Recherches sur les végétaux nourrissans/Dix-huitième Objection


les moyens me manquent pour le faire : j’invite ceux qui habitent les pays où la pomme de terre eſt très-commune, d’entreprendre ce travail. J’obſerverai ſeulement que pluſieurs ſujets robuſtes & grands mangeurs de pain, ont été également raſſaſiés par celui de pommes de terre pris en même quantité que le pain de froment : à cette autorité, nous pourrons ajouter quelques Obſervations. Il eſt d’abord démontré à n’en pouvoir douter, que l’amidon en la partie principalement nutritive des farineux, & quelle que ſoit la portion des différentes Plantes d’où on le retire, il poſſède les mêmes propriétés ; il eſt également démontré qu’il entre dans une livre de pain de froment environ demi-livre d’amidon, il en entre à peu-près la même quantité dans chaque livre de pain de pommes de terre, & il faut trois livres & demie de ces racines.


Dix-huitième Objection.


Si jamais la pomme de terre fourniſſoit une partie de la nourriture des habitans du Royaume, ſoit ſous la forme de pain ou en qualité de légume, n’y auroit-t-il pas à craindre qu’on ne trouvât plus enſuite à ſe défaire des grains une fois remplacés par ces racines, ou que du moins leur prix devînt ſi médiocre, que le Fermier courût peut-être les riſques de ne pas trouver dans la vente de quoi payer les Impoſitions & le Propriétaire ?


Réponse.


On mangera toujours du pain de froment & de ſeigle dans les villes ; il faut bien que les campagnes y pourvoient. En Alſace & en Lorraine, il n’eſt guère poſſible de voir ſans une ſurpriſe mêlée d’admiration, cette quantité prodigieuſe d’animaux de toute eſpèce, ce nombre conſidérable de domeſtiques que-renferment toutes les métairies : les pommes de terre en ſont cependant la principale ſource ; elles permettent d’avoir un nombre conſidérable de beſtiaux, ce qui facilite la culture des terres, l’abondance des engrais & le nettoiement des mauvaiſes herbes : on conſomme dans ces endroits fort peu de grains ; on en vend beaucoup, rarement il en reſte ; par-tout ou il y a des rivières navigables, on trouve aiſément à ſe défaire de ces denrées précieuses ; d’ailleurs la circulation intérieure du royaume ne la portera-t-elle point naturellement dans les différents cantons qui en ont besoin ? L’excédant de nos récoltes en grains fera toujours une source de richesse pour le royaume par le moyen de l’exportation sagement dirigée.


Dix-neuvième Objection.


Non-seulement le pain de pommes de terre ne sera pas aussi bon que celui de froment, il sera encore plus cher ; la livre d’amidon qui représente la farine, coûte un écu : ainsi cette ressource est hors de la portée du peuple.


Réponse.


J’ai déjà donné un aperçu du prix que le pain de pommes de terre pouvoit coûter dans les cantons du royaume où les grains sont rares & où ces racines sont au contraire fort communes, & fournissent pendant une partie de l’année la nourriture fondamentale de leurs habitants : ce pain ne reviendra pas à plus d’un sou la livre, ce qu’il est très-aisé de constater d’après l’achat de la pomme de terre elle-même & les frais de fabrication : une