Recherches sur les végétaux nourrissans/Vingt-unième Objection


de fabrication, & on aura deux cents dix-huit livres de pain pour onze francs. Donc ce pain ne coûterait pas un ſou la livre. Quand ſon prix tierceroit, ne ſera-t-il donc pas toujours moins cher que celui du pain d’orge, d’avoine, de ſarraſin & de millet ?


Vingt-unième Objection.


Le pain de pommes de terre coûtera néceſſairement plus cher dès qu’on en aura adopté l’uſage, car le prix de ces racines doublera au moins, ſi par la ſuite leur culture prend faveur ; alors on préférera de ſe nourrir du pain de froment & des autres grains, qui ne reviendra pas plus cher & auquel nos organes ſont accoutumés depuis très-long-temps.


Réponse.


Je continue de déclarer que je n’ai jamais propoſé l’uſage du pain de pommes de terre ſans mélange lorſqu’il y aura ſuffiſamment de froment & de ſeigle pour la conſommation journalière ; c’eſt une reſſource que j’offre quand ces grains deviendront exceſſivement chers, ſoit par le manque de récolte ou à l’aſpect d’une mauvaiſe année ; car alors le pauvre paysan languit & périt miſérablement faute des moyens de ſe procurer une nourriture ſuffiſante & ſalubre : ne ſeroit-ce pas doubler la proviſion en grains que d’y aſſocier pour moitié la pulpe & l’amidon de pomme de terre a parties égalés ? Je ne crains pas de l’aſſurer, l’orge, le ſarraſin, le maïs ſeuls ou mélangés enſemble, fourniſſent des pains de médiocre qualité : ainſi, fuſſent-ils dans la plus grande abondance, il y auroit toujours plus d’avantage de mêler leur farine avec la pulpe des pommes de terre pour perfectionner l’aliment qui en proviendroit ; des épreuves faites en différens pays en atteſtent la bonté.

A mesure que l’on connoîtra le degré d’utilité dont peut être la pomme de terre dans toutes les circonſtances, leur culture s’étendra & deviendra plus générale : lorſque la curioſité, l’exemple & les encouragemens détermineront tout habitant de la campagne à en planter dans un coin de leurs jardins & vergers, vous les verrez, au lieu d’un boiſſeau de pois ou de haricots, recueillir pluſieurs ſacs de pommes de terre, qui procureront conſtamment une nourriture auſſi ſaine pour le moins, & plus ſuſceptible de ſe prêter à tous les genres d’accommodages. Que ne ſera-ce point quand au lieu de ſe borner à un coin de terre, on y conſacrera des arpens entiers ? cette culture ſoutenue alors contre le choc des préjugés, par la facilité de ſa végétation & ſon extrême fécondité, en entretiendront ſans ceſſe la quantité & le bon marché. Rien de plus commun que de voir les grains manquer dans certaines provinces ; cet accident arrive rarement aux pommes de terre : on a du moins fort peu d’exemples bien avérés à citer à cet égard.

Il n’y a que le froment & le ſeigle qu’il faudroit toujours convertir en pain, & il ne faut jamais négliger la culture de ces deux grains quand les terreins y ſont propres, & que le produit eſt en raiſon de la ſemence ; les autres graminées ne devroient ſervir qu’à la braſſerie & à l’engrais des animaux, & ſi l’on eſt forcé d’en faire auſſi du pain, il ſeroit néceſſaire d’y faire entrer la pomme de terre, qui diminueroit leur viſcoſité & leur mauvais goût.