Recherches sur les végétaux nourrissans/Vingt-deuxième Objection



Vingt-deuxième Objection.


On auroit pu convertir la pomme de terre en pain, ſans avoir beſoin d’invoquer les reſſources de la Chimie, qui rend ce travail pénible & diſpendieux, en ſaiſant ſécher ces racines, les pulvériſant & y introduiſant un levain approprié.


Réponse.


S'il n’eût été queſtion pour transformer les pommes de terre en pain, que de ſouſtraire leur humidité ſurabondante, de rompre enſuite leur agrégation & de les ſoumettre aux différentes opérations du pétriſſage, il ſuffiroit ſans doute, de traiter ces racines à l’inſtar des grains récoltés dans les années humides, de les expoſer à la chaleur de l’étuve, de les écraſer ſous des meules, enfin d’employer tous les procédés de la Boulangerie la mieux dirigée ; c’étoit ſans doute ſuivre la marche naturelle : mais il ne s’agit pas ici d’une ſemence sèche qui ſe réduit aiſément en poudre & prend la forme d’une pâte continue avec l’eau ; c’eſt une racine aqueuſe à laquelle la Nature a refuſé toutes les propriétés panaires, comme elle les a prodiguées au froment : il a donc fallu néceſſairement avoir recours aux moyens que l’art ſuggéroit pour y ſuppléer.

L’étude particulière que j’ai eu occaſion de faire des parties conſtituantes des farineux, ainſi que des phénomènes qui s’opèrent pendant leur converſion en pain, m’a convaincu plus d’une fois qu’il falloit, pour qu’une ſubſtance fût ſuſceptible de la panification, qu’elle renfermât deux choſes eſſentielles ; la première, un corps ſec & capable d’acquérir de la tranſparence & de la flexibilité en ſubiſſant la cuiſſon ; la ſeconde, une ſubſtance capable de devenir tenace & élaſtique par ſa combinaiſon avec l’eau, & diſpoſée à prendre le mouvement de fermentation & à le communiquer à toute la maſſe : telles ſont les propriétés eſſentielles que j’avois beſoin de trouver dans la pomme de terre, & il a fallu pour ainſi dire que l’art les créât.

La deſſiccation la plus ménagée des pommes de terre, ne donne jamais qu’une farine d’un blanc ſale ; cette farine, combinée avec l’eau, ne préſente qu’une pâte ſans continuité, dont la couleur ſe développe tellement, qu’après la cuiſſon, il n’en réſulte que des maſſes lourdes, noires & déſagréables : cette couleur eſt due à la matière extractive, & le ſeul moyen d’en empêcher l’effet, conſiſte à la combiner avec les autres principes par le moyen de la cuiſſon ; la pomme de terre en cet état n’eſt pas encore une pâte viſqueuſe, il faut la broyer promptement ſous un rouleau : amenée à cet état de ténacité, elle eſt trop molle & trop humide, il faut lui aſſocier une ſubſtance sèche qui lui donne de la fermeté, & c’eſt l’amidon. Je ne crois donc pas qu’il ſoit jamais poſſible de trouver un autre procédé pour faire du pain de pommes de terre ſans mélange, ou pour augmenter celui des grains connus.


Vingt-troisième Objection.


Comment une racine farineuſe dans laquelle l’analyſe chimique n’a pu faire découvrir de matière ſucrée, peut elle contracter ſpontanément l’odeur vineuſe des levains, paſſer à la fermentation ſpiritueuſe & préſenter après la cuiſſon une ſubſtance œilletée ſemblable à du pain ?