Recherches sur les végétaux nourrissans/Article XIII

Antoine Parmentier
Article XIII -
De l’uſage des Pommes de terre en nature.


quelques doutes ſur la ſalubrité des pommes de terre : regardez nos enſans, nos gens nos beſtiaux qui ſe nourriſſent de pommes de terre, ne ſont-ils pas auſſi ſains, auſſi vigoureux, auſſi contens & auſſi multipliés que dans vos pays à grains ?

De quels ſentimens ne devons-nous pas être pénétrés pour la mémoire de l’Amiral Walther Raleigh qui le premier apporta dans ſa patrie une Plante auſſi productive ! Il ſaudroit lui ériger une statue, & la reconnoiſſance ne manqueroit pas de faire tomber à ſes pieds, les habitans des campagnes dérobés aux horreurs de la ſaim par le ſecours unique des pommes de terre.


Article XIII.


De l’uſage des Pommes de terre en nature.


Les Pommes de terre varient infiniment par leur couleur, leur volume, leur forme, leur conſiſtance & leur goût ; mais ces variétés ne ſont pas toujours l’ouvrage du terrein, de la ſaiſon & des ſoins de la culture, comme on l’a prétendu : elles dépendent d’eſpèces réellement différentes, puiſque les parties de la fructification de la Plante varient également entre elles : les fleurs font, tantôt d’un gris-cendré & d’un blanc mate, tantôt d’un roſe pâle ou d’un beau bleu ; le vert du feuillage, la tige, le fruit, ont auſſi des diſſemblances ; il y a des pommes de terre hâtives & des pommes de terre tardives : cependant il paroît que les principes qui conſtituent leurs racines, ſont toujours de la même nature ; ils varient ſeulement en proportion.

Quoique les bons effets des pommes de terre en nature, ſoient conſtatés par l’uſage journalier qu’en font des nations entières & pluſieurs de nos provinces, elles n’ont pu ſe dérober aux traits de la calomnie. Que de maux imaginaires ne leur a-t-on pas prêtés. Que de ſables n’auroit-on pas débitées contre elles, ſi une foule d’Écrivains, ſaits pour prononcer ſur les effets de la nourriture dans l’économie animale, n’euſſent défendu & juſtifié celle qu’on retire de ces racines. C’eſt à cette occaſion qu’en 1771, la ſaculté de Médecine de Paris, conſultée par M. le Contrôleur général ſur la ſalubrité des pommes de terre, taxées d’occaſionner des maladies dans quelques-unes de nos provinces, donna le rapport le plus avantageux, bien propre à faire diſparoître toutes les craintes.

Mais comme il ne ſuffiſoit point de rappeler aux particuliers prévenus contre la pomme de terre, qu’il y avoit pluſieurs millions d’hommes qui ſubſiſtoient preſque avec cette ſeule nourriture dans les provinces d’Allemagne les plus peuplées, de leur citer ce que dit un excellent Obſervateur en parlant des Irlandois, auxquels la pomme de terre ſert de nourriture principale : ils ſont, remarque-t-il, robuſtes ; ils ignorent quantité de maladies dont d’autres peuples ſont affligés : rien n’eſt moins rare que de rencontrer des vieillards & de voir des jumeaux courir autour de la cabane d’un paysan. J’ai cru devoir me livrer à quelques recherches & entrer dans des diſcuſſions chimiques, afin de diſſiper les alarmes, & de ne plus laiſſer de prétextes à la prévention.

J’ai donc démontré par une ſuite nombreuſe d’expériences, que les pommes de terre contenoient dans leur état naturel, trois principes eſſentiels & diſtincts, examinés chacun à part ; ſavoir, 1.° une ſubſtance pulvérulente & blanche ſemblable à l’amidon que renferment nos grains ; 2.° une matière fibreuſe, légère, griſe, de la même nature que celle des racines potagères ; 3.° enfin, un ſuc mucilagineux qui n’a rien de particulier, & que l’on peut comparer à celui des Plantes ſucculentes, telles que la bourache & la bugloſe.

J’ai diſtillé enſuite les pommes de terre à la cornue ; elles ont fourni une énorme quantité d’eau qui, ſur la fin de l’opération, eſt devenue de plus en plus acide : après cela, il a paſſé de l’huile légère & de l’huile peſante, ſemblable à celle qu’on obtient des farineux ordinaires, une livre de ces racines laiſſe à peine un demi-gros de réſidu terreux, ayant tout le caractère végétal.

Que produit donc la cuiſſon qu’on ſait ſubir à ces racines pour en former un comeſtible ? Elle tend à combiner ces différens principes entre eux, à en former un tout plus ſoluble & plus digeſtible ; inutilement on voudroit diviſer enſuite les pommes de terre à la ſaveur de la rape, & les ſoumettre à la preſſe ; il ne ſeroit plus poſſible d’en exprimer une goutte d’eau, ni d’en précipiter une molécule d’amidon.

On ſait que le véhicule dans lequel les pommes de terre cuiſent, ſe colore en vert, & qu’en les mangeant elles laiſſent quelque-fois une petite âcreté aſſez ſenſible à la gorge ; or il n’en a pas ſallu davantage aux dénigreurs de ce végétal précieux, pour l’inculper de beaucoup de maladies : mais j’ai prouvé encore que cette double propriété n’appartenoit point à la totalité de la pomme de terre ; qu’elle étoit due uniquement à la pellicule rouge dont elle eſt revêtue à ſon extérieur ; que beaucoup de racines préſentent les mêmes phénomènes, telles que les raves qui ſe décolorent à mesure qu’elles éprouvent le contact de l’eau bouillante, donnant à celle-ci une teinte verte, & perdant également la ſaveur piquante qu’on leur connoit ; qu’enfin cette partie colorante verte, que fourniſſoient à l’eau l’enveloppe & la pellicule de la pomme de terre, étoit purement extractive ſans rien contenir de virulent & de ſalin.

D’ailleurs, comment cette couleur verte ſeroit-elle capable de nuire, puiſque les pommes de terre cuites ſous la cendre, & qui par conſéquent ne l’ont pas perdue, ſont auſſi ſaines que celles qu’on a ſait bouillir dans l’eau ; elles ont au contraire par-deſſus ces dernières, l’avantage d’être plus ſavoureuſes & plus délicates, avantage qu’il faut attribuer à la déperdition du fluide aqueux, & qui peut encore être dû à cet extrait qui communique à l’eau la couleur verte.

Quelques Partiſans de la pomme de terre, alarmés de cette couleur verte, & perſuadés qu’elle réſidoit dans le ſuc de ces racines, ont propoſé de l’en extraire, & de le remplacer par de l’eau ; mais il n’exiſte peut-être point de propoſition plus absurde. On ſépare dans nos Isles le ſuc du magnoc, parce qu’il eſt réellement un poiſon ; j’ai imité également le travail des Américains pour pluſieurs racines farineuſes de nos Plantes indigènes, qui ſeroient très-dangereuſes ſans cette extraction préalable. Le ſuc de la pomme de terre eſt bien éloigné de contenir rien de ſemblable ; il lui eſt eſſentiel comme tous ſes autres principes lorſqu’il s’agit de la manger en ſubſtance : pour l’en ſéparer, il ſaudroit rompre l’agrégation, déchirer les réſeaux fibreux qui le renferment, & ne plus faire uſage du réſidu exprimé que ſous la forme de bouillie, ce qui, loin de concourir à la ſalubrité des pommes de terre, n’en formeroit qu’un aliment fade, peſant & indigeſte.

Le règne végétal, je le répète, n’offre pas une nourriture plus ſaine, plus commode & moins diſpendieuſe que la pomme de terre. On ſait de quelle reſſource elle fut en 1740 aux Irlandois ; quantité de ſamilles auroient été moiſſonnées ſans ce ſecours : l’avidité avec laquelle on voit les enſans dévorer cet aliment, la préférence qu’ils lui donnent ſur la châtaigne dans les cantons où ce fruit eſt la nourriture journalière, ſembleroient prouver qu’elle eſt très-analogue à notre conſtitution : les perſonnes de tout âge & de toutes fortes de tempéramens, en font uſage ſans en avoir jamais été incommodées. Ces racines ont été dans la dernière guerre d’Allemagne, la reſſource de beaucoup de ſoldats qui, ſéparés du gros de l’armée, auroient ſuccombé à la ſatigue & à une ſaim dévorante, s’ils n’euſſent trouvé des pommes de terre qu’ils ont mangées avec excès, cuites dans l’eau & aſſaiſonnées ſeulement par l’appétit ; pluſieurs d’entre eux en ont rapporté par reconnoiſſance dans leur patrie, où elles étoient inconnues : ils les ont cultivées avec intelligence, & leur exemple a eu bientôt des imitateurs. Il n’y a plus même de repas un peu ſomptueux où les pommes de terre ne paroiſſent avec intérêt ſous pluſieurs métamorphoſes, & la grande conſommation qui s’en fait dans la Capitale, démontre qu’elles n’y ſont plus autant dédaignées.

Si nous nous déterminions à donner ici le ſimple réſumé des lettres qui nous ont été adreſſées de toutes parts ſur l’utilité des pommes de terre conſidérées ſous leurs différens points de vue, un Volume ne nous ſuffiroit pas, & à quoi ce concours de preuves & d’obſervations pourroit-il ſervir ? nos racines ſeules, mieux accueillies, ne diminuent-elles pas tous les jours le nombre de leurs incrédules.

Le prix exceſſif où on a porté les grains il y a quelques années, eſt encore une époque aſſez frappante qui a donné occaſion d’éprouver dans beaucoup d’endroits, les qualités bienſaiſantes des pommes de terre. Un Militaire diſtingué, ſaiſant valoir une de ſes Terres, récolta une ample proviſion de pommes de terre ; mais connoiſſant la force des préjugés ruſtiques, il ſe douta bien que l’éloquence de l’exemple ſeroit infiniment plus perſuaſive que tout ce qu’il pourroit dire. Il avoit à nourrir tous les jours cinq chiens, une nombreuſe baſſe-cour en volailles de toute eſpèce, vingt vaches & deux cochons ; il déclara à ſes gens que ſon intention étoit que tous les animaux ne fuſſent nourris que de pommes de terre ; au moyen de quoi les grains qu’ils auroient conſommés, ſeroient employés à la nourriture des hommes : ſur ce point il fut exactement obéi, parce que la peine infligée à la déſobéiſſance étoit de congédier le premier d’entre eux qui y contreviendroit ; feignant enſuite de croire que la pomme de terre étoit de difficile digeſtion, il leur en interdit l’uſage : ces moyens produiſirent tout l’effet qu’il en attendoit, & c’eſt ainſi qu’il eſt parvenu à rendre cette Plante intéreſſante dans ſon canton.

En conſidérant toutes les propriétés des pommes de terre, on ne peut ſe diſpenſer d’avouer que s’il exiſte un aliment médicamenteux, c’eſt dans leurs racines qu’il ſe trouve placé. Tous les Auteurs Anglois qui ont parlé des pommes de terre, les regardent comme légères & très-nourriſſantes. Ellis qui s’eſt beaucoup exercé ſur cette culture, leur donne des épithètes les plus pompeuſes en les annonçant comme l’aliment le plus analogue à ſes compatriotes par rapport à l’uſage où ils ſont de manger beaucoup de viande. Lémery dans ſon Traité des alimens, M. Tiſſot dans ſon Eſſai ſur les maladies des Gens du monde, accordent également les plus grands éloges à l'uſage des pommes de terre ; mais dans la multitude des faits, dont nous pouvons garantir la vérité, choiſiſſons-en quelques-uns qui puiſſent ſervir de réponſe aux reproches que l’on fait encore aux pommes de terre.

M. Engel dans ſon Inſtruction ſur la culture des pommes de terre, aſſure que pluſieurs de ſes amis n’ayant preſque vécu pendant trois ans que de pommes de terre, n’avoient éprouvé aucune incommodité, & ne s’en étoient point laſſés : il cite entr’autres une Demoiſelle âgée de trente-trois ans qui ſe trouvant dans un état très-fâcheux, avoit absolument perdu l’appétit ; ſon eſtomac ne pouvoit plus rien digérer, il lui prit envie un jour de ſe mettre à l’uſage des pommes de terre ; elle en reſſentit des effets ſi heureux, qu’en peu de temps elle recouvra ſa gaiété, ſon embonpoint & ſon appétit.

Un Marchand d’une conſtitution très-robuſte ayant été épuiſé par une maladie de neuf mois, rendoit les alimens tels qu’il les prenoit ; il s’aviſa un jour de manger des pommes de terre, & il s’en trouva ſi bien, qu’il me proteſta que c’étoit à elles ſeules qu’il devoit la bonne ſanté dont il jouiſſoit maintenant.

J’avois un de mes parens de bon appétit, qui ſaiſoit un exercice continuel ; il ne pouvoit manger des ſemences légumineuſes ſans avoir auſſitôt des aigreurs, il s’étoit aperçu que les pommes de terre ne lui avoient jamais produit de pareils effets. Je connois quelques perſonnes qui ne vivent que de lait & de pommes de terre, les ſeuls alimens qu’ils aient pu digérer : j’en connois d’autres dont le ſang viſoit au ſcorbut qui ont été radicalement guéries par un uſage modéré de pommes de terre, & bien loin que leur eſtomac ait été ſatigué, il avoit acquis plus de force & de vigueur.

Ces Obſervations, qu’il ſeroit très-ſacile de multiplier, & que notre analyſe des pommes de terre a confirmées, nous apprennent encore combien ces racines doivent être exemptes du ſoupçon de peser ſur l’eſtomac de ceux qui s’en alimentent, puiſqu’elles contiennent juſqu’à onze onces & demie d’eau par livre, & que les quatre onces & demie de parties ſolides reſtantes fourniſſent à peine un gros de produit terreux.

Une autre objection que l’on ſait encore contre la ſalubrité des pommes de terre, c’eſt qu’appartenant à une plante de la ſamille des ſolanum, elles doivent avoir une propriété ſoporifique : mais l’expérience nous a appris depuis long-temps le peu de confiance qu’on doit avoir à toutes ces analogies botaniques. Ne ſavons-nous pas que les convolvulus, par exemple, qui ſont âcres, mordicans, cauſtiques & qui fourniſſent à la Médecine les purgatifs les plus formidables, offrent auſſi aux aux hommes dans la patate un aliment doux, ſucré, auquel il ne faut que la cuiſſon pour s’en ſervir comme nourriture : il eſt vrai auſſi qu’on nous a communiqué quelques obſervations qui pourroient faire croire à la vertu ſomnifère du végétal, l’objet de cet article ; & comme nous n’avons aucun intérêt à rien déguiſer, nous allons les expoſer ici.

M. le Baron de Saint-Hilaire, l’auteur d’une culture de pommes de terre que nous nous ſommes empreſſés de faire connoître, avoit un domeſtique, qui après une fièvre maligne ne pouvoit plus retrouver le ſommeil ; il lui fit manger des pommes de terre à ſouper : dès la même nuit il dormit ſix heures de ſuite, & l’uſage ſoutenu de cette nourriture lui procura conſtamment le même effet, ſans changer absolument rien à ſa conſtitution.

M. M.*** d’une conſtitution maigre, d’une ſanté conſtamment & également bonne, a fait pendant deux années très-grand uſage de pommes de terre, cuites ſimplement ſous la cendre & accommodées avec un peu de beurre & de ſel. Accoutumé de tout temps à ne prendre que très-peu de nourriture au repas du ſoir, il avoit contracté par goût l’uſage de ce ſouper juſqu’à en manger ſix ou ſept des plus grosses. II eſt bon de remarquer qu’il mangeoit du pain en proportion ; jamais il n’en a été incommodé : la circonſtance qui lui a ſait abandonner ce manger, c’eſt que forcé de ſe lever matin, il a cru obſerver qu’il dormoit d’un ſommeil plus profond, & qu’il avoit de la peine à s’éveiller ; mais il penſe que ce qu’il a éprouvé, provenoit décidément de l’eſpèce d’excès qu’il faiſoit à cet égard, comme il en ſeroit pour lui d’un ſouper qui auroit paſſé les bornes de la frugalité. Lorſqu’il mange des pommes de terre, il n’éprouve rien de différent dans ſon état ordinaire.

Je rapporte cette dernière obſervation avec d’autant plus de plaiſir, que le ſavant qui en ſait le ſujet peut être cité comme une autorité en Médecine : ſi l’excès de cet aliment porte au ſommeil, quel eſt l’excès qui n’a point d’effets plus pernicieux ! En ſuppoſant que cette vertu ſommifère ſoit inhérente à la pomme de terre, elle deviendra absolument nulle par l’uſage continu, ainſi qu’il arrive à tous les alimens auxquels on a attribué, ſans avoir des raiſons plus légitimes, des propriétés particulières : les pommes de terre renfermant beaucoup d’eau, peuvent tempérer l’efferveſcence du ſang en lui donnant plus de conſiſtance, ſans néanmoins l’épaiſſir.

De toutes les propriétés qui rendent les pommes de terre ſi recommandables dans nos campagnes, c’eſt, ſuivant le témoignage de la ſaculté de Médecine de Paris, d’améliorer le lait des animaux & d’en augmenter la quantité ; elles ont produit un ſemblable effet ſur les nourrices des pauvres enſans de la paroiſſe Saint-Roch : voilà au moins ce qu’atteſtent les Médecins de cette paroiſſe dans leur certificat imprimé : ſavoir, que cette nourriture eſt non-seulement plus propre à la ſanté que toutes celles que les malheureux ſont en état de ſe procurer, mais qu’elle prévient encore une multitude d’infirmités auxquelles les enſans ſont aſſujettis, & qui en fait périr un grand nombre, telles que les ulcères, les maux d’yeux, l’atrophie, &c.

Les pommes de terre, comme mêts, ſe déguiſent de mille manières différentes, & perdent dans les accommodages le goût ſauvage qu’on leur reproche : elles font partie de la ſoupe des pauvres de la Charité de Lyon, & la baſe du riz économique qui ſe diſtribue chez les Sœurs-griſes de la paroiſſe Saint-Roch à Paris. On prépare avec ces racines, des beignets, des gâteaux & des tartes, qui imitent tellement les tartes d’amande, qu’elles en impoſent aux plus grands connoiſſeurs. On en ſait différentes ſortes de fromages, une boiſſon cafféiforme, des pâtés de légumes, des hachis, des boulettes, de la purée & de la bouillie ; elles ſont excellentes en ſalade, à l’étuvée ; au roux, à la ſauce blanche avec la morue & la merluche, en friture, à la maître-d’hôtel & ſous les gigots ; on en farcit des dindons & des oyes rôtis ; enfin, je ne ceſſerai de le dire, la pomme de terre eſt une ſorte de pain que la Nature offre tout fait aux hommes, & qui n’a beſoin que d’être cuite dans l’eau ou ſous la cendre pour devenir un aliment digeſtible & très-nourriſſant.

L’extrême facilité avec laquelle la pomme de terre ſe prête à toutes fortes de métamorphoſes ſous la main habile du Cuiſinier, m’a ſait naître l’idée d’en compoſer un repas entier auquel j’invitai pluſieurs Amateurs éclairés, choiſis dans les différens ordres ; le dîner fut gai, & ſi, comme on l’a ſouvent avancé ſans preuves, nos racines ſont aſſoupiſſantes, lourdes & indigeſtes, elles produiſirent ſur les convives un effet absolument contraire : c’eſt ainſi, je crois, qu’il ſaut s’y prendre quand on veut combattre avec quelques ſuccès, les préjugés toujours prêts à s’armer contre les objets utiles auſſi-bien que contre les nouveautés agréables.


Article XIV.


Des Pommes de terre mêlées avec la farine des différens grains.


Tant que les pommes de terre n’ont été conſidérées en France que comme un légume de plus offert au luxe de nos tables, leur utilité alimentaire a été peu ſentie ; on n’a donc commencé à s’en occuper ſérieuſement que quand on a entrevu la poſſibilité de les convertir en pain, c’eſt-à-dire, d’augmenter le volume de celui que l’on prépare avec la farine des différens grains. J’avouerai que dès 1771, examinant ces racines par la