Recherches sur les végétaux nourrissans/Vingtième Objection


hommes ; telle fut néanmoins pendant longtemps la nourriture parmi les peuples les plus anciens. Si on vouloit se nourrir à Paris de pain de blé de Turquie & de sarrasin, il coûteroit infiniment plus cher que celui de froment ; enfin le pain de seigle ne coûte-t-il pas à Paris cinq sous la livre ? Pourquoi l’industrie qui s’est tant signalée en faveur du pain de blé, ne feroit-elle pas quelques efforts pour celui de pommes de terre dès que l’expérience & l’observation en auront démontré l’utilité ? Quand un procédé n’a plus que des machines à inventer, il a déjà atteint le point de perfection désiré.


Vingtième Objection.


Si on calcule bien le prix de la pomme de terre, ce qu’il en entre dans une livre de pain, les frais de préparation, d’amidon, de pulpe & de manutention, on jugera qu’il est impossible que cette nourriture puisse jamais arriver à un taux qui en permette l’usage à toutes les classes.


Réponse.


Il seroit sans doute bien difficile d’établir ici positivement le prix auquel pourroit revenir le pain de pommes de terre, puiſque la culture de ces racines eſt encore fort peu répandue dans certains cantons, & que leur abondance ne s’y trouve pas même en proportion de la conſommation qu’on en fait comme légumes ; dans les cantons ou la pomme de terre forme une des nourritures principales, un ſac ſe vend au plus quarante ſous quand l’année a été favorable à leur végétation, tandis que la même mesure coûte ailleurs au moins 6 livres : on ne peut donc donner à ce ſujet qu’un aperçu qui ſuffira cependant pour montrer de plus en plus les avantages du pain de pommes de terre par rapport à l’Économie.

Le ſetier de pommes de terres contenant douze boiſſeaux pèſe ordinairement deux cents dix-huit livres, ce qui équivaut pour le poids, à un ſetier de blé de médiocre qualité ; il en faut trois ſetiers & demi pour produire la même quantité de pain, & chaque ſetier coûte année commune, dans les pays où cette culture eſt en faveur, environ 2 livres, ce qui ſait en tout 7 livres ; je ſuppoſe qu’il en coûte pour les frais de préparation, de pulpe & d’amidon, à peu-près autant que pour ceux de fabrication, & on aura deux cents dix-huit livres de pain pour onze francs. Donc ce pain ne coûterait pas un ſou la livre. Quand ſon prix tierceroit, ne ſera-t-il donc pas toujours moins cher que celui du pain d’orge, d’avoine, de ſarraſin & de millet ?


Vingt-unième Objection.


Le pain de pommes de terre coûtera néceſſairement plus cher dès qu’on en aura adopté l’uſage, car le prix de ces racines doublera au moins, ſi par la ſuite leur culture prend faveur ; alors on préférera de ſe nourrir du pain de froment & des autres grains, qui ne reviendra pas plus cher & auquel nos organes ſont accoutumés depuis très-long-temps.


Réponse.


Je continue de déclarer que je n’ai jamais propoſé l’uſage du pain de pommes de terre ſans mélange lorſqu’il y aura ſuffiſamment de froment & de ſeigle pour la conſommation journalière ; c’eſt une reſſource que j’offre quand ces grains deviendront exceſſivement chers, ſoit par le manque de récolte ou à