sentiment de ces auteurs païens qui prétendent que, dans les grandes révolutions de l’univers, les premiers animaux parfaits furent engendrés par voie de concrétion, comme le sont encore aujourd’hui les grenouilles, les vers, les mouches, etc.[52]. Nous savons qu’il est dénué de fondement[53]. Si l’on se prête à de telles suppositions, en empruntant le langage originaire des sens, et qui ne parle qu’à eux, il faudra donc ramener la fable de l’antique chaos, de l’assemblage confus et indigeste de la terre et des cieux : car la machine de l’univers une fois construite et montée ; il n’est plus de combinaison fortuite, ni d’anomalie qui puisse produire de tels effets[54].


SUPPLÉMENT
À CETTE CENTURIE.
Première addition qui se rapporte aux nos. 812, 813, 814, 815 et 816.
Table raisonnée de signes et de loix dont la connoissance peut servir à prévoir les grands hivers, les inondations, etc.
Définitions, limitations et avertissemens.

1°. Jappelle grand hiver, toute saison où le thermomètre reste au moins pendant trois semaines ou un mois, à 12 degrés, ou encore plus bas. Tel de nos lecteurs pourra juger petits ces hivers que nous qualifions de grands ; mais nous lui observerons qu’il s’agit beaucoup moins ici de déterminer le nom que nous devons donner à un hiver quelconque, que de savoir précisément de quelle espèce d’hiver nous allons parler.

2º. La rigueur d’un hiver sec est en raison composée de l’intensité du froid et de sa durée ; mais comme la durée de l’hiver est assez ordinairement en raison inverse de l’intensité du froid qui se fait sentir a l’époque ordinaire de son maximum (c’est-à-dire, entre le 20 de décembre et le 20 de janvier) ; nous nous en tiendrons à l’objet déterminé par la définition précédente. Cependant, pour ne pas limiter excessivement notre sujet, et pour faire entrevoir l’extension dont il est susceptible, nous joindrons aux signes qui se rapportent à l’intensité du froid, et à cette durée que nous supposons, quelques signes relatifs à l’accélération ou au retard de l’époque du commencement ou de la fin de l’hiver.

3°. J’appelle nuaison, la durée d’un vent de nord ou de sud, etc. du froid ou du chaud, de la sécheresse ou de l’humidité, des pluies, etc. qui l’accompagnent.

4°. Dans la langue des marins, on appelle rhumbs, ou airs de vents, les trente-deux divisions de l’horizon, auxquelles on rapporte ordinairement les directions des vents et les situations des lieux, telles que nord et sud, est et ouest, nord-est et sud-ouest, nord-ouest et sud-est, etc.

5°. Le lecteur trouvera, dans une note placée sous le préambule de l’article auquel se rapporte cette addition, les définitions des quatre espèces de signes qui peuvent servir de bases aux pronostics de toute espèce.

6º. Un seul de ces signes, dont la table ci-dessous est, en partie, composée, seroit une base beaucoup trop étroite pour un pronostic de ce genre ; mais le concours de trois ou quatre des meilleurs signes donneroit aux prédictions une probabilité qui équivaudroit à la certitude absolue, du moins dans la pratique.

7°. Nous joindrons à l’exposé de chaque signe un petit essai d’explication, destiné à montrer la relation naturelle qui existe, ou peut exister, entre le signe et l’événement annoncé. Ces explications, lorsqu’elles seront combinées avec des observations directes, convertiront les simples probabilités en certitude ; et lorsqu’elles seront seules, elles pourront du moins suggérer, provoquer et diriger ces observations qui manquent.

8°. Enfin, pour ne pas nous exposer à attribuer à Bacon ou à Toaldo nos propres erreurs, nous désignerons les indications du premior par un (B) ; celles du second, par un (T), et les nôtres, par une (L). Quant aux explications, ayant trouvé peu de guides dans cette route presque nouvelle, nous serons souvent forcés de marcher seuls, en donnant toutefois nos idées pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire, pour de simples conjectures.

Table raisonnée des lois et des signes.

1°. Points lunaires. (T) Lorsque le concours de deux ou trois points lunaires, tels que quadratures, sizygies, nœuds, apogée, périgée, etc. répond à peu près au temps où le maximum du maximum de froid a lieu ordinairement (c’est-à-dire, à la fin de décembre et au commencement de janvier), on doit s’attendre à un hiver très rigoureux.

Car l’effet général de ce concours (comme nous l’avons observé d’après Toaldo, dans deux des notes précédentes), étant de renforcer la qualité ou disposition de l’air, produite par d’autres causes, il s’ensuit qu’à l’époque ordinaire du maximum de l’hiver, c’est le froid que ce concours doit renforcer.

2°. (T) Il y a, dans l’enchaînement naturel des années et des saisons, un ordre constant, une suite de retours périodiques, fixe, déterminée et dépendante de la révolution de l’apogée et du périgée lunaires ; ordre qui ramène, au bout de huit à neuf ans, et même au bout de quatre à cinq ans[55], des saisons, ou du moins des nuaisons fort semblables. (L) Par exemple, depuis vingt ans, nous avons, tous les quatre ou cinq ans, un grand hiver ; ceux de 75 à 76, de 79 à 80, de 83 à 84, de 88 à 89, et de 93 à 94, ont été conformes à cette règle[56]. (L) Comme l’apogée et le périgée de la lune font partie de ces époques, que Toaldo appelle des points lunaires, l’explication du numéro précédent s’applique à celui-ci.

3°. (B) On peut aussi pronostiquer un hiver très rigoureux, lorsqu’on voit régner, en automne, (L) du moins vers le commencement ou le milieu, (B) des vents de sud fort pluvieux, de longue durée, (L) et directs ou presque directs, c’est-à-dire, soufflant précisément du sud, ou des rhumbs voisins, depuis le sud-est jusqu’au sud-ouest.

(L) Car alors le vent de sud poussant dans la région septentrionale et circumpolaire, la plus grande partie de l’humor aqueux répandu, sous différentes formes, dans tout le corps de l’atmosphère des zones méridionales ; cet humor, vers le milieu de l’automne, s’y convertit en glace, et y forme une sorte de froid solide et fixe, une espèce de provision de froid, qui reste là. Ce froid habituel donne à l’air septentrional une densité, un ressort et un poids qui tôt ou tard lui donnera l’avantage sur l’air méridional, même dilaté et comme bandé par la chaleur habituelle de la zone torride ; d’où résultera un vent de nord de longue durée, qui, ayant, pour ainsi dire, léché cette surface glacée, amènera dans nos contrées un froid proportionnel à celui qu’il aura contracté par ces contacts réitérés. Mais si les vents sont latéraux, c’est-à-dire, de l’est à l’ouest, ou des rhumbs voisins, depuis le nord-ouest jusqu’au sud-ouest, ou depuis le nord-est jusqu’au sud-est, cet effet ne doit pas avoir lieu.

De plus, les opposés sont naturellement alternatifs et proportionnels l’un à l’autre, comme nous l’avons démontré tant de fois. Ainsi, à des vents de sud d’une grande farce, très humides, et de longue durée, doivent naturellement succéder des vents de nord d’une force, d’un froid et d’une durée proportionnels. Lorsque le temps de la réaction et du vent de nord, qui en est la conséquence naturelle, répond à celui où le maximum de l’hiver a lieu ordinairement, il en doit donc résulter de grands froids.

N. B. L’on sait que, dans nos contrées, le vent souffle plus fréquemment du nord, du sud, ou des des rhumbs voisins, que de toute autre partie. Les principales causes de ces deux espèces de vents, et des vents en général, sont donc situées nord et sud, l’une par rapport à l’autre. Ces deux causes paroissent être le froid habituel de la région circumpolaire, et la chaleur habituelle de la zone torride, qui agissent et réagissent sans cesse l’une contre l’autre ; chacune de ces deux causes, passé un certain point, diminuant peu à peu, par cela même qu’elle augmente, les conditions favorables à sa propre action, augmentant proportionnellement celles qui favorisent l’action de sa contraire, et lui donnant enfin l’avantage ; que celle-ci lui rend à son tour, en vertu du même méchanisme, appliqué en sens contraire. L’air de nos zones tempérées, placé, pour ainsi dire, entre les deux grandes factions du monde physique, et ballotté par l’une et par l’autre alternativement, est poussé comme nous, tantôt a droite, tantôt à gauche.

Mais abandonnant cette conjecture trop vague, toute probable qu’elle paroît, tachons de donner à cette explication une rigueur et une évidence géométrique : ce fondement une fois posé, nous devinerons les signes à priori, et nous n’aurons pas même besoin de l’expérience pour les connoître.

S’il existe, dans toute la circonférence de la zone torride, une force quelconque qui pousse au nord l’air méridional, et qui produise ainsi un vent de sud, cet air s’accumulera nécessairement dans la région septentrionale : celui qui viendra le long de la partie orientale d’un méridien, rencontrera tôt ou tard celui qui viendra le long de la partie occidentale et opposée de ce même méridien ; alors ils se résisteront réciproquement : plus le vent de sud aura de force, plus aussi ce ressort qui se bande, pour ainsi dire, lui-même, sera bandé, et plus, lorsqu’il se détendra, sa réaction sera vive, forte et durable.

Enfin généralisant, autant qu’il est possible, supposons au midi une force quelconque qui produise un vent de sud, et au septentrion, une force quelconque qui lui résiste, et qui tende à produire un vent de nord. Cela posé, plus la force méridionale aura d’intensité, plus la force boréale réagira contr’elle. Donc plus le vent de sud produit par la première, sera fort et durable, plus le vent de nord produit par la dernière, quand celle-ci deviendra enfin supérieure, aura lui-même de force et de durée. Mais, si le vent de nord produit par la réaction de la force boréale est nécessairement proportionnel au vent de sud produit par l’action de la force méridionale, l’intensité et la durée du froid qui est l’effet nécessaire de ce vent de nord, lorsqu’il souffle dans le temps du maximum de l’hiver, seront aussi proportionnées à celles du vent de sud qui en aura été la cause première. Or, les vents de sud et les vents de nord, disions-nous, se succèdent alternativement et proportionnellement. Ainsi, lorsque les vents de sud auront occupé la plus grande partie de l’automne, les vents de nord et les grands froids qu’ils amènent, occuperont une grande partie de l’hiver, comme le prétend notre auteur, dans l’article que nous commentons. Cette petite loi que nous venons d’exposer est l’image de la grande loi qui gouverne le monde entier.

4°. (L) Lorsque le vent du nord est très froid, très glacial, et occasionne des gelées, très peu d’heures après qu’il a commencé à souffler, et qu’il a succédé au vent de sud, on peut dire que l’hiver sera très rude, et qu’il approche, ou plutôt qu’il est proche[57].

(L) Bernardin de Saint-Pierre a observé avec raison que, vers la fin de l’automne, et durant tout l’hiver, il doit se former, dans la région circumpolaire de chaque hémisphère, une grande coupole de glaces, de neiges, etc. dont le plus grand arc est d’environ 2 000 lieues ; et la moitié, à peu près de 1 000. Mais cette coupole peut se former plutôt ou plus tard, elle peut avoir plus ou moins d’étendue ; et son bord méridional s’avancer plus ou moins vers le sud, soit durant tout l’hiver, soit à telle époque déterminée. Cela posé, si la coupole boréale (la notre) se forme très tard, et si son bord méridional s’avance peu vers l’équateur, cette partie de l’air boréal qui, après avoir passé dessus, se portera d’abord dans nos contrées, n’y arrivera qu’après avoir poussé vers nous tout l’air intermédiaire qui sera beaucoup plus chaud, et après avoir traversé lui-même de vastes régions où la surface de la terre ne sera pas encore très refroidie ; la masse d’air qui lui succédera, et qui se sera refroidie beaucoup plus, soit on léchant la partie la plus septentrionale de la coupole, soit en traversant des parties méridionales, mais déjà un peu refroidies par la première, ne parviendra donc dans nos contrées qu’au bout d’un de deux, de trois, etc. jours. Si, au contraire, la coupole s’étant formée de bonne heure, son bord méridional est déjà très avancé vers le sud, il y aura entre ce bord et nous très peu d’air chaud, qui sera bientôt poussé vers nous dans sa totalité ; le bord méridional de la coupolo étant très voisin de nous, presque toute la masse d’air située au nord de nos contrées sera elle-même très glaciale ; très peu d’heures après que le vent de nord aura commencé à souffler, il sera très froid ; il le sera, à quelques heures prés, durant la totalité de chacune de ses nuaisons, et les nuaisons de vent de nord de cet hiver-là seront toutes extrêmement froides. Ainsi, lorsque, sur la fin de l’automne, les vents de nord, peu d’heures après qu’ils ont commencé à souffler, sont extrêmement froids, on peut dire qu’il y a déjà au nord une grande provision de froid ; et que la glacière n’est pas loin, comme nous l’avons avancé.

Ce signe me paroit le meilleur de tous ; on peut même le qualifier d’évident. Mais cette lunette n’est pas de longue portée : elle ne montre l’objet qu’à la distance d’un mois ou de six semaines. Ici, c’est le froid lui-même qui s’annonce, et il faudroit pouvoir le lire dans les chaleurs mêmes, dans l’humidité, les sécheresses, etc. qui le précèdent de fort loin : cependant, j’entrevois des moyens pour allonger beaucoup cette portée ; mais, pour ne pas allonger excessivement ce n°. je passe au suivant.

5°. (L) Lorsque les nuaisons, soit de vent de nord, soit de vent de sud, sont fort longues durant l’automne ; ou encore, lorsque, dans cette saison, chaque nuaison de vent de nord est de beaucoup plus longue durée que la nuaison de vent de sud qui l’a précédée, et même que celle qui la suit, on doit s’attendre aussi à un hiver rigoureux.

Car, lorsque le froid a beaucoup d’intensité, dans le temps ordinaire de son maximum (qui est ordinairement entre le 20 décembre et le 20 janvier), cette nuaison est aussi de très longue durée. Et réciproquement, des vents de nord ou de nord-est, de très longue durée, produisent un froid qui a beaucoup d’intensité. Or, dans la nature, les phénomènes, sur-tout ceux qui ont une certaine durée, vont rarement par sauts, mais croissent et décroissent presque toujours par degrés. Ainsi, lorsque les nuaisons de vent de nord, qui ont lieu en automne, sont de très longue durée, et sur-tout lorsque leur durée excède de beaucoup celle des nuaisons de vents de sud, qui les précèdent ou les suivent, on peut conjecturer que la grande nuaison de vent de nord, qui a ordinairement lieu vers le temps du solstice d’hiver, sera aussi de très longue durée, et que l’intensité du froid qui régnera alors, sera proportionnelle à cette durée. Ce dernier signe est purement conjectural ; et je ne pourrois l’appuyer d’aucune observation directe. Cependant il mérite d’autant plus d’être vérifié, qu’il tient à ce grand principe qui se montre sous différentes formes dans les meilleurs livres. Le spectacle de cet univers n’est qu’un phénomène infini en tout sens, et unique, qui se développe et se déroule, pour ainsi dire, dans toute l’immensité de l’espace et de la durée, sans y laisser aucun vuide : ses parties, toutes immédiatement ou médiatement contiguës, se poussent, pour ainsi dire, réciproquement, chaque grande période, chaque année, chaque saison, chaque heure, chaque génération d’êtres, enfantée par celle qui l’a précédée, enfante elle-même celle qui la suit, et dont elle recèle le germe dans son sein. Tel est le véritable sens de ce mot si célèbre attribué à notre auteur : le présent est gros de l’avenir. Or, si chaque temps contient le germe du temps qui le suit, il n’est donc pas impossible, en étudiant et considérant de bien près cent étés, cent automnes et cent hivers, de découvrir quelle espèce d’été et d’automne précède telle espèce d’hiver ; par exemple, de saisir ce qu’il peut y avoir de commun entre tous les étés ou tous les automnes (d’un siècle entier) qui ont précédé de grands hivers. Chaque grand hiver a nécessairement une cause ; et il est impossible qu’il y ait une très grande analogie entre les effets, sans qu’il y ait aussi quelque analogie entre leurs causes. Si cette analogie existe, en la cherchant bien, on peut la trouver ; tel est notre but, et tel est le fondement de nos espérances à cet égard.

6°. (L) Un été très chaud est presque toujours précédé ou suivi d’un hiver très froid : en sorte que si l’hiver qui a précédé un été fort chaud, a été très doux, on peut prédire, avec quelque probabilité, que l’hiver suivant sera très froid et très rigoureux ; ce qui n’est qu’un cas particulier de la grande loi exposée ci-dessus ; savoir : que les opposés se succèdent alternativement et proportionnellement ; cet univers n’étant qu’un vaste champ d’actions et de réactions proportionnelles ; qu’un assemblage de ressorts qui se tendent réciproquement, et dont chacun se détend avec une force proportionnelle à celle qui l’a tendu ; de navettes qui vont et reviennent sans cesse, de flux et de reflux, de diastoles et de systoles, de pouls qui battent, de cordes qui frémissent, de pendules en vibration. La facilité même avec laquelle nous multiplions ces comparaisons, prouve la généralité de la loi ; car, si elle étoit particulière, ces analogies seroient plus rares ; et une grande vérité, quand elle est saisie, multiplie nécessairement les images ; parce qu’elle se montre partout, et dans celui qui la dit, et dans ceux qui l’écoutent.

7°. (B) Un été très froid et très humide est encore l’annonce d’un hiver très rigoureux ; voyez l’explication au n°. 813 : nous rejetons ce signe qui nous paroît faux.

8°. (B) La multiplication excessive des baies de l’églantier, des graines de l’épine blanche, des mûres de buisson, etc. fournit le même pronostic. L’explication se trouve au n°. 812.

9°. (B) On doit encore s’attendre à un hiver très rigoureux, lorsque les lambris, les parquets, les portes, les carreaux, les marbres et autres pierres, les auvents, les toits, sont fort secs sur la fin de l’automne ; temps où ordinairement ils sont humides, et où l’eau même dégoutte des corps en pente, sur-tout le matin : l’explication au n°. 812.

10°. (L) La chute tardive des feuilles annonce aussi un grand hiver, et nous a fourni cette indication dans les années 75, 83 et 93[58].

Si l’air atmosphérique est intimement sec, il doit être moins pourrissant en automne ; et le pédicule de la feuille doit avoir plus de force. Or, la sécheresse de l’air, dans l’arrière saison, amène et annonce ordinairement des gelées âpres et durables.

11°. (L) Lorsque le temps est fort beau et fort doux, sur la fin de l’automne, on doit encore s’attendre à un hiver très rigoureux ; signe qui rentre un peu dans le précédent. Car si, vers le commencement et le milieu de l’automne, le vent de sud ayant poussé vers les régions septentrionales une grande partie de l’humor aqueux de l’atmosphère de nos contrées, cet humor s’y est converti en glace, et fixé (comme nous l’avons observé, n°. 3), les vents du midi, sur la fin de l’automne, doivent être chauds, sans être très humides ; et, par conséquent, lorsque le vent de midi règne alors, le temps doit être tout à la fois fort doux et fort beau. Cependant, comme du milieu d’une grande ville, telle que Paris, Lyon, etc. on voit beaucoup plus aisément le temps que les feuilles des arbres, cette indication peut n’y être pas inutile.

12°. (L) Lorsque les viandes, les fruits, etc. se moisissent et se putréfient fort promptement, vers la fin de l’été, ou au commencement de l’automne, on peut aussi conjecturer que l’hiver sera très rude ; cette prompte corruption annonçant la grande quantité de l’humor aqueux répandu dans l’atmosphère de nos contrées ; humor dont les parties déliées, en se réunissant peu à peu, formeront de grosses pluies, au commencement de l’automne ; puis une vaste coupole, dans les régions septentrionales ; d’où résulteront des vents de nord très froids et de très longue durée ; enfin, l’hiver rigoureux qui en est la conséquence. Car on doit observer que l’air peut être humide, quoique le temps soit fort beau ; et c’est ce qui arrive, lorsque l’humor aqueux est disséminé, en parties extrêmement déliées, dans l’atmosphère, et y est assez complètement dissous pour n’en pas troubler la transparence ; ce qui ne l’empêche pas d’agir sensiblement sur les corps dont nous parlons. Enfin, quoique les vents renouvellent aisément une partie de l’air atmosphérique, dans une vaste contrée ; cependant il leur faut beaucoup de temps pour la renouveler en totalité.

130. (B) Lorsque les oiseaux qui ordinairement se tiennent dans nos climats durant l’hiver, arrivent de bonne heure, ceux qui, à l’entrée de cette saison, passent ordinairement dans les contrées méridionales, partent aussi de bonne heure, on peut croire que l’hiver n’est pas éloigné. Car, si l’arrivée des uns et le départ des autres annoncent ordinairement l’hiver, lorsque ce double signe devance l’époque ordinaire, le froid doit la devancer aussi, et le retard du signe doit égalemont indiquer le retard de la chose annoncée.

Remarques.

1°. Il est inutile d’ajouter que les signes qui mettroient en état de prédire les grands hivers, serviroient également à prédire les grandes inondations ; car s’il doit y avoir de grandes gelées, il y aura donc une grande fonte de glaces, de neiges, etc. et l’on sait que, dans les printemps qui succèdent à de grands hivers, il y a toujours quelque part des inondations.

2°. On conçoit aussi que ces mêmes signes appliqués, en sens contraire, peuvent servir à prédire les grandes chaleurs, les grandes sécheresses, etc. car la marche de la nature est par-tout la même ; comme tout se touche et se pousse réciproquement, si les grands hivers sont assujettis à des périodes, les grands étés le sont aussi : autrement les étés (comme nous le disions plus haut) étant, du moins, en grande partie, les causes des hivers qui les suivent, le désordre qui régneroit dans la chaine des causes, passeroit à la longue dans celle des effets.

3°. Mais de quelle utilité peuvent être ces signes, ces explications et toute cette théorie ? Dernière question à laquelle il faut répondre. On sait bien, en gros, qu’il seroit avantageux de pouvoir prédire les grands hivers ; mais c’est en détail qu’il faut le savoir.

Conséquences pratiques.

Averti par un concours de signes de cette nature, lorsqu’ils auront été vérifiés avec soin, on pourroit,

1°. Prendre contre les rigueurs du froid les précautions connues relativement au logement, chauffage, vêtemens, etc. précautions qui regardent un peu le gouvernement, ou du moins la police des grandes villes où le bois manque toujours un peu durant les grands hivers.

2°. Prendre d’autres précautions pour conserver les subsistances en général, et toutes les matières susceptibles d’être détruites ou détériorées par les grands froids.

3°. Prendre d’autres précautions encore pour conserver les végétaux sur pied ; par exemple, dans les vignobles précieux, tels que ceux de Beaune, de Nuits, de Chablis, etc. profiter des premières neiges qui tomberoient, pour en couvrir le pied des ceps, aussi haut qu’il seroit possible, et sauver ainsi toute la partie couverte ; comme quelques vignerons du canton d’Auxerre, d’après nos avertissemens, le firent avec succès en 1788.

4°. Prescrire, dès l’automne, un régime calmant et des alimens onctueux, aux sujets qui ont les nerfs très susceptibles, ou atteints de l’affection hypocondriaque, ou ayant le ventre sec et étranglé, etc. etc. etc. etc.

5°. Régler avec plus de précision le départ des escadres, flottes, flottilles, etc. qui pourroient avoir besoin d’un vent de nord, de sud, etc. de quelque durée.

6°. Mettre les armées de terre en quartier d’hiver plutôt ou plus tard ; les faire ou les laisser avancer, plus ou moins, dans le pays ennemi ; en un mot, saisir l’à propos pour tuer, comme pour guérir.

7°. Préparer des secours aux nécessiteux ; s’il est vrai que ceux qui travaillent, aient presque autant droit au nécessaire ; que ceux qui ne font rien, ont droit au superflu ; et que ceux qui font du pain, aient droit d’en manger.

8°. Prendre des mesures pour prévenir les inconvéniens des grandes inondations qui sont une conséquence presque nécessaire des grands hivers, comme nous l’avons dit.

9°. Prendre des mesures pour prévenir les séditions. Car la faim, le froid, et les cent mille myriades de misères qui assiègent le malheureux, dans cette terrible saison, lui font un courage de rage, qui a quelquefois les plus funestes effets dans la saison suivante, comme on l’a vu l’an du monde 5789, dans le point diamétralement opposé aux antipodes de Paris.

Et ce n’est pas tout ; c’est seulement ce que j’aperçois en courant, c’est-à-dire, une partie infiniment petite de ce qui est. Ce but auquel nous tendons, n’est donc rien moins que frivole ; et nous avons fait voir qu’il n’est pas tout-à-fait hors de notre portée. Mais ce sujet est trop terre à terre, élevons-nous un peu plus.

Seconde addition qui se rapporte an n°. 886, où il est question de l’art de traverser les airs en volant.

Une machine volante, pour remplir son objet, doit avoir au moins trois conditions ; 1°. il faut qu’elle puisse du moins se soutenir et quelquefois s’élever, même dans un air calme ; 2°. qu’elle ait un mouvement progressif ; 3°. qu’on puisse la diriger à volonté. Les deux dernières conditions sont si faciles à remplir, qu’elles ne méritent pas de nous arrêter d’abord, et doivent être renvoyées à la fin de cet article, avec d’autres semblables. La plus difficile est certainement la première ; car elle en suppose au moins trois autres.

1°. Des ailes, ou autres corps plans, d’une étendue proportionnée au poids total de la machine ; car, quelque pût être la vitesse de leur mouvement, si elles étoient extrêmement petites, elles ne suffiroient pas ; 2°. une vitesse également proportionnée à ce poids ; quand ces ailes seroient d’un volume immense, si leur mouvement étoit excessivement lent, dans un air calme, et les ailes, et la machine, et l’aéronaute, voleroient, d’un mouvement accéléré, vers le centre des graves.

Tous les méchaniciens ou machinistes, qui ont tenté de construire des machines volantes, ont d’abord tourné leur attention vers ces deux premières conditions ; et quelques-uns ont assez bien rempli ce double objet ; mais tous ont échoué, parce qu’aucun d’eux n’a pensé à la troisième, quoiqu’elle soit triviale ; la voici :

Une machine, un oiseau, ne peut se soutenir ni s’élever dans un air calme, qu’autant que la quantité de mouvement résultante de la réaction de l’air frappé par les ailes, égale et surpasse même celle qui résulte de l’excès de la pesanteur absolue de ce corps pris en totalité sur celle d’un volume égal de ce fluide.

Ainsi, dans toute machine où le mouvement des ailes de bas en haut est égal à leur mouvement de haut en bas, c’est-à-dire, dans toutes celles dont nous avons vu la description, la réaction de l’air de haut en bas étant dès-lors égale à sa réaction de bas en haut, l’effet des ailes est nul, et le tout doit encore prendre son essor vers le centre des graves, en vertu de sa pesanteur spécifique ; ces ailes, lorsqu’elles sont très volumineuses et parfaitement déployées, ne pouvant tout au plus que ralentir la chute.

La première condition d’une machine volante est donc que le mouvement des ailes de haut en bas soit non-seulement plus fort, mais même beaucoup plus fort que celui de bas en haut, puisqu’elle ne peut s’élever, ni même se soutenir, qu’en vertu de la différence de ces deux mouvemens, et de l’excès du premier sur le dernier.

Si ce principe est vrai, la nature doit l’avoir gravé dans la structure même d’un oiseau[59]. Or, cette condition que nous exigeons, se trouve en effet dans la structure de l’oiseau. Découpez une volaille, qu’y verrez-vous ? Que la partie la plus charnue des ailes est du côté du ventre, et par conséquent que les muscles abaisseurs de chaque aile sont beaucoup plus forts que ses muscles élévateurs : ce qui donne beaucoup plus de force à leur mouvement de haut en bas, et à la réaction de l’air de bas en haut, qu’au mouvement et à la réaction contraires.

Ce principe paroîtroit peut-être encore plus évident, si, comparaison faite entre un grand nombre d’oiseaux de différentes espèces, on trouvoit que l’avantage des muscles abaisseurs sur les muscles élévateurs est beaucoup plus grand dans les oiseaux dont le vol est très élevé et de très longue durée, tels que l’aigle, la grue, l’outarde, l’émouchet, etc. que dans ceux dont le vol est fort court et fort pesant, comme les oiseaux de basse-cour.

Mais, quand les faits de ces deux espèces ne seroient pas tels que nous les supposons, notre principe n’en seroit point ébranlé, car il se pourroit encore que les muscles élévateurs des ailes étant égaux aux muscles abaisseurs, même dans les oiseaux de la première classe, ces oiseaux, guidés par le seul instinct du besoin et par l’expérience, donnassent beaucoup plus de force au mouvement de ces ailes de haut en bas, qu’à celui de bas en haut ; et notre but, en offrant ces exemples, étoit moins de démontrer à la raison cette vérité, dont le simple énoncé donne la démonstration, que de la montrer à l’imagination pour la fixer sur notre sujet.

Reste donc à trouver des moyens pour rendre le mouvement des ailes de haut en bas plus fort et sur-tout plus vif que le mouvement contraire. Or, ces moyens sont faciles à découvrir : en voici plusieurs.

1°. Les ailes une fois mises en mouvement (et ce mouvement doit être alternatif), placez au-dessus de chacune deux ou trois ressorts un peu souples, qui, en se débandant, tendent à se mouvoir de haut en bas. Ces ressorts rempliroient doublement notre objet ; en effet, plus les ailes, dans leur mouvement de bas en haut, s’éleveront, plus les ressorts résisteront à ce mouvement ; plus par conséquent, en affoiblissant ce mouvement et la réaction de haut en bas, qui en est l’effet, ils donneront d’avantage et au mouvement de haut en bas, et à la réaction de bas en haut, qui tend à élever la machine. De même, plus les ailes, dans leur mouvement de haut en bas, s’abaisseront, plus aussi le mouvement des ressorts qui tend à les abaisser encore davantage, sera accéléré, et plus ils donneront de vitesse aux ailes de haut en bas. Or, plus ils augmenteront cette vitesse, plus ils donneront d’avantage au mouvement de haut en bas, et à la réaction de bas en haut, sur le mouvement et la réaction contraires.

2°. On pourroit briser les deux plans tenant lieu d’ailes, soit à l’aide d’une charnière, soit par tout autre moyen équivalent, de manière cependant qu’ils ne pussent se plier que d’une certaine quantité. Lorsqu’ils agiroient de bas en haut, la réaction de l’air de haut en bas, les faisant alors plier dans le même sens, et diminuant ainsi la surface qu’ils présenteroient à ce fluide, diminueroit proportionnellement la réaction de haut en bas, et donneroit un avantage proportionnel à la réaction en sens contraire, qui est toujours notre but.

Mais ce n’est pas tout, on peut encore nous demander quelques indications relatives aux cinq buts suivans que nous plaçons en dernier lieu, comme étant plus faciles à atteindre.

1°. Donner aux ailes un mouvement de vibration, ou alternatif.

2°. Leur imprimer une vitesse suffisante.

3°. Donner à la machine un mouvement progressif.

4°. La diriger à volonté.

5°. Régler et le mouvement qui l’élève, et celui qui la porte en avant.

Premier but. Soit une boite de bois ou de métal : pratiquez deux petites ouvertures à deux de ses côtés verticaux, opposés et parallèles : dans ces deux ouvertures, fixez deux pivots, et sur ces pivots fixez deux verges ou leviers à bras très inégaux, et dont le bras le plus court soit en dedans de la boite ; fixez les deux ailes sur ces deux leviers. Cela posé, établissez dans l’intérieur de la boite, entre les bras les plus courts des deux leviers, deux barillets, l’un à droite, l’autre à gauche renfermant chacun un ou plusieurs ressorts qui le fassent tourner en sens contraire de l’autre, et ayant aussi chacun deux pivots qui roulent dans deux trous pratiqués à autant de petits piliers ou de petites potences. Que chacun de ces deux barillets ait à l’une de ses bases une roue dont les dents fort écartées les unes des autres puissent frapper successivement sur la partie intérieure et la plus courte de chacun des deux leviers qui portent les ailes. À la base opposée de chaque barillet, fixez une roue à rochet, répondant à un cliquet établi sur la boite, pour arrêter ou laisser aller à volonté le mouvement de chaque barillet et de sa roue, etc.

Ou bien, ne mettez au milieu de la boite, entre les deux leviers, qu’un seul barillet placé transversalement par rapport à cette boite, le mouvement de son ressort et le sien se faisant par conséquent dans un plan vertical situé longitudinalement, et portant à chacune de ses bases une roue de champ, mais dont les dents placées très obliquement à son plan, puissent frapper perpendiculairement ou peu obliquement sur la partie intérieure et la plus courte de chaque levier.

2°. Il n’est pas difficile de faire un ressort qui se détende avec une force capable de soulever un poids cent fois plus grand que le poids total de la machine ; excès de force qui peut être ménagé de manière que la machine puisse aller pendant un certain temps. D’ailleurs, on pourroit assembler dans l’intérieur de la boite un certain nombre de ressorts, et les placer de manière que le ressort A sur sa fin, en levant un cliquet, permit au ressort B d’agir ; lequel, sur sa fin, en levant un autre cliquet, permettroit à un troisième ressort C d’agir ; et ainsi de suite à l’infini ; le poids que chaque ressort ajouteroit à la machine, n’étant presque rien par rapport à sa force. Si l’on exécutoit cette machine assez en grand, pour pouvoir y placer un homme, on aggrandiroit ou l’on multiplieroit les ressorts à proportion du poids, en doublant toutefois le nombre des ressorts nécessaires, afin qu’il pût en remonter une moitié, tandis que l’autre agiroit. Enfin, on pourroit employer, pour mettre les ailes en mouvement, la force expansive du feu, comme on l’a fait pour mouvoir les rames ou les vannes des bateaux automates. Nous avons plusieurs espèces de substances inflammables et très légères, qui fournissent une grande quantité de vapeurs, expansiles et élastiques, dont les forces réunies équivaudroient à celles de mille ressorts proprement dits.

3°. Il suffiroit, pour donner à la machine un mouvement progressif, d’y joindre deux petites ailes placées verticalement avec les mêmes conditions d’ailleurs que les précédentes ; et qui seroient mises en mouvement par deux petites roues, menées elles-mêmes par les deux grandes, à l’aide de deux petits pignons, ou de deux petites lanternes.

4°. On placeroit à l’arrière un petit gouvernail, pour diriger la machine ; et sa sensibilité à l’action de ce gouvernail croîtroit en raison des quarrés des vitesses du mouvement progressif.

5°. Pour régler le mouvement des ailes, on emploiera une roue de rencontre, un échappement très commun, surmonté d’un balancier et d’un petit ressort spiral, comme dans les montres et les pendules à ressort ; ou encore une simple vis sans fin, surmontée d’un volant ; ou enfin toute autre espèce d’échappement et de régulateur.

Voilà toutes les indications qu’un lecteur judicieux peut demander à un traducteur occupé à lutter contre une multitude immense de difficultés, et qui, rappelé sans cesse à une entreprise de longue haleine, ne peut que tracer ses idées en courant ; il seroit injuste d’exiger de nous un devis plus exact et plus détaillé. Au reste, dans ces deux exposés, nous sommes beaucoup moins méchaniciens ou météorologistes, que simples logiciens, appliquant la méthode de Bacon à deux exemples intéressans, pour fixer l’attention de cette jeunesse à laquelle nous parlons ; lui offrant un modèle de la manière de diriger son esprit dans l’invention même, et voulant sur-tout la préparer à la lecture de la dixième Centurie, et des deux ouvrages suivans, où l’auteur a suivi une marche très semblable à la nôtre.

  1. Le texte original dit : par une sorte de choix, ces corps embrassent ce qui leur plaît, et excluent ou chassent ce qui leur déplaît : je n’ai pas cru devoir traduire littéralement de telles expressions.
  2. La divination naturelle n’est que l’art de prédire les événemens d’après l’inspection de leurs signes naturels. Le nom qu’il donne à cette science, fait allusion à l’art mystique et mensonger des augures, des aruspices et autres jongleurs de l’antiquité, qui se sont perpétués, mais sous d’autres formes.
  3. Les expressions du texte original, dans tout ce préambule, étant un peu vagues, même après les additions et les changemens que nous y avons faits, le lecteur nous saura peut-être gré de lui donner ici en note un petit extrait que nous avions fait pour notre propre usage.

    Les prédictions peuvent avoir pour base quatre espèces de signes.

    1°. Toute cause qui produit constamment l’effet qu’on lui attribue, en est, par cela même, le signe et l’annonce.

    2°. S’il est vrai que toute cause annonce son effet, comme les phénomènes qui accompagnent constamment cette cause, l’annoncent elle-même, il est clair qu’ils annoncent également son effet ; mais la première indication est immédiate, et celle-ci n’est que médiate ; ce n’est qu’une annonce d’annonce.

    3º. Si la nature m’ayant doué d’une sensibilité plus fine et plus prompte que celle de la plupart des autres hommes, m’a mis en état de percevoir les premiers et les plus foibles degrés d’un phénomène commençant et croissant, mais encore insensibles pour eux, elle m’a mis, par cela même, en état de prévoir plutôt qu’eux ses degrés plus sensibles et plus marqués, qu’ils ne percevront peut-être qu’au moment même où ils auront lieu ; et je suis, en quelque manière, leur vedette née. Or, ce que je dis de moi, il faut le dire des enfans, des femmes, des eunuques, etc. de tels instrumens, de tels corps, solides ou fluides, qui sont affectés par ces nuances imperceptibles pour vos sens.

    4°. Par la même raison, les phénomènes sensibles qui accompagnent constamment les degrés insensibles d’un phénomène commençant, annoncent et ces foibles degrés, et les degrés plus sensibles qui doivent leur succéder.

  4. Il s’agit ici, et dans toute la collection (comme nous l’avons déja observé), du thermomètre de Drebbel, où une masse d’air renfermée dans la boule qui termine un tube renversé, et dont l’extrémité inférieure est plongée dans de l’eau colorée, fait baisser cette eau, en se dilatant, lorsque la chaleur augmente ; et la fait monter, en se contractant, lorsque la chaleur diminue : genre d’instrument qui n’indique que d’une manière très équivoque, les variations de l’air, par rapport à sa température, parce qu’il est en mème temps affecté par les variations de ce fluide, relativement à sa pesanteur. Car la masse d’air renfermée dans la boule, tendant toujours à se mettre en équilibre avec l’air extérieur, elle se contracte et fait monter la liqueur, lorsque la pesanteur de l’air extérieur augmente ; et au contraire, la fait baisser, en se dilatant, lorsque cette pesanteur diminue ; en sorte que, si la quantité dont la diminution de la pesanteur de l’air extérieur tend à faire baisser la liqueur, et la quantité dont la diminution de la chaleur tend à la faire monter, sont parfaitement égales, la liqueur n’aura aucun mouvement, et n’indiquera pas une diminution de chaleur qui aura eu lieu réellement ; que, si la première quantité est plus grande que la seconde, la liqueur baissant, quoiqu’elle doive monter à raison de la diminution de la chaleur, cette chaleur qui aura réellement diminué, paroitra avoir augmenté, et vice versa, deux fois. Cependant, comme il ne s’agit pas ici de quantités précises, mais seulement des variations de l’air en général, par rapport à sa température et beaucoup plus des variations observées dans un même temps et dans deux lieux différons, que des variations observées dans un même lieu et dans deux temps différons (sans compter que cette équivoque dont nous avons parlé est commune aux deux lieux à comparer), cet instrument, tout grossier qu’il est, peut, jusqu’à un certain point, remplir son objet.
  5. J’ai été obligé de réformer totalement le texte de ce passage. Il ne considéroit ici que les différences d’un lieu a un autre lieu, par rapport à la température au lieu qu’il s’agissoit de considérer les différences d’un lieu à un autre lieu, par rapport aux variations de la température d’un temps à un autre temps. Or, pour remplir ce dernier objet, il faut faire deux genres de comparaisons. 1°. Comparer, dans chacun des deux lieux, le degré où se trouve la liqueur du thermomètre, au moment de chaque départ, au degré où elle s’est fixée au moment de chaque retour. Puis, ces deux variations une fois déterminées, comparer la variation d’un lieu à la variation de l’autre lieu. Et alors celui des deux lieux où l’on aura trouvé le plus de différence, par rapport à l’élévation ou à l’abaissement de la liqueur dans le thermomètre, entre les momens de départ et ceux de retour, sera celui où les variations de l’air, par rapport à sa température, seront le plus grandes, et par conséquent le plus mal sain ; ce qui suppose que les deux instrumens seront comparables, c’est-à-dire parfaitement semblables.
  6. Voyez le tableau raisonné de pronostics à la fin de cette Centurie.
  7. Dont nous publierons la traduction après celle de l’histoire de la vie et de la mort.
  8. Dans ce n°. et le précédent, notre auteur emploie ce mot perçoivent, qui se rapporte au principal objet de l’article ; j’ai cru devoir le changer.
  9. Voici, je pense, quelle peut être la règle sur ce point : lorsqu’une sensation désagréable et même un peu douloureuse, l’est seulement assez pour éveiller notre sensibilité, en rompant l’excessive uniformité des sensations agréables et de trop longue durée, qui l’ont précédée ; et pour nous rendre plus capables de goûter celles de ce dernier genre, en les faisant valoir par l’opposition ; mais pas assez pour laisser des traces durables, et occuper long-temps d’elle-même, d’elle seule, alors elle contribue à n08 plaisirs et à notre bonheur, La douleur est l’épine ; et le plaisir, le fruit, cette épine aiguisant le plaisir qui la suit. Le plaisir est enfant du désir satisfait ; point de désir vif sans privation ; et toute privation de plaisir est une douleur commencée. Ainsi, pour jouir, il faut souffrir.
  10. Ce sujet un peu rebutant pour des femmelettes, ne rebute point le vrai plilosophe qui en sent toute l’utilité ; il sait qu’il est lui-même le produit d’une substance excrémentitielle, et nourri par des substances dont la plupart se sont nourries, en partie, d’autres excrémens, et quelques-unes même, des siens. La nature ne nous prête ses matériaux que pour un instant ; elle les reprend presque aussi-tôt, pour en former, ou en nourrir d’autres êtres, qu’elle détruira ou diminuera aussi, pour en former ou en nourrir d’autres encore, et ainsi de suite à l’infini ; en ne laissant jamais de vuide dans son vivant atelier, dont tous les rebuts redeviennent matériaux, et en parcourant un cercle éternel que la pensée humaine n’embrassa et n’embrassera jamais.
  11. Rien de plus commode pour expliquer, en apparence, des effets dont on ignore réellement la cause, que de supposer dans l’intérieur des corps, certains fluides très subtils, invisibles, impalpables, à l’abri de toute critique, et dont on ne peut dire ni bien ni mal, parce qu’on ne sait ce que c’est ; car, dès qu’on dit des choses claires, on est forcé de dire des choses vraies ; et l’on ne peut déraisonner impunément qu’à la faveur de l’obscurité des expressions. Mais telle est la marche de tous les systématiques ; au lieu d’avouer ingénument une ignorance d’autant plus excusable, qu’il semble très permis d’ignorer ce que personne ne sait, ils donnent des noms à ces causes inconnues à eux comme à nous ; et comme ce n’est ordinairement qu’après avoir connu et distingué chaque chose, qu’on lui impose un nom, cette nomenclature qu’ils ont créée les trompant eux-mêmes, après avoir donné des noms à ces causes qu’ils ignorent, ils croient les connoître. Chaque systématique choisit les dénominations les plus familières dans la science qu’il professe, et de ces nomenclatures diverses résultent une infinité de systèmes qu’un croit fort différens, mais qui ne sont au fond que le même, diversifié par les mots et les formes ; système qui consiste à vouloir absolument parler de ce qu’on ne sait pas, perdre à dire qu’on le sait, le temps qu’il faudroit employer à l’apprendre ; enfin, remplacer par des mots les idées que l’on n’a point. Cependant, afin de mettre un peu plus d’uniformité dans ces nomenclatures et dans les prétendus systémes qu’elles enfantent, il faudroit choisir, pour désigner les causes ignorées, une dénomination facile à traduire dans la langue de chaque nation et de chaque individu, par exemple, les appeler des je ne sais quoi ; dénomination qui auroit du moins l’avantage d’apprendre aux ignorans que ces causes sont inconnues aux savans mêmes, et qu’il faut les chercher, au lieu de se reposer sur les mots qui les représentent.
  12. La plupart des corps sont décomposés par les causes contraires à celles qui les ont composés.
  13. Cet énoncé renferme une contradiction, du moins apparente, à moins qu’il ne veuille parler de la contraction ou de la dilatation qui peut avoir lieu dans l’intérieur d’un corps, ses parties les plus extérieures n’étant point déplacées, et ses limites restant les mêmes.
  14. Il en est sans doute beaucoup d'autres ; car il a, entr'autres omissions, oublié de parler des figures de ces parties tangibles.
  15. Ce qui, toute expression mystérieuse ôtée, signifie tout simplement, par la communication des qualités d’un corps à un autre corps. C’est un principe reçu depuis long-temps en chymie, et appuyé sur une continuelle expérience : que, dans tout corps mixte et composé de substances de différentes espèces qui ne sont pas de nature à se neutraliser réciproquement, le tout participe des qualités particulières des substances composantes. Or, le plomb, dont le mercure se trouve environné dans cette expérience, a la propriété de redevenir solide en se refroidissant. Ainsi, pour peu qu’il y ait de communication entre ces deux métaux, et que le linge où l’on a enveloppé le mercure, soit brûlé par le plomb, qui est encore très chaud, ou que la vapeur du plomb pénètre à travers ce linge, il se pourroit que ce dernier métal, en se combinant un peu avec le preunier, lui communiquât, du moins en partie, cette propriété. Et alors le résultat de cette expérience, à proprement parler, ne seroit pas la fixation du mercure par le plomb, mais une simple communication de la fixité du plomb au mercure, et un simple alliage de ces deux métaux ; alliage et communication, dont l’effet seroit de rendre le mercure plus solide qu’il ne l’est ordinairement à ce degré de chaleur, mais beaucoup moins que le plomb ne l’est à ce même degré. Actuellement ce linge dont le mercure est enveloppé, se brûle-t-il ? ou la vapeur du plomb pénètre-t-elle à travers ? ces deux métaux sont-ils susceptibles de se combiner, même l’un des deux, ou tous les deux étant dans l’état de vapeur ? Ce n’est pas à nous qu’il faut faire ces questions, mais à l’expérience, qui peut seule y faire des réponses satisfaisantes.
  16. L’expression de l’auteur, dans l’original anglois, est tellement équivoque, qu’on ne peut
  17. Voyez Xénophon, retraite des dix mille.
  18. Jusqu’il ce qu’un œuf pût y surnager.
  19. Sorte de poisson salé et séché, semblable à la merluche, dont les marins hollandois font une partie de leur chétive nourriture ; ils la battent sur la culasse d’un canon.
  20. Les requins, les brochets, les araignées, etc. ne sont pas de ce sentiment.
  21. Sans doute si la salamandre a la faculté d’éteindre le feu, elle est douée d’une faculté extinctive, comme notre auteur auroit une faculté explicative, s’il nous montroit bien nettement la raison de celle-là.
  22. Il nous semble que, pour vérifier ce fait, il auroit fallu verser une seconde fois le vin dans les bouteilles ; et alors, si elles n’eussent pas été pleines, on auroit pu en conclure que, si, dans le premier cas, le grand vaisseau n’étoit pas plein, c’étoit parce qu’une partie de la liqueur étoit restée attachée aux parois des bouteilles. Mais, si les bouteilles eussent encore été pleines, alors enfin on auroit fait les frais d’une explication, triviale ou mystérieuse ; car il nous semble beaucoup plus nécessaire de vérifier les faits, que de les expliquer.
  23. Il se peut, comme nous l’avons souvent observé dans les ouvrages précédens, que le froid et la chaleur ne soient pas des qualités inhérentes à une certaine espèce de matière, mais à une certaine espèce de mouvement dont toute espèce de matière soit susceptible ; et dès-lors l’un et l’autre pourroient se communiquer, sans communication de substances, comme une bille qui en choque une autre, lui communique son mouvement, sans lui communiquer autre chose que ce mouvement même. Mais une telle assertion n’est rien moins qu’un principe incontestable. Ce n’est tout au plus qu’une hypothèse établie sur des conjectures fondées sur d’autres conjectures.
  24. Il y a des liqueurs dont la pesanteur spécifique excède beaucoup plus celle de l’eau, que la pesanteur spécifique de l’eau n’excède celle de l’huile, et qui ne laissent pas de se mêler très exactement avec le premier de ces deux liquides. Il paroit donc que si l’huile et l’eau ne se mêlent ensemble que très imparfaitement, cela dépend beaucoup moins de la différence de leurs pesanteurs spécifiques, que du peu d’affinité que ces deux liquides ont l’un avec l’autre.
  25. S’il est vrai que la lune attire le globe terrestre, comme Newton semble l’avoir démontré, elle doit tendre à détacher de la surface de notre planète et a tenir suspendues à une certaine hauteur au-dessus de sa surface, les substances qui y sont le moins adhérentes, sur-tout les fluides et les liquides, tels que l’air et l’eau. Elle doit donc produire dans l’atmosphère une sorte de marée, comme dans l’océan, et accumuler l’humidité, ou, si l’on veut, l’humor aqueux, dans la partie de l’atmosphère située au-dessus du point de notre globe, auquel elle répond verticalement. Ainsi, lorsque les marins prétendent que la lune mange les nuages, ils ne disent rien qui ne soit conforme à l’expérience et au raisonnement. Car, si la lune accumule l’humor aqueux dans les points auxquels elle répond, elle doit en priver, en partie, ceux auxquels elle ne répond pas, et y manger, pour ainsi dire, les nuages aqueux.
  26. Ce n’est pas parce que les étoiles et la lune paroissent, qu’il fait très froid dans les belles nuits d’hiver : mais c’est au contraire parce qu’il fait alors très froid, que ces astres paroissent ; car ordinairement, lorsqu’il fait très froid, le temps est beau ; et lorsque le temps est beau, ces astres paroissent. Mais on pourroit peut-être expliquer le fait en question par ce principe un peu délié. La lumière de ces astres, dirois-je, éveille notre sensibilité, et augmente en nous la faculté de sentir. Ainsi, elle doit nous rendre plus sensibles au froid, au chaud, etc. à tout, et renforcer toutes nos sensations actuelles.
  27. Nous avons réfuté cette opinion, par des observations directes, dans plusieurs notes des ouvrages précédens.
  28. Il veut dire sans doute que, dans un temps nébuleux, les nuages d’un côté, et la surface du globe de l’autre, emboîtent, pour ainsi dire, et l’air, et tous les corps placés près de cette surface.
  29. À la texture de leur nerf optique, à la nature des esprits vitaux qui y coulent, au pouvoir réfractif des humeurs de leurs yeux, et en général au degré d’irritabilité des fibrilles de la partie qui est l’organe immédiat de la vision.
  30. On voit alors plus distinctement, parce que, regardant moins d’objets, on voit mieux chaque objet. D’un autre côté, la vision est moins claire, en même temps qu’elle est plus distincte ; parce que le sensorium est affecté par une moindre quantité de lumière.
  31. À quoi l’on peut ajouter qu’elles voient plus en détail les grands objets, et plus distinctement les petits ; car, pouvant voir distinctement les objets fort proches, et voyant, par cela même, sous de plus grands angles optiques, tous ceux qu’elles distinguent, elles sont en état de voir distinctement les objets très petits et les plus petites parties des grands objets.
  32. L’effet de la pinule est d’isoler l’objet ou la partie d’objet qu’on regarde ; ce qui met en état de voir l’un ou l’autre, non plus clairement, mais plus distinctement.
  33. Toutes les explications de cet article sont pitoyables, comme toute l’optique de ce temps-là, ou Descartes et Newton n’avoient pas encore paru. Il veut dire que les humeurs, dans l’œil d’un vieillard, étant moins réfringentes que dans celui d’un jeune homme, les rayons de lumière qui viennent d’un objet fort proche, ne sont pas assez convergens, lorsqu’ils ont traversé les trois humeurs de l’œil, pour ne former qu’un point, au moment où ils tombent sur la rétine (ou sur la choroïde) ; condition absolument nécessaire pour la vision distincte ; qu’en conséquence, pour faire tomber juste sur cette partie de l’œil, qui est le siège propre et immédiat de la vision, les sommets des cônes ou des pyramides formées par les rayons de lumière venant de tous les points d’un objet, éclairé ou lumineux par lui-même, il faut éloigner davantage de l’œil cet objet, ou en éloigner l’œil même. Par ce moyen, les rayons ayant moins de divergence, au moment où ils entrent dans l’œil, peuvent être réfractés suffisamment par les trois humeurs, devenir assez convergens, et se réunir précisément sur la partie sensible de l’œil.
  34. Chaque ligne de cet article exigeroit un commentaire d’une page ; pour ne pas grossir excessivement ce volume, je prends le parti de renvoyer le lecteur aux livres d’optique, où tous ces faits se trouvent expliqués d’une manière très satisfaisante.
  35. Mais cette lumière trop forte qui blesse la vue, qui peut même rendre aveugle, et dont nous parlions plus haut, est pourtant un objet réel et positif. Cependant il peut dire que, si elle blesse l’organe, ce n’est pas par sa qualité, mais par sa quantité ; car c’est de la qualité, de l’espèce qu’il s’agit ici.
  36. Parce qu’on voit à travers, ce mélange d’étain et de mercure qui sert pour la mettre au tain, et qui est blanc.
  37. Il désigne sous ce non les testacées et les crustacées.
  38. Cette assertion est contraire à l’opinion commune ; car on croit communément que l’œil gauche a plus de force que l’œil droit. Mais je soupçonne que l’opinion commune sur ce point, n’est pas mieux fondée que celle de Bacon, et qu’il y a ici une équivoque. Cette apparente inégalité de force ne viendroit-elle pas de ce que la distance requise pour la vision claire et distincte, n’est pas précisément la même pour les deux yeux ; et de ce que la distance que nous mettons ordinairement entre les objets et nos yeux, quand nous les tenons tous deux ouverts, diffère beaucoup de celle qui conviendroit à celui que nous jugeons le plus foible ? Par exemple, ayant ouvert un livre tel que celui-ci, tenez l’œil droit ouvert en fermant l’œil gauche, et cherchez le point ou vous pourrez lire aisément et distinctement ; si ensuite vous ouvrez l’œil gauche, en tenant l’œil droit fermé, les caractères vous paroitront confus. Mais faites aussi l’expérience inverse, c’est-à-dire, tenant l’œil gauche ouvert, et l’œil droit fermé, cherchez le point de la vision distincte pour cet œil gauche. Si ensuite vous le fermez, en tenant ouvert l’œil droit, ces caractères vous paroitront encore confus, comme ils vous le paroissoient lorsque vous les regardiez avec l’œil gauche, et du point qui convenoit à l’œil droit. Or, on ne pourroit conclure de cette double expérience où toutes les conditions sont égales pour les deux yeux, que l’un a plus de force que l’autre, mais seulement que le point de la vision distincte n’est pas le même pour tous les deux. Cependant voici un principe à l’aide duquel on pourroit, sinon résoudre complètement la question, du moins approcher de la solution. Selon toute apparence, la nature nous porte à faire plus d’usage de l’œil le plus fort, que de l’œil le plus foible ; et la distance que nous mettons ordinairement entre les objets les plus familiers et nos yeux, lorsque nous les regardons avec les deux en même temps, doit différer moins de celle qui convient à l’œil le plus fort, que de celle qui convient de l’œil le plus foible. Ainsi, selon toute apparence, le plus fort de nos deux yeux, c’est celui dont la distance à l’objet, dans le cas de la vision distincte avec cet œil seul, diffère le moins de celle que nous mettons ordinairement entre l’objet et la ligne des yeux, lorsque nous les tenons tous deux ouverts. Quelques auteurs qui ont écrit sur l’optique, ont avancé que nous ne faisons ordinairement usage que d’un seul œil ; savoir : du plus fort, quoique nous tenions les deux ouverts ; ce qui est faux. Car, quel que soit l’œil qu’on tient ouvert, en tenant l’autre fermé, on ne voit jamais aussi bien Avec cet œil seul, qu’avec les deux.
  39. Les marins disent ordinairement qu’à l’entrée de la Manche, et près du cap de Bonne-Espérance ou du cap Horn, la lame est longue, et qu’elle est courte dans la méditerranée.
  40. Que notre langue est pauvre ! Nous n’avons pas même d’expression générique pour désigner collectivement, par un seul mot, tous les instrumens et toutes les matières qui servent à filtrer. Le plus usité est celui de chausse : il auroit donc fallu dire : à peu près comme on change de chausse ; ce qui n’auroit pas tout-à-fait rempli notre objet ; j’ai été obligé de préférer celui de philtre, qui me fait retomber dans une équivoque, mais un peu moins ridicule.
  41. Cette expérience semble contraire à toutes les notions chymiques, et même à celles du sens commun. Car c’est une opinion reçue en chymie, opinion bien naturelle ; que, plus un dissolvant liquide est chargé et saturé d’une substance, moins il en peut dissoudre une nouvelle quantité ; par la même raison qu’après avoir beaucoup mangé, on a moins d’appétit. Cependant il se pourroit qu’à notre insu, la mème liqueur qui, ayant déja dissous une grande quantité de cette substance, ne peut plus en dissoudre qu’une très petite quantité, fût néanmoins en état de la dissoudre plus vite, que ne le pourroit une même quantité du même liquide qui ne seroit pas encore chargée de cette substance. Le résultat contraire est sans doute beaucoup plus probable ; mais, s’il est probable, reste donc à le prouver. Car une seule expérience vaut mieux que cent probabilités ; et il faut presque toujours préférer les probabilités qui excitent à faire des expériences, à celles qui empêchent d’en faire.
  42. En sorte que la terre, semblable à un malade qui, après avoir sué, est fort sensible au froid, devient plus frileuse, après ces grandes sueurs que lui occasionnent les chaleurs de l’été. Tout ce raisonnement est peu digne de notre auteur, sans compter qu’il est en contradiction manifeste avec l’hypothèse par laquelle il regarde comme la principale cause du froid ce qu’il appelle l’expération de la terre. Voici quelque chose de plus vraisemblable. La température des caves étant toujours à peu près la même ; tandis que celle de l’air extérieur devient beaucoup plus chaude en été et beaucoup plus froide en hiver, celle des caves doit donc nous paroître froide en été et chauve en hiver, quoiqu’elle n’ait pas changé. Car nos sensations de chaud ou de froid ne dépendent pas de la température absolue des corps que nous touchons et qui nous touchent, mais du rapport de cette température à celle de notre peau.
  43. Ce fut, selon quelques autres historiens, de ce même rocher que se précipita la célèbre Sapho, pour se punir elle-même d’avoir voulu, dans sa vieillesse, inspirer de l’amour à un jeune homme ; et sur-tout d’avoir espéré d’y réussir en faisant des vers.
  44. Voyez la seconde addition à la fin de cette Centurie ; nous y posons un principe qui doit diriger la construction de toutes les machines de ce genre.
  45. Comme l’imagination influe beaucoup sur la génération, il ne seroit peut-être pas impossible de nouer réellement l’aiguillette à un jeune époux, en lui faisant accroire qu’on la lui a nouée. En ce genre, comme en tout autre, notre puissance dépend beaucoup de l’idée que nous en avons ; et l’on perd en effet celle qu’on croit avoir perdue.
  46. Il n’est pas vrai que la matière enflammée n’occupe plus aucune partie de l’espace, après son extinction ; mais seulement qu’elle occupe un moindre espace, à moins qu’on ne la suppose totalement anéantie ; supposition qui seroit absurde.
  47. Il le seroit encore plus de ne faire jamais usage de purgations ni de saignées proprement dites ; mais de se saigner et purger d’avance plus doucement, en retranchant de temps en temps une partie de ses alimens, et en sautant quelquefois un repas, comme nous le faisons nous-mêmes avec succès depuis tant d’années. La diète est le vrai préservatif contre la plénitude ; et le vrai remède à la plénitude est encore la diète. Or, pour faire à propos usage de ce remède universel, ce n’est pas le calendrier qu’il faut lire, mais son estomac. Quand on n’a pas faim, la lune est pleine, et alors il faut jeûner ; mais, comme nous sommes gourmands, il nous faut des médecins.
  48. C’est le principe même de Toaldo : il prétend que le concours de plusieurs points lunaires occasionne dans l’atmosphère, non une telle espèce de changement, mais un changement, une perturbation quelconque, et que l’effet de l’action de cet astre est moins de produire tel effet, que de renforcer l’effet déjà produit par d’autres causes plus voisines et plus puissantes.
  49. Voici quelle pourroit être la manière de tirer des conclusions, des observations de ce genre. Prenez celles d’un siècle entier. Divisez ce siècle en dix périodes, de dix ans chacune. Cela posé, si, dans chacune de ces périodes, ou dans presque toutes, les tremblemens de terre, et les orages qui ont eu lieu vers le temps de la pleine lune, sont en beaucoup plus grand nombre que ceux qui ont eu lieu à toute autre époque du cours de cet astre par exemple, si les premiers sont aux derniers dans le rapport de 3 à 1, de 2 à 1, et même de 3 à 2, on en pourra conclure avec certitude que la pleine lune, ou les effets plus voisins de nous, qui en sont les conséquences, influent sur ces orages et sur ces tremblemens de terre. Car, si l’on tiroit une telle conclusion des observations d’un siècle entier, prises en masse, elle seroit beaucoup moins certaine.
  50. Nous avons observé ailleurs que le premier mâle et la première femelle de chacune des espèces qui aujourd’hui engendrent par la voie de l’accouplement, ont dû être engendrés eux-mêmes par une autre voie ; proposition qui n’a pas besoin de démonstration, et dont le simple énoncé contient la preuve.
  51. Je suis obligé de risquer ce mot employé par quelques physiciens ; ne pouvant faire usage des suivans, récipient, vaisseau, vase, sac, bourse, poche, etc. il nous faut un mot qui n’ait point une signification trop particulière, et qui désigne, en général, un corps creux et clos ; or ce mot nous manque ; s’il étoit inutile, nous l’aurions.
  52. La plupart des insectes ailés qui ont été dans l’état de ver, ou de chenille, s’accouplent et pondent sous nos yeux.
  53. De qui le savons-nous ? de Moyse. Et de qui Moyse le tenoit-il ? De celui qui sait tout, et sur lequel nous ne savons rien, sinon qu’il existe.
  54. C’est ici le point où le physicien, après avoir parcouru toute l’échelle des causes, est enfin obligé de s’élever jusqu’à la cause de toutes ces causes, jusqu’à Dieu, dis-je, de devenir théologien, et de rester là. Car les prêtres, et les poëtes leurs prédécesseurs, ne sont originairement que des philosophes qui, au bout de toutes leurs explications, sont restés courts, ont imaginé cette grande cheville pour boucher le trou qu’ils ne pouvoient remplir par des causes physiques, et ont appelé à leur secours les causes finales, c’est-à-dire, des mots, pour ne pas être trop visiblement à quia. Si le premier mâle et la première femelle de chacune des espèces qui se perpétuent aujourd’hui par voie d’accouplement, n’ont pu être engendrés par cette voie, il est clair qu’ils l’ont été par voie de concrétion, ou par un acte formel de la volonté divine ; il est impossible de sortir de ce dilemme. Le seul parmi les anciens qui ait bien senti et nettement conçu la nécessité de l’existence d’un Dieu, est le grand Anaxagore, surnommé l’esprit, le maître de nos maîtres, en morale. Nous verrons dans le commentaire sur la partie morale de cette collection comment il fut conduit à cette vérité.
  55. Les deux points opposés d’une même période devant produire des effets semblables, et presque égaux, sur les marées de l’océan aérien, comme sur celles de l’autre océan.
  56. Il n’est peut être pas un seul de nos lecteurs adultes qui, en considérant telle de ses années, ne se soit dit quelquefois, comme nous : voilà une année que j’ai déjà vue, je la reconnois. Il ne s’agit ici que de déterminer ces vagues aperçus, et d’assurer, par un peu de méthode, la marche de leur propre génie. La vie de l’homme, ses digestions, et toutes leurs conséquences physiques étant assujetties à des périodes déterminées et connues, les grandes causes qui, par leur concours, produisent tous ces effets, doivent l’être aussi ; car, si la cause n’étoit pas périodique, l’effet ne pourroit l’être. Je soupçonne même que tout, dans le monde physique, est périodique ; mais voici en quoi consiste la difficulté : les grandes périodes sont composées d’une infinité de petites, entrelacées les unes avec les autres, et de manière, par exemple, que telle période simple commençant ou finissant au tiers, à la moitié, aux deux tiers de telle autre période simple, une troisième période simple a son commencement ou sa fin, au quart, aux trois quarts, etc. de la seconde, et ainsi des autres. Il est sans doute très difficile de démêler tous ces élémens ainsi compliqués ; mais ce qui est difficile en ce genre, n’est peut-être pas impossible, et les difficultés déjà vaincues, semblent nous exciter à en attaquer d’autres.
  57. Au lieu de mettre ensemble toutes les indications relatives au même objet, ou toutes celles d’un même auteur, comme l’ordre naturel semble l’exiger, nons mettons ensemble, et au commencement, les plus longues explications, afin d’y renvoyer des numéros suivans, et d’épargner au lecteur beaucoup de répétitions. L’ordre naturel étant indiqué, on sera maître de le rétablir.
  58. Je ne puis l’appliquer à un plus grand nombre d’années, parce que j’ai vécu onze à douze ans hors de France.
  59. Il falloit, dans la construction des machines volantes, prendre pour modèles les oiseaux, comme, dans la construction des premiers bateaux, on avoit pris pour modeles les poissons ; par la raison toute simple que, pour apprendre un métier, il faut considérer et imiter ceux qui l’exercent le mieux.