Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 9p. 98-106).


CHAPITRE IV.

M. CAMPBELL.


Les Écossais sont pauvres, crie bien haut l’orgueil anglais. Le reproche est mérité ; ils l’acceptent eux-mêmes. N’ont-ils pas alors grandement raison de venir chercher fortune ici ?
Churchill.


À cette époque, un ancien usage qui, je crois, est aujourd’hui passé de mode, ou seulement observé par le vulgaire, existait encore. Les longs voyages se faisant à cheval, et par conséquent à petites journées, les voyageurs s’arrêtaient d’ordinaire le dimanche dans une ville où ils pouvaient assister au service divin, et leurs chevaux s’y reposaient tout le jour, institution aussi profitable à ces utiles animaux qu’à l’homme lui-même. À cette coutume s’en rattachait une autre, qui rappelait la vieille hospitalité anglaise, c’est-à-dire que le maître d’une bonne hôtellerie, se dépouillant, tous les sept jours, de son caractère d’aubergiste ; invitait les hôtes à partager son dîner de famille, son bœuf et son pouding. Cette invitation était toujours acceptée, excepté par les personnes de distinction qui auraient cru déroger en s’y rendant, et la bouteille de vin que l’on faisait apporter après dîner, pour boire à sa santé, était la seule récompense qu’on lui offrît ou qu’il voulût accepter.

J’étais né citoyen du monde, et par inclination j’assistais à toutes les scènes où ma connaissance de l’espèce humaine pouvait s’agrandir ; d’ailleurs, je n’avais aucun titre à faire autrement que les autres, sous prétexte d’un rang plus distingué : je ne manquais donc pas d’accepter, chaque dimanche, l’hospitalité de mon hôte, soit à la Jarretière, soit au Lion, soit à l’Ours. L’honnête aubergiste, plus plein que jamais de son importance, en voyant assis à sa table les hôtes qu’il servait les autres jours, était déjà lui-même un spectacle plaisant ; et d’autres planètes moins brillantes accomplissaient leurs révolutions autour de l’astre principal ; car les beaux esprits, les notables de la ville ou du village, l’apothicaire, le procureur et le ministre lui-même, ne dédaignaient pas de prendre part au festin hebdomadaire. Les convives, gens de pays divers, exerçant divers états, formaient par leur langage, leurs manières et leurs opinions, de singuliers contrastes qui devaient intéresser l’homme curieux de connaître l’espèce humaine dans toutes ses variétés.

C’était un de ces jours-là, et dans une semblable occasion, que mon craintif compagnon et moi nous allions nous asseoir à la table de l’aubergiste de l’Ours noir, dans la ville de Darlington, évêché de Durham, quand notre hôte à face rubiconde nous informa d’un ton qui sentait l’excuse, qu’un gentleman écossais devait dîner avec nous.

« Un gentleman !… quelle espèce de gentleman ? » dit mon compagnon un peu brusquement, sa pensée, je le suppose, se reportant sur les gentlemen de la grand’route, ainsi qu’on appelait alors les voleurs.

« Ma foi, une espèce écossaise de gentleman, je vous l’ai déjà dit, répliqua mon hôte ; ils sont tous nobles, comme vous savez, quoique n’ayant pas de chemise sur le dos ; mais enfin l’étranger est présentable… c’est bien le meilleur Breton du nord qui passa jamais le pont de Berwick… un marchand de bestiaux, je crois.

— Procurez-nous sa société à tout prix, » répliqua mon compagnon ; puis, se tournant vers moi, il m’adressa quelques réflexions.

« Je respecte les Écossais, monsieur ; j’aime et j’honore cette nation, à cause de ses excellentes mœurs. On les dit pauvres et malpropres ; mais ils sont honnêtes, quoique couverts de haillons, comme dit le poète. Et des gens dignes de foi m’ont assuré qu’on ne connaissait pas en Écosse les voleurs de grand chemin.

— « C’est qu’il n’y a rien à voler, » dit mon hôte avec un gros rire, applaudissant lui-même à ce trait d’esprit.

« Non, non, mon hôte, répondit derrière lui une voix claire et forte ; c’est parce que vos douaniers et vos inspecteurs anglais[1] que vous avez envoyés au delà de la Twed, exercent le métier de brigands, sans laisser de besogne aux gens de profession du pays.

— Bien dit, monsieur Camphell ! répliqua l’aubergiste ; je ne vous croyais pas si près de nous. Mais vous savez qu’il y a une exception en faveur de l’Yorkshire… Comment vont les marchés dans le midi ?

— Comme à l’ordinaire, répondit M. Campbell ; les sages achètent et vendent, les fous sont achetés et vendus.

— Mais les sages et les fous dînent les uns comme les autres, reprit notre joyeux hôtelier ; et voilà… voilà une pièce de bœuf, telle que moine affamé n’en attaqua jamais. »

À ces mots, il aiguisa lestement son couteau, se mit à la première place, selon sa coutume, et chargea les assiettes de ses hôtes de viandes succulentes.

C’était la première fois que j’entendais l’accent écossais, et même que je me trouvais en compagnie avec un individu de cette ancienne nation, qui, dès long-temps, avait occupé et intéressé mon imagination. Mon père, comme vous le savez, était d’une ancienne famille du Northumberland, et le manoir de nos ancêtres ne se trouvait qu’à quelques milles du lieu où je dînais. La haine qui séparait mon père et ses parents était si vive, qu’il parlait rarement de ses aïeux, et, à ses yeux, la plus absurde de toutes les vanités, était celle de tenir à la noblesse. Toute son ambition était qu’on citât William Osbaldistone comme le premier, ou du moins un des premiers négociants de Londres ; et quand on lui eût prouvé qu’il descendait en ligne directe de Guillaume-le-Conquérant, sa vanité en eût été moins flattée que d’entendre le bruit et l’agitation que son arrivée causait ordinairement parmi les taureaux, les ours[2] et les courtiers de Stock-Alley. Il souhaitait à coup sûr que je restasse dans l’ignorance de mon origine et de mes parents, pour qu’il n’y eût jamais entre nous divergence d’opinion à ce sujet. Mais ses desseins, comme il arrive souvent aux mieux combinés, furent contrariés jusqu’à un certain point par un être que son orgueil n’eût pu croire assez important pour influer sur ses projets. Sa nourrice, vieille femme du Northumberland, qui lui était attachée dès l’enfance, était la seule personne de son pays natal à laquelle il s’intéressât ; et quand la fortune l’eut favorisé, le premier usage qu’il fit de ses dons, fut de recueillir chez lui Mabel Bickets. Après la mort de ma mère, le soin d’élever mon enfance maladive, et de lui donner ces tendres attentions que l’on ne trouve que dans l’affection d’une femme, fut dévolu à la vieille Mabel. Comme son maître lui avait défendu de parler jamais des bruyères, des taillis et des vallons de son cher Northumberland, elle s’en dédommageait en me faisant mille descriptions des lieux où elle avait passé sa jeunesse, et de longs récits des événements dont ce pays a été le théâtre. J’y prêtais l’oreille plus attentivement qu’à des leçons plus graves, mais moins intéressantes. Il me semble encore voir la vieille Mabel, la tête légèrement agitée par le tremblement de l’âge, et couverte d’un grand bonnet aussi blanc que la neige,… sa figure ridée, mais conservant cet air de santé qu’elle avait pris dans les travaux rustiques… : il me semble la voir promener ses regards sur les murs en briques et la rue étroite qu’on apercevait de nos fenêtres, lorsqu’elle finissait avec un soupir sa vieille ballade favorite que je préférais alors, et… pourquoi ne pas dire la vérité ?… que je préfère encore à tous les airs d’opéra jamais inventés par le génie capricieux d’un Italien docteur-musicien…


Le chêne, le frêne et le lierre
Fleurissent mieux au nord de l’Angleterre.


Mabel, dans ses légendes, ne parlait jamais de la nation écossaise qu’avec toute la chaleur et toute l’animosité dont elle était capable. Les habitants de la frontière opposée remplissaient dans ses récits les rôles que les ogres et les géants aux bottes de sept lieues jouent d’ordinaire dans les contes de nourrices. Et comment s’en étonner ? n’était-ce pas Douglas-le-Noir qui avait tué de sa main l’héritier de la famille d’Osbaldistone, le lendemain de sa prise de possession des domaines de ses pères… le surprenant lui et ses vassaux au milieu d’une fête qu’il donnait à cette occasion ? N’est-ce pas Wat-le-Diable qui enleva tous les agneaux[3] d’un an dans les bruyères de Lanthorn-Side, aux jours si peu éloignés du père de mon grand-père ? Et n’avions-nous pas mille trophées qui, suivant la version de la vieille Mabel, étaient des preuves glorieuses de la vengeance que nous en avions tirée ? Sir Henri Osbaldistone, cinquième baron du nom, n’enleva-t-il pas la jolie fille de Farnington, comme Achille ravit autrefois Chryséis et Briséis ? ne la retint-il pas dans son château fort malgré tous les efforts de ses amants, secondés par les chefs écossais les plus braves et du plus haut renom ? Et nos épées n’avaient-elles pas brillé plus d’une fois dans ces batailles où l’Angleterre triompha de ses rivaux ? C’est dans les guerres du nord que notre famille acquit toute sa gloire, éprouva tous ses malheurs.

Enflammé par ces récits, je regardai dès mon enfance la nation écossaise comme une race naturellement ennemie des habitants méridionaux de ce royaume, et mes préventions ne purent qu’augmenter par les discours que mon père tenait parfois sur ce sujet. Il s’était engagé dans une vaste spéculation relative à des bois de chêne avec des montagnards qui en étaient propriétaires, et prétendait les trouver toujours mieux disposés à conclure un marché et à exiger des arrhes considérables qu’exacts à remplir leurs engagements. Les négociants écossais qu’il était obligé d’employer comme intermédiaires dans ces occasions étaient aussi soupçonnés par lui de s’adjuger par mille moyens dans les bénéfices une part plus considérable que celle qui leur devait revenir. Bref, si Mabel se plaignait des guerriers écossais d’autrefois, M. Osbaldistone ne s’emportait pas moins contre les ruses de ces modernes Sinons ; de telle sorte que tous deux m’inspiraient sans le savoir une aversion sincère pour les habitants du sud de la Grande-Bretagne, sanguinaires en temps de guerre, perfides durant la paix, intéressés, égoïstes, avares, fourbes jusque dans les moindres affaires, dénués de toute bonne qualité, à moins qu’on ne donne ce nom à une férocité qui ressemblait à du courage dans les combats, et à une infâme adresse qui leur tenait lieu de prudence dans les relations ordinaires. Pour justifier, ou pour excuser du moins ceux qui m’élevaient dans ces préjugés, je dois dire qu’à cette époque les Écossais n’étaient pas moins injustes que les Anglais, qu’ils regardaient comme un peuple efféminé, fier de sa richesse. Tels étaient les germes de la haine nationale qui divisait naturellement les deux nations, germes d’où nous avons vu naguère le souffle d’un démagogue faire jaillir une flamme momentanée qui, je l’espère sincèrement, est aujourd’hui éteinte sous SOS propres cendres[4].

Ce fut donc avec une impression défavorable que je regardai le premier Écossais que je rencontrai. Presque toute sa personne justifiait mes préventions. Il avait, comme la plupart de ses compatriotes, des traits durs, une taille athlétique, l’accent national, et ce ton lent et pédantesque qu’ils cherchent à prendre pour déguiser la différence de leur idiome ou de leur dialecte. Je remarquai aussi dans beaucoup de ses observations et de ses réponses, la défiance et la finesse écossaises ; mais je ne m’attendais pas à l’air d’aisance naturel et de supériorité qui semblait l’élever au-dessus de la compagnie dans laquelle il se trouvait comme par hasard. Son habit était aussi grossier que possible, quoique décent ; et dans un temps où l’on faisait si grande dépense pour la toilette, même parmi les moindres gens qui prétendaient au titre de gentleman, son accoutrement annonçait sinon la pauvreté, du moins la gêne. Sa conversation me fit connaître qu’il faisait le commerce de bestiaux, état peu distingué. Néanmoins, malgré tous ces désavantages, il semblait traiter le reste de la compagnie avec cette politesse froide et facile qui annonce toujours une supériorité réelle ou imaginaire sur ceux à qui elle s’adresse. Quand on lui demandait son avis sur un point, il répondait avec ce ton d’assurance que prend un homme supérieur par son rang ou ses connaissances à ceux qui l’écoutent, comme si ses paroles ne devaient être ni révoquées en doute, ni réfutées. Mon hôte et ses convives du dimanche, après une ou deux tentatives pour soutenir leur opinion à force de cris, plus que par leur logique, se laissaient peu à peu dominer par M. Campbell, qui devint ainsi maître de diriger à son gré la conversation. Je fus tenté, par curiosité, d’entrer moi-même en lice avec lui, me fiant à ma connaissance du monde, agrandie par mon séjour à l’étranger, et à l’éducation passable que j’avais reçue. Sous ce dernier rapport, il n’essaya pas de soutenir la lutte, et il me fut facile de voir que ses talents naturels n’avaient jamais été cultivés. Mais je le trouvai bien mieux au fait que moi sur la situation actuelle de la France, sur le caractère du duc d’Orléans qui venait d’être appelé à la régence de ce royaume, et sur celui des ministres qui l’entouraient ; ses remarques fines, piquantes et parfois satiriques, dénotaient un homme qui avait observé de près les affaires de ce pays.

Quand la conversation tombait sur la politique, Campbell gardait un silence et affectait une modération qui semblaient dictés par la prudence. Les divisions des whigs et des torys ébranlaient alors l’Angleterre jusque dans ses fondements. Un puissant parti, secrètement dévoué au roi Jacques, menaçait la dynastie de Hanovre tout récemment établie sur le trône. Chaque taverne retentissait des disputes politiques, et comme les opinions de mon hôte étaient fort libérales, qu’il ne se querellait jamais avec les bonnes pratiques, ses convives hebdomadaires entamaient souvent à sa table des discussions aussi violentes que s’il eût traité le conseil de ville. Le curé et l’apothicaire, avec un petit homme qui ne disait mot de son état, mais qui, à en juger par l’agilité de ses doigts et ses différents gestes, devait être le barbier, épousait vivement la cause des grands dignitaires de l’Église et celle des Stuarts. Le percepteur des contributions, comme il était de son devoir, et le procureur, qui visait à une petite place dépendant de la couronne, ainsi que mon compagnon de voyage, prenaient une grande part à la dispute, et défendaient chaudement la cause du roi George et de la succession protestante. C’étaient des cris affreux, d’horribles jurements ! Les deux partis en appelèrent à M. Campbell, jaloux au même degré d’obtenir son approbation.

« Vous êtes Écossais, monsieur ; un gentilhomme de votre nation doit appuyer les droits héréditaires, » criait un parti.

« Vous êtes presbytérien, ajoutait le parti contraire, vous ne pouvez être partisan du pouvoir absolu.

— Messieurs, » dit notre oracle écossais, après avoir obtenu non sans peine un instant de silence, « je ne doute pas que le roi George ne mérite la prédilection de ses amis ; et ma foi, s’il parvient à conserver sa prise, à coup sûr il peut nommer ce digne percepteur commissaire du revenu, et donnera notre ami M. Quitam une place de procureur-général ; il peut aussi accorder faveurs et récompenses à cet honnête monsieur assis sur son porte-manteau qu’il préfère à une chaise : mais, sans aucun doute, le roi Jacques connaît aussi la reconnaissance, et puisqu’il met la main au jeu, il peut, s’il est bien disposé, faire ce révérend ministre archevêque de Cantorbéry, et le docteur Mixit premier chirurgien de sa maison, enfin confier sa royale barbe aux soins de mon ami Latherum. Mais comme je doute fort qu’aucun des deux souverains prétendants donnât à Rob Campbell un verre d’eau-de-vie s’il en avait besoin, je donne ma voix à Jonatham Brown, notre hôte, et le proclame, en dépit de tous, roi et prince des échansons, à condition qu’il nous donnera une autre bouteille, aussi bonne que la dernière. »

Cette saillie fut reçue avec d’unanimes applaudissements auxquels l’aubergiste se joignit de tout son cœur. Et quand il eut donné ses ordres pour remplir la condition d’où dépendait sa royauté, il ne manqua pas de dire « que tout pacifique que semblât être M. Campbell, il était aussi intrépide qu’un lion… Il avait terrassé à lui seul sept voleurs de grand chemin qui s’étaient jetés sur lui en revenant de Whitson-Tryste… »

« Vous êtes dans l’erreur, ami Jonatham, dit Campbell en l’interrompant ; ils n’étaient que deux, et deux poltrons comme il faudrait toujours en rencontrer.

— Est-il vrai, monsieur, » dit mon compagnon de voyage en avançant sa chaise, je devrais dire son porte-manteau, plus près de M. Campbell, « est-il bien vrai, bien réel qu’à vous seul vous avez battu deux brigands ?

— C’est la pure vérité, monsieur, répondit Campbell, et je ne pense pas que ce soit un exploit digne de faire le sujet d’une ballade.

— Sur ma parole, monsieur, répliqua le trembleur, je m’estimerais heureux d’avoir le plaisir de voyager en compagnie avec vous. Je vais dans le nord, monsieur. »

Cette information gratuite sur la route qu’il comptait suivre, la première qui échappait à mon compagnon, manqua son but : elle ne provoqua point la même confiance de la part de l’Écossais.

« Il nous serait difficile de faire route ensemble, répondit-il sèchement ; vous êtes sans doute bien monté, monsieur, et moi je voyage à pied ou sur un bidet des montagnes assez mauvais marcheur. »

À ces mots il appela l’aubergiste, et, jetant sur la table le prix de la bouteille d’extra qu’il avait demandée, se leva comme pour prendre congé de nous. Mon compagnon le suivit, et le prenant par le bouton de sa veste, l’emmena dans l’embrasure d’une fenêtre. Je compris qu’il lui demandait instamment quelque chose, et je crois que c’était la permission de l’accompagner ; mais M. Campbell refusait toujours.

« Je paierai votre dépense, monsieur, » disait le voyageur d’un ton fier, comme s’il eût trouvé un argument qui dût lever tous les obstacles.

« C’est tout à fait impossible, répliqua Campbell avec un air dédaigneux ; j’ai affaire à Roxburg.

— Mais je ne suis pas fort pressé ; je peux faire un petit détour, et je ne tiens pas à un jour ou deux pour m’assurer si bonne compagnie.

— Sur mon honneur, monsieur, dit Campbell, je ne puis vous rendre le service que vous semblez désirer, Je voyage pour mes affaires privées, ajouta-t-il en se redressant avec orgueil ; et si j’ai un conseil à vous donner, monsieur, c’est de ne jamais faire route avec le premier étranger venu, et moins encore de dire à personne le chemin que vous devez prendre. » Alors, sans autre cérémonie, il dégagea son bouton de la main de son interlocuteur, et m’abordant au moment où les convives sortaient de table : « Votre ami, me dit-il, est trop communicatif, attendu la nature du dépôt dont il est chargé.

— Ce monsieur, répondis-je en regardant le voyageur, n’est pas de mes amis ; c’est une connaissance que j’ai faite en route. Je ne connais ni son nom, ni ses affaires, et vous semblez plus avant que moi dans sa confiance.

— Je veux seulement dire, répliqua-t-il brusquement, qu’il paraît un peu trop disposé à honorer de sa compagnie des gens qui ne la désirent pas.

— Ce monsieur, répondis-je, connaît ses propres affaires, et je serais fâché de porter un jugement sur ce qui le concerne. »

M. Campbell, sans autre observation, me souhaita un bon voyage, et la société se retira pour aller prendre du repos.

Le lendemain je me séparai de mon timide compagnon, car je quittai la grande route du nord pour me diriger plus à l’ouest, vers le manoir d’Osbaldistone, demeure de mon oncle. Comme il semblait toujours me regarder d’un air soupçonneux, je ne puis dire s’il fut content ou fâché de mon départ. Pour ma part, les frayeurs de ce poltron commençaient à ne plus m’amuser, et, à vrai dire, ce fut avec une joie sincère que je le quittai.



  1. L’établissement des douaniers, commis et inspecteurs, est un des grands sujets de plainte des Écossais, quoique suite naturelle de la réunion des trois royaumes. a. m.
  2. Mots d’argot de la Bourse, qui veulent dire les haussiers et les baissiers, ainsi que je l’ai expliqué avec détail au chap. III de mon Voyage à Londres, un volume in-8o ; Paris, 1835. a. m.
  3. Years old hogs, dit le texte. Hog a le plus généralement la signification de pourceau. a. m.
  4. Ce passage, qui semble, dit Walter Scott, avoir été écrit du temps de Wilkes, sous le règne de la liberté, se rapporte au milieu du XIX{(e}} siècle, où le lord ministre Bute avait occasionné un grand débordement de haines entre les Anglais et les Écossais. a. m.