SYLVA SYLVARUM (trad. Lasalle)/Centurie X

Sylva Sylvarum
Centurie X
Traduction par Antoine de La Salle.
Œuvres9 (p. 357-492).
Centurie X.
Expériences et observations sur la transmission ou l’influence des vertus immatérielles[1], et sur le pouvoir de l’imagination.

Il est une opinion chimérique et monstrueuse, enfantée dans l’école superstitieuse de Pythagore, et nourrie dans celle de Platon, ou de quelques autres philosophes. Selon eux, le monde est un tout organisé et vivant, un grand animal complet et parfait. Apollonius de Thyane, ce prétendu prophète, sorti de la première de ces deux écoles, osoit même soutenir que le flux et le reflux de la mer n’étoit autre chose que la respiration de cet énorme animal, absorbant et rejetant tour à tour les eaux de l’océan par une sorte d’aspiration et d’expiration, semblable à celle d’un animal proprement dit. Mais ce n’étoit pas tout ; de cette première supposition ils tiroient des conséquences : si l’univers, disoient-ils, est un animal, il a donc une âme, un esprit, que nous pouvons appeller l’esprit ou l’âme du monde, et ils lui donnoient en effet ce nom. Or, ce n’étoit pas l’Être suprême qu’ils désignoient par cette dénomination ; car d’ailleurs ils admettoient l’existence d’un Dieu, mais seulement l’âme ou la forme essentielle de l’univers comme nous venons de le dire[2]. Ce fondement une fois posé, ils bâtissoient dessus tout ce qu’il leur plaisoit. Dans un animal, ajoutoient-ils, quelque puisse être son volume, même dans une baleine, les sensations et les affections d’une partie se communiquent aussi-tôt à toutes les autres, et se répandent dans le tout en un instant ; comparaison qu’ils alléguoient pour nous faire entendre qu’aucune distance, aucune qualité réfractaire dans une matière non préparée, ne pourroit faire obstacle aux opérations magiques, mais que nous pourrions, par exemple, avoir en Europe le sentiment de ce qui se feroit à la Chine, et produire un effet quelconque, indépendamment et même en dépit des loix de la nature ; le tout sans aucune coopération de la part des anges ou des esprits de l’ordre inférieur, mais seulement en vertu de l’unité, de l’harmonie de la nature. Quelques-uns même ne s’arrêtoient pas à ce point, ils prétendoient que, si l’esprit de l’homme qu’ils qualifioient de microcosme, donnoit une certaine touche à l’esprit de l’univers, à l’aide d’une imagination forte et d’une ferme croyance, il pourroit commander à la nature entière. Car Paracelse, et quelques écrivains plus obscurs, qui ont traité de la magie naturelle, ne craignent pas d’attribuer à l’imagination exaltée un pouvoir égal à celui de cette foi vive qui opère des miracles. Telles sont les chimères dont les hommes se sont bercés durant tant de siècles ; genre de folie qui a pourtant, comme tous les autres, ses douceurs et ses jouissances[3].

Pour nous, qui demeurons constamment attachés à l’étude des loix auxquelles l’auteur de toutes choses a soumis les créatures, et qui nous contentons de marcher à la lumière de l’expérience, et des sens, qui sont comme le flambeau de la divinité, nous chercherons, avec toute la réserve et la sévérité nécessaires, si ces transmissions ou influences de vertus immatérielles ont quelque réalité, et sont compatibles avec les loix de la nature ; enfin, quel peut être le pouvoir de l’imagination, soit sur le corps de l’individu imaginant, soit sur tout autre ; à l’exemple d’Hercule, qui entreprit de nettoyer les écuries d’Augias, nous tâcherons de démêler, parmi les pratiques et les observances superstitieuses de la magie, ce qu’il peut s’y trouver de clair et de purement naturel ; procédés qui, à ce titre, ne doivent être ni méprisés, ni formellement rejetés. Nous aurons souvent occasion dans la suite de traiter ce sujet ; cependant nous croyons devoir commencer à l’approfondir quelque peu dans cette Centurie même.

Expériences diverses et avertissemens sur la transmission des esprits (sur les actions d’esprit à esprit), et sur le pouvoir de l’imagination.

900. Ier. avertissement. Quoique les effets attribués aux actions d’esprit à esprit, et au pouvoir de l’imagination, n’aient pas toujours lieu, et trompent quelquefois l’attente, ce n’est point une raison pour refuser toute croyance aux faits de cette nature[4]. Car, de même que, dans les maladies qualifiées de contgieuses, et qui se communiquent de corps corps, telles que la peste et autres semblables, quoique la cause morbifique exerce réellement son action sur le corps passif’, celui-ci ne laisse pas de la repousser et de s’en garantir quelquefois, en vertu d’une constitution énergique et vigoureuse, avant qu’elle ait fait une impression trop profonde, et qu’elle ait pris le caractère d’une maladic décidée ; de même, et à plus forte raison, dans les impressions d’âme à âme, ou d’esprit à esprit, quoique tel esprit agisse réellement sur tel autre cependant celui-ci peut, en résistant à son action, d’une manière victorieuse avant qu’elle ait fait une impression sensible, en rendre l’effet nul, ou presque nul. Aussi voit-on que les causes de cette nature agissent ordinairement sur les âmes foibles, sur les esprits sans énergie, tels que ceux des femmes, des malades, des individus timides et superstitieux, des enfans, et, en général, des animaux fort jeunes, comme l’observe le poëte latin, qui a chanté les amours et les occupations innocentes des bergers.

Je ne sais quel œil mal-faisant a jeté un charme funeste sur mes agneaux.

Remarquez que le poëte ne parle pas des brebis, mais seulement des agneaux. Quant au peu d’effet que les moyens de ce genre produisent sur les rois et les magistrats, outre la raison principale qu’on en peut assigner ; savoir : cette protection spéciale que Dieu daigne accorder à ceux qui sont comme ses lieutenans sur la terre[5] ; on peut aussi l’attribuer à la foiblesse relative de l’imagination dans les individus qui voudroient agir sur eux ; les sorcières et les magiciens ayant peine à se persuader qu’ils aient le pouvoir de nuire, par de tels moyens, à des personnages d’un rang si élevé.

Second avertissement. Mais nous devons aussi tâcher de tirer un peu les hommes en sens contraire, pour les préserver d’une excessive crédulité sur ce point ; et de peur que, voyant quelquefois les événemens répondre assez exactement au but des opérations de cette nature, ils ne se persuadent trop aisément qu’elles en sont l’effet. Car, assez souvent les succès en ce genre doivent être attribués à la force et au pouvoir que les passions et l’imagination exercent sur le corps même de l’individu imaginant ; lequel peut ainsi agir secondairement (médiatement) sur un autre corps. Supposons, par exemple, qu’un homme qui porte continuellement sur lui un cachet, ou un anneau constellé, soit fortement persuadé que cette bagatelle peut le rendre heureux en amour, le garantir de quelque danger, le rendre invulnérable dans un combat, lui faire gagner son procès etc. cette idée, toute chimérique qu’elle est, peut lui donner cent fois plus d’activité, d’industrie d’audace et de persévérance qu’il n’en auroit eu sans cette illusion. Or, qui ne sait ce que peut, dans le conflit des intérêts humains, une industrieuse, infatigable et audacieuse activité ? Ne voit-on pas journellement que la seule audace suffit pour subjuguer et enchaîner les âmes foibles ? L’état des affaires humaines est si variable en lui-même, et les hommes, par leur propre instabilité, donnent tant d’avantage sur eux, que tout individu qui s’attachant sérieusement à son objet, réitère et varie continuellement ses tentatives, sans jamais lâcher prise, obtient enfin des succès qui tiennent du miracle[6]. Ce seroit donc, en trompant les autres, et se trompant soi-même, s’abuser doublement, que de prétendre que ces effets, visiblement produits par le pouvoir que l’imagination d’un individu exerce sur son propre corps, doivent être attribués à celui qu’elle exerce sur le corps d’un autre individu. Car, il est d’ailleurs hors de doute que l’imagination et les passions fortes peuvent produire les plus puissans effets sur le corps de l’individu imaginant, comme nous le prouverons assez dans les articles suivans.

901. Troisième avertissement. Si l’on doit se tenir en garde contre toute méprise sur les causes des opérations dont nous parlons, on doit craindre également de se méprendre sur les effets mêmes, en un mot, sur le fait, et de regarder comme constatés des faits qui n’ont aucune réalité. Aussi les juges les plus distingués par leur prudence et leur probité, se font-ils une loi, et recommandent-ils fréquemment de ne pas ajouter foi trop aisément aux aveux mêmes des sorcières ou des magiciens, ni aux prétendues preuves qui les chargent ; l’évidence même semblât-elle déposer contr’eux. Car ces sorciers qui font illusion au vulgaire, sont souvent dupes eux-mêmes de leur propre imagination ; ils s’imaginent quelquefois faire ce que réellement ils ne font pas ; et le vulgaire excessivement crédule sur ce point, est toujours prêt à les accuser de sorcellerie, et à imputer à de prétendus enchantemens, des effets au fond très naturels. Il est bon d’observer aussi, par rapport à certains faits (qu’on lit dans des auteurs, soit anciens, soit modernes), tels que ceux qui regardent les magiciens de la Thessalie, où ces congrès de sorciers dont on parloit dans ces derniers temps, et qui sembloient constatés par l’aveu fornel des accusés mêmes, que, dans toutes ces relations de prodiges, par exemple, de personnes enlevées dans les airs, ou transformées en différens animaux, on n’attribuoit point ces effets à des enchantemens, ou à des cérémonies magiques, mais à de simples onctions sur tout le corps ; circonstance qui porteroit à croire que tous ces prodiges que les accusés croyoient avoir été opérés par eux ou sur eux, étoient de purs jeux de leur imagination. Car on sait d’ailleurs que certaine onguens appliqués sur tout le corps, pour peu que la couche soit épaisse, peuvent produire tous ces effets, en obstruant les pores de la peau, en répercutant à l’intérieur la matière des deux transpirations, et en déterminant les vapeurs à la tête en très grande quantité. Quant aux ingrédiens particuliers qu’on employoit pour ces onctions, c’étoient probablement des opiates et des narcotiques. Car on sait assez que de simples onctions sur le front, sur la nuque du cou, à la plante des pieds, sur l’épine dorsale, suffisent pour occasionner un sommeil très profond, où le sujet paroît comme mort[7]. Et si quelqu’un prétendoit qu’on obtiendroit plus sûrement le même effet par des potions et des drogues prises intérieurement, on pourroit lui répondre que les drogues employées pour ces onctions, ont tant de force, que si l’on en faisoit usage intérieurement, elles deviendroient des poisons mortels ; qu’en conséquence elles peuvent avoir encore une action très puissante, quoiqu’appliquées extérieurement.

Nous croyons devoir actuellement ranger dans différentes classes les effets opérés par la transmission des esprits (par l’action d’esprit à esprit), et par la force de l’imagination ; division qui pourra répandre quelque jour sur les expériences que nous exposerons ci-après. Toutes les causes de cette nature ont cela de propre, qu’elles peuvent agir, non-seulement dans le cas du contact immédiat, mais même à d’assez grandes distances. Ces classes, ou ces genres, toute distinction faite, peuvent se réduire à huit.

902. Dans la première, nous rangerons la transmission ou l’émission des parties les plus ténues et les plus aériennes des corps ; telles sont, par exemple, celles d’où résultent les odeurs et les maladies contagieuses. Mais on doit observer qu’il est beaucoup d’émanations de ce genre, soit salubres, soit insalubres, qui ne sont point sensibles à l’odorat ; par exemple, la peste, dans un individu qui en est attaqué, ne se manifeste par aucune odeur caractéristique ; et il est bien des espèces d’air toutes salubres, dont les qualités bienfaisantes ne peuvent être reconnues que par la seule habitation dans les lieux où elles se trouvent, on par quelque moyen semblable, mais qu’aucune odeur particulière ne distingue des autres. Nous devons aussi rapporter à cette classe toutes ces qualités dont l’air peut être imbu, lorsqu’elles résident dans des substances matérielles, comme celles d’où dépendent les odeurs. Il en est qui se répandent avec une étonnante rapidité ; de ce genre sont ces émanations qui infectent l’air de la basse Égypte, presque au moment même où le Nil commence à croître, et dont nous avons parlé dans un des articles précédens.

903. Du second genre est la transmission ou l’émission de ce que nous appelons les espèces immatérielles[8] ; on peut ranger dans cette classe celles qui sont les objets de la vue et de l’ouïe : les dernières font le sujet de la seconde et de la troisième Centurie ; nous traiterons des premières dans le lieu convenable. Les unes et les autres se meuvent avec beaucoup de rapidité, et se portent à de grandes distances ; mais ce n’est qu’à la faveur d’un milieu bien disposé ; et le plus léger obstacle peut empêcher cette transmission.

904. La troisième classe est composée de ce genre d’émissions, d’où résultent les attractions que certains corps exercent sur d’autres, à une distance déterminée. Mais, quoiqu’on mette ordinairement au premier rang dans cette classe, l’aimant ; cependant nous croyons devoir l’en exclure, et le rapporter à un autre membre de division. Quant à ce qui regarde l’attraction propre à l’ambre et au jais, ou celle que l’or exerce sur les esprits du mercure, ou même celle en vertu de laquelle la chaleur se communique à de grandes distances ; ou encore celle qui a lieu entre le feu et la naphte ; ou enfin, celle que certains végétaux exercent sur l’eau, quoiqu’ils en soient assez éloignés, et une infinité d’autres : nous éclaircirons peu à peu ces différens points ; non pas toutefois dans cet article même, mais dans ceux où nous traiterons, ex-professo, de l’attraction en général.

935. Du quatrième genre est l’émission des esprits ou des forces immatérielles, dont l’action n’est qu’une conséquence nécessaire de la dépendance mutuelle et de la corrélation harmonique de toutes les parties de l’univers[9] ; non en vertu des forces ou des influences célestes, comme on l’a avancé et cru trop aisément, mais en vertu de la nature primordiale, et par la seule énergie des semences ou principes des choses[10]. On peut ranger dans cette classe d’abord l’action de l’aimant, qui est l’effet d’une corrélation avec le globe terrestre ; puis le mouvement de la gravité ou de la pesanteur, qui a pour cause une corrélation des corps denses avec la masse du globe ; ainsi qu’une certaine disposition des corps au mouvement de rotation sur-tout à celui d’orient en occident ; enfin, le grand flux et reflux de l’océan, qui a aussi lieu en vertu de la corrélation harmonique des différentes parties de l’univers, comme faisant lui-même partie du mouvement diurne[11]. Ces vertus, ou forces immatérielles ont cela de propre et de caractéristique, que la diversité des milieux ne peut faire obstacle à leur action, et qu’elles traversent toutes sortes de milieux indistinctement cependant, elles n’agissent qu’à des distances déterminées, et leur sphère d’activité est limitée. Or comme ce qui concerne les différentes espèces de ce genre se rapporte aux différens articles de cette centurie nous les analyserons à mesure qu’elles se présenteront.

Dans la cinquième classe se range l’émission des esprits, qui est proprement le sujet de cet article ; je veux dire l’action des esprits des individus humains[12], sur ceux des autres individus ; genre d’actions qui se divise en deux espèces ; savoir : l’action des passions fortes, et celle d’une imagination énergique. Mais ces deux espèces d’actions sont si analogues[13], et le lien qui les unit est si étroit, que nous serons obligés de traiter de l’une et de l’autre dans le même article. Car, lorsque l’œil mal-faisant d’un envieux, ou l’œil ardent d’un amant affecte les esprits d’un autre individu, l’impression qu’il peut faire est tout à la fois l’effet de la passion et de l’imagination.

906. Les influences des corps célestes, outre celles de la lumière et de la chaleur, qui sont plus connues, forment le sixième genre ; mais nous éclaircirons ces différens points dans le livre où nous traiterons des corps célestes et de leurs mouvemens.

907. Nous mettrons dans la septième classe les effets de la sympathie que les auteurs qui ont écrit sur la magie naturelle, ont ramenés à des préceptes et réduits en art. Or, tel est, en peu de mots, le fondement et l’esprit de cet art. Voulez-vous, par exemple, donner à tel individu telle qualité ou disposition, choisissez, parmi les corps animés, ceux où cette qualité est au degré le plus éminent, à son maximum ; choisissez aussi la partie de cet animal, à laquelle cette qualité ou disposition est propre, et où elle réside aussi à son maximum. Préférez encore, pour l’amputation de cette même partie, l’instant où cette qualité active ou faculté est en exercice et à son maximum. Enfin, appliquez la partie de l’animal actif sur la partie de l’individu passif, de l’homme, par exemple, qui est regardée comme le principal siège de cette qualité ou faculté. Par exemple, voulez-vous donner à un homme plus de courage et d’audace qu’il n’en auroit naturellement, prenez le cœur, la dent, ou la peau d’un lion ; ou encore l’éperon et le cœur d’un coq, au moment où ces animaux viennent de combattre : puis, vous les appliquerez sur la région du cœur ou sur la paume de la main de l’individu en question, qui devra les porter habituellement, en les tenant toujours appliqués à ces mêmes parties. C’est de ce genre même de sympathies et d’autres semblables, que nous nous proposons de traiter dans l’article dont nous parlons.

908. Le huitième et dernier genre est l’émission des vertus immatérielles ; genre d’actions et d’effets qui me paroissent à moi-même si peu croyables, que je me ferois un scrupule d’en donner des exemples, et de m’y arrêter, si je ne voyois qu’une infinité de personnes y ajoutent foi, et si je ne m’étois imposé, comme une loi sévère et constante, l’obligation de tout approfondir, tout, dis-je, sans exception ; bien déterminé à ne rien admettre trop aisément, quoique appuyé d’autorités respectables, et à ne rien rejeter, même de ce qui paroît tout-à-fait dénué de vraisemblance, qu’après l’avoir soumis à un mûr examen[14]. Je veux parler de cette sympathie qu’on suppose entre certains individus. Car, de même qu’il est une sympathie d’espèce à espèce, il peut y avoir aussi une sympathie d’individu d individu, et telle que des corps qui ont été en contact l’un avec l’autre, et qui ont fait partie d’un même tout, aient, après leur séparation même, la faculté d’agir l’un sur l’autre, et de se communiquer réciproquement leurs qualités ou dispositions ; par exemple, il pourroit y avoir quelque relation de cette nature entre une blessure et l’arme qui l’a faite ; d’où est venue la grande vogue de l’onguent armaire[15], entre un morceau de lard et les verrues qu’on en a frottées ; entre une branche d’aune et l’eau qui baignoit le pied de l’arbre, tandis que cette branche végétoit, etc. ou enfin, une sympathie telle, que si de deux corps qui ont fait partie d’un même tout, l’un vient à se consumer, à se dessécher, à se putréfier, etc. il communique sa disposition à celui dont il a été séparé. Reste à donner des exemples de ces différentes espèces de forces et d’actions.

Expériences et observations sur l’émission des esprits, sous la forme de vapeurs, d’exhalaisons, ou d’émanations analogues à celles qui constituent les odeurs.

909. Souvent un individu est attaqué de la peste, sans qu’aucune odeur la rende sensible, comme nous l’avons déjà observé. On prétend que, dans les lieux où elle se manifeste, elle exhale une odeur analogue à celle des pommes douces et très mûres ; ou, selon quelques écrivains, une odeur de muguet. On croit aussi que les odeurs excessivement douces de certaines fleurs, telles que le lilas, la prime-vère, la jacinthe, etc. peuvent être nuisibles dans les lieux où règne la peste, et même la provoquer.

910. La peste semble respecter les individus[16] qui se consacrent au service des pestiférés, comme garde-malades, médecins, etc. et atteindre aussi plus rarement les personnes munies de quelque préservatif, soit pris intérieurement, comme mithridate, baies de genièvre, etc. feuilles et semences de rue, etc, soit pris extérieurement, telles que l’angélique ou la zédoaire, tenues dans la bouche ; ou encore des fumigations de galbanum, de poix liquide (de poudre à canon), etc. On prétend aussi que les sujets d’un âge décrépit, ou d’une complexion froide et sèche, y sont moins exposés que les autres ; et qu’au contraire les sujets qu’elle attaque le plus aisément, sont ceux qui viennent d’un lieu ou l’air est très pur ; ceux qui jeûnent excessivement ; les enfans ; et s’il faut en croire certaines relations, les parens des pestiférés, plutôt que des étrangers.

911. Il est peu d’odeurs plus infectes et plus pernicieuses que celle qui s’exhale d’une prison où un grand nombre de personnes sont resserrées très étroitement, et tenues très malproprement ; fait qui n’a été que trop bien constaté de nos jours, par deux ou trois expériences vraiment effrayantes ; car on a vu des juges qui avoient siégé dans des prisons avec leurs assesseurs, et même de simples spectateurs, tomber malades tout à coup et mourir presque sur-le-champ. Ce seroit donc une précaution fort sage que de donner de l’air à la prison, avant d’amener les prisonniers devant les juges.

912. Il est hors de doute que, si l’on peut composer, par le moyen de l’air, des substances dont les émanations aient de si funestes effets, elles doivent être extraites principalement de la chair et de la sueur humaines, putréfiées par quelque procédé particulier qui puisse affoiblir ou masquer leur odeur naturelle. Car les émanations les plus pernicieuses ne sont pas celles qui exhalent une odeur très infecte, attendu que le nez les repoussant aussi-tôt, avertit ainsi de s’en garantir ; mais bien celles qui, ayant quelque sorte d’affinité avec le corps humain, s’insinuent presque sans se faire sentir, et attaquent perfidement les esprits. Ce seroit un bien funeste secret, que celui d’une composition capable d’empoisonner une grande masse d’air, telle que celle qu’on respire dans l’intérieur des grands édifices ; par exemple, dans les églises, dans les salles d’audience, de spectacles, etc. où l’assemblée est presque toujours très nombreuse. L’empoisonnement de l’air n’est pas moins craindre que celui de l’eau ; autre moyen perfide dont les Turcs font quelquefois usage dans leurs guerres, et que Manuel Comnène employa aussi contre les chrétiens mêmes, lorsqu’en allant à la terre sainte, ils traversèrent ses états. Et cet empoisonnement de l’air est d’autant plus à craindre dans les lieux d’assemblée publique, que la masse d’air y étant déjà infectée par la respiration d’un si grand nombre de personnes, elle n’en est que plus disposée à contracter des qualités pestilentielles. Ainsi, dans tous les lieux où l’on a sujet de craindre quelque perfidie de cette nature, il seroit à propos de purifier l’air par des fumigations, avant l’heure de l’assemblée.

913. On prétend que, pour empoisonner certaines personnes, par le moyen des odeurs, on a quelquefois mis le poison dans des gands parfumés[17]. Il est assez vraisemblable qu’on mêle ainsi le poison avec des odeurs agréables, afin que les personnes l’aspirant avec plus de force, il leur devienne plutôt funeste. On empoisonne quelquefois aussi en enduisant de la matière vénéneuse, les portes, les serrures, etc. Et alors l’empoisonnement est moins l’effet du simple contact, que de cette habitude où sont la plupart des hommes, lorsque quelque substance humide s’est attachée à leurs doigts, de les porter aussitôt à leur nez. Ainsi, ceux qui ont cette mauvaise habitude, doivent regarder ce que nous disons ici comme un avertissement de prendre garde à eux. Ce qui doit pourtant nous rassurer un peu à cet égard, c’est que cette perfide méthode d’empoisonner l’air, on ne peut l’employer sans mettre en danger sa propre vie. Mais, si ceux qui ont ce noir dessein trouvoient moyen de se munir de quelque préservatif, il n’y auroit plus de sûreté pour qui que ce soit.

914. On a vu en différentes contrées se manifester une peste occasionnée par une multitude immense de sauterelles et de cigales qui mouroient promptement, et qui, demeurant entassées en certains endroits, infectoient toute la masse de l’air.

915. Quelquefois aussi, du fond des mines qu’on exploite, s’élèvent des vapeurs mortelles, accident occasionné, tantôt par les moufettes qui suffoquent les ouvriers, tantôt par les émanations vénéneuses (délétères) du minéral même. Les affineurs, et, en général, ceux qui travaillent sur les métaux, ont souvent le cerveau attaqué et comme paralysé par les vapeurs métalliques : par exemple, les esprits volatils du mercure attaquent tout à coup le crâne, les dents et les os de ceux qui sont obligés d’employer fréquemment ce métal ; et l’on dit que, pour prévenir cet inconvénient, les doreurs tiennent dans leur bouche un morceau d’or qui attire les vapeurs mercurielles, et qui blanchit en peu de temps. Il est aussi, dit-on, des puits et des lacs, entr’autres, le lac Averne, d’où s’élèvent des vapeurs si pestilentielles, qu’elles donnent la mort aux oiseaux qui volent au-dessus, ou aux hommes qui demeurent trop long-temps auprès.

916. La vapeur du charbon de bois ou du charbon de terre, dans une chambre close, est souvent funeste ; vapeur d’autant plus dangereuse, que ses premiers effets sont presque insensibles, et ne s’annoncent par aucune odeur marquée qui fasse craindre d’être suffoqué ; mais on se sont alors tomber peu à peu dans un état de foiblesse qui se termine par la mort. Quand certains navigateurs hollandois hivernèrent dans la nouvelle Zemble, le bois étant venu à leur manquer, ils s’avisèrent de faire du feu avec le charbon de terre dont ils étoient mieux pourvus : le froid étant déjà très âpre, ce charbon, en les réchauffant, leur fit d’abord plaisir ; mais très peu de temps après qu’ils se furent assis autour du foyer il leur devint nuisible. D’abord, il se fit un silence général, produit par une sorte de paresse, même à parler : quelques minutes après, un d’entr’eux, d’une constitution plus foible que les autres, tomba en syncope ; mais heureusement, ayant soupçonné la vraie cause de cet accident, ils ouvrirent la porte de leur cabane pour en renouveler l’air ; ce qui les sauva tous : ces effets dont nous venons de parler, doivent sans doute être attribués à quelque vapeur grossière qui, en se combinant avec l’air de ce lieu clos, se mêle par conséquent avec celui de la respiration, et avec les esprits vitaux. On éprouve quelque chose de semblable dans les appartemens nouvellement enduits de plâtre ou de chaux, si l’on y fait du feu ; genre d’accident qui, en causant la mort d’un personnage tel que l’empereur Jovinien, a excité l’attention des hommes, et redoublé leur vigilance sur ce point[18].

917. Voyez les observations que nous avons faites dans le n°. 803, sur les qualités pestilentielles que contracte l’air atmosphérique, lorsqu’il tombe de petites pluies après une longue sécheresse.

918. Quelquefois les pharmaciens, en pilant de la coloquinte, sont attaqués d’un violent cours de ventre occasionné par la vapeur de cette drogue.

919. On s’est assuré par des épreuves réitérées, que, lorqu’on brûle de cette sorte de poivre connue dans le commerce sous le nom de poivre de Guinée, la vapeur qui s’en élève, fait éternuer continuellement toutes les personnes qui se trouvent alors dans la chambre.

920. Si nous en croyons une antique tradition, des yeux classieux infectent les yeux sains par le seul effet du regard ; lorsqu’une femme qui a ses règles se regarde dans une glace, elle la ternit[19] ; si une femme qui se trouve dans ce même état, se promène dans un champ ou dans un jardin, sa présence fait du bien aux bleds et aux autres plantes herbacées, en tuant les vers[20] ; mais cette dernière relation nous paroît fabuleuse.

921. Suivant une tradition non moins antique, le basilic tue l’homme par son seul regard ; et lorsque le loup est le premier à regarder l’homme, il l’enrhume[21].

922. Des fumigations convenables évacuent les humeurs surabondantes du cerveau, et le fortifient ; arrêtent le progrès d’un rhume, d’un catarre, d’une fluxion, etc. comme on en voit la preuve dans les bons effets de la fumée du romarin desséché, du bois d’aloës, de la plume brûlée, lorsqu’on aspire cette fumée par la bouche et le nez. On sait aussi qu’il est beaucoup de substances dont la fumée, humectante et restaurante, est un excellent remède pour les fiévres chaudes, les consomptions et les insomnies : de ce genre sont l’eau-rose, le vinaigre, l’écorce de citron, la violette, la feuille de vigne un peu humectée d’eau-rose.

923. Un remède souverain pour les foiblesses soudaines et les syncopes, c’est un mouchoir imbibé d’eau-rose ou de vinaigre, et mis sous le nez ; remède dont l’effet propre est de condenser et de retenir les esprits qui alors tendent à se décomposer et à s’exhaler.

924. Le tabac fortifie les esprits et dissipe l’ennui ; propriété qu’il doit en partie à sa qualité d’apéritif, mais sur-tout à celle de narcotique, dont l’effet est de condenser les esprits. Il faudroit essayer d’aspirer ou de fumer, à l’aide d’une pipe, à peu près comme le tabac, différentes substances, telles que le romarin et le bois d’aloës, dont la fumée est très dessiccative ; ainsi que la noix muscade et la feuille d’Inde.

925. Suivre la charrue dans un champ qu’on laboure, est encore un excellent moyen pour ranimer les esprits et exciter l’appétit. Mais, si l’on choisissoit, pour une promenade de cette nature, un champ qu’on prépareroit pour l’ensemencer de froment ou de seigle, elle pourroit devenir nuisible ; parce que, dans la saison où on laboure les champs destinés aux grains de ces deux espèces, la terre s’étant déjà épuisée à produire des végétaux durant l’été, ses émanations ont perdu ce qu’elles avoient de plus suave et de plus salubre. Ainsi, il faudroit préférer une terre où les cultivateurs auroient dessein de semer de l’orge. Cependant, comme la culture des terres labourables est astreinte à certains temps fixes et limités, qu’on ne peut prolonger sans inconvénient, on pourroit se contenter de respirer les émanations d’une terre nouvellement remuée avec la bêche ou le hoyau, en se tenant à côté de l’homme qui la retourneroit. Si les femmes de distinction, dans les mêmes vues, se tenant à genoux sur un coussin[22], et se penchant vers la terre, s’occupoient à arracher les mauvaises herbes, ce léger travail seroit très utile à leur santé ; mais il faudroit que ce fût dans une saison convenables par exemple, au commencement du printemps, et avant que la terre eût produit des végétaux[23]. Il faut aussi faire choix d’une terre qui exhale une odeur très suave. Je serois encore d’avis qu’on attendit que la rosée se fût un peu dissipée, de peur que cette vapeur qu’on respireroit ne fût trop humide. Un personnage distingué que j’ai connu, et dont la vie a été fort longue, se faisoit apporter tous les matins, à son réveil, une motte de terre bien nette ; puis, se tenant assis dans son lit, et penché sur cette motte il en aspiroit la vapeur pendant quelque temps. Je voudrois enfin qu’en remuant la terre dans cette vue, on répandit dessus un peu de vin, afin que les émanations de la terre se combinant avec celles de cette liqueur, pussent ainsi restaurer et ranimer plus sûrement les esprits. Qu’on n’aille pas toutefois prendre une telle pratique pour une sorte de sacrifice semblable à ceux des paiens, et de libation à la déesse Vesta.

926. On fait usage en médecine de certaines pastilles ou boulettes, composées d’une poudre aromatique, qu’on n’emploie qu’extérieurement, et qui ont la propriété de guérir les rhumes, de fortifier les esprits et de provoquer le sommeil. Car, quoiqu’elles aient moins d’action sous cette dernière forme que dans l’état de vapeurs ; cependant, comme on peut alors les tenir continuellement dans ses mains, à la longue, elles ont plus d’effet que les fumigations dont on ne peut user que par intervalles ; sans compter que certaines substances laissées dans leur état naturel, font émission de vapeurs plus abondantes et plus salubres, que lorsqu’on les expose à l’action du feu. De ce genre sont la nielle romaine, la nielle commune, l’amome d’Assyrie, etc.

927 Il est deux substances qui, prises intérieurement, ont la propriété de refroidir et de condenser les esprits ; mais qui, employées extérieurement sous la forme de vapeurs, auroient peut-être le même effet ; l’une est le nitre ; il faudroit le faire dissoudre dans de la malvoisie ou du vin de Grèce, puis aspirer l’odeur de ce vin ; et si l’on vouloit que ces émanations eussent encore plus de force, il faudroit verser cette liqueur sur une poële fort chaude, à peu près comme on le fait ordinairement pour l’eau-rose et le vinaigre. L’autre substance est l’eau distillée de pavot sauvage (de coquelicot) : mais je voudrois encore qu’on y melât parties égales d’eau-rose, avec quelques clous de girofle ; et qu’après avoir mis le tout sur le feu dans une cassolette ordinaire, on en respirât la vapeur. On pourra faire la même épreuve sur l’eau distillée de fleur de safran.

928. On prétend que l’odeur de l’ambre, de musc ou de la civette, a la propriété d’exciter l’appétit vénérien ; effet qu’il produit sans doute en stimulant les esprits et provoquant ainsi leur expansion.

929. L’encens qu’on fait fumer durant le service divin, et tous les parfums de même nature, dont on faisoit usage autrefois dans les sacrifices, ont une légère teinte de qualité vénéneuse qui, en affoiblissant un peu le cerveau, disposent ainsi les hommes au recueillement et à la dévotion ; effets qu’ils peuvent produire en occasionnant dans les esprits une sorte de tristesse ou d’abattement[24], et en partie aussi en les échauffant et les exaltant. On sait que, chez les Juifs, il étoit défendu d’employer, dans le culte particulier, ce genre de parfum dont on faisoit usage dans le sanctuaire, et qui étoit consacré au culte public.

930. Les écrivains qui traitent de la magie naturelle, parlent de certaines substances qui, employées par voie de fumigation, ont la propriété de procurer des songes agréables, et quelquefois mênue des songes prophétiques. Telles sont, par exemple, la graine de lin, l’herbe aux puces (coniza).

931. Il est, comme on pent s’en assurer par l’expérience, des odeurs qui sont quelque peu nourrissantes et telle est entr’autres celle du vin. Si nous devons en croire certains historiens de l’antiquité, Démocrite étant près de mourir, et entendant une femme de la maison se plaindre de ce qu’il ne lui seroit pas permis d’assister à la fête solennelle qui approchoit, parce qu’il y auroit un cadavre au logis, se fit apporter une mie de pain, l’ouvrit, versa dessus un peu de vin, et en respirant la vapeur qui s’en exhaloit, prolongea sa vie jusqu’à ce que le temps de la fête fût entièrement écoulé[25]. J’ai connu un homme de distinction qui jeûnoit quelquefois pendant trois, quatre et même cinq jours, ne prenant aucunc espèce d’aliment, soit sofide, soit liquide, mais qui y suppléoit un peu à l’aide d’une grosse botte d’herbes dont il respiroit continuellement la vapeur, et auxquelles il mêloit quelques plantes d’une odeur forte et pénétrante, telle que l’oignon, l’ail, le porreau, etc.

932. On sait encore que l’odeur des plumes brûlées, ou d’autres substances semblables, employées aussi par voie de fumigation, est un puissant remède pour les suffocations de matrice.

933. Les médecins recommandent ordinairement aux sujets attaques de consomption, ou qui relèvent de quelque longue maladie, de se transporter dans des lieux où l’air soit très pur, pour y faire quelques promenades ; par exemple, dans un pays nud et bien découvert ; non dans les parties couvertes de landes et de bruyères, mais dans des prairies ou dans des endroits bien ombragés, tels que des bois de haute-futaie. On a observé aussi que des bosquets plantés de laurier ont la propriété de chasser les émanations pestilentielles, et de purifier l’air ; on attribuoit à cette cause la salubrité de celui d’Antioche[26]. On voit aussi des terres qui produisent spontanément des plantes ou arbustes d’une odeur suave, telles que le serpolet, la marjolaine, le pouliot, la camomille, etc. et où les roses mêmes de l’églantier exhalent une odeur presque aussi douce que celle des roses musquées ; tous indices certains de la bonne constitution de l’air.

934. Les hommes ne devroient épargner aucun soin pour se procurer un air salubre dans leurs maisons ; mais c’est un avantage dont on ne peut jouir dans les appartenens dont le plafond est trop bas, ni dans ceux où il y a beaucoup de portes ou de fenêtres. Car, dans ceux de la première espèce, l’air est trop renfermé, et ne se renouvelle pas assez : dans ceux de la seconde espèce, il éprouve trop de variations ; ce qui est extrêmement contraire à la santé. Il n’est pas non plus à propos que les fenêtres s’élèvent jusqu’au plafond, comme on le pratique ordinairement pour donner plus d’apparence aux appartemens[27]. Une maison toute bâtie en pierre de taille, est mal saine ; celles qui ne sont qu’en bois ou en briques, sont plus saines. On a essayé avec succès de faire des murs tout en briques et fort épais, mais en mettant un lit de craie entre ces briques, pour préserver les appartemens de toute humidité.

Observations sur les émissions des espèces immatérielles qui affectent certains sens.

935. Les émissions de ce genre sont un sujet que nous avons déjà traité, comme nous l’observions ci-dessus ; et que nous traiterons encore, mais plus amplement, dans les articles auxquels il appartient ; savoir : dans ceux où il sera question des espèces relatives, soit à la vue, soit à l’ouïe, que nous envisagerons alors séparément. Nous nous contenterons ici de faire quelques observations générales sur ce double sujet.

1°. Les unes et les autres semblent être incorporelles[28].

2°. Elles agissent avec la plus grande célérité.

3°. Elles exercent leur action à de grandes distances.

4°. Leurs effets sont susceptibles de la plus étonnante diversité.

5°. Elles ne produisent aucun effet positif, et ne laissent après elles aucunes traces sensibles ; ce ne sont que de pures énergies[29]. Car leur action sur les mimoirs et sur ces obstacles d’où résultent des échos, ne produit dans les corps de ces deux espèces aucune altération sensible ; elle est tout-à-fait identique avec l’action originelle et primitive ; il n’y a que la réflexion de plus. Quant à ce qui regarde l’ébranlement des fenêtres, et la raréfaction de l’air, occasionnés par les sons d’une grande force, ce sont moins des effets propres et directs de ces espèces immatérielles, que des phénomènes purement concomitans[30].

6°. Elles semblent être d’une nature si foible et si délicate, qu’elles ne peuvent affecter qu’une substance aussi rare et aussi atténuée que l’est celle des esprits animaux.

Expériences et observations sur l’émission des vertus immatérielles émanées des âmes ou des esprits des individus humains, et envisagées comme étant l’effet des passions, de l’imagination, ou de toute autre cause de cette nature.

936. Au rapport de quelques historiens, certains individus qui, dans l’âge le plus tendre, avoient été exposés ou soustraits à leurs parens, s’étant trouvés, plusieurs années après, en leur présence, ceux-ci ressentirent une joie secrète, ou quelque autre genre d’émotion inexplicable.

937. Certain charlatan égyptien, qui se donnoit pour devin et pour physiognomiste, vint à bout de persuader à Antoine et à ses principaux amis, que le génie de ce triumvir, d’ailleurs magnanime, plein de confiance et d’audace, devant tous les autres mortels, demeuroit sans force et sans énergie, en présence de celui d’Octave[31] ; qu’en conséquence il devoit le fuir avec soin, et s’en tenir toujours le plus éloigné qu’il pourroit. On croit que ce charlatan avoit été suborné par Cléopâtre, pour engager Antoine à fixer sa résidence en Égypte, ou dans quelque autre lieu éloigné de Rome. Quoi qu’il en soit, cette opinion même, que le génie de tel individu maitrise, enchaîne et subjugue celui de tel autre individu, ne laisse pas d’être fort ancienne, et assez généralement reçue.

938. On croit communément que les individus melancholiques, et d’une mauvaise constitution, communiquent leur tristesse naturelle aux personnes qui les fréquentent, et les affectent d’une manière nuisible : qu’au contraire, les personnes d’une humeur joviale communiquent à toute leur société cette heureuse disposition[32]. Enfin, que la société de tel individu, soit pour les plaisirs, soit pour les affaires, porte bonheur ; et que celle de tel autre individu porte malheur[33]. Quoi qu’il en soit, l’expérience d’accord avec le raisonnement portent à croire qu’entre les personnes qui se trouvent ensemble, il y a quelque léger effluve d’esprit d esprit, comme de corps à corps.

939. On a observé que les vieillards qui aimoient à vivre avec les jeunes gens, et qui traitoient journellement avec eux, ont vécu fort long-temps. Il semble qu’une telle société, en agaçant et réveillant fréquemment leurs esprits, les rajeunissoit, pour ainsi dire, continuellement. Cette observation s’applique spécialement à certains sophistes ou rhéteurs de l’antiquité, qui étoient continuellement environnés d’auditeurs et de disciples de cet âge, je veux dire, Gorgias, Protagoras, Isocrate, etc. ainsi qu’à plusieurs grammairiens, tels qu’Orbilius, etc.

940. Le sentiment de sa force, la présomption et l’audace ont une si prodigieuse influence dans le conflit des intérêts humains, qu’on peut, avec quelque fondement , soupçonner qu’outre les puissans effets de la hardiesse, de l’activité, de la persévérance et de l’importunité même, il est dans ces individus qu’aucun scrupule, ni aucune crainte ne peuvent arrêter, et qui ne doutent de rien, une force secrète, un ascendant irrésistible, qui maîtrise les esprits des autres individus, et enchaîne leur activité.

941. L’expérience prouve assez que les passions peuvent renforcer l’action des esprits et augmenter leur énergie ; sur-tout celles qui les déterminent vers les yeux, et qui les font affluer à cette partie ; telles que l’amour et l’envie, dont une expression proverbiale qualifie l’œil, de mal-faisant, et les regards, de meurtriers. Quant à l’amour, les Platoniciens n’ont pas craint d’avancer que les esprits de la personne qui aime, se portant vers ceux de la personne aimée, et s’y unissant invisiblement, tendent ensuite perpétuellement à retourner dans le corps d’où ils se sont élancés : de là, disent-ils, ce désir si continuel et si ardent du contact réciproque et de l’union intime, qui caractérise les amans[34]. Et l’on sait que ces regards, qui sont la vive expression de l’amour, ne sont rien moins que fixes ; ils sont comme dardés ; ce sont des étincelles qui jaillissent, des éclairs, en un mot. Quant à l’envie son œil lance des esprits mal-faisans et vénéneux qui infectent ceux de la personne enviée, et leur communiquent leur propre poison : ces regards, lorsqu’ils sont obliques, n’en ont que plus de force. On a observé aussi que les momens où les coups que porte l’œil d’un envieux, sont le plus dangereux, sont ceux où la personne enviée triomphe dans le sentiment trop vif de sa propre gloire, se livre à une joie indiscrète et s’épanouit ; ce qu’on peut expliquer en supposant que, dans cet état d’expansion de la personne enviée, ses esprits se portant davantage au dehors, vont, pour ainsi dire, au devant du coup que l’envieux leur destine. Aussi a-t-on observé que des personnages illustres, après de grands triomphes, ont été indisposés pendant plusieurs jours[35]. C’est une opinion assez ancienne, comme on le voit ici, que celle qui suppose la possibilité d’une fascination relativement à ces deux effets dont nous venons de parler ; je veux dire, l’amour qu’on peut exciter par un tel moyen, et cette indisposition que l’envie peut occasionner. Or, c’est toujours par les yeux et les regards que s’opèrent l’un et l’autre genre de fascination. Cependant, si les impressions contagieuses d’esprit à esprit ont quelque réalité, elles peuvent être l’effet de la seule présence de l’individu actif, et les regards ne sont pas absolument nécessaires pour produire de telles émotions, leur effet étant seulement d’augmenter l’influence de la passion.

942. La crainte et la honte sont également contagieuses ; on voit souvent un individu effrayé, communiquer sa terreur, et, en fuyant, entraîner tous les autres sur ses pas. De même, lorsque, dans une société ou une assemblée, une personne saisie de honte perd toute contenance, les autres s’identifiant, pour ainsi dire, avec elle, compatissent à l’état de confusion où ils la voient, et rougissent pour elle. Actuellement nous allons traiter de la force et du pouvoir que l’imagination d’un individu peut exercer sur le corps d’un autre, ainsi que des moyens de renforcer et d’exalter cette faculté ; or, par ce mot d’imagination, j’entends la représentation d’une pensée individuelle ; représentation qui se divise naturellement en trois espèces ; car, l’imagination pouvant se rapporter au passé, au présent, ou à l’avenir, on peut, en imaginant une chose, se persuader, ou qu’elle a été, ou qu’elle sera, au qu’elle est actuellement ; ou enfin, quoiqu’elle ne soit pas réellement présente, croire qu’elle l’est ; vu que dans cette division, je comprends aussi les représentations imaginaires, les fictions, en un mot, tout ce que l’esprit peut imaginer arbitrairement ; par exemple, ce qu’il imagineroit, s’il se peignoit tel individu vêtu comme le Pape, ou ayant des ailes. Les recherches nécessaires pour approfondir un tel sujet, du moins suivant notre méthode qui n’est autre que l’induction, sont hérissées de difficultés presque insurmontables. Tous les faits de cette nature qu’on peut recueillir, soit dans les entretiens, soit dans les livres, sont mêlés de fables ; et il n’est pas facile de faire de nouvelles expériences en ce genre, par la raison qui sera exposée ci-après.

L’imagination peut agir sur trois espèces de sujets ; 1°. sur le corps même de l’individu imaginant ; ce qui comprend l’influence que l’imagination d’une femme enceinte peut avoir sur son fruit.

2°. Sur les corps inanimés, tels que plantes, bois, pierres, métaux, etc.

3°. Sur les esprits des autres hommes, et, en général, des autres animaux ; ce dernier point est le seul que nous traiterons.

Ainsi, le problème se réduit proprement à savoir si, un homme étant fortement et constamment persuadé qu’un événement aura lieu ; par exemple, que telle personne l’aimera, ou que telle autre lui accordera certaine demande ; ou enfin, que telle personne qui lui est chère relevera de sa maladie, etc. cette persuasion peut avoir quelque effet réel, et contribuer en quelque chose à l’événement souhaité. Mais nous avons encore une distinction à faire pour saisir notre objet avec plus de précision, et bien fixer l’état de la question : mon dessein, dis-je, n’est pas d’envisager actuellement cette persuasion, en tant qu’elle peut, en inspirant de la confiance à cet individu, et en aiguisant son industrie, contribuer à ses succès ; ce qui n’est pas douteux, une telle prévention pouvant avoir la plus grande influence, d’abord immédiatement sur lui, puis, médiatement sur les autres : mais il s’agit proprement d’une action tout-à-fait occulte, d’une certaine force secrète et irrésistible, qui le mette en état de subjuguer, de lier, pour ainsi dire, un autre individu, et d’en changer totalement la disposition. Mais, comme je le disois plus haut, il est très difficile de faire quelque expérience nouvelle de cette nature ; car je ne suis pas assez maître de ma croyance et de ma persuasion, pour me faire accroire ce qu’au fond je ne crois point du tout. Il m’est donc impossible de faire sur moi-même une telle expérience. Et la difficulté est encore plus grande qu’elle ne le paroît au premier coup d’ail ; en supposant même que l’imagination ait un pouvoir tel que celui dont il s’agit, pour peu qu’un homme imaginât avec quelque doute, ou quelque crainte, cette disposition même nuiroit d’autant à l’effet. Car, quoi que l’homme puisse faire, il se représente plus souvent et plus vivement ce qu’il craint, que ce qu’il espère.

Ainsi, ne pouvant agir immédiatement, reste à opérer par le moyen d’un autre individu, sur lequel on ait assez d’ascendant pour le persuader à volonté ; jusqu’à ce que des expériences réitérées vous ayant démontré le pouvoir de l’imagination, fassent naître en vous cette persuasion qui vous manquoit : car si, en même temps que vous croyez qu’un événement aura lieu, vous êtes persuadé que cette croyance même pourra y contribuer, cette seconde persuasion renforcera d’autant la première.

943. Par exemple ; je disois un jour à un homme qui étoit très infatué de cet art, et qui se piquoit d’y être versé, que j’avois vu un jongleur (charlatan, faiseur de tours), qui, après avoir présenté à une personne un jeu de cartes, en lui disant de penser à une de ces cartes, devinoit ensuite précisément celle à laquelle elle avoit pensé. Vous vous méprenez, monsieur, me répondit-il ; ce n’étoit pas que le jongleur devinât la pensée, faculté réservée à Dieu seul ; mais l’imagination de ce jongleur qui avoit d’abord pensé à cette carte, étant beaucoup plus forte que celle de la personne en question, la bridoit et la lioit, pour ainsi dire, à tel point, qu’il étoit impossible à celle-ci de penser à toute autre carte. Puis il me fit deux ou trois questions ; ce qui n’étoit, je crois, qu’un artifice de sa part, vu qu’il connoissoit toutes les ruses du métier. Vous rappelez-vous, me dit-il encore, si le jongleur nommoit lui-même la carte à laquelle il supposoit que cette personne avoit pensé, ou s’il disoit à une troisième personne de la nommer ? Il faisoit nommer la carte par une autre, lui répondis-je ; réponse qui étoit conforme à la vérité. Bon, reprit-il, je m’en étois douté, et c’est ainsi que je l’ai d’abord entendu ; car il n’auroit pu se donner à lui-même une imagination assez efficace pour lier celle de la personne à laquelle il avoit dit de penser la carte : mais, en désignant cette carte à une tierce personne qui regardoit le jongleur comme un homme extraordinaire, et capable d’exécuter les plus grandes choses ; celle-ci contractoit, par ce moyen, une imagination d’une efficacité et d’une énergie suffisante. À cette réponse, j’ouvris les oreilles, l’extravagance de cet homme et son air de certitude m’amusant fort. Vous souvenez-vous, monsieur, me demanda-t-il enfin, si le jongleur, après avoir dit à la personne en question de penser à une carte, parla ensuite à l’oreille du tiers, et lui désigna cette carte à laquelle l’autre avoit déjà pensé ; ou si, au contraire, ayant d’abord désigné tout bas au tiers la carte à laquelle l’autre penseroit, il dit ensuite à celle-ci de penser à une carte quelconque ? Je répondis que le jongleur avoit commencé par désigner la carte au tiers, en lui parlant à l’oreille ; ce qui étoit encore vrai. À cette réponse, notre docteur triomphant, et fort content de lui-même, me dit : vous voyez, monsieur, avec quelle justesse et quelle facilité j’ai deviné comment la chose s’étoit passée. Car si la seconde personne eût d’abord pensé à la carte, son imagination auroit été déjà fixée, et il auroit été impossible de la changer : au lieu que le tiers, ayant d’abord imaginé la carte, lia ainsi l’imagination de la seconde personne, et il devint impossible à celle-ci de penser à une autre carte. Quoique son explication me semblât mériter quelque attention, cependant je ne parus pas y attacher autant d’importance qu’il l’avoit espéré ; et je lui dis qu’il me paroissoit que les deux domestiques qui jouoient un rôle dans cette circonstance, s’entendoient avec le jongleur ; quoique je n’eusse pas lieu de les soupçonner de connivence, ces deux hommes étant attachés à mon père, et ce faiseur de tours n’ayant jamais paru auparavant dans notre maison[36]. Ensuite, ce même homme s’étant fait donner une jarretière, paria qu’il devineroit à quel endroit telle personne de la compagnie l’auroit touchée ; je veux dire, à combien de pouces, de lignes, etc. de chaque extrémité seroit l’endroit du contact ; et il le devina en effet, en le désignant d’abord tout bas à une personne, et disant ensuite à une autre de penser à un endroit quelconque[37].

Débarrassé de cette narration, dont je n’ai garde de tirer des conséquences positives relativement au pouvoir de l’imagination, mais qui a du moins l’avantage de mettre, pour ainsi dire, la chose sous les yeux, et de déterminer avec précision le véritable état de la question, je reviens à l’avertissement que j’ai donné plus haut. Je dis donc que, pour faire toutes les expériences de ce genre, il faut employer, non sa propre imagination, mais celle d’un tiers. En effet, il est trois espèces de moyens pour renforcer la persuasion ou la croyance ; savoir : l’expérience, le raisonnement et l’autorité. Mais, de ces trois moyens, le plus puissant, c’est certainement le dernier ; toute croyance, fondée uniquement sur le raisonnement ou l’expérience, étant variable et chancelante[38].

944. La croyance, fondée sur l’autorité, est de deux espèces ; car on peut croire ou à l’art, ou à l’homme qui l’exerce : or, ce qui ne dépend que de la confiance en tel ou tel art, on peut l’exécuter par soi-même ; mais ce qui dépend de la confiance en la personne même qui l’exerce on ne peut le faire qu’à l’aide d’un tiers. Par exemple, si un homme, ayant foi à l’astrologie, trouve une figure prospère, ou si, ayant foi à la magie naturelle, il se persuade qu’en portant une bague, dont la pierre soit de telle espèce, ou telle partie de tel animal, ces bagatelles lui porteront bonheur, et qu’il réussira dans toutes ses entreprises ; cette prévention même peut exalter son imagination et lui donner plus d’énergie[39]. Mais la foi où la confiance en tel individu a de plus puissans effets : Quoi qu’il en soit, le principe de l’autorité est nécessairement hors de l’homme sur lequel elle influe, soit qu’elle se rapporte à un art ou à un individu ; et lorsqu’elle a pour principe la confiance qu’un individu excite dans un autre, ce dernier doit être non un savant, un homme plein d’idées, et déjà préoccupé d’une infinité d’opinions, mais un ignorant, un esprit borné et vuide. Or, telles sont ordinairement les sorcières, les personnes superstitieuses, dont l’aveugle croyance est tellement asservie à leurs maîtres et aux traditions mensongères, que l’expérience et la raison ne peuvent plus les désabuser, et mollissent contre leur prévention. Aussi, dans les pratiques de la magie, n’emploie-t-on ordinairement que de jeunes garçons tirés de la classe du peuple, individus tous d’une imagination très susceptible et facile à persuader.

Or, il est trois genres de moyens pour fortifier l’imagination ; savoir : l’autorité, d’ou dérive la croyance, les différens moyens à l’aide desquels on peut exalter et ébranler l’imagination même ; enfin, ceux qui servent à réitérer la représentation, et à renouveler les idées qui exaltent cette faculté. On connoit assez les moyens le plus ordinairement employés dans la magie (en supposant toutefois que, parmi toutes ces pratiques, on puisse démêler quelque moyen purement naturel) : ces moyens sont certains genres de vêtemens, de formules, de caractères, d’anneaux, de cachets, certaines parties de telle plante ou de tel animal, telle sorte de pierre, le choix de telle heure précise, telle espèce de gestes, de mouvemens, de parfums, d’odeurs, etc, une société composée de certains individus dont l’extérieur étrange ou imposant exalte l’imagination ; enfin, tel régime, ou tel genre de vie préparatoire. Quant aux formules, elles sont toujours composées de mots barbares et vuides de sens ; car, s’ils avoient un sens, les idées qu’ils réveilleroient pourroient distraire l’imagination : ou ce sont des similitudes, des expressions figurées, emblématiques, qui peuvent ébranler l’imagination, et faire naître ou nourrir cette prévention qu’on veut donner à l’individu passif : langage mystérieux qu’ont employé dans tous les temps ceux qui se sont mêlés de magie, soit parmi les anciens, soit parmi nous. Nos sorciers ou magiciens emploient de préférence les paroles extraites de l’écriture sainte ; cette opinion que le texte sacré et les paroles qui en sont tirées, ont un grand pouvoir, suffisant pour exalter l’imagination[40]. C’est dans le même esprit qu’ils font souvent usage de termes hébraïques ; idiome antique, qui est regardé parmi nous comme le langage sacré, et dont les expressions ont je ne sais quoi de mystique qui est favorable à leurs vues.

945. Quant aux moyens de renouveler les idées dont l’imagination a été frappée (ce qui est le troisième genre de procédés pour exalter l’imagination), on connoît également ceux que cette classe d’hommes qui se mêle de magie, emploie ordinairement dans cette vue ; tels que des figures de cire qui se fondent peu à peu, ou certains corps ensevelis dans le fumier, qui se putréfient insensiblement, ou autres semblables : car chaque fois que des objets de cette nature se représentent à la mémoire, l’effet souhaité, dont l’idée a été associée avec celles de ces objets, se représente aussi à l’imagination.

946. En supposant même que l’imagination ait quelque pouvoir de ce genre, il est difficile de croire que son action soit de nature tellement incorporelle ou immatérielle, qu’elle puisse se porter aux plus grandes distances, passer à travers toute espèce de milieux indistinctement, et pénétrer dans tous les corps sans exception : il est plus naturel de penser que cette distance ne doit pas être excessive, ni le milieu de nature trop contraire à celle de ce genre d’actions ; enfin , que le corps sur lequel on veut agir, doit avoir une certaine aptitude ou disposition à recevoir de telles impressions. Ainsi, pour peu qu’il existe des moyens pour agir, par la seule force de l’imagination, sur des corps absens et éloignés, , par exemple, sur celui d’un homme ; ce doit être à l’aide d’une suite d’hommes intermédiaires qui transmettent peu à peu l’action originelle, et par le moyen desquels elle passe, pour ainsi dire, de main en main, à peu près comme on dit de la renommée, qu’elle vole de bouche en bouche. Par exemple, s’il est vrai qu’une sorcière puisse nuire, par la seule force de son imagination, à quelque individu éloigné, ce ne peut être qu’en agissant sur les esprits d’un troisième qui la vient trouver ; l’effet se communiquant de celui-ci à l’imagination d’un quatrième, d’un cinquième, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’il parvienne à un individu qui, ayant d’étroites relations avec celui auquel elle en veut, aille le trouver, et agisse immédiatement sur lui. On prétend, il est vrai, que, pour nuire à une personne, il suffit de se procurer une de ses boucles, un de ses boutons, quelque partie de ses vêtemens, ou même son nom seulement ; mais on ne doit pas ajouter foi à de telles assertions, à moins qu’on ne suppose ici l’entremise et la coopération des esprits infernaux.

Il seroit donc inutile de nous demander à nous-mêmes des expériences qui pussent fournir des preuves solides du pouvoir que l’imagination d’un individu peut exercer sur le corps d’un autre ; nous n’en connoissons point, ou presque point, sur lesquelles on puisse faire fond ; celles qu’on peut tirer des écrits ou des traditions de la magie, n’étant que des preuves fort équivoques, vu que la coopération tacite des démons peut y concourir. Ainsi, nous serons forcés, dans cette recherche, de recourir à de nouvelles expériences, et nous ne pourrons donner tout au plus que des indications pour diriger les essais de ce genre ; non des expériences positives et déjà faites. Si quelqu’un de nos lecteurs pensoit que nous aurions dû, ayant d’entreprendre de traiter une telle matière, commencer par faire nous-mêmes, un certain nombre d’expériences en ce genre pour approfondir le sujet, ou du moins pour y pénétrer quelque peu, nous lui avouerons ingénument que nous ajoutons très peu de foi à tout ce qu’on dit de ce pouvoir que l’imagination d’un individu peut exercer sur le corps d’un autre individu. Cependant notre dessein est de consacrer à la vérification des faits de cette nature, quelques heures de loisir. Mais, en attendant, nous tâcherons de frayer la route aux autres, et de les guider un peu.

947. Lorsque vous voulez faire quelque tentative de ce genre, à l’aide de l’imagination d’un autre individu, il faut d’abord que celui sur lequel vous voulez agir, prévenu en votre faveur, ait de vous la plus haute idée, et vous regarde comme un homme extraordinaire et capable d’opérer les plus grandes choses ; en un mot, que vous êtes ce qu’on appelle un homme de génie. Autrement vous aurez beau affirmer devant lui que tel ou tel événement aura lien, vous ne ferez sur son imagination qu’une très légère impression.

948. Mais, comme il est difficile de connoître, par soi-même, les différens degrés de force de l’imagination dans les divers individus, il faudroit agir sur plusieurs imaginations en même temps ; par ce moyen, on seroit sûr que, dans le nombre, il s’en trouveroit au moins une assez forte. Par exemple, un médecin pourroit dire, avec un air de certitude, à trois ou quatre des domestiques du malade, que leur maître relèvera de sa maladie.

949. L’imagination de l’individu qui vous servira d’instrument, ne pourra être toujours de la même force, au même degré, vu l’étonnante instabilité de l’esprit humain ; or, si le succès promis ne suit pas d’un peu près la promesse, la croyance du sujet sera fort ébranlée. Pour prévenir cet inconvénient, il faut prescrire à votre homme une gradation de moyens ; supposons, sept de plus en plus efficaces, dont il devra user successivement, dans le cas où les premiers seroient insuffisans. Par exemple, dites-lui que, de trois en trois jours, s’il ne voit point de succès notable, il doit employer un autre genre de racine, une autre partie du même animal, un anneau d’une autre espèce, comme étant un moyen plus efficace ; si ce second moyen ne suffit pas, en employer un troisième ; si ce troisième est encore insuffisant, un quatrième, et ainsi de suite, jusqu’à sept ; mais en lui promettant le succès, il faut prendre un peu de champ, et ne le lui annoncer que pour un temps un peu éloigné ; par exemple, en disant à un domestique que la santé de son maître se rétablira parfaitement, lui observer toutefois que l’effet ne sera bien sensible qu’au bout d’une quinzaine ; tous moyens dont le but est de maintenir l’imagination dans sa force, et de rendre la croyance moins chancelante.

950. L’expérience prouve assez que certaines potions ou certaines substances solides, prises intérieurement ; tel genre de fumigation, telle onction faite sur certaines parties, agissent naturellement sur l’imagination de celui qui en fait usage. Ainsi, pour faire concourir les moyens de cette nature avec la croyance ou la persuasion de celui dont l’imagination vous sert d’instrument, il faut lui dire encore qu’avant d’user de la recette que vous lui aurez prescrite, pour produire l’effet désiré, il doit avaler des pilules de telle espèce, une cuillerée de telle liqueur, ou encore user de tel genre de fumigation ; ou enfin, enduire ses temples, ou toute autre partie, avec telle espèce d’onguent ou d’huile, etc. Or, dans la composition de ces pilules, de ces parfums, ou de ces onguens, etc. il faut faire entrer des substances qui soient de nature à donner plus de corps et de ténacité aux esprits, afin de rendre l’imagination plus fixe.

951. Quelque soit le corps passif sur lequel on veut agir (car il n’est pas question de celui de l’imaginant), il est certain que les moyens qu’on pourra employer, agiront plus dans certains temps que dans d’autres, comme nous l’avons déjà en partie observé. Ainsi, pour obtenir plus sûrement l’effet souhaité, il faudroit recommander an domestique qui sert le malade (après lui avoir assuré que son maître relèvera de sa maladie), de profiter du temps où celui-ci seroit enseveli dans un profond sommeil, pour faire usage de telle ou telle racine ; car on peut conjecturer que l’imagination exerce une action plus puissante sur un même individu, lorsqu’il dort, que lorsqu’il est éveillé, comme nous le ferons voir, lorsque nous traiterons des songes[41].

952. Les observations relatives à la mémoire artificielle, prouvent que les images visuelles agissent avec plus de force que tout autre genre de conceptions : par exemple, veut-on se rappeler le mot philosophie, on y parviendra plus aisément, en se représentant un homme (car, de tous les lieux, les images d’individus humains sont les meilleures) ; un homme, dis-je, lisant la philosophie d’Aristote, que si l’on se représentoit cet homme, disant : je vais étudier la philosophie. Cette observation pourroit donc être appliquée au sujet que nous traitons ; car, plus l’objet d’une idée est remarquable et intéressant, plus aussi cette idée ébranle l’imagination, et mieux elle s’y fixe. Ainsi, je me persuade aisément que cette expérience, dont je parlois plus haut ; je veux dire, celle où il s’agit de subjuguer l’imagination d’un autre individu, et de déterminer sa pensée ; que cette expérience, dis-je, vous réussiroit plus aisément, si vous disiez à l’individu dont l’imagination vous sert d’instrument, laquelle d’entre vingt personnes, un troisième individu nommera ; que si vous lui désigniez, sur vingt cartes, celle que doit nommer le même individu.

963. Il seroit également utile de déterminer quels sont les sujets sur lesquels l’imagination a le plus de pouvoir ; et la règle, sur ce point, me paroît être que les substances les plus légères et les plus mobiles sont celles sur lesquelles elle agit avec le plus de force et de facilité. C’est donc sûr les esprits des individus humains qu’elle doit avoir la plus puissante influence, et principalement sur celles d’entre leurs affections qui sont les plus faciles à exciter ; par exemple, de tels moyens peuvent servir à exciter l’amour, à réprimer l’appétit vénérien, qui dépend beaucoup de l’imagination. Elle a aussi un grand pouvoir sur les individus saisis de crainte, ou irrésolus. Au reste, ce sujet a besoin d’être approfondi par des observations plus multipliées et plus variées. Il faudroit aussi tenter quelques expériences de ce genre sur les plantes, mais avec toute l’exactitude et l’attention requises ; par exemple, on pourroit dire, avec un air de confiance et de certitude, à un homme d’une imagination susceptible, que tel arbre mourra dans l’année, en lui recommandant d’aller, à telles et telles époques, voir en quel état il se trouveroit. Quant aux corps inanimés, les mouvemens nécessaires pour battre les cartes ou jeter les dés, sont, à la vérité, bien petits et bien foibles ; cependant ce préjugé, si commun parmi les joueurs, et qui leur fait croire que certaines personnes, lorsqu’elles se trouvent près d’eux, leur portent malheur, n’en est pas moins puéril. Il faudroit aussi, pour faire une épreuve de ce genre, par le moyen d’un anneau suspendu à un fil, et qui se balanceroit dans l’intérieur d’un verre, dire d’avance à la personne qui tiendroit le fil : cet anneau frappera tant de fois contre les parois du verre, afin de voir si cette prédiction pourroit influer sur le mouvement de l’anneau ; ou encore essayer, dans les mêmes vues, de persuader à deux personnes qui tiendroient une clef entre leurs doigts[42], qu’au moment où l’on prononcera le nom de telle personne, cette clef leur échappera ; car les mouvemens de ces deux espèces sont extrêmement légers. Or, quoique je ne compte pas beaucoup sur le succès de ces petites expériences, je ne laisse pas d’être intimement persuadé de cette vérité : qu’une imagination forte a beaucoup plus d’influence sur les corps actuellement vivans, ou qui l’ont été, que sur les corps inanimés, proprement dits, et qu’elle peut beaucoup plus sur les mouvemens foibles et subtils, que sur ceux qui ont beaucoup de force, ou sur ceux des corps très pesans.

954. On croit communément que, si un homme ayant été assassiné, on apporte le corps dans le lieu où se trouve l’assassin, les blessures recommencent à saigner, D’autres assurent qu’ils ont vu un cadavre ouvrir les yeux en présence du meurtrier ; d’autres enfin, qu’on observe des mouvemens de cette nature dans les corps de ceux qui ont été étranglés ou noyés, comme dans ceux des individus qui ont péri par des blessures. Les faits de ce dernier genre pourroient passer pour miraculeux, la justice divine apparemment ne permettant pas que les auteurs des grands attentats restent toujours inconnus, Mais si ces phénomènes sont purement naturels, ils doivent être rapportés à l’influence et au pouvoir de l’imagination.

955. Cette opération par laquelle on noue l’aiguillette le jour même du mariage, pour rendre le nouvel époux inhabile à la génération (espèce de maléfice dont nous avons parlé précédemment, et qui est si ordinaire en Xaintonge ou en Gascogne), doit aussi être rapportée à l’imagination de celui qui lie ainsi le membre viril ; genre d’opération, toutefois, qui nous paroît n’avoir rien de commun avec la sorcellerie ou la magie ; attendu que ce ne sont pas seulement des individus d’une certaine classe peu nombreuse, telle que les sorciers ou magiciens, qui peuvent produire de tels effets, mais des individus quelconques.

Expériences et observations diverses sur la force secrète de la sympathie et de l’antipathie.

956. Il est une infinité de substances qui agissent sur les esprits du corps humain, en vertu d’une sympathie ou antipathie secrète. Une opinion très ancienne, et assez généralement reçue, attribue aux pierres précieuses qui ne servent ordinairement que pour la parure, des propriétés qui tiennent du merveilleux, et dont quelques-unes, à la vérité, sont réelles, mais fort exagérées. On ne peut disconvenir toutefois que les pierres de ce genre ne contiennent des esprits très subtils et très atténués, comme le prouve assez leur brillant et leur éclat ; en conséquence, il se peut qu’en agissant sur les esprits vitaux par une sorte de corrélation harmonique, ils les raniment et les égaient[43]. Celles qui produisent le plus sensiblement ces effets, sont le diamant (le brillant), l’émeraude, l’hyacinthe orientale et la topaze. Mais on doit se garder d’ajouter foi à toutes ces propriétés occultes et spécifiques qu’on leur attribue. Cependant il est certain que, de toutes les causes qui peuvent fortifier les esprits vitaux, la lumière est la plus puissante ; et il est très probable que tout moyen qui sert à la varier d’une manière qui flatte la vue, peut, vu le plaisir même que procure l’aspect des objets nouveaux et variés, produire plus sûrement que tout autre l’effet dont nous parlons. Telle est sans doute une des principales causes de cette propriété que les pierres précieuses ont de ranimer et de fortifier les esprits. Il seroit donc utile de mettre, durant la nuit, les chandelles ou les bougies dans des lanternes, ou des bocaux de verre teints de différentes couleurs, telles que verd, bleu, couleur de chair, cramoisi, pourpre, couleur de safran, etc. Il le seroit aussi de se procurer des boules de verre ou de crystal non pas colorées intérieurement, mais creuses et contenant des poudres de couleurs vives et éclatantes, avec une poignée, pour les tenir plus commodément. Les prismes et les couleurs qu’on voit dans leur intérieur, ou qu’ils projettent extérieurement, ont aussi la propriété d’éveiller et de ranimer les esprits vitaux. On fait à Paris des miroirs à larges bordures, très artistement enjolivées de petites pièces de crystal, qui, d’un peu loin, paroissent des pierres précieuses de différentes couleurs ; rien n’est plus éclatant, plus agréable à la vue que ces miroirs, sur-tout la nuit, effet qui influe également sur les esprits. Il en est de même de ces plumes de couleurs si vives qu’on apporte des Indes. Enfin, la vue des étangs, des canaux, ou des bassins remplis d’une eau claire et limpide, fortifie les yeux et les esprits, surtout lorsque le soleil, en partie éclipsé par un nuage, a moins d’éclat ; ou lorsque la douce lumière de la lune joue dans ces eaux un peu agitées.

957. Il est, comme l’on sait, plusieurs genres de bracelets qui ont la propriété de ranimer les esprits ; effet qu’ils peuvent produire en vertu de trois différentes qualités ; savoir : comme rafraîchissans, comme fortifians, et comme apéritifs. La première de ces trois propriétés se trouve éminemment dans les perles et le corail, substances dont on fait ordinairement usage dans cette vue. On a même observé que la couleur du corail devient plus pâle, lorsque la personne qui le porte, est malade ; ce que je croirois d’autant plus aisément, qu’une chaleur excessive, ou trop variable, suffit pour altérer cette couleur. On devroit aussi employer de la même manière des grains ou de petites lames, soit de lapis-lazuli, soit de nitre, ou seul, ou combiné avec quelque substance cardiaque.

958. Pour fortifier les esprits, choisissez des substances astringentes, sans aucun indice manifeste de nature froide ; je conseillerois de préférer, dans cette vue, des grains d’ambre jaune, substance éminemment astringente, mais qui ne laisse pas d’avoir de l’onctuosité, sans être de nature froide. On dit même que les bracelets de cette espèce augmentent l’embonpoint des personnes qui en portent habituellement. On peut aussi employer des grains de corne de cerf, ou d’ivoire, ou d’autres substances douées de propriétés analogues. Il seroit bon de faire la même épreuve sur des grains d’orange ou de bois d’aloës, d’abord macérés dans de l’eau-rose, puis séchés.

959. Quant aux substances apéritives, je préférerois les grains ou tablettes de chardon béni (carduus benedictus), ou de racine de pivoine mâle, ou encore d’orris, ou enfin de rue, de canne aromatique, etc.[44].

960. La crampe[45] est évidemment l’effet de la contraction des nerfs (des muscles ou des tendons) ; ce dont on ne pourra douter, si l’on considère qu’elle a ordinairement pour cause un froid ou une sécheresse excessifs ; l’effet du froid et de la sécheresse étant également de contracter et de rider. On sait d’ailleurs que, pour diminuer la douleur que cause une crampe, il suffit de frotter légèrement la partie souffrante ; la chaleur excitée par ce frottement dilatant alors les muscles excessivement contractés. Il est deux moyens connus pour prévenir la crampe ; l’un est de porter à ses doigts des anneaux de dents de cheval marin ; l’autre est d’entourer, d’un ou de plusieurs liens de pervenche, ses mollets ou ses cuisses, les deux parties où la crampe se fait sentir le plus souvent ; effet dont je suis d’autant plus étonné, que ni l’une ni l’autre de ces deux substances n’a la propriété de relâcher ou de détendre, mais qu’elles produisent plutôt l’effet contraire. D’où je conclus qu’elles guérissent cette incommodité non en exerçant leur action sur la partie solide et tangible des muscles, mais en agissant immédiatement sur les esprits qu’ils contiennent et en faisant cesser leur état de tension et d’effort.

961. Il est deux autres genres de bracelets dont je voudrois qu’on fît l’épreuve, pour fortifier le cœur et les esprits ; les uns, composés de trochisques de vipère, figurés en petits grains ou globules ; car, puisqu’étant pris intérieurement, ils sont très salutaires, sur-tout dans les maladies pestilentielles, je présume qu’étant appliqués extérieurement, ils auroient de plus puissans effets ; parce qu’en les administrant de cette manière, on pourroit les employer en plus grande quantité. Il faudroit aussi faire l’épreuve de trochisques de serpent, dont la chair, suivant l’opinion commune, est un excellent apéritif et un puissant cardiaque. L’autre genre de bracelets que j’ai en vue, ce sont ceux qui seroient faits avec des grains composés de cette poudre appelée kermes, et qui est la principale base du cordial connu sous le nom de confection d’alkermes. Il faudroit également faire l’essai de grains d’ambre gris, combiné avec la substance des pastilles odoriférantes.

962. Suivant une opinion fort ancienne et confirmée par des expériences réitérées, la racine de pivoine mâle, desséchée et tenue continuellement appliquée sur la nuque du cou, est un remède et un préservatif pour l’épilepsie, ainsi que pour l’incube (ou cochemar). Le principe de ces deux maladies, sur-tout de l’épilepsie, paroît être dans l’estomac, d’où s’élèvent des vapeurs grossières qui pénètrent dans les sinus du cerveau. Ainsi, cette substance produit ce double effet, parce qu’elle est éminemment douée de la propriété de diviser et d’atténuer. Je me persuade aisément que le castoréum, le musc et la semence de rue, et d’agnus-castus, seroient également curatifs dans ces deux cas.

963. Il est une pierre connue sous le nom d’hématite, qui, lorsque les personnes très sujettes au saignement de nez, la portent continuellement sur elles, prévient cette incommodité ; propriété qu’elle doit sans doute à sa qualité d’astringent et de calmant. Il faudroit aussi faire quelque épreuve de ce genre sur cette sorte de pierre qu’on trouve dans la tête d’un crapaud, afin de savoir si elle n’auroit pas la même propriété[46].

964. On pourroit tirer quelques lumières des expériences faites sur les anneaux de cheval marin, ou sur les liens de pervenche, pour concevoir comment ces deux substances, qui font cesser ou diminuent l’état de tension et d’effort des esprits, peuvent guérir des maladies dont l’indication est contraire à l’effet que produisent naturellement de telles substances. Dans la crampe, par exemple, l’indication est de relâcher et de détendre les muscles. Cependant tout moyen qui, en contractant les esprits, diminue leur expansion et leur état d’effort, est le plus sûr remède. De même, dans les accouchemens, l’indication pour la délivrance semble être de provoquer la sortie de l’enfant ; cependant les secours les plus efficaces en pareil cas, ce sont tous les moyens tendant à l’empêcher de se porter trop promptement au dehors, et l’on croit que la pierre de crapaud produit cet effet. De même enfin, dans les fièvres pestilentielles, l’indication naturelle est de déterminer au dehors, et d’évacuer la matière morbifique, par les sueurs et la transpiration insensible. Cependant les substances qui produisent le plus sûrement cet effet, sont le nitre, le diascordium, et autres calmans qui, en arrêtant l’expulsion pendant un certain temps, permettent ainsi à la nature d’opérer plus doucement et plus paisiblement cette évacuation. Car, comme le disoit agréablement un médecin, la nature, lorsqu’elle veut éteindre le feu allumé par une maladie pestilentielle, ne ressemble que trop, par sa turbulente activité, à ces gens qui accourent en foule dans une maison incendiée, et qui, à force de se presser, s’embarrassent et se nuisent réciproquement. Enfin, un principe qui a une infinité d’applications, et qu’on ne doit jamais perdre de vue, c’est que tout ce qui peut calmer et régler les mouvemens tumultueux et irréguliers des esprits, favorise et renforce leur action.

965. Si nous en croyons les écrivains qui ont traité de la magie naturelle, il n’est point de préservatif plus sûr pour la santé, que la dépouille d’un serpent ; mais cette propriété nous paroît chimérique : et ce qui a donné naissance à ce préjugé, c’est sans doute cette fiction par laquelle les poëtes supposent que le serpent se rajeunit en se dépouillant de sa peau.

966. On est persuadé, d’après l’exemple de l’athénien Périclès, qu’on suit encore aujourd’hui, qu’un sachet rempli de mercure, ou des tablettes d’arsenic, sont un préservatif très sûr contre la peste : non que ces substances aient la propriété de fortifier les esprits, mais parce qu’étant elles-mêmes des poisons, elles attirent celui de la peste, qui s’est mêlé à ces esprits, et les purifient par ce moyen.

967. Voyez les observations que nous avons faites dans les nos. 95, 96 et 97, sur les différentes espèces de sympathie et d’antipathie, appliquées aux usages de la médecine.

968. On prétend que les intestins, ou la peau d’un loup, appliqués sur le ventre, guérit la colique. Il est vrai que le loup est un animal très vorace, et doué d’une grande force digestive ; ainsi, il n’est pas impossible que telle de ses parties, sur-tout ses intestins, puissent fortifier ceux de l’homme.

969. On emploie ordinairement un épouvantail pour éloigner les oiseaux, d’un champ à grain, d’une vigne, d’un verger, etc. Quelques auteurs prétendent qu’une tête de loup entière, desséchée et suspendue dans un colombier, en éloigne aussi certains animaux qui en sont les fléaux, tels que les belettes, les fouines, les putois, etc. Selon toute apparence, une tête de chien les effraieroit encore davantage, attendu que, dans nos contrées, ces animaux connoissent mieux les chiens que les loups.

970. Si, après avoir fait rôtir, avec les autres parties, la tête de certains animaux, tels que le lièvre, la poule, le daim, etc. et en avoir tiré la cervelle, on la délaie dans du vin, cette boisson fortifie la mémoire. Il semble que cette propriété soit particulière à la classe des animaux timides.

971. Les onguens dont les sorciers font usage, sont ordinairement composés de graisse d’enfans tirés des sépultures, de sucs d’ache, de la plante vulgairement appellée la mort-aux-loups[47] et de quintefeuille, mêlés avec de la fleur de farine de froment ; mais je crois être fondé à supposer qu’on pourroit obtenir les mêmes effets, à l’aide des narcotiques, tels que la jusquiame, la ciguë, la mandragore, le solanum, le tabac, l’opium, le safran, la feuille de peuplier, etc.

972. S’il faut en croire certains auteurs, les affections violentes des animaux communiquent je ne sais quelle vertu occulte, même aux corps inanimés. Par exemple, la peau d’une brebis qui a été dévorée par un loup, donne la gratelle[48]. Si, après avoir réduit en poudre une pierre qui a été jetée à un chien, et qu’il a mordue dans sa fureur, vous la délayez dans quelque liqueur, cette boisson provoque la colère.

973. Il est prouvé par des observations multipliées, que le régime d’une femme enceinte a une influence marquée sur son fruit : par exemple, que, si elle mange fréquemment des coings ou des semences de coriandre, deux substances qui ont la propriété de fixer et de précipiter les vapeurs tendant à monter à la tête, cela contribue à rendre son enfant plus ingénieux : que si, au contraire, la mère mange beaucoup d’oignons, de fèves[49], ou d’autres substances qui excitent des flatuosités ; ou encore, si elle boit avec excès du vin ou d’autres liqueurs fortes ; ou enfin, si elle jeûne excessivement, et se livre trop à la méditation ; toutes causes qui déterminent les vapeurs à la tête en grande quantité, il est à craindre que l’individu qu’elle mettra au monde, ne devienne lunatique, ou n’ait une mauvaise mémoire.

Je présume que le tabac produiroit les mêmes effets, si la mère en prenoit trop.

974. Les écrivains qui ont traité de la magie naturelle, prétendent que le cœur d’un singe appliqué sur la région du cour d’un individu de notre espèce, fortifie ce viscère, et augmente le courage ; effet qui n’étonne d’autant moins, que le singe, comme on sait, est un animal gai, malicieux et hardi. On ajoute que le cœur de ce même animal, appliqué sur la nuque du cou, ou sur la partie supérieure de la tête, rend l’esprit plus pénétrant et plus inventif, et que c’est aussi un préservatif contre l’épilepsie. Le singe est en effet un animal ingénieux, et dont le cerveau est très sec ; ce qui peut, jusqu’à un certain point, atténuer les vapeurs qui se portent à la tête. Mais on dit que ce même topique a aussi la propriété de faire rêver beaucoup. Peut-être le cœur d’un homme produiroit-il de plus puissans effets ; mais une si horrible recette répugne trop à l’humanité[50], à moins que ce ne soit dans ces sectes où l’on porte sur soi des reliques de saints.

975. On dit encore que la chair du porc-épi (ou du hérisson), cuite et prise comme aliment, est éminemment dessiccative. La substance de ces animaux doit en effet être fort sèche et fort atténuée, comme on en peut juger par cette multitude de pointes dont ils sont armés. Car, généralement parlant, les plantes qui sont hérissées d’épines, sont également sèches ; et de ce genre sont l’églantier, l’épine commune, l’épine-vinette, etc. Aussi, dit-on que les cendres provenant de cet animal, lorsqu’on le brûle, sont un puissant remède pour la fistule ; propriété qu’elles doivent à leur qualité dessiccative.

976. La momie est éminemment douée de la propriété d’étancher le sang, et d’en arrêter l’effusion ; ce qu’on peut attribuer au baume qui entre dans sa composition, et qui est fort glutineux : à quoi l’on pourroit ajouter cette force secrète, en vertu de laquelle le sang et la chair s’attirent réciproquement. On s’est encore assuré par l’expérience que cette mousse qui croît sur le crâne d’un cadavre humain laissé sans sépulture, a la propriété d’étancher le sang : il en est de même de la partie rouge du sang, séparée de la sérosité, desséchée et réduite en poudre.

977 : On dit que, si l’on couvre d’une couche d’huile les œufs d’une hirondelle, les petits qui en proviennent sont tout blancs ; effet que l’huile produit sans doute en bouchant les pores de la coque de l’œuf ; d’où il arrive que les sucs destinés à former les plumes, sont en moindre quantité : et il se pourroit que cette méthode d’enduire la coque de l’œuf, produisît aussi sûrement l’effet dont nous parlons, que celle d’enduire le corps même de l’oiseau, lorsqu’il en est sorti. Au reste, voyez sur ce sujet le n°. 93.

978. On prétend que le blanc d’œuf, ou le sang, mêlé avec l’eau de mer, ramassant ses parties salines, la dépouille ainsi de sa salure, et la rend douce. Ce peut être l’effet de la simple adhésion, comme nous l’avons observé au n°. 6, où nous traitions de la clarification. Peut-être aussi le blanc d’œuf et le sang, substances extraites d’animaux, ont-ils quelque affinité avec le sel ; car, entre ces deux choses vie et sel, il existe une affinité très frappante. On voit en effet que cette substance appliquée sur un doigt blessé, suffit pour le guérir ; en sorte que le sel semble attirer le sang, comme le sang l’attire lui-même.

979. Quelques auteurs ont avancé qu’il existe une antipathie marquée entre le lièvre marin et les poumons d’un individu de notre espèce ; et que, lorsqu’il se trouve pendant un certain temps fort près du corps, il les corrode ; ce qu’on pourroit expliquer en lui attribuant la propriété d’échauffer l’air des poumons et les esprits ; action qui auroit quelque analogie avec celle que les cantharides exercent sur les substances aqueuses du corps humain, telles que l’urine, l’eau de l’hydropisie, etc. et l’on peut regarder comme une règle sûre, cette proposition : tout ce qui peut agir sur telle espèce de matière, exerce principalement son action sur celles d’entre les parties du corps humain où abondent les matières de cette espèce.

980. Généralement parlant, il existe une antipathie marquée entre les corps privés de la vie et les corps vivans de même espèce, entre une substance corrompue, et le tout dont elle a fait ou fait encore partie : enfin, entre les excrémens et les parties qui les rejettent ou les ont rejetées. Par exemple, un cadavre humain paroît plus infect et plus rebutant à un homme, qu’à tout autre animal ; il en est de même d’un cheval mort, relativement à un cheval vivant ; de la matière purulente des blessures, des ulcères, des charbons, des pustules, de la gale, de la lèpre, etc. par rapport à la chair saine ; enfin, des matières excrémentitielles ou déjections de toute espèce, par rapport à l’animal qui les a évacuées. Ces dernières pourtant sont moins pernicieuses que les substances putréfiées.

981. C’est un fait assez connu, que les chiens distinguent l’homme chargé de les tuer, dans les temps où certaines maladies contagieuses, auxquelles ces animaux sont sujets, obligent de prendre cette mesure de précaution ; et que ces animaux semblent le connoître, quoiqu’ils ne l’aient jamais vu : on les voit même alors sortir des maisons et courir contre lui, en aboyant et en le menaçant[51].

982. Tout ce qu’on raconte sur le pouvoir de l’imagination et les secrètes émotions qui sont des effets de l’instinct, nous paroît si incertain, qu’on doit se garder d’en tirer des conséquences positives, avant de l’avoir soumis au plus sévère examen. Je voudrois qu’on s’assurât d’abord par des expériences et des observations multipliées, s’il y a en effet quelque corrélation sympathique, quelque communication ou action réciproque, même à distance, entre les personnes du même sang, ou liées par d’autres relations très étroites ; par exemple, entre les pères ou les mères et leurs enfans, entre deux frères, deux sœurs, ou un frère et une sœur ; ou encore entre

une nourrice et son nourrisson, ou enfin, entre mari et femme, etc. Plusieurs historiens font mention d’individus qui ont été avertis par un mouvement intérieur et une sensation inexplicable, de la mort des personnes qui leur étoient chères, et qui avoient avec eux des relations de la nature de celles dont nous venons de parler. Je me souviens moi-même que, dans le temps de mon séjour à Paris, et deux ou trois jours avant que mon père mourût à Londres, je vis en songe sa maison de campagne toute enduite d’une sorte de mortier noir ; songe que je racontai alors à plusieurs gentilshommes de mes compatriotes. Il est une autre opinion assez répandue, mais sur laquelle je n’ose hazarder aucun jugement ; savoir que tel époux fort tendre et fort sensible à tout ce qui intéresse sa compagne, a un pressentiment de l’accouchement de son épouse, et en est averti par quelque sensation extraordinaire, et je ne sais quelle révolution dans son propre corps.

983. Outre cette correspondance sympathique et de pur instinct, ou cette action réciproque, même à distance, entre des personnes du même sang, il se peut qu’il y ait aussi quelque relation de cette espèce entre deux amis intimes, ou deux ennemis jurés. Quelquefois même, dit-on, ce secret avertissement est donné à un tiers, et non à l’une ou à l’autre des deux parties intéressées. Par exemple, je me souviens d’avoir lu dans Philippe de Comines, historien grave et digne de foi, que l’archevêque de Vienne, prélat fort estimé, dit un jour, à Louis XI, roi de France, après la messe, et presque au moment où Charles, duc de Bourgogne, fut tué à la bataille de Granson[52], livrée contre les Suisses : Sire, votre plus grand ennemi est mort. Il faudroit aussi faire quelques expériences pour savoir si des conventions, en pareil cas, pourroient quelque chose ; par exemple, si deux amis fort tendres, étant convenus, avant de se quitter, que tel jour de chaque semaine, ils porteroient chacun telle espèce de bague, on d’autre bijou, pour se rappeler l’un à l’autre, et l’un des deux venant à manquer à sa parole, l’autre, quoiqu’absent, s’en appercevroit, et en seroit averti par quelque sensation[53].

984. S’il est vrai que l’imagination et les affections des individus puissent exercer, même à une grande distance, des actions de la nature de celles dont nous venons de parler ; à plus forte raison ; les imaginations et les affections d’une multitude d’individus, réunies et concourantes, auront-elles ce pouvoir ? Par exemple, ne se pourroit-il pas qu’une bataille ayant été gagnée ou perdue dans des lieux fort éloignés, la nation intéressée à cet événement en fut secrètement avertie par un sentiment subit de joie ou de tristesse, dont un grand nombre de citoyens seroient saisis tous en même temps, et dont, après tout, on a vu des exemples ? On sait qu’au moment même où la bataille de Lépante se terminoit, et où les Chrétiens remportoient sur les Turcs cette victoire si mémorable, Pie V, siégeant en consistoire, et occupé à entendre plaider différentes causes, tressaillit tout à coup, et dit à ceux qui l’environnoient : voici le vrai moment de rendre à Dieu des actions de grâces pour la grande victoire qu’il vient de nous accorder sur les Turcs. On conçoit aisément que cette victoire avoit une sorte de sympathie et de corrélation particulière avec les esprits de ce Pontife ; vu que cette grande ligue des Chrétiens contre les Turcs étoit proprement son ouvrage. On peut, il est vrai, attribuer cet avertissement à une révélation spéciale de la Divinité ; mais alors comment expliquerons-nous tous les faits de ce genre que nous lisons dans l’histoire de la Grèce et de Rome ; relations qui nous disent que le peuple, étant assemblé au théâtre, et occupé de regarder les jeux, eut la nouvelle d’une victoire ou d’une défaite, plusieurs jours avant l’arrivée du courrier[54] ?

Il faut convenir toutefois, que les hommes ont bien pu, dans ces occasions, comme dans une infinité d’autres, suivre cette marche sophistique, qui est la principale source de la superstition ; car on voit qu’ils remarquent avec soin toutes les assertions qui quadrent avec les événemens, et font peu d’attention à celles qui n’y sont pas conformes ; ne se rappelant que les premières et oubliant tout à fait les dernières. Mais la divination et ces pressentimens dont nous venons de parler, sont un sujet que nous traiterons plus amplement dans le chapitre qui aura pour objet la nature du principe vital, des âmes et des esprits, considérés en général.

985. Dans les nos. précédens, nous avons prescrit les règles à suivre pour déterminer ce que peut la force de l’imagination ; puis indiqué des moyens pour exalter et renforcer cette faculté. Nous avons également offert quelques exemples, et donné quelques indications pour diriger les expériences et les observations tendant à vérifier le pouvoir supposé de l’imagination humaine sur les animaux terrestres, les oiseaux, les plantes et les corps inanimés. Il est bon d’observer encore sur ce même sujet, qu’on ne doit tenter de telles expériences que sur les mouvemens les plus subtils et les plus légers ; car, en agissant sur un oiseau par la force de votre imagination, vous l’empêcherez plus aisément de chanter, que de manger ou de voler. Au reste, je dois laisser à chacun la liberté de choisir parmi les expériences de ce genre, celles qu’il jugera les plus faciles ; me contentant pour le moment de donner ici quelques exemples de ces trois espèces.

986. En vous conformant aux règles déjà prescrites, faites usage de l’imagination d’une autre personne, pour empêcher un oiseau de chanter, ou un chien d’aboyer ; ou, après avoir fortifié, par les moyens que nous avons indiqués, l’imagination de cet individu qui vous sert d’instrument, prenant pour sujet de vos épreuves les combats de coqs, tâchez d’augmenter ainsi le courage de l’un, et de diminuer celui de l’autre. Tentez aussi quelques expériences de ce genre relativement au vol des oiseaux, à la course des lièvres ou des daims, en employant des chiens pour cette chasse ; ou enfin, sur les chevaux de course, et autres mouvemens comparatifs de cette nature ; car votre imagination pourra plus aisément ralentir ou affoiblir un mouvement, que l’exciter, ou l’arrêter tout-à-fait ; comme il est plus aisé de ralentir la course d’un chien ou d’un cheval, que de lui faire faire un arrêt bien précis.

987. Les expériences qu’on fera pour vérifier le pouvoir de l’imagination sur les plantes, doivent aussi avoir seulement pour objet les mouvemens les plus légers. Par exemple, il faut voir si, en agissant sur des plantes herbacées, par ce moyen, on pourroit les modifier de manière qu’elles se flétrissent tout à coup, ou qu’elles prissent un très rapide accroissement, ou encore qu’elles se penchassent de tel côté ou de tel autre ; ou enfin, qu’elles se fermassent ou s’épanouissent.

988. On pourra éprouver le pouvoir de l’imagination sur les corps inanimés, en essayant, par exemple, d’arrêter la fermentation de la bière, après qu’on y aura mis la levure ; ou encore d’empêcher, soit le beurre, soit le fromage de se faire, quoiqu’on batte le lait, ou qu’on y ait mis de la présure.

989. Un fait dont nous devons la connoissance à une antique tradition, et qu’on allègue fréquemment comme un exemple frappant des propriétés occultes et des secrètes influences, c’est celui de la torpille marine qui engourdit la main, quoiqu’on ne la touche qu’à l’aide d’un long bâton[55] : c’est une sorte d’action qui s’exerce à distance, à la faveur d’un milieu convenable qui la propage ; genre de propagation assez analogue à celui qu’on observe lorsqu’en frappant sur la corde d’un arc dont on tient une extrémité fort près de son oreille, on entend une espèce de son musical, ou de ton.

990. Les écrivains qui ont traité de la magie naturelle, attribuent les plus puissans effets aux vertus immatérielles des parties des animaux, en supposant toutefois qu’après l’amputation de ces parties, ces animaux soient encore vivans ; comme si l’animal vivant répandoit dans ces parties qu’il a perdues, une sorte de vertu ou de force incorporelle. On peut croire toutefois que telle partie retranchée à un animal nouvellement tué, doit avoir plus de force que si on l’eût ôtée à un animal mort naturellement, vu que, dans le premier cas, les esprits y sont plus abondans.

991. Il faudroit faire aussi quelque épreuve de ce genre sur des portions d’une même partie prise dans un sujet du règne végétal, ou du règne animal. Par exemple, après avoir retranché une partie d’un tronc ou d’une branche d’arbre, la laisser se putréfier, et voir ensuite si, à mesure que la partie retranchée se putrefieroit, la partie restante se putrefieroit aussi ; ou encore, après avoir coupé, à un chien ou à un chat, une partie, soit de la queue, soit d’une patte, voir si la partie amputée, à mesure qu’elle se putrefieroit, occasionneroit un aposthume dans la partie restante, et empêcheroit la guérison[56].

992. On regarde ordinairement comme un excellent moyen pour nourrir la passion de l’amour, l’attention de porter continuellement un anneau ou un bracelet des cheveux de la personne aimée ; ce qui, au fond, n’a peut-être d’autre effet que celui d’exciter continuellement l’imagination relativement à la personne aimée, et d’y faire penser plus souvent. Il se pourroit qu’un gand, ou tout autre petit présent de ce genre, regardé comme une faveur, produisît le même effet.

993. La corrélation sympathique et l’action réciproque entre les corps qui ont fait partie d’un même tout, ou qui ont été en contact l’un avec l’autre, est ce qui nous paroît le plus incroyable. Cependant, comme nous nous sommes fait une loi de tout approfondir, et de ne rien admettre ou rejeter sans l’avoir soumis à l’examen, nous ferons aussi quelque légère mention de ce genre de sympathies. C’est une expérience assez triviale, que celle d’enlever les verrues, en les frottant avec quelque substance, qu’on laisse ensuite se putréfier, ou en général, se décomposer. Et je suis d’autant moins éloigné d’ajouter foi aux faits de ce genre, que je ne puis démentir ma propre expérience. Dès ma plus tendre enfance, j’ai eu une verrue à un doigt ; puis vers l’âge de quinze à seize ans, et durant mon séjour à Paris, il en parut un grand nombre sur mes deux mains ; ce qui alloit au moins à cent, et cela dans l’espace d’un mois. L’ambassadrice d’Angleterre, femme qui n’étoit nullement superstitieuse, me dit un jour qu’elle vouloit me débarrasser de toutes ces verrues. Elle se fit donc apporter un petit morceau de lard, où elle laissa la couane, et avec le gras elle frotta toutes ces verrues, sur-tout celle que j’avois depuis mon enfance ; puis, ayant suspendu ce morceau de lard à un clou, en dehors d’une fenêtre de son appartement, et au midi, elle le laissa dans cet endroit, où étant ainsi exposé aux rayons solaires, il se putréfia assez promptement. Le résultat de cette expérience fut que, dans l’espace de cinq semaines, toutes mes verrues disparurent, même celle qui datoit presque d’aussi loin que moi. La disparution de toutes les autres n’étoit pas ce qui m’étonnoit ; car, s’étant formées en si peu de temps, elles pouvoient bien disparoître tout aussi vite ; mais la disparution de celle qui avoit duré tant d’années, fut ce qui alors me frappa et m’étonne encore aujourd’hui. On obtiendra, dit-on, le même effet, si, après avoir frotté les verrues avec une branche de sureau encore verte, on la met dans du fumier, afin qu’elle s’y putréfie. On pourroit tenter cette même expérience sur les cors, les loupes et autres excroissances de cette espèce, et même sur celles d’entre les parties des animaux qui ont le plus d’analogie avec ces excroissances ; par exemple, sur les crêtes et les éperons des coqs, les cornes des quadrupèdes, etc. On peut faire ces épreuves de deux manières ; savoir : ou en frottant ces parties avec le lard ou le sureau, comme nous venons de le dire, ou en en retranchant quelque petite portion, et la laissant ensuite se putréfier, ou en général se consumer, afin de voir si la putréfaction, ou la dissolution de cette partie retranchée pourroit contribuer quelque peu à celle de la partie restante.

994. Suivant une opinion reçue depuis long-temps, on peut, en enduisant de certaines substances l’arme qui a fait une blessure, guérir cette blessure même. Pour assurer le succès d’une telle expérience (si nous devons en croire des personnes réputées dignes de foi, mais dont le témoignage ne m’a pas encore disposé à faire fond sur une telle recette), il faut fixer son attention sur plusieurs points.

1°. L’onguent avec lequel on se propose de frotter l’arme, doit être composé de plusieurs ingrédiens, dont les plus étranges et les plus difficiles à trouver, sont ceux-ci : de la mousse qui croît sur le crâne d’un cadavre resté sans sépulture.

2°. De la graisse de sanglier et de celle d’une ourse qui aient été tués dans l’acte même de la génération : je soupçonne qu’on a ajouté ces deux dernières conditions pour se ménager un prétexte, au cas que le remède soit sans succès, et afin de pouvoir dire alors que l’animal n’avoit pas été tué dans le moment convenable. Quant à cette mousse dont nous parlions d’abord, on en trouveroit assez en Irlande, sur les ossemens de ceux qui ont été tués dans différentes batailles, puis entassés et laissés sans sépulture.

Les autres ingrédiens sont la pierre d’hématite, pulvérisée, et quelques autres substances douées, comme la mousse en question, de la propriété d’étancher ou d’arrêter le sang. La description complète de cet onguent, et de la manière de le composer, se trouve dans le trésor chymique de Crollius.

3°. Pour que cet onguent produise son effet, il faut l’appliquer, non sur la blessure même, mais sur l’arme qui l’a faite.

4°. Ce que j’aime le mieux dans leur méthode, c’est qu’ils ne disent point que, pour la composition de cette drogue, on soit obligé d’observer telle ou telle constellation ; autre subterfuge que ne manquent guère de se ménager les auteurs qui se mêlent de décrire les procédés magiques, afin de pouvoir dire, dans le cas où le remède n’opéreroit point, qu’on n’a pas eu l’attention de le composer sous le signe convenable.

5°. On peut l’appliquer sur l’arme, quoique le blessé soit absent, et même fort éloigné.

6°. Il n’est pas nécessaire, à ce qu’il paroît, de faire concourir au traitement l’imagination du blessé, puisqu’on peut employer ce remède avec succès, sans qu’il ait aucune connoissance du service qu’on veut lui rendre, et c’est ce que l’expérience a confirmé beaucoup mieux que tout le reste ; car quelques personnes s’étant avisées d’ôter l’onguent de dessus l’arme, à l’insu du blessé, et seulement pour voir ce qu’il en résulteroit, la blessure redevint extrêmement douloureuse ; ce qui dura jusqu’à ce que l’arme eût été enduite de nouveau.

7°. Certains auteurs assurent de plus que, si l’on ne trouve point sous sa main l’arme qui a fait la blessure, il suffit de prendre un instrument quelconque de fer ou de bois, mais figuré à peu près comme cette arme ; de l’insérer doucement dans la plaie, pour la faire saigner de nouveau, et de frotter ensuite, avec l’onguent, cet instrument, qui, par ce moyen, deviendra également curatif. Ceci me paroît avoir été imaginé pour donner de la vogue à cette merveilleuse recette, et engager le monde à en user, vu qu’assez souvent on auroit de la peine à retrouver l’arme qui auroit fait la blessure.

8°. Il faut bien nettoyer la plaie, soit avec du vin blanc, soit avec l’urine même du blessé ; puis la bander, à l’aide d’un linge fin qu’on laissera dessus jusqu’à parfaite guérison.

9°. Il faut avoir soin d’envelopper et de tenir couverte toute cette partie de l’arme qui est enduite, de peur que si elle étoit exposée à l’action de l’air, toute sa vertu ne s’évaporât.

10°. Après avoir ôté l’onguent de dessus l’arme, on pourra le garder pour s’en servir une autre fois ; et alors on trouvera sa vertu plutôt augmentée que diminuée.

11°. Ce procédé est plus efficace et plus curatif que tous les emplâtres et autres moyens qu’on emploie ordinairement.

Enfin, il guérit la blessure d’un animal tout aussi bien que celle d’un homme ; ce qui me plaît beaucoup plus que tout le reste ; cette méthode devenant ainsi plus facile à observer et à vérifier.

995. Quoiqu’on nous voie relever souvent, dans cet ouvrage, la négligence et l’esprit superficiel qui préside ordinairement à la recherche des causes, et qui fait qu’on attribue les effets qu’on veut expliquer, à des vertus secrètes et à des qualités occultes, genre d’explication dont les hommes se contentent trop aisément, et qui, en éteignant toute ardeur pour la recherche des véritables causes, empêche de les découvrir ; cependant on ne doit appliquer cette censure qu’à la partie exécutive et pratique des sciences, ou l’on doit donner presque tout à l’expérience et aux observations directes ; ces indications que fournit une simple théorie, ne pouvant mener aussi sûrement au but ; règle qu’il faut appliquer aux individus, ainsi qu’aux espèces. Par exemple, dans la médecine pratique, si l’on avoit une jaunisse à guérir, ce ne seroit pas non plus assez de dire qu’alors les médicamens à administrer ne doivent pas être rafraîchissans ; ce qui mettroit obstacle à cette dilatation qu’exige la maladie ; qu’ils ne doivent pas non plus être de nature chaude, ce qui pourroit exalter excessivement la bile ; enfin, qu’il faut que ces médicainens pénètrent jusqu’à la vessie du fiel, parce que là se trouve l’obstruction qui est la véritable cause du mal ; mais s’en rapporter purement et simplement à l’expérience qui dit : l’ive muscate, dissoute dans du vin, est le vrai remède pour la jaunisse[57]. De même, un prudent médecin n’administrera pas toujours le même remède à son malade ; mais il aura soin de varier le traitement, lorsqu’il verra que les premiers moyens qu’il aura employés n’ont pas eu un succès notable. Car, parmi les différentes espèces de traitemens pour la jaunisse, la gravelle, la fiévre, etc. on observe souvent que la même substance qui est utile à tel individu, est nuisible à tel autre, selon le plus ou moins de rapport et de convenance qu’elle peut avoir avec la constitution particulière et individuelle du sujet.

Observation relative à la sympathie générale des âmes humaines.

996. Quoique l’approbation du grand nombre, la réputation, l’honneur, la gloire, la soumission et l’asservissement des âmes, des volontés ou des affections des individus de notre espèce, ne soit pas toujours notre principal but, et ne soit souvent qu’un but secondaire et subalterne, le sentiment qu’excite en nous l’estime publique, lorsque nous nous flattons de l’avoir acquise, ne laisse pas d’être fort doux en lui-même, et d’avoir une convenance très sensible avec la nature de l’âme humaine : vérité qui n’est rien moins qu’isolée, et qui semble devoir nous conduire à ce principe plus étendu et plus élevé ; que toutes les âmes humaines, prises ensemble, pourroient bien n’être qu’une foible émanation de la substance divine[58] : autrement se pourroit-il que les hommes fussent si profondément affectés de ce que peuvent dire ou penser leurs semblables ? Les âmes les mieux constituées aspirent à une bonne renommée et à la véritable gloire ; les âmes plus foibles et plus frivoles briguent la faveur de la multitude, et le titre d’hommes populaires ; les plus dépravées soupirent après la tyrannie, et veulent tout asservir ; comme l’histoire en offre des exemples dans ces conquérans fameux et ces fastueux perturbateurs du monde, qu’on a vu paroître tour à tour sur ce vaste théâtre, et triompher successivement des nations : mais plus encore dans les orgueilleux coryphées de l’hérésie ; car vouloir introduire de nouvelles doctrines en matière de religion, n’est-ce pas vouloir commander à la foi même, et aspirer à une sorte de tyrannie sur l’entendement humain ?

Fin du neuvième volume.
  1. Le lecteur voit que nous employons les termes de l’art, et le jargon de ceux qui le cultivent ; le dictionnaire des sages ne pouvant nous fournir des mots pour exprimer des idées qu’ils n’ont point. C’est aux fous qu’il faut demander le nom d’une chimère.
  2. Les anciens attachoient deux significations très différentes à ces deux mots, âme et esprit ; ils entendoient, par le premier, l’âme végétative et matérielle, qui anime immédiatement le corps ; et par le dernier, l’âme immatérielle, qui a la propriété de mouvoir immédiatement la grosse âme, et médiatement le corps, parce qu’elle ne peut toucher ni à l’une ni à l’autre.
  3. Le bonheur de l’homme étant presque tout en espérances, il n’est pas étonnant qu’il préfère si souvent l’erreur qui nourrit ce sentiment, à la vérité qui le détruit ; et le charlatan, ou le fou qui lui fait espérer l’impossible, au sage qui lui montre trop clairement les difficultés du possible. Les géans du vulgaire ne sont que des nains aux yeux du philosophe, et le crime perpétuel de la philosophie, au tribunal des sots, c’est de tuer sans cesse le sot étonnement.
  4. Si l’on ne doit rien conclure du peu de succès des moyens employés, à plus forte raison ne doit-on tirer aucune conséquence négative des expériences qu’on n’a pas faites. Ainsi, dans cette question, comme dans toutes les autres, on doit suspendre son jugement, jusqu’à ce qu’on ait résolu le problème, ou positivement en prouvant, par l’expérience, l’efficacité des moyens proposés ; ou négativement, en montrant clairement la contradiction que renferme ce problème, et par conséquent son impossibilité.
  5. Ceci ne doit être appliqué qu’aux puissances légitimes ou légitimées par la pluralité des citoyens ; car, si ces illustres voleurs qui envahissent ou escroquent les empires, étoient les lieutenans de la Divinité, Cartouche auroit donc été un de ses caporaux.
  6. Un homme infatigable lasse tous les autres ; tout homme qui se lasse est né pour obéir ; l’obstiné périt où reste le maître ; et la patience use tous les obstacles.
  7. Le traducteur latin dit, somnis lethalibus (des sommeils mortels) ; cependant l’original anglois dit, dead sleeps, et non deadly sleeps ; mais ce traducteur, en exagérant toutes les idées de l’auteur, croit orner l’ouvrage.
  8. Expression qui ne signifie pas que leur impression puisse avoir lieu sans la présence d’un corps, mais qu’elles ne sont pas l’effet de la transmission d’une substance matérielle du corps affectant au corps affecté, et seulement l’effet d’un certain mouvement, d’une certaine texture et sans addition de substance. Au reste, cotte division n’auroit point été adoptée par Newton ou par ses disciples, qui pensent que l’impression de la lumièrė sur nos yeux a pour cause, non un simple mouvement que le corps lumineux ou éclairé imprime à nos yeux, par l’intermède d’un fluide placé entre deux, mais l’émission d’une substance qui se détache de ce corps, et qui vient frapper l’organe ; une telle espèce n’étant rien moins qu’immatérielle. Cependant ou peut sans inconvénient adopter sa division à titre de partition purement méthodique.
  9. Nous avons observé dans plusieurs notes, qu’une corrélation harmonique est la relation existante entre des corps qui s’affectent réciproquement, ou qui sont affectés en commun par une cause générale ; mais c’est ici le lieu de le répéter ; car nous allons côtoyer la science mystique.
  10. Voilà des expressions magnifiques ; reste à bien connoitre leur valeur.
  11. Il regarde le mouvement diurne des étoiles, du soleil et des planètes, non comme une simple apparence, mais comme un mouvement réel, et pense que le mouvement alternatif et périodique de l’océan est le plus lent, parce que ses eaux sont moins éloignées du centre de la terre, qu’il regarde comme le centre du mouvement de toute la sphère.
  12. Le texte anglois dit, les esprits des âmes humaines, dénomination par laquelle il désigne non l’âme immatérielle, ou la onzième cathégorie d’Aristote mais l’âme matérielle (en latin, anima) dont il parle en d’autres lieux et qui paroit ne point différer de ce que nous appelons les esprits animaux, le principe vital, la nature, etc. Selon lui, ce n’est qu’un composé des parties les plus subtiles du feu et de l’eau, ou de l’air (qu’il regarde comme une eau raréfiée), tempérés l’un par l’autre ; ce qui étoit aussi le sentiment d’Hippocrate, qui ne parle jamais de l’âme surnuméraire.
  13. Elles tiennent l’une à l’autre comme l’effet tient à sa cause : une passion est un désir très vif et très constant de posséder ou d’éviter une chose individuelle, ou un genre de choses qu’on regarde comme un bien on comme un mal. Ainsi, toute passion est fille d’une certaine opinion, d’un certain mode de l’imagination devenue habituelle et fixe. Et toute opinion très fixe engendre une passion qui, lorsqu’elle est portée au dernier période, prend le nom de folie. Toute passion est une folie commencée ou complète, du moins dans toute société où elle n’est pas commune ; car tout homme sage ou fou paroît sage à ceux qui lui ressemblent, et fou à ceux qui ne lui ressemblent pas.
  14. Voilà le véritable esprit philosophique : cette Centurie n’est, à proprement parler, qu’un recueil de conjectures ; mais ce sont des conjectures suivies de l’indication des épreuves nécessaires pour les vérifier. Or, il y a une différence infinie entre des conjectures positives indiquant des expériences, et des conjectures qui empêchent d’en faire : les premières tendent à garantir de toute erreur, soit négative, soit positive ; au lieu que les dernières peuvent empêcher de faire des découvertes ; savoir : lorsque le principe sur lequel elles sont fondées, est faux ; or, ce principe, lorsqu’on n’a pas encore fait voir une contradiction dans le problème, est toujours faux ; car il se réduit à cette proposition : je n’ai jamais rien éprouvé de semblable : donc cela est impossible, et il ne faut pas l’essayer.
  15. Je suis obligé de forger ce mot pour un instant ; car je ne trouve point d’équivalent. N’est-il pas étonnant que, dans la langue d’une nation aussi guerrière que la nôtre, et qui aujourd’hui semble combattre l’univers entier, le mot arme n’ait point d’adjectif ? elle n’est riche que dans les sujets sales ou lubriques ; c’est apparemment qu’elle sait mieux se servir des armes, qu’en parler.
  16. Parce qu’ils sont plus occupés du bien qu’ils veulent faire, que du mal dont ils sont menacés ; ce qui est le grand préservatif contre les maladies, les vices et le malheur. Au reste c’est un fait dont on a vu des preuves multipliées dans la peste de Marseilles, au commencement du dix-huitième siècle. Certains effets de la charité chrétienne (tels que ceux dont parle notre auteur) paroissent miraculeux, ou du moins fort étonnans, parce que, ce sentiment étant fort rare, ses effets doivent être aussi rares que leur cause. Cependant ils n’en sont que des conséquences très naturelles. Ce sentiment expansif, qui est l’âme du vrai christianisme, est un préservatif et un remède universel ; c’est le vrai panacée. L’homme est organisé par l’amour et pour l’amour ; plus il se rapproche de ce principe et de cette fin, plus il est sain, judicieux, honnête, éloquent, intrépide, aimable, aimé, heureux, et une source de bonheur pour les autres ; plus il s’en éloigne, plus il est malade, dans toute la force de ce mot. La véritable peste en ce monde, c’est l’erreur qui combat cette grande vérité, ou la science oiseuse qui la fait oublier. Ce principe organisateur, curatif et réparateur, indique, résume et motive toute la loi : il est la clef du vrai bonheur ; jamais hypocrite n’en eût l’aperçu, encore moins le sentiment ; et c’est cette ignorance même qui fait son supplice : oh, que la constitution de l’univers est sage et juste dans toute la rigueur géométrique ! Telle fut la pensée du divin Platon.
  17. On lit dans les variantes sur la Henriade, que Jeanne d’Albret, mère de Henri IV, fut ainsi empoisonnée.
  18. Les physiciens des derniers temps attribuoient ces effets au gas méphitique, qui étoit, comme l’on sait, une des causes à la mode. Mais on peut conjecturer que l’asphixie, en pareil cas, est aussi en partie l’effet de l’extrême dessiccation de l’air que la vapeur du charbon dépouille presque entièrement de son humor aqueux, vu que le moyen le plus connu, pour prévenir ces accidens, est de placer dans l’appartement plusieurs vaisseaux à large ouverture, et remplis d’eau, qui alors s’évapore à vue d’œil ; genre de préservatif dont on fait beaucoup d’usage en Allemagne, où l’on échauffe plusieurs chambres en même temps, à l’aide d’un seul poële d’un volume énorme, d’où partent plusieurs tuyaux. Il paroit que cette eau rendant à l’air tout l’humor absorbé, à mesure que la vapeur du charbon le lui enlève, prévient ainsi les funestes effets de cette vapeur. Si les contraires sont les remèdes des contraires, comme le prétend Hippocrate, le contraire de la cause d’un mal en est donc le remède ; et réciproquement le contraire du remède à un mal est la cause même de ce mal : si donc la reddition de l’humor aqueux détruit ou affoiblit les effets de la vapeur du charbon, il paroit que la cause de ces effets n’est autre que la privation de cet humor. Ainsi, en général, pour découvrir la cause d’un mal quelconque, il faut chercher ce qu’il y a de commun entre tous les remèdes à ce mal, les plus connus et les mieux éprouvés ; le contraire de ce remède général sera la cause générale de ce mal ; observation qui pourroit servir à simplifier le traitement de chaque maladie, à épargner des douleurs au malade, et à ménager sa bourse aux dépens de celle du médecin ; en attendant qu’on applique à la morale et à la pratique ce principe si évident et si fécond.
  19. Si cette assertion étoit fondée, presque toutes les glaces seroient ternies ; mais elle est sans fondement.
  20. Il me semble qu’au contraire elle devroit les faire naître.
  21. Voilà des petits contes qui enrhument la raison et le sens commun.
  22. L’auteur de l’Héloïse auroit fait mettre ce coussin par son héros larmoyant ; et l’auteur d’Émile l’auroit fait ôter par son héros très édifiant, mais un peu raboteux.
  23. Comment s’y prend-on pour sarcler, avant que la terre ait produit des végétaux ?
  24. Quand on se sent fort, on croit d’avoir besoin de personne, pas même de la Divinité ; mais dès qu’on loge le diable dans sa bourse, on loge Dieu dans son cœur, ou plutôt dans sa tête. La religion n’est point une foiblesse ;’mais lorsque l’homme a le sentiment de sa foiblesse, il est plus religieux ; et lorsqu’il est réellement foible d’âme ou de corps, il a presque toujours ce sentiment.
  25. Quelle bonté ! sur-tout après une plainte aussi déplacée ; cela vaut mieux que tous ses livres.
  26. Près de cette ville étoit le fameux bosquet de Daphné, qui étoit pour les habitans d’Antioche ce que le bois de Boulogne est pour les Parisiens, et dont le nom même sembloit indiquer l’espèce d’arbrisseau dont il étoit planté.
  27. Par conséquent il faut mettre un impôt sur chaque carreau de vitre, et sur chaque pied cube d’air auquel il donne passage, comme l’ont fait nos profonds et judicieux voisins. Moyennant cette précaution, les citoyens ne seront plus tentés de se donner trop d’air, et ils s’étoufferont autant qu’il est nécessaire pour leur santé.
  28. Puisqu’elles affectent des corps.
  29. L’expression est énergique, et n’en est pas plus claire ; cependant, pour dissiper en partie cette obscurité, on peut substituer à ce mot d’énergie, celui de force, qui ne sera pas plus clair pour les sens ou l’imagination, mais qui le sera pour la raison.
  30. La même cause qui produit dans l’air un mouvement de vibration, d’où résulte le son, y produit aussi un mouvement de translation, d’où résulte cet ébranlement, ou cette raréfaction.
  31. Il paroit que Racine avoit ce trait d’histoire présent à l’esprit, lorsqu’il composa ce beau vers qu’il met dans la bouche de Néron avouant ingenuement l’ascendant irrésistible que sa mère avoit pris sur lui :

    Mon génie étonné tremble devant le sien.

  32. On peut, en rejetant toute explication mystique, rendre raison de cette influence réciproque, par l’indication des quatre causes suivantes :

    1°. L’air respiré par les poumons de l’un peut être nuisible aux poumons de l’autre ; sur-tout lorsque l’un ou l’autre, ou tous les deux ont un principe de phthisie.

    2°. L’idée que nous avons de notre interlocuteur peut influer sur nous ; et influer toujours de la même manière, si elle est constante.

    3°. Il faut compter aussi pour quelque chose l’effet de ses discours, dont le ton peut être presque toujours décourageant.

    4°. Enfin, sa physiognomie, son geste, tout son extérieur, en un mot, n’est pas non plus sans effet. Il faut appliquer ce même raisonnement, mais en sens contraire, aux individus d’un caractère gai et encourageant.

    Cependant, comme nous avons abjuré plus d’une fois les formes négatives, nous sommes obligés d’ajouter ce qui suit :

    Nous ignorons la nature du principe qui anime le corps de chaque indiridu ; nous ne savons pas mieux si son action est resserrée dans les limites de ce corps, ou s’il peut agir au-delà de ces limites. Partirons-nous de cette double, triple et quadruple ignorance, pour énoncer une tranchante négative ? Non, elle seroit aussi téméraire que l’affirmative ; nous affirmerons seulement qu’en cette questions, comme en beaucoup d’autres, il faut ne rien affirmer.

  33. Elle porte malheur, quand cet individu est un sot, ou un fripon.
  34. Ce raisonnement platonique nous paroit doublement faux, et pécher dans la conséquence comme dans le principe. En effet, si les esprits de l’amant, après s’être accrochés à ceux de l’amante, tendent à retourner à leur propre domicile, comme ceux de l’amante, selon toute apparence, sont accrochés à son corps, les esprits de l’amant, en retournant à leur foyer, entraîneront avec eux ceux de l’amante, et la femme avec. Quand on croit avoir besoin de débiter une sottise mystérieuse, il faudroit du moins être conséquent ; au lieu de réparer cette sottise par une seconde, qui double le produit.
  35. C’étoit probablement l’effet de la joie et une espèce d’indigestion de gloire. Ce sentiment porté à l’excès diminue l’appétit, et par conséquent la force digestive de l’estomac. Si cet effet est souvent réitéré, il peut occasionner plusieurs indigestions positives, et même une maladie prononcée. Il semble qu’ici la cause morale fasse tout, et que l’action de la cause physique ne soit qu’en seconde instance : cependant une réflexion très naturelle qui se présente à notroe esprit, nous oblige encore à suspendre notre jugement sur cette question. L’esprit vital est un fluide infiniment subtil, et renfermé dans une espèce de crible : cela posé quand ce fluide se porte du centre à la circonférence, s’arrête-t-il juste à l’entrée de chaque trou, et ne passe-t-il point au-delà, mème d’un centièine de ligne ? Actuellement, en passant au-delà de ses limites naturelles, agit-il immédiatement sur les esprits d’un autre individu, et médiatement sur le corps de cet individu ? Nous répondrons encore affirmativement que nous l’ignorons. Quoi qu’il en soit, si le corps humain est électrique, par cela seul qu’il n’est à certains égards qu’une bouteille de Leyde habituellement chargée, comme nous l’avions avancé dans la Balance naturelle, et comme on l’a prouvé depuis, il ne seroit pas impossible qu’un homme plein d’espérance et de vigueur électrisât positivement les individus qui traiteroient fréquemment avec lui, et qu’un envieux, un hypocrite de profession électrisât négativement ceux dont la présence humilieroit sa vanité.
  36. Il pouroit avoir intéressé les deux domestiques, en leur promettant une partie du gain qu’il feroit dans la maison, et avoir été amené par eux.
  37. Il y a ici quelque faute de copiste ; car l’auteur, en commençant sa narration, parle de toucher à un certain endroit de la jarretière, et en finissant, il n’est plus question que d’y penser ; il paroit qu’il ne s’agissoit que d’y penser, et de le designer ensuite verbalement.
  38. Un homme qui n’ajoute foi qu’aux révélations de l’expérience et de la raison naturelle, examinant beaucoup toutes ses opinions, découvre de jour en jour de nouvelles expériences, ou de nouveaux raisonnemens qui l’obligent de changer, ou de rectifier ses premières opinions. Au lieu qu’un sot qui digère comme un article de foi l’opinion d’un fou, ou d’un charlatan, ne l’examinant jamais, n’a jamais de raison pour changer de sentiment. Ainsi, la recette la plus sûre pour être constant, c’est d’être un sot.
  39. Les chimères que notre imagination compose au gré de nos désirs, sont toujours plus séduisantes et ébranlent plus fortement l’imagination même que les choses réelles que l’expérience rend familières, auxquelles on s’attend trop, et qui à la longue n’ont presque plus d’effet. Or, les imaginations fortes et exaltées ont un avantage prodigieux et connu sur les imaginations sages et réglées. Ainsi, les fous et les charlatans ont un avantage naturel sur les sages et les honnêtes gens. Voilà pourquoi le monde est tyrannisé par des sots, subjugués par des fous, menés par des fripons ; ou bien encore les hypocrites paient les fous pour ameuter les sots contre les gens d’esprit, et casser les lanternes.
  40. À l’aide de la distinction très commode du sens propre et du sens figuré, du langage de l’esprit et du langage de la chair, les cabalistes physiciens et les cabalistes théologiens ont tordu à leur fantaisie le texte sacré, et lui ont fait signifier tout ce qu’ils ont voulu. Puis, les premiers nous ont donné pour indemnité la fumée de leurs fourneaux ; et les autres, à force de nous donner des lettres de change payables dans l’autre monde, nous ont fait craindre une banqueroute dans celui-ci.
  41. Si les traducteurs n’entendent pas les auteurs originaux, c’est presque toujours faute de pénétration et de patience, et c’est quelquefois aussi parce que ces grands hommes a traduire n’ont pas le bonheur de s’entendre eux-mêmes. J’ai levé plus de 2 000 équivoques dans cet ouvrage ; mais j’avoue que je n’ai pas l’art de composer une phrase claire et raisonnable, en traduisant fidèlement une sottise entrelacée avec une double équivoque. Le valet doit-il appliquer la racine en question sur son propre corps, pour fortifier sa propre imagination, et agir avec plus de force sur celle du maître, qui, durant le sommeil de celui-ci, agit plus puissamment sur son corps ? ou doit-il appliquer cette racine sur le corps de son maître, afin de fortifier l’imagination dormeuse de celui-ci, et de la mettre en état d’agir plus puissamment sur son corps endormi ? c’est ce qu’il n’est pas facile de décider. Le traducteur latin s’en est tiré, en interprétant le texte mot à mot, et laissant subsister la double équivoque.
  42. Il y a trente mille manières de tenir une clef entre ses doigts ; laquelle est-ce ?
  43. La vanité humiliée est un poison, comme nous l’avons dit ailleurs ; et la vanité satisfaite est un cordial : or, ces bagatelles contentent ordinairement la vanité de ceux qui les portent ; sans compter que leur éclat plaît à la vue, et que le plaisir modéré est un remède à tous les maux.
  44. Espèce de canne qui croit aux Indes et en Arabie.
  45. Le remède universel et radical pour la crampe me paroit être de faire agir avec effort les muscles antagonistes de ceux où elle se fait sentir : par exemple, si elle est dans les muscles extenseurs, il faut faire agir les fléchisseurs ; et réciproquement. Je suis fort sujet à ce genre d’incommodité ; mais, par le moyen que je viens d’indiquer, je la fais cesser à l’instant ; et mon corps n’a point de privilège à cet égard.
  46. Reste à la trouver
  47. En grec lycochton, genre d’aconit.
  48. À qui ? et comment ?
  49. Un grand nombre d’érudits ont fait de longues et pesantes dissertations sur cette aversion si connue que les Pythagoriciens avoiont pour les fèves : la voilà cette raison qu’ils cherchoient ; ce genre de légume est un vrai poison pour un homme de lettres ; il est fort substantiel ; il rend l’homme plus robuste et plus sot ; il ne convient qu’aux hommes qui exercent plus leur corps que leur esprit.
  50. Des auteurs qui ont écrit sur la magie très naturelle, prétendent que le cœur d’un homme vivant appliqué sur la région du cœur d’un individu de l’autre sexe, donne à tous deux plus d’esprit ; recette qui répugne beaucoup moins à l’humanité.
  51. Il suffit qu’un seul de ces animaux ait vu cet homme tuer quelque chien, ou l’ait vu seulement portant son gourdin, pour qu’au moment où il le revoit, il coure et aboie contre lui ; ce qui fait courir et aboyer tous les autres ; explication qui nous paroît plus vraisemblable que la pénétration de ces chiens qui devinent la pensée d’un homme.
  52. Charles-le-Téméraire ne fut point tué à Granson ; mais, après avoir été défait à Granson et à Morat, il perdit une troisième bataille et la vie devant Nancy.
  53. Non.
  54. Nous expliquerons ces faits par l’indication d’une cause très naturelle ; savoir : l’association des idées. La masse, ou plutôt les dix mille masses d’air qui, après avoir successivement lavé et, pour ainsi dire, léché un vaste champ de bataille couvert de plusieurs milliers de morts et de blessés, se seront imprégnées des émanations un peu fétides, qui s’en exhaloient, n’auront pu s’en dégager totalement qu’après avoir parcouru un fort grand espace. Supposons de plus que le vent régnant, et le lieu où s’étoit donné la bataille, fussent à peu près dans la même direction, par rapport à Rome, et qu’une seule de ces dix mille masses d’air s’étant portée vers cette ville, ait traversé l’amphithéâtre, tandis que le peuple étoit occupé de regarder les jeux. Cela posé, l’odeur de ces émanations, connue des spectateurs dont la plupart étoient guerriers de profession, aura d’abord réveillé dans leur esprit l’idée de bataille. Puis, cette idée combinée avec des conjectures fondées sur la connoissance qu’ils avoient du plus ou moins de capacité de leur général, ou de courage de leurs soldats, aura fait naître l’idée de victoire, ou de défaite. Or, (comme une multitude d’hommes s’affectent en commun, avec une promptitude et une facilité prodigieuse, sur-tout par rapport à un événement qu’ils craignent ou désirent tous très vivement), cette dernière idée une fois née dans l’esprit de deux ou trois spectateurs, et exprimée avec tous les gestes propres à la joie, ou à l’affliction, sera bientôt devenue générale, et aura occasionné ces exclamations dont parle l’auteur. Voilà encore un miracle décomposé, etc.
  55. Des expériences très multipliées et très variées ont prouvé que cet animal, ainsi que l’anguille de Surinam, est électrique ; c’est une espèce de bouteille de leyde naturellement, perpétuellement et sensiblement chargée. Peut-être si ses deux surfaces (la supérieure et l’inférieure) étoient revêtues de feuilles métalliques, comme un carreau électrique, son électricité deviendroit-elle encore plus sensible.
  56. Si cela étoit, jamais de telles blessures ne se guériroient ; car, lorsqu’un chien ou un chat a perdu quelqu’un de ses membres, cette partie retranchée se putréfie toujours.
  57. Sans doute ; mais pour savoir cela, il a fallu d’abord raisonner, et avoir une raison pour éprouver cette plante plutôt que toute autre.
  58. Cette proposition est la base du système émanatif qui fut, en partie ou en totalité, commun à presque tous les anciens philosophes, et dont on pourra se former une idée en méditant ce mot de Plotin mourant : je fais mon dernier effort pour ramener ce qu’il y a de divin en moi, à ce qu’il y a de divin dans tout l’univers.

    Voici les cinq dogmes fondamentaux de ce système :

    1°. L’âme humaine est une émanation, une portion de la substance divine ; portion d’autant moins parfaite, qu’elle est plus engagée par le fait, et par notre intention, dans la matière.

    2°. Le bonheur de l’homme, en ce monde, consiste à s’unir avec Dieu, aussi souvent que le permet notre foiblesse ; et en méprisant tout ce qui n’intéresse que le corps ; car, pour s’unir avec le bon principe, il faut se séparer d’avec la matière, qui est le mauvais.

    3°. L’esprit humain est, en quelque manière, un canal par lequel Dieu fait passer la vérité ; lorsque l’homme l’a méritée par le travail, ou par un sentiment profond de son propre néant : l’orgueil obstrue ce canal ; la modestie le débouche.

    4°. La récompense des justes, après la mort, sera cette union même avec Dieu, qui aura fait quelquefois leur bonheur en ce monde, et l’illumination qui en sera l’effet ; union et illumination qui iront toujours en croissant durant toute l’éternité. La peine des méchans sera une éternelle séparation d’avec la source de toute vérité et de tout bonheur, ou une union beaucoup plus lente avec ce principe.

    5°. Tout l’ordre physique de ce monde n’est qu’un enchaînement, une suite de phénomènes coordonnés et parallèles à toute la suite des phénomènes moraux, c’est-à-dire, des intentions, bonnes ou mauvaises, non déterminées et nécessitées, mais seulement prévues par l’Être suprême ; ordre d’où résultent, même dès ce monde, la récompense des bonnes actions et le châtiment des mauvaises, récompense et châtiment tantôt extérieurs, tantôt intérieurs et invisibles ; mais qui, en ce monde, ne sont que partiels, que commencés.

    Tout homme qui admet l’existence d’un Dieu, est forcé, par cela seul, d’admettre quelques-uns de ces dogmes, avec les restrictions qu’y a mises le divin législateur.