Recherches sur les végétaux nourrissans/Article XI

Antoine Parmentier
Article XI -
De l’Amidon conſidéré comme la partie
principalement nutritive des farineux.


maintenant du principe des farineux qui méritent à juſte titre notre attention, nos recherches, & l’épithète donnée ſi gratuitement à la matière glutineuſe.


Article XI.


De l’Amidon conſidéré comme la partie
principalement nutritive des farineux.


La connoiſſance de l’amidon étoit bien imparſaite quand Beccari imagina d’examiner le grain qui en contient le plus ; celui qui ouvre une nouvelle route ne ſauroît tout aplanir : il reſſort donc d’autres expériences à tenter pour parvenir à ce que nous ſavons tant ſur la nature, que ſur l’origine de cette matière.

Il ſeroit ſuperflu de rappeler ici la variété d’opinions que l’amidon a ſait naître ; je me bornerai à le définir, d’après ſes propriétés que j’ai approfondies, une eſpèce de gomme particulière, une gelée sèche, ſi j’oſe m’exprimer ainſi, répandue dans une infinité de végétaux, indépendante de leur odeur, de leur ſaveur & de leur couleur, jouiſſant toujours d’un très-grand degré de blancheur, de fineſſe & d’inſipidité, ayant le toucher froid & un cri qui lui eſt propre, inaltérable à l’air, indiſſoluble dans les véhicules aqueux & ſpiritueux ſans le concours de la chaleur.

En effet, l’amidon de marrons-d’inde n’a aucune amertume, celui du pied-de veau n’eſt pas cauſtique ; l’amidon de la brione n’eſt pas purgatif, celui des iris eſt inodore : enfin l’amidon de la filipendule eſt ſans couleur. Ainſi tous ces amidons, connus en Médecine ſous le nom de fécules, étant bien lavés, n’ont aucunes propriétés médicinales ; ils ſont nourrisssans & voilà tout.

Nous avons ſait voir dans l’article précédent, que la ſubſtance glutineuſe du froment ne pouvoit être conſidérée comme la partie principalement nourriſſante des farineux, & nous en avons établi les raiſons ; il nous fera très-aiſé de démontrer le contraire par rapport à l’amidon, aliment naturel de l’homme, le plus analogue à ſa conſtitution, & qui ſait ordinairement la partie la plus conſidérable des végétaux farineux où il ſe trouve répandu : car le blé le plus médiocre peut en fournir juſqu’a huit onces par livre, & la farine de gruau, qui eſt la portion la plus nourriſſante du froment, eſt preſque tout amidon.

Jetons maintenant un regard rapide ſur les autres farineux qui ſervent de nourriture fondamentale aux différens peuples de toutes les contrées de la Terre, & nous verrons que l’amidon en ſait la baſe ; que c’eſt toujours en raiſon de la quantité où ſe trouve cette ſubſtance, que les farineux poſſèdent une vertu plus ou moins nutritive. Le ſeigle, l’orge, l’avoine, le millet, le riz, le ſagou, le ſaraſin, le maïs, la châtaigne, le coton fromager, la patate, &c. aucun de ces végétaux ne renferme de matière glutineuſe ; tous au contraire fourniſſent de l’amidon ou une ſubſtance qui lui eſt analogue.

Exiſteroit-il donc pluſieurs matières auxquelles on puiſſe attribuer la qualité nutritive dans les végétaux ! Le ſuc gélatineux des fruits, la ſubſtance ſucrée des tiges & des racines, enfin l’amidon, ſeroient-ils trois matières différentes ! Oui ſans doute dans l’état où on les emploie ; mais ſi l’on a jamais goûté depuis leur développement juſqu’à leur parſaite maturité, les ſubſtances graminées ou légumineuſes, en un mot, toutes les parties des plantes d’où on peut tirer de l’amidon, on reconnoîtra bien que dans le temps où elles ſont le plus ſucculentes, où elles paroiſſent avoir pris toute leur extenſion, & n’avoir plus beſoin que de la dernière élaboration qui les rendra farineuſes ; dans cet inſtant-là, dis-je, toutes ces ſubſtances ſont ſucrées & muqueuſes : il ſaut donc en conclure que l’amidon qui en réſulte, n’eſt compoſé que de parties ſapides, que la végétation a combinées au point de faire diſparoître pour un certain temps leur ſaveur.

Mais, dira-t-on, pourquoi les ſucs ſucrés des fruits ne fourniſſent-ils point d’amidon, & pourquoi par une marche oppoſée commencent-ils par prendre un goût acerbe avant leur maturité ? C’eſt, ſi l’on me permet cette réponſe, que les fruits ne ſont pas deſtinés par la Nature à acquérir la ſolidité des grains ; ils doivent leur maturité à une certaine quantité d’eau qui gâteroit bientôt les ſemences ſi elles en avoient la même abondance. Or, comme cette abondance leur manque dans le commencement de leur fructification, ces ſubſtances ſapides ſe trouvent & moins élaborées & plus auſtères.

En ne conſidérant l’amidon que du côté de ſes propriétés phyſiques, on aperçoit bientôt qu’il réunit à un très-grand degré, toutes les qualités qui caractériſent la vertu alimentaire ; d’abord il n’en ſaut qu’une très-petite quantité pour donner à beaucoup de fluide aqueux aidé de la chaleur, une conſiſtance de gelée ſemblable en tout point à celle que nous retirons des ſubſtances végétales & animales les plus ſubſtantielles : enſuite ſi on analyſe l’amidon par la diſtillation à la cornue, on en obtient les mêmes produits que fournirent le miel, le ſucre, & en général tous les corps doués de la ſaculté éminemment nutritive.

Le ſagou, cette moelle farineuſe que l’on retire du tronc de certains palmiers, n’eſt autre choſe qu’un véritable amidon, dont l’effet nourriſſant ne ſauroit être conteſté puiſqu’il eſt indiqué comme tel par les gens de l’art. Autrefois on ſe ſervoit de l’amidon ordinaire ſous la forme d’empois dans les diarrhées ; il agiſſoit à la manière des gelées en procurant une nourriture ſubſtantielle ſans ſatiguer l’eſtomac. Quelle vogue n’a point eu de nos jours celui qu’on retire des pommes de terre ? L’expérience a ſuffiſamment prouvé que deux onces d’amidon diſſous dans du lait ou dans de l’eau avec un peu de ſel ou de ſucre, étoient capables de nourrir toute une journée un enſant qu’on vouloit ſevrer, & qu’une pareille nourriture valoit infiniment mieux que cette bouillie pernicieuſe de farine de froment qui, quoique préparée avec ſoin, immole chaque année tant de victimes.

Une Obſervation qu’il n’eſt pas moins eſſentiel que je rapporte ici, dans la vue de prouver l’excellence de l’amidon pour la nourriture, c’eſt qu’une Dame ayant remarqué que une cuillerée de fécules de pommes de terre étoit capable de donner du corps au bouillon pour faire une ſoupe copieuſe ſans nuire à ſa ſaveur, s’eſt déterminée à en faire l’eſſai ; pendant quinze jours qu’elle continua cet uſage, elle s’aperçut que le ſoir elle avoit moins d’appétit que de coutume, ſans trop ſavoir à quoi en attribuer la cauſe, n’ayant aucune ſorte d’indiſpoſition : mais à la fin elle ſoupçonna que ce pouvoit bien être l’amidon ; elle n’en eut plus aucun doute, lorſqu’après avoir ceſſé d’en prendre, elle ſoupa comme à ſon ordinaire. Mais l’amidon ſéparé des ſubſtances muqueuſes & extractives auxquelles il eſt toujours uni dans l’état farineux, ne pouvant ſubir l’action du pétriſſage & la fermentation panaire, je lui en ai ajouté la moindre quantité poſſible, & le pain que j’en ai obtenu, relevé par quelques grains de ſel, a paru très-bon & fort nourriſſant.

Il réſulte de tout ce que nous avons avancé ſur les farineux, que les différentes parties qui les conſtituent, poſſèdent chacune la ſaculté alimentaire en raiſon de leur proportion & de leur caractère ſpécifique ; que par conſéquent la matière glutineuſe ne ſauroit en être le principe le plus alimentaire, puiſque, quelqu’abondante qu’on la ſuppoſe dans les grains de première qualité, elle s’y trouve tout au plus pour un huitième ; que d’ailleurs elle eſt indiſſoluble dans l’eau bouillante, & ne paroît point ſous la forme de gelée, qualités qui appartiennent eſſentiellement à la matière nutritive.

Toutes ces conſidérations, & tant d’autres qu’il ſeroit inutile de rapporter ici, tendent à prouver que la propriété attribuée ſi gratuitement à la matière glutineuſe, appartient en entier à l’amidon, à cette ſubſtance qui conſtitue l’état farineux des végétaux ſervant de nourriture à tous les peuples de l’Univers, que la Nature a répandue abondamment dans les différentes parties de la fructification des Plantes, à cette ſubſtance enfin qui reſtaure à la manière des gelées, & avec laquelle j’ai ſait du pain dont je me ſuis nourri pendant trois jours en ſaiſant beaucoup d’exercice ſans prendre aucun autre aliment ; ſi donc la matière glutineuſe joue le plus grand rôle dans la panification, l’amidon produit preſque ſeul tout l’effet nutritif.

C’eſt donc parmi les végétaux où il ſe trouve de l’amidon qu’il ſaut chercher la partie principalement nourriſſante des farineux, l’aliment par excellence, celui dont nous ſaiſons un uſage journalier ; c’eſt dans cette ſubſtance que reſide le principe des farineux, & le degré alimentaire que ceux-ci poſſèdent, & peut tenir qu’à la quantité d’amidon, ou d’une matière mucilagineuſe & gélatineuſe qui lui ſont analogues.

Nous avons cru devoir conſacrer les premiers articles de cet Ouvrage à déterminer la nature du principe nourriſſant répandu dans tous les végétaux ſous des formes variées, en ſaiſant voir en même-temps qu’il y avoit peu de circonſtances où il ſalloit l’employer dans l’état de pureté, & que preſque toujours il étoit eſſentiel qu’il fût aſſocié avec d’autres ſubſtances, dont la réunion formoit l’aliment proprement dit. II eſt à propos maintenant d’indiquer les Plantes qui peuvent ſuppléer en temps de diſette à la nourriture ordinaire, & quelle en doit être la préparation.


Article XII.


Des Pommes de terre.


Dans la multitude innombrable des végétaux qui couvrent la ſurſace sèche & la ſurſace humide du Globe terreſtre, il n’en eſt peut-être point qui mérite davantage de fixer l’attention des bons citoyens, que la Pomme de terre ; ſoit qu’on l’enviſage du côté de la culture, ou bien qu’il s’agiſſe des reſſources