Rational (Durand de Mende)/Volume 2/Cinquième livre/Chapitre 04

Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 3p. 74-96).


CHAPITRE IV.
DES MATINES ET DES LAUDES (DE MATUTINIS LAUDIBUS).


I. Plusieurs, imitant l’ordre réglé par Esdras, dont nous avons parlé au commencement de cette partie, séparent matines et laudes des nocturnes, assurant qu’elles forment un office à part ; et ils les récitent le matin, lorsque l’aurore brille, comme on le dira au chapitre prochain. Car ce fut à cette heure que le Christ ressuscita, après avoir vaincu la mort ; d’où saint Marc : « Jésus étant ressuscité le matin, le premier jour de la semaine ; » ou du moins sa résurrection fut notifiée le matin. C’est aussi à cette même heure qu’il marcha sur la mer (sur le lac de Génézareth). C’est donc avec raison que nous devons le louer à cette heure, afin qu’après nous avoir sauvés par sa sainte résurrection, il nous fasse, comme à saint Pierre, traverser à pied sec la mer de ce siècle. C’est aussi à cette heure qu’il a créé le monde et les anges, qui, aussitôt après leur création, chantèrent dans un cantique de jubilation les louanges de leur créateur. On dit donc matines et laudes lorsque l’aurore vient empourprer le ciel, c’est-à-dire à la quatrième veille que Lucifer inonde tout entière de ses feux. Cette veille est aussi nommée matinale, de mane (le matin), où régnent la lumière et le jour, parce que le matin nous ramène la lumière pour que nous obtenions la couronne de gloire, d’après ces paroles : (c Que ce ne soit pas en vain que vous vous leviez le matin avant le jour, parce que le Seigneur a promis la couronne aux vigilants. » Or, nous avons dit, au commencement du traité précédent, ce que signifie le temps de la louange matinale (de matines et laudes).

II. On dit laudes, parce que cet office fait surtout retentir les louanges que nous adressons à Dieu, parce qu’il nous a ramenés des ténèbres de l’erreur à la lumière ou dans la voie de la vérité, et pour repousser les tentations du diable ; d’où Isaïe (c. xxv) dit : « Sortez de votre sommeil et louez Dieu, vous qui gisez dans la poussière ; voici la rosée de la lumière. » Touchant cet office du matin, le Prophète dit : « Je veille pour te louer, ô mon Dieu ! dès la pointe du jour. »

III. Or, nous chantons l’office de matines et l’office de vêpres comme pour offrir au Seigneur un sacrifice incessant ; car, dans l’Ancien-Testament, on offrait à Dieu un sacrifice continuel, c’est-à-dire le matin et le soir. Mais le sacrifice du soir était plus digne, c’est-à-dire plus gras, suivant l’expression des Juifs, comme nous le verrons à l’article de Vêpres. Pour nous, par l’office du matin nous entendons la loi ancienne ; par l’office du soir ou de vêpres, la passion du Sauveur, qui, le soir du monde, c’est-à-dire dans le sixième âge, s’est offert à Dieu le Père pour nous ; d’où ces paroles du Psalmiste : « Que l’élévation de mes mains te soit agréable comme le sacrifice du soir. » Ce sacrifice, c’est-à-dire le sacrifice du soir, correspond donc à celui-ci, c’est-à-dire au sacrifice de la passion. Or, dans les deux offices de matines et laudes, et de vêpres, les psaumes, sous cinq distinctions ou divisions, sont terminés par Gloria Patri. De même, dans le premier comme dans le second, on dit l’hymne, la leçon et le verset ; à vêpres, on chante le cantique de Marie ; à matines et laudes, celui de Zacharie.

IV. Or, comme l’office de vêpres est plus digne à cause de la chose plus excellente qu’il représente, tout s’y passe avec plus de solennité ; on y chante plus solennellement qu’à l’office du matin, et on y intercale un répons. Saint Isidore, dans le livre des Etymologies, dit que l’office du matin est le commencement du jour, ainsi appelé de l’étoile Lucifer (porte-lumière), qui se lève quand le matin commence, comme on l’a dit. Cet office de laudes est plein de louanges, comme on l’a dit au commencement du chapitre précédent. Le prêtre excite les assistants à ces louanges, en commençant par dire un verset qui est quelquefois celui-ci : In matutinis meditabor in te, « Je méditerai sur ton nom, le matin ; » ou bien : Excelsus super omnes gentes Dominus, « Le Seigneur est élevé au-dessus de toutes les nations ; » ou bien un autre. Ensuite il implore le secours divin, en disant : « Seigneur, viens à mon secours. » Ensuite le chœur, se hâtant vers le même but, glorifie Dieu dans la souveraine Trinité, en disant : « Seigneur, hâte-toi de venir à mon secours, » puis Gloria Patri, etc. ; ensuite on commence l’antienne. À ce sujet, il faut remarquer que certaines églises, les dimanches, à partir du premier de l’Epiphanie jusqu’à la Septuagésime, et de l’octave de la Pentecôte jusqu’à l’Avent, chantent à laudes Alleluia au lieu de l’antienne, pour tous les psaumes, tant parce que, comme on l’a dit, cet office est plein de louanges et qu’Alleluia est une louange angélique, que parce que le dimanche représente la résurrection du Seigneur ; et de même que dans le temps pascal, qui est celui de la résurrection, on multiplie les Alleluia, de même et avec raison doivent-ils être multipliés les dimanches.

V. Et il faut remarquer que les dimanches qui suivent l’octave de l’Epiphanie jusqu’à la Septuagésime, on chante Alleluia sur le chant de certaines antiennes qui se rapportent à la Nativité du Seigneur. Mais les dimanches depuis l’octave de la Pentecôte jusqu’à l’Avent, on chante Alleluia sur le chant ordinaire des antiennes que l’on dit à Benedictus, et qui sont tirées de ce même cantique. Or, comme chaque dimanche on varie le chant des Alleluia d’après le chant même des antiennes, c’est pourquoi chaque dimanche le nombre ou la cadence des Alleluia est proportionnée à la brièveté ou à la longueur de chaque antienne, d’après le chant de laquelle il se trouve allongé ou raccourci. C’est pourquoi encore on ne fixe pas aux Alleluia un nombre ou cadence déterminée, parce qu’on ne peut pas fixer aux âmes dévotes un nombre ou mode déterminé en louant Dieu.

VI. Or, dans d’autres églises, tous les dimanches indistinctement, aux trois premiers psaumes, au lieu de l’antienne, comme pour l’intonation des psaumes, on chante deux fois Alleluia, pour insinuer que pour louer Dieu on procède par la ferveur de la charité. Et on ne le chante sur le chant d’aucune antienne, pour marquer, d’après l’Apôtre, que « la charité n’est pas envieuse. » Mais au psaume Benedicite, trois enfants chantent l’antienne, sans y ajouter de neume ni à’Alleluia, pour les raisons que nous dirons plus bas. Au psaume Laudate Dominum, au lieu d’antienne on dit trois fois Alleluia, non sur le chant de quelque antienne, mais seulement pour entonner le psaume. Or, on le dit trois fois : 1° parce qu’il correspond aux trois psaumes contenus dans le psaume Laudate ; 2° à cause des trois ordres de justes qui louent Dieu, ce dont on parlera plus bas.

VII. Et à matines et laudes on dit cinq psaumes, pour marquer la réparation des cinq sens et à cause des cinq états de l’Eglise. Le premier psaume est Deus regnavit, dans lequel on loue Dieu d’avoir solidement établi le globe terrestre, c’est-à-dire dans la foi, par sa résurrection ; c’est pourquoi ce psaume s’entend du règne du Christ. Le second est Jubilate, qui concerne les confesseurs, et où il est dit : « Entrez par les portes de son tabernacle, in confessione (en confessant son nom). » Et c’est avec raison qu’il commence par un neume, parce que rien n’est plus agréable à Dieu que la confession de son nom. Le troisième est Deus, Deus meus, etc., qui signifie l’état des martyrs, qui ont soif du Seigneur ; d’où il est dit dans ce psaume : « Mon ame a eu soif. » Et parce que toute notre soif et nos désirs doivent être dans la Trinité et tendre vers la Trinité, c’est pour cela que suit le psaume Deus misereaiur nostri, où la Trinité tout entière est désignée par ces mots : Benedicat nos Deus, Deus noster, etc. ; car on dit trois fois Deus, à cause du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Le quatrième est le cantique des trois enfants (Benedicite), qui est tiré de Daniel (chap. iii), et qui signifie l’état de l’Antéchrist, comme on le dira bientôt. Et à la fin de ce psaume on ne dit pas Gloria Patri : 1° parce que les trois enfants, pour avoir confessé leur foi, furent jetés dans une fournaise ardente, et c’est pour ce fait surtout qu’on retranche la glorification en l’honneur de Dieu et de la Trinité ; 2° parce que le dernier verset de ce psaume signifie la même chose que Gloria Patri, et que dans les divines Ecritures il ne doit y avoir rien de superflu ; 3° parce que dans le même psaume toute la Trinité est clairement désignée, et que Dieu est loué dans ses créatures. Pendant que l’on dit ce psaume, on ne doit ni s’asseoir, ni faire de génuflexions, comme nous le dirons au Samedi des Quatre-Temps de la première semaine de Carême. Le cinquième psaume, Laudate Dominum, marque l’état des Juifs, qui se convertiront après la mort de l’Antéchrist, comme on le dira tout-à-l’heure. Et à la fin on dit Gloria Patri, pour marquer que par les bonnes œuvres nous serons associés aux anges, qui louent Dieu incessamment.

VIII. On peut encore dire qu’à laudes on récite huit psaumes, parce que cet office rappelle d’une manière mystique l’état de l’Eglise depuis le commencement de son établissement par les apôtres jusqu’au perfectionnement des élus qui existeront à la fin du monde ; et sous cet état se trouvent les huit ordres de l’Eglise ou des élus sauvés dans l’Eglise sainte par le baptême, comme dans l’arche de Noé furent sauvées huit personnes figurant les huit ordres de l’Eglise. Car par le déluge on entend le baptême, et l’arche désigne l’Eglise.

IX. Le premier ordre fut celui de la primitive Eglise, composée d’une fraction du peuple juif, réformée et établie par la prédication du Christ, comme l’indique ce premier psaume Dominus regnavit, dans le premier verset, où il s’agit du règne et de la puissance du Sauveur. Dans le second verset, il s’agit de la fondation de l’Eglise, qui commença dès-lors à subsister, appuyée sur cette pierre fondamentale qui est le Christ, d’après l’Apôtre. Nous avons parlé ci-dessus, dans un chapitre de cette même partie, de cette pierre fondamentale. On chante donc à laudes ce psaume, qui contient les louanges du Christ.

X. Le second ordre fut celui qui, dans la primitive Eglise, pénétra chez les Gentils par la prédication du Seigneur et des apôtres avertissant toute la terre, c’est-à-dire toutes les nations, déchanter avec acclamation les louanges de Dieu. Ce qu’indique le second psaume, Jubilate Deo omni terra.

XI. Le troisième ordre fut celui de la gentilité convertie à la foi ; ce troisième psaume, Deus, Deus meus, nous la montre rendant grâces, et pleine de bienveillance et de reconnaissance à cause de sa vocation par les apôtres.

XII. Le quatrième ordre sera celui du peuple juif revenant à résipiscence et converti par Hénoch et Eiie. Ce quatrième psaume, Deus misereatur nostri, nous représente ce peuple converti à Dieu et implorant sa miséricorde. Et alors ils se réjouiront de connaître la voie de Dieu, qu’ils sauront être parmi les Gentils.

XIII. Le cinquième sera composé de ceux qui vivront dans le temps de l’Antéchrist, figuré par Nabuchodonosor, et qui, malgré les tribulations dont il environnera les saints de l’un et l’autre peuples, ne pourra cependant les détourner de bénir Dieu, à l’exemple des trois jeunes gens que Dieu délivra des ardeurs de la fournaise, et qui sont remémorés par le cinquième cantique, Benedicite. Car, en ce temps-là, les justes seront épurés comme dans une fournaise ardente, sans toutefois y brûler ; mais ils y recevront la forme brillante de l’or ; d’où vient que saint Jean, dans l’Apocalypse, vit les pieds du Christ semblables à l’or marié à l’airain, comme dans une fournaise ardente. Ce psaume suit avec raison ; et, à cause de la tribulation qu’il désigne, son antienne n’a ni Alleluia, ni Gloria Patri. Or, dans l’hymne se trouvent trois distinctions ou divisions. Dans la première, on invite les créatures supérieures à louer le Créateur, c’est-à-dire les créatures qui se trouvent au-dessus du ciel, dans le ciel et dans l’air. Dans la seconde, on y invite les créatures qui sont sur la terre et qui se meuvent dans les eaux. Dans la troisième, on y invite tous les esprits et toutes les âmes, afin que nous bénissions le Seigneur, de concert avec toutes les créatures ; parce que, de même que les trois jeunes gens échappèrent à Nabuchodonosor et à la fournaise, de même nous avons échappé au diable et au feu de l’enfer. Au reste, ce cantique convient merveilleusement au dimanche et à tout jour de fête, parce que ce fut dans le premier jour que le Seigneur consomma la création et la répara ensuite par sa résurrection ; et c’est pour cela que l’on dit ce cantique en ce jour-là et les jours de fêtes qui symbolisent la résurrection du Seigneur ; et c’est en ce jour que l’on invite les créatures à louer le Créateur. De là vient que ce sont les mêmes laudes pour les dimanches et les fêtes des saints, et le temps pascal, parce qu’elles représentent les joies de la résurrection du Christ et de la nôtre propre. Les sixième, septième et huitième ordres seront composés universellement de ceux qui seront convertis et recueillis dans les trois parties du monde, c’est-à-dire l’Asie, l’Afrique et l’Europe, et qui, après la persécution et la mort de l’Antéchrist, jouiront de la plus grande paix dont ait joui l’Eglise, jusqu’au jour du jugement. Car alors la vieillesse possédera une abondante miséricorde, et dans ce repos vivront trois ordres de justes, c’est-à-dire les personnes mariées, celles qui gardent la continence, et les vierges, représentés par Job, Noé et Daniel et généralement tous les saints qui méritent une auréole, lesquels, dans les trois parties du monde, sortirent de la tribulation pour régner avec l’époux de l’Eglise, et célébreront les louanges de Dieu contenues dans les trois psaumes suivants : Laudate Dominum de cœlis, Cantate Domino canticum novum, et Laudate Dominum in sanctis ejus.

XIV. Or, on demande pourquoi ces trois psaumes se disent avec une seule antienne et aussi avec une seule doxologie ? Nous répondrons que c’est parce que les sixième, septième et huitième ordres précités d’élus, rassemblés des trois parties du monde susdites, seront ensemble sans aucun intervalle, et seront pareillement glorifiés. Ces trois mêmes psaumes signifient encore le triomphe sur le monde, sur la chair et sur le diable ; et, comme l’un ne s’obtient pas sans l’autre, c’est pour cela et avec raison que ces psaumes sont réunis ensemble.

XV. On demande encore pourquoi les deux psaumes précités, Deus, Deus meus et Deus misereatur, nostri, combinés ensemble, se disent avec une seule doxologie et avec une seule antienne ? C’est pour quatre raisons : 1° parce que le psaume Deus, Deus meus signifie la soif de Dieu ; dans le psaume Deus misereatur, etc., se trouve désignée la Trinité, comme on l’a dit ci-dessus. Cela a donc lieu pour désigner la soif de Dieu et le désir ardent d’être uni à lui ; 2° c’est pour marquer qu’avant la persécution de l’Antéchrist, le peuple croyant de la gentilité, désigné par le psaume Deus, Deus meus, et le peuple juif, revenu à la foi et désigné par le psaume Deus misereatur nostri, formeront un seul peuple dans la même foi, et qu’ensuite viendra la tribulation de l’Antéchrist, comme on l’a dit plus haut ; 3° parce que le premier psaume désigne l’amour de Dieu ; d’où vient qu’il est dit dans ce psaume : « Mon ame a eu soif de toi, etc. ; » et le second signifie l’amour du prochain ; d’où l’on voit dans ce psaume : « afin que nous connaissions que le salut que tu procures est pour toutes les nations. » Or, ces deux amours, de Dieu et du prochain, ont entre eux une telle connexion, que l’un ne peut subsister sans l’autre dans le cœur du chrétien ; 4° parce que la grâce que l’Eglise paraît pressentir dans le premier psaume ne lui est manifestement accordée que dans le second ; ainsi, elle est invitée à rendre à Dieu des actions de grâces par ces paroles du psaume Misereatur nostri : « Que tous les peuples, ô Dieu ! publient tes louanges ; que tous les peuples te louent et te rendent grâces, etc. » On ne dit pas Gloria Patri à la fin du psaume Deus, Deus meus, par cette autre raison que dans ce psaume il s’agit de la misère du genre humain ; c’est pourquoi l’on y dit : « Mon ame est brûlante de soif, etc. » Car tous les psaumes traitant des misères et des adversités ne louent pas Dieu pour ces afflictions, ce qui devrait pourtant avoir lieu ; mais dans le psaume suivant, c’est-à-dire Deus misereatur nostri, on dit à la fin Gloria Patri, parce que ce psaume traite de la miséricorde de Dieu, qui accorde les biens au genre humain et en éloigne les maux. Au reste, les deux psaumes précités et le psaume Laudate Dominum ne sont jamais séparés, pour marquer que sans la foi et sans le désir d’être uni à la Trinité, tous deux exprimés dans les deux psaumes précités réunis, et, de plus, sans la louange de Dieu, désignée par le psaume Laudate, nous ne serons jamais de vrais chrétiens.

XVI. On demande encore pourquoi l’Eglise nous invite à témoigner à Dieu de saints transports de joie dans le psaume Jubilate, tandis qu’elle-même ne témoigne pas ces transports ? A cela on peut répondre que l’office de laudes signifie la résurrection du Seigneur, qui, étant déjà complète dans le chef, c’est-à-dire dans le Christ, est encore à compléter dans les membres. Pour marquer donc qu’elle n’est encore achevée qu’en partie, on ne dit pas de neume à la fin des antiennes, surtout de celles qui ont lieu aux psaumes qui font mention de la résurrection : car le neume est un chant conçu par l’espérance de la gloire ; mais, comme la résurrection est encore à compléter dans les membres, c’est pourquoi le neume, dans certaines antiennes, est appelé jubilus. De là vient que dans le temps pascal, aux versets, aux répons et aux Alleluia, nous ajoutons des neumes pour marquer la jubilation, à cause de notre résurrection, que nous espérons et que nous ne pouvons encore pleinement exprimer, parce que nous ne la voyons pas. C’est pour cela que nous exprimons notre jubilation par des sons inarticulés. Mais dans les antiennes on n’exprime pas de jubilation pour la résurrection du Seigneur, qui est accomplie ; ni même dans les antiennes de laudes, dans les psaumes où l’on fait mention de la résurrection du Seigneur, comme dans les trois premiers psaumes ; ni à la fin de l’antienne du quatrième psaume, parce que Nabucbodonosor, regardant les trois jeunes gens dans la fournaise ardente, en vit un quatrième, c’est-à-dire le Christ, qui les consolait. Car ceux qui sont dans la tribulation ne demandent qu’une seule grâce, celle de ne pas faillir. Et il y a plutôt alors lieu de craindre que d’espérer. C’est pourquoi à la fin de l’antienne de ce psaume il n’y a pas de jubilation, surtout parce que la gloire de Dieu n’apparaît pas alors que les saints sont dans la tribulation ; mais à la fin de l’antienne qui se dit après le psaume Laudate Dominum, on ajoute un neume, parce qu’il n’y est pas question de la résurrection, mais de l’espérance de la gloire que nous attendons. De là le jubilus. Nous avons parlé de ce jubilus dans la préface de cette partie.

XVII. Or, le premier psaume du dimanche à laudes, c’est-à-dire Dominus regnavit, qui est un psaume de joie, est remplacé aux simples fériés par le psaume Miserere mei, Deus, qui est un psaume pénitentiel. À ce sujet, il faut noter que les dimanches et les fêtes rappellent la résurrection des saints qui ont existé dès le commencement et qui seront jusqu’à la fin du siècle. De là vient que les dimanches et fêtes, à laudes, pour rappeler le règne du Seigneur après sa résurrection de la mort corporelle, ou bien la gloire de la résurrection des élus, nous chantons le psaume Dominus regnavit, qui pourtant se dit encore les dimanches à prime, depuis la Septuagésime jusqu’à Pâques, comme on le dira en son lieu. Mais les jours fériés représentent le pèlerinage et la pénitence de ces mêmes saints, et c’est pour cette raison qu’aux laudes des simples féries nous disons le premier psaume, le psaume Miserere mei, Deus, pour signifier notre résurrection de la mort spirituelle par la pénitence, ou le pèlerinage et la pénitence ou conversion des élus. Car les Juifs, remplis de sentiments de componction et convertis par la prédication de saint Pierre, répétaient souvent ce psaume ; de là la coutume implantée parmi nous, qui avons été convertis des erreurs des Gentils, de le répéter souvent dans les offices, pour nous exciter à nous convertir et à faire pénitence, seul moyen pour nous de ressusciter. Nous parlerons encore de ce psaume au chapitre de Prime.

XVIII. Pendant les six jours de la semaine, on dit six psaumes pour remplacer le second, c’est-à-dire le psaume Jubilate, qui se récite les dimanches et les jours de fête. Car, de même que la primitive Eglise, après avoir reçu par la prédication l’héritage des saints, est ensuite passée aux Gentils, qui ainsi ont été mis en possession de la foi ; et de même que le peuple juif reviendra à Dieu à la fin des temps, converti par la prédication des saints, et que ceux qui vivront à l’époque de l’Antéchrist sortiront vainqueurs de la persécution et des tribulations, et que les peuples, après sa prédication, seront rassemblés des trois parties du monde, comme on l’a déjà vu ; ainsi, au lieu du psaume Jubilate, qui désigne la prédication des saints, on dit à la seconde férié le psaume Verba mea, qui est la voix de l’Eglise appelée à l’héritage du Seigneur. A la Septuagésime, on dit le psaume Confitemini, comme on le verra en son lieu ; à la troisième férie, le psaume Judica me Deus, qui représente le temps où la primitive Eglise passa aux Gentils ; à la quatrième, le psaume Te decet, qui figure les Gentils abandonnant les idoles pour le culte de Dieu ; à la cinquième, le psaume Domine, refugium, intitulé : « Prière de Moïse, homme de Dieu, ayant rapport à la conversion des Juifs. » A la sixième férié on dit le psaume Domine, exaudi orationem meam, que chanta David persécuté par Absalon, et qui signifie la persécution de l’Antéchrist.

XIX. Et le samedi, on dit le psaume Bonum est confiteri Domino, intitulé : « Cantique pour le jour du sabbat, » c’est-à-dire pour le jour du repos, lequel figure que les saints, rassemblés des trois parties du monde après la persécution de l’Antechrist, demeureront dans le repos, et confesseront et chanteront en paix les louanges du Seigneur. Or, les six psaumes précités sont rangés de telle sorte que l’on peut y remarquer l’ordre de la conversion des chrétiens.

XX. Mais au lieu du psaume Benedicite on dit six psaumes aux six jours de la semaine, parce que, comme ce psaume renferme les actions de grâces des trois enfants, de même les cantiques contiennent aussi les actions de grâces des élus. Car la différence qui existe entre le cantique et le psaume est la même que celle qui se trouve entre les bonnes œuvres et les actions de grâces. Or, on lit que Moïse, le premier, institua les cantiques, après que Pharaon eut été englouti dans la mer Rouge (Exod., xv). Dans la suite, Débora, l’illustre libératrice du peuple de Dieu, en composa aussi, comme on le voit dans le livre des Juges (c. v). Plus tard, des hommes et des femmes en composèrent à leur tour. Le cantique est le chant de la voix humaine ; le psaume est ce que l’on chante sur le psaltérion. De même que le psaume désigne les œuvres des élus de l’ordre qu’il signifie, ainsi le cantique désigne les actions de grâces rendues après la conversion pour les œuvres précitées. On parlera des cantiques dans la sixième partie, au Samedi saint. On change encore, à chaque jour ordinaire de la semaine, le second et le cinquième psaumes, parce que les six psaumes et les six cantiques ainsi changés pendant les jours de la semaine s’accordent, dans leur signification, avec les huit psaumes qui se chantent le dimanche à matines, ou les huit ordres d’élus dont on a parlé ci-dessus. Ce n’est donc pas sans raison qu’on les chante par ordre, de jour en jour, de la même manière que l’on chante à matines les psaumes du dimanche, ou dans le même ordre que sont placées les classes des élus, pour marquer par là que les classes des élus dans le Nouveau-Testament ont été ainsi formés par succession des temps et dans un ordre régulier.

XXI. Or, on ne doit jamais omettre ou passer sous silence les psaumes Deus, Deus meus et Laudate, parce que dans le temps passé comme dans le temps futur les saints ont toujours été et seront toujours embrasés d’une soif ardente pour Dieu, source d’eaux vives, et ont loué et loueront toujours Dieu au plus haut des cieux. Or, pour rendre ceci plus évident et plus palpable, il faut remarquer que chacun des six psaumes précités renferme en soi le mot mane (matin), ou l’équivalent.

XXII. Or, le matin se divise en six parties : il y a, en effet, le matin du temps, le matin du cœur, le matin de notre rédemption, le matin de l’homme, le matin de l’éternité, et le matin de la prospérité mondaine. Le matin est le commencement du temps et le fondement de la foi, dont il est dit dans la Genèse : « Et le matin et le soir formèrent un seul jour. » Le matin du cœur est le commencement de la grâce, c’est-à-dire lorsque la grâce commence à briller dans le cœur ; d’où : « Fais parvenir jusqu’à moi la lumière ; » et : « Tu exauceras ma voix le matin. » Le matin de notre rédemption est le temps du matin où notre Seigneur ressuscita et où sa résurrection fut connue ; d’où ces mots : « Tu répandras la joie dans l’Orient et dans l’Occident. » Le matin de l’homme est son enfance et son adolescence, époque à laquelle il est dans sa vigueur et sa fleur ; d’où ces paroles du psaume : « L’homme est le matin, le matin passe comme l’herbe des champs, qui passe bientôt ; le matin, il fleurit et il passe ; le soir, il tombe, il s’endurcit et se sèche. » Or, il arrive souvent que l’homme passe ou meurt au matin de son enfance ; et, s’il lui arrive de passer au matin de l’adolescence, où il se pare de verdure et de fleurs, souvent aussi, arrivé à ce point, il passe encore ; que si, par hasard, il parvient jusqu’au soir de la vieillesse, alors infailliblement il est moissonné par la mort, il se durcit comme un cadavre, et ses membres se dessèchent dans la poussière. Le matin de l’éternité est le commencement de la gloire éternelle ; d’où ces paroles du Psalmiste : « Fais-moi entendre ce matin ta miséricorde, » c’est-à-dire la voix de ta miséricorde ; c’est-à-dire : « Venez les bénis de mon Père, etc. » Le matin de la prospérité mondaine est cette même prospérité ; d’où ces paroles du Psalmiste : « pour annoncer le matin ta miséricorde. » Entièrement occupé du salut de son ame, qu’il se lève le matin [du temps] pour la prière, afin qu’il puisse dire : « Le matin, je me tiendrai en ta présence et je te verrai, et tu exauceras ma prière le matin, » comme on le voit dans le premier psaume, Verba mea. Mais, comme sa prière n’a pas d’effet sans le matin du cœur, c’est-à-dire sans le commencement de la grâce, c’est pourquoi il dit : « Envoie-moi ta lumière ; » ce qui se trouve dans le deuxième psaume, Judica me, Deus, etc. ; mais, comme le matin du cœur dépend du matin de notre rédemption, c’est pourquoi il dit : exitus matutini, etc., qui se trouve dans le troisième psaume, Te decet. Mais comme, après avoir obtenu le matin du cœur, qui est produit par le matin de la rédemption, l’homme commence à devenir méprisable à ses propres yeux, alors suit le matin, sicut herba transeat, qui se trouve au quatrième psaume, Domine, refugium ; mais, comme plus il devient méprisable à ses propres yeux, plus il se rapproche du matin de l’éternité, c’est pourquoi il est dit : ce Seigneur, fais que j’entende le matin la voix de ta miséricorde, » ce qui se trouve au cinquième psaume. Domine, exaudi orationem meam ; et comme ceux-là seuls parviennent à ce résultat, qui louent Dieu dans l’adversité comme dans la prospérité, c’est pourquoi on ajoute : « pour annoncer le matin ta miséricorde, » comme on le voit au sixième psaume, Bonum est, etc.

XXIII. Les sept psaumes qui sont changés à chaque jour ouvrable, et les cantiques que l’on dit en ces jours, s’accordent entre eux et peuvent s’adapter très-bien à la durée du temps de la grâce. En effet, à la seconde férie on rappelle l’état de la primitive Eglise, qui reçut l’héritage éternel par la prédication des saints, comme on l’a dit ; c’est pourquoi, dans le psaume Verba mea, l’Eglise prie pour l’héritage éternel qu’elle a recueilli par le Christ. De là vient qu’à la fin du même psaume il est question de cet héritage acquis par l’Eglise. Dans le cantique, elle rend des actions de grâces en disant : « Seigneur, je confesserai tes louanges et te rendrai des actions de grâces, parce que tu t’es irrité contre moi ; mais ta fureur s’est détournée de moi et tu m’as consolé » (Isaïe, xii). En effet, la colère de Dieu a duré jusqu’à la passion du Sauveur ; mais alors le Seigneur a calmé son courroux, et il a consolé l’Eglise en lui ouvrant la porte de son royaume céleste, tandis qu’auparavant tous étaient jetés dans les enfers. C’est pourquoi, dans le psaume, pour montrer sa solitude, l’Eglise dit : « Je me tiendrai le matin en ta présence et je connaîtrai, etc. » Mais dans le cantique, pleine de confiance, elle dit : « Le Seigneur est ma force et ma louange, » c’est-à-dire c’est par lui que je suis forte, et c’est lui que je suis tenue de louer. C’est donc à l’Eglise tout entière que se rapportent les paroles du psaume Verba mea, mais spécialement à la primitive Eglise, qui reçut des apôtres la promesse de l’héritage éternel ; et alors l’étendard de la croix commença à être porté haut parmi les nations ; c’est à cet étendard que le cantique a trait, ce qui apparaît manifestement, d’après les paroles d’Isaïe qui précèdent ce cantique ; car le Prophète dit, un peu plus haut : « En ce jour-là la racine de Jessé apparaîtra comme un étendard aux yeux des peuples ; les nations lui adresseront leurs vœux, et son sépulcre sera glorieux. » Un peu après il dit : « Il élèvera l’étendard sur les nations, et il rassemblera les exilés d’Israël, etc. » Notre Sauveur est la racine de Jessé, et c’est lui-même qui est élevé comme un étendard aux yeux des peuples, parce que les nations ont les regards tournés vers Dieu et lui adressent leurs vœux ; et son tombeau a été glorieux. Quoique nos péchés l’exigeassent, il est couvert d’ignominies pour un temps, et lui-même, par les apôtres et les autres chrétiens primitifs, il éleva sur les nations l’étendard de la croix, dans lequel se trouve la victoire, afin que tous sachent par quoi le diable a été vaincu. Mais auparavant il a rassemblé les fugitifs d’Israël, lorsque, le jour de la Pentecôte, des hommes religieux arrivant à Jérusalem, rassemblés de toutes les parties du monde et de toutes les nations qui sont sous le ciel, un jour trois mille et un autre jour cinq mille d’entre eux crurent en Jésus-Christ ; car saint Paul, dans les Actes des apôtres, leur dit : « Il faut d’abord prêcher aux Juifs la parole de Dieu. » A la troisième férie, nous représentons l’époque où l’Eglise était persécutée par les impies, par les Juifs d’abord, et dans la suite par divers empereurs romains, surtout depuis le temps de Néron jusqu’à celui de Dioclétien et de Maximien. Or, ce que l’Eglise souffrit alors est indiqué par le psaume Judica me, Deus, et discerne causam meam de gente non sancta ; et il désigne la tristesse de l’Eglise, en disant : « Et pourquoi me vois-je réduit à marcher dans la tristesse, étant affligé par l’ennemi ? » Mais, parce que l’Eglise a été délivrée de cette persécution, elle chante le cantique Ego dixi, qui est d’Isaïe, et que chanta Ezéchias lorsqu’il fut délivré de Sennachérib et après la maladie que Dieu lui avait envoyée, pour que son cœur ne s’enflât pas et ne donnât pas accès à l’orgueil, ou bien parce que son cœur s’était enorgueilli du triomphe inconcevable obtenu sur l’armée de Sennachérib ; et, de même que ce prince, après sa délivrance, rendit gloire à Dieu, ainsi fait l’Eglise ; et pourtant auparavant elle dit, comme en désespérant : « Je ne verrai plus l’homme désormais et celui qui habite au sein de la paix, » c’est-à-dire mon Sauveur, qui devait me procurer le repos. Bien plus, lorsqu’elle voyait ses enfants mis à mort de tous côtés, elle disait : « Ma génération m’a été arrachée ; elle a été prématurément séparée de mon sein, lorsque mon tissu n’était pas encore achevé, et pendant que j’ourdissais ma trame mes jours ont été tranchés. » Cependant l’Eglise, reprenant espoir, dit : « Vivant ; » supplée : Vivant maintenant sous ta protection, c’est-à-dire plus tard, dans le repos à venir ; « il confessera lui-même ton nom, comme je le fais aujourd’hui ; » supplée : Délivrée de mes ennemis, et moi je fais comme un bon père de famille, qui fait connaître sa vérité à ses fils. La quatrième férie rappelle le temps où l’Eglise commença à être élevée au-dessus de ses ennemis, lorsque l’empereur Constantin lui rendit la paix ; c’est pourquoi elle chante : Te decet hymnus Deus in Sion. Sion, par interprétation, signifie vue ou contemplation, parce que dans le temps de son repos l’Eglise put se livrer à la vie contemplative. C’est ce que signifient le psaume de David, le cantique de Jérémie et celui d’Ezéchiel sur le peuple captif à Babylone, et tout ce qui a trait à la captivité, lorsque le peuple était sur le point d’en sortir. Car, de même que le peuple d’Israël commença à sortir de la Babylonie après en avoir reçu la permission de Cyrus, de même l’Eglise, délivrée par l’empereur romain Constantin de cette autre captivité de Babylone supportée sous divers empereurs, a l’espoir de voir sa condition s’améliorer jusqu’à ce qu’elle arrive à la céleste Jérusalem ; c’est pourquoi, rappelant les persécutions passées, elle dit : Verba iniquorum prœvaluerunt super nos, et, pour montrer son départ, elle ajoute : « Tu béniras la couronne de l’année de ta clémence. »

XXIV. « La couronne de l’année de ta clémence » signifie le temps de la grâce, qui, par la chaîne circulaire des jours, se dirige jusqu’à la fin du monde, époque à laquelle les champs, c’est-à-dire ceux qui sont remplis de l’appréhension que donne l’orgueil, manquant de la fécondité de la grâce, seront repoussés. C’est pour cette délivrance que l’Eglise chante le cantique qu’Anna, mère de Samuel, chanta lorsqu’elle fut délivrée des persécutions de Fénenna, sa rivale, et qui commence ainsi : « Mon cœur s’est réjoui dans le Seigneur » (I Reg., ii). Car, lorsque la république chrétienne commença à être administrée par des hommes d’une vie angélique et par des empereurs chrétiens, l’Eglise commença à dilater sa bouche sur ses ennemis, c’est-à-dire les juifs, les païens et les hérétiques ; d’où suivent ces mots : « Mon cœur s’est dilaté, etc. » Les Juifs convertis jouissent de la même paix que les Gentils convertis eux-mêmes ; de là vient que, pour personnifier le peuple juif, nous chantons à la cinquième férie : « Seigneur, tu es devenu notre refuge. » Or, le titre montre que ce psaume a trait aux Juifs ; ce titre est ainsi conçu : Prière de Moïse, l’homme de Dieu. Le cantique de Moïse, Cantemus Domino, qui se trouve dans l’Exode, au commencement du chapitre xv, a trait également aux Juifs. Car, de même que les Juifs se réjouirent après la destruction de Pharaon et de son armée, ainsi les chrétiens se réjouissent aujourd’hui de la mort des divers empereurs qui persécutaient l’Eglise en haine du nom chrétien.

XXV. A la sixième férie on fait mémoire de la passion du Seigneur ; c’est pourquoi on chante le psaume Domine, exaudi orationem meam, dont le titre est : Psaume de David, quand son fils Absalon le poursuivait. Or, comme David eut plusieurs fils, dont l’un d’eux, Absalon, le persécuta, ainsi notre Seigneur a plusieurs enfants, dont il dit maintenant : « Les enfants de l’époux ne peuvent pleurer partout où l’époux se trouve avec eux. » Mais un d’entre eux, c’est-à-dire Judas, le persécuta, Judas, qui est appelé Absalon, comme si l’on disait Abassalon, c’est-à-dire Père de la paix, à cause du baiser qu’il donna au Seigneur ; car le baiser est un signe de paix. A la même chose se rapporte le cantique Domine, audivi auditum tuum, qui est d’Habacuc (c. iii), au commencement, où il est dit : « Il sortira de ses mains des rayons de gloire, c’est là que sa force a été cachée ; la mort marchera devant lui. » Par le mot cornua (cornes), nous avons coutume d’entendre royauté ; et le sens de cornua in manibus ejus est celui-ci : La royauté est en sa puissance, et il a mérité que cette puissance lui fût donnée, ou plutôt que cette puissance, après lui avoir été donnée, fût notifiée et connue de tous par sa passion, et touchant laquelle puissance il dit lui-même : « Toute puissance m’a été donnée dans le ciel et sur la terre. » Car, par cornes on entend, et avec raison pour ce motif, les bras de la croix ; d’où il paraît, d’après cela, que l’on devrait dire ses mains sont sur les cornes (ou sur les bras de la croix), plutôt que cornua in manibus, etc., ce qui signifie le contraire. Cependant le prophète Habacuc a mieux aimé dire cornua in manibus, etc., pour montrer qu’il a eu et le pouvoir et la volonté d’être crucifié, comme il le dit lui-même : « Personne, dit-il, ne m’ôterala vie ; mais j’ai le pouvoir de m’en dépouiller moi-même et de la reprendre. » C’est là, c’est-à-dire sur la croix, que sa force a été cachée pour un temps, parce qu’il a été réputé comme frappé de Dieu lui-même, et humilié ; et la mort marchera devant sa face, parce que la mort a été détruite par sa mort. Et remarque que ce jour est le cinquième depuis la seconde férié où il s’agit de la passion du Sauveur, comme les dimanches, à nocturne, on place en cinquième lieu le psaume où l’on voit Nabuchodonosor tombé dans le mépris, et la victoire des trois enfants dans la fournaise ardente, où apparaissait un quatrième qui était semblable au Fils de Dieu (suivant une autre traduction, semblable au Fils de l’Homme), parce que dans la passion du Sauveur ont été consommées la destruction du diable et la victoire du peuple chrétien rassemblé des trois parties du monde, qui est le vrai Fils de Dieu et le vrai Fils de l’Homme. Mais le samedi on fait mention de la victoire du peuple juif, qui sera réuni à l’Eglise de Dieu à la fin des siècles, et chantera avec l’Eglise le psaume : « Il est bon de louer le Seigneur, pour annoncer le matin ta miséricorde, » c’est-à-dire ta miséricorde pour la prospérité que tu nous accordes, et ta vérité pendant la nuit, c’est-à-dire la nuit de l’adversité. Ce psaume est intitulé : Louange du cantique de David pour le jour du sabbat. C’est pourquoi il convient qu’on chante le samedi ce psaume, où il est question de Judas, qui persécuta le Christ, et qui est figuré par Absalon, qui persécuta son père, et qui est intitulé : pour le jour du sabbat. Or, que ce psaume ait trait au peuple juif, cela ne fait pas doute, d’après ce verset : « sur le psaltérion à dix cordes, accompagné du chant, etc. » Par le psaltérion à dix cordes, on entend la loi, qui renferme dix commandements.

XXVI. Et remarque que certains portent le psaltérion et n’en touchent pas, comme les Juifs perfides, qui, dans leurs livres, nous rendent témoignage, et qui nous haïssent dans leurs cœurs. Certains le portent et semblent en toucher, mais ils n’en touchent pas, comme les faux et les mauvais chrétiens, qui font quelquefois des bonnes œuvres avec tristesse et un cœur qui conçoit l’iniquité. Il y en a qui le portent et qui en touchent, comme ceux qui font le bien avec gaîté de cœur. C’est ce qui arrivera au peuple juif, lorsqu’il sera uni à l’Eglise. Le cantique de Moïse, Audite, cœli, qui se trouve au Deutéronome, chapitre xxxii, se rapporte aussi au sabbat et au peuple juif, comme on peut le voir d’après les paroles de Bède, qui dit, sur saint Luc, que les jours du sabbat les Juifs affluaient dans les synagogues, pour méditer les commandements de la loi divine, abandonnant les affaires temporelles, d’après ce passage : « Laissez de côté les affaires, et voyez combien le Seigneur est doux. » Or, en mémoire de l’ancienne religion, on chante le samedi le cantique même du Deutéronome, et dans ce psaume on décrit les divers états par où passèrent les Juifs, soit lorsque Dieu était irrité contre eux, soit quand il leur était favorable.

XXVII. Après l’antienne suit le capitule, par lequel on nous exhorte pour que nous ne défaillions pas dans la voie de cette vie. On dit quelquefois Benedictio et claritas (Apocal., cap. vii), et d’autres fois Fuistis aliquando tenebrœ (Ephes., cap. v) et quelquefois Nox prœcessit (ad Roman., cap. xiii), pour nous exhorter à persévérer dans la foi, à nous appliquer aux œuvres de miséricorde, à repousser les œuvres des ténèbres, à revêtir les armes de lumière, et pour nous consoler par la promesse réciproque de la gloire. Après le capitule vient le répons. Cependant, dans certaines églises on ne dit pas de répons ; car il paraît que c’est une superfluité, à cause des répons que l’on dit à nocturne, parce qu’aujourd’hui, en tous lieux, nocturne, matines et laudes se chantent sans interruption. Mais cette raison cesse d’exister si matines et laudes sont un office à part. Cependant, à toutes les autres heures le répons suit le capitule ; après le capitule ou répons, le chœur, pour marquer son assentiment aux exhortations qu’il a reçues, chante l’hymne ; après l’hymne vient le verset. Car le cantique de Zacharie, qui suit aussitôt, est un cantique de promesses, et nous sommes lents à croire aux promesses ; c’est pour cela qu’on le fait précéder du verset, qui se dit à haute voix, pour nous exciter à croire aux promesses de Dieu. Dans certaines églises on dit le verset Repleti sumus mane misericordia tua, « Nous sommes remplis le matin de ta miséricorde, » par lequel on rappelle que les justes recevront une récompense après les travaux de cette vie. D’où Bède dit : « Nous sommes remplis le matin de ta miséricorde ; » le Prophète, par une certitude prophétique, met le présent pour le futur, parce que c’est au matin de l’éternité que nous serons remplis de la miséricorde du Seigneur, d’après ces paroles : « Je serai rassasié, lorsque ta gloire aura paru. » Or, dans d’autres églises on dit à matines : Domine, meditabor in te, « Seigneur, je méditerai sur tes perfections divines. » Ensuite le chœur, excité par le verset, entonne le cantique de Zacharie, Benedictus, qui se trouve dans saint Luc (c. i), et que l’on chante toujours, d’après ce que dit l’Apôtre : Il faut servir Dieu dans les psaumes, dans les hymnes et dans les cantiques, c’est-à-dire de cœur, de bouche et d’œuvres. En effet, par l’hymne nous exprimons la joie que nous avons d’avoir conquis la liberté ; et comme c’est le Christ qui nous a acquis cette joie, c’est pourquoi, afin de ne pas paraître ingrats pour un tel bienfait, nous éclatons en chants de louanges en l’honneur de Dieu, en entonnant l’antienne ; et parce qu’il nous a délivrés, nous lui rendons grâces en chantant à haute voix ce même cantique ; et pourquoi ? parce qu’il nous a visités dans notre misère et qu’il a racheté son peuple. Nous dirons dans la sixième partie, au Jeudi saint, pourquoi encore on le chante à haute voix. Ou bien encore on dit le cantique après les psaumes, les leçons et le verset, pour nous rappeler qu’à la fin de la loi nouvelle, désignée par les psaumes précités de matines, nous recevrons la récompense promise à Abraham, si, pénétrés de la doctrine du Christ, désignée par la leçon, et visités pour le service de Dieu, symbolisé par le verset, nous servons le Seigneur tous les jours de notre vie, sans crainte ; dans la sainteté et la justice.

XXVIII. On dit encore le psaume Benedictus en cet endroit, parce qu’il y est question du précurseur de Celui qui est venu dans le sixième âge, et c’est le sixième psaume de laudes. Et remarque que, comme ce cantique et le cantique de Marie font partie des évangiles, c’est pour cela qu’on les chante debout. Au reste, ces deux cantiques ne se chantent pas dans l’Eglise dans l’ordre où ils ont paru. Le Maître adopte cet ordre dans ses histoires, où il parle de la naissance du précurseur ; car le cantique de Zacharie est chanté le premier, quoiqu’il n’ait paru que le second, parce qu’on y lit : Et erexit cornu salutis nobis, « Et il a suscité pour notre salut un puissant médiateur, » ce qui s’est fait dans la résurrection ; et comme il s’adresse à l’enfant qui fut l’aurore du soleil, c’est pourquoi il se chante à laudes. Or, comme dans le cantique de la Vierge, où on lit : Respexit humilitatem ancillæ suæ, « Il a regardé la bassesse de sa servante, » c’est-à-dire de l’Eglise, représentée par Marie elle-même, ce qui arriva au sixième âge ; il est question aussi de l’incarnation : Suscepit Israël, etc., « Il a pris en sa sauvegarde Israël son serviteur ; » c’est pourquoi ce cantique se chante à vêpres, c’est-à-dire au sixième office du jour. Troisièmement, le cantique de Siméon, qui suit, se chante au septième office, c’est-à-dire à complies, parce qu’il demande à être renvoyé dans la paix, ce qui signifiait le septième âge de ceux qui sont dans le repos. On dit encore en trois heures trois bonnes nouvelles (evangelia), c’est-à-dire, à l’aurore, Benedictus, pour y annoncer l’apparition de la vraie lumière ; à vêpres, Magnificat, parce que, comme il est dit dans ce cantique, Dieu, à la fin du monde, perdra les superbes et exaltera les humbles ; à complies, Nunc dimittis, parce qu’après le jugement les saints régneront dans la paix. Quand le cantique est terminé, suit l’antienne, qui signifie l’amour ou la dévotion que nous devons avoir en louant Dieu. Avant de dire le cantique, on offre à Dieu de l’encens pour marquer la dévotion qui procède du feu de la charité et qui doit accompagner toutes nos louanges. Car l’encensoir est le cœur de l’homme, le feu est la charité, l’encens est la prière, la fumée qui s’élève en haut est la dévotion par laquelle l’homme doit s’élever aux choses spirituelles, d’après ces paroles : Dirigatur oratio mea, etc. Nous en avons parlé dans la quatrième partie, au chapitre de l’Arrivée du Pontife à l’autel, et nous en parlerons encore au chapitre de Vêpres. D’abord, on encense autour de l’autel, car le prêtre de l’ancienne loi entrait le matin dans le temple pour encenser autour de l’autel, comme on le dira au chapitre de Vêpres. Ainsi, on encense autour de l’autel, pour marquer que nous devons dire le cantique avec toute l’affection de notre ame, et pour qu’il ne nous arrive pas ce qui arriva à Zacharie, à qui, pendant qu’il offrait l’encens, apparut un ange disant qu’il lui naîtrait un fils_, et lequel devint muet pour n’avoir pas cru. Croyons donc aux promesses de Dieu, de peur que nous ne devenions muets pour chanter ses louanges. Nous en donnerons encore un autre motif au chapitre de Vêpres. Après le cantique vient l’oraison, par laquelle on obtient les promesses ; nous en avons parlé dans la préface de cette partie. On a parlé dans un chapitre précédent des laudes et des matines que disent les moines.