SYLVA SYLVARUM (trad. Lasalle)/Centurie VIII

Sylva Sylvarum
Centurie VIII
Traduction par Antoine de La Salle.
Œuvres9 (p. 1-167).
CENTURIE VIII.

Observations sur les veines de terre médicinales.

701. ON observe la plus grande diversité parmi les minéraux et les fossiles ; mais les veines de terres médicinales sont assez rares et se réduisent à un petit nombre d'espèces. Les principales sont, la terre de Lemnos, la terre sigillée commune, et le bol d’Arménie ; terres néanmoins parmi lesquelles celle de Lemnos tient le premier rang. On attribue à ces substances différentes propriétés, comme celle de guérir les blessures, d’étancher le sang, d’être curatives pour les rhumes, catarres, fluxions, etc. d’arrêter ou de ralentir le progrès des poisons, des maladies contagieuses, de la putréfaction, etc. de plus elles sont éminemment dessiccatives, et presque sans mélange d’aucune autre qualité. Cependant, de ces trois substances la plus froide par ses effets, est le bol d’Arménie ; et la plus chaude, la terre de Lemnos ; propriété qui, dans les temps fabuleux, avoit fait consacrer à Vulcain l’île d’où on la tire, et dont elle porte le nom.

Observation sur le renflement des éponges.

702. On trouve au fond de certaines mers, sur-tout dans les détroits, quantité d’éponges qui croissent sur les flancs des rochers, et qu’on peut regarder comme une sorte de mousse visqueuse et d’un grand volume : faits qui méritent d’autant plus de fixer l’attention, que, parmi les substances analogues aux plantes, et qui croissent dans la mer, il n’en est point qui soient à une aussi grande profondeur que celles-ci, qu’on trouve quelquefois à plus de quinze brasses au-dessous de la surface de l’eau : tirées de la mer et laissées sur le rivage, elles paroissent d’abord d’un volume prodigieux ; mais, pour peu qu’on les comprime, elles se réduisent presque à rien, et deviennent faciles à transporter.

Observations sur certains poissons de mer mis dans l’eau douce.

703. Il paroît que certains poissons, quoiqu’accoutumés à l’eau salée, ne laissent pas de se plaire aussi dans l’eau douce. De ce genre sont les saumons et les éperlans, qui se plaisent à remonter les rivières, quelque rapide que soit le courant. Dans le port de Constantinople, et assez près du rivage, on voit quantité de poissons venant du Pont-Euxin, qui, en passant de l’eau salée dans l’eau douce, sont comme enivrés, et se retournent le ventre en haut, en sorte qu’on peut les prendre à la main. On auroit peut-être dû essayer plus souvent de mettre des poissons de mer dans l’eau douce ; par exemple, dans des lacs ou des étangs ; genre d’expériences dont les résultats ne seroient pas moins utiles que curieux ; car on pourroit, par ce moyen, se procurer ces poissons tout frais, quoiqu’à une fort grande distance de la mer. Il se pourroit aussi que ces poissons, mis dans l’eau douce, y étant mieux nourris, fussent de meilleur goût et s’y multipliassent. On prétend que les huitres de Colchester, qu’on a soin de mettre dans des trous où l’eau de la mer peut entrer durant le flux, et où l’eau douce peut aussi pénétrer durant le reflux, deviennent, par ce moyen, plus grosses et plus délicates.

Observation relative à l’attraction produite par l’analogie de substance.

704. Les Turcs sont armés d’arcs beaucoup plus forts que les nôtres ; on dit même qu’ils décochent une flèche avec, tant de force, qu’elle perce un écu (un bouclier) d’acier, ou une lame de cuivre de deux pouces (de deux lignes) d’épaisseur ; mais ce qu’on ajoute paroît encore plus étonnant : ces flèches, dit-on, lorsque leur pointe n’est que le bois même aiguisé, percent une planche, aussi de bois, de l’épaisseur de huit pouces (de huit lignes)[1]. Quoi qu’il en soit, il n’est pas douteux qu’autrefois, dans les batailles navales, notre nation faisoit usage de certaines flèches fort courtes, connues alors sous le nom de sprihgts (d’esprits volans), et qui, lancées par une arme à feu, perçoient de part en part le flanc d’un vaisseau qu’un boulet même n’auroit pu traverser. Mais la raison de ce fait assez étonnant tient à un des plus profonds mystères de la nature ; savoir : que la simple analogie de substance peut produire une attraction positive, lorsque le corps dont il s’agit cesse d’obéir au mouvement de la gravité. Car, si l’on pouvoit supprimer tout-à-coup cette force de gravité, l’on verroit le plomb attiré par le plomb ; l’or par l’or ; le fer par le fer, même sans le secours de l’aimant. Mais ce même mouvement de pesanteur et de gravité, qui est inhérent et commun à la matière en général, tue, pour ainsi dire, l’autre, à moins qu’il ne soit lui-même détruit par quelque mouvement violent, comme il l’est dans ces flèches dont nous parlons ; car alors, et dans tous les cas semblables, ce mouvement d’attraction qui a pour cause la seule analogie de substance, commence à se manifester. Mais ce sujet ayant besoin d’être plus approfondi, nous le traiterons plus amplement dans le lieu convenable.

Observation relative à une boisson dont on fait usage en Turquie.

705. En Turquie, et dans quelques autres contrées orientales, on fait usage de certaine confection, à laquelle on donne le nom de sorbet, et qui a quelque analogie avec nos confitures glacées ; en un mot, avec ce que nous appelons des glaces. Elle est composée de sucre et de citron ou de limon ; ou encore, de sucre et de suc de violettes ou d’autres fleurs auxquelles on joint un peu d’ambre, pour les personnes d’un goût plus délicat. De ces substances dissoutes dans l’eau, on compose une boisson qui tient lieu de vin ; cette dernière liqueur étant interdite dans ces contrées par la loi mahométane. Mais, ce qui nous paroît assez étonnant, c’est que les Anglois, les Hollandois ou les Allemands, n’aient pas encore pensé à établir des brasseries à Constantinople, vu la grande quantité d’orge qu’on y recueille. Or, si la plus grande partie du peuple, dans ces pays-là, ne boit que de l’eau, ce peut être par frugalité ; une telle boisson qui ne coûte rien, étant réellement un grand objet d’économie : mais les personnes plus aisées ne craindroient pas le petit surcroît de dépense occasionné par l’usage de la bière. Cependant, cet étonnement cesse, lorsque je considère que, même en France, en Italie et en Espagne, on n’a pas encore généralement adopté ce genre de boisson, qui pourroit cependant procurer à ces peuples une santé plus ferme et une constitution plus robuste. Selon toute apparence, le particulier qui réaliseroit le premier une telle spéculation en Turquie, y feroit une fortune très rapide[2].

Observations relatives aux sueurs.

706. Il semble qu’on devroit suer beaucoup lorsqu’on est dans un bain d’eau chaude ; cependant, les parties qui se trouvent alors plongées, ne suent point. Ce phénomène, assez singulier, peut être attribué à plusieurs causes. En premier lieu, la sueur est une espèce de liquéfaction et d’écoulement, qui ne peut être occasionné, ni par une chaleur trop humide, ni par une chaleur trop sèche ; car, une excessive humidité éteint, en quelque manière, la chaleur, à peu près comme l’eau éteint le feu ; et une chaleur excessivement sèche ferme les pores de la peau. Aussi, lorsqu’on est au soleil ou près du feu, sue-t-on plus aisément en se tenant couvert, qu’en restant tout-à-fait nud : d’ailleurs, l’on provoque plus doucement et plus aisément la sueur dans une personne qui est au lit, à l’aide de bouteilles remplies d’eau chaude, qu’à l’aide de briques chauffées au même degré. En second lieu, l’eau chaude rend la peau plus perméable, et l’humor excrémentitiel de chaque partie plongée dans l’eau, se dissipant ainsi plus aisément par la transpiration insensible, n’a pas le temps de se ramasser en gouttes, de se convertir en sueur manifeste, et de sortir sous cette forme : sans compter qu’une chaleur modérée, et qui croît par degrés, provoque les sueurs plus aisément et en plus grande abondance, que ne le feroit une chaleur d’abord très forte, et qui resteroit au même degré. La raison de cette différence est qu’une chaleur douce, tranquille et graduée, ouvre mieux les pores, qu’une chaleur brusque et violente. Aussi, lorsque les médecins veulent faire suer une personne au lit, à l’aide de bouteilles remplies d’eau chaude, où ils ont mis en décoction des herbes sudorifiques, obtiennent-ils plus sûrement cet effet en graduant la chaleur, qu’en la brusquant d’abord, et en l’entretenant au même degré ; je veux dire, en mettant d’abord dans le lit des bouteilles médiocrement chauffées, et, une demi-heure après, des bouteilles plus chaudes.

707. La sueur a un goût de sel : la cause de cette saveur est que la partie la plus douce des substances alimentaires se convertit en sang et en chair ; la sueur ne provenant que de cette partie excrémentitielle qui n’a pu être assimilée. La saveur du sang crud est aussi un peu plus salée que celle de la chair crue ; parce que cette assimilation, d’où résulte la conversion en chair, ne peut s’opérer sans l’excrétion d’une matière ténue et déliée, qui se sépare d’abord du sang, et qui, en s’y mêlant de nouveau, lui donne cette saveur.

708. Les parties supérieures du corps suent beaucoup plus que ses parties inférieures ; car les premières abondent plus en esprits ; et ce sont ces esprits qui, par leur expansion, poussant la sueur au-dehors, en déterminent ainsi l’émission. Elles sont aussi moins charnues : or, ce sont ordinairement les parties les moins charnues et les plus sèches, qui suent le plus ; tels sont, par exemple, le front, la poitrine, etc.

709. Les sueurs sont ordinairement plus abondantes durant le sommeil que durant la veille ; quoiqu’en général l’effet du sommeil soit plutôt d’arrêter les écoulemens et les flux, tels que rhumes, catarres, cours de ventre, etc. que de les provoquer. La raison de cette différence est que l’effet naturel et propre du sommeil, est de rappeler à l’intérieur, d’y concentrer et d’y retenir la chaleur et les esprits. Or, cette concentration de la chaleur, en l’irritant, la rend ainsi plus violente, plus expansive, et plus capable de pousser au-dehors la matière des sueurs.

710. Les sueurs froides sont quelquefois un symptôme de mort, présente ou prochaine ; dans tous les cas, elles sont funestes et regardées comme un mauvais signe : par exemple, à la suite d’une grande frayeur, de l’affection hypocondriaque, etc. Car ces sueurs froides sont l’effet du relâchement, de la défaillance totale, et de la complète émission des esprits qui, en s’échappant, poussent au-dehors tout l’humor que la chaleur retenoit dans les parties, en les consolidant.

711. Dans cette classe de maladies où les sueurs ne sont pas curatives ; par exemple, dans les pulmonies, les dyssenteries, etc. elles doivent être regardées comme un symptôme fâcheux, et il faut plutôt les arrêter que les provoquer. Mais, dans celles ou elles sont nécessaires, leur effet est de dégager les vaisseaux et d’expulser la matière morbifique ; elles font alors partie de la crise, et le malade les supporte aisément[3]. Dans le premier cas, elles ont pour cause l’état violent des esprits et leur réaction du centre à la circonférence ; ou encore un mouvement de corrélation qui a lieu lorsque la nature, n’ayant pas assez de force pour expulser la matière morbifique de la partie où est son principal siège, elle détermine, par un dernier effort, une expulsion vague et universelle.

Observations relatives aux vers-luisans.

712. La nature des vers-luisans n’a pas encore été approfondie par des observations assez multipliées et assez variées ; voici à quoi se réduit tout ce qu’on sait sur ce sujet. Ils se forment ordinairement durant les plus grandes chaleurs de l’été, non dans les champs ou sur les terreins découverts, mais dans les buissons et dans les haies ; circonstances qui annoncent que l’esprit qui les anime est d’une extrême ténuité ; qu’il ne peut être atténué au degré nécessaire pour les vivifier, que durant une telle saison ; et qu’en conséquence de cette ténuité même, il s’exhale aisément. En Italie et dans d’autres pays chauds, on voit un insecte ailé, connu sous le nom de luciole (lucciola, petite lumière), qui brille comme notre ver-luisant : ce n’est peut-être au fond qu’un ver-luisant, volant ; on ne le trouve ordinairement que dans les lieux humides et marécageux : mais cette circonstance n’a rien d’opposé aux deux premiers faits ; car les glaïeuls, ou toute autre espèce de plante aquatique, ou de verdure, peut, tout aussi bien que les buissons, lui donner l’ombrage dont il a besoin. Au reste, il se peut que le froid de ces contrées où l’on trouve le ver-luisant dont nous parlions d’abord, ne lui permette pas de croître et de se développer assez pour que ses ailes puissent se former.

Observations relatives aux impressions que les passions ou affections de l’âme font sur le corps.

713. Les passions ou affections de l’ame font sur le corps différentes impressions dont nous allons donner une description assez détaillée. Les symptômes ou signes de la crainte sont, la pâleur, le tremblement, le hérissement des cheveux et en général, des poils, le tressaillement, la stupeur et les soudaines exclamations. La pâleur vient de ce que le sang, rappelé à l’intérieur, se porte vers le cœur, comme pour le secourir. Le tressaillement est produit par la même cause ; car le sang et les esprits, en se portant à l’intérieur, comme nous venons de le dire, abandonnent, par cela seul, les parties extérieures qui alors ne peuvent plus se soutenir. Les cheveux se dressent et le poil se hérisse, parce que les pores de la peau se ferment ; car, les cheveux étant ordinairement couchés, ces porcs ne peuvent se fermer sans les pincer et les forcer ainsi à se relever. Le tressaillement et la stupeur viennent d’un mouvement de contraction qu’on fait machinalement, pour exercer plus complètement sa faculté appréhensive, et d’un redoublement d’attention pour voir quelle sera la suite de ce commencement qui épouvante ; c’est une espèce d’érection, mouvement érectif qu’on observe dans tout individu dont les esprits se disposent à l’attention[4]. Les soudaines exclamations sont l’effet du désir de repousser, d’éloigner ce qui a tout-à-coup frappé les esprits. Car on doit observer qu’il est une infinité de mouvemens assez inutiles, pour nous débarrasser de ce qui nous blesse ; mais qui, étant comme autant de stimulans par rapport à la nature (au principe vital), et agissant par une corrélation harmonique, occasionnent d’autres mouvemens ; de ce genre sont les gémissemens et les cris plaintifs que la douleur fait pousser[5].

714. Les symptômes, ou signes caractéristiques de l’affliction, et en général de la douleur, sont les soupirs, les sanglots, les gémissemens, les cris plaintifs, les hurlemens, les larmes, les grimaces, le grincement de dents, la sueur, etc. Les soupirs viennent de ce qu’on aspire l’air en plus grande quantité, pour ranimer le cœur qui se trouve alors dans un état de foiblesse et d’oppression ; à peu près comme on boit à longs traits pour étancher une soif ardente. Le sanglot est un mouvement de même nature que le précédent, mais plus fort et plus marqué. Les gémissemens, les cris plaintifs et les hurlemens sont occasionnés par un mouvement machinal d’expulsion, comme nous l’avons déjà observé. Car alors les esprits étant hors d’état de se délivrer de l’objet nuisible, l’effort impuissant qu’ils font pour cela, occasionne, par une corrélation haramonique, dans les instrumens vocaux, un mouvement expulsif d’où résultent ces cris[6] ; phénomène, toutefois, qui n’a lieu que dans les cas où les esprits sont incapables de résister, et succombent à la douleur ; car une personne qui lutte courageusement contre la douleur, ne pousse point de tels gémissemens. Les larmes ont pour cause la contraction des esprits dans le cerveau ; contraction dont l’effet nécessaire est l’astriction de l’humor de ce viscère, ce qui détermine les larmes vers les yeux. C’est en vertu de cette même contraction ou compression que, dans un accès de violente douleur, on se tord les mains ; ce geste étant celui qu’on fait ordinairement pour exprimer l’humidité[7]. Les grimaces ont pour cause l’effort qu’on fait d’abord pour résister à la douleur, puis pour repousser et éloigner ce qui l’occasionne ; effort dont le premier effet est de contracter les parties, et le second, de les dilater. Le grincement de dents vient également de l’effort que font les esprits pour se resserrer, se réunir, se concentrer et se mettre ainsi en état de résister ; effort, dont l’effet est encore de rapprocher les mâchoires et de les serrer fortement l’une contre l’autre[8]. La sueur a aussi pour cause l’effort composé des esprits, d’abord pour résister, puis pour repousser la chose nuisible.

715. Dans la joie, le visage se déride, les yeux deviennent plus brillans et plus vifs ; elle fait chanter, sauter, danser, et quelquefois pleurer ; tous effets de la dilatation des esprits, et du mouvement par lequel ils se portent dans les parties extérieures ; ce qui leur donne plus de force et d’activité. On connoît assez d’exemples de personnes auxquelles une joie excessive a causé la mort ; les esprits alors s’étant portés à la circonférence, et dilatés au point de ne pouvoir plus rétrograder et se contracter. Quant à ces larmes que la joie même fait verser, elles sont l’effet de la compression de l’humor du cerveau, occasionnée par la dilatation des esprits ; car, l’effet nécessaire de la compression des esprits est d’exprimer l’humor de ce viscère, par un mouvement de corrélation harmonique, comme nous l’avons déjà dit, par rapport aux larmes que fait verser la douleur. Mais la joie produit cet effet d’une manière toute différente ; savoir : par l’expansion des esprits qui, en se dilatant, et en occupant un plus grand espace, chassent ainsi cet humor, et le forcent à se porter au-dehors.

716. Dans la colère, les uns palissent ; les autres changent fréquemment de couleur ; d’autres sont saisis d’un tremblement universel ; dans d’autres enfin, le visage s’enflamme et se gonfle, les yeux étincellent, la bouche écume, ils frappent la terre du pied, serrent les poings, etc. La pâleur et le changement fréquent de couleur ont pour cause l’inflammation des esprits dans la région du cœur ; esprits qui, pour se ranimer et se renforcer eux-mêmes, appellent, pour ainsi dire, à leur secours ceux des parties extérieures. Si la pâleur est seule et constante, ce signe annonce qu’à la colère se mêle un peu de crainte : mais, dans la plupart des individus, qui ne pålissent jamais en pareil cas, les joues et la partie inférieure des oreilles se colorent d’un rouge vif, en conséquence de l’émission des esprits, occasionnée par le désir de la vengeance. Le tremblement qui accompagne quelquefois la colère, a aussi pour cause le mouvement rétrograde des esprits, et il a également lieu lorsque la colère et la crainte se trouvent ensemble. Le gonflement est l’effet de la dilatation des esprits, occasionnée par une excessive chaleur, et de la pléthore ou de l’effervescence des humeurs, qui en est une conséquence. On peut attribuer à la même cause l’écume qui paroît sur les lèvres, et qui est aussi une sorte d’effervescence ou d’ébullition. Le trépignement et le serrement des poings viennent de ce que l’homme irrité se prépare à la vengeance, et se venge déjà en idée.

717. Une légère offense, ou, en général, un léger déplaisir fait secouer la tête, rider le front et froncer les sourcils ; tous effets qu’on doit attribuer à la même, cause que le tremblement et le frémissement ; je veux dire, au mouvement rétrograde des esprits rappelés à l’intérieur, mais avec moins de force. Le branlement de tête n’est qu’un tremnblement plus lent et plus foible, qui est le signe ordinaire d’un léger refus : nous voyons en effet qu’on témoigne ordinairement un léger déplaisir par ce geste de la main qu’on fait pour annoncer un refus, ou rebuter quelque chose. Si alors on ride le front et l’on fronce le sourcil, ces deux mouvemens doivent être attribués à la retraite des esprits qui se resserrent et se concentrent, pour résister jusqu’à un certain point. Aussi observe-t-on assez souvent ce même froncement de sourcil dans une personne appliquée à quelque étude ou méditation sérieuse, quoiqu’elle n’y trouve rien de déplaisant.

718. Tout individu saisi de honte, rougit et baisse les yeux. Cette rongeur n’est autre chose que la couleur même du sang, qui alors se porte en grande quantité à la face, celle de toutes les parties qui, dans cette passion, travaille le plus, Cette même couleur paroîtroit sans doute aussi sur toute la partie extérieure de la poitrine, si elle étoit nue ; mais, comme le visage est la seule partie entièrement découverte, c’est aussi la seule où l’on voie à l’œil ce passage et cette affluence du sang. Quant à la cause qui fait baisser les yeux, c’est simplement le respect que les autres nous inspirent ; aussi voit-on que toute personne saisie de honte devant d’autres, n’ose les regarder fixement. Ces deux signes de la honte, je veux dire la rougeur et le baissement des yeux, sont plus fréquens et plus marqués dans une compagnie un peu nombreuse, comme l’observe certain historien. Rien n’étoit plus sensible à la honte que le visage de Pompée ; souvent même la présence de plusieurs personnes suffisoit pour le faire rougir[9]. C’est ce que nous éprouvons nous-mêmes, lorsque nous sommes obligés d’aborder des personnages illustres ou respectables par leur dignité.

719. La compassion nous fait quelquefois verser des larmes et détourner les yeux. Ces larmes n’ont d’autre source que celles qu’une affliction quelconque nous fait verser ; car la compassion n’est autre chose qu’une affliction ou une tristesse occasionnée par la vue du malheur d’autrui. Ces regards obliques sont un signe d’aversion et de répugnance à envisager l’objet qui excite notre pitié.

720. L’étonnement suspend tous nos mouvemens, et nous fait rester dans une attitude fixe : l’admiration nous porte à élever nos mains et nos regards vers les cieux. La suspension des mouvemens a pour cause celle de l’esprit même qui alors cessant de se porter au hazard et d’errer, pour ainsi dire, sur différens objets, comme il le fait ordinairement, s’arrête et se fixe sur celui qui excite notre étonnement ; car l’effet de l’étonnement n’est pas de mettre en fuite les esprits et de les faire rétrograder, ce qui est l’effet propre de la crainte, mais de les arrêter, et de diminuer, pour le moment, leur mobilité. Quant à ce mouvement qui nous porte à élever nos mains et nos regards vers les cieux, c’est une espèce d’appel à la Divinité, qui, par sa providence et sa puissance infinie, est la véritable source de tout ce qui peut exciter notre admiration, et, en général, causer notre étonnement.

721. Le rire fait écarter les lèvres et les coins de la bouche : il a pour cause une expiration continue, mais fréquemment interrompue par les éclats de la voix, et accompagnée de fréquentes secousses, d’une sorte de mouvement convulsif dans les flancs et la poitrine. Lorsqu’il est violent et de quelque durée, les yeux s’emplissent de larmes. La première observation qui se présente sur ce sujet, c’est qu’à proprement parler, le rire n’est point une passion, vu qu’il prend sa source dans l’entendement, étant toujours précédé de l’idée de quelque objet plaisant. En un mot, il est toujours précédé de quelque réflexion, aussi est-il particulier à l’homme. En second lieu, le rire ne suppose les esprits que très légèrement affectés, et dépend d’une impression beaucoup moins intime et moins profonde que celles qui ont lieu dans les passions proprement dites ; et l’on peut l’exciter par des moyens qui n’ont aucune espèce de relation avec ces passions. Par exemple : il suffit, pour faire rire aux éclats, de chatouiller certaines parties du corps. On voit même bien des personnes qui, dans les occasions où elles ne doivent être occupées que de choses graves, et où le rire est tout-à-fait déplacé, ne peuvent garder leur sérieux. En troisième lieu, le rire est toujours accompagné d’un certain plaisir, et il a une relation naturelle avec la joie, quoiqu’il dépende d’une émotion plus légère ; car la véritable joie a je ne sais quoi de sérieux. En quatrième lieu, les objets propres et directs du rire sont les difformités, les extravagances, les tours fins et nouveaux, les traits ingénieux, etc.[10]. Parlons actuellement des causes auxquelles doivent être rapportés les effets décrits plus haut ; explications sur lesquelles ce petit nombre d’observations générales répandront quelque jour. L’écartement des lèvres et des deux coins de la bouche, l’expiration continue et interrompue par des éclats de voix, enfin les secousses de la poitrine et des flancs, tous ces effets sont produits par la dilatation des esprits ; je veux dire par leur soudaine expansion. Quant à ces larmes qu’excite un rire excessif, et de quelque durée, elles doivent être attribuées à la même cause, comme nous l’avons déjà observé, en parlant de celles qu’une affliction et une joie excessive font verser : mais l’action soudaine de la cause qui excite le rire et la surprise dont il est l’effet, est ici le principal point à considérer ; car une suite de petites disgrâces ou de petites gaucheries, qui aggravent la faute ou augmentent la perte qu’on vouloit réparer : en un mot, un objet ridicule qui se présente tout-à-coup, fait rire dans le moment ; mais, pour peu que cela dure, on ne rit plus. En général, les objets, les événemens, ou les récits trop familiers, n’excitent point le rire ; il n’est que la nouveauté qui le puisse. Cette surprise est également nécessaire pour que le chatouillement ait son effet. Par exemple, lorsqu’on veut chatouiller une personne, pour peu qu’elle s’y attende, ou qu’on la touche rudement et continuellement, on ne réussit point à la faire rire, ou l’on y réussit moins aisément.

722. Un vif désir de l’acte vénérien rend les yeux étincellans, et occasionne un priapisme (l’érection de la verge). La raison de ce double phénomène est sensible : les deux choses qu’on désire alors, sont la vue et le contact ; ainsi, les esprits doivent se porter et affluer principalement aux deux organes respectifs, qui alors sont le plus vivement affectés. Observez en général (observation qui peut être d’une grande utilité), que, dans les passions ou affections de toute espèce, les esprits doivent se rendre et affluer principalement aux parties qui alors travaillent le plus, ou qui sont le plus vivement affectées. Ainsi, dans le désir de l’acte vénérien, ils doivent se porter aux yeux et aux parties genitales[11] ; dans la crainte et la colère, au cœur ; dans la honte, à la face ; et dans un léger déplaisir, à la tête[12].

Observations sur l’ivresse, sur ses causes et sur ses effets.

723. Les anciens ont observé, et quelques modernes ont répété, que la semence des hommes adonnés à l’ivrognerie est inféconde. La raison de cette stérilité est, que cette semence est excessivement fluide et n’a pas assez de corps ; de là ce proverbe burlesque qui a cours parmi nous : les ivrognes n’engendrent que des filles.

724. Dans un homme ivre, aucune partie n’est en état de faire ses fonctions ; il n’est plus maître d’aucun de ses mouvemens ; il chancelle, il hésite : ni sa démarche, ni ses discours n’ont rien d’assuré. La raison de ces différens signes de foiblesse est, que les esprits animaux, dans l’ivresse, sont fortement comprimés par ceux du vin, les derniers s’emparant d’une partie de la place que les premiers doivent occuper seuls, et affoiblissant ainsi tous leurs mouvemens, état de foiblesse indiqué par les fréquens bâillemens et une continuelle envie de dormir.

Les opiates et les substances stupéfiantes, telles que l’extrait de pavot, la jusquiame, la ciguë, etc. occasionnent aussi une sorte d’ivresse, qu’on doit également attribuer aux vapeurs grossières qui s’en élèvent et qui compriment les esprits vitaux, à peu près comme le font ceux du vin. De plus, les esprits du vin ayant, ainsi que les esprits vitaux, la faculté de consumer les sucs alimentaires, leur dérobent ainsi une partie de la substance dont ils se nourriroient ; en conséquence ils diminuent leur agilité et leur aptitude au mouvement.

725. L’homme ivre croit voir tourner tous les objets qui l’environnent, et s’imagine quelquefois que les murailles vont tomber sur lui. Ses yeux égarés ne distinguent plus les objets un peu éloignés ; les objets voisins lui paroissent tous hors de leur véritable place, et quelquefois même lui paroissent doubles. La cause de toutes ces illusions est sensible. Tous les objets lui paroissent tourner, parce que ses esprits ont eux-mêmes un mouvement circulaire, occasionné par la vapeur du vin qui les comprime fortement. Car on sait que tout fluide comprimé se ment circulairement ; genre de mouvement qu’on observe quelquefois dans l’eau, dont le tournoiement est produit par une cause semblable. Or, le mouvement de l’objet même, celui des esprits visuels et celui du milieu, produisent le même effet, quant à la vision ; et l’apparence, dans ces trois cas, est absolument la même[13]. On sait aussi que toute personne qui tourne sur place un peu long-temps, éprouve une semblable illusion. L’homme ivre s’imagine que tout va tomber sur lui ; parce que ses esprits visuels ayant eux-mêmes un mouvement rétrograde, les objets lui paroissent se mouvoir dans le même sens et se porter vers lui. De plus, par cela même qu’il croit les voir s’ébranler et tourner autour de lui, la crainte lui fait croire qu’à la fin ils pourroient bien tomber sur lui[14]. S’il ne peut apercevoir les objets éloignés, c’est l’effet naturel de la foiblesse de ses esprits ; car, lorsqu’on a la migraine ou des vertiges, on a une sorte de nuage sur la vue, et l’on s’imagine aussi voir tourner tous les objets ; genre d’illusion qu’on éprouve également dans une légère syncope. Le déplacement apparent de tous les objets aux yeux de l’homme ivre, est une conséquence naturelle de la réfraction de ses esprits visuels ; la vapeur du vin, qui l’offusque, étant un milieu fort inégal[15] ; genre de réfraction assez analogue à celle qui fait paroître hors de leur véritable place tous les objets plongés dans l’eau. Si tous les objets voisins lui paroissent doubles, cette illusion est l’effet du mouvement rapide et tumultueux de ses esprits visuels, qui, étant comprimés par la vapeur du vin, ont des mouvemens de vibration fort irréguliers ; car le mouvement des esprits visuels, et le mouvement réel de l’objet, comme nous l’avons déjà observé, produisent les mêmes apparences. Quant à cet effet que nous attribuons au mouvement rapide et apparent de l’objet, on sait que, lorsqu’on pince une corde de violon pour la mettre en vibration, elle paroît double ou triple ; illusion fort semblable à celle qu’il s’agit d’expliquer[16].

726. Les quantités de vin étant supposées parfaitement égales, on s’enivre plus en buvant à petits coups, qu’en buvant à grands coups ; et le vin sucré enivre moins que le vin pur[17]. La raison de la première de ces deux différences est que le vin, lorsqu’on le boit à petits coups, ne tombant pas si vite au fond de l’estomac, et demeurant plus longtemps attaché à sa partie supérieure, ses vapeurs doivent ainsi monter plus vite à la tête, et en conséquence enivrer plus promptement. Par la même raison, une soupe au vin (le pain trempé dans du vin) enivre plus que le vin seul. La cause de la seconde différence dont nous parlions d’abord, est que le sucre condense les esprits du vin, leur donne plus de corps, et diminue, par cela seul, leur disposition à se résoudre en vapeurs. On prétend même que, pour prévenir l’ivresse ou la faire cesser, il suffit de boire du vin sucré après le vin pur. J’ai oui dire aussi qu’on pouvoit obtenir le même effet en buvant, après une grande quantité de vin, un peu d’huile ou de lait[18].

Observation relative aux effets salutaires ou nuisibles de l’usage du vin, même modéré.

727. L’usage du vin est nuisible aux sujets épuisés et d’une constitution fort sèche, mais salutaire aux individus de complexion humide, et qui ont un peu d’embonpoint. La raison de cette différence est, que les esprits du vin s’emparent de cette rosée onctueuse qui imbibe toute la masse du corps ; et, pour nous servir d’une expression reçue, de son humide radical ; ce qui est autant de dérobé aux esprits vitaux. Mais lorsque la quantité de cet humor est suffisante, et même excessive, alors le vin, en absorbant sa partie surabondante, et en desséchant un peu, a, par cela seul, des effets salutaires.

Observation relative aux chenilles.

728. Parmi les différentes espèces de vers, il en est peu d’aussi commune et d’aussi répandue que les chenilles : on les voit se multiplier prodigieusement sur les arbres et dans les haies, dont elles détruisent presque toutes les feuilles ; ce qu’elles font d’autant plus vite, qu’elles se nourrissent de la substance même de ces feuilles dont elles sont formées. C’est ordinairement au printemps qu’on en voit le plus ; saison où les rosées sont abondantes, et où les végétaux se couvrent de feuilles ; et c’est sur-tout après un vent d’est d’une certaine durée, qu’elles se multiplient, vu la nature sèche des vents qui soufflent de cette partie. Car, une des conditions les plus nécessaires pour la vivification des animaux qui sont le produit de la putréfaction, c’est une matière qui ne soit pas trop humide : aussi voit-on assez ordinairement ces insectes dont nous parlons, enveloppés d’une matière filamenteuse, et analogue à celle des toiles d’araignée ; ce qui annonce que, dans leur substance, la viscosité est unie à un certain degré de sécheresse. On sait de plus que la terre même est souvent couverte de toiles semblables qui sont formées par le soleil et la rosée. Il est aussi une espèce de chenille verte qui se forme au fond du calice des roses, surtout de celles qui ne sont pas exposées au vent, et auxquelles par conséquent la rosée s’attache davantage. Mais, de toutes les espèces de chenilles, la plus grosse et la plus nombreuse c’est celle qu’on trouve sur les choux, plante dont les feuilles sont remplies d’un suc onctueux, et très disposées à se putréfier. Sur la fin de l’été, les chenilles se changent en papillons ou en quelque autre espèce d’insecte ailé. Enfin, il est d’autres chenilles fort grosses, revêtues d’une sorte de duvet cotonneux, et qui semblent avoir quelque analogie avec le ver à soie.

Observation sur les mouches cantharides.

729. La mouche cantharide provient d’un ver ou d’une chenille ; mais elle est particulière à certains arbres, tels que le figuier, le rosier, le mûrier de buisson, etc. tous arbres ou arbrisseaux dont les fruits ont une saveur assez douce, mais avec une légère teinte de qualité âcre et mordicante. Car le figuier, par exemple, contient une sorte de lait tout à la fois doux et corrosif. On trouve sous les écailles de la pomme de pin, de petits grains dont la substance est aussi un peu âcre et détersive. On prétend de plus que les mûres de buisson donnent la galle aux enfans, et, en général, aux personnes qui en mangent trop. Ainsi, cette qualité âcre et corrosive qui caractérise les cantharides, n’a plus rien d’étonnant attendu qu’il n’est presque point d’insecte qui ne soit formé d’une matière plus grossière et moins active. Le corps de la mouche cantharide est revêtu de couleurs éclatantes. Il se peut que la substance de ces insectes connus parmi nous sous le nom de mouches-paons ou de mouches-dragons, et qui sont teintes de couleurs si vives, ait aussi jusqu’à un certain point, cette acrimonie et cette qualité mordicante.

Observation sur la lassitude, et les moyens de la diminuer.

730. Il est différens moyens pour diminuer la lassitude, entr’autres, le bain et les onctions avec l’huile et l’eau chaude combinées ensemble[19], ce qu’on peut expliquer ainsi : la lassitude est l’effet d’une sorte de contusion ou de compression des parties : or, l’effet du bain et de ces onctions est de les relâcher et de les amollir ; effet qu’on obtient plus sûrement en combinant l’huile avec l’eau chaude, qu’en employant seulement l’une ou l’autre de ces deux substances, ou toutes deux séparément. Par le moyen de cette combinaison, l’eau s’insinue mieux dans les pores ; et une fois qu’elle y a pénétré, l’huile amollit et assouplit plus aisément les parties. L’expérience prouve que le tabac a aussi la propriété de diminuer la lassitude ; en stimulant et fortifiant les esprits, il dilate les parties foulées ou comprimées[20] ; sans compter que, par sa qualité d’opiate (de narcotique), il ranime puissamment ces esprits, et doit en conséquence diminuer la lassitude, comme le feroit le sommeil même.

731. Lorsqu’on gravit une hauteur escarpée, c’est dans les genoux que la fatigue se fait le plus sentir ; mais lorsqu’on descend, c’est dans les cuisses. Car, lorsqu’on monte en levant alternativement les deux pieds, tout le poids du corps porte sur les genoux ; au lieu que, lorsqu’on descend, il porte sur les cuisses.

Observation sur les animaux qui peuvent quitter leur peau, leurs écailles, etc.

732. Les anciens comparoient l’état d’un animal qui vient de se dépouiller de sa peau, à celui de l’enfant qui, après la rupture de l’amnios ou de l’arrière-faix, vient de se débarrasser de cette enveloppe. Mais cette comparaison nous paroît défectueuse ; car si elle étoit fondée, les animaux renaîtroient, pour ainsi dire, chaque fois qu’ils pourroient se dépouiller ainsi de leur peau. De plus, l’amnios n’est qu’une enveloppe générale et vague qui ne s’ajuste point aux formes des différentes parties du corps ; au lieu que la peau se moule très exactement sur le tout et sur chacune de ses parties. Les animaux qui changent ainsi de peau, sont le serpent, la vipère, la sauterelle, le lézard, le ver à soie, etc. Ceux qui peuvent quitter leur écaille ou leur enveloppe écailleuse, sont le homar, le crabe, la langouste, l’écrevisse, la tortue, etc. On trouve quelquefois la vieille peau, qui est la dépouille des premiers ; mais on ne trouve jamais ces écailles que les derniers ont quittées ; ce qui semble prouver qu’elles tombent et s’usent, pour ainsi dire, peu à peu : cependant, on a pour preuve de ce renouvellement, la souplesse et le peu de consistance de la nouvelle écaille, quelquefois aussi la fraîcheur et l’éclat de ses couleurs. Pour expliquer cette faculté qu’ont les animaux de la dernière classe, de quitter leurs écailles, et ceux de la première, de se dépouiller de leur peau, il suffit de supposer, dans les uns et les autres, une surabondance de matière propre pour former une peau ou une écaille ; ce qui peut venir aussi de ce que cette écaille ou cette peau est plus lâche, c’est-à-dire, moins adhérente et moins serrée contre la chair, que dans les autres animaux ; il est évident que, dans ce renouvellement de l’une ou de l’autre, c’est la nouvelle qui chasse l’ancienne ; à peu près comme dans les daims, les nouvelles cornes se substituent aux vieilles qu’elles ont délogées ; et comme, dans les oiseaux, les nouvelles plumes font tomber les vieilles. Les oiseaux qui ont assez de matière pour former un nouveau bec, en changent aussi, et alors c’est également ce nouveau bec qui s’empare de la place qu’occupoit le vieux.

Observation sur l’effet de certaines attitudes.

733. La meilleure et la plus salutaire position où l’on puisse être en dormant, c’est de tenir le corps non pas tout-à-fait droit et de niveau, mais un peu en pente, et de manière qu’il forme en dessus une légère concavité ; effet qui doit naturellement résulter de la manière dont on fait ordinairement les lits ; ou encore, en retirant un peu ses jambes vers le haut, et les tenant pliées. La raison de ce précepte est que, dans une telle attitude, l’estomac est moins suspendu et mieux soutenu ; ce qui lui donne plus de force. Aussi voyons-nous que les personnes qui ont mal à l’estomac, sont déterminées, par le seul instinct, à tenir ainsi leurs jambes retirées, et pliés au point de porter les genoux presque jusqu’au menton ; position qui les soulage beaucoup. On voit aussi que les galériens, nonobstant leur humiliante et dure situation qui sembleroit devoir les faire maigrir, ne laissent pas d’engraisser et de prendre assez d’embonpoint ; toujours par la même raison, parce qu’en travaillant, ils sont assis[21], attitude où l’estomac est appuyé ; au lieu que, dans les individus qui sont presque toujours debout, ou qui marchent beaucoup, ce viscère est suspendu et comme en l’air[22]. Ainsi, une attention essentielle à la prolongation de la vie, c’est de faire choix d’une profession et d’exercices qui mettent plus en mouvement les extrémités, les quatre membres, dis-je, que l’estomac et le ventre ; tel est le cas des rameurs, des scieurs de long, etc.

734. Les migraines et les vertiges viennent plutôt de ce qu’on se lève quelquefois tout-à-coup après avoir été fort longtemps assis, que du simple effet de cette dernière attitude trop prolongée. Car, dans le premier cas, les vapeurs qui se sont ramassées tandis qu’on étoit assis, sont déterminées, par ce mouvement trop brusque qu’on fait en se levant, à se porter avec plus de force à la tête.

735. Quand on se tient trop long-temps appuyé sur une même partie, elle s’engourdit et devient comme endormie, comme morte. La cause de cet engourdissement est l’excessive compression qu’éprouve alors cette partie ; ce qui ferme le passage aux esprits, et les empêche d’y aborder. Aussi, au moment où l’on change d’attitude, éprouve-t-on, dans cette même partie, un picotement, une sorte de fourmillement occasionné par le retour des esprits qui font effort pour y pénétrer[23].

Observation relative aux années pestilentielles.

736. Dans les années pestilentielles, ou, en général, fort insalubres, cette disposition est annoncée par l’apparition d’une multitude immense de grenouilles, de mouches, de sauterelles, etc. fait confirmé par des observations multipliées, et dont la raison est sensible ; car, ces animaux étant un produit naturel de la putréfaction, leur excessive multiplication annonce que la disposition, ou la constitution générale de l’air, tend à multiplier les maladies qui ont pour cause commune cette putréfaction même. On a lieu de former le même pronostic, lorsque les pommes de chêne (ou fausses galles) se trouvent remplies de vers ; car il est une infinité de petites variations, dans la constitution de l’air, sur lesquelles nos sens n’ont point de prise immédiate, mais qui sont bien plus sûrement indiquées par ces corps susceptibles des impressions les plus légères, et de les manifester par des effets sensibles.

Observation relative aux pronostics à former sur les hivers très durs.

737. Une opinion reçue parmi les cultivateurs, est que, dans les années ou l’on trouve beaucoup de baies sur l’églantier, et de graines sur l’épine blanche, on doit s’attendre à un hiver très rude ; ce qu’ils attribuent à une secrète disposition de la divine providence, qui, suivant le langage formel des saintes écritures, daigne tenir compte, même d’un moineau qui tombe sur la terre, et à plus forte raison, pourvoir à la subsistance des oiseaux en général, durant cette saison si rigoureuse dont on est alors menacé[24]. La cause naturelle et physique de cette corrélation qu’il s’agit d’expliquer, pourroit être le défaut de chaleur et l’excès d’humidité qui auroient eu lieu durant l’été précédent, deux causes dont l’effet naturel seroit de multiplier excessivement ces baies ou ces graines, et de laisser, dans le corps de l’atmosphère, une grande quantité de vapeurs froides, d’où résulteroit pour l’hiver suivant un froid très âpre.

Observation relative aux médicamens dont l’effet est de condenser et de ranimer les esprits.

738. Les Turcs font grand usage d’une boisson connue chez eux sous le nom de café, nom qu’elle tire d’une espèce de baie dont elle est extraite. Cette baie est noire comme de la suie[25], et son odeur est forte, sans être aromatique. Après l’avoir moulue et réduite en poudre, ils la mettent en décoction dans de l’eau qu’ils boivent ensuite aussi chaude qu’ils peuvent l’endurer. Elle se vend dans des boutiques auxquelles par cette raison ils donnent le nom de cafés, et qui répondent à ce que nous appelions des tavernes ou des cabarets. Le café a la propriété de fortifier le cœur de dégager le cerveau, et de faciliter la digestion[26]. Il est certain que l’effet principal de cette liqueur, de la racine et de la feuille du bétel de la feuille de tabac, de l’extrait de pavot (ou de l’opium, appelé dans le commerce l’amphion) dont les Turcs font un si fréquent usage, lui attribuant la propriété de bannir toute espèce de crainte ; il est certain, dis-je que l’effet de toutes ces substances est de condenser les esprits, d’augmenter leur force et leur activité. Mais il y a un peu de diversité dans la manière d’en faire usage. Par exemple, on boit le café et l’opium, on fume le tabac, et l’on mâche le bétel, en y joignant un peu de chaux. Selon toute apparence, il est beaucoup d’autres substances de même nature, qu’on découvriroit sans peine, et dont on tireroit le même parti, si l’on savoit les chercher et corriger leurs qualités naturelles : par exemple, faites quelque épreuve de ce genre sur la jusquiame, sur la mandragore, sur le safran (tant sur la racine que sur la fleur), ainsi que sur la feuille d’inde, sur l’ambre gris etc. sur l’amome d’Assyrie, si vous pouvez vous le procurer ; enfin, sur cette poudre d’un rouge vif et connu sous le nom de kermès ; en un mot, sur toutes ces substances qui ont la propriété d’enivrer et de provoquer le sommeil[27]. Remarquez aussi qu’en faisant usage du tabac, on n’emploie ni la racine, ni la semence, qui ont cependant plus de force que la feuille.

Observation relative au goût de certaines nations qui se teignent le corps de différentes couleurs.

739. Les Turcs ont une poudre noire tirée d’un minéral auquel ils donnent le nom d’alkool : à l’aide d’un pinceau long et fin, ils étendent légèrement cette couleur sur leurs paupières ; ce qui fait ressortir le blanc de l’œil. Ils se servent de cette même poudre pour teindre leurs cils et leurs sourcils, qu’ils figurent en arc par ce moyen. Xénophon rapporte que les Mèdes étoient aussi dans l’habitude de se peindre les yeux. Les Turcs emploient encore cette teinture dont nous parlions, pour noircir leurs cheveux et leur barbe. On trouve aussi parmi nous assez de personnes qui, ayant eu le malheur de grisonner plutôt qu’elles n’auroient voulu, emploient différens moyens pour noircir leurs cheveux, et se donnent ainsi une apparence de jeunesse[28]. Par exemple, elles se peignent, dit-on, avec un peigne de plomb, ou ont recours à quelque autre expédient de même nature[29]. Quant aux Chinois, qui ont un teint olivâtre ou blafard, ils emploient le vermillon pour se colorer les joues ; l’empereur sur-tout et les grands mandarins usent de cette petite ressource. Généralement parlant tous les sauvages qui vont nuds, se peignent le corps ; et ils ne se contentent pas d’étendre simplement ces couleurs sur leur peau mais ils l’entament, ils y font une infinité de petites incisions et de piqûres ( ils se tatouent) pour y faire pénétrer cette teinture et la rendre indélébile ; par ce moyen, ils y impriment différentes figures. C’est ce que font encore aujourd’hui les sauvages de l’Amérique, et ce que faisoient autrefois les Pictes et les Bretons, nos ancêtres. En sorte que les hommes seroient tentés de se teindre de couleurs aussi vives et aussi éclatantes que celles du plumage de certains oiseaux, pour peu qu’ils en trouvassent le moyen ; et alors ils auroient une peau charmante, qui leur tiendroit lieu de ces vêtemens magnifiques dont ils se parent aujourd’hui ce qui les dispenseroit de faire si souvent leur toilette.

Observation relative à l’usage du bain et des onctions.

740. Il est assez étonnant que le bain, employé comme partie du régime, soit tombé en désuétude. Les Grecs et les Romains en avoient une idée bien différente, et sembloient le croire aussi nécessaire que le boire et le manger. Ce goût s’est conservé chez les Turcs presque jusqu’à nos jours[30] ; mais, parmi nous, le bain fait partie de la médecine, et n’est plus regardé que comme un simple remède. Pour nous, qui parlons ici, notre sentiment est que le bain, du moins employé comme le faisoient les Romains, peut nuire à la santé, en amollissant excessivement toute l’habitude du corps, et le rendant ainsi plus sujet à la consomption. Quant aux Turcs, il doit leur être plus salutaire ; comme ils ne boivent que de l’eau, et ne se nourrissent que de riz ou d’autres végétaux peu substantiels ; cette manière de vivre donne à toute la substance de leur corps tant de consistance et de solidité, qu’il n’est pas à craindre que l’usage fréquent du bain l’amollisse et l’affoiblisse excessivement. De plus, les Turcs sont fort sédentaires, ils se promènent même assez rarement ; et comme ils ne provoquent point la sueur par les exercices, le bain leur est plus nécessaire qu’à nous. Quoi qu’il en soit, il n’est pas douteux que le bain, et encore plus les onctions, employés de la manière convenable ne puissent contribuer beaucoup à la conservation de la santé et à la prolongation de la vie. Mais c’est un sujet que nous nous proposons de traiter plus amplement dans le chapitre où nous exposerons les expériences, les observations et les pratiques relatives à la médecine ; ce qui est son véritable lieu.

Expérience relative au papier marbré.

741. Les Turcs font du papier marbré, par un procédé fort simple, mais qui n’est pas encore en usage parmi nous. Ils prennent différentes couleurs à l’huile ; ils les versent séparément et goutte à goutte, sur de l’eau qu’ils agitent légèrement. Puis ils se servent de cette eau pour humecter le papier, qui doit être un peu épais, et sur lequel ces couleurs s’étendent par veines et par ondes senblables à celles du marbre, ou de notre papier marbré.

Observation relative à la sèche, ou au calmar.

742. Dans toutes les espèces connues d’animaux terrestres, d’oiseaux et de poissons, le sang est rouge ; si l’on en excepte la sèche, dont le sang est aussi noire que de l’encre ; fait assez étonnant ; et pour en rendre raison, on seroit tenté de supposer que cette couleur vient de ce que le sang, dans cet animal, subit une concoction plus longue et plus complète que dans tous les autres ; car l’on sait que, dans le boudin ordinaire, le sang devient de plus en plus noir, à mesure qu’il se cuit ; sans compter que ce poisson dont nous parlons, est un mets délicat et recherché ; ce qui ne peut dépendre que de cette plus grande coction que nous avons supposée.

Observation sur certaines espèces de terre dont le poids augmente spontanément.

743. Au rapport de certains auteurs dignes de foi, si, après avoir pris de la terre sur les rives du Nil, et l’avoir déposée dans un lieu où elle ne puisse ni contracter une humidité sensible, ni éprouver aucune altération notable, on la pèse tous les jours, on trouve qu’elle conserve exactement le même poids, jusqu’au 17 de juin, jour ou le Nil commence à croître[31] ; mais qu’ensuite son poids va en augmentant de jour en jour, jusqu’à ce que le fleuve soit parvenu à sa plus grande hauteur. Si ce fait est réel, on peut, pour en rendre raison, supposer que l’air commençant à se condenser, à l’époque dont nous parlons, et s’insinuant peu à peu dans cette petite quantité de terre, s’y convertit en une sorte d’humor aqueux[32], qui en augmente le poids. Voici un fait de même nature, que nous avons vérifié par l’expérience, et qui semble appuyer cette explication. Hachez du tabac, pesez-le exactement, puis faites-le sécher à l’aide du feu, vous trouverez qu’il pèsera beaucoup moins ; mais si ensuite vous le laissez exposé à l’air pendant quelque temps, il recouvrera son premier poids. Selon toute apparence, dès le moment ou le Nil commence à croître, toute la masse de l’air qui s’appuie dessus, ou qui l’environne, éprouve quelque grande altération ; car les mêmes auteurs nous apprennent qu’à cette même époque de la crue de ses eaux, des maladies fort graves commencent à se manifester dans toute la ville du Caire.

Observation relative au sommeil.

744. Lorsqu’on a très froid, sur-tout aux pieds, on a beaucoup de peine à s’endormir. Ce peut être parce qu’une des conditions requises pour pouvoir dormir, est d’avoir la respiration libre. Or, on sait qu’en général le froid a l’effet contraire, et qu’un froid très âpre occasionne même une grande difficulté de respiration. Une autre cause qu’on peut assigner, est que le froid appelant, pour ainsi dire, les esprits au secours de la partie qu’il a saisie, ils ne peuvent plus se réunir aussi complètement qu’il le faudroit pour en déterminer la plus grande partie à se porter à la tête ; autre condition sans laquelle le sommeil est également impossible. C’est en vertu de la même cause, que le bruit, l’inquiétude, une douleur vive, etc. empêchent de dorinir, et qu’au contraire les ténèbres, le silence, la paix de l’âme, etc. provoquent le sommeil.

745. Certaines espèces de sons néanmoins, tels que le bruit sourd d’un vent violent, le mugissement des ondes, le murmure d’un ruisseau, le bourdonnement des abeilles, un chant moelleux, la voix d’une personne qui lit bien[33], ne laissent pas d’être favorables au sommeil, comme nous l’avons observé (expérience 112). La raison de cette différence est que les sons de ce dernier gente n’impriment aux esprits vitaux qu’un mouvement fort doux, et n’excitent qu’une attention fort légère. Or, l’effet de tout ce qui n’excite qu’une attention de cette nature, et qui n’a rien de pénible, rien de contentieux, est de calmer et de régler le mouvement des esprits, qui est naturellement vague, irrégulier et tumultueux.

746. Le sommeil nourrit, ou du moins il fait que le corps peut se conserver assez long-temps sans prendre de nourriture. Les animaux terrestres, qui dorment durant tout l’hiver, engraissent beaucoup durant ce sommeil[34], quoiqu’ils ne mangent point ; comme nous l’avons observé par rapport aux ours. On a trouvé des chauve-souris groupées ensemble dans des fours ou autres cavités également closes[35] ; fait qui porteroit à croire qu’elles dorment aussi durant tout l’hiver, et sans prendre d’alimens. Il faudroit faire de nouvelles observations sur les abeilles, afin de savoir si elles ne dorment point durant cette saison, épargnant ainsi leur miel. Quant aux papillons et autres insectes volans, non-seulement ils dorment durant tout l’hiver, mais même ils restent comme morts : cependant, le plus foible degré de chaleur, provenant de l’action du feu ou des rayons solaires, suffit pour les ranimer. Les loirs, en été comme en hiver dorment quelquefois plusieurs jours de suite et sans manger.

Observations relatives aux dents et autres sucstances dures qui se trouvent dans le corps des animaux.

Si l’on pouvoit trouver un moyen pour faire repousser les dents, à mesure que l’âge les fait tomber, on pourroit alors se flatter d’avoir pénétré dans un des plus profonds secrets de la nature. C’est du moins une recherche dont on peut s’occuper, et quel qu’en puisse être le succès, ce sujet a besoin d’être approfondi et ne mérite pas moins que les autres parties des animaux, de fixer l’attention de l’observateur.

747. Il est dans le corps des animaux cinq espèces de parties dont la substance est beaucoup plus dure que celle de toutes les autres ; savoir : le crâne, les dents, les os proprement dits, les cornes et les ongles. C’est la tête qui offre à l’observation le plus grand nombre de ces parties dures : on y voit d’abord le crâne qui est tout osseux, puis les dents, les os des deux mâchoires : ajoutez-y ces petits os qui font partie de l’organe de l’ouïe. En sorte que l’assemblage du corps de l’animal a quelque analogie avec la structure d’un édifice, où les murs, les planchers et autres parties semblables sont appuyés ou supportés par des colonnes, des piliers, des poutres, des solives, etc. tandis que le toit, même dans les palais les plus magnifiques, est tout d’une même matière, comme tuiles, ardoises, plomb, pierre, etc. Quant aux oiseaux, on y voit trois espèces de substances dures qui leur sont particulières ; savoir : le bec (qui est d’une matière analogue à celle des dents, et qui semble leur en tenir lieu) ; la coque de leurs œufs et les plumes ; car leurs serres, leurs éperons ou leurs ergots, peuvent être regardés comme leurs ongles. Mais, parmi les animaux qui ont des écailles dures, ou des enveloppes écailleuses (les testacées et les crustacées), comme les huîtres, les pétoncles, les moules, les homars, les écrevisses, les crabes, les langoustes et sur-tout les tortues, on n’en voit point qui aient des os à l’intérieur ; on n’y trouve tout au plus que des cartilages.

748. Lorsque les os, proprement dits, ont pris tout leur accroissement et tout le volume qu’ils doivent avoir, ils restent long-temps au même point ; il en est de même du crâne. Dans quelques animaux, les cornes tombent et se renouvellent. Passé un certain âge, les dents s’usent peu à peu, sans éprouver d’autres changemens : quant aux ongles, ils croissent continuellement et à tout âge. Il en est de même du bec, partie fort saillante, qui, dans certains oiseaux, comme l’ aigle et le perroquet, tombent et se renouvellent.

749. La plupart des substances dures qu’on trouve dans les animaux, telles que le crâne, les cornes, les dents, les ongles et le bec, sont comme reléguées aux extrémités du corps ; il faut toutefois en excepter les os proprement dits, qui se trouvent plus à l’intérieur, et auxquels la chair dont ils sont environnés, sert comme d’enveloppe. Les viscères sont ordinairement sans os ; cependant on trouve quelquefois un os dans le cœur d’un cerf[36]. Peut-être en trouveroit-on aussi dans celui de quelque autre animal.

750. Dans la cavité du crâne se trouve la cervelle, qui n’est qu’une espèce de moelle. L’épine dorsale contient aussi une sorte de moelle qui a beaucoup d’analogie avec la cervelle ; mais celle qu’on trouve dans les autres os, est d’une nature fort différente. Dans les os des mâchoires, on ne trouve point de moelle séparée de la substance dure, et isolée, mais seulement une sorte de pulpe médullaire, vague et diffuse. On croit aussi que les dents contiennent une pulpe du même genre, également répandue dans toute la substance de l’os, et à laquelle on attribue les douleurs aiguës qu’on éprouve quelquefois dans ces parties : mais on doit plutôt la qualifier de nerf ; la moelle, ainsi que le sang, étant destituée de toute sensibilité. Les cornes sont d’une substance toute homogène, et il en est de même des ongles.

751. Parmi ces substances dures dont nous avons fait l’énumération, les dents sont les seules qui soient susceptibles de sensation ; et non-seulement elles ont la sensation de la douleur, mais elles ont même celle du froid. Cependant nous croyons devoir borner nos observations actuelles à ce qui concerne les dents, en renvoyant à leurs articles respectifs les recherches qui ont pour objet les autres substances dures.

752. L’homme a trois espèces de dents : les unes, fort tranchantes, et, par cette raison, qualifiées d’incisives ; savoir : celles de devant ; d’autres, beaucoup plus grosses et plus plates, placées dans la partie postérieure, et auxquelles on donne le nom de molaires ; d’autres enfin, très aiguës, appelées canines, et qui se trouvent entre celles des deux premières espèces. Cependant on a vu quelques individus dont les dents n’étoient pas séparées comme elles le sont ordinairement, mais dont les mâchoires étoient chacune toute d’une pièce, et ne formant qu’un seul os, où l’on voyoit seulement de petits enfoncemens qui étoient comme autant de divisions et de marques répondantes aux séparations de nos dents : c’est ce qu’on rapporte du roi Pyrrhus. Certains animaux ont des dents fort longues, fort saillantes, quelquefois même jusqu’au point de déborder les lèvres, et auxquelles on donne le nom de défenses, de crocs, de crochets, de broches, etc. De ce genre sont le verrat, le sanglier, le brochet, le saumon, la truite, etc. le chien aussi, mais plus rarement. Dans d’autres espèces, comme celles de l’homme et du cheval, les dents sont contiguës, alignées, et régulièrement disposées. Dans d’autres espèces, telles que le lion, le chien, etc. les dents, sur-tout les plus longues, se croisent comme celles d’une scie. Certains poissons, comme le brochet, le saumon, la truite, etc.[37], ont plusieurs rangées de dents, et leur palais en est presque entièrement hérissé ; c’est ce qu’on observe sur-tout dans plusieurs espèces de poissons d’eau salée. Le serpent, la vipère et quelques autres reptiles, ont des dents vénéneuses, que le vulgaire appelle très improprement leur aiguillon ou leur dard.

753. Parmi les animaux qui ont des cornes, il n’en est point qui aient des dents a la mâchoire supérieure ; et par- mi ceux qui ont cette rangée supérieure, on n’en voit point auxquels manque la rangée inférieure. Mais il ne s’ensuit point du tout de là que, dans les animaux d’une même espèce, la substance dure qui n’est pas employée à former les dents supérieures, le soit toujours à former des cornes, ou réciproquement ; car les daines, par exemple, qui n’ont point de cornes, n’ont pas non plus de dents à la mâchoire supérieure.

754. On connoît l’âge des chevaux par leurs dents ; par exemple, vers l’âge de trois ans, il leur en pousse une qu’on appelle la dent du poulain[38]. À quatre ans, il leur en vient une autre qu’on appelle la marque, parce qu’elle a un trou assez grand pour contenir un petit pois, et qui, d’année en année, va toujours en décroissant jusqu’à l’âge de huit ans, époque où ce trou disparoissant tout-à-fait, la surface de cette dent devient unie ; et alors on dit que le cheval a rasé, et que sa bouche ne marque plus.

755. Dans notre espèce, les dents commencent à pousser vers l’âge d’un an et demi ; puis ces dents de lait tombent peu à peu, et il en repousse d’autres vers l’âge de sept ans. Mais il est tel individu à qui il vient des dents molaires à vingt, à trente, et même à quarante ans ; il faudroit tourner ses observations de ce côté, afin de savoir plus précisément comment poussent ces dents tardives[39]. L’histoire fait mention d’une certaine comtesse de Desmond qui vécut cent quarante ans, et dont le dentier se renouvela deux ou trois fois.

756. Rien n’est plus nuisible aux dents que de les teindre et de les frotter avec des substances mercurielles, ou de manger beaucoup de sucreries, ou enfin de prendre des alimens très chauds ou très froids ; les rhumes, les catarres et les fluxions ne leur nuisent pas moins.

767. Les recherches à faire relativement aux dents, ont principalement pour objet la découverte des différens moyens qu’on pourroit employer ; 1°. pour les conserver ; 2°. pour les nettoyer et entretenir leur blancheur ; 3°. pour les tirer de leurs alvéoles, en faisant souffrir le moins qu’il est possible ; 4°. pour faire cesser ou diminuer du moins la douleur qu’on y éprouve quelquefois ; 5°. pour loger et fixer des dents artificielles à la place de celles qu’on a perdues ; 6°. enfin, pour les faire repousser à mesure que l’âge les fait tomber ; ce qui est le point le plus essentiel, et le principal objet de cet article. Ainsi, il faut tourner son attention vers celles qui repoussent naturellement afin de savoir au juste le comment, le mode de cette pousse. Par la même raison, il faut faire d’antres observations pour savoir comment les cornes de certains animaux se renouvellent ; car jusqu’ici, du moins à notre connoissance, on n’a pas encore fait assez de recherches sur le mode et les causes de ce renouvellement, pour se mettre en état de le provoquer à volonté. Ainsi, il serait nécessaire de tenter quelques expériences pour découvrir s’il ne seroit pas possible de faire pousser des cornes aux animaux qui n’en ont point, et par quels moyens on pourroit parvenir à ce but : en second lieu, comment il faudroit traiter les animaux qui ont naturellement des cornes, tels que le taureau, la vache, le daim, etc. pour qu’ils en eussent de beaucoup plus grandes : en troisième lieu, ce qu’il faudroit faire pour que celles du daim, qui, à mesure que cet animal vieillit, se resserrent et deviennent plus aiguës, redevinssent plus amples et plus branchues, comme dans les jeunes daims. À l’aide de ces expériences et d’autres semblables, on sauroit s’il est possible de provoquer la formation de cette substance dure dont les cornes ou les dents sont composées, et de la déterminer vers les parties d’où elles naissent ordinairement. Dans les mêmes vues on pourroit faire d’autres expériences et d’autres observations, afin de savoir comment il faudroit traiter les oiseaux tout jeunes, pour que leur bec devint et plus gros et plus long qu’il ne l’est ordinairement ; ou pour augmenter la grosseur et la longueur de leurs serres, de leurs ergots, de leurs éperons, etc. Enfin, il faudroit tâcher de composer un gargarisme, une eau ; en un mot, une substance de telle nature que les enfans auxquels on l’administreroit, eussent les dents plus belles et plus fortes : la substance qu’on emploie ordinairement dans cette vue, est le corail.

Observations relatives à la génération des animaux, et au temps de leur séjour dans la matrice.

758. Parmi les différentes espèces d’animaux, il en est, comme le daim, le mouton (le bélier et la brebis), le lapin sauvage, etc. (ainsi que la plupart des oiseaux et des poissons), qui n’engendrent que dans certaines saisons ; et d’autres, telles que l’homme et tous les animaux domestiques, comme chevaux, porcs, chiens, chats, etc. qui engendrent en tout temps. La cause qui met ceux de cette dernière classe en état d’engendrer en toute saison, n’est autre que la surabondance et la plénitude qui est le vrai principe de toute génération. Or, cette plénitude peut avoir deux causes : l’une est la nature même de l’animal, s’il est de complexion chaude et humide, ou sanguine ; l’autre est l’abondance de la nourriture. Quant à la première cause, l’homme, le cheval, le chien, etc. qui peuvent engendrer en tout temps, sont aussi des animaux de complexion très chaude et très humide. Le pigeon, qui, de tous les oiseaux, est le plus chaud et le plus humide, couve fréquemment ; et le pigeon domestique, presque sans interruption. Le daim est un animal froid et mélancolique, comme le prouvent son extrême timidité et le peu de consistance de sa chair. Le mouton est un animal fort doux, et qui boit fort peu, ce qui indique aussi une complexion froide. La substance de la plupart des oiseaux est beaucoup plus sèche que celle des animaux terrestres. Les poissons, en général, sont aussi d’une nature froide. Quant à la seconde cause, savoir, l’abondance de la nourriture ; l’homme, la vache, le porc et le chien mangent beaucoup[40]. Et nous voyons que certains animaux, qui, étant sauvages, engendroient rarement, deviennent plus féconds en devenant domestiques ; parce que, dans le dernier cas, ils sont tenus plus chaudement et mieux nourris. Quant aux daims, on sait que le temps de leur rut est le mois de septembre, époque où ayant été abondamment nourris durant tout l’été, ils sont dans cet état de plénitude auquel tient la faculté d’engendrer. Lorsque les pluies tombent de bonne heure ; par exemple, un peu avant la mi-septembre, le rut de ces animaux est avancé d’autant ; et par la même raison, la sécheresse le retarde un peu. Le bélier et la brebis, à raison de leur peu de chaleur, s’accouplent aussi vers le même temps, ou peu auparavant. Mais la plupart des animaux, soit terrestres, soit aquatiques, dont la génération est périodique et bornée à certaines saisons, s’accouplent au printemps ; la chaleur douce et graduellement croissante, qui règne alors et qui ranime puissamment leurs esprits, augmentant leur force et les excitant à la génération. Il est encore une autre cause en vertu de laquelle la plupart des animaux n’engendrent que dans cette saison ; savoir : le rapport du temps de la gestation[41] au temps de l’accouplement. Car, aucun animal ne recherche l’accouplement tant que sa femelle est pleine, ou qu’elle est occupée, soit à couver, soit à nourrir ses petits : et l’on s’est assuré par des expériences multipliées, que si l’on ôte à des oiseaux, soit leurs œufs, soit leurs poussins, ou à des animaux terrestres, leurs petits, ils s’accouplent de nouveau ; expérience qu’on peut réitérer trois ou quatre fois de suite, et toujours avec le même succès.

759. Dans les différentes espèces d’animaux, le temps de la gestation est plus ou moins long : il est de neuf mois pour notre espèce ; de six mois pour la vache et la brebis ; de neuf pour les daims ; de onze pour les cavales ; de neuf semaines pour les chennes. Ce temps, pour la femolle de l’éléphant, est, dit-on, de deux ans ; car on doit regarder comme fabuleuse cette tradition qui le porte jusqu’à dix années. Quant aux oiseaux, il est, par rapport à leur génération, deux espèces de temps à considérer ; savoir : 1°. celui qui s’écoule entre l’accouplement et la ponte ; 2°. celui qui s’écoule entre le moment de la ponte et l’époque où les petits doivent éclore. Le temps de la couvée, pour les oiseaux, varie beaucoup moins que celui de la gestation pour les animaux terrestres. La poule couve pendant trois semaines ; la dinde, l’oie et la canne, pendant un mois. Il faut, par des observations plus exactes et plus variées, déterminer aussi le temps de la couvée des autres espèces d’oiseaux. Cette grande diversité qu’on observe entre les différentes espèces d’animaux terrestres, par rapport au temps de la gestation, peut être attribuée à deux causes, dont l’une est la nature même de chaque espèce ; et l’autre, la constitution de la matrice. Quant à la première, le temps de la gestation, ou du séjour du fœtus dans la matrice, est proportionné à la durée de l’accroissement total hors de la matrice. C’est ce qu’on observe principalement dans l’homme. De même dans l’espèce de l’éléphant, qui n’acquiert qu’en un grand nombre d’années la taille qui lui est propre, le temps de la gestation est aussi fort long. Mais, dans la plupart des autres espèces, la seconde cause, savoir, la constitution de la matrice, je veux dire, son degré de sécheresse et de dureté, concourt avec la première cause. Le poulain, par exemple, a besoin de quatre années pour prendre tout son accroissement : il en est de même du faon et du veau ; au lieu que, dans l’espèce du chien, où l’accroissement ne dure que neuf ou dix mois, le temps de la gestation n’est que de neuf semaines. Quant aux oiseaux, comme on observe entre les espèces de cette classe, moins de différence et d’inégalité, par rapport au temps de l’accroissement, on y en observe aussi beaucoup moins, par rapport au temps de la couvée et de la formation du fœtus dans l’œuf ; la plupart prenant tout leur accroissement dans l’espace d’une année.

760. Dans certaines espèces, les femelles ont plusieurs petits, d’une seule portée ; et de ce genre sont la chienne, la hase, la lapine, etc. D’autres, telles que la femme, la lionne, etc. n’en ont ordinairement qu’un seul à la fois ; ce qui peut dépendre de la quantité de la semence nécessaire pour former un individu de chaque espèce : s’il en faut peu, la femelle pourra avoir un grand nombre de petits ; mais, s’il en faut beaucoup, elle n’aura qu’un seul petit à la fois, ou tout au plus deux, et quelquefois trois. Cette différence peut dépendre aussi du nombre des divisions ou des poches de la matrice, entre lesquelles la semence, au moment de l’accouplement, peut se partager, en formant comme autant de ruisseaux différens.

Observation relative aux espèces visibles (aux images visuelles).

761. L’observation prouve assez que la réfraction peut augmenter l’intensité de la lumière, et amplifier les images colorées. Car, de même que l’image d’une pièce de monnoie plongée dans l’eau, y paroît beaucoup plus grande que dans l’air, celle de la lumière d’une chandelle renfermée dans une lanterne et plongée dans ce fluide (avec les précautions nécessaires), paroît aussi fort amplifiée. J’ai ouï parler d’une expérience qui consistoit à renfermer des vers-luisans dans des fioles, et à les plonger dans l’eau, pour attirer les poissons. Je n’ai pas encore rassemblé assez d’observations de ce genre, pour pouvoir décider si, lorsqu’une personne étant plongée dans l’eau et nageant sur le dos, regarde des objets placés dans l’air, ils lui paroissent amplifiés ou diminués. Car, lorsque l’objet est plongé dans le milieu le plus dense, l’œil étant placé dans le milieu le plus rare, il paroît toujours amplifié, comme on s’en est assuré par une infinité d’expériences : mais l’objet placé dans le milieu le plus rare, paroît-il plus grand ou plus petit à l’œil placé dans le milieu le plus dense ? C’est ce qu’il faudroit savoir, et ce que j’ignore.

762. Il faudroit faire aussi de nouvelles expériences pour savoir si des rayons réfléchis seroient susceptibles de réfraction comme les rayons directs. Par exemple, prenez une pièce d’argent, mettez-la dans une cuvette vide, éloignez-vous jusqu’à ce que vous cessiez d’apercevoir la pièce, votre œil se trouvant un peu au-dessous de la ligne droite qui part de cette pièce, et qui rase le bord du vaisseau ; puis remplissez d’eau la cuvette (et remettez-vous au point où vous aviez cessé de la voir), alors vous la verrez, mais elle vous paroîtra dans un lieu différent de celui où vous l’aviez vue d’abord, ce qui sera l’effet de la réfraction[42]. Actuellement, pour revenir à l’expérience que nous avons principalement en vue, mettez un miroir dans cette cuvette ; je suppose qu’alors les rayons réfléchis par lesquels vous verrez la pièce, se seront réfractés, comme les rayons directs par lesquels vous l’avez vue dans le second cas de l’expérience précédente[43], et que les rayons réfléchis par lesquels vous la verrez, n’auront pas fait l’angle de réflexion précisément égal à celui d’incidence. Cette expérience pourroit être poussée encore plus loin, et faite de manière qu’on pût voir l’image de l’objet, sans voir le miroir ; car, comme alors cette image seroit, pour ainsi dire, en l’air, elle auroit l’apparence d’un esprit. Par exemple, après avoir mis un tableau représentant le diable, ou tout autre objet semblable, fort près de la surface de l’eau d’une citerne, d’un vivier, ou d’un bassin, la figure étant tournée vers cette surface, mettez une glace dans l’eau, et placez le spectateur de manière qu’il ne puisse voir ni l’eau, ni le tableau (par des rayons directs), alors il s’imaginera voir le diable en personne[44]. Suivant une vieille tradition qui a cours, même de nos jours, parmi les habitans d’Oxford, on croit que, dans cette ville, le moine Roger Bacon s’élança d’un clocher à un autre, en traversant les airs. Les gens éclairés pensent que ce religieux se contenta de faire illusion à l’aide de certaines glaces dans lesquelles son image paroissoit traverser les airs, quoiqu’il marchât réellement sur la terre.

Observation sur l’impulsion et la percussion.

763. Lorsqu’un corps grave est déjà en mouvement, il est plus facile de lui donner une seconde impulsion, qu’il ne l’avoit été de lui donner la première lorsqu’il étoit encore en repos. Cette différence peut être attribuée à deux causes. 1°. L’effet de ce mouvement, déjà imprimé, est de secouer, en quelque manière, l’inertie des corps solides, qui, outre cette pesanteur, en vertu de laquelle ils tendent tous vers le centre des graves, ont de plus une tendance naturelle au repos. En second lieu, lorsqu’un corps est en repos, celui sur lequel il est appuyé, lui résiste ; cette résistance fait qu’il éprouve dans toutes ses parties une compression beaucoup plus grande que celle qu’il éprouveroit naturellement ; et comme alors il faut une certaine force pour vaincre cette résistance, il en faut par conséquent davantage pour le mettre en mouvement[45] ; car, si ce corps grave étoit suspendu à un fil, ou à une corde, il seroit aussi facile de lui donner l’impulsion, que s’il étoit déjà en mouvement.

764. On ne peut lancer aussi loin un corps très grand ou très petit, qu’un corps de grandeur moyenne. Ainsi, il paroît que, pour pouvoir mettre en mouvement un corps quelconque, il faut employer une force qui soit dans une certaine proportion avec sa masse ; ce qui peut s’expliquer ainsi : l’impulsion ne peut avoir lieu qu’on vertu de deux caudes réunies ; savoir : la force du corps mouvant, et la résistance du corps à mouvoir : or, si le dernier est d’une grandeur excessive, il résiste trop ; et s’il est excessivement petit, il résiste trop peu[46].

765. L’expérience journalière prouve qu’un corps d’un poids quelconque, mais simplement posé sur un autre corps, n’a jamais autant de force pour le rompre, le briser, le diviser, le presser, que si, ayant placé le corps supérieur à une certaine distance du corps inférieur, on se sert du premier pour frapper le dernier, soit en le poussant avec la main, soit en le laissant tomber dessus. Il se peut que, dans ce dernier cas, l’air même contribue, jusqu’à un certain point, à augmenter la force du coup. Mais la principale cause de cette différence nous paroît être que les parties de ce corps avec lequel on frappe le corps inférieur, ou qu’on laisse tomber dessus, ne sont pas seulement pressées de haut en bas, mais qu’elles exercent aussi les unes sur les autres une pression réciproque, à peu près comme elles le feroient si le corps formé de leur assemblage étoit lancé à travers l’air et dans toute autre direction. On conçoit aussi que, dans le cas où le corps supérieur tombe sur le corps inférieur et le frappe, le premier prévient la résistance du dernier ; or, la priorité d’action a toujours de puissans effets, com- me on peut le prouver par une infinité d’exemples[47].

Observation relative au chatouillement.

766. Il est, dans le corps humain, des parties plus sensibles que toutes les autres au chatouillement ; telles sont la plante des pieds, les aisselles et les flancs. La cause de l’extrême susceptibilité de ces parties est d’abord le peu d’épaisseur de la peau dont elles sont revêtues, sans compter que ces parties sont celles qui touchent et sont touchées le plus rarement. Car l’effet du chatouillement dépend d’un très léger mouvement dans les esprits ; mouvement que le peu d’épaisseur de la peau, ainsi que des attouchemens rares, subits et intermittens, doivent rendre plus faciles à provoquer. En effet, nous voyons que l’extrémité d’une plume, d’une paille, etc. passée très légèrement sur les lèvres ou sur les joues, y excite un chatouillement auquel on a peine à résister ; effet qu’on ne pourroit produire, soit en touchant les mêmes parties avec un corps plus gros, plus roide ou plus obtus, soit en les touchant plus rudement. Quant à l’effet de la surprise occasionnée par un contact subit et intermittent, personne n’ignore qu’on ne peut, en se touchant comme nous le disions, se chatouiller soi-même[48]. On sait aussi que la paume de la main, quoique revêtue d’une peau aussi mince[49] que celle des parties dont nous parlions plus haut, est cependant beaucoup moins chatouilleuse ; parce que, touchant et étant touchée continuellement, elle est très accoutumée à des contacts quelconques. Un autre effet du chatouillement est d’exciter le rire ; ce qu’on doit attribuer à l’émission subite des esprits, suivie de celle de l’air des poumons ; double cause qui est elle-même l’effet d’une tendance naturelle à éviter ce chatouillement et le corps qui l’excite ; car, lorsqu’on chatouille une partie, elle fait un mouvement rétrograde et subit, comme pour s’échapper ; et en se chatouillant l’intérieur des narines avec l’extrémité d’une plume ou d’un brin de paille, on se fait éternuer ; mouvement convulsif qui est l’effet d’une subite émission des esprits ; d’où s’ensuit l’expulsion de l’humor de cette partie. Au reste, le chatouillement est ordinairement accompagné d’une sensation assez désagréable, et qu’on a peine à supporter long-temps.

Observation relative à la rareté des pluies en Égypte.

767. Il est assez étonnant que, dans le temps même où les eaux du Nil se répandant sur les terres de la basse Égypte, y causent une vaste inondation, il ne pleuve point ou presque point dans cette contrée ; ce qu’on peut attribuer ou à la nature de l’eau, ou à celle de l’air, ou enfin au concours de ces deux causes. Quant à la première cause, cette rareté des pluies peut être l’effet du grand espace que parcourent les eaux de ce fleuve, et de la rapidité de son cours ; car une eau coulante s’évapore moins vite qu’une eau stagnante[50], ou encore de la concoction de cette eau ; car une eau qui a subi une concoction plus parfaite, est aussi moins évaporable qu’une eau crue ; comme une eau qu’on tient longtemps sur le feu, s’évapore moins vite en continuant à bouillir, qu’au moment où l’ébullition a commencé. Il est également certain que l’eau du Nil a une saveur beaucoup plus douce que celle des autres fleuves, et qu’elle est un puissant remède pour la gravelle, la mélancolie, l’affection hypocondriaque, etc. ce qui prouve sa qualité adoucissante (son édulcoration). De plus, comme ce fleuve traverse de vastes plaines, et sous un climat fort chaud, ses eaux n’étant ombragées ni par des arbres, ni par des montagnes, le soleil qui agit dessus avec beaucoup de force, peut ainsi leur enlever toutes leurs crudités. Quant à la nature de l’air, que je regarde comme la principale cause de cette rareté des pluies dans la basse Égypte, je conçois que l’air de cette contrée, fort rare et fort sec, ayant une sorte de soif, absorbe avec tant d’avidité l’humor aqueux, que cet humor se répand et se distribue en parties très fines et très déliées dans tout le corps de l’atmosphère, où il est complètement dissous ; ce qui ne lui permet plus de demeurer sous la forme de vapeurs sensibles, ni de se ramasser en gouttes pour former des pluies.

Expérience relative à la clarification.

768. Nous avons dit, dans l’article qui traite de la clarification, sur-tout de celle que nous qualifions d’interne, que le blanc d’œuf et le lait ont la propriété de clarifier certaines liqueurs. Des auteurs dignes de foi assurent que les Égyptiens, pour clarifier et améliorer l’eau du Nil, la mettent dans de grandes jarres, y jettent une certaine quantité d’amandes pilées, dont ils enduisent aussi l’orifice de ces vaisseaux ; puis l’agitent en lui imprimant un mouvement circulaire, et n’en font usage qu’après l’avoir laissé suffisamment déposer. On pourroit essayer aussi d’employer ces amandes pilées pour accélérer et compléter la clarification de la bière nouvelle ou du moût de vin.

Observation relative aux plantes qui n’ont jamais de feuilles.

769. Le corail est presque la seule plante qui ait des branches sans avoir de feuilles ; cependant on trouve dans les déserts de Saint-Macaire, en Égypte, une plante assez haute et de couleur brune, qui a, comme le corail, des branches dépourvues de feuilles ; avec cette différence toutefois, que les siennes se réunissent à leur extrémité supérieure. Retirée dans l’intérieur d’une maison, et mise dans l’eau, elle s’y déploie et s’y développe d’une manière étonnante ; développement qui a fait imaginer aux superstitieux habitans des contrées voisines, que cette plante est fort utile aux femmes en travail d’enfant, et pour faciliter leur délivrance.

Observation relative à la matière du verre.

770. Le verre ou le crystal de Venise est composé de parties égales d’une sorte de pierre tirée de Pavie par la voie du Tésin, et des cendres d’une plante appelée kali en arabe[51], qui croît dans le désert situé entre Alexandrie et Rosette. Les Égyptiens l’emploient d’abord pour le chauffage : ensuite ils en compriment les cendres dont ils forment ainsi des masses presque aussi dures que des pierres ; et ils les vendent en cet état aux Vénitiens, qui les combinent avec d’autres matières vitrifiables.

Expériences et observations relatives aux moyens de prévenir ou de retarder la putréfaction, et principalement celle des cadavres humains.

771. Un sujet qui mérite de fixer l’attention de tout observateur, c’est l’art de préserver de la corruption les cadavres humains, et de conserver, non-seulement leur substance, mais même leurs proportions, leurs principaux contours et linéamens ; art que les Égyptiens possédoient au plus haut degré, comme on en peut juger par leurs momies, dont quelques-unes, dit-on, se sont conservées jusqu’à 3 000 ans. Il est vrai qu’ils avoient trouvé le moyen d’en tirer la cervelle et les entrailles, les parties les plus corruptibles. Cependant, de tels procédés ne mériteroient pas d’exciter notre admiration, et n’auroient pas suffi pour conserver ces corps si long-temps ; car on sait combien la chair qui restoit, est une substance molle et putrescible. Mais, conformément à l’observation et au principe exposés au n°. 100, il paroît que la putréfaction, que nous regardons comme un période naturel aux corps de cette espèce, et comme un genre d’altération inévitable, n’est au fond qu’un phénomène purement accidentel, et qu’en général la matière ne tend pas à la corruption avec autant de force et de promptitude qu’on le croit communément. D’où l’on peut conclure que les corps mis dans l’ambre jaune, dans le mercure, dans les baumes (dont nous parlerons plus bas), dans la cire, dans le miel, dans des gommes, et peut-être aussi dans des glacières, se conserveroient fort long-temps : et nous pouvons, sans craindre de nous répéter, résumer ici les observations que nous avons faites dans le n°. cité, par rapport à l’anéantissement ; savoir : que, si l’on pouvoir découvrir des moyens suffisans pour empêcher l’action des trois principales causes de la putréfaction, les corps auxquels on appliqueroit ces moyens, ne seroient plus sujets à se corrompre. Ainsi, la première précaution à prendre est de garantir le corps à conserver, du contact de l’air ; fluide qui mine, pour ainsi dire, peu à peu tous les corps exposés à son action, et qui, avec les esprits qu’ils renferment, concourt à leur dissolution. En second lieu, il faut éloigner avec soin du corps à conserver, toute substance avec laquelle il a de l’affinité, et ne le mettre en contact qu’avec des corps d’une nature tout-à-fait différente. Car il est clair que, si ces corps environnans et contigus ne pouvoient rien recevoir du corps en question, celui-ci ne pourroit rien perdre, et qu’en conséquence il se conserveroit en entier ; objet qui seroit rempli, si l’on mettoit, par exemple, dans l’ambre gris ou dans le mercure, des plantes herbacées, des mouches et autres corps semblables. La troisième attention est de ne choisir pour ces expériences, que des corps qui n’aient pas assez de volume pour se corrompre spontanément ; car, si ces corps étoient très volumineux et sur-tout très épais, la putréfaction pourroit avoir lieu dans leur intérieur ; en supposant même qu’aucune partie de leur substance ne s’exhaleroit et ne passeroit dans les corps adjacens. Ainsi, ils ne sauroient avoir trop peu d’épaisseurs fussent-ils aussi minces que des feuilles. Il est un quatrième genre de préservatif qui devient absolument nécessaire, lorsqu’il s’agit de conserver un corps auquel on doit laisser tout son volume naturel ; par exemple, d’un cadavre ; il faut, dis-je, que la substance qui doit envelopper le corps à conserver, soit éminemment dessiccative, et ait la propriété d’en tirer tout l’humor surabondant ; autrement les causes de putréfaction agiront dans son intérieur, même en supposant qu’on puisse prévenir toute espèce d’émanation et d’émission. Tite-Live rapporte, qu’environ quatre cents ans après la fondation de Rome, on troura[52] dans un monument deux coffres de plomb, dont l’un renfermoit le corps du roi Numa, et l’autre, des livres qui trạitoient des rites sacrés et de la discipline des pontifes. Dans celui qui renfermoit le corps, on ne trouva autre chose qu’un peu de cendres fort légères aux extrémités. Quant aux livres que renfermoit l’autre coffre, ils s’étoient parfaitement conservés ; et l’écriture en étoit encore si nette, qu’on eût dit qu’ils venoient d’être écrits : ils étoient de parchemin, et couverts de trois ou quatre rangs de ces espèces de bougies ou de cierges dont on faisoit usage pour les veilles sacrées, et qui leur servoient comme d’enveloppe : ce qui semble prouver que les Romains, à l’époque de la mort de Numa, n’avoient pas fait autant de progrès que les Égyptiens, dans l’art d’embaumer les cadavres et de les conserver ; puisque celui-ci étoit déjà totalement consumé. Mais, au rapport de Plutarque et de quelques autres historiens, César Auguste ayant eu la curiosité de faire ouvrir le tombeau d’Alexandre-le-Grand, et de voir le corps, trouva qu’il s’étoit parfaitement conservé, et qu’on y distinguoit encore tous les contours et même les traits du visage. Cependant, malgré toutes les précautions qu’on avoit prises pour l’embaumer, et le choix du baume, sans doute excellent, qu’on avoit employé dans les mêmes vues ; ce corps avoit si peu de consistance, qu’Auguste s’étant avisé de toucher au nez, confondit tous les traits et le défigura totalement. Ce fait ne rend que plus étonnant ce qu’on rapporte touchant les momies d’Égypte, qui sont, à ce qu’on prétend, presque aussi dures que la pierre[53] ; car, je ne vois entre leur manière d’embaumer les corps, et celle des autres nations, qu’une seule différence, qui, à la vérité, ne laisse pas d’être importante ; savoir : qu’ils les enveloppoient d’un linceul gommé qui faisoit plusieurs tours, et qui, se moulant exactement sur le corps, en conservoit ainsi toutes les proportions, tous les contours et tous les linéamens ; moyen que, selon toute apparence, on n’avoit pas employé pour le corps d’Alexandre[54].

Observation sur la grande quantité de nitre qu’on trouve sur certains rivages.

772. Dans un canton de la Palestine, appelé autrefois l’Idumée, près du fort de Caty et des puits d’Assan, il semble aux voyageurs, et durant plusieurs journées, que la mer soit toute proche, quoiqu’ils en soient à une assez grande distance. La véritable cause de cette apparente proximité, n’est autre que le nitre qui brille parmi les sables, et qu’on trouve en grande quantité sur ces rivages.

Observation relative à certaines eaux sur lesquelles flottent des corps très pesans.

773. Les eaux de la mer morte, d’où sort, comme l’on sait, une grande quantité de bitume, sont si denses et si épaisses que, si l’on y jette des animaux, après leur avoir lié tous les membres, ils surnagent. Ce fait semble prouver que, si certains corps vont au fond de l’eau, la véritable cause de leur immersion n’est autre que l’excès de leur pesanteur spécifique sur celle de ce fluide. D’où il semble qu’on puisse conclure qu’il ne seroit pas impossible de composer, à l’aide du mercure ou de tout autre liquide d’une grande pesanteur spécifique, une eau assez dense et assez pesante pour que le fer même y surnageât ; expérience qui, à la vérité, ne seroit pas d’une fort grande utilité, et qui pourroit tout au plus servir à faire illusion. Au reste, c’est par une cause de cette nature que tous les métaux, excepté l’or, flottent sur le mercure.

Observations sur les matières combustibles qui ne se consument point ou presque point.

774. On prétend qu’au pied d’une colline peu éloignée de la mer morte, on trouve une pierre noire que les hermites de ce canton emploient pour le chauffage, qui brûle à peu près comme le charbon de terre et qui ne souffre aucun déchet, mais qui change seulement de couleur, et devient d’un blanc éclatant. Ce fait toutefois doit paroître d’autant moins étonnant, qu’un fer chauffé jusqu’à l’incandescence, et qui est tout aussi ardent, ne se consume point. Mais que cette autre substance dont nous parlons puisse demeurer long-temps dans cet état, c’est ce dont on a lieu en effet d’être étonné. Car le fer, lorsqu’on le tire du feu, s’éteint aussi-tôt. Quoi qu’il en soit, ce seroit une découverte très utile et vraiment économique, que celle d’une matière à brûler qui donneroit un bon feu, et qui, néanmoins, dureroit plus que toutes les autres. Il ne me paroit pas non plus tout-à-fait impossible qu’il y ait, comme on le prétend, des chandelles faites avec de la laine de salamandre (sorte de minéral), qui ont aussi la propriété de blanchir seulement en brûlant, mais sans se consumer[55]. Voici à quoi se réduit l’état précis de la question : cette substance, qui peut procurer une flamme et, en général, un feu de très longue durée, est et doit être un corps tangible et pesant. Mais il se pourroit aussi que cette flamme, dans le corps qui brûle, fût nourrie par des esprits ou une vapeur, c’est-à-dire, par un fluide sans pesanteur, et analogue à la matière du feu follet[56]. Mais une vapeur si foible, m’objecterez-vous, et la flamme qu’elle nourriroit, ne se roient pas de longue durée. Sans doute, pourrois-je répondre ; mais ne pourroit- on pas nourrir cette flamme et la faire durer, par le moyen de l’huile, de la cire, du suif, etc. et sans que la mèche se consumat[57] ?

Observations relatives aux moyens de diminuer la dépense du chauffage.

775. Le charbon de terre dure plus que le charbon de bois ; et le charbon fait avec des racines coupées par gros morceaux, dure plus que le charbon de bois ordinaire. La tourbe, les mottes et la bouze desséchée, sont des matières à vil prix, qui donnent un feu assez fort et de longue durée. Le menu charbon, je veux dire le charbon fait avec de petites branches d’arbres, ou avec des tiges d’arbrisseaux épineux, et mêlé avec le gros charbon de bois, le fait durer davantage. Les glaïeuls bien secs donnent un feu clair et peu dispendieux ; les brasseurs et les boulangers l’emploient probablement, parce qu’il seroit difficile d’en tirer un autre genre d’utilité. Il faudroit essayer de mêler avec le charbon de terre quelque autre matière, comme terre, craie, etc. Un tel mélange, si on le faisoit furtivement, comme les charbonniers, et pour augmenter le poids apparent du charbon, seroit sans doute une supercherie punissable ; mais, si on le faisoit ouvertement et pour son propre usage, ou seulement pour s’instruire sur ce point, alors ce seroit une opération aussi permise qu’utile, et de plus, un moyen vraiment économique.

Observations sur les moyens de resserrer l’air, et de le mettre en mouvement pour se rafraîchir.

776. Les habitans de Gaza sont encore dans l’usage de mettre dans les murs de leurs maisons des pots et autres vaisseaux de terre, pour tirer l’air du haut de l’édifice, et l’amener ensuite, à l’aide de certains tuyaux, dans les appartemens du bas ; moyen sans doute assez ingénieux pour renouveler et rafraîchir l’air durant les grandes chaleurs. On dit aussi qu’en Italie et en Espagne, on a des appartemens pour prendre le frais ; avantage qu’on se procure à l’aide d’un air en mouvement, et d’une espèce de vent léger qu’on sait y exciter[58]. Mais on peut conjecturer qu’ils parviennent à ce but, en faisant d’abord passer l’air par un canal étroit, qui va ensuite en s’élargissant, et se termine par un évasement (ce qui en occasionnant dans ce fluide des espèces de réflexions multipliées, lui imprime un mouvement circulaire), plutôt qu’à l’aide de ces tuyaux pratiqués dans les murs, et dont nous parlions plus haut[59].

Observations sur les moyens de juger de la salubrité ou de l’insalubrité de l’air.

777. On ne sauroit trop multiplier les observations et les expériences, pour se mettre en état de faire un choix judicieux de substances, et, en général, de moyens à l’aide desquels on pût, pour ainsi dire, tâter l’air, et savoir s’il est salubre ou insalubre dans telle saison, dans tel édifice, dans tel lieu, etc. L’expérience prouve que les confitures et les pâtisseries se moisissent et se gâtent plus vite dans certaines maisons, que dans d’autres. Je suis également persuadé qu’un morceau de viande ou de poisson crud se corromproit plus vite dans telle masse d’air, que dans telle autre. Rien ne seroit plus utile qu’un cours d’expériences et d’observations dont on pourroit tirer des règles certaines et précises sur ce point. Dirigé par de telles règles, on formeroit des pronostics beaucoup plus sûrs, relativement aux saisons et à la température en général, qu’à l’aide de toutes ces figures que tracent les astronomes, sans compter l’avantage de pouvoir choisir pour son domicile les édifices et les lieux les plus salubres.

Observation sur les moyens d’augmenter le lait dans les animaux qui en donnent.

778. On trouve, près de Bethléem, une sorte de pierre qui, réduite en poudre et jetée dans l’eau dont s’abreuvent les bestiaux, augmente la quantité de leur lait. Une expérience qui seroit encore plus utile, ce seroit de jeter quelque substance composée, dans l’eau des abreuvoirs destinés aux animaux de cette classe, pour les mettre en état de donner plus de lait, pour les engraisser, ou pour les préserver des maladies épizootiques ou contagieuses. Peut-être le nitre et la craie, mêlés ensemble, et tempérés l’un par l’autre, rempliroient-ils cet objet.

Observation sur certains sables qui ont de l’affinité avec le verre.

779. On prétend que, dans une vallée située au pied du Mont-Carmel (en Palestine), on trouve un sable qui paroît avoir la plus grande affinité avec le verre ; affinité si grande qu’il convertit en une substance vitreuse les substances minérales qu’on y tient plongées ; ou que réciproquement il convertit des morceaux de verre en ce sable primitif qui en est comme la matrice : double conversion fort étrange, pour peu qu’elle ait quelque réalité. On peut, avec assez de probabilité, l’attribuer à quelques fourneaux naturels, renfermés dans le sein de la terre, et, en général, à la grande chaleur qui règne dans les terres situées au- dessous. Ces auteurs, toutefois, ne font mention d’aucune éruption de flammes qui ait eu lieu dans la vallée en question. Cette observation pourroit être appliquée aux opérations des verreries. Il faudroit, par exemple, mêler avec les matières vitrescibles, mais non encore vitrifiées, du verre déjà fait et remis en fusion. Il se pourroit, qu’à l’aide de cette combinaison, la vitrification devînt plus facile et exigeât une chaleur moins forte[60].

Observation relative à la formation et à l’accroissement du corail.

780. Dans la mer de Sicile, et au

sud de cette île, on trouve une grande quantité de corail. Cette plante ne croît que sous l’eau ; elle est totalement dépourvue de feuilles : elle ne pousse des branches qu’autant qu’elle reste dans l’eau ; tant qu’elle y est plongée, elle est molle et de couleur verte ; mais exposée à l’air, elle acquiert cette dureté et ce beau rouge qu’on lui connoît. On dit aussi que le corail porte une espèce de petit fruit, ou de baie, de couleur blanche, mais que nous n’y voyons jamais lorsqu’on nous l’apporte, et que ceux qui le pêchent rejettent peut-être comme ne pouvant être d’aucun usage. C’est, toutefois, une particularité qu’il faudroit tâcher d’observer par soi-même, afin de mieux approfondir la nature de cette plante.

Observations relatives à la récolte de la manne.

781. La meilleure manne est celle qu’on tire de la Calabre ; c’est aussi la contrée qui en fournit le plus. On la trouve ordinairement sur les feuilles du mûrier ; jamais, toutefois, sur celles des mûriers qui croissent dans les vallées. Cette substance tombe et se dépose sur ces feuilles, durant la nuit, comme toute autre espèce de rosée. Il paroît que la rosée de cette espèce se dissipe et se perd dans le corps de l’atmosphère, avant de pouvoir parvenir jusqu’aux arbres des vallées. On peut conjecturer aussi que, la feuille du mûrier est la seule qui ait la propriété de coaguler, en quelque manière, cette rosée, et de la rendre plus épaisse ; car, on ne trouve point de manne sur d’autres arbres ; la finesse et le moelleux des fils du ver à soie, qui se nourrit de ces feuilles, prouvent assez qu’elles contiennent des sucs délicats et homogènes. Ajoutez que ces feuilles, sur-tout celles du mûrier noir, sont un peu velues et hérissées de petites aspérités : ce qui peut contribuer à conserver et à fixer cette rosée. Il seroit également utile de faire des observations plus exactes et plus multipliées, relativement aux rosées qui tombent sur les arbres ou les plantes herbacées des montagnes ; car il se peut que beaucoup de rosées de cette espèce se dissipent et se perdent avant de parvenir jusqu’aux vallées ; et s’il est vrai que la rosée de mai puisse être, en médecine, d’un meilleur usage que toute autre, je présume que c’est sur les montagnes qu’il faut la recueillir.

Expériences relatives aux moyens de corriger le vin.

782. Certaines relations nous apprennent que, pour rendre les vins de Grèce moins fumeux et moins capiteux, il suffit d’y mettre un peu de soufre ou d’ alun[61] ; substances dont l’une est onctueuse, et l’autre astringente. Il n’est plus douteux que ces substances n’aient toutes deux la propriété de retenir la partie volatile de cette liqueur, et de l’empêcher de s’élever. Cette même expérience pourroit être tentée sur d’autres vins, et même sur la bière forte ; je veux dire qu’il faudroit mettre dans ces liqueurs, tandis qu’elles fermentent, ces substances dont nous parlons, ou d’autres semblables, dont l’effet seroit peut-être de les rendre moins fumeuses et moins échauffantes.

Observations sur le feu grégeois et autres feux artificiels.

783. On sait que le feu grégeois ne s’éteignoit point dans l’eau : certains feux d’artifice, connus aujourd’hui sous le nom de feux sauvages, et dont le bitume est la base, ont la même propriété ; faits qu’on explique avec assez de probabilité, en supposant que le bitume n’est qu’une concrétion, composée d’une substance ignée, combinée avec une substance aqueuse ; combinaison qui n’a pas lieu dans le soufre. C’est ce que prouve suffisamment l’exemple de ce lieu situé près de Pouzzoles, et appelé la cour de Vulcain, où l’on entend gronder continuellement un tonnerre souterrein, accompagné d’éruption d’eaux bouillantes ; car on sait d’ailleurs que, dans ce même lieu, se trouve une grande quantité de bitume ; au lieu que l’Etna, le Vésuve, et autres semblables volcans, dont le soufre est la base, ne lancent, dans leurs éruptions, que de la fumée, des cendres, des pierres ponces (des laves), jamais de l’eau. On prétend aussi que le bitume, mêlé avec la chaux, et tenu plongé dans l’eau, s’y convertit à la longue en une substance extrêmement dure, et qui forme une une sorte de rocher artificiel[62].

Observations sur une espèce de ciment qui devient aussi dur que le marbre.

784. Il est une espèce de ciment, composé de farine, de blanc-d’œuf et de chaux pulvérisée, qui, avec le temps, devient aussi dur que le marbre, et dont se trouvent enduites ces thermes fameuses qu’on voit près de Cume. On s’est assuré, par l’expérience, que l’aimant et le caillou pulvérisés et liés ensemble, à l’aide du blanc-d’œuf et de la gomme adragant, deviennent, en peu de jours, aussi durs que la pierre.

Observations sur la facilité ou la difficulté de la guérison de certaines espèces de blessures ou d’ulcères.

785. Quelques anciens ont observé que les blessures aux jambes sont plus difficiles à guérir que les blessures à la tête, et qu’il en est de même des ulcères qui se forment dans ces deux parties. La raison de cette différence est que la cure des maux de la première espèce exige un certain degré de dessiccation, auquel l’affluence des humeurs que leur poids détermine vers les parties inférieures du corps, met naturellement obstacle : au lieu que les maux de la première espèce n’exigent point cette condition ; l’effet de la sécheresse étant au contraire d’empêcher que les parties ne se réunissent et ne se consolident. Cette observation est confirméc par la différence que les chirurgiens modernes ont observée entre les Anglais et les Français, par rapport aux blessures de ces deux espèces. Car, dans la nation anglaise, qui est de complexion plus humide, les blessures à la tête sont les plus difficiles à guérir ; et dans la nation française, dont la complexion est plus sèche, ce sont les blessures à la tête qu’on a le plus de peine à réduire.

Observation sur les causes de la salubrité ou de l’insalubrité des vents de sud.

786. Les anciens ont observé aussi que, dans les années où les vents de sud règnent fort long-temps, sans interruption et sans pluie, les maladies, et sur-tout les fièvres, sont très communes ; mais que ces mêmes vents, accompagnés de pluie, n’ont plus des effets si pernicieux. La raison de cette différence est sensible : les vents de midi, par eux-mêmes, donnent à l’air une disposition fébrile et morbifique ; mais, lorsqu’ils sont accompagnés de pluie, ils deviennent rafraîchissans ; ce qui diminue cette chaleur étouffante qu’ils produisent naturellement, et prévient la pléthore, qui en est l’effet. Aussi cette différence n’a-t-elle pas lieu sur les côtes, où les vapeurs de la mer, sans le secours des pluies, suffisent pour rafraîchir l’atmosphère.

Observation relative aux blessures faites avec certains métaux.

787. Quelques anciens observateurs prétendent aussi que les blessures faites avec l’airain (le cuivre), sont plus faciles à guérir que les blessures faites avec le fer ; différence dont il est d’autant plus facile de rendre raison, que le cuivre étant par lui-même doué d’une vertu curative, guérit en partie la blessure, au moment même où il la fait, et porte, pour ainsi dire, avec lui son remède ; au lieu que le fer, ayant une qualité corrosive, augmente le mal en le faisant[63]. Ainsi, il seroit à souhaiter que les instrumens qu’emploient les chirurgiens pour opérer sur les parties blessées, fussent plutôt de cuivre que de fer.

Observation sur les mortifications de chairs, occasionnées par le froid.

788. Dans les contrées où règne un froid très âpre, lorsque le nez ou les oreilles sont mortifiés et comme gangrenés par le froid, si l’on approche du feu ces parties, elles se putréfient aussi-tôt. La raison de ce phénomène est que le feu tire brusquement à l’extérieur le peu d’esprits restant dans les parties affectées, ce qui achève et rend complète la putréfaction commencée par le froid. Mais la neige, appliquée à propos sur ces parties, peut les sauver ; parce qu’elle détermine les esprits à l’intérieur, et les y retient jusqu’à ce qu’ils puissent se ranimer : à quoi l’on peut ajouter que la neige a un certain degré de chaleur foible et occulte, comme le prétendoit certain moine, en se prévalant de ce passage des saintes écritures.

Rendons hommage à celui qui fait tomber la neige, comme des flocons de neige, et qui répand la gelée semblable à des cendres. D’où ce commentateur ne craignoit pas d’inférer que la neige a, comme la laine, la propriété d’échauffer, et que la gelée a, comme les cendres, celle de corroder. L’eau chaude peut aussi être utile dans le cas dont nous parlions ; parce qu’elle ouvre les pores peu à peu, sans agir trop brusquement sur les esprits. On pourroit tirer de cette expérience des indications pour faciliter la cure des gangrènes, soit spontanées, soit occasionnées par la trop fréquente application des opiates ; genre de traitement où il faut rejeter tout ce qui peut produire une chaleur sèche, et recourir aux substances tout à la fois rafraîchissantes, et douées d’un foible degré de chaleur intime, combiné avec une vertu fomentative.

Observation relative à la pesanteur spécifique de certains corps.

789. Pesez séparément de l’eau forte et du fer ; faites dissoudre ce métal dans cet acide, pesez ensuite cette dissolution, et vous trouverez que son poids sera égal à la somme des poids de ces deux substances prises séparément. Cependant le tout a dû souffrir un grand déchet, résultant de cette vapeur épaisse qui s’est élevée durant tout le temps où l’eau forte a agi sur le fer. D’où il semble qu’on puisse conclure que toute opération, dont l’effet est de dilater un corps et de séparer ses parties, en augmente le poids. Au reste, nous n’avons fait cette expérience qu’une fois ou deux ; et il pourroit s’être glissé quelque erreur dans notre résultat.

Observation relative aux corps qui surnagent.

790. Deux onces d’eau forte ne peuvent dissoudre que deux drachmes de mercure. Faites donc cette dissolution, et essayez d’y faire surnager une petite pierre de la grosseur d’une muscade, vous n’y réussirez pas ; elle ira au fond. Cependant, il est hors de doute que la pesanteur spécifique de cette liqueur étant augmentée par le métal très pesant qu’on y a fait dissoudre, sa faculté de porter doit l’être aussi ; car on sait qu’une eau très chargée de sel peut porter un œuf ; et je me rappelle qu’un médecin m’ayant ordonné, pour la goutte, des bains d’eaux minérales, lorsque j’y entrois, je sentois que mon corps ne s’y plongeoit pas avec autant de facilité que dans l’eau commune. Mais il paroît que l’excès de la pesanteur spécifique du mercure sur celle de la pierre, ne suffit pas pour balancer l’excès de la pesanteur spécifique de cette pierre sur celle de l’eau-forte[64].

Observation sur le mouvement de conversion d’un corps, composé de deux parties, de poids fort inégaux, et lancé horizontalement ou obliquement.

791. Prenez un corps composé de deux parties, dont l’une soit beaucoup plus pesante que l’autre ; par exemple, de bois et de plomb, on de plomb et d’os ; placez en avant sa partie la plus légère, et lancez-le avec une certaine force, dans une direction horizontale ou oblique ; vous le verrez se retourner en l’air jusqu’à ce que sa partie la plus pesante soit placée tout-à-fait devant, à moins qu’il ne soit d’une longueur excessive. La raison de ce mouvement de conversion est qu’en vertu de la première impulsion donnée à ce corps, son extrémité la plus dense et la plus pesante éprouve dans ses parties une plus forte pression ; et telle est en général la véritable cause de tout mouvement violent, cause inconnue jusqu’ici, comme nous l’avons déjà observé. Or, comme cette extrémité postérieure et la plus pesante (qui éprouve dans ses parties une pression beaucoup plus forte, et qu’elle peut moins endurer) se meut, par cela seul, beaucoup plus vite, que l’extrémité antérieure et la plus légère ne peut lui céder sa place, il faut absolument que le corps se retourne ; car, une fois qu’il s’est retourné alors il peut plus aisément tirer en avant la partie la plus légère[65]. Galilée observe avec raison que, si, en transportant un bassin ouvert, et en partie rempli d’eau, on lui imprirne une très grande vitesse, qui ne puisse d’abord se communiquer toute entière à ce fluide, on le verra se porter et s’accumuler vers la partie postérieure de ce bassin, c’est-à-dire, du côté où le mouvement a commencé[66] : exemple que ce physicien allègue pour rendre raison du flux et reflux de l’océan ; car, attribuant sans balancer la révolution diurne au mouvement de rotation de la terre, il suppose de plus que cette planète, tournant d’occident en orient, avec beaucoup trop de vitesse pour que les eaux de l’océan puissent suivre son mouvement, ces eaux qui restent en arrière, se portent ainsi vers la partie opposée : mais, quoique cette explication porte à faux, cependant l’exemple sur lequel il la fonde, n’en est pas moins réel, et remplit fort bien notre objet. Quant à cette inégale pression dans les parties, qui est la principale base de notre raisonnement, elle n’est pas moins sensible dans l’expérience suivante. Prenez un morceau de bois et un morceau de fer, ou une pierre de même grandeur et de même force, lancez-les tous les deux à la fois avec une force égale ; vous verrez bientôt ces deux corps se quitter, et le plus pesant passer devant l’autre.

Expériences et observations tendant à prouver que l’eau peut être le milieu ou le véhicule du son.

792. Il est hors de doute, comme nous l’avons déjà en partie observé, que l’eau peut transmettre les sons ; car si, ayant mis une pierre au fond d’un vaisseau rempli d’eau, vous frappez dessus avec une autre pierre, vous entendrez fort distinctement le son produit par ce choc. Il en est de même d’une longue perche qu’on traîne sur des cailloux au fond de l’eau. On seroit tenté de croire que, dans cette dernière expérience, c’est la perche, et non l’eau, qui transmet le son ; mais ce seroit une erreur ; car, dans un vaisseau, lorsqu’on jette l’ancre attachée à son câble, on entend aussi assez distinctement le bruit qu’elle fait en heurtant le fond quoique ce câble ne soit pas un corps assez solide pour transmettre le son[67].

Observations relatives au mouvement rétrograde et subit des esprits occasionné par les objets déplaisans.

798. Un objet qui blesse quelque sens, produit un mouvement rétrograde et subit dans les esprits, qui alors, abandonnant les parties respectives, y occasionne une sorte de défaillance, d’où résulte ce tremblement, ce tressaillement ou frémissement, et, en général, ce mouvement de trépidation qu’on y éprouve alors. Quant aux sons, le bruit d’une scie qu’on aiguise, ou tout autre son très perçant, agace les dents et fait tressaillir. Les saveurs très déplaisantes excitent des mouvemens analogues ; par exemple, lorsqu’on prend une médecine ou des pilules, on éprouve dans la tête et dans le cou un tressaillement encore plus marqué. Il en est de même des odeurs rebutantes ; mais alors, l’effet est moins sensible, parce qu’on est maître de le prévenir ou de le faire cesser, en se bouchant les narines. Au lieu que, dans les chevaux, qui ne peuvent user d’un tel moyen, il est très marqué ; car l’on sait que l’odeur d’un cadavre, sur-tout celle d’un cheval mort, les met en fuite, et qu’alors ils s’emportent avec une rapidité qui semble tenir de la folie. Il en faut dire autant du tact, lorsqu’on passe tout-à-coup du soleil à l’ombre, on éprouvé une sorte de léger frisson. Et cette observation s’applique également à la vue ; car, quoique les objets qui s’y rapportent, n’aient, par eux-mêmes, et indépendamment de la réflexion, rien de déplaisant, cependant, lorsqu’on passe tout-à-coup d’une lumière fort vive dans les ténèbres, on éprouve aussi un léger tressaillement.

Observation relative à la double réflexion (ou réflexion de rayons déjà réfléchis), d’où résultent certains échos.

794. À Pavie, on voit un temple qui n’a plus de fenêtres qu’à sa partie supérieure ; sa longueur est de cent pieds ; sa largeur, de vingt ; et sa hauteur, d’environ cinquante ; la porte est précisément au milieu[68]. On prétend que, lorsqu’une personne, placée près de la muraille opposée à celle où est cette porte, se met à crier, la voix est répétée douze ou treize fois, l’écho s’affoiblissant peu à peu, comme celui du pont de Charenton. Ce son réfléchi semble venir de la partie du mur qui est au-dessus de la porte. Lorsqu’on se place sur les bas-côtés de cette église, ou plus près de la porte, mais latéralement, soit à droite, soit à gauche, on l’entend aussi. Mais, si l’on se tient à la porte même, on au milieu de l’église, et en face de cette porte, on cesse de l’entendre[69]. Il est bon d’observer en passant, que les vieux murs réfléchissent beaucoup mieux le son, et produisent des échos beaucoup plus forts et plus distincts, que ne le peuvent faire les neufs ; les premiers étant plus secs et plus caves (plus poreux).

Observation sur l’analogie des effets de la simple imagination, avec ceux des sensations.

795. Les effets que produit sur nous la simple idée des objets qui frappent notre imagination, sont quelquefois aussi puissans et aussi marqués que ceux qu’auroit produit la présence même de l’objet, s’il et affecté nos sens immédiatement. Par exemple, lorsque nous voyons une autre personne manger quelque chose d’acide ; en un mot, de ces substances qui agacent les dents, notre imagination est tellement affectée de cette vue, que nous éprouvons nous-mêmes une sensation analogue ; la simple idée de l’action d’un autre produisant sur nous le même effet que si nous la faisions nous-mêmes. De même, si l’on fixe trop longtemps la vue sur une roue qui tourne rapidement, ou encore sur une personne qui tourne sur place, et fort vite, on est soi-même saisi d’une sorte de vertige. Lorsqu’on se trouve sur un lieu fort élevé, sans balustrade, ou garde-fou, on éprouve un étourdissement, on chancelle, et l’on se sent près de tomber ; les esprits étant alors affectés par la simple idée de la chute, à peu près comme ils le seroient si l’on tomboit réellement, à moins que l’œil ne soit accoutumé à voir de près de grandes élévations et des précipices. Enfin, combien de personnes ; en voyant couler le sang des autres, ou donner la question, ou pendre, tombent en syncope, come elles y tomberoient si leur propre sang couloit, ou si elles subissoient elles-mêmes le supplice dont elles ne sont que spectatrices.

Observations relatives aux moyens de conserver les corps.

796. Prenez une fleur de giroflée ; liez-la légèrement à un petit bâton ; mettez l’une et l’autre dans un vaisseau rempli de mercure, et de manière que la fleur en soit entièrement couverte ; puis, mettez un petit poids sur l’orifice du vaisseau, afin de faire enfoncer le petit bâton dans le mercure, et de l’y tenir plongé. Enfin, laissez l’appareil en cet état pendant quatre ou cinq jours ; au bout de ce temps, la fleur sera encore fraîche ; mais sa tige sera devenue un peu plus dure, et un peu moins flexible : si vous la comparez avec une autre fleur de même espèce, et cueillie dans le même temps, ces différences seront encore plus sensibles : expérience qui prouve que les corps se conserveroient assez bien dans le mercure ; et que ce métal a non- seulement la propriété de les conserver, mais de plus celle de les durcir par sa froideur. Si cette fleur paroît encore fraîche, cette fraîcheur vient seulement de ce que le mercure l’a conservée dans l’état où elle étoit au moment où on l’y a plongée ; fait d’autant plus remarquable, que le mercure la comprime fortement[70]. Mais la tige ne pourroit être plus roide si elle n’eût été durcie ; effet qu’il faut sans doute attribuer à la froideur de ce métal.

Observation relative à l’accroissement et à la multiplication des métaux.

797. Quelques anciens rapportent qu’on trouve dans l’île de Chypre une espèce de fer qui, étant coupé par petits morceaux, et enfoui dans une terre fréquemment arrosée, y végète, en quelque manière, au point que tous ces morceaux deviennent beancoup plus gros. On sait depuis long-temps (et c’est un fait bien constaté), que le plomb augmente de volume, et se multiplie spontanément[71]. On en a vu la preuve dans de vieilles statues qu’on avoit laissées dans des caves ou autres souterrains, et attachées par les pieds avec des liens de plomb ; car on a observé qu’au bout d’un certain temps, ce métal se renfloit au point de déborder la pierre, et d’y former des saillies semblables à des verrues[72].

Observation relative à l’immersion d’un métal vil dans un métal plus précieux.

798. J’appelle immersion des métaux, cette combinaison très étroite (sans être parfaite), qui a lieu lorsque le métal le plus vil étant allié avec un métal plus précieux, ces deux métaux s’incorporent ensemble, à tel point qu’il n’est plus possible de les séparer ; ce qui est une apparente, mais fausse transmutation, semblable à cette imparfaite combinaison qui a lieu lorsqu’on incorpore, soit du mercure avec l’or, soit du cuivre ou du plomb avec l’argent. Ce métal factice, connu chez les anciens sous le nom d’électre, n’étoit autre chose que de l’or, auquel on allioit un cinquième d’argent. On le substituoit à l’or pur dans une infinité de cas ; cependant il avoit plus d’éclat et certaines propriétés de plus. Si, après avoir fait cet alliage clandestinement, on vouloit ensuite le faire passer pour de l’or, ce seroit sans doute une supercherie condamnable ; mais cette même opération, si on la faisoit ouvertement et avec l’approbation des magistrats, seroit un excellent moyen pour économiser le métal le plus précieux. J’ai ouï dire à un homme très versé dans la métallurgie, que, si on allie à l’or un quinzième d’argent, de manière à l’y incorporer parfaitement, il n’est plus possible de l’en séparer par aucun dissolvant, à moins qu’on n’ait soin de combiner ensuite avec ce métal factice, une quantité d’argent beaucoup plus grande que ce quinzième qui en fait partie, afin de l’attirer plus aisément ; ce qui est le dernier refuge, dans les séparations de cette espèce (dans l’opération du départ) ; mais ce seroit un procédé fort long et fort ennuyeux, auquel peu de personnes voudroient s’assujettir. Quoi qu’il en soit, cette expérience est susceptible d’être poussée beaucoup plus loin : par exemple, on pourroit, an lieu d’un quinzième d’argent, n’en mettre qu’un vingtième, et ajouter à cet alliage un peu de ces substances qu’on emploie ordinairement pour rendre la combinaison plus intime et l’incorporation plus parfaite.

N. B. que l’alliage de l’argent avec l’or est toujours facile à découvrir ; il suffit pour cela de comparer le poids du métal avec son volume[73]. Mais, comme le plomb pèse plus que l’argent, on ne pourroit découvrir, par ce même moyen, l’alliage du premier de ces deux métaux avec le dernier, dans le cas où ils seroient combinés en telle proportion que l’excès de la quantité de l’argent sur celle du plomb fût suffisante pour compenser l’excès de la pesanteur spécifique du dernier de ces deux métaux sur celle du premier[74].

Observation sur les causes qui peuvent rendre les métaux plus fixes.

799. L’or est la seule substance qui soit en même temps très fixe et très fusible. Cette fusibilité prouve assez qu’il abonde en esprits : ainsi, on ne doit pas attribuer sa fixité à une disette d’esprits qui puissent se porter au-dehors, et, en s’exhalant, entraîner avec eux ses parties solides ; mais à la distribution égale et uniforme de ces esprits entre toutes les parties tangibles, et à l’étroite union de ces dernières ; deux conditions d’où il résulte qu’ayant une tendance moins forte à se porter au-dehors, ils trouvent aussi moins d’issues pour s’échapper. Il faudroit faire quelques essais pour savoir si le verre fondu une seconde fois ne perdroit pas une partie de son poids[75]. Car les parties du verre sont distribuées d’une manière uniforme ; mais elles sont moins serrées et moins étroitement unies que celles de l’or ; comme on en peut juger par la facilité avec laquelle la lumière, la chaleur et le froid le pénètrent, et par son peu de pesanteur spécifique. Il est d’autres corps qui ne contiennent point ou presque point d’esprits, et dont par conséquent rien ne peut s’exhaler. De ce genre sont ces coupelles (ces creusets), qu’on met dans les fourneaux de réverbère, et sur lesquels le feu n’a point de prise. Ainsi, la fixité d’une substance peut avoir trois causes : la distribution égale et uniforme des esprits entre les parties tangibles ; l’étroite union de ces dernières parties, à quoi il faut joindre leur tissu plus serré et leur assemblage plus ferme ; enfin, la totale privation ou la très petite quantité d’esprits ; trois conditions dont les deux premières peuvent se trouver unies avec la fusibilité ; mais dont la dernière est incompatible avec cette propriété.

Observation sur cette espèce d’inquiétude dont on observe les effets dans tous les corps, et sur leur tendance perpétuelle au changement.

800. Un des sujets les plus difficiles à approfondir, et qui néanmoins mérite le plus de fixer l’attention, c’est cette espèce de vuide, d’indigence, ou de mécontentement[76] qu’éprouvent tous les corps ; disposition d’où naît leur tendance perpétuelle d admettre d’autres substances dans leurs pores, et à s’en pénétrer : par exemple, l’air se pénètre (s’imboit[77]) des rayons lumineux, des sons, des odeurs, des vapeurs et exhalaisons de toute espèce : tout nous démontre qu’il le fait même avec une sorte d’avidité et de soif, comme s’il étoit peu content de sa texture propre et primitive ; autrement il n’adonettroit pas ces substances, ou ces modes, avec tant de promptitude et de facilité. De même l’eau, et, en général, toutes les liqueurs admettent, dans leurs interstices, les substances sèches, sur-tout les substances terrestres, dont la nature est analogue à la leur : et réciproquement, les substances sèches s’imbibent aisément d’eau, et, en général, d’humor aqueux. Ainsi, rien de plus judicieux que ce mot d’un ancien philosophe : que la substance terrestre et la substance aqueuse sont l’une pour l’autre une espèce de gluten ou de colle[78]. Le parchemin, les peaux, les étoffes, tous corps composés, non de parties déliées et détachées les unes des autres, comme les cendres, le sable, etc. mais de parties cohérentes, qui forment des touts solides, sans pores très apparens, ne laissent pas de s’imbiber promptement de différentes liqueurs. Les métaux eux-mêmes se laissent pénétrer par des liqueurs actives ou des dissolvans (tels que les acides minéraux, végétaux et animaux) ; réciproquement ces dissolvans pénètrent le métal et la pierre[79]. Mais tel de ces dissolvans (l’eau régale), qui agit sur l’or, n’agit pas sur l’argent ; et réciproquement (l’esprit de nitre). L’or qui, par sa grande pesanteur spécifique, semble être le plus solide et le plus compact de tous les métaux, s’imbibe toutefois très promptement de mercure. Enfin, il paroît que ce mouvement par lequel certains corps en pénètrent d’autres, n’a rien de très violent, et semble être l’effet d’un consentement mutuel : mais quelle est la véritable cause de ce double phénomène, et à quel principe faut-il le rapporter ? C’est un sujet qui exigeroit une recherche ex-professo, et vers lequel il faut diriger tout à la fois ses observations et ses réflexions. Quant à ce joli mot de certain philosophe : que la matière est une sorte de courtisane qui se prostitue, pour ainsi dire, à tous venans, et appelle indifféremment toutes les formes ; ce n’est qu’une notion vague et hazardée. La flamme est la seule substance qui, non contente de se laisser pénétrer par un corps, veuille de plus le travailler, le surmonter, le convertir en sa propre substance, et remporter sur lui une sorte de victoire ; ou qui, lorsqu’elle se trouve la plus foible, s’étouffe, en quelque manière, et se tue elle-même.

  1. Le lecteur voit que, dans ce passage comme dans beaucoup d’autres, en réformant le texte, à l’aide de ces mots mis en parenthèse, je le laisse subsister, tout absurde qu’il me paroît. Mais, lors que l’auteur, après avoir énoncé une proposition et posé un principe pour l’établir, tire une conséquence diamétralement opposée à ces deux propositions, je touche plus bardiment à son texte ; et pour lui épargner un vrai contre-sens, j’en fais un moi-même dans la traduction : liberté toutefois que je ne prends que dans les cas où l’absurdité est palpable. Par la même raison, lorsqu’il se contente de simples lueurs et d’à-peu-près, j’intercale quelques mots, afin de rapprocher un peu plus ce qu’il dit, de ce qu’il veut dire et de la vérité. Je m’apperçois à chaque pas que deux choses lui ont manqué, l’esprit géométrique et le temps.
  2. Qui ne nous aideroit pas à découvrir les causes formelles, ni même les causes efficientes, qui sont notre véritable objet.
  3. Pour donner une idée de ses explications, je vais traduire ce passage mot à mot : mais, dans ces maladies, qui sont chassées par les sueurs, cette excrétion dégage et allège ; parce qu’alors la sueur est critique et pousse au-dehors la matière nuisible. Il y a, dans cette explication, trois pléonasmes. Ces sueurs sont d’autant plus salutaires et curatives, qu’à mesure que la maladie s’en va, le malade se porte mieux ; ce qui le soulage beaucoup : explication fort instructive.
  4. Comme le dit l’étymologie même de ce mot attention ; aussi tous les hommes obligés par état de faire de grands efforts d’attention, ont-ils une certaine roideur dans l’œil, dans le cou, etc.
  5. Cette explication nous paroit à contre-sens : l’imagination frappée est le véritable stimulant ; elle nous fait faire d’abord certains mouvemens pour nous débarrasser de l’objet, en l’éloignant ou en le fuyant, et en même temps d’autres mouvemens inutiles à cette fin ; mais qui, en vertu de la communication réciproque de toutes nos parties, sont une conséquence nécessaire des premiers ; d’ailleurs, ces mouvemens accessoires ne laissent pas d’être médiatement utiles, en rappelant à l’extérieur le sang, les esprits et le mouvement ; ce qui balance en partit l’effet de la peur.
  6. Les esprits ne pouvant chasser dehors les choses nuisibles, dit le texte, ils poussent du moins la voix.
  7. Comme le cerveau se tord tout exprès pour exprimer l’humidité dont nous avons besoin pour pleurer, il est juste que les mains fassent aussi ce mouvement qu’on fait ordinairement pour exprimer l’eau d’un linge ; et il est également juste de renvoyer cette explication aux blanchisseuses dont elle est digne.
  8. Ces cris et la plupart de ces mouvemens convulsifs peuvent aussi être regardés comme autant de révulsions spontanées et automatiques. Les grandes douleurs viennent principalement de ce que les esprits vitaux réagissent avec force contre les parties lésées, font effort pour y pénétrer, et distendent les fibres. D’où il suit que, pour diminuer la douleur, il faut partager leur action en les rappelant avec force à d’autres parties ; et c’est ce que nous faisons par instinct, à l’aide de tous ces mouvemens qu’il veut expliquer. Toutes ces différentes expressions de la douleur nous soulageroient, mais la vanité nous interdit ce soulagement ; les lèvres se bordent d’un sourire orgueilleux, mais on pleure en dedans ; et en se roidissant contre les pointes de la douleur, on les enfonce plus avant.
  9. Mais cette couleur de la vertu n’étoit en lui qu’un vernis qui masquoit son ambition, comme le dit Salluste, qui le peint ainsi en deux mots : ore verecundo, corde improbo : visage pudibond, cœur effronté. Cette facilité à rougir est ordinairement un signe de vanité ; et pour convertir cette vanité en ambition, il ne faut qu’une seule chose, l’occasion.
  10. Toutes ces définitions et une partie des explications dont elles sont la base, nous paroissent manquer un peu de justesse : voici quelque chose de plus exact. Le rire est l’expression naturelle de la joie. Or, nous nous réjouissons, ou de nos propres succès et de nos propres perfections, ou des défauts et des disgrâces d’autrui, quand nous croyons y gagner quelque chose. Ce que nous appelons ridicule, dépend ordinairement d’un défaut de convenance ou de proportion entre les moyens qu’emploie une personne, et la fin qu’elle se propose, lorsque cette méprise suppose en elle quelque qualité méprisée, et n’a point de conséquences trop funestes. Son erreur nous réjouit alors, sur-tout devant témoins, parce que nous nous imaginons que tout ce qui rabaisse à leurs yeux un autre individu, nous élève d’autant ; et que tout ce qu’il perd dans leur opinion, nous le gagnons. Voilà pourquoi nous aimons les plaisans qui n’épargnent que nous ; il nous semble qu’à mesure qu’ils nous environnent de nains, nous devenions des géans ; car tous les jugemens de cette espèce sont comparatifs. Il en est de même des défauts physiques et naturels, qui dépendent aussi d’un défaut de convenance ou de proportion entre certaines parties du corps. Généralenient parlant, le rire fréquent et excessif est un signe de foiblesse : les enfans, les femmes et les eunuques rient beaucoup ; parce qu’en conséquence de leur foiblesse même, et de leur susceptibilité naturelle, ayant un sentiment plus vif des convenances et des proportions, ils ont, par cela seul, la faculté d’apercevoir, d’un coup d’œil, tout ce qui s’en écarte ; aperçu rapide d’où naît ce genre de surprise qui constitue le rire ; sans compter que, sentant leur propre foiblesse, ils sont plus portés à se réjouir de tout désavantage qui, en diminuant le pouvoir d’autrui, semble augmenter le leur. Il n’est point d’individu qui n’ait quelque défaut naturel, et un grain de sottise qu’il ne doit qu’à lui-même : Tout homme qui rit des défauts d’un autre homme, n’est qu’un borgne qui se moque d’un boiteux ; et la bosse d’autrui ne nous redresse point.
  11. Pour rendre son explication plus précise, il auroit du dire : que les esprits doivent affluer principalement, non-seulement aux parties qui travaillent le plus actuellement, mais même à celles qui se disposent et tendent à travailler le plus.
  12. Il me semble que la face fait ordinairement partie de la tête ; il veut dire, dans toute la tête, et principalement à la partie supérieure de la face.
  13. Ce genre de méprises est l’image de celles où nous tombons nous-mêmes dans ces autres genres d’ivresse désignés par le nom de passions. Dans presque tous nos jugemens nous attribuons à la personne, ou à la chose que nous jugeons, des qualités analogues à la manière dont nous sommes affectés, soit qu’elle ait ou n’ait pas été la cause de notre sentiment. Tout nous paroît tourner, quand la tête nous tourne ; et la tête nous tourne toujours un peu, car nous ne sommes jamais tout-a-fait à jeun. Au reste, ce n’est pas l’homme qu’il faut accuser de ces méprises, mais la nature humaine ; elles sont en partie nécessitées par sa constitution même. En effet, comme l’âme humaine ne peut percevoir immédiatement aucun être physique, et ne perçoit les corps que par l’entremise de celui auquel elle est unie, l’homme attribue involontairement aux personnes et aux choses qu’il juge, les qualités de ce milieu à travers lequel il les regarde ; il croit voir sur l’objet la tache qui est dans son œil : ses observations, qui ne devroient être que des sensations observées, mais auxquelles il mêle sans cesse des jugemens, se sentent toujours un peu des défauts de sa lunette ; l’objet même qui l’excite à ouvrir les yeux, lui brouillant la vue ; et chaque individu, sain ou malade, soit au physique, soit au moral, suppose dans l’univers l’ordre ou le désordre qui est dans son œil, dans sa tête ou dans son cœur. Ainsi, au lieu d’imputer aux hommes des méprises souvent involontaires, il faut tâcher de les détromper sans leur dire jamais qu’on les détrompe ; car ce n’est pas la chute qu’il faut relever, mais l’homme qui est tombé.
  14. Que l’ivrogne se penche vers la muraille, ou que la muraille se penche vers l’ivrogne, il est certain que, dans les deux cas, il en sera plus proche : or, de temps en temps l’ivrogne a une raison suffisante pour se pencher vers la muraille ; mais, comme il ne se sent pas en état de rendre un jugement définitif entre lui et cette muraille, il suppose le pire, et décide prudemment que c’est elle qui se penche vers lui.
  15. Il voit tout à travers un brouillard ; mais ici le brouillard est en dedans : tant que l’on boit, il fait beau ; mais dès que l’on cuve, il pleut.
  16. Dans deux instans consécutifs, et qui se succèdent avec une extrême rapidité, il voit l’image d’un même objet en deux lieux différens ; et comme, au moment où il voit la seconde image, il n’a pas encore cessé de voir la première, il voit deux images presque en même temps, et en conséquence il croit voir deux objets.
  17. Ce qu’on peut expliquer par ce raisonnement trivial : les propriétés d’une substance composés de parties de différentes espèces, doivent participer des propriétés des substances composantes : or, le vin enivre, et le sucre n’enivre pas. Le vin, combiné avec le sucre, doit donc enivrer moins que le vin seul. Selon toute apparence, il en seroit de même de toute autre substance qu’on feroit dissoudre dans du vin, et qui ne seroit pas de nature à occasionner une pléthore de dilatation. Je soupçonne qu’un sel, par exemple, le sel marin, et sur-tout le nitre, dissous dans le vin, produiroit plus sûrement cet effet. Car on sait qu’un des plus puissans moyens pour faire cesser l’ivresse, est de boire du café où l’on ait fait dissoudre du sel au lieu de sucre.
  18. Voici un remède aussi simple qu’efficace pour faire cesser l’ivresse presqu’à l’instant : je l’ai éprouvé sur un grand nombre d’individus, et toujours avec succès : appliquez sur le visage de l’homme ivre un linge trempé dans de l’eau fraîche, et réitérez l’opération deux ou trois fois : s’il est furieux, on peut lui administrer l’eau par aspersion, en ayant soin de se placer à cette distance qu’on doit toujours laisser entre les hommes et soi, en leur donnant ou leur vendant la santé ou la sagesse.
  19. Le vrai remède à la lassitude, c’est de mettre simplement les pieds dans l’eau chaude aux époques ou la digestion est achevée.
  20. Le tabac est pour l’homme ce que le fouet ou l’éperon est pour les chevaux ; c’est un stimulant. À chaque coup de fouet ou d’éperon que reçoit un cheval, on lui donne, pour ainsi dire, une prise de tabac ; et chaque prise de tabac qu’un homme s’administre, est un coup d’éperon ou de fouet qu’il se donne. Mais il est une autre substance qui possède à un plus haut degré la faculté de délasser le corps ou l’esprit, mais sans provoquer le sommeil, ou affoiblir la mémoire ; c’est le café.
  21. Les galériens de Marseille, qui ne rament jamais, ou qui rament fort rarement, n’en sont pas moins gras, ni moins charnus. Voici peut-être la véritable cause de leur embonpoint ; ils n’ont plus d’honneur ; le notre nous ronge ; c’est un cheval blanc dans les boues de Paris. Rien n’est plus corrosif que la vanité humiliée ; et les nôtres ont trop de prétentions pour ne l’être pas souvent.
  22. C’est par la même raison que les personnes qui ont l’estomac très foible, doivent faire peu d’exercice après le dîner ; et c’est aussi parce que ces exercices partageroient l’action du principe vital, qui alors ne doit point être appelé aux jambes ni aux bras, mais à l’estomac. Si l’on applique à toute autre opération une partie de la force dont la totalité est nécessaire pour bien digérer, il est clair qu’on digérera moins complètement. Pour bien digérer à l’heure où il s’agit de digestion, et où l’on a droit de s’en occuper, il faut ne faire que cela, ou tout au plus donner quelques petites secousses à l’estomac, à l’aide d’une conversation gaie et affectueuse avec des personnes pour qui de tels entretiens ne soient qu’un délassement mérité, et non la grande, l’unique affaire.
  23. Et qui, en y pénétrant, écartent les unes des autres les fibrilles que la pression excessive avoit trop rapprochées.
  24. Dans l’hiver de 1794, saison où le thermomètre fut assez long-temps à 18 degrés au-dessous de 0, et où le vin geloit sous ma couverture, à coté de ma cuisse, je me faisois souvent cette question : où se cache actuellement cette multitude immense d’animaux terrestres et d’oiseaux qu’on voit dans les campagnes durant l’été ? comment peuvent-ils échapper à un tel fléau ? Et en pensant à eux, je ne pensois plus à moi.
  25. Il semble que cette relation ait été écrite par un sauvage ; et il paroit que les voyageurs dont il transcrit la relation, n’avoient vu le café que brûlé.
  26. L’effet de cette liqueur est produit par quatre causes combinées ; savoir : 1°. l’humor aqueux ; 2°. la chaleur ; 3°. le grillage ou la torréfaction ; 4°. l’huile essentielle de cette baie car chacune de ces quatre causes employée seule produit une partie de cet effet.
  27. Mais alors il ne faudra pas les ranger dans la même classe que le café, dont l’effet est diamétralement opposé à celui du vin, et en est le remède.
  28. Démenti par des rides et des plis indiscrets qui leur servent d’extrait baptistaire.
  29. Elles lavent fréquemment leurs cheveux avec une eau de mine de plomb. Lorsque les femmes, en usant de ces petits expédiens, le font avec assez d’adresse pour n’être jamais prises sur le fait, et parviennent ainsi à nous plaire, elles ne nous trompent point ; car c’est précisément ce que nous leur demandons. Quant à l’homme, sa véritable toilette est la vigueur, le bon-sens, la probité, le courage, l’activité et la constance.
  30. Parce que l’ablution est chez eux une observance qui fait partie de la religion : Moyse et Mahomet, législateurs-médecins, avoient judicieusement prescrit cette pratique salutaire à leurs nations respectives, qui vivoient sous un climat fort chaud : d’où les femmes turques et juives ont conclu très religieusement et très peu physiquement, qu’elles devoient se baigner tous les jours dans l’eau froide, même dans les pays froids, mème durant l’hiver, même durant leur temps critique : c’est se perdre durant sa vie, pour se sauver après sa mort, c’est-à-dire, se tuer, pour se sauver. D’où je conclus, moi, homme spéculatif, que les religions, ainsi que les végétaux, ne doivent être transplantées qu’avec de grandes précautions. Car, tout étant relatif, telle opinion qui a tel degré de latitude, est une vérité salutaire ; et un bienfait est, à tel autre degré, une sottise et un fléau. Avant de planter une religion, un système politique, et pour tout dire, des opinions exotiques, il faut bien connoître le sol, de peur d’arroser des vices avec du sang, de mentir au nom de la vérité, et de commettre des crimes au nom de la vertu.
  31. C’est donc précisément le 17 de juin : voilà un fleuve bien ponctuel !
  32. À quoi bon cette métamorphose ? Pour expliquer ce fait, il suffiroit de supposer que l’humor aqueux déjà formé et répandu dans la masse de l’air qui environne cette terre, y pénètre peu à peu.
  33. La voix d’une personne qui lit d’une manière monotone, et un livre ennuyeux, par exemple, un des miens, endorment encore mieux ; et même tout livre, quel qu’il soit, fût-il très amusant, mais lu avec une excessive lenteur, provoque le sommeil.
  34. De quoi se forme cette graisse ? Il faut croire que ces animaux se mangent eux-mêmes ; mais si certaines parties mangent les autres, à mesure que les premières engraissent, les dernières doivent maigrir.
  35. On a prétendu aussi avoir trouvé des hirondelles groupées ensemble au fond d’un étang, et qui n’étoient pas mortes, mais seulement engourdies ou endormies… par le conte même du naturaliste qui prétendoit les avoir trouvées là.
  36. On dit aussi que le cœur de St. François de Sales s’étoit en partie ossifié ; un commentateur de la légende dorée prétend que fut un effet de la charité et de la crainte du Seigneur.
  37. Et le requin.
  38. À deux ans et demi, ou trois ans, les pinces tombent, et sont remplacées par d’autres dents plus grosses, plus fortes et moins blanches, qui poussent fort promptement.
  39. Elles poussent précisément comme celles qui succèdent aux dents de lait ; comparaison que nous avons été, plus que tout autre individu, en état de faire ; attendu qu’il nous est venu une dernière dent molaire à l’âge de trente-trois ans, et que, dans notre première enfance, presque tout notre dentier supérieur étoit double ; autre singularité : cependant le mal de dents nous est inconnu.
  40. Quelquefois cependant, proportion gardée, la vache, le porc, la brebis, etc. dînent mieux que leur maître, qui s’affame lui-même pour les engraisser, et l’âne mange plus que le meunier. L’abondance est dans les sociétés humaines, mais elle n’est pas chez tous les individus : chez les uns, elle est en dehors, parce que, chez les autres, elle est en dedans. Mais au fond, qu’importe que les uns ne mangent pas assez, pourvu que les autres mangent trop ; la meilleure pitance appartient de droit à ceux qui n’ont pas faim, et qui ne l’ont pas gagnée : cette inégalité a trop duré pour n’être pas juste ; plus on a souffert d’un mal, moins on a droit deo s’en plaindre, et l’antiquité d’un abus doit le légitimer.
  41. Nous emploierons ce mot, à l’exemple de M. de Buffon, pour désigner la durée du séjour du fœtus dans la matrice.
  42. L’original anglois dit, de la réflexion ; mais c’est une faute de copiste : dans le second cas, on verra la pièce par des rayons de lumière, qui, en passant de l’air dans l’eau, se seront réfractés ou rompus de haut en bas, et pourront ainsi parvenir à l’œil, qui, à cette distance, se trouve place trop bas pour la voir par des rayons droits : cette pièce paroîtra aussi beaucoup plus grosse.
  43. Les rayons droits sont ceux qui n’ont pas été réfractés par le passage de l’eau dans l’air ; et les rayons directs sont ceux qui viennent de l’objet à l’œil, sans avoir été réfléchis par un miroir ; le mot droit se rapportant à cette espèce d’inflexion qui est l’effet de la réfraction ; et le mot direct, cette autre espèce d’inflexion, beaucoup plus grande, qui est l’effet de la réflexion.
  44. Cette expérience ainsi faite ne rempliroit pas son objet : pour faire une telle illusion, il faudroit employer un miroir concave. Au reste, je n’ai pas besoin d’avertir le lecteur que j’ai été obligé de refondre tout le texte des deux pages précédentes, qui n’étoit pas supportable.
  45. Cette résistance vient en partie de ce que les petites aspérités de sa surface intérieurs engrènent dans les petites aspérités de la surface supérieure du corps sur lequel il est appuyé, et s’y enfoncent d’autant plus avant, qu’il est lui-même plus pesant.
  46. Un corps ne peut communiquer son mouvement à un autre corps qu’en agissant sur lui ; or il ne peut agir sur lui s’il n’éprouve de sa part aucune résistance, puisque son action ne consiste et ne peut consister qu’à surmonter une résistance quelconque, et que, sans résistance, il ne peut y avoir d’action. Donc cette même force d’inertie par laquelle tout corps résiste au mouvement, est pourtant une condition requise et essentielle pour la communication du mouvement ; paradoxe qui peut choquer à la première vue, mais qui n’en est pas moins une vérité fondamentale, et auquel il faut s’accoutumer, parce qu’il est une des plus grandes clefs, non-seulement de la physique, mais même de la morale ; car la vertu n’est qu’une certaine force de résistance, qu’une faculté habituelle de résister et à la force morte de notre inertie ou paresse naturelle, et à la force vive, soit de nos propres passions, soit des passions d’autrui. La plus grande partie des résistances que nous éprouvons, sont nécessaires pour nous faire agir et exister par cette action.
  47. Pour renforcer en apparence ce raisonnement assez spécieux par lui-même, on peut lui donner cette forme : toute force a besoin d’un certain temps pour exercer son action ; ou, si l’on veut, elle ne peut avoir son effet qu’au bout d’un certain temps. Or, la résistance que le corps inférieur et frappé oppose au corps supérieur qui le frappe, est une vraie force, puisqu’il faut une force positive pour la surmonter : elle a donc besoin d’un certain temps pour exercer son action, ou pour faire sentir son effet. Donc, si cette résistance du corps frappé ne fait sentir son effet au corps frappé, qu’un certain temps après que celui-ci lui a fait sentir le sien, l’effet de cette résistance sera tout-à-fait ou presque nul ; et un corps d’une très petite masse, mais mu avec une très grande vitesse, produira un très grand effet sur un corps d’une très grande masse, et qui auroit été capable de lui opposer une fort grande résistance, s’il avoit eu le temps de lui résister. Mais tout ce raisonnement, quelque spécieux qu’il puisse être, porte visiblement sur une supposition absurde ; car nous avons fait voir dans la note précédente, et dans une infinité d’autres, que la résistance du corps frappé est une condition absolument nécessaire pour la communication du mouvement. Donc le mouvement du corps frappant ne peut être communiqué au corps frappé, avant que celui-ci lui ait résisté ; il n’est même qu’une suite de cette résistance ; et il lui succède plutôt qu’il ne la prévient. Voici une explication un peu plus satisfaisante que la sienne. Dans la percussion, le corps frappant met en vibration les petites parties du corps frappé ; il ne peut les mettre en vibration, sans diminuer, du moins dans le moment, l’effet de leur force de cohésion, ou, ce qui est la même chose, sans les détacher un peu les unes des autres. Donc la percussion facilite plus leur séparation, que ne le feroit la simple pression. Ainsi, les quantités de mouvement étant égales, lorsqu’il s’agit de diviser, de décomposer, de détruire, la vitesse vaut mieux que la masse ; vérité importante qui s’applique aussi aux sociétés humaines ; pour les décomposer et les pulvériser, il faut recourir à la fulminante activité des Alexandres, des Césars, ou de leurs singes ; ces âmes toutes de feu étant nécessaires dans ce seul cas, et des fléaux dans tout autre cas. Ainsi, il faut appeler ces grands hommes quand tout va mal, et les chasser quand tout va bien.
  48. Si notre philosophe, avant d’écrire ceci, eût seulement essayé de passer légèrement sur ses lèvres l’extrémité de sa plume, il se seroit convaincu qu’on peut fort bien se chatouiller soi-même ; mais peut-être un auteur original est-il moins chatouilleux qu’un traducteur.
  49. La paume de la main d’un philosophie, ou d’un paresseux, est en effet revêtue d’une peau très mince ; mais il nous semble que, dans un marin, ou un muletier, la peau de la paume de la main et de la plante des pieds n’est pas précisément de la même épaisseur que celle des lèvres ou des aisselles.
  50. Il sembleroit au premier coup d’œil que ce devroit être le contraire. Lorsqu’on dirige un courant d’air sur une masse d’eau, elle s’évapore beaucoup plus vite ; et l’on sait que les vents naturels produisent le même effet parce que, dans ces deux cas, un plus grand nombre de portions d’air sec (qu’on peut regarder comme autant d’éponges sèches), touchent et lèchent, pour ainsi dire la surface de cette eau. Or, que l’air se meuve contre l’eau, ou que l’eau se meuve contre l’air, n’est-ce pas à peu près la même chose, quant au mouvement et à ses effets ? Non, sans doute, peut-on répondre ; car, dans le premier cas, l’air, en pressant l’eau et en s’appuyant dessus doit agir avec plus de force sur ce fluide au lieu que, dans le second cas, l’eau fuyant, pour ainsi dire, devant l’air ou glissant sous ce fluide, échappe ainsi à son action, et ne lui laisse pas le temps d’agir. D’un autre côté, une eau coulante essuie une infinité de grands et de petits chocs qui la font jaillir et se répandre en gouttes imperceptibles dans la masse d’air supérieure et contiguë ; ce qui doit accélérer son évaporation. Ainsi, nos explications nous jetant tantôt à droite, tantôt à gauche, et se détruisant réciproquement, le plus sûr seroit de finir par où nous aurions du commencer ; je veux dire, par l’expérience qui nous expliquera tout cela.
  51. D’où est venu le nom d’alkali, par lequel on désigne ordinairement les sels analogues à celui qu’on tire de ces cendres.
  52. Sur le mont Janicule.
  53. Celles du cabinet national ont toute l’apparence d’une pétrification.
  54. Il faut dire aussi qu’un roi d’Égypte, fort cupide, s’étoit emparé du premier cercueil qui étoit d’or, et en avoit substitué un de plomb ; ce qui, en donnant de l’air au cadavre, avoit pu contribuer à le consumer plus vite.
  55. Il veut sans doute parler de l’amiante que les charlatans de Paris nous vendoient pour faire des mèches incombustibles, et par conséquent fort mauvaises.
  56. Voilà un article digne du petit Albert, et des éphémérides de Mathieu Laensberg.
  57. Mais alors le principal objet ne seroit pas rempli ; car il s’agit de trouver un moyen pour se chauffer et s’éclairer à peu de frais, comme ces bons hermites qui se chauffent avec des pierres, et ce grand opérateur qui s’éclaire avec de la laine de salamandre. Or, cette huile, cette cire et ce suif coûtent infiniment plus que cette mèche. Le véritable état de la question seroit de trouver une matière inflammable qui fût de nature à n’être pas décomposée par la combustion, mais seulement sublimée, puis ramenée l’état de liquide, enfin reportée dans la lampe par un tuyau ; découverte qui au fond n’est pas plus difficile à faire que celle d’une bouteille qui s’emplit à mesure qu’on la boit. Or, cette matière si précieuse que nous cherchons, les grands hommes qu’Ozanam a compilés de très bonne foi, l’ont découverte ; mais ils l’ont vue si nettement, qu’ils n’ont jamais pu parvenir à nous la faire voir.
  58. Avantage qu’il ne seroit pas fort difficile de se procurer en France ; il suffirait pour cela de multiplier ce que nous appelons des ventouses, de tenir bouchées, durant l’hiver toutes celles qui ne seroient pas destinées à empêcher les cheminées de fumer, et de les déboucher toutes durant l’été : effet qu’on obtiendrait plus sûrement et à moins de frais en pratiquant aux ventouses ordinaires de petits tuyaux dont l’orifice seroit tourné vers l’intérieur de l’appartement, débouché durant l’été, et bouché durant l’hiver.
  59. C’est une indication vague et obscure de ce que les physiciens appellent un ventilateur ; et les marins, une trombe. Les ventilateurs sont connus ; quant à cette trombe, ce n’est qu’une espèce de grand entonnoir de grosse toile (suspendu entre le grand mat et le mât de misène), dont l’évasement est en haut, la partie la plus étroite se terminant dans la calle ou dans l’entre-pont, en un mot, dans la partie du vaisseau dont on veut rafraîchir et renouveler l’air.
  60. Pour savoir si cette combinaison peut accélérer la vitrification, mettez d’abord dans un fourneau de verrerie une masse composée de matières vitrifiables seulement ; et, dans un autre fourneau, une masse composée de matières vitrifiables et de verre déjà fait, le poids de la matière non vitrifiée égalant celui de la masse mise dans l’autre fourneau ; comparez les temps qui auront été nécessaires pour opérer la vitrification complète de ces deux masses ; enfin, recommencez l’expérience sur deux autres masses semblables et de même poids, mais en mettant la masse mixte dans le premier fourneau ; et dans le second fourneau, la masse uniquement composée de matières vitrifiables, non encore vitrifiées. Par ce moyen, si, dans ces deux opérations, la masse de matière vitrifiable, combinée avec du verre déjà fait, est plutôt vitrifiée que la masse homogène, vous serez certain que cette plus prompte vitrification aura été l’effet de la combinaison, et non de la plus grande chaleur du fourneau (Méthode de renversement).

    Ou mettez dans le même fourneau, et alternativement, de petites masse composées, les unes de matières vitrifiables seulement ; les autres, de matières vitrifiables combinées avec du verre déjà fait, les quantités de matières vitrifiables, mais non vitrifiées, étant égales dans toutes ces masses. Si toutes les masses de matières vitrifiables, combinées avec du verre déjà fait, sont plutôt vitrifiées que les autres, la conséquence tirée de la première expérience sera confirmée (Méthode alternative).

    Enfin, mettez dans le même fourneau une suite de petites masses, ou la proportion du verre déjà fait avec les matières vitrifiables, mais non vitrifiées, soit de plus en plus grande ; les quantités de matières vitrifiables, et non vitrifiées, étant égales dans toutes ces masses mixtes. Si toutes masses sont d’autant plus promptement vitrifiées, que la proportion du verre déjà fait, qui s’y trouvera combinée, sera plus grande, il sera évident que la combinaison des matières vitrifiables avec du verre déjà fait, accélère leur vitrification (Méthode de gradation).

    Il est inutile d’ajouter que cette triple expérience dirigée par ces trois méthodes ainsi combinées, pourroit être appliquée à toutes les matières qu’on expose à l’action du feu ou des dissolvans ; par exemple, aux métaux, et qu’elle épargneroit des tâtonnemens dispendieux.

  61. On sait que l’alun a la propriété de rendre le vin mousseux ; propriété qui, à la première vue, semble un peu opposée au but de cet article. Cependant, comme l’alun ne produit cet effet que par sa viscosité, il se peut qu’en liant davantage les parties de la liqueur, et en augmentant leur cohérence, il la rende, par cela même, moins pénétrante, moins volatile et moins capiteuse.
  62. Il s’agit de la pouzzolane, matière qu’on emploie en effet pour bâtir dans l’eau ; parce que ce fluide ne la détrempe et ne l’amollit pas comme les autres. On prétend que ce pilier, qui est à l’entrée du port de Marseille, et auquel s’amarrent les vaisseaux qui entrent, doit à cette matière son étonnante solidité, et une durée de plusieurs siècles.
  63. Il y a ici deux choses à considérer : d’abord, le trou ou la fente faite avec un corps quelconque dur et aigu ou tranchant ; puis, l’effet que cette substance produit sur les chairs en les touchant. Au reste, son assertion est un peu contraire aux idées communes ; mais il se pourroit que le cuivre fût très nuisible intérieurement, et le fût moins extérieurement ; et que le fer qui, sous différentes formes, est très utile intérieurement, fût nuisible extérieurement, même par le simple contact.
  64. Ce calcul est faux ; car, telles sont à peu près les pesanteurs spécifiques de ces trois substances ; celle de l’eau étant égale à l’unité. Eau-forte, 1,5 ; pierre, 2, ou 2,5 ; mercure, 13, ou 14. Comparaison d’où il résulte que l’excès de la pesanteur spécifique du mercure sur celle de la pierre, est beaucoup plus grand que l’excès de la pesanteur spécifique de la pierre sur celle de l’eau forte. On peut conjecturer que le mercure étant décomposé et comme dénaturé par cette dissolution, il y perd une grande partie de la pesanteur spécifique qu’il avoit dans l’état métallique, et qu’il ne peut plus augmenter de beaucoup celle de l’eau-forte.
  65. Quel triple et quadruple galimathias ! Ce fait s’expliqueroit beaucoup mieux par la raison qu’il indique lui-même pour expliquer celui qu’il propose dans la dernière phrase de cet article. Si, de deux corps séparés auxquels on donne une même impulsion, le plus pesant est lancé le plus loin ; lorsqu’après avoir assemblé ces deux corps, et placé devant le plus léger, on les lancera encore par une même impulsion ; la partie la plus pesante allant plus vite (par l’hypothèse), elle passera nécessairement devant l’autre ; effet qui ne pourra avoir lieu sans que le tout se retourne.
  66. Il n’est pas vrai que, dans cette expérience, l’eau se porte du coté où le mouvement a commencé ; la vérité est qu’elle se porte aussi en avant : mais, comme elle se meut d’abord moins vite en avant, que le bassin qui la contient, elle paroit ainsi se mouvoir en arrière, avec une vitesse égale à la différence de ces deux vitesses ; le mouvement du bassin, ou plutôt le bassin même étant ici l’objet de comparaison. Le mouvement absolu de ce fluide est en avant, et son mouvement relatif est en arrière.
  67. Et l’eau qui, selon vous, la transmet, est-elle un corps plus solide que ce câble ? Ce seroit assez de dire que le câble le transmet moins bien ; ce qu’il faudrait aussi prouver après l’avoir dit, ou plutôt dire après l’avoir éprouvé.
  68. Au milieu de quoi ? Est-ce au milieu de l’église, ou au milieu d’un des quatre murs ? Et dans ce dernier cas, est-ce au milieu de l’un des murs transversaux, ou de l’un des murs longitudinaux ?
  69. Le traducteur latin dit au contraire que, dans cette dernière position, on entend l’écho ; et que, dans le précédent, on cesse de l’entendre.
  70. Mais cette compression est égale et uniforme dans toutes les parties.
  71. Les livres d’alchymie sont remplis de faits de cette nature, auxquels il ne manque rien pour intéresser vivement les amateurs, sinon des preuves. Comme une vingtaine d’adeptes, en différens temps et en différens lieux, nous ont honorés de leurs graves et mystérieuses confidences, en nous offrant gratis l’initiation formelle, nous devons, par reconnoissance, leur faire présent d’une règle déduite d’un principe incontestable parmi les vénérables rose-croix, et d’un procédé à l’aide duquel ils pourront composer, avec une merveilleuse facilité, autant d’or qu’on en peut faire par des raisonnemens à perte de vue, amalgamés avec des termes de métaphysique ; avances peu dispendieuses ! Tout corps qui a la propriété de digérer et de s’assimiler d’autres corps, les digère, et se les assimile d’autant plus aisément et d’autant mieux, qu’on les lui fait manger en plus petite quantité, plus graduellement et plus lentement. Par exemple, si je mange en un seul repas quatre livres de pain, non-seulement je ne pourrai digérer ces quatre livres, mais même je ne digérerai pas la quantité de pain que j’aurois digérée, si je m’étois contenté de la ration que la nature a allouée à mon faible estomac ; et mon creuset intestinal rejettera beaucoup de scories. Mais, si je mange, en quatre jours et en douze repas, cette même quantité de pain, je la digérerai fort aisément. Or, il est démontré, dans tous les livres canoniques d’alchymie, que l’or a la faculté de s’assimiler et d’aurifier les autres métaux, sur-tout l’argent et le mercure ; puisque les alchymistes les moins zelés, dont les désirs sont autant de syllogismes, souhaitent cette assimilation et cette aurification. Cela posé, si, à telle quantité d’or je mêle un dixième d’argent, mais tout à la fois, ce dernier métal ne se combinera pas parfaitement avec le premier, et il n’en résultera qu’un alliage ; parce que j’aurai voulu faire manger à l’or quatre livres de pain en un seul repas. Mais, au lieu de l’étouffer ainsi, je diviserai ce dixième d’alliage en cent parties ; je ne jetterai d’abord dans le creuset où sera l’or, qu’un seul de ces centièmes ; je remuerai bien le tout pour faciliter la combinaison ; lorsque l’or aura eu le temps de digérer complètement ce premier centième, je lui servirai le second ; je lui laisserai le temps de digérer le second, avant de lui servir le troisième ; et ainsi de suite. Pour peu qu’on ait lu attentivement le catéchisme de l’alchymie, on ne doutera point qu’il ne soit très facile de faire, à l’aide de ce procédé, et avec six livres d’argent, pour cinq sous d’or. Voilà du moins un grain de raison allié à un quintal de folie ; et comme cette raison est en très petite quantité, elle sera complètement digérée par les fous.

    N. B. Pour pouvoir convertir l’argent en or, il faut d’abord en avoir : or, c’est ordinairement parce qu’on n’en a pas, qu’on veut faire cette conversion ; mais ce cercle vicieux n’est qu’une très légère difficulté dont on se tire par un emprunt à fonds perdu avec l’intérêt.

  72. Ce plomb joignoit-il encore bien exactement à la pierre par sa surface intérieure ou cette pierre elle-même ne se seroit-elle pas renflée ?
  73. Cette comparaison ne suffiroit que dans le cas où l’on sauroit déjà quel poids il doit avoir sous ce volume ; ou, ce qui est la même chose quel volume a une quantité d’or pur de même poids. La règle générale, pour découvrir l’alliage, est de comparer les volumes de deux masses égales, (c’est-à-dire, du même poids) ; l’une, du métal vérifié ; l’autre, du métal douteux ; ou de comparer les poids de deux masses, aussi de ces deux espèces, et dont les volumes sont égaux. Par exemple, pesez dans l’air les deux masses égales, puis pesez-les dans l’eau ; si celle dont vous doutez y perd plus de son poids que celle dont vous ne doutez pas, votre doute est fondé, et le métal à vérifier contient en effet de l’alliage.
  74. Cette supposition nous paroit fausse ; car, en quelque proportion qu’on puisse combiner le plomb avec l’argent, il en résultera toujours un métal dont la pesanteur spécifique sera plus grande que celle de l’argent pur ; excès de pesanteur spécifique qu’on pourra découvrir, en pesant, d’abord dans l’air, puis dans l’eau, deux masses d’égal poids ; l’une, d’argent pur ; l’autre, d’argent combiné avec du plomb ; et cette dernière masse pesée dans l’eau perdra moins de son poids que la première ; ou, ce qui est la même chose, si l’on donne précisément le même volume aux deux masses, celle où il entrera du plomb, pèsera plus que l’autre.
  75. Il perdra probablement de son poids ; mais c’est de sa pesanteur spécifique que l’auteur veut parler ; car il désigne indifféremment par ce mot de poids, et le poids absolu et le poids relatif.
  76. Nous voilà encore dans la poésie et la rhétorique : quand on n’a pas des idées nettes sur un sujet, on ne trouve point le terme propre ; et quand on ne trouve point le terme propre, on a recours à des expressions figurées. Le figuré est le représentant naturel du propre, comme le propre est celui des idées, et comme les idées représentent les objets réels ; mais, dans ce cas, comme dans tous les autres, le représentant ne vaut jamais le représenté ; et la présence de la chose même vaut mieux que sa représentation.
  77. Mot créé par Rousseau, et qui nous seroit bien nécessaire ici.
  78. Chacune, en se logeant dans les interstices de l’autre, remplit à l’intérieur un grand nombre de vuides, multiplie les contacts réciproques entre les petites parties, et augmente ainsi leur force du cohésion, qui, toutes choses égales d’ailleurs, est proportionnelle aux nombres de points qui se touchent.
  79. Il se trompe : cette proposition n’est pas la réciproque ou l’inverse de la précédente ; la véritable est celle-ci : ces dissolvans admettent aussi, dans leurs interstices, les particules pierreuses ou métalliques ; car les acides dissolvent, et les métaux sur lesquels on les jette, et ceux qu’on y plonge ; ce qu’ils ne peuvent faire ; dans le premier cas, sans pénétrer ces métaux ; ni dans le second cas, sans admettre, dans leurs interstices, les particules métalliques.