Rational (Durand de Mende)/Volume 2/Cinquième livre/Chapitre 02

Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 3p. 8-51).


CHAPITRE II.
QU’EST-CE QUE L’OFFICE ; DE SON INSTITUTION ET DE SES PARTIES.


I. Selon saint Isidore, l’office est un acte propre et proportionné aux personnes, aux mœurs des villes, ou à la profession que l’on a embrassée ; car autre est la règle des moines, autre celle des chanoines, autre celle des ermites, et ainsi du reste. Office, d’après saint Jérôme dans le livre des Offices, vient de efficiendo, en faisant, en agissant, comme si l’on disait : efficium, d’efficio, efficis, en changeant une lettre en une autre, pour la grâce de l’expression (efficere officium) ; à chacun, en effet, il convient de remplir son office. Ou, selon saint Isidore, on dit office pour que chacun fasse des actes qui ne nuisent à personne, mais soient utiles à tous.

II. Au reste, généralement dans l’Eglise il ne faut rien chanter ou lire qui n’ait été réglé ou approuvé expressément, ou tout au moins toléré par la sainte Eglise romaine. Pourtant, dans la primitive Eglise chacun chantait à sa guise, les uns une chose, les autres une autre, pourvu que les chants se rapportassent à la louange de Dieu. Tous, cependant, observaient certains offices établis dès le commencement, ou par le Christ lui-même, comme l’oraison dominicale, ou par les apôtres, comme le symbole.

III. Mais dans la suite des temps, l’Eglise de Dieu étant déchirée par les hérésies, l’empereur Théodose, le fléau des hérétiques, pria le pape Damase de charger un homme prudent et catholique de régler l’office ecclésiastique. C’est pourquoi ce même pape ordonna au prêtre Jérôme, qui se trouvait alors à Bethléem avec Paule et Eustochie et d’autres vierges encore, et qui auparavant avait vécu à Rome sous sept papes, de régler l’office de l’Eglise. Jérôme connaissait quatre langues, l’hébreu, le grec, le chaldéen et le latin ; il obéit aux ordres du pape ; il régla donc le nombre des psaumes qui seraient chantés le dimanche, le lundi, le mardi, et ainsi de suite. Il fit de même pour les évangiles, les épîtres tirés de l’un et de l’autre Testament et qui sont lus dans l’Eglise, et organisa même le chant en grande partie. Il envoya à Rome un exemplaire de cet ouvrage, qui fut approuvé par le pape Damase, et dont l’observation fut ordonnée et recommandée à toutes les églises par l’autorité du même pape Damase. (C. de veter. jur. enu., L. Tanta.)

IV. Cependant, dans la suite le bienheureux Grégoire et le pape Gélase y ajoutèrent des oraisons et des chants, et ils adaptèrent des répons aux leçons et aux évangiles. Ambroise, Gélase et Grégoire intercallèrent dans la messe le chant des graduels, des traits et des alleluia. La plupart des autres docteurs de l’Eglise y ajoutèrent encore quelques autres choses. Car les saints Pères n’ont pas réglé tout d’une fois, mais à différentes époques, tout ce qui a rapport à la beauté de l’office. C’est ainsi que le commencement de la messe a trois variantes ; car autrefois on la commençait par une leçon, comme cela se pratique aujourd’hui le Samedi saint. Dans la suite, le pape Célestin ordonna de réciter les psaumes qui se trouvent à l’introït, et saint Grégoire régla l’introït avec le chant.

V. On lit dans la Vie du bienheureux Eugène, que dans le temps que l’office ambrosien était encore préféré dans l’Eglise à l’office grégorien, le pape Adrien convoqua un concile où il fut statué que l’office grégorien devrait être universellement observé ; et, pour arriver à ce but, l’empereur Charlemagne, par des menaces ou par des peines (suppliciis), contraignait tous les clercs des diverses provinces à brûler les livres de l’office ambrosien. Or, le bienheureux Eugène étant venu à un concile convoqué à ce sujet, trouva le concile déjà dissout depuis trois jours ; il engagea alors le pape à rappeler tous les prélats qui avaient assisté à ce concile, et qui déjà étaient partis depuis trois jours. Quand le concile fut de nouveau réuni, tous les Pères furent d’avis unanime qu’on plaçât le Missel ambrosien et le Missel grégorien, munis du sceau de plusieurs évêques, sur l’autel de l’apôtre saint Pierre, et qu’on fermât les portes de l’église, et ils devaient eux-mêmes passer toute la nuit en prières, pour que le Seigneur indiquât par quelque signe lequel des deux Missels devrait être conservé par l’Eglise. Tout fut fait comme il était convenu. Or, le matin, étant entrés dans l’église, ils trouvèrent les deux Missels ouverts par le milieu sur l’autel, ou, comme d’autres l’assurent, ils trouvèrent le Missel grégorien entièrement détaché et les feuilles dispersées çà et là, et le Missel ambrosien seulement ouvert à l’endroit où il avait été placé. Et, par ce signe d’en haut, ils apprirent que l’office grégorien devait être dispersé dans l’univers, tandis que l’office ambrosien ne devait être observé que dans l’église de Milan ; aussi y est-il encore conservé jusqu’à ce jour. Mais ce fut surtout du temps de Charlemagne que l’office ambrosien tomba en désuétude, et que l’office grégorien se propagea, grâce à l’autorité impériale[1]. Or, saint Ambroise suivit en beaucoup de points le rit des Grecs, comme on le dira plus bas lorsqu’on traitera des hymnes.

VI. Or, pour chasser les mouches, sujettes à la mort ; pour assérénir l’ame par la prière, afin de converser dignement avec Dieu, et de peur que si l’on ne prie pas de cœur le Seigneur ne s’irrite dans sa fureur, afin qu’il nous prenne en pitié, par une louable coutume qui a été introduite dans l’Eglise, le prêtre, avant le commencement des heures canoniques et à la fin de l’oraison dominicale, avant les heures de la bienheureuse Marie et à la fin, récite à voix basse l’Ave Maria, etc. ; d’où il a été statué dans le Concile de Gironne (De consec., d. v) que toujours, et après chaque heure en particulier, on dirait l’Ave Maria, afin que le diable n’enlève pas du cœur du prêtre le bien qui peut y avoir été semé. D’où, dans la primitive Eglise, on le disait à haute voix après chaque heure, sans autre prière que celle-là ; ce qu’on observe encore, dit-on, dans l’église de Latran. Plusieurs encore, à la fin des heures, disent : « Que le Seigneur nous donne sa paix » (Dominus det nobis suam pacem). On parlera de cette oraison dominicale aux articles de Prime et de Vêpres.

VII. Or, comme le Seigneur dit, dans l’Evangile : « Sans moi vous ne pouvez rien faire, » c’est pour cela qu’à chaque heure du jour le prêtre commence ainsi : « Dieu ! viens à mon secours ; » et chacune est terminée par ces mots : « Rendons grâces à Dieu. » Ainsi, le commencement et la fin sont rapportés au même, c’est-à-dire à Dieu, qui est l’alpha et l’oméga, le commencement et la fin (xxxv d., Ab exordio). En disant donc : Deus in adjutorium, etc., notre mère l’Eglise invite les hommes, d’après ces paroles du Psalmiste : « Venez, mes fils, et écoutez-moi. » Cette formule a été introduite, parce que, pendant qu’on levait l’Arche pour la porter sur les épaules. Moïse disait : « Lève-toi, Seigneur ; » c’est-à-dire : « Permets qu’on enlève ton Arche sainte, que tes ennemis soient dissipés, et que ceux-là fuient loin de ta face qui haïssent ton nom. » Ainsi, chez nous le prêtre dit : a Seigneur, viens à mon secours, » c’est-à-dire prête-moi ton assistance pour me relever de mes péchés, et contre les différents ennemis qui assiègent ton Eglise ; car, par l’Arche on entend l’Eglise, qui jusqu’à la fin sera environnée de persécuteurs déclarés ou secrets, comme l’Arche était entourée d’ennemis. Le prêtre prie donc pour que les ennemis ne puissent quelquefois prévaloir, en séparant par ruse quelque membre de l’assemblée des fidèles. En effet, comme la persécution du juste vient du lion, c’est-à-dire des attaques du diable, savoir, du diable attaquant ouvertement, ou du dragon, c’est-à-dire du diable tendant des embûches, savoir, du diable persécutant d’une manière occulte, tous s’écrient : « Dieu, viens à mon secours, » (VII, q. i, § Cum vero prœterea) ; car, selon l’Apôtre, on doit faire toutes choses au nom de Dieu (XXXVI, q. ult., Non ohservetis), c’est donc à juste titre qu’on doit commencer par lui.

VIII. À ce sujet, il faut remarquer qu’il nous arrive de pécher de trois manières : par le cœur, par la bouche et par les œuvres. C’est pour cela qu’on commence les heures de trois manières différentes, à savoir : complies, par Converte nos, Deus, etc., contre le péché matinal du cœur ; par Domine, labia mea aperies, « Seigneur, tu ouvriras ma bouche, » contre le péché commis par la bouche ; et toutes les autres heures du jour, par Deus in adjutorium, contre les péchés d’actions ; et, comme dans le péché du cœur et de la bouche il entre quelque chose qui appartient au domaine de l’acte, c’est pour cela qu’à toutes les heures, tant du jour que de la nuit, on dit : Deus in adjutorium meum intende, contre le péché d’action. Or, les moines disent d’abord, aux nocturnes : « Seigneur, viens à mon secours ; » ensuite : « Seigneur, tu ouvriras mes lèvres, » parce que, sans l’aide de Dieu, ni le cœur, ni les lèvres ne peuvent s’ouvrir pour louer le Seigneur. On lit en saint Jean ( chap. xv) : « Sans moi vous ne pouvez rien faire. »

IX. De plus, le prêtre, en disant : Deus in adjutorium, se munit du signe de la croix pour se soustraire à la vertu, c’est-à-dire à la malice et à la puissance du diable. Car le diable craint beaucoup le signe de la croix ; d’où saint Chrysostôme dit : « Partout où les démons voient le signe de la croix, ils fuient, craignant le bâton d’où proviennent les plaies qu’ils ont reçues. » Le pape Etienne (De consec., d. v) dit aussi : « Est-ce que tous les chrêmes, c’est-à-dire les sacrements, qui se font avec l’onction du chrême, ne se consacrent pas par la figure, c’est-à-dire par le signe de la croix du ministère sacerdotal ? Est-ce que l’eau du baptême, sanctifiée sans le signe de la croix, est capable de délier les péchés ? Et, sans parler des autres sacrements, qui jamais gravit les degrés du sacerdoce sans être marqué du signe de la croix ? De plus, celui qui s’approche du baptême est marqué du signe de la croix sur le front et sur la poitrine. » Or, nous parlerons, dans la sixième partie, de ce profond mystère de la croix, au chapitre du Vendredi saint ; et pourtant nous allons en dire ici quelques mots.

X. La croix du Seigneur a été préfigurée d’un grand nombre de manières, dans l’Ancien-Testament. Car on lit que Moïse, par ordre du Seigneur, érigea dans le désert un serpent d’airain sur un poteau, et le plaça pour servir de signe, et, en le regardant, tous ceux qui avaient été mordus par les serpents étaient guéris sur-le-champ (Num., xx). Le Christ lui-même, donnant l’explication de la figure du serpent d’airain, dit, dans l’Evangile : « Comme Moïse a élevé le serpent d’airain dans le désert, ainsi il faut que le Fils de l’homme soit élevé, afin que quiconque croira en lui ne périsse pas, mais ait la vie éternelle. » On lit encore que Joseph, ayant conduit vers Jacob Manassès et Ephraïm, il plaça l’aîné à sa droite et le plus jeune à sa gauche, afin que chacun reçût suivant son âge la bénédiction du patriarche ; mais Jacob, changeant l’ordre de ses mains, c’est-à-dire les croisant ou les plaçant en forme de croix, plaça sa main droite sur la tête d’Ephraïm, le plus jeune, et sa main gauche sur celle de Manassès, l’aîné, et dit : « Que l’ange qui m’a délivré de tous mes maux bénisse ces enfants, etc. » Et, dans le même sens, Moïse dit jour et nuit : « Notre vie sera comme en suspens (pendens), et vous verrez, et vous comprendrez » (Deut., xxviii). Or, le Christ, pendant la nuit, resta attaché à la croix (pendens), puisque les ténèbres commencèrent à la sixième heure et se prolongèrent jusqu’à la neuvième ; que le Christ ait été suspendu (pendens), cela ne fait pas de doute. On lit encore dans Ezéchiel {c. ix) : « Ezéchiel entendit le Seigneur qui disait à l’homme vêtu de lin et qui avait une écritoire suspendue aux reins : « Passe au travers de la ville, et marque un thau sur le front des hommes qui gémissent et qui sont dans la douleur ; » et ensuite il dit aux sept hommes : « Passez au travers de la ville, et frappez tous ceux sur le front desquels vous ne verrez pas l’empreinte du thau ; personne n’échappera à votre œil. » Et Jérémie dit : « Je rassemblerai toutes les nations qui seront marquées du thau. » Et ailleurs : « Et sa principauté sera sur son épaule. » Car le Christ a porté sur ses épaules sa croix, par laquelle il a triomphé. Saint Jean vit aussi un ange qui montait aux cieux, à partir de l’endroit où le soleil se lève, et portait le signe du Dieu vivant ; et il criait d’une voix puissante, aux quatre anges auxquels il avait été donné de nuire à la terre et à la mer : « Gardez-vous de nuire à la terre, et à la mer, et aux arbres, jusqu’à ce que nous ayons imprimé un sceau sur le front des serviteurs de Dieu. » Ainsi, on lit encore dans l’Exode que le bois jeté dans Marah en adoucit les eaux, et que, lorsque l’on eut jeté du bois dans le Jourdain, le fer qui se trouvait au fond surnagea ; ce qui signifie le bois de vie au milieu du paradis, que le Sage assure être un bois béni, par lequel s’opère la justice ; car Dieu a régné par le bois.

XI. L’Eglise s’arme de ce signe de la croix, en le marquant sur le front et sur la poitrine, pour signifier qu’il faut croire de cœur le mystère de la croix et l’avouer hautement de bouche. Car c’est par ce signe que la cité du diable est confondue et que l’Eglise triomphe, terrible comme une armée rangée en bataille, d’après ces paroles : « Ce lieu-ci est un lieu terrible ; » et ailleurs : « J’ai vu la grande cité, la cité sainte, la nouvelle Jérusalem. » Saint Augustin dit cependant (xi dist., Ecclesiasti camin.) que rien, dans l’Ancien ni le Nouveau-Testament, n’indique que les fidèles doivent se marquer du signe de la croix.

XII. Or, on doit faire le signe de la croix avec trois doigts, parce qu’il se fait sous l’invocation de la Trinité, dont le Prophète dit « qu’elle soutient de trois doigts la masse de la terre » (Esa., xl). Cependant le pouce est le plus excellent et l’emporte sur les autres, parce que nous rapportons toute notre foi à un seul Dieu ; et bientôt, après cette invocation de la Trinité, on peut dire ce verset : « Seigneur, fais éclater quelque signe en ma faveur, afin que ceux qui me haïssent le voient et qu’ils soient confondus, parce que toi, Seigneur, tu m’as aidé et tu m’as consolé. » Or, les jacobites assurant, comme les eutychiens, qu’il n’y a qu’une seule nature dans le Christ, qui est la nature divine, ne se signent, dit-on, qu’avec un seul doigt, attendu que dans leur système il n’y a qu’une seule personne. Leur erreur est anéantie dans les canons (xii dist., cap. i et ii ; XXIV ; quaest. iii. Quidam, vers. Euticiani).

XIII. Mais il en est quelques-uns qui se signent à la partie inférieure du front, pour marquer ce mystère, que Dieu a abaissé les cieux et est descendu sur la terre. Il est descendu, en effet, pour nous élever de la terre au ciel. Ensuite, ils se signent de droite à gauche : 1° pour marquer qu’ils préfèrent les biens éternels, figurés par la droite, aux biens temporels, désignés par la gauche ; 2° pour désigner que le Christ a passé des Juifs aux Gentils ; 3° parce que le Christ, venant de la droite, c’est-à-dire sortant de son Père, a écrasé avec la croix le diable, figuré par la gauche. D’où ces paroles en saint Jean : « Je suis sorti de mon Père pour venir dans le monde. » D’autres, au contraire, commencent le signe de croix de gauche à droite : 1° s’appuyant sur cette autorité, savoir : la sortie du Christ du sein de son Père, sa descente aux enfers, et son retour dans le sein de Dieu. Ils commencent donc à se signer a la partie supérieure, qui signifie le Père ; descendent à la partie inférieure, qui désigne le monde ; ensuite ils passent à l’épaule gauche, qui signifie l’enfer ; et de là se dirigent à la droite, qui désigne le ciel : car le Christ est descendu du ciel dans le monde, du monde dans l’enfer ; de l’enfer il est remonté au ciel, où il est assis à la droite de Dieu le Père. 2° Ils agissent ainsi pour insinuer que de l’état de misère nous devons passer à la gloire ; des vices, désignés par la gauche, aux vertus, marquées par la droite ; de même que le Christ passa de la mort à la vie, comme on lit dans l’évangile de saint Mathieu. 3° Parce que le Christ, par la foi à la croix, nous élève des choses temporelles aux biens éternels.

XIV. Or, il faut considérer que ceux qui procèdent de gauche à droite font sur les autres la même opération que sur eux-mêmes ; mais alors, quand ils font ce signe de croix sur les autres, ils procèdent de droite à gauche, parce qu’ils ne les signent pas en leur tournant le dos, mais en leur présentant la face : ainsi, lorsqu’ils impriment le signe de la croix sur les autres, tout en procédant pour eux-mêmes de gauche à droite, ils signent les autres de droite à gauche.

XV. Or, nous devons, à toutes les paroles de l’Evangile, faire régulièrement le signe de la croix, comme à la fin de l’évangile, du symbole, de l’oraison dominicale, du Gloria in excelsis Deo, du Sanctus, de l’Agnus Dei, du Benedictus Dominus Israël, du Magnificat et du Nunc dimittis ; et au commencement des heures, à la fin de la messe, quand le prêtre donne la bénédiction, et aussi toutes les fois que l’on fait mention de la croix ou du crucifié ; et nous devons entendre toutes les Ecritures, comme l’Evangile, par exemple, en nous tenant debout. Dans toutes nos actions, nous devons faire le signe de la croix. D’où saint Ambroise dit : « Que le chrétien, dans tous ses actes et dans toutes ses démarches, mette ses mains en croix. »

XVI. Et remarque que la croix présente une figure qui a quatre parties, soit à cause des quatre éléments viciés en nous par le péché et que le Christ a guéris par sa passion, ou à cause des hommes qu’il a attirés à lui des quatre parties du monde, d’après ces paroles : « Quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai tout à moi. » Ou bien ce carré représente l’immortalité ; car il a longueur, largeur, hauteur et profondeur : la profondeur est la partie pointue, qui est fichée en terre ; la longueur s’étend depuis cette partie jusqu’aux bras ; la largeur est l’étendue des bras ; la hauteur s’étend des bras au sommet ; la profondeur signifie la foi, placée à la base ; la hauteur représente l’espérance, qui repose dans le ciel ; la largeur est la charité, qui est à la gauche et qui s’étend aux ennemis ; la longueur est la persévérance, qui est sans fin, et la conclusion de tout. Nous en reparlerons encore à la sixième partie, au chapitre du Vendredi saint. Touchant le signe de croix qui se fait au commencement et à la fin de l’évangile, nous en avons parlé dans la quatrième partie, au chapitre de l’Evangile.

XVII. Après le Deus in adjutorium meum intende, on ajoute aussitôt, à chaque heure, Gloria Patri et Filio, etc., ce Gloire au Père, et au Fils, etc. ; » Sicut erat, etc. Le bienheureux Jérôme écrivit ces deux versets parmi les opuscules qu’il envoya au pape Damase, et, à sa demande, le même Damase ordonna qu’on les chanterait à la fin des psaumes : on dit cependant que c’est le Synode de Nicée qui a publié le verset Gloria Patri. Or, parce que le Seigneur a dit : « Tu n’as pas encore fini de parler, que je suis déjà auprès de toi, » c’est pourquoi, comme si nous comprenions que nous sommes déjà exaucés, nous rendons des actions de grâces à la Trinité, en disant : Gloria Patri.

XVIII. Cependant, aux inhumations on ne dit ni Deus in adjutorium, ni Gloria Patri, en imitation de ce que nous faisons aux funérailles du Sauveur, où nous ne disons pas ces versets, comme nous le verrons dans la partie suivante, au chapitre du Jeudi saint.

XIX. On dit également Gloria Patri après chaque psaume, parce que ce verset est en l’honneur de toute la Trinité dans son unité, car pseaume signifie bonne œuvre. C’est donc avec raison qu’à la fin d’un psaume on doit rendre grâces à Dieu, qui doit toujours être loué pour toute bonne œuvre, maintenant et toujours, comme il devait l’être au commencement, quand il créa le ciel et la terre. Car, de même qu’à lui seul revient la gloire de la création du ciel et de la terre, de même à lui seul aussi revient la gloire de toute bonne œuvre, maintenant et toujours ; car, dans le verset précité : Sicut erat, etc., se trouve la variété de temps multiples. Ainsi, Sicut erat in principio indique le passé ; et nunc, le présent ; et semper, le futur et l’éternité ; in secula seculorum, un grand espace de temps indéterminé ; ce qui a fait dire à Origène : « Toutes les fois que l’on prononce les siècles des siècles, on indique un terme déterminé par Dieu, quoique indéterminé pour nous. »

XX. On lit que Hildebrand, prieur de Cluni, devenu plus tard pape sous le nom de Grégoire, n’étant encore que simple légat, obligea miraculeusement l’archevêque d’Yverdun à avouer le crime de simonie, dont il était accusé ; car ce prélat avait corrompu ses accusateurs, de sorte qu’il ne pouvait être convaincu de crime ; il lui ordonna de réciter le verset Gloria Patri et Filio. L’archevêque dit avec facilité Gloria Patri et Filio ; mais il ne put parvenir à prononcer Spiritui sancto, parce qu’il avait péché contre l'Esprit saint. Ayant donc confessé la faute dont il était accusé, il fut déposé, et aussitôt il parvint à prononcer facilement Spiritui sancto.

XXI. Et remarque que l’on dit vingt-quatre fois Gloria Patri aux nocturnes des fêtes solennelles, comme on le montrera dans la sixième partie, au chapitre du Jeudi saint ; ce qui se fait en l’honneur des douze apôtres, qui sont les douze heures de Dieu, c’est-à-dire éclairées par le vrai soleil du Christ. Ce sont les douze heures éclairant la nuit, c’est-à-dire illuminant l’Eglise, car ils ont prêché le Seigneur de gloire dans la nuit de ce siècle.

XXII. Tullius (Cicéron) dit que la gloire consiste à parler souvent de quelqu’un avec louanges. Saint Ambroise assure que la gloire est une connaissance claire et distincte, accompagnée de louanges. Saint Augustin (v dist.), dans la Cité de Dieu y touchant la gloire du siècle, dit que la gloire est la marque où l’on reconnaît que les hommes pensent bien des autres hommes. Après le Gloria Patri, on ajoute Alleluia, dont nous parlerons au chapitre de Prime.

XXIII. Les hymnes, qui viennent autant de l’institution du pape Gélase que de l’approbation des Conciles de Tolède et d’Agde (1) (De consec., dist. i, De hymnis, et dist. v. Convenit), sont chantées à chaque office divin. Or, le mot grec upnos signifie en latin louanges de Dieu accompagnées de chant, ou voix humaine ajustée à la cadence des vers pour célébrer les louanges de Dieu. Le cantique est le transport de joie de l’ame à la vue des choses éternelles, se manifestant par l’éclat soudain de la voix humaine ; et, comme les psaumes sont des hymnes, on appelle Psalterium le livre des hymnes. C’est pour cela que dans certaines églises on ne chante pas d’hymnes ; ce qu’il ne faut pas cependant approuver, parce que ce n’est pas sans raison qu’elles ont été instituées par les saints Pères. En outre, l’hymne n’est pas toujours la même chose que le psaume. Ainsi, quand nous ne faisons que louer Dieu par les transports de joie de l’ame, c’est pour exprimer ces louanges que nous chantons l’hynme. Or, les psaumes signifient les bonnes œuvres, comme on le dira plus bas.

XXIV. Or, il faut remarquer que dans les offices divins les hymnes précèdent les psaumes ; mais dans les nocturnes, c’est-à-dire à vêpres, à complies, à laudes et à matines (laudibus matutinis), c’est tout le contraire ; car le jour appartient à ceux qui vivent spirituellement et qui ont la joie de la conscience, et la nuit aux pénitents déchirés par les remords de la conscience. L’allégresse du cœur conduit aux œuvres les premiers, dont il est dit : « Chantez au Seigneur un cantique nouveau ; que votre voix éclate avec ardeur en chants dignes de lui. » Les derniers n’arrivent aux transports de joie que par les œuvres ; voilà pourquoi, dans les offices divins, les hymnes précèdent les psaumes ; mais dans les nocturnes, c’est le contraire, comme nous le verrons lorsque nous dirons en quel endroit on chante les hymnes à vêpres et à prime. C’est aussi en nous tenant debout que nous chantons les hymnes, pour montrer, par cette position de notre corps, que nous devons toujours, en louant Dieu, élever nos cœurs vers lui. Cependant, si le cœur ne s’accordait pas avec la voix, il est certain que les cris les plus retentissants ne plairaient pas au Seigneur.

XXV. Or, il existe une différence entre le psaume, l’hymne et le cantique ; car le psaume représente les œuvres, l’hymne les louanges, et le cantique les transports de l’âme, ce dont nous parlerons au chapitre de Laudes et Matines. L’Apôtre parle de ces trois choses aux Colossiens (c. iii), lorsqu’il leur dit : « Chantez des psaumes, des hymnes et des cantiques spirituels ; chantez du fond de votre cœur les louanges du Seigneur. » De ces trois variétés, on peut faire découler toute la musique sacrée du Nouveau-Testament, comme on le dira bientôt. Saint Hilaire, évêque de Poitiers, est le premier qui s’illustra par la composition des hymnes. Après lui florit saint Ambroise. On appelle les hymnes du nom d’ambrosiennes, parce que c’est surtout de son temps qu’on commença à en chanter dans l’église de Milan. Dans la suite, dans les églises d’Occident on appela hymnes toutes les poésies chantées à la louange de Dieu. Saint Augustin, dans le livre des Confessions, rapporte que dans le temps que saint Ambroise était persécuté par l’impératrice Justine, condamnée comme arienne, et qu’il était comme assiégé dans son église avec le peuple catholique, il fit chanter des hymnes et des psaumes, suivant la coutume orientale, pour empêcher le peuple de sécher d’ennui et de chagrin, ce qui ensuite fut adopté par toutes les autres églises. Et remarque que dans certaines églises l’hymne de Noël et celles des fêtes de cette semaine sont chantées sur le même air. La raison en est que les membres sont à la tête comme les saints sont à Jésus-Christ, et participent, comme les membres à l’égard de la tête, à l’influence de l’éternelle béatitude ; parce que ce qui a été commencé à la naissance du Christ a été consommé à sa résurrection, parce qu’alors le sceau de la damnation a été brisé, et le ciel, qui depuis tant d’années était resté fermé a été ouvert. C’est pour cela que dans ce temps, principalement, on célèbre, et avec raison, les solennités des saints, en se servant du même chant que pour les fêtes du Christ. Mais cela n’arrive point pour le chant des hymnes du temps pascal, qui signifie que la gloire des saints n’est pas encore entièrement consommée en eux, à cause du désir qu’ils éprouvent de la résurrection de leurs corps ; ce qui fait qu’ils ne sont pas encore entièrement conformes au Christ.

XXVI. On chante aussi des antiennes à chaque heure, d’après l’institution du bienheureux Ambroise, parce que le bienheureux Ignace, troisième évêque d’Antioche depuis saint Pierre, entendit, lit-on dans l’Histoire tripartite, les chœurs des anges chantant des antiennes sur une certaine montagne. C’est pour cela que les Grecs les premiers ont composé des antiennes, et ont décidé qu’on les chanterait en chœur avec les psaumes, comme dans les chœurs de danse. Cette coutume de chanter les antiennes passa à toutes les églises et s’étendit partout. Or, on dit les antiennes eu égard à la psalmodie à laquelle elles correspondent, comme on dit les répons par rapport à l’histoire. Antienne signifie paroles que l’on dit avant le psaume.

XXVII. Car on commence l’antienne avant le psaume, qui désigne les œuvres, comme l’antienne désigne l’union de la charité ou l’amour mutuel, sans lequel les œuvres ne servent de rien et par où les œuvres commencent à être méritoires. C’est donc avec raison que l’on forme la mélodie du psaume d’après le ton de l’antienne, parce que l’amour forme nos œuvres. D’après cela, antienne vient de anti (vis-à-vis), et de fonos (son, voix), parce que l’intonation du psaume est fondée sur la mélodie de l’antienne, et que la main agit suivant qu’elle est excitée par l’étincelle de la charité. Chaque psaume se trouve entremêlé d’une antienne, parce que la foi opère par l’amour. Mais l’antienne se dit d’une manière imparfaite avant, et d’une manière parfaite après le psaume, parce que la charité, dans cette vie, est imparfaite ; ou ne fait que commencer ; mais dans la patrie céleste elle sera perfectionnée par les bonnes œuvres qui se font ici-bas par la charité, d’après ces paroles d’Isaïe : « Il vit le Seigneur, dont le feu est dans Sion, et le foyer dans Jérusalem. » Cependant, dans les principales solennités on dit très-justement l’antienne avant le psaume, pour marquer que nous devons nous montrer plus parfaits dans la pratique des bonnes œuvres.

XXVIII. On commence aussi par une voix prise dans un chœur, et on termine par plusieurs voix choisies dans un autre chœur, d’abord parce que la charité a son principe dans un seul, c’est-à-dire dans le Christ, et est consommée dans ses membres par lui-même, comme il le dit dans l’évangile de saint Jean : a Je vous donne un commandement nouveau, etc. » Or, Dieu nous ayant aimés le premier, nous devons également correspondre à son amour. En second lieu, pour marquer que la voix des prédicateurs, qui tend toujours à l’unité, avertit chacun de nous qu’il doit donner à son prochain par la charité ce qu’il a acquis par ses œuvres particulières, de telle sorte que si l’un étudie dans les écoles et l’autre ensemence les champs, dans le temps de la moisson le docteur donne la science à l’agriculteur, et ce dernier le pain au docteur.

XXIX. Au reste, l’antienne après les psaumes est chantée communément par tout le peuple, parce que la charité procure à tous une joie commune. De plus, les deux chœurs chantent alternativement, pour désigner l’amour ou la charité mutuelle qui ne peut subsister dans un nombre de personnes moindre que deux. L’antienne réunit les deux chœurs, afin que la charité réunisse deux frères par les bonnes œuvres.

XXX. Saint Isidore dit (lib. vi, (Etymol.) que le mot grec Antifônos signifie en latin voix alternative, parce que les deux chœurs, en se répondant l’un à l’autre, alternent le chant des mélodies, semblables aux deux Séraphins et aux deux Testaments qui se répondent l’un à l’autre. De là vient que les clercs, en chantant les antiennes, ne se tournent pas vers l’autel, mais sont placés face à face, manière de chanter qui, dit-on, nous vient des Grecs.

XXXI. Ainsi, l’antienne est un chant inséré dans l’office divin pour nous récréer, car rien ne récrée mieux l’esprit que la charité. Or, le chant de l’antienne signifie le plaisir de l’esprit, d’après ces paroles du Psalmiste : « Chantez avec goût, car le plaisir a de la saveur quand il vient de Dieu. » — « Alors aussi les mains sont sous les ailes » (Ezech., i). Et on lit dans les Proverbes : « Heureux l’homme qui a trouvé la sagesse, et dont la prudence est consommée ; » parce que celui qui a la joie du cœur au sujet des biens éternels, est facilement consommé en prudence, c’est-à-dire en bonnes œuvres, par lesquelles il assure son avenir. Ou bien encore, d’après Moïse, l’antienne est la voix des anges conversant ensemble. Il y a six antiennes qui se disent avant les nocturnes aux jours fériés ; elles sont tirées des psaumes, et indiquent la perfection des bonnes œuvres ou les six œuvres de miséricorde, parce que le nombre six est parfait. Celles que l’on dit aux laudes à Benedictus, et à Magnificat aux vêpres, sont tirées des évangiles du jour auquel on les lit, excepté celles du jeudi, comme on le dira dans la sixième partie, au Jeudi de la seconde semaine de Carême.

XXXII. Dans certaines églises, à la fin de l’antienne on chante un neume ou chant de joie, parce que c’est le peuple bienheureux qui connaît les jubilations. Or, le neume est un chant d’allégresse, une joie ineffable ou une jouissance de l’ame à l’occasion des biens éternels ; c’est pourquoi on ne doit pas en chanter dans les jours de jeûne ou d’affliction, de même qu’on n’a pas coutume de jouer de la harpe dans les jours de deuil. Le neume se produit sur une seule et dernière lettre de l’antienne, pour marquer que la louange de Dieu est ineffable et incompréhensible ; car une joie ineffable est exprimée par pneuma (souffle, respiration ou aspiration), parce qu’en cet endroit cette joie n’est que goûtée d’avance, et ne peut être ni entièrement exprimée, ni entièrement passée sous silence. C’est pourquoi l’Eglise, avec raison, laisse de côté les paroles et passe au neume, tombant pour ainsi dire en admiration ; car, si elle prononçait des paroles, quelle voix, quelle parole pourrait rendre ce qu’elle éprouve ? Car les paroles ne suffisent pas, l’intelligence ne saisit pas, l’amour même ne peut exprimer ce sentiment. Qui pourrait raconter dans sa plénitude ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’a pas pénétré dans le cœur de l’homme ? On rend donc par le neume, plus expressément que par des paroles, l’immensité de cette joie céleste où les paroles cesseront et où les hommes connaîtront tout. Mais, comme la jubilation dans les grandes solennités n’est le partage que de ceux qui sont parfaits, et que les plus âgés ne se réjouissent pas autant que les plus jeunes, c’est pourquoi, dans certaines églises où le neume ne se dit pas, la voix non significative est remplacée par la voix significative ; car, au lieu de la jubilation et du neume, on chante des tropes et des séquences, où tous, petits et grands, sont admis ; et voilà pourquoi elles sont chantées par tous. En quelles antiennes dit-on le neume ou la jubilation, et pourquoi de préférence dans le temps pascal ? C’est ce que nous verrons au chapitre de Laudes et de Matines. Or, la jubilation a diverses significations et se pratique souvent en divers endroits dans le même répons, comme nous le verrons dans la sixième partie, en parlant de Noël. Nous avons déjà parlé du neume qui se fait à l’Alleluia, dans la quatrième partie, au chapitre de l’Alleluia. Nous dirons de même dans quelles antiennes on dit Alleluia, dans la partie suivante, en traitant de la fête de Noël.

XXXIll. Et remarque que neuma, neumœ, sans p, et au genre féminin, c’est le jubilus dont nous avons parlé. Mais pneuma en grec, écrit par un p, et au genre neutre, signifie le Saint-Esprit ; cependant l’un et l’autre, dans les Ecritures, est souvent pris au féminin. Les neumes qui ont lieu à la messe marquent donc la joie ; ils se terminent plus souvent en e, comme Kurie eleèson, ou en a, comme Alleluia, qu’en d’autres sons, pour marquer la joie spirituelle qui nous a été rendue par l’enfantement de la Vierge, pour laquelle le nom d’Eva fut changé en Ave, lorsque l’Ange lui dit : Ave Maria, d’où viennent ces paroles : Mutans Evœ nomen.

XXXIV. Car la signification de ce nom d’Eve était restée jusqu’à la salutation de l’Ange. Or, les enfants qui naissent d’Adam et d’Eve expriment cette signification en naissant : car les filles alors dans leurs cris prononcent la lettre e, et les garçons la lettre a ; d’où ces vers : « Tous ceux qui naissent d’Adam et d’Eve disent e ou a »[2]. Ces neumes ne signifient donc pas la douleur où nous a plongés la désobéissance d’Adam et d’Eve, comme plusieurs l’ont écrit, mais la joie qui nous a été rendue par la salutation précitée de l’Ange à la Vierge.

XXXV. Il faut encore remarquer que presque partout où se trouve écrit dans le chant le nom de Jérusalem, un neume se produit pour figurer la jubilation de la céleste Jérusalem ; on en trouve un exemple dans Alleluia te decet, que l’on chante le dixième dimanche après la Pentecôte. Il en est de même toutes les fois qu’Alléluia est placé entre deux versets, pour que nous nous réjouissions de la double robe de l’ame et de la chair que nous recevrons. Il y en a un exemple dans Alleluia Pascha nostrum, que l’on chante le jour de la Résurrection, et dans l’Alleluia d’Angelus Domini, que l’on dit le vendredi suivant. L’un et l’autre Alleluia renferment deux versets, comme le montrent les anciens Graduels, et ainsi des autres. Cependant, dans quelques solennités certains versets précèdent l’antienne aux nocturnes, ce dont nous parlerons dans la partie suivante, au dimanche de la Trinité. Après les antiennes que l’on dit à chaque heure du jour et de la nuit, d’après l’institution du pape Damase, on chante les psaumes dans le ton de l’antienne, et ce temps signifie une bonne et divine opération ; d’où David dit : « Je chanterai en ton honneur sur le psaltérion à dix cordes. » Or, il chantait en s’accompagnant de cet instrument, pour marquer que nous devons chanter avec foi les louanges de Dieu sur le psaltérion vivifié par l’Esprit saint, en accomplissant les dix commandements de la loi.

XXXVI. Or, le pape Damase établit que des chantres divisés en deux chœurs chanteraient alternativement les psaumes, et l’on dit les psaumes alternativement, pour marquer les exhortations mutuelles des saints à bien faire ; car dans les temps anciens on les chantait confusément, comme pour les danses : voilà pourquoi les saints Pères réglèrent qu’on les chanterait alternativement, c’est-à-dire qu’une moitié du chœur chanterait un verset, et l’autre moitié chanterait l’autre verset ; et le bienheureux Ignace, le premier, dit-on, établit cette coutume dans l’église d’Antioche, parce que dans une vision il avait entendu les anges chanter les psaumes en deux chœurs, comme nous l’avons déjà dit dans la première partie, au chapitre de l’Eglise. On les chante encore tour-à-tour, pour marquer que l’un doit porter le fardeau de l’autre. Nous chantons aussi les psaumes en nous tenant debout, pour montrer que c’est en persévérant dans les bonnes œuvres que nous remportons la victoire. Car, tandis que le peuple d’Israël combattait contre Amalech, chaque fois que Moïse élevait ses mains le peuple était vainqueur ; mais quand il les laissait retomber le peuple était vaincu (xxxvii d., Si quis vult). Or, l’action de se lever pour se tenir debout signifie la dévotion de notre ame ; et nous montrons, par la position de notre corps, l’affection de notre ame, c’est-à-dire que nous sommes prêts soit à dompter notre chair, soit à nous exercer aux bonnes œuvres. Mais les leçons qui sont notre enseignement, nous les entendons assis et en silence, parce que nous recevons la science assis et en repos. D’où l’Ecclésiastique dit : « Ecris la sagesse dans le temps du repos, et celui qui s’abstient des affaires la recevra. » Et encore : « Les paroles de la sagesse s’apprennent dans le silence et le repos. » Et le Prophète dit : « Le culte de la justice sera le silence. » Nous prions encore les saints en nous tenant debout, pour marquer qu’ils seront dans une perpétuelle joie, d’après ces paroles du Psalmiste : « Nos pieds s’étaient arrêtés à ton entrée, ô Jérusalem ! »

XXXVII. Or, aux heures du jour on dit six psaumes, pour marquer les six œuvres de miséricorde auxquelles doivent s’appliquer ceux qui travaillent à la vigne du Seigneur, comme pour nous exercer pieusement et avec un cœur pur, afin que, délivrés de la servitude du diable, nous parvenions à la liberté de la vie, et que nous recevions en récompense de nos œuvres le denier à la fin du jour. Cependant on les dit avec trois glorifications, pour insinuer la foi à la sainte Trinité, à laquelle toutes les œuvres divines doivent être rapportées. A vêpres on en dit cinq, comme on le verra bientôt ; et les psaumes des heures sont invariables, comme nous le dirons à l’article de Complies.

XXXVIII. Il ne faut pas non plus oublier que l’on chante un seul et même psaume dans les différentes solennités, parce qu’on y trouve des versets qui se rapportent à ces solennités. Par exemple, à Noël nous chantons le psaume Eructavit, à cause du verset Speciosus forma ; nous le chantons encore aux fêtes des Vierges, à cause du verset Adducentur ei virgines, etc. ; à la fête des Apôtres, à cause du verset Pro patribus tuis ; de même on chante à la Nativité le psaume Quare fremuerunt gentes, à cause du verset Dominus dixit ad me ; et dans la Passion du Seigneur, à cause du verset Astiterunt reges terrœ ; et ainsi des autres. En outre, un seul et même mot est pris souvent dans diverses acceptions ; par exemple, le mot templum est pris pour le corps du Christ, comme ici : « Détruisez le temple ; » quelquefois il signifie un temple matériel. Nous chantons le psaume Magnus Dominus, etc., dans la Nativité, à cause de ce verset Suscepimus Deus, etc., verset que nous entendons du temple corporel. Nous chantons encore le même psaume à la fête de la Purification, et là nous l’entendons du temple matériel, dans lequel le Sauveur fut présenté le même jour. Nous parlerons en son lieu de la psalmodie tant de nuit que de jour. Et remarque, d’après saint Jérôme (De consec., dist. v, Non mediocriter), qu’il vaut mieux chanter cinq psaumes avec la pureté du cœur, la sérénité et la présence de l’esprit, que de chanter tout le Psautier avec l’anxiété et la tristesse du cœur.

XXXIX. Enfin, il faut remarquer qu’il y a quinze psaumes graduels qui ont été figurés par les quinze degrés qu’il y avait au temple de Salomon, bâti sur une montagne. Certains appellent ces quinze degrés le cantique des degrés, parce qu’à chacun des degrés précités on chantait un psaume, et le mot graduum est au génitif. Nous avons parlé de ces degrés dans la première partie, au chapitre de l’Autel. Les quinze psaumes précités ont encore été désignés par les quinze degrés d’Ezéchiel, par lesquels il vit que l’on montait dans la cité de Dieu, et dont il est parlé (De pœn., d. ii, Dum scientiam), et dans le chapitre x d’Ezéchiel, où il est d’abord fait mention de sept degrés, puis ensuite des huit autres : car le nombre quinze vient du nombre sept et du nombre huit. Le nombre sept se rapporte à l’Ancien-Testament, parce que l'on y célébrait le septième jour, le septième mois, la septième année. Le nombre huit se rapporte au Nouveau-Testament, à cause de la résurrection unique, qui eut lieu le huitième jour. Nous chantons donc quinze psaumes, pour montrer que nous devons observer les préceptes des deux Testaments. Les cinq psaumes signifient les cinq sens par lesquels nous péchons, et nous ne disons Gloria Patri à aucun d’eux, parce que les péchés que nous commettons par les cinq sens du corps, nous devons nous les imputer à nous-mêmes et non à Dieu ; mais on dit après : Requiem æternam, parce que dans ces psaumes nous prions pour les morts, comme si nous disions : « Nous te prions, Seigneur, de ne pas leur refuser la vie éternelle à cause des péchés commis par les cinq sens du corps, mais de leur accorder le repos éternel, par la miséricorde de Dieu. Dans les dix psaumes suivants, nous implorons la miséricorde de Dieu pour nous, pour nos proches, pour l’assemblée des fidèles et pour les prélats ; et nous y joignons le Gloria Patri, parce que nous sommes délivrés de la chaîne de nos péchés, parce que nous te recherchons, ô Dieu ! de tout notre cœur, parce que nous observons ton Décalogue, et que nous te disons : « Seigneur, ce n’est pas à nous, mais à ton nom qu’il faut donner la gloire. » Le nombre dix vient aussi du nombre sept et du nombre trois : le nombre trois se rapporte aux préceptes de la première table, qui regardent Dieu ; le nombre sept au précepte de la seconde table qui regardent le prochain ; comme si l’on disait que si le Décalogue est observé, c’est par Dieu qu’il l’est. On dit encore des versets à toutes les heures ; car on lit au livre des Nombres que, tandis que l’Arche du Seigneur, qui figurait l’Eglise, reposait dans le tabernacle, Moïse disait : « Reviens, Seigneur, vers la multitude des enfants d’Israël. » Le retour du Seigneur à Israël ne signifie rien autre chose, sinon que Moïse priait Dieu de faire en sorte qu’Israël revînt à lui de tout cœur. Car Dieu, pour qui tout temps est présent, ne peut revenir vers qui que ce soit ; mais revertere signifie : « Fais que nous retournions vers toi. »

XL. Donc, suivant cette coutume on dit les versets afin que si nos esprits se sont égarés dans de vaines pensées pendant le chant des psaumes, devenu pour eux un travail trop fort, ils se tournent à l’audition du verset vers l’orient, c’est-à-dire vers le Christ, qui est notre orient ; ou bien qu’ils rentrent en eux-mêmes, suivant la signification du verset, qui est tiré du mot reversione (retour), et dont la racine est verto, vertis (tourner). De là vient que pendant qu’on dit le verset nous nous tournons vers l’orient ou vers l’autel. C’est donc avec raison que l’on prononce d’une voix élevée et perçante le verset, qui signifie le fruit des bonnes œuvres, pour exciter les paresseux, qui sont dans une espèce de torpeur quand il s’agit de louer Dieu et de comprendre les choses de Dieu ; pour que nous rentrions dans notre propre cœur, afin qu’ayant entendu le verset, nous rappelions à nous toute pensée qui s’en serait échappée à la vue des choses temporelles. Le verset nocturne signifie encore que nous passons de l’office ou du travail des psaumes à l’office du repos, afin que celui qui chantait en se tenant de bout s’asseoie maintenant pour entendre la lecture. D’où versus vient de vertendo (tourner), comme on l’a dit dans la quatrième partie, au chapitre du Graduel. Et remarque que dans certaines églises, le dimanche, après le premier nocturne on dit ce verset : Memor fui nocte nominis tui, Domine ; « Je me suis, pendant la nuit, souvenu de ton nom, Seigneur. » Et après le second on dit : Media nocte surgebam, etc. ; « Je me levais au milieu de la nuit, etc. » Et après le troisième : Exaltare, Domine, etc. Le premier verset, Memor fui, etc., nous montre pourquoi l’Eglise s’est levée de son lit, et il marque en quel temps il faut se lever ; le second, c’est-à-dire Media nocte, nous indique pourquoi il faut se lever, c’est-à-dire ce qui est exprimé dans les paroles suivantes : « pour louer ton nom, Seigneur. » Mais quelques-uns, ne voulant pas mentir, parce qu’ils ne se lèvent pas au milieu de la nuit, au lieu du verset précité disent celui-ci : « Parce que tu allumes mon flambeau, Seigneur. » Cependant, David assure qu’il faut se lever au milieu de la nuit, par ces mots : Media nocte, etc. Et ailleurs : « Je me suis hâté, et j’ai crié de bonne heure, » ce qui est la même chose, car immaturitate est un seul mot. D’où certains livres contiennent in maturitate en deux mots, comme si in maturitate signifiait un temps qui n’est pas encore ouvert pour les travaux. Cependant on trouve encore un autre mot : Prœveni intempesta nocte, « Je me suis levé dans le temps le plus sombre de la nuit, » parce que tempestum, chez les anciens, signifie la même chose qu’opportunum, étant tiré de tempore ou tempestate (temps, saison) ; d’où chez les anciens historiens on lit souvent ces mots : « Ceci arriva in hac tempestate, c’est-à-dire in illo tempore, dans ce temps-là. » D’où vient qu’on dit intempestum ou intempestivum, temps inopportun, c’est-à-dire qui n’est pas favorahle aux opérations de la nuit. Le troisième verset, c’est-à-dire : Exaltare, Domine, se rapporte évidemment au Nouveau-Testament, où notre Sauveur fut exalté selon son humanité. Plusieurs cependant disent alors : « J’ai dit : Seigneur, aie pitié de moi, » parce que l’on ne parvient à la gloire qui a été donnée dans le Nouveau-Testament que par la rémission des péchés.

XLI. Mais on demande pourquoi aux nocturnes les versets se disent avant les leçons, et aux autres heures après les capitules. Je réponds que dans les leçons nocturnes, à cause de leur étendue et de leur grandeur, nous avons coutume de nous asseoir ; et de peur que, par un long repos ou par suite de la fatigue, nous n’oubliions le repos de la doctrine du Seigneur, que les leçons symbolisent, nous occupant de vaines pensées en dormant ou en conversant, c’est pour cela que dans le verset précédent nous sommes engagés à écouter les leçons. Dans les autres heures, comme il n’y a ni autant ni d’aussi longues leçons, il n’est pas nécessaire de s’asseoir ni de dire les versets avant ; ou bien encore, dans les autres heures on dit les versets après les leçons, pour marquer qu’à cause des intervalles des heures on ne néglige point la doctrine du Seigneur. Le verset est encore souvent chanté par des enfants, pour marquer que nos devoirs religieux, remplis avec innocence, plairont à Dieu. Nous parlerons plus bas des versets que l’on dit à vêpres ou à laudes, aux chapitres qui concernent ces offices.

XLII. Et remarque que le verset doit indiquer ou l’état du temps ou celui de l’office. Le verset de prime : « Lève-toi, Seigneur, et aide-nous, » indique l’état du temps, car ces paroles : « Lève-toi, » font entendre le commencement de l’œuvre. De même, lorsque l’on dit le verset de tierce : « Seigneur, sois mon aide et ma protection, et ne m’abandonne pas, » on indique par là le commencement du combat. De même, le verset de sexte : « Le Seigneur me dirige, et rien ne me manquera au lieu de mon pâturage où il m’a placé, » signifie l’état parfait ou de perfection ; le verset de none : « Seigneur, purifie-moi de mes péchés cachés, et fais grâce à ton serviteur des péchés d’autrui, » désigne l’état de l’amour qui se refroidit. Les versets qui se chantent pendant la Passion et la Résurrection indiquent aussi l’état du temps. Le verset de l’office du soir laisse à entendre l’état de l’office, comme : « Vespertina oratio, etc., » et celui-ci : « Dirigatur Domine, oratio, etc., » par où l’on peut comprendre qu’il s’agit d’oraisons du soir. Après le verset, suit l’oraison dominicale, et ensuite les prières dont nous parlerons quand nous traiterons des nocturnes.

XLIIÏ. On dit aussi des leçons à chaque heure tant de jour que de nuit ; on dit les leçons, parce que l’on ne les chante pas comme les psaumes ou les hymnes, mais parce qu’on ne fait que les lire. Pour les psaumes et les hymnes, on exige une modulation ; pour les leçons, on ne demande que la prononciation. En effet, les leçons nocturnes sont notre doctrine, parce que par elles nous apprenons à rapporter nos œuvres à Dieu ; elles sont donc du domaine des lectures que font les docteurs pour instruire les ignorants ; par elles aussi nous imitons les œuvres des saints, et ce qu’elles nous rappellent nous excite à célébrer les louanges de Dieu. C’est pourquoi, comme nous l’avons déjà dit, on les entend assis et en silence. Or, le lecteur, avant de lire la leçon, s’approche du livre et monte sur un escabeau, parce que le lecteur doit surpasser le vulgaire par une vie plus parfaite.

XLIV. Il demande au prêtre ou à l’évêque leur bénédiction et comme la permission de lire, en disant : Jube, Domne, benedicere, « Ordonne, mon père, que le Seigneur me bénisse, » pour marquer la domination de l’Église, et que personne, dans l’Eglise, ne doit lire sans en avoir reçu l’ordre du supérieur ecclésiastique. Et il dit Domne, et non Domine, parce que Dieu seul est véritablement Seigneur. De là vient que le prêtre ou l’évêque ne donne pas de lui-même la bénédiction, mais demande discrètement à Dieu de l’accorder, en disant : « Que le Seigneur nous accorde sa bénédiction perpétuelle, etc. » Le lecteur ajoute, à la fin : « Et toi, Seigneur, aie pitié, etc., » parce qu’alors il adresse la parole à Dieu, qui est le vrai Seigneur. C’est pour cela que dans le commencement il prononce d’une voix peu assurée et entrecoupée, parce qu’alors il adresse ses paroles à un être imparfait, c’est-à-dire à l’homme, d’après ces mots du Prophète : « Tes yeux ont vu mes imperfections. » C’est ce que les moines observent aussi communément, en disant : « Domnus abbas, Père abbé. » C’est aussi par cette considération que les serviteurs, lorsqu’ils servent leurs maîtres, doivent fléchir devant eux un genou seulement, c’est-à-dire le genou gauche, cette partie du corps désignant la servitude corporelle, qui est la seule due aux hommes, et non la servitude spirituelle, due aux maîtres selon l’esprit.

XLV. Car dans l’église il faut fléchir non pas un seul, mais les deux genoux, pour que nous ne soyons pas assimilés aux Juifs. « Car tout genou doit fléchir devant le Christ, » dit saint Paul aux Philippiens (c. ii) (Capitulo extra De immun. Eccl. decet). Salomon, priant pour le peuple, imprimait ses deux genoux sur la poussière et étendait ses mains vers le ciel, comme on le lit au troisième livre des Rois ( c. viii). C’est encore pour cela qu’il ne faut pas s’incliner face à face devant un prince de haut rang, soit pour lui parler secrètement, soit pour écouter ce qu’il nous dit, mais seulement se servir de l’oreille gauche en fléchissant la tête. Mais, en terminant, le lecteur prononce ouvertement et distinctement, parce qu’il s’adresse dans un langage parfait à un être parfait, c’est-à-dire à Dieu. Or, quand l’évêque veut lire une leçon et qu’il dit : « Jube, Domine, benedicere, » aucun de ses inférieurs ne doit le bénir (xxi d., Deinde). D’où vient qu’en certaines églises on ne lui répond rien, et que dans d’autres un seul prêtre répond par ces paroles : « notre père ! adresse pour nous des prières pieuses au Seigneur ; » puis l’évéque dit : « Glorifiez le Seigneur avec moi. » Alors aussi l’évêque doit prononcer distinctement : Jube, Domine, benedicere, parce qu’on comprend qu’il veut parler à Dieu, l’être parfait.

XLVI. Dans quelques églises, lorsque l’évêque veut lire, un prêtre dit : Jube, Domne, benedicere, et l’évêque lui-même donne sa bénédiction, puis fait la lecture. Car, comme la lecture des leçons n’est pas l’office du prêtre ni de l’évêque, mais du lecteur, s’il n’y a point là un autre évêque ou un autre prêtre présents, un clerc d’un ordre inférieur peut dire : Jube, Domne, benedicere, comme parlant au nom de l’Eglise, et le prêtre ou l’évêque qui doit lire la leçon lui donne la bénédiction, comme remplaçant Jésus-Christ. Ou bien encore, ils peuvent lire la leçon sans que l’on dise le Jube, Domne, benedicere. Dans quelques églises, l’évêque lui-même dit : Jube, Domne, et un inférieur, à qui il se soumet volontairement, et en cela par humilité, lui donne la bénédiction (II, q. vii, Non sum. ; II, q. v, Mandastis). Quand la leçon est achevée, le lecteur dit : Tu autem, etc., ce qui n’appartient pas à la leçon et n’en est pas la continuation ; mais le lecteur, en adressant ces mots à Dieu, s’excuse, comme s’il disait : « Seigneur, j’ai peut-être péché en lisant avec harmonie et en prononçant de manière à m’attirer les louanges des hommes et à capter le vent de la faveur humaine ; ceux qui m’ont écouté ont peut-être péché également en arrêtant leur esprit à de vaines pensées, et en détournant de la lecture leur entendement ; mais toi, Seigneur…, aie pitié de nous. » Tous répondent alors : Deo gratias ; et ces mots ne se rapportent pas au Tu autem, mais ont trait à la leçon, car c’est la voix de l’Eglise rendant grâces à Dieu, comme si elle disait : « Dieu nous a nourris par les paroles du salut qui sont l’aliment de l’ame, et pour un si grand bienfait nous disons : Deo gratias ; » supplée exsolvimus, « nous rendons grâces à Dieu. »

XLVII. La pluralité des leçons signifie le grand nombre des prédicateurs dans le temps de la grâce, comme leur petit nombre dans les jours ordinaires signifie leur rareté dans le temps de la loi ancienne ; la succession des lecteurs signifie celle des ambassadeurs, qui, en disant : Jube, Domne, benedicere, demandent la permission de partir. La bénédiction symbolise cette permission, par où on laisse entendre que personne ne doit prêcher s’il n’a été envoyé : « car comment prêcheront-ils, s’ils ne sont envoyés ? » La lecture de la leçon est l’exécution même de la mission donnée au prédicateur. Le Tu autem, Domine, désigne le retour du missionnaire, qui, en implorant la miséricorde divine, laisse à entendre qu’on ne peut s’acquitter du devoir de la mission ou de la prédication sans se souiller de la poussière de quelque faute légère. D’où saint Augustin dit : « Il y plus de sûreté à entendre la prédication qu’à l’exercer ; » car le prédicateur parcourt toute la terre, et il est difficile à celui qui marche à travers les terres de ne pas se souiller les pieds de quelque poussière, et que le prédicateur, lorsqu’il sait qu’il a bien prêché, n’en conçoive quelque sentiment d’orgueil.

XLVIII. Et remarque que, de même qu’il y a dans l’Eglise deux catégories, les savants et les ignorants, ainsi il y a deux manières de leçons. Les leçons qui sont lues à la messe sont pour l’instruction des savants ; mais celles qui se disent la nuit sont pour l’instruction des ignorants : aussi sont-elles expliquées. Et note bien ceci, savoir, que les leçons sont terminées de quatre manières :

XLIX. 1° Elles le sont généralement par Tu autem, 2° Pendant l’Avent, la Nativité et l’Epiphanie, les leçons tirées d’Isaïe sont terminées par ces mots : « Voici ce que dit le Seigneur : Convertissez-vous à moi, etc. » Ceux qui lisent ces mots pendant la Nativité seront avertis par ce chapitre d’Isaïe qui est lu en ce temps : Primo tempore alleviata est, etc., lorsqu’on arrive à cet endroit : et in omnibus his, etc., « et, après tous ces maux, ma fureur n’est point encore apaisée et mon peuple n’est pas converti. » Et c’est pour cela que l’Église, au nom du Christ, exhorte le peuple pécheur à se convertir. La même chose se pratique encore dans quelques églises et pour la même raison, quand on lit les leçons tirées de Jérémie, où il reproche leur dureté aux pécheurs qui ne se convertissent pas en faisant pénitence. 3o Les leçons qui sont lues les trois jours qui précèdent Pâques, et qui sont tirées des Lamentations de Jérémie, sont terminées par ces mots : Jerusalem, Jerusalem, etc., comme on le dira tout-à-l’heure. 4o Les leçons pour les morts sont terminées simplement, sans aucune des terminaisons susdites ; cependant, dans quelques églises, on termine par : « Bienheureux les morts qui meurent dans le Seigneur, » que l’on prend à la fin d’un sermon que saint Augustin a composé De mortuis. Et remarque encore qu’au troisième nocturne on lit l’évangile et l’homélie de ce même jour, parce que le troisième nocturne désigne le temps de la grâce, dans lequel l’Evangile a été prêché, et dans lequel la prédication évangélique est célébrée, comme on le dira au chapitre des Nocturnes.

L. Il ne faut pas non plus passer sous silence que dans les temps anciens, après avoir éliminé les hérésies qui attaquaient la vérité de la Trinité, les saints Pères, pour que la sainte Trinité fût plus connue, arrêtèrent que la neuvième leçon aurait toujours trait à la Trinité, qu’on chanterait le neuvième répons à la même intention, et que dans la première férie on dirait toujours une messe en l’honneur de la Trinité. Après une longue observation de cette coutume, et lorsque la Trinité fut connue de tous, l’Église omit la leçon sur la Trinité ; mais presque toutes les églises ont conservé le répons de la Trinité, et aussi l’Alleluia le dimanche à la messe, soit par la force de l’usage, soit à cause de la douceur du chant. Aussi, c’est improprement qu’on le nomme encore répons, puisqu’il n’a plus de rapport avec la leçon précédente. Les leçons du jour, à cause de leur brièveté, sont appelées par plusieurs lecticulæ (petites leçons), et par d’autres capitules, parce qu’elles sont tirées le plus souvent du commencement (de capitibus) des épîtres des jours où on les dit. On les dit à chaque heure, après les psaumes et les antiennes, comme il a été décrété par le Concile d’Agde (De consec., d. v., Convenit). Cette méthode a été empruntée à Esdras, comme on l’a déjà dit, et capitule signifie doctrine. Or, afin que la psalmodie n’engendrât pas l’ennui dans l’esprit des auditeurs, comme la manne dégoûtait les Juifs (à cause de quoi Dieu leur envoyait des serpents de feu qui les mettaient à mort), c’est pourquoi on commence par dire le capitule, qui est une courte leçon tirée du Nouveau ou de l’Ancien-Testament, et qui excite à la dévotion, contraire à Fennui, et exhorte à la persévérance dans le bien, d’après ces paroles : « Nous vous exhortons, afin que vous ne receviez pas en vain la grâce de Dieu. » Or, aux nocturnes les leçons sont plus nombreuses qu’à l’office du jour, parce qu’alors nous y prêtons une oreille plus libre et plus attentive. Dans la plupart des églises, c’est le pasteur qui lit ces capitules ou exhortations aux fidèles (domesticos) et aux savants, parce que, de même que nous mettons du bois sur du bois pour rendre le feu plus ardent, de même les paroles des pasteurs, tombant sur les cœurs déjà embrasés des fidèles, les font brûler encore avec plus d’ardeur. On lit aussi ces leçons sans dire Jube, Domne, benedicere, et sans bénédiction, parce que c’est l’évêque ou le prêtre qui tient la place du Christ, et dont l’office spécial est d’exciter les paresseux (comme étant les plus élevés en âge et en dignité) qui lisent le plus souvent les leçons. Car à eux appartient de donner la permission de les lire et de bénir ; mais ils ne demandent à personne ni la permission de lire, ni la bénédiction : car le plus grand bénit le plus petit, mais le plus petit ne bénit pas le plus grand. Or, les leçons de nocturnes sont lues par ceux qui n’ont que les ordres mineurs ; c’est pourquoi ils demandent à leurs supérieurs la permission de lire et la bénédiction. Dans les leçons du jour, on ne dit pas à la fin Tu autem, etc., comme dans les leçons de l’office de nuit, parce que le prêtre doit être parfait et ne pas succomber facilement aux suggestions du diable, et parce que, dans une courte leçon et au milieu de personnes familières, on ne sait trop où il trouverait matière à rechercher la faveur des hommes, comme il arrive quelquefois dans les leçons nocturnes, ainsi qu’on l’a déjà dit. Cependant on répond : Deo gratias, pour la raison que nous avons donnée dans les leçons nocturnes. De plus, les offices des heures sont partagées en capitules. Par ceux qu’on lit d’abord, nous entendons le travail ; par ceux qui suivent, la récompense. C’est pourquoi ceux qui précèdent consistent en psaumes ; ceux qui suivent, en hymnes et en cantiques.

LI. Or, il faut remarquer que dans l’Eglise cette magnifique coutume s’est établie de dire quatre fois le jour et quatre fois la nuit, à chaque heure de la psalmodie du jour ou de la nuit, une leçon ou un capitule tiré de l’Ancien ou du Nouveau-Testament. Cependant certaines églises ne disent le capitule ni à prime, ni à complies. Mais, comme d’après cela nos leçons n’étaient pas au nombre de huit, comme elles l’étaient d’après Esdras dans l’Ancien-Testament, de là vient, comme on l’a dit plus haut, que ces églises, après prime, lisent dans le capitule la leçon omise à prime. Quelqu’un dit : Jube, Domne, benedicere ; et quand le prêtre a béni on répond : Regularibus disciplinis, et le reste. Avant complies, on lit ce qui doit être omis à complies, c’est-à-dire : « Mes frères, soyez sobres, etc. ; » ou bien un passage des Dialogues de saint Grégoire, ou quelque chose de semblable, comme nous le dirons au chapitre de Prime.

LII. Or, on demande pourquoi, dans les leçons de nuit ou de jour, on n’annonce pas à l’avance le nom des auteurs de ces leçons, comme cela se pratique pour celles qui se lisent à la messe. Je réponds : Ceux qui ont l’usage de ces leçons et des divines observances, tels que les ministres et les officiers de l’Eglise, connaissent leurs auteurs rien qu’à la lecture, et, comme ils assistent et prennent part à ces leçons de nuit, il n’est pas nécessaire que le nom des auteurs des leçons soit exprimé ; si on l’exprime à la messe, c’est à cause des bouviers, des ouvriers et des laboureurs qui y assistent, afin que, si quelqu’un d’entre eux, entendant rarement ces leçons, ignorait l’histoire qu’elles contiennent, il entende au moins le nom de l’auteur, qu’il ne connaît peut-être pas, afin que, par l’autorité de l’auteur, les paroles de la leçon se gravent plus profondément dans la mémoire et le cœur de l’auditeur. Cependant, dans certaines leçons nocturnes se trouve quelquefois exprimé le nom de l’auteur, comme dans les sermons et les homélies de saint Grégoire, de saint Augustin et d’autres encore, comme nous le dirons dans la préface de la septième partie. Or, dans le Concile de Mayence, dans Bucard (lib. viii, Laicus), il a été décrété que les laïques ne liraient point de leçons dans l’église et ne diraient point Alleluia, mais qu’ils devraient seulement chanter les psaumes et les répons sans Alleluia. Les répons sont aussi placés après les leçons ; car, comme les leçons signifient la doctrine, et les répons les bonnes œuvres, c’est avec raison qu’on place les répons après les leçons, parce que nous devons répondre à la doctrine par les bonnes œuvres, de peur qu’en compagnie du serviteur paresseux qui cacha l’argent de son maître, nous ne soyons précipités dans les ténèbres extérieures.

LUI. Or, on dit répons, parce qu’il doit répondre à la leçon, c’est-à-dire s’accorder avec elle, de telle sorte que si les leçons sont tirées des Actes des apôtres les répons en soient tirés aussi ; d’où le neuvième répons a coutume de correspondre à la neuvième leçon, qui, autrefois, traitait de la Trinité, comme on l’a déjà dit. Cependant on pourrait être trompé dans les répons tirés de l’histoire, qui sont chantés aux nocturnes après l’évangile, et qui ne correspondent pas aux leçons de l’évangile ; nous en avons déjà parlé dans la quatrième partie, au chapitre du Graduel. On dit encore répons, parce qu’une seule personne chante, et que tous les autres lui répondent en chantant d’une voix unanime, d’après ces paroles de l’Apôtre aux Corinthiens (c. i) : « afin que nous disions tous la même chose en nous accordant, et qu’on ne voie pas de divisions parmi nous. » Car un seul a chanté, qui est le Christ, et Pierre avec les autres l’ont suivi ; ou bien encore, parce que le chœur chante le répons, et que le verset n’est chanté que par un seul. Saint Isidore dit que c’est des Italiens que nous viennent les répons, qui furent ensuite appelés chants responsoriaux, parce que quand un chantre finit de chanter un autre reprend ensuite le chant, comme pour répondre au premier.

LIV. Enfin, les répons nocturnes sont comparés aux cantiques spirituels. On les nomme cantiques, parce qu’on les chante ; spirituels, parce qu’ils procèdent de la jubilation spirituelle de l’ame. On les chante, afin qu’après la récitation des leçons ils transportent notre ame vers les concerts de la céleste patrie, ce que donne à entendre le Gloria Patri, que l’on chante à chaque répons. Au reste, le répons est entonné par un seul, pour être continué par les autres, afin de marquer qu’un frère exhorte ses frères à servir Dieu. Le verset du répons, qui tout entier est chanté par un seul, indique que l’on adresse à Dieu une prière spéciale. Par le chant du répons, nous élevons la voix, que nous faisons retentir comme une trompette, pour exciter encore nos frères à s’élever si haut qu’ils parviennent à louer dignement la sainte Trinité, en disant : « Gloire au Père, au Fils, etc. » Quelquefois aussi, le répons a trois versets, comme on le dira dans la sixième partie, au premier dimanche de l’Avent. C’est incomplètement qu’on répète le répons après le verset, et pour marquer que si nous ne pouvons être sauvés sur la montagne, c’est-à-dire dans l’état de perfection, nous soyons au moins sauvés sur le mont Ségor, c’est-à-dire par une autre voie, qui est l’état d’imperfection. On chante encore le répons incomplètement ou en partie, pour marquer que les actes que nous accomplissons pendant notre vie sont imparfaits ; et, d’abord, la répétition a lieu à partir du point le plus éloigné jusqu’à la fin, et ensuite à partir du point le moins éloigné et du dernier. On dit : Gloria Patri, et Filio, comme nous le dirons au dimanche de l’Avent, précité ; dans les solennités on le répète entièrement par deux fois, pour désigner la joie et la perfection des saints.

LV. On dit également à chaque heure les oraisons, au moyen desquelles nous devons obtenir les premiers fruits de l’office ; car l’oraison est une demande, et prier c’est demander, comme prier instamment c’est obtenir. Selon saint Grégoire, prier véritablement c’est pousser des gémissements amers, avec componction, et articuler des paroles préparées ; l’oraison signifie la miséricorde de Dieu, qui précède et suit l’homme dans les bonnes œuvres : c’est pourquoi on dit l’oraison au commencement et à la fin de la messe. Or, la dernière oraison est la bénédiction que le Seigneur donne à ses ouvriers. Les oraisons finales sont imitées des Actes des apôtres, qui, quand ils se séparaient, se mettaient à genoux et priaient. Le prêtre sur le point de dire l’oraison salue le peuple, en disant : Dominus vobiscum, pour l’exciter à prier afin que son oraison soit agréable à Dieu et que Dieu répande sur lui sa grâce. L’oraison terminée, il prie de nouveau, en disant : Dominus vobiscum, ce dont nous parlerons au chapitre de Prime.

LVI. Et remarque que tout l’office, excepté le nocturne, se termine par l’oraison et la bénédiction, pour indiquer que tant que nous sommes dans ce siècle nous avons besoin d’être fortifiés par les oraisons des prêtres. En effet, lorsque nous avons un entretien familier avec les serviteurs de Dieu, nous avons coutume, avant de nous éloigner d’eux, de leur demander leur bénédiction. Mais aux nocturnes cela ne se pratique pas, parce qu’alors il n’y a pas séparation : on chante donc sans interruption l’office du matin, c’est-à-dire matines et laudes, en l’honneur de Dieu.

LVII. Or, bien que Dieu soit présent partout, cependant le prêtre, à l’autel et pendant les offices divins, doit, d’après le décret du pape Vigile, se tourner vers l’orient pour prier. De là vient que, dans les églises qui ont leur entrée à l’occident, le prêtre, en célébrant la messe, se tourne pour saluer le peuple, parce que nous présentons à Dieu ceux que nous saluons face à face, comme nous l’avons vu dans la quatrième partie, au chapitre du Salut du prêtre ; et ensuite pour prier il se retourne vers l’orient. Mais dans les églises qui ont leur entrée à l’orient, comme à Rome, pour saluer on n’a pas besoin de se retourner, et le prêtre qui célèbre dans ces églises est toujours tourné vers le peuple. On dit aussi que le temple de Salomon et le tabernacle de Moïse avaient leur entrée à l’orient (Exode, c. xxxiv). Nous prions donc le visage tourné vers l’orient : Premièrement, en souvenir de ce que Celui qui est la splendeur de la lumière éternelle a illuminé ceux qui étaient assis dans les ténèbres, parce que l’orient descendant de sa gloire nous a visités, lui dont on lit : « Voilà que le nom de cet homme sera Orient, » En preuve de quoi il est dit dans le livre de la Sagesse : « Il faut adorer vers l’endroit où le soleil se lève, non que la majesté divine réside localement dans l’orient, elle qui remplit tout par sa puissance et par son essence, » d’après ces paroles : « Je remplirai le ciel et la terre, » et d’après celles-ci du Prophète : « Si je monte au ciel, je t’y trouve ; si je descends dans les enfers, tu y es présent ; » mais parce que, pour ceux qui craignent. Dieu se lève, soleil de justice qui éclaire tout homme venant en ce monde. Secondement, nous prions tournés vers l’orient, afin que notre esprit soit averti de se tourner et de s’élever vers des biens plus excellents que ceux de cette terre. Troisièmement, parce que ceux qui veulent louer Dieu ne doivent pas lui tourner le dos. Quatrièmement, d’après saint Jean Damascène, qui a écrit les quatre oraisons suivantes au quatrième livre (Can., c. v), pour montrer que nous recherchons notre patrie. Cinquièmement, afin que nous tournions nos regards vers le Christ crucifié, qui est le véritable orient, et à qui nous nous adressons dans nos prières. Sixièmement, pour montrer que nous attendons la venue du juge ; car saint Jean Damascène dit au même endroit : « Dieu a planté le paradis à l’orient, d’où il a exilé l’homme après son péché et l’a fait habiter à l’occident, en face du paradis. » Chassés donc de notre antique patrie, nous jetons un regard sur elle, en priant Dieu, tournés à l’orient. Septièmement, parce que notre Seigneur sur la croix était tourné vers l’orient, voilà pourquoi nous prions les yeux tournés vers lui ; et lui-même, dans son ascension, était emporté aux cieux dans la direction de l’orient, et c’est ainsi que les apôtres l’adorèrent. C’est ainsi qu’il viendra, en suivant la même voie qu’ils lui virent prendre pour monter aux cieux : c’est donc dans l’attente du Christ que nous prions vers l’orient. Daniel et les Juifs, pendant la captivité de Babylone, priaient également le visage tourné du côté du temple. Saint Augustin, cependant (ii dist., Ecclesiasticarum), dit qu’aucun passage de l’Ecriture ne nous apprend qu’il faille prier vers l’orient. Nous prions encore les saints debout, comme nous l’avons dit déjà en parlant des psaumes.

LVIII. Or, il faut prier dans l’église, qui a été construite pour cela, comme nous l’avons vu dans la première partie, au chapitre de l’Eglise. D’où le Psalmiste (lxvii) : « Bénissez le Seigneur Dieu dans les assemblées, vous qui êtes des ruisseaux sortis des sources d’Israël. » Et ailleurs : « Adorez le Seigneur dans sa sainte cour. » Et : « J’entrerai, Seigneur, dans ta demeure ; Seigneur, rempli de ta crainte, je t’adorerai dans ton saint temple. » De plus, il a été ordonné de l’adorer devant l’autel : « C’est là que tu l’adoreras. » Et le Prophète dit : « Venez, adorons Dieu, prosternons-nous devant lui ; pleurons devant le Seigneur, qui nous a créés, parce qu’il est le Seigneur notre Dieu ; » Dieu, c’est-à-dire créateur ; Seigneur, c’est-à-dire notre rédempteur ou notre sauveur. Mais, Dieu étant présent partout, comme nous l’avons déjà dit, pourquoi doit-il être plutôt adoré dans un temple qu’ailleurs ? En outre, on lit dans saint Jean (c. iv) que, la Samaritaine ayant demandé au Christ la solution de la question souvent agitée entre les Juifs et les Samaritains touchant le lieu de l’adoration, en disant : « Nos pères ont adoré Dieu sur les hauts lieux, et vous dites qu’il y a un endroit à Jérusalem où il faut l’adorer, » Jésus lui répondit : « Femme, crois-moi, l’heure est venue où ni sur les hauts lieux ni à Jérusalem (il faut suppléer seulement) vous n’adorerez votre Père ; mais les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité ; » comme s’il disait : Je ne choisis pas un lieu de préférence pour y être adoré. Dieu doit être adoré partout, mais en esprit, c’est-à-dire eu égard aux biens spirituels ; et en vérité, c’est-à-dire en vue des biens éternels. D’où vient que le Christ dit : « Lorsque tu prieras, entre dans ta chambre, et, après en avoir fermé la porte, prie ton Père. » Mais, quoique Dieu doive être adoré partout, pourtant il faut l’adorer spécialement dans l’église ; autrement, c’est en vain qu’on élèverait des temples au Seigneur avec tant de zèle et à si grands frais, s’il ne préférait être adoré dans ces temples. C’est pourquoi Salomon, dans le temple qu’il avait construit au Seigneur et qu’il lui avait dédié, le pria d’exaucer, en tout ce qu’il demanderait de juste, quiconque monterait au temple en criant vers le Seigneur pour ses péchés ou pour toute autre tribulation. Cette forme de prière est suivie par l’Eglise dans l’oraison qu’elle dit lors de la consécration des temples ; car les anges y assistent les adorateurs de Dieu, pour offrir au Seigneur leurs dévotes oraisons, d’après ces paroles : « Je chanterai tes louanges en présence des anges ; je t’adorerai dans ton saint temple, et je confesserai ton nom. Seigneur. » De là vient aussi que l’ange dit à Tobie : « J’ai offert ta prière au Seigneur. » Car c’est là que reposent les reliques des saints qui, lorsque nous adorons Dieu dévotement, nous obtiennent, par leurs prières, ce que nous ne pouvons acquérir par nos propres mérites. Dieu nous défend, de plus, de prier sur les places et en public, à la manière des pharisiens. Ce que recommande l’Apôtre dans l’épître à Timothée, quand il dit : « Je veux que vous priiez en tout lieu, levant vers Dieu des mains pures, sans colère, » s’entend de la prière intérieure. Car celui-là prie en tout lieu, qui, par la pratique de la charité et des bonnes œuvres, élève partout vers Dieu des mains pures, c’est-à-dire un cœur sans tache.

LIX. Au reste, on doit adorer le Père, le Fils et le Saint-Esprit, parce que toutes et chacune de ces personnes sont un seul, unique et vrai Dieu. Quoique autre soit la personne du Père, autre la personne du Fils, autre la personne du Saint-Esprit, cependant la divinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit est une, leur gloire égale, et leur majesté coéternelle. Donc la prière adressée à toute l’indivisible Trinité est une et égale ; et on peut entendre comme ayant trait à elle ce que dit le Seigneur : « Les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité. » Car celui qui adore véritablement Dieu adore le Père en esprit et en vérité, c’est-à-dire dans le Fils, qui dit de lui-même : « Je suis la voie, la vérité et la vie. Je suis, dit-il, dans mon Père, et mon Père est en moi. » C’est pourquoi il faut adorer le Père dans le Fils, le Fils dans le Père, et le Saint-Esprit dans les deux premières personnes de la sainte Trinité.

LX. Il faut aussi adorer Dieu avec un cœur pur, une bonne conscience et une foi sincère : avec un cœur pur, non à la manière de certains hommes, qui glorifient Dieu dans la prospérité et le blasphèment dans l’adversité, et dont le Prophète dit : « Ils confesseront ton nom tant que tu leur feras du bien, et murmureront quand ils ne seront pas rassasiés, » avec une bonne conscience, non à la manière de ceux qui, après avoir grièvement offensé Dieu, viennent lui offrir ensuite de téméraires sacrifices, et dont le Prophète parle ainsi : « Dieu a dit au pécheur : Pourquoi racontes-tu mes justices et prends-tu avec ta bouche le nom de mon Testament » (III, q. viii) ? Ce qui prouve que ce Testament est celui dont la Vérité a dit : « Ceci est mon sang, le sang du Nouveau-Testament ; » avec une foi sincère, et non à la manière de ceux qui adorent en prononçant correctement, mais qui vivent mal, et auxquels le Seigneur adresse ce reproche : « Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est bien loin de moi, car ils parlent et n’agissent point. » Dieu doit donc être adoré de cœur, par la dévotion ; de bouche, par la confession, par les actes, c’est-à-dire avec respect.

LXI. Or, il y a deux sortes d’adoration ou de culte, c’est-à-dire le culte de latrie, qui n’est dû qu’à Dieu seul, et le culte de dulie, que l’on rend à quelques créatures, comme on l’a vu dans la quatrième partie, à la quatrième particule du canon, sur ce mot : Servitutis.

On doit encore dire les heures canoniques aux heures du jour auxquelles elles correspondent, nonobstant ce que dit le Psalmiste : « Je bénirai le Seigneur en tout temps, » et cette parole de l’Apôtre : « Priez sans interruption, » parce que bénir le Seigneur en tout temps, c’est le louer toujours par une vie intacte ; prier sans interruption, c’est faire tout pour la louange ou la gloire de Dieu, comme le dit le même Apôtre en ces termes : « Soit que vous mangiez, soit que vous buviez, quelque chose que vous fassiez, faites tout pour la gloire de de Dieu » (XXVI, q. vii, Non ohservetis). Au reste, le salut précède l’oraison et le répons la suit, comme on le dira à l’article de Prime.

LXII. On dit finalement, après l’oraison : Benedicamus Domino, « Bénissons le Seigneur, » termes extraits de l’Apôtre, ou du psaume, ou de l’hymne des trois enfants dans la fournaise, où il est dit : « Bénissons le Père et le Fils, etc. » Il est quelquefois prononcé par des enfants d’un âge encore imparfait, pour marquer que toutes nos œuvres sont imparfaites, d’après cette parole du Psalmiste : « Mes yeux ont vu mon imperfection, etc., » (De consec., d. iv, Tulerunt), parce que nos louanges sont puériles et imparfaites eu égard au Dieu que nous louons ; car tout ce qu’on peut dire alors est bien au-dessous des louanges que Dieu mérite, comme si l’Eglise disait : « Nous louons, mais nous ne suffisons pas à louer, parce que l’excellence de Dieu met en défaut notre langage et notre intelligence. » L’homme donc s’unira à un cœur plus élevé que le sien, et Dieu sera glorifié. De là vient que tous répondent à la fin : Deo gratias, comme s’ils disaient : « C’est une chose qui nous est agréable, » comme c’est une chose pieuse d’être surpassé en célébrant les louanges de Dieu. Il est dit quelquefois par des enfants (pueri), pour marquer qu’il n’y a que les enfants, c’est-à-dire ceux qui sont purs (pari) et exempts de toute malice qui louent convenablement Dieu et lui rendent de dignes actions de grâces. Il est dit aussi quelquefois par des personnes plus âgées, pour marquer que dans la béatitude éternelle avec Dieu nous serons des adorateurs parfaits, puisque dans cette vie nous ne pouvons être parfaits.

On dit ensuite, après les suffrages[3], une autre oraison qui symbolise la miséricorde de Dieu, qui précède et accompagne l’homme dans les bonnes œuvres. On dit encore une fois Benedicamus et Deo gratias ; car, de même que le Seigneur, après sa résurrection, salua deux fois ses apôtres et les bénit, et que ceux-ci, lui rendant grâces, l’adorèrent, de même le prêtre aussi, après avoir prononcé de nouveau une autre oraison, dit : Benedicamus Domino, « Bénissons le Seigneur ; » sous-entendez : « dont nous sommes les membres et en qui nous bénissons. » Et il bénit aussi, à l’exemple du Christ.

LXIII. Or, le chœur, pour rendre grâces, dit : Deo gratias, mots tirés de l’Apôtre, et qui signifient que jusqu’à la fin de notre vie nous devons conserver notre innocence et bénir Dieu en lui rendant grâces pour ses bienfaits ; ou bien encore Benedicamus Domino et Deo gratias sont une louange finale, une ineffable jubilation, qui aura lieu dans la gloire, quand nous rendrons à Dieu des actions de grâces ; ou bien Deo gratias est une action de grâces rendue quand on a fourni la carrière, ce dont nous avons parlé dans la quatrième partie, au chapitre de la Dernière Oraison. Il semble que l’on devrait plutôt répondre : Amen, « Ainsi soit-il, que la chose arrive ainsi, » c’est-à-dire : « Qu’il arrive que Dieu soit béni ; » mais on répond : Deo gratias, pour marquer que c’est par Dieu lui-même que nous bénissons Dieu.

LXIV. Or, parce que tant que nous vivons nous sommes sur un chemin glissant et assiégés par les démons, c’est pourquoi nous avons toujours besoin des suffrages des saints. C’est pour ce motif que dans la plupart des églises, à chaque heure, après le Benedicamus on ajoute les suffrages des saints. Et remarque que, comme tout le temps écoulé depuis la Nativité du Seigneur jusqu’à la fête de la Purification appartient à l’enfance du Sauveur, voilà pourquoi, comme plusieurs le disent, on ne doit point faire alors de mémoire, surtout de la croix, d’après ces paroles : « Tu ne cuiras point le chevreau dans le lait de sa mère, » ni même depuis le dimanche de la Passion jusqu’au samedi après la Pentecôte, comme on le dira en son lieu. Il faut encore savoir que, comme Pierre et Paul n’ont pas été séparés dans la vie et dans la mort, ainsi que le chante l’Eglise, de même ils ne sont pas séparés dans leurs mémoires, qui sont communes et simultanées pour tous les deux.

LXV. Il faut noter, enfin, que l’usage de chanter vient primitivement de l’Ancien-Testament (2), comme on le lit dans Esdras, et comme nous l’avons dit dans la seconde partie, au chapitre du Chantre, et aussi dans la quatrième partie, au chapitre de l’Alleluia. Et l’Ecclésiaste dit (c. xlvii) : « Il leur a donné la puissance contre leurs ennemis, et il a ordonné aux chantres de se tenir en face de l’autel, et il a formé de doux accords avec leurs voix. » Et le Psalmiste : « Chantez-lui un cantique nouveau, chantez-le bien, et faites retentir l’air du son de vos voix. » On chante donc en l’honneur du Seigneur, pour montrer que les hommes doivent rendre à Dieu des actions de grâces et louer son saint nom, tandis que les mains et les autres membres s’appliquent à faire des œuvres qui puissent plaire à Dieu. Cependant plusieurs condamnent l’usage du chant, comme on l’a dit dans la préface de la quatrième partie. On croit que c’est le bienheureux Grégoire qui, pour les heures du jour comme pour celles de la nuit, régla l’ordre du chant et le distribua en plain-chant, c’est-à-dire en chants uniformes, quoique beaucoup, avant et après lui, aient composé des oraisons, des antiennes et des répons.

LXVI. Et remarque, d’après Hugues de Saint-Victor, qu’il y a trois espèces de sons, qui forment les trois modes ; car on forme des sons par la percussion, par le souffle, par la voix. La percussion se rapporte à la harpe, le souffle ou l’air à la trompette et à l’orgue, et la voix au chant. Le peuple ancien employait ces trois modes musicaux pour célébrer les louanges de Dieu. Or, cette harmonie des sons peut être rapportée à l’harmonie des mœurs, si l’on compare au pincement de la harpe les œuvres des mains, au souffle de l’orgue la dévotion de l’ame, au chant de la voix les exhortations des prédicateurs. Saint Bernard dit : « A quoi sert la douceur de la voix, sans la douceur du cœur ; tu domptes ta voix, c’est-à-dire tu l’exerces aux diverses modulations des sons : brise aussi ta volonté ; tu conserves l’harmonie des voix : garde aussi l’accord des mœurs, afin que par l’exemple tu sois d’accord avec ton prochain, par la volonté d’accord avec Dieu, et par l’obéissance d’accord avec tes supérieurs. » Nous avons parlé de l’orgue dans la quatrième partie, au chapitre du Sanctus.

LXVII. Ces trois genres d’harmonies se rapportent encore à la triple différence des bénéfices ecclésiastiques, d’après Richard, évêque de Crémone, in Mitrali ; car l’office même de l’Eglise consiste en psaumes, en chant et en leçons. Le premier mode d’harmonie se fait par la percussion des doigts, comme dans le psaltérion et autres de ce genre, et c’est à ce mode que se rapporte la psalmodie, d’après ces paroles : « Louez-le avec le psaltérion et la harpe ; » car psaltérion vient du grec Psallein, qui signifie toucher ou frapper en latin. Le second est celui qui s’exécute par la voix, c’est-à-dire la voix humaine, et à ce mode appartiennent les leçons ; d’où le Psalmiste : « Chantez convenablement ses louanges (in vociferatione) par les sons que forme votre voix. » L’Apôtre aussi appelle la leçon vocem (voix), lorsqu’il dit : « Ignorant Jésus et la voix des prophètes ; » ce qu’on lit le samedi. Le troisième genre est celui qui se produit par le souffle, comme pour la trompette, et à ce genre appartient le chant. D’où le Psalmiste dit : « Louez-le en sonnant de la trompette. » Sans doute, l’accord des sons divers est raisonnable, et signifie une harmonie, une concorde pleines d’unité et de régularité dans la variété, et aussi l’union de la cité céleste. Car un chant agréable est formé par des voix diverses, mais non contraires, c’est-à-dire qui s’accordent.

LXVIII. Le chant, dans l’Eglise, signifie encore la joie du ciel. Les voix de basse, d’alto et de soprano signifient qu’il faut prêcher de trois manières les trois ordres de l’Eglise, ou bien symbolisent les trentième, soixantième et centième fruits de l’Evangile, savoir : les trois grains, qui rapportèrent l’un trente, l’autre soixante, un autre cent pour un. Ou, d’après les trois volumes de Salomon, elles signifient l’ordre des commençants. l’ordre de ceux qui sont en chemin, et l’ordre des parfaits. Nous avons déjà parlé du chœur dans la première partie, au chapitre de l’Eglise.

LXIX. Or, il fut statué, dans les Conciles de Tolède et de Gironne (De consec., dist. ii, Institutio ; et distinct, i, Altaria ; et xii distin., c, fin.), que l’ordre de la messe, ainsi que la coutume de chanter et d’officier, doivent être dans toutes les autres églises les mêmes que ceux observés dans l’église métropolitaine ; qu’il n’est pas permis aux abbés et aux moines qui ont charge d’ames, de célébrer l’office public autrement que dans l’église épiscopale. Cependant saint Augustin dit (xii distinct., Illa), qu’il est convaincu que cela n’est ni contraire à la foi, ni contraire aux bonnes mœurs ; mais que c’est un acte indifférent, et que pour les offices de l’Eglise on doit de droit observer les us et coutumes de chaque église (De consec., distinct. De cœna ; Extra De celeb. miss., c. penult., xii distinct., Catholica).

  1. Voyez, sur la liturgie ambrosienne, le P. Lebrun, 1. c. sup., t. 2, p. 182-184.
  2. Et dicunt e, vel a. :
    Quotquot nascùntur ab Eva.

  3. Suffragium, suffragia. Ce mot, également employé au singulier et au pluriel, mais plus souvent cependant au pluriel, a trois sens : 1° celui des prières par lesquelles nous implorons le secours {suffragia) des saints auprès de Dieu ; 2° il marque les prières des moines et autres œuvres pies auxquelles les laïques sont admis à participer ; 3° enfin, les prières qu’on adressait aux saints pour les morts.