Recherches sur les végétaux nourrissans/Article X


beſoin d’entaſſer ici les preuves ſur une choſe qu’il n’eſt plus permis de conteſter !

Comme les végétaux que j’ai à propoſer pour remplacer en temps de diſette nos alimens ordinaires, ne renferment point de ſubſtance glutineuſe, & que la plupart ſervent au contraire de réceptacle à l’amidon, je ne puis me diſpenſer de fixer de nouveau les idées ſur cet objet ſi important à la matière que je traite, & de faire en ſorte de convaincre, je ne dis pas ceux qui craignant d’avouer qu’ils ſe ſont trompés, aiment mieux accréditer des erreurs groſſières, que de revenir ſur leurs pas, mais l’homme honnête, trop ami de la vérité, pour ne lui pas faire le ſacrifice de ſon opinion.


Article X


De la Matière glutineuſe du Froment.


Il auroit ſallu, ce me ſemble, avant d’établir des théories brillantes pour prouver que la matière glutineuſe eſt la partie principalement nutritive du froment, il auroit ſallu, dis-je, expliquer d’abord ce qu’on doit entendre par cette expreſſion principalement nutritive. Eſt-ce la partie du froment ſa plus conſidérable en poids ou en volume, qui ſeroit la ſubſtance glutineuſe ? ou bien cette ſubſtance ſous peu de maſſe, renfermeroit-elle davantage de molécules nutritives ? Quel que ſoit le parti que l’on prenne, il eſt ſacile de démontrer que dans l’un & l’autre cas on s’eſt trompé ; car le blé le plus riche en matière glutineuſe n’en contient point deux onces par livre, & l’effet de ces deux onces n’eſt point auſſi alimentaire que l’une des deux autres parties du grain ; éclairciſſons ces ſaits par quelques obſervations.

Tant que l’on s’eſt obſtiné à ne conſidérer la matière glutineuſe, que ſous la forme molle, tenace & élaſtique, telle enfin qu’elle exiſte au moment où on vient de l’extraire de la farine, ſuivant le procédé connu ; on s’eſt ſait illuſion ſur la quantité que le blé en renfermoit réellement, parce qu’on a toujours compté pour matière glutineuſe, toute l’eau dont elle étoit ſurchargée, laquelle conſtitue ordinairement les deux tiers de ſon poids ; on pouvoit cependant s’en aſſurer par les expériences les plus ſimples, que le raiſonnement auroit dû indiquer plus tôt.

Il eſt impoſſible, me ſuis-je dit d’abord, qu’il exiſte dans une poudre, douce au toucher, ſans grumeaux, aucun corps tenace & viſqueux, c’eſt donc l’eau ſeule ajoutée à la farine, pour en ſéparer la matière glutineuſe qui lui imprime ce caractère : en la ramenant à ſa forme primitive, par la ſouſtraction de l’eau, au moyen d’une chaleur que le blé ſupporte à l’étuve ſans perdre de ſes qualités, j’aurois bientôt la preuve de la proportion où elle s’y trouve ; j’ai donc expoſé auſſi-tôt à une très-douce évaporation, la matière glutineuſe diviſée par petites maſſes juſqu’à ce qu’elle fût aſſez sèche pour être miſe en poudre ; en cet état, elle avoit éprouvé un déchet de deux tiers, d’où il eſt réſulté qu’elle formoit à peine le huitième de la farine.

Il y a des blés tels que ceux qui proviennent des lieux humides ou de terreins ingrats, dont le produit en matière glutineuſe, eſt à peine d’une once par livre ; il y en a d’autres, au contraire, qui en contiennent près de deux onces : cette loi eſt générale pour tous les réſultats de la végétation. Nous voyons les différentes parties des plantes être plus ſucculentes, plus ſavoureuſes, plus aromatiques dans les années sèches & chaudes, que dans celles qui ont été froides & humides. Mais au ſurplus, le meilleur grain ne renferme guère plus d’un huitième de la ſubſtance dont nous parlons ; ce ſait bien avéré par des expériences variées & répétées : nous paſſons à l’examen du ſecond.

Pour connoître l’effet nutritif de la matière glutineuſe, ſéparée de la farine qui la contient ; j’ai tenu un gros chien pendant quatre jours à l’uſage de cette matière ; je lui en donnois tous les matins deux onces deſſéchées & réduites en poudre, ce qui ſaiſoit près de ſix onces en maſſe élaſtique, mêlées avec autant de pain ; le ſoir, il dévorait comme s’il n’avoit rien mangé de la journée. Pluſieurs fois je le mis au même ordinaire le ſoir, & le lendemain, l’effet du régime de la veille ſe manifeſtoit par tous les ſymptômes d’une ſaim preſſante ; le jour qu’il mangeoit quatre onces de matière glutineuſe ſéchée, il prenoit cependant la partie principalement nutritive de plus de deux livres de froment ; mais je ſais tout le cas qu’on peut faire de cette expérience iſolée, je ne la rapporte que parce qu’elle vient à l’appui de l’obſervation fuivante.

Si la matière glutineuſe étoit la partie principalement nutritive du froment, pourquoi les autres grains de la même ſamille qui n’en contiennent pas un atome, nouriſſent-ils également bien & à peu-près d’une manière ſemblable ? Beccari & Keſſel-Meyer ont cherché en vain cette matière dans tous les végétaux qui ont la réputation d’être les plus alimentaires. Les graminés, les légumineux, les racines potagères, n’ont rien fourni qui reſſemblât à cette matière. Je me ſuis auſſi occupé de ces recherches, j’oſe dire avec le même amour pour la vérité ; j’ai de plus examiné le riz & la châtaigne, ſans avoir été plus heureux.

Dans la perſuaſion que la matière glutineuſe eſt la partie principalement nutritive des farineux, vu ſon analogie prétendue avec les ſubſtances animales, on a voulu absolument qu’elle exiſtât dans les différentes parties de la fructification des Plantes. En conſéquence, il n’y a point de recherches qu’on n’ait ſaites, point de moyens qu’on n’ait eſſayés pour la démontrer, malgré le déſaut de ſuccès, malgré les efforts inutiles de ceux qui ſe ſont occupés ex profeſſo des blés & des farines. On eſt bien convenu qu’elle ſe trouvoit dans le froment & l’épeautre, à l’excluſion des autres grains, mais en ajoutant que peut-être il y en avoit ailleurs en trop petite quantité il eſt vrai pour devenir ſenſible ; que les hommes enfin avoient le pouvoir de ne retirer du miel que de trois à quatre Plantes, tandis que l’induſtrie des abeilles l’obtenoient d’une multitude infinie. ſuppoſons un moment qu’il n’y en eût qu’un gros par livre, on pourroit l’en ſéparer, & quand cette petite quantité exiſteroit, ſeroit-ce donc à elle qu’il ſaudroit attribuer le plus grand degré alimentaire !

D’autres Chimiſtes partiſans de la même opinion, ſe ſont flattés d’être plus heureux dans leurs recherches : deſirant rencontrer la ſubſtance glutineuſe par-tout ; ils ont imaginé un moyen de la retirer de beaucoup de Plantes ſucculentes ; telles que la bourrache, la cigüe, l’oſeille, &c. mais ils n’ont pas ſait attention que la matière glutineuſe, comparable à celle du blé ne peut ſe trouver & ne ſe trouve en effet que dans des ſubſtances sèches comme les ſemences, parce que dès que cette matière touche à l’humidité, elle s’en empare auſſi-tôt, prend l’état glutineux & devient par conſéquent très-suſceptible de s’altérer & de ſe corrompre. Ils ont oublié encore que cette ſubſtance glutineuſe ne pouvoit exiſter dans des Plantes acidules, telle que l’oſeille, d’où ils prétendent l’avoir cependant extraite, puiſque de l’aveu de tous ceux qui ſont ſamiliers avec la matière glutineuſe, l’acide végétal eſt ſon diſſolvant naturel. Mais il eſt de toute impoſſibilité à l’art, de donner à cette ſubſtance que l’on ſépare des ſucs dépurés des Plantes virulentes & acidules, qui eſt diſſoute dans l’eau de vegétation, qui ſe manifeſte à la plus douce chaleur, ſous la forme de flocons blancs qui ſe sèche ſans ſe bourſoufler, il eſt impoſſible, dis-je, de lui donner les propriétés les plus eſſentielles de la matière glutineuſe, l’élaſticité & la tenacité.

Une ſubſtance sèche & pulvérulente, peut bien exhaler ſur les charbons ardens, l’odeur d’une corne brûlée, donner de l’alkali volatil à la cornue, paſſer à la fermentation dans une atmoſphère chaude & humide, ſans pouvoir être comparée à une matière, laquelle en s’emparant de l’eau avec avidité, acquiert de la molleſſe, de la glutinoſité, de l’élaſticité, que l’eau, les acides végétaux, le ſucre, le jaune-d’œuf, attaquent & diſſolvent, & qui introduite dans la pâte des autres grains, que le froment, donne un pain blanc & plus léger.

Dans la préoccupation où l’on eſt toujours que la ſubſtance glutineuſe eſt la partie nutritive de tous les corps qui nous ſervent d’alimens journaliers ; on a prétendu qu’elle paſſoit ainſi des végétaux dans les animaux, & que toutes nos liqueurs laiſſoient apercevoir les preuves de ſa préſence ; cependant la matière glutineuſe ne ſe trouve plus comme telle ſous quelque forme que nous ſaſſions uſage du grain dans lequel elle eſt contenue privativement ; la cuiſſion & la fermentation ont détruit entièrement ſa glutinoſité, ſon élaſticité & ſa continuité ; on ſait d’ailleurs, que les animaux herbivores & frugivores, n’ont pas moins de parties caſeuſes dans leur lait, & de parties fibreuſes dans leur ſang.

La matière glutineuſe ſe trouve détruite dans la bouillie & dans le pain, en tant que matière glutineuſe : une partie qui eſt diſſoute par la matière extractive ou ſucrée de la farine, s’eſt rapprochée de l’état mucilagineux, l’autre a été ſurpriſe ſous la forme tenace par la cuiſſon & devient inſoluble. Ainſi la ſubſtance glutineuſe n’arrive jamais à l’eſtomac, revêtue de ſes caractères particuliers, ſoit qu’elle produiſe l’effet de la nourriture ou qu’elle ne faſſe que les fonctions de leſt, elle eſt toujours dans un tout autre état, & l’on doit préſumer que la portion devenue inſoluble, eſt confondue après la digeſtion, dans la maſſe groſſière qui doit former les excrétions.

La promptitude avec laquelle la matière glutineuſe paſſe à la putréſaction & l’alkali volatil qu’elle fournit à la dernière violence du feu, ont pu faire ſoupçonner encore qu’elle étoit compoſée des mêmes principes que les ſubſtances animales, & par conſéquent ſuſceptible de nourrir autant qu’elles ; mais cette ſaible ſimilitude doit-elle en impoſer dans un temps où l’on ſait combien il y a de corps qui ſe pourriſſent aiſément ſans être alimentaires ; dans un temps où l’on ſait que l’analyſe à la cornue, eſt le moyen le plus infidèle pour déterminer les propriétés d’une ſubſtance quelconque.

Le blanc d’œuf qui ſe corrompt aiſément, qui devient ſpongieux & inſoluble par la cuiſſon, & donne de l’alkali volatil à la cornue, devroit être ſuivant cette hypothèſe, une véritable matière glutineuſe & nourrir davantage que le jaune. Les champignons, l’indigo & les autres fécules vertes des plantes, ne préſentent-ils pas les mêmes phénomènes ? enfin les mucilages les plus inſipides, tels que la gomme arabique, ne donnent-ils pas auſſi de l’alkaIi volatil à la cornue ? combien de ſubſtances végétales qui ne ſont ni glutineuſes, ni muqueuſes, ni alimentaires, fourniſſent ce produit ſalin, ou du moins quelle eſt la ſubſtance dans la Nature, provenant du règne végétal & animal, qui ne donne point d’alkali volatil !

En réuniſſant les différens phénomènes que le ſon, entièrement dépouillé de farine, préſente dans ſon analyſe, on verra aiſément qu’ils ont une reſſemblance marquée avec ceux de la matière glutineuſe ; comme elle, il donne de l’huile & de l’alkali volatil à la cornue, ſans offrir d’alkali fixe dans ſes cendres ; comme elle, il s’enflamme & exhale en brûlant une odeur animale, & paſſe dans un temps chaud à la putréſaction ; enfin, il ne lui manque que le moyen de s’aglutiner & de ſe réunir en maſſe tenace & élaſtique, pour lui reſſembler parſaitement ; cette nouvelle obſervation ne ſert-elle point a démontrer que les propriétés qui ont ſait attribuer à la matière glutineuſe, l’effet éminemment nutritif du froment ſont très-équivoques ?

Le caractère animal de la matière glutineuſe, n’eſt point auſſi bien établi qu’on le prétend. Si on l’abandonne dans un bocal rempli d’eau, expoſée à une température de deux degrés de glace, elle ſe conſerve ainſi pendant quinze jours ſans paroître éprouver d’altération ſenſible ; au bout de ce temps, elle devient vineuſe, puis acide & demeure en cet état plus de deux mois, ſans paſſer à la putréſaction. Cette obſervation que j’ai eu occaſion de faire pendant trois hivers, avec les mêmes circonſtances, m’a donné lieu d’expliquer pourquoi le blé altéré en hiver par une humidité froide, contracte une odeur aigre tandis que cette odeur eſt putride, quand l’altération s’opère en été. C’eſt encore un nouvel exemple qui nous avertit combien il en eſſentiel d’être circonſpect dans ſes jugemens, & de ne pas ſe hâter de prononcer ſur la compoſition de certains corps, ſans les avoir examinés dans les différentes ſaiſons & ſous tous les aſpects. J’avoue qu’entraîné moi-même par Beccari & par les ſavans qui ont adopté ſon opinion, il fut un temps où j’ai cru que la matière glutineuſe pouvoit s’aigrir à la manière de la viande, mais que l’état putride ſuccédoit en un clin d’œil à la fermentation acide.

D’après toutes les expériences que j’ai ſaites pour connoître la véritable nature de la la matière glutineuſe, je crois être fondé à la regarder comme un mucilage ſurchargé d’huile d’une nature particulière aux graminés, & qui me paroît beaucoup approcher des huiles graſſes ; c’eſt ce qui m’a déterminé depuis longtemps à préſenter cette matière comme une eſpèce de gomme réſine, vu la ſacilité qu’elle a encore à ſe laiſſer diviſer par les acides végétaux, & la manière dont l’eau, l’ether & l’eſprit-de-vin l’attaquent & la diſſolvent.

Quelles que ſoient donc la nature & les propriétés phyſiques de ſa matière glutineuſe, toujours eſt-il certain qu’elle forme tout au plus le huitième des meilleurs grains, & qu’elle s’éloigne des propriétés les plus générales du corps muqueux proprement dit ; d’où il ſuit que quand cette matière opère l’effet nutritif, ce n’eſt qu’après avoir perdu par la fermentation & par la cuiſſon une partie des propriétés qui lui ont fait attribuer la vertu alimentaire pour ſe rapprocher du caractère de mucilage ; mais alors elle ne produit cet effet que comme ces derniers, & loin d’être la partie principalement nutritive du froment, on ne doit la conſidérer que comme la plus foible. Occupons-nous maintenant du principe des farineux qui méritent à juſte titre notre attention, nos recherches, & l’épithète donnée ſi gratuitement à la matière glutineuſe.


Article XI.


De l’Amidon conſidéré comme la partie
principalement nutritive des farineux.


La connoiſſance de l’amidon étoit bien imparſaite quand Beccari imagina d’examiner le grain qui en contient le plus ; celui qui ouvre une nouvelle route ne ſauroît tout aplanir : il reſſort donc d’autres expériences à tenter pour parvenir à ce que nous ſavons tant ſur la nature, que ſur l’origine de cette matière.

Il ſeroit ſuperflu de rappeler ici la variété d’opinions que l’amidon a ſait naître ; je me bornerai à le définir, d’après ſes propriétés que j’ai approfondies, une eſpèce de gomme particulière, une gelée sèche, ſi j’oſe m’exprimer ainſi, répandue dans une infinité de végétaux, indépendante de leur odeur, de leur ſaveur & de leur couleur, jouiſſant toujours d’un très-grand degré de blancheur, de