Rational (Durand de Mende)/Volume 2/Cinquième livre/Chapitre 03

Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 3p. 51-74).


CHAPITRE III.
DES NOCTURNES.


I. Quoique les offices de l’Eglise commencent par vêpres, d’après ces paroles : « Vous célébrerez vos sabbats d’un soir à l’autre » (Extra De feriis, c. ii), cependant, comme l’ordre convenable exige que nous allions de la nuit au jour et non le contraire, c’est pourquoi nous commençons par l’office de nuit. Or, le temps nocturne est l’image de notre vie dans l’état du péché. L’office de nuit est la servitude de notre exil ; car la louange du matin est le suffrage ou la prière de la pénitence, par laquelle nous nous dirigeons vers la joie de la lumière et de la liberté ; ou bien le temps qui précède nocturne signifie le temps qui existait avant la loi de mort portée contre nous, temps où personne ne célébrait les louanges de Dieu. Le temps nocturne signifie le temps de la loi donnée à Moïse. Le temps de laudes et matines désigne le temps de la grâce, depuis la résurrection jusqu’à la fin du monde ; temps dans lequel nous sommes tenus de louer Dieu pour les biens de la nature qu’il nous a donnés à cette heure, en nous créant ; pour les biens de la grâce qu’il nous a conférés à cette heure, en ressuscitant ; et pour les biens de la gloire dont il nous comblera aussi à cette heure, en nous ressuscitant.

II. Les nocturnes sont chantés au milieu de la nuit pour cinq raisons : 1° parce que les premiers-nés d’Egypte furent tués pendant la nuit où les premiers-nés d’Israël furent sauvés (Exod., xii). Afin donc que le Seigneur nous conserve nos premiers-nés, c’est-à-dire l’héritage du royaume céleste, que son Fils premier-né nous a acquis, nous chantons en son honneur l’office nocturne, pour ne pas imiter Esaü, qui, pour un plat de lentilles rousses, perdit son droit d’aînesse (VII, q. i, Quam periculosum) ; 2° parce que le Fils de Dieu est né au milieu de la nuit, d’après ces paroles de la Sagesse, chap. xix : « Pendant que toute la terre était plongée dans le silence de minuit, et que la nuit, etc., » Jésus, ton Fils, descendit de sa demeure royale pour venir à nous. C’est donc pour nous montrer reconnaissants de sa nativité que nous le louons au milieu de la nuit, et que nous le remercions de sa naissance ; 3° parce que la nuit, à cette même heure, Jésus fut saisi et bafoué par les Juifs ; c’est encore à cette heure qu’il a dépouillé l’enfer ; c’est aussi la nuit qu’il est ressuscité, en prenant la nuit dans sa plus large acception, c’est-à-dire le matin avant la lumière. C’est aussi au milieu de la nuit, assure-t-on, qu’il viendra au jugement dernier ; d’où il a été décrété que la veille de Pâques il n’est pas permis de congédier avant minuit le peuple qui attend l’arrivée du Christ, comme on le dira dans la sixième partie, au Samedi saint. C’est pourquoi à cette heure nous louons Dieu et nous lui rendons grâces de ce qu’il s’est laissé saisir par les Juifs, et de ce qu’il a délivré nos pères, qui attendaient son arrivée avec sollicitude ; 4° pour que la lumière pénètre dans la nuit de nos péchés ; d’où vient que Paul et Silas dans les fers priaient au milieu de la nuit, et chantaient des hymnes de manière à être entendus de tous (comme l’histoire le rapporte), quand tout-à-coup un tremblement de terre survint, la porte de leur prison s’ouvrit soudainement, et leurs liens furent aussitôt brisés ; 5° pour dompter les attraits de la chair, en chantant et en priant pendant toute la semaine ; car, comme le dit l’Ecclésiaste (c. xviii) : « La veille dans la pureté dompte la chair. »

III. Or, il faut savoir que dans la primitive Eglise les ministres de l’Eglise se levaient, à l’appel de leur nom, trois fois pendant la nuit pour célébrer l’office divin, désignant par là les trois temps, à savoir : le temps d’avant la loi, le temps de la loi, et le temps de la grâce. Car ils se levaient d’abord vers le premier sommeil, quand le vulgaire a coutume d’aller dormir ; en second lieu, vers minuit ; en troisième lieu, un peu avant le jour, afin que tout fût réglé de manière à ce que l’office de nuit avec les leçons et les répons fût terminé avant le crépuscule. Or, quand l’aurore arrivait, on sonnait les cloches et on chantait le Te Deum, puis matines et laudes. Au premier nocturne, le pontife et les ministres de l’Eglise se levaient, et on chantait cet office sans invitatoire, parce que personne n’y était invité, et on l’appellait vigile, parce qu’il tire son origine des pasteurs qui faisaient la veille de la nuit pour garder leurs troupeaux ; cependant, dans les principales solennités le peuple restait toute la nuit à louer Dieu. Mais cette coutume disparut, et l’on remplaça cette veille par le jeûne, comme on le dira dans la sixième partie, au Mardi de la troisième Semaine de l’Avent. Au second nocturne, les ministres se levaient en même temps que les personnes mariées, hommes et femmes. Ce nocturne se disait avec l’invitatoire, pour désigner les anges invitant les bergers à venir voir le Roi qui leur était né. Au troisième nocturne, tous se levaient ensemble ; mais, la charité venant à se refroidir, comme les ministres de l’Église, aussi bien que le peuple, mettaient de la paresse à se lever pour les nocturnes, il fut décrété que tous se lèveraient au milieu de la nuit, d’après cette parole du Prophète : « Je me levais au milieu de la nuit, » et que tout l’office de la nuit serait chanté de suite et sans interruption. Plusieurs se lèvent encore à cette heure-là ; mais comme d’autres, plus charmés des délices de la nuit que du service de Dieu, n’observaient pas ce décret, il fut statué par la suite qu’au moins tous se lèveraient à l’heure du dernier nocturne.

IV. On peut encore dire que l’Église a quatre ennemis : les ennemis supérieurs, c’est-à-dire les démons, qui lui tendent des embûches ; les ennemis inférieurs, c’est-à-dire les hommes, qui s’opposent à son action ; les ennemis intérieurs, c’est-à-dire les concupiscences de la chair ; et les ennemis extérieurs, qui sont les séductions du siècle. Touchant les premiers, l’Apôtre dit aux Ephésiens (c. vi) : « Ce n’est pas seulement contre la chair et le sang qu’il vous faut lutter, mais encore contre la méchanceté des ennemis spirituels, qui sont les démons » (autrefois esprits célestes). Touchant les seconds, le Psalmiste dit : « Les pécheurs ont fait peser sur mon dos le poids de leurs crimes, et ils ont augmenté le nombre de leurs iniquités. » Touchant les troisièmes, l’Apôtre dit : « La chair désire ardemment contre l’esprit et l’esprit contre la chair. » Au sujet des quatrièmes, saint Jean s’exprime ainsi : « Gardez-vous d’aimer le monde et toutes les choses du monde, parce que tout ce qui est dans le monde est concupiscence de la chair et des yeux, ou orgueil de la vie. »

V. Contre ces quatre ennemis, ceux qui gouvernent l’Église doivent conserver avec sollicitude les quatre veilles de la nuit. Car les bergers faisaient la veille sur leur troupeau, c’est-à-dire pendant le temps le plus calme de la nuit ; ensuite dans le moment où chante le coq, qui est le temps le plus sombre de la nuit ; puis pendant le temps qui précède le jour, temps auquel veillent alternativement les gardes d’une ville assiégée. Ils doivent donc observer la première veille contre les embûches des premiers ennemis ; la seconde, contre la malice des seconds ; la troisième, contre les troisièmes ; la quatrième, contre les quatrièmes.

VI. Or, l’office de nuit est divisé en quatre parties distinctes, c’est-à-dire en trois nocturnes, puis matines et laudes, parce que pendant les quatre veilles de la nuit l’Eglise, anciennement, chantait pour se prémunir contre les persécutions des quatre ennemis précités. Or, en souvenir de cette louable coutume et de la dévotion des anciens, l’Eglise, en été, célèbre l’office nocturne dans le temps du premier nocturne, quoique quelquefois elle le fasse aux fêtes du Propre du Temps (c’est sous ce nom antique que plusieurs expriment les veilles), et spécialement dans les solennités des bienheureux Jean-Baptiste, Pierre et Paul, et de l’Assomption de la bienheureuse Marie, qui sont les principales solennités de ce temps ; et ils commencent par la fête du bienheureux Jean, au crépuscule, parce saint Jean-Baptiste à clos l’Ancien-Testament et ouvert le Nouveau. Les Romains encore maintenant, dans les principales solennités de toute l’année, disent sur le soir trois psaumes et trois leçons qu’ils appellent vigiles, et aux nocturnes ils répètent la même chose et achèvent tout l’office du matin. C’est encore en souvenir de la dévotion précitée des anciens, qui se levaient trois fois pendant la nuit, que l’on dit trois nocturnes qui ont tiré de là leur nom et leur origine.

VII. Et remarque qu’on ne prend pas nocturna dans le sens d’heure ; mais nocturni, nocturnorum (nominatif et génitif pluriels), sont pris pour l’office ; ou bien nocturna, nocturnœ, signifient la collection des psaumes qui se disent avant les leçons le dimanche et les jours fériés. Nocturnœ, au pluriel, signifie le temps où l’on chante les psaumes ; nocturni, nocturnorum, s’entendent des neuf psaumes et des neuf leçons avec leurs répons, que l’on chante dans les solennités. Par les veilles nocturnes nous évitons les embûches du diable, et c’est pourquoi, nous levant pendant la nuit aussitôt que nous entendons les cloches, nous courons à l’Eglise, semblables à une armée qui court aux armes lorsqu’elle entend retentir la trompette.

VIII. A notre entrée à la cour de notre Roi, c’est-à-dire dans l’église, nous nous inclinons devant l’aute], et nous adorons, comme les soldats qui s’inclinent devant leur roi ; car nous sommes les soldats du Roi éternel. Après nous être prosternés, nous faisons une triple prière, en disant trois fois Pater noster, etc., adressant ainsi la parole au Père, au Fils et au Saint-Esprit. Lorsque nous parlons au Père, nous nous plaçons au milieu de l’autel, d’intention, de cœur et de fait, par la position de notre corps, pour marquer la puissance du Père et notre persévérance ; lorsque nous parlons au Fils, nous nous tournons vers la partie gauche de l’autel, pour exprimer son anéantissement et l’offense de notre chute ; en nous adressant au Saint-Esprit, nous passons à la droite de l’autel, pour désigner sa bonté, et de notre part l’acquisition de la grâce. Plusieurs font encore des prières spéciales ; ensuite, ils commencent les psaumes graduels, dont nous avons fait mention dans la préface de cette partie.

IX. Le prêtre, au début de l’office nocturne, commence par le Seigneur, qui est l’alpha et l’oméga, c’est-à-dire le commencement et la fin, et la source de tous les biens. Et, parce qu’il est écrit dans saint Jean : « Sans moi vous ne pouvez rien faire, » il demande avant tout, avec confiance, que sa bouche soit ouverte par Celui qui dit : « Ouvre ta bouche, et je la remplirai, » pour louer dignement le Seigneur, en disant : « Seigneur, tu ouvriras mes lèvres, et ma bouche célébrera tes louanges. » Car la louange de Dieu n’est pas glorieuse quand elle se trouve dans la bouche du pécheur, à moins que Dieu ne daigne ouvrir sa bouche pour qu’il célèbre ses louanges, d’après ces paroles du Prophète (III q., viii §), qui s’exprime ainsi : « Pourquoi racontes-tu mes justices et reçois-tu mon testament dans ta bouche ? » On termine aussi cet office en Dieu, en disant Deo gratias, afin que le commencement et la fin, formant comme un cercle, viennent se confondre en Dieu, qui est l’alpha et l’oméga ; et on dit aperies pour aperi, en substituant un temps à un autre. Il demande encore que ses lèvres soient ouvertes, parce qu’à complies nous nous sommes, il n’y a qu’un instant, recommandés à Dieu, et nous avons fermé notre bouche et notre cœur en les scellant du signe de la croix. C’est pourquoi maintenant nous le prions d’ouvrir nos lèvres fermées, pour célébrer ses louanges. Or, le chœur, pour marquer l’harmonie, répond, sans changer de personne : « Et ma bouche proclamera tes louanges. » Car l’harmonie véritable est que les croyants n’aient qu’un seul cœur et qu’une seule ame (Act., iv), et on loue Dieu au commencement de cet office, dans l’union de la prière, parce que le diable a horreur des louanges de Dieu, ce qui fait qu’il s’efforce d’empêcher de le louer ceux qui en ont la volonté ; car Pharaon méprisé, c’est-à-dire le diable, se lève pour semer les scandales : c’est pourquoi l’Eglise, pour ne pas succomber aussitôt après avoir obtenu la liberté de parler, prie, en disant à haute voix : ce Dieu, viens à mon aide ; » — « Seigneur, hâte-toi de venir à mon secours, » répond le chœur.

X. Or, après avoir obtenu les deux points précités, c’est-à-dire la grâce qui ouvre la bouche et l’éloignement du diable, par le secours de Dieu, il ne nous reste plus qu’à louer ; aussi l’Eglise loue-t-elle aussitôt, en ajoutant : Gloria Patri, etc., dont nous avons parlé dans la préface. Mais, comme il ne suffit pas de louer Dieu, et qu’il faut encore inviter les autres à le louer, afin que celui qui entend dise : Me voici (Apoc, c. ult.. Extra De sac. unc., c. unico), et que le rideau entraîne après lui le rideau, c’est pour cela que suivent aussitôt l'invitatoire et le psaume invitatoire : Venite, exultemus, où l’on donne les nombreux motifs qui nous font un devoir de nous réjouir dans le Seigneur, et de chanter en son honneur, en disant : Quoniam Deus magnus, etc. ; et, enfin, on en donne un dernier motif, c’est-à-dire pour ne pas nous montrer ingrats comme les Juifs, qui, à cause de leur ingratitude et de leur méchanceté, n’entrèrent pas dans la terre de promission ; d’où vient que l’on dit dans ce psaume : « Ils n’entreront pas dans le lieu de mon repos » (q., d. Non).

XI. Or, on dit l’invitatoire à haute voix, comme si par là notre mère l’Eglise invitait les hommes à confesser le Seigneur, d’après ces paroles : « Venez, mes fils, entendez ma voix ; » ce que signifie le second verset : Prœoccupemus, etc. De là vient que dans certaines églises les fidèles, qui, avant matines, vont se prosterner pour prier devant chacun des autels de l’église, entrent au chœur aussitôt qu’ils entendent chanter ces mots : Venite, exultemus, « Venez, réjouissons-nous ; » car l’invitatoire, lorsqu’il commence, est comme le hérault public, comme la trompette qui fait retentir ses sons. On prélude d’abord dans l’invitatoire, en chantant à voix basse, puis quand on arrive au psaume la voix devient éclatante, parce que l’Eglise commence par louer Dieu secrètement, et comme les portes fermées, quand elle s’adresse à Dieu lui-même ; mais ensuite elle le loue ouvertement et à haute voix, pour les fidèles, afin qu’un zèle ardent enflamme les assistants. De là vient que dans les grandes solennités l’invitatoire commence à voix très-basse ; mais quand on arrive au verset Hodie si vocem ejus, etc., « Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, etc., » on élève la voix, afin que s’il se trouve quelque cœur endurci il ne s’excuse pas sur ce qu’il n’a pas entendu la voix de l’Eglise ; d’où cette parole d’Isaïe : « Elève ta voix, et qu’elle retentisse comme une trompette. » On commence encore à voix basse, pour marquer que dans la primitive Eglise on invitait secrètement le peuple à la foi et à honorer le Christ ; on élève ensuite la voix, pour montrer qu’aujourd’hui on invite, on prêche, on adore en toute liberté.

XII. On répète aussi l’invitatoire en entier à certains versets du psaume Venite, et non en entier à certains autres ; parce que, bien que tous, par l’invitatoire même, soient invités à louer et à glorifier Dieu, cependant quelques-uns reçoivent parfaitement cette invitation, d’autres imparfaitement. On le répète six fois en entier, parce qu’ils reçoivent entière l’invitation ceux qui rapportent parfaitement à Dieu les louanges qui lui sont dues ; et ceux-là rapportent parfaitement à Dieu les louanges qui lui sont dues, qui n’y mêlent rien qui ne soit louange. Or, comme le nombre six est le premier nombre parfait, ce qui est évident, puisqu’il est formé de ses parties aliquotes, 1, 2, 3, c’est pourquoi on répète l’invitatoire six fois en entier. On le répète trois fois en partie seulement, à cause des trois espèces d’hommes qui, invités au festin, n’ont pas accepté l’invitation, et ce sont les avares, les superbes et les luxurieux, comme on le dira dans la sixième partie, au deuxième Dimanche après la Pentecôte ; ou bien à cause de notre imperfection en trois choses, c’est-à-dire en pensées, en paroles et en œuvres. Au reste, l’office de l’Epiphanie manque d’invitatoire, comme on le dira en son lieu, dans la sixième partie. L’office des morts n’en a pas non plus, excepté quand le corps est présent, parce que dans cet office nous imitons les funérailles du Christ. On n’en lit point non plus le Vendredi saint. De plus, comme il ne suffit pas de louer Dieu de bouche et qu’il faut encore le louer le cœur, c’est pourquoi après l’invitatoire on ajoute l’hymne Laus Dei.

XIII. Or, comme après l’invitatoire plusieurs fidèles, conséquemment, louent Dieu avec allégresse, d’après cette parole : « Sion a entendu, et elle s’est réjouie, » c’est pourquoi après l’invitatoire tout le monde prend part au chant de l’hymne. Troisièmement, on chante l’hymne pour marquer la joie des Gentils quand ils furent appelés à la foi, comme on le voit dans les Actes des apôtres. Or, comme il ne suffit pas encore de louer Dieu de bouche et de cœur, mais qu’il faut que les œuvres s’en suivent, puisque la foi sans les œuvres n’avance à rien, et, bien plus, que c’est une foi morte, c’est pourquoi l’hymne est suivie des psaumes, qui désignent les bonnes œuvres. On dit aussi les antiennes, qui symbolisent la charité sans laquelle les œuvres ne sont pas parfaites, et les versets dont nous avons parlé dans la préface.

XIV. Après les versets qui précèdent les leçons qui nous donnent la doctrine, on dit l’oraison dominicale : 1° pour marquer que celui qui a besoin de la sagesse et de l’intelligence de la doctrine doit les demander à Dieu, qui, selon le bienheureux Jacques, donne abondamment à tous et sans le leur reprocher ; secondement, afin que l’intention marquée dans le verset nous profite par le secours de l’oraison dominicale ; troisièmement, pour repousser par elle les tentations du diable car, sachant que nous voulons lire les leçons où sont relatées les victoires des saints contre lui, le diable s’applique à nous donner de plus rudes assauts, contre lesquels nous nous fortifions par l’oraison dominicale. Or, on la dit tout bas, et ainsi on désigne le conseil secret du roi ; ou bien c’est pour que nous imitions les exemples qui nous seront proposés, pour que nous nous en pénétrions avec plus de soin ; ou bien encore parce qu’alors nous nous adressons à Dieu. Cependant la dernière partie de l’oraison se dit tout haut, pour que l’on voie le motif pour lequel nous la disons, c’est-à-dire pour que le lecteur ne soit pas en butte aux tentations qui pourront se présenter à son imagination, et que l’auditeur ne soit pas privé de l’intelligence et du fruit de la leçon, ce dont nous parlerons au chapitre de Prime.

XV. Or, par les prières qui suivent l’oraison dominicale avant les leçons, on implore l’intercession des saints pour obtenir ce qu’on a demandé dans l’oraison. Car nous prions le Seigneur pour qu’il envoie des ouvriers à sa moisson et qu’il ouvre notre cœur à sa loi et à ses préceptes, afin que la semence de la parole de Dieu que nous allons entendre ne soit point mangée par les oiseaux ou étouffée par les épines, ou ne se dessèche sur la pierre, qui n’a pas d’humidité. Ensuite on lit les leçons, qui sont la doctrine, et après les leçons les répons, qui désignent les bonnes œuvres, et dont nous avons parlé dans la préface.

XVI. Or, il faut considérer qu’aux fêtes et aux dimanches nous disons trois nocturnes, et aux jours fériés un seul. En effet, dans les temps de trois nocturnes nous représentons trois époques, c’est-à-dire le temps avant la loi, le temps sous la loi et le temps de la grâce, et ces temps contiennent chacun trois époques distinctes. Voici celles du temps qui précède la loi : la première époque s’étend d’Adam à Noé ; la seconde, de Noé à Abraham ; la troisième, d’Abraham à Moïse. Le temps de la loi a aussi trois époques : la première, de Moïse à David ; la seconde, de David jusqu’à la captivité de Babylone ; la troisième, de la captivité de Babylone jusqu’au Christ. Celles du temps de la grâce sont : la première, la prédication apostolique et évangélique ; la seconde est l’époque du combat, où les hérésies parurent ; la troisième est l’époque de la paix, quand les hérésies furent extirpées. Or, les nocturnes signifient très-heureusement les Pères et les fidèles de l’un et de l’autre temps, qui, pleins de vigilance, parviendront, en louant Dieu, au ciel, où ils le loueront éternellement. D’où l’Apôtre (aux Corinthiens, c. i dit : « Tous nous paraîtrons devant le tribunal du juge, et nous qui vivons et restons sur la terre nous ne paraîtrons pas avant ceux qui se sont endormis dans la mort. » Or, parce que ces derniers, persévérant dans la pratique des bonnes œuvres, ont veillé avec diligence, nous aussi, et avec raison, pour plaire à la Trinité par leurs mérites et pouvoir être associés aux neuf ordres des anges, dans l’office nocturne nous chantons les louanges de Dieu dans une neuvaine d’antiennes, de psaumes, de versets, de leçons et de répons. Les antiennes se rapportent à l’amour ; les psaumes, aux œuvres ; les versets, à l’exercice ; les leçons, à la connaissance de Dieu ; les répons, à la joie et au chant des anges. Or, les neuvaines d’antiennes, de psaumes, de leçons et de répons sont prises dans le même sens quant à leur signification par rapport à nous. Nous en parlerons encore dans la sixième partie, à la fête de la Nativité, au Jeudi saint et au chapitre des Sept Jours après Pâques. Cependant, dans certaines églises, quand on chante le Te Deum on ne dit pas le neuvième répons. Ainsi, nous trouverons les neuf époques des trois temps précités, aux nocturnes des solennités des saints et du Seigneur ; car, dans les solennités des saints, lorsque nous chantons les trois nocturnes, nous imitons les sentinelles de la céleste Jérusalem, qui est bâtie comme une ville et gardée par les sentinelles des anges, qui sont partagés en trois fois trois, c’est-à-dire qui chantent trois fois trois cantiques en l’honneur de la Trinité ; et nous aussi, qui croyons en cette Jérusalem, nous chantons trois nocturnes.

XVII. Nous imitons encore en cela les trois veilles, tombées en désuétude, de la primitive Eglise, où l’on se levait trois fois pendant la nuit pour chanter les louanges du Seigneur, comme on l’a déjà dit. En effet, nous chantons neuf leçons, neuf psaumes, neuf antiennes et neuf répons, c’est-à-dire trois à chaque nocturne, pour désigner que tous les élus qui ont été avant la loi, pendant la loi, et sous la loi de grâce, sont associés dans la connaissance de la sainte Trinité aux neuf ordres des anges ; que dans le cieux ils se réjouissent avec la Trinité, et lui resteront unis jusqu’à la fin des siècles. Or, comme les anges furent élus les premiers, ainsi les psaumes précèdent les leçons. Les dimanches, quand une autre fête ne coïncide pas, nous chantons encore trois nocturnes.

XVIII. On dit au premier nocturne douze psaumes et trois antiennes, dont chacune correspond à quatre psaumes ; et en plusieurs endroits un seul Gloria Patri correspond à quatre psaumes. Or, le Seigneur a glorifié le dimanche par sa résurrection, et en ce jour nous avons mérité d’être associés aux anges ; c’est pourquoi la nuit du dimanche rappellera à notre mémoire la résurrection du Seigneur, et même celle de tous les fidèles qui ont existé depuis le commencement du monde et doivent exister jusqu’à la fin des siècles, parce que la résurrection du Seigneur marque la résurrection de tous les élus.

XIX. Le premier nocturne rappelle le temps qui précéda la loi, c’est-à-dire le temps de la loi naturelle. Le douzième psaume de ce nocturne nous rappelle la résurrection de tous les saints de ce temps, surtout des douze patriarches, qui alors fleurirent et veillèrent d’une manière particulière, et qui furent les pères des douze tribus du peuple de Dieu, qui fut alors le peuple privilégié du Seigneur, comme dans le temps de grâce les douze apôtres brillèrent au-dessus de tous les autres. Les psaumes, au nombre de quatre, désignent les quatre vertus principales ou cardinales, c’est-à-dire la prudence, la justice, la force et la tempérance, vertus que nous croyons que les saints patriarches possédèrent en leur temps à un degré supérieur aux autres hommes, et dont ils ont montré l’exemple aux autres. Les trois antiennes désignent la foi à la sainte Trinité, ou la jouissance que l’on éprouve en elle. Chaque antienne correspond aux quatre psaumes ; car quiconque a la foi en la sainte Trinité est renforcé (quadratus) par les quatre vertus précitées. Car la ville éternelle est située dans un lieu qui a la forme d’un carré, comme dit l’Apocalypse (c. penult.) ; c’est pour cela que l’on dit les quatre psaumes sous un seul Gloria, sans les séparer, parce que les quatre vertus susdites sont inséparables, et celui qui en possède une les possède toutes, comme le prouve saint Augustin. De même, en ce qu’on réunit les quatre psaumes sous un seul Gloria Patri ou glorification de la Trinité, on démontre que les patriarches précités ont eu les quatre vertus susdites dans une seule foi à la Trinité, et en ont montré l’exemple aux autres. Mais il en est quelques-uns qui chantent tous les psaumes du premier nocturne sous une seule antienne, pour marquer la jouissance qu’ils éprouvent dans la connaissance de la Trinité. Certains encore disent Gloria Patri à chaque psaume ; mais ils les distinguent par les antiennes, parce que chacun est tenu de donner d’après le don qu’il a reçu, et de célébrer les louanges de la Trinité d’après l’amour qu’il a puisé dans la connaissance de la Trinité.

XX. Et fais attention qu’à la première époque du temps qui précéda la loi veillèrent Abel, Enos, Hénoch et Lameth, ce qu’on donne à entendre par les quatre premiers psaumes, « Heureux l’homme, dit Abel, qui, semblable au bois planté le long d’un cours d’eau, a donné en son temps le fruit de justice. » Et Abel succomba pour défendre la justice. Enos chante : Quare fremuerunt, parce qu’il servit le Seigneur avec crainte en invoquant son nom. Hénoch chante : Domine, quid multiplicati sunt, lui que le Seigneur reçut dans son sein en le transportant en paradis. Lameth chante : Domine, ne in furore, lui que le Seigneur exauça en lui accordant un fils jugé digne de sauver dans l’arche le genre humain et de le préserver ainsi de la fureur de Dieu.

Or, comme on ne chante que quatre psaumes, c’est pour cela qu’on en retranche deux de l’office du matin, à savoir : Cum invocarem, etc., et Verba mea, etc. On retranche ces psaumes plutôt que d’autres, parce que l’on dit toujours le premier à complies, et le second le lundi à laudes.

XXI. Or, dans la seconde époque du premier temps veillèrent Noé, Sem, Héber et Tharé. Noé chante : Domine, Deus meus, lui que le Seigneur trouva juste au sein de cette génération perverse, et qui pour cela fut sauvé des eaux du déluge. Sem chante : Domine, Deus noster, lui que le Seigneur couronna de gloire et d’honneur, en l’élevant au-dessus de ses frères par la bénédiction paternelle. Héber chante : Confîtebor tibi, lui qui raconta les merveilles de Dieu, en faisant disparaître la cité des géants. Tharé chante : In Domino confido, lui qui, placé dans la ville des Chaldéens, mit sa confiance dans le Seigneur ; lui qui eut en partage un calice de feu et de soufre.

XXII. A la troisième époque du premier temps, comme le prouvent les psaumes suivants, veillèrent Abraham, Isaac, Jacob et Joseph. Abraham chante : Salvum me fac, lui que le Seigneur sauva et à l’époque duquel il n’y eut pas de saints, parce que l’idolâtrie avait tout asservi. Isaac chante : Usquequo, lui sur lequel le Seigneur jeta un regard au moment où il allait être sacrifié. Jacob chante : Dixit insipiens, lui qui mit son espérance dans le Seigneur ; et l’on dit à cette occasion : c( Jacob a tressailli d’allégresse, et Israël sera comblé de joie. » Joseph chante : Domine, quis habitabit, lui qui fut sans tache en refusant de commettre l’adultère. Or, le second nocturne du dimanche ou les trois psaumes que l’on dit maintenant avec trois antiennes et trois Gloria Patri, rappellent la résurrection de ceux qui vécurent sous la loi mosaïque.

XXIII. Et, quoique à cette époque il y ait eu beaucoup de saints, cependant il n’y en eut que trois ordres, c’est-à-dire le Législateur et ses imitateurs, le Psalmiste et les siens, et les prophètes. Car il y en eut qui s’appliquèrent à quelque point de doctrine de la loi ; il y en eut d’autres qui, avec David ou à son exemple, chantèrent des psaumes devant l’Arche du Seigneur. Il y eut aussi des prophètes, auxquels il fut donné de corriger le peuple par la doctrine et la sagesse qu’ils avaient reçues de Dieu, et de lui prédire les choses à venir. A cause de ces trois ordres, nous disons trois psaumes ; et, parce que ces trois ordres ont servi la Trinité avec une affection spirituelle, c’est pour cela qu’à chaque psaume nous disons Gloria Patri avec l’antienne. Or, ceux qui disent tous les psaumes du premier nocturne sous une seule antienne, et tous ceux du second sous trois antiennes, font attention à ceci, que, si quelque vérité a été révélée à ceux qui vécurent sous la loi naturelle, il en fut pourtant révélé davantage à ceux de la loi de Moïse ; de là, pour ceux-ci, une plus grande jubilation, désignée par les trois antiennes. I’]n outre, à ceux qui vécurent sous la loi de nature, l’héritage fut promis ; mais il fut donné à ceux de la loi mosaïque. Et remarque qu’à la première époque du temps de la loi veillèrent les prêtres, comme Aaron, lequel enseigna, desquels parle le Psalmiste dans le psaume Conserva me ; et ils eurent le Seigneur pour portion de leur héritage et de leur calice. Dans la seconde, les juges, comme Gédéon pendant sa judicature, dont parle le Psalmiste, en disant : Exaudi, Domine, justitiam meam, et dont les jugements sortirent de la face du Tout-Puissant. Dans la troisième, les rois, comme Salomon, qui protégea le peuple, et que le Psalmiste a en vue dans le psaume Diligam te ; ce sont eux que le Seigneur établit sur les nations.

XXIV. Mais dans le troisième nocturne nous disons trois psaumes, pour remémorer la résurrection de tous ceux qui, dans le temps de la grâce ou sous la nouvelle alliance, ont fleuri et fleuriront dans les trois parties du monde, dans l’Asie, l’Afrique et l’Europe. Et, comme c’est dans le temps de la grâce surtout qu’ont eu lieu la révélation et l’accomplissement de la vérité, c’est pourquoi ces psaumes se chantent plus souvent avec des antiennes où se trouve Alleluia, pour mieux désigner la joie, comme nous le dirons plus complètement dans la sixième partie, à Noël. De là vient encore que dans certaines églises, à tous les troisièmes nocturnes, soit des dimanches, soit des fêtes, on joint des leçons tirées du Nouveau-Testament, c’est-à-dire des explications de l’Evangile, et on dit le Te Deum.

XXV. Et remarque qu’à la première époque du temps de grâce ont veillé les apôtres, qui sont désignés dans le psaume Cœli enarrant, parce que le son de leur voix se répandit sur toute la terre ; dans la deuxième, les martyrs, dont parle le Psalmiste, en disant : Exaudiat te, parce que le Seigneur les a protégés au jour de leur tribulation ; dans la troisième, les confesseurs, que le Psalmiste entend par ces mots : Domine in virtute, eux qui n’ont pas été trompés par la volonté de leurs lèvres. Il y a donc entre les douze psaumes du premier nocturne, qui se disent sans antiennes, parce qu’aucun d’eux n’a d’antiennes, et les trois psaumes des autres nocturnes, qui se disent avec des antiennes, la même différence que celle qui existe entre les douze patriarches, qui étaient voyageurs et espéraient l’héritage que possédèrent leurs descendants, et ces mêmes descendants, qui héritèrent de la terre promise à leurs pères ; et entre ces trois psaumes du troisième nocturne, qui se disent avec des antiennes où se trouve Alleluia, et ceux du second nocturne, qui se disent avec des antiennes sans Alleluia, il y a la même différence que celle qui se trouve entre ceux qui eurent le Testament à imiter et ceux qui l’ont, mais non à imiter : car la gloire du Nouveau surpasse celle de l’Ancien-Testament, et les dons valent mieux que les promesses.

XXVI. Or, les trois nocturnes précités sont les trois années du figuier que le Seigneur trouva inutile, en disant de lui : a Laissez-moi-le couper, » et on lui répondit : « Epargne-le encore cette année, et je creuserai tout autour, et je mettrai du fumier au pied de ce figuier. » Car nous chantons au premier nocturne, afin que, rappelant les faits de nos pères qui vécurent sous la loi de nature, nous ne soyons pas trouvés inutiles. Nous chantons aussi au second et au troisième nocturnes, afin que, rappelant ce qu’ont fait nos pères qui nous ont précédés sous la loi mosaïque et aussi sous la loi de grâce, nous ne soyons pas trouvés inutiles ; et, si nous sommes inutiles, il faut que notre Père creuse autour de nous, et que, nous rappelant à la mémoire la mort de ceux que nous avons vu fleurir un peu auparavant, il nous dise : Vois, mon fils, combien cet homme a été fort, noble, riche et puissant, et voilà qu’il a passé en un instant. Il faut aussi qu’il mette autour de nous du fumier, c’est-à-dire nos péchés, en nous les plaçant devant les yeux ; et, si cela n’a pas d’effet, qu’il dise : « Le temps approche où le Seigneur mettra la hache à la racine de l’arbre, » et, s’il te trouve inutile, il te jettera au feu éternel, où tu brûleras pour l’éternité.

XXVII. Après avoir parle des nocturnes des solennités et des dimanches, disons quelques mots des nocturnes des féries ou des jours non solennels. Dans ces nocturnes, nous disons douze psaumes, pour montrer que nous devons servir Dieu aux douze heures de la nuit, en rapportant un psaume à chaque heure, puisque nous ne pouvons servir Dieu continuellement, comme nous l’avons dit dans la préface. Jadis, on chantait un nombre de psaumes indéterminé, car les uns en chantaient cinquante, d’autres plus, d’autres moins ; mais, après la révélation d’un ange, les Pères convinrent qu’on en dirait douze. Ces psaumes sont joints deux à deux, et cela pour marquer que sans la charité, qui n’a lieu qu’entre deux personnes au moins, nos louanges ou nos œuvres ne servent de rien. Cependant, dans certaines églises, aux jours ordinaires, on intercale un Gloria Patri entre deux psaumes, pour marquer que le Christ est médiateur entre Dieu et les hommes. Mais, dans d’autres églises, on termine deux psaumes sous un Gloria Patri, pour marquer que nos louanges seront agréables à Dieu, si nous demeurons dans la charité. Et ainsi on n’intercale rien entre deux psaumes ; car entre Dieu et le prochain, dans l’amour desquels consiste proprement la charité, il n’y a pas de milieu ; et d’après cela, dans les douze psaumes on ne dit le Gloria Patri que six fois, de même que le monde a six âges. En outre, de même que les hommes, depuis leur naissance jusqu’à leur mort, passent naturellement par six âges différents, ainsi dans le nocturne de chaque jour on dit six fois Gloria Patri, afin que nous nous rappelions que jusqu’à la fin nous devons persévérer dans la charité ; et, pour la même raison, alors on dit six antiennes, dont nous avons donné la signification dans la préface, ou à cause des six œuvres de miséricorde dont l’observation nous fera parvenir des ténèbres de cette nuit ou de la mort à la vraie lumière et à la vie éternelle.

XXVIII. Les trois leçons qui sont dites alors désignent la doctrine des élus des trois temps ; à ces leçons on ajoute trois répons, pour marquer que tout ce que les élus ont enseigné dans les trois temps et tout ce que nous faisons dans les trois âges, nous le rapportons à la Trinité du Seigneur, et nous glorifions la Trinité dans la foi, l’espérance et la charité. Car répons vient de respondendo (en répondant). A cela on ajoute trois leçons, parce que Dieu a placé trois veilles, en disant : « S’il vient à la première, à la seconde, à la troisième, et qu’alors il vous trouve ainsi veillant, très-heureux sont ces serviteurs ! » Ces trois veilles désignent les trois âges, c’est-à-dire l’enfance, la jeunesse et la vieillesse, pendant lesquels, en veillant assidûment, nous devons louer le Seigneur.

XXIX. Et remarque que la psalmodie des trois nocturnes, tant du dimanche que des jours ordinaires, est appelée dieta[1] (régime). D’où on lit dans l’Exode (c. iii) : « Nous cheminerons pendant trois jours dans la solitude. » Ce fut Grégoire VII qui régla que le jour de Pâques jusqu’au samedi in albis, et le jour de la Pentecôte jusqu’au même samedi, on ne dirait aux nocturnes que trois psaumes et trois leçons ; que tous les autres jours, pendant toute l’année, quand il y a une solennité on dira neuf leçons ; mais que les autres jours, c’est-à-dire dans les fêtes, on dirait douze psaumes et trois leçons ; et que les jours de dimanches, excepté le dimanche de Pâques et de la Pentecôte, on dirait dix-huit psaumes et neuf leçons. Or, ceux qui chaque jour, excepté les semaines de Pâques et de la Pentecôte, ne disent que trois psaumes et trois leçons, n’agissent pas ainsi d’après la règle des saints Pères, mais par l'ennui que leur cause la règle véritable.

XXX. Quand les nocturnes sont achevés, on sonne les cloches et on chante le Te Deum à haute voix, pour marquer que l’Eglise, dans le temps de grâce, loue Dieu manifestement et d’une manière admirable, et pour marquer que, si nous répondons bien à la sainte doctrine par nos bonnes œuvres, nous parviendrons à la louange céleste avec les anges. Le chant, qui alors retentit à pleine voix, désigne la joie de la femme qui a perdu sa drachme et l’a ensuite retrouvée. La fin de ce cantique, à partir de Per singulos Dies, etc., et les autres versets suivants, qui sont chantés dans un ton plus élevé, représentent les voisines de cette femme, qui la félicitent d’avoir retrouvé sa drachme. Les cloches, que l’on met en volée, représentent la convocation des voisines, ou l’appel fait par cette femme à ses voisines. Dans certaines églises aussi, on allume les cierges ; car cette femme alluma aussi son flambeau et bouleversa toute sa maison. Cela signifie encore que l’Eglise catholique est arrachée à l’enfer par le Christ ; ou bien ce cantique lui-même représente la joie future et l’allégresse qu’éprouvera l’Eglise lorsqu’elle se reposera de ses fatigues au jour du jugement.

XXXI. Et il ne faut pas ignorer que, lorsque le bienheureux Ambroise eut tiré saint Augustin des erreurs des manichéens et l’eut baptisé, il s’écria : Te Deum laudamus, « Nous te louons, ô Dieu ! » Et le bienheureux Augustin répondit : Te Dominum confitemur, « Nous te confessons, Seigneur. » Et saint Ambroise ayant ajouté : Te æternum Patrem, etc., Augustin répondit : Tibi omnes angeli, etc. Et c’est en alternant ainsi qu’ils composèrent l’hymne tout entière. Après le Te Deum laudamus, ou, quand on ne le dit pas, après toutes les leçons et tous les répons, le prêtre dit le verset par lequel il engage les auditeurs à persévérer dans la louange de Dieu ; et il ledit d’une voix plus basse, pour marquer que le cri de la voix sans le cri du cœur n’est rien.

XXXIL Mais le bienheureux Benoît régla autrement l’office de la nuit, sans pourtant se mettre en désaccord avec l’ordre précité de l’Eglise ; ou bien, s’il s’en écarta en quelque point, il rangea dans un ordre qui lui était propre chaque article particulier : car il décida qu’on ne dirait qu’une fois Deus in adjutorium meum intende, etc., et qu’on dirait trois fois Domine labia mea aperies, par respect pour l’unité et la Trinité. Ensuite il introduisit le psaume Domine, quid multiplicati sunt, parce qu’en se réveillant de son sommeil on dit, dans ce psaume : Ego dormivi et somnium cœpi, etc. Il régla ensuite qu’on chanterait au premier nocturne six psaumes et quatre leçons avec autant de répons, et autant dans le second nocturne, désignant par là la vie contemplative et active. Car le nombre six des psaumes désigne la vie active, dans laquelle il convient d’exercer les six œuvres de miséricorde, si l’on veut parvenir à la perfection de la vie contemplative, désignée par les quatre évangiles et figurée également par les quatre leçons. Or, le nombre quatre, chez les moines, exprime la stabilité carrée et évangélique dans les saints, ou le quadruple sens des Ecritures, à cause des quadriges (chars attelés de quatre chevaux) d’Aminadab, c’est-à-dire le sens historique, allégorique, tropologique et anagogique. Dans le troisième nocturne, il introduisit le chant de trois cantiques en l’honneur de la Trinité, par qui nous croyons et espérons que la perfection de la vie nous sera donnée avec la charité. Or, ces cantiques sont accompagnés de l’Alleluia, qui est le cantique de la joie céleste, afin que par là on indique que toute la Trinité est digne des célestes louanges, et que pour la louer pleinement (et comme elle doit l’être), les louanges humaines sont insuffisantes. Or, les quatre leçons tirées de l’Evangile, et qui suivent, signifient que les adorateurs de Dieu, par la doctrine des quatre évangélistes, doivent être ornés des quatre vertus cardinales ; par les quatre répons, on désigne l’allégresse de ceux qui louent Dieu. Et, afin que ceux qui pratiquent le bien ne se l’attribuent pas à eux-mêmes, mais le consacrent tout entier à la gloire de Dieu et ne se montrent pas esclaves d’eux-mêmes, on ajoute : Te Deum laudamus ; ensuite, on lit l’évangile, qui signifie le denier, c’est-à-dire la vie éternelle, qui sera donnée à la fin à ceux qui louent Dieu dignement. Ensuite vient Amen, c’est-à-dire : « Que cela nous arrive, que nous croyons et espérons, » formule tirée de l’évangile. Suit après l’hymne Te decet laus, etc., qui signifie la joie que les saints éprouvent de la récompense du denier qu’ils reçoivent après leurs travaux.

XXXIII. Les moines ne disent jamais neuf leçons, si ce n’est aux funérailles des morts ; d’où vient que, dans les trois jours qui précèdent Pâques, ils en disent neuf, comme pour représenter les funérailles du Seigneur. A laudes, saint Benoît, le premier, ordonna que l’on chanterait le psaume Deus miseretiur nostri, sans antienne, tant parce que l’on chante matines et laudes au point du jour, lorsque les ténèbres commencent à disparaître, ce qui fait que l’on dit dans ce psaume : Illuminet vultum suum super nos, que parce que cet office appartient à la résurrection du Seigneur, par laquelle nous avons reçu miséricorde et bénédiction.

XXXIV. Les moines disent encore l’oraison dominicale en élevant la voix, à cause des simples, qui ne la comprennent pas ou qui l’oublient ; et aussi à cause des fourbes, qui, portant dans leur cœur l’épine de la haine, haïssent leurs frères, ne voulant pas dire : « Pardonne-nous nos offenses, comme nous les pardonnons à ceux qui nous ont offensés. » Et c’est pour les purifier de ce vice qu’on les force de dire ces paroles en public, tant à la fin de la nuit, c’est-à-dire à matines et laudes, qu’à la fin du jour, c’est-à-dire à vêpres ; de sorte que la nuit ou le jour ne se passe pas sans qu’ils se réconcilient avec leur frère. Mais aux autres heures ils ne disent pas le Pater à haute voix, car il arrive souvent à un frère de se mettre en colère contre son frère, et d’être saisi par certains mouvements impétueux de fureur ; et, quoiqu’il ne réprime pas aussitôt ces mouvements, cependant il peut attendre pour en obtenir le pardon, et il suffit que le soleil ne se couche pas sur sa colère. Ils disent encore quatre psaumes seulement à vêpres, comme on le verra dans la sixième partie, au chapitre du Temps de l’Avent.

XXXV. Ce n’est pas non plus sans quelque raison mystérieuse que les moines se portent de tout leur corps d’orient en occident, pour signifier que Dieu doit être adoré partout, puisqu’il est présent partout ; ou pour marquer, par un mouvement raisonnable, que, depuis le commencement jusqu’à la fin de notre vie, nous sommes tenus de le suivre, comme aussi le firmament s’étend naturellement d’orient en occident. Dans certaines églises, on désigne aussi la même chose en disant Gloria Patri, car on s’incline vers l’orient ; et en ajoutant Sicut erat, on se tourne à l’occident ; car on doit conserver la dévotion dans les offices divins. Mais, comme l’office des moines ne nous concerne pas, qu’il nous suffise sur ce sujet d’avoir dit ceci pour à présent.

XXXVI. En dernier lieu, il est prouvé que l’ordre des moines figure l’ordre des chérubins, qui, parmi les ordres angéliques, sont considérés comme les plus distingués. En effet, comme les chérubins, les moines sont voilés de six ailes. L’Ecriture, touchant les chérubins, dit : « L’un a six ailes, l’autre six également. » Chez les moines, on trouve deux ailes dans le capuchon qui voile la tête ; cette partie de la tunique qui s’étend au bras droit et au bras gauche (les manches) représente deux autres ailes ; les deux parties qui se trouvent devant et derrière figurent encore deux autres ailes ; et ainsi, l’habit pris en entier représente certainement six ailes. Le costume des moines imite aussi celui des saints ; car on dit, touchant Elie, que c’était un homme couvert de poil, et qu’il avait autour des reins une ceinture de peau. L’Apôtre dit de lui et de ceux qui lui ressemblèrent : « Ils vécurent couverts de peaux de brebis et de peaux de chèvre. » Et l’Evangéliste dit de saint Jean-Baptiste, qu’il avait autour des reins une ceinture de peau de bête.

XXXVII. La coule (cuculla) des moines vient du collobium des apôtres, qui avait la forme d’une dalmatique, et qui portait une croix pardevant (ou bien qui était fait pardevant en forme de croix), parce qu’ils crucifiaient en eux les vices et la concupiscence. Sa couleur noire signifie le mépris du monde ; sa longueur, la persévérance dans le bien.

  1. Du Cange, verbo Dieta, 3, dit : « Dieta, Cursus Ecclesiae ordinarius, seu officiurn quod quotidie celebrari solet in matutinis horis. » — Jean Beleth (De Divin. Offic., cap. 21) : « In noctibus istorum dierum, qui solemnes non sunt, psalmi duodecim, quos vulgus dietam vocant, cum sex antiphonis canuntur, ac très lectiones totidemque responsaria recitantur. »