Recherches sur les végétaux nourrissans/Dix-neuvième Objection


précieuses ; d’ailleurs la circulation intérieure du royaume ne la portera-t-elle point naturellement dans les différents cantons qui en ont besoin ? L’excédant de nos récoltes en grains fera toujours une source de richesse pour le royaume par le moyen de l’exportation sagement dirigée.


Dix-neuvième Objection.


Non-seulement le pain de pommes de terre ne sera pas aussi bon que celui de froment, il sera encore plus cher ; la livre d’amidon qui représente la farine, coûte un écu : ainsi cette ressource est hors de la portée du peuple.


Réponse.


J’ai déjà donné un aperçu du prix que le pain de pommes de terre pouvoit coûter dans les cantons du royaume où les grains sont rares & où ces racines sont au contraire fort communes, & fournissent pendant une partie de l’année la nourriture fondamentale de leurs habitants : ce pain ne reviendra pas à plus d’un sou la livre, ce qu’il est très-aisé de constater d’après l’achat de la pomme de terre elle-même & les frais de fabrication : une denrée n’est jamais à bon compte dans un pays qu’autant que l’usage en a fait un besoin journalier. C’est donc une folie de calculer à quoi reviendroit le pain de pommes de terre par le prix dont est l’amidon dans certains endroits où il n’existe encore ni machine ni fabrique ; cet amidon qu’on vendait à Paris six francs la livre lorsque j’annonçai qu’on pouvoit l’administrer aux malades & aux convalescens à la place du sagon & du salep, est aujourd’hui diminué de plus des deux tiers ; le moulin que nous décrirons va encore en diminuer le prix ; la matière elle-même, d’où on tire l’amidon, deviendra plus commune.

On me permettra cette comparaison : si on commandoit au meilleur Ouvrier une aiguille, il emploîroit une demi-journée à la faire ; il faudroit alors la lui payer un écu ; elles valent dix sous le cent à la Manufacture : s’il s’agissoit d’écraser le blé à l’aide de pilon & de mortier, de bluter avec des tamis à la main, on auroit en un jour vingt livres au plus de farine défectueuse, avec laquelle on n’obtiendroit qu’un pain de médiocre qualité, cher & suffisant à peine à la nourriture de quelques hommes ; telle fut néanmoins pendant longtemps la nourriture parmi les peuples les plus anciens. Si on vouloit se nourrir à Paris de pain de blé de Turquie & de sarrasin, il coûteroit infiniment plus cher que celui de froment ; enfin le pain de seigle ne coûte-t-il pas à Paris cinq sous la livre ? Pourquoi l’industrie qui s’est tant signalée en faveur du pain de blé, ne feroit-elle pas quelques efforts pour celui de pommes de terre dès que l’expérience & l’observation en auront démontré l’utilité ? Quand un procédé n’a plus que des machines à inventer, il a déjà atteint le point de perfection désiré.


Vingtième Objection.


Si on calcule bien le prix de la pomme de terre, ce qu’il en entre dans une livre de pain, les frais de préparation, d’amidon, de pulpe & de manutention, on jugera qu’il est impossible que cette nourriture puisse jamais arriver à un taux qui en permette l’usage à toutes les classes.


Réponse.


Il seroit sans doute bien difficile d’établir ici positivement le prix auquel pourroit revenir