À l’Occasion.
Occasion, qu’à moy t’es souvent presentée,
Lorsque, pour mon malheur, ne t’ayant souhaittée,
Jeune, je ne daignois de te prendre aux cheveux ;
Ores que je suis vieil et que je te souhaitte,
Si jamais tu reviens t’offrir dans ma logette,
À tes offres soudain j’attacheray mes vœux.
Le deplaisir que j’ay de t’avoir meprisée
Au temps que ma besongne estoit des grands prisée,
Et que tu me voulois mettre à Fontainebleau2,
M’est si grand que depuis, pour marque de ma faute,
Au bourg où je me tien, j’ay dans ma chambre haute
Dudit Fontainebleau l’admirable tableau.
Enfin je pouvois estre, exempt des fascheries,
Dans ce Fontainebleau ou dans les Galeries
Où maints artisans sont au service des rois.
Mais j’ay beau regretter Fontainebleau, le Louvre,
Le temps qui est perdu jamais ne se recouvre,
Ny l’homme ne peut estre au monde qu’une fois.
À la Fortune.
Fortune, qui conduis sur la terre et sur l’onde
En diverses façons la brigade du monde,
Fay que ce petit livre, où je suis esperdu,
Pour ne l’avoir sceu faire, en ce temps où nous sommes,
Digne de voir le jour, ny d’estre veu des hommes
Ne soit des mesdisans ny pincé, ny mordu.
De plus, fais, s’il te plaist, que ce petit volume,
Au sortir de ma forge, où le charbon s’allume,
Ne s’aille mettre au jour sans guide et sans support :
Car, s’il est attaqué de quelque Menippée,
Un coup de langue est pire qu’un coup d’espée,
Ou fais à tout le moins qu’il prenne un passeport.
Toy donc que je reclame, ô Fortune perverse !
Qui eslève les uns et les autres renverse
Dans les malheurs du monde où le destin nous met,
Ne me sois point contraire, ains conduis mon envie ;
Mais quoy ! tu ne peus rien en ceste humaine vie,
Ny le destin non plus, si Dieu ne le permet.
Au Bonheur.
Bonheur, qui peux beaucoup et qui n’as rien d’injuste,
Qui conduis les desseins de nostre grand Auguste,
Sous le vouloir de Dieu et de Sa Majesté,
Je te prie et conjure, au nom de ce monarque,
De vouloir empescher que d’aucun aristarque
Ce petit avorton ne soit trop molesté.
Au mesme.
La chauve Occasion3, qui va sur une boule,
Ny la Fortune aussi, qu’entre le peuple roule,
Ne sont pas tant que toy en ce bas univers.
Parquoy, de tout mon cœur, je te supplie encore,
Ô souverain Bonheur, que j’aime et que j’honore !
D’estre le sauf-conduit de moy et de mes vers.
Aux Censeurs.
Censeurs que je redoute, et non sans apparence,
Attendu qu’en mes vers on ne voit qu’ignorance
Et que confusion ;
Traitez-moy doucement en ceste poesie,
Et je me souviendray de vostre courtoisie
En toute occasion.
Aux Lecteurs.
Lecteurs, qui ne sçavez d’où ny de quelle marque
Est celuy qui dedie à nostre grand monarque
Des quatrains si mal faits,
C’est un pauvre artisan, Auvergnat de naissance,
Lequel par ses escrits vous donne cognoissance
De ses petits effects.
Quatrains au Roy.
Grand roy, dont le renom sur la terre et sur l’onde
Vole et fait oublier les hauts faits des Romains,
En vous offrant les vœux du moindre ouvrier du monde,
Je vous offre humblement de l’œuvre de ses mains.
Ce n’est pas de ceste œuvre, où l’art du lapidaire
Paroist riche, esclatant sur l’or jaune bruny,
Ains c’est une harquebuse au mieux que j’ay sceu faire,
Ensemble un pistolet leger et tout uny4.
Et si le beau n’y est, ainsi qu’il devoit estre,
À tout le moins le bon n’en est point separé.
L’enrichisseure au fust5 ne sert rien qu’à paroistre,
Et le fer bien trempé ne doit estre doré.
La bonté plus que l’or est aux armes requise.
En celles dont le beau tient la place du bon,
L’utile y cède au fard, et Mars aussi ne prise
Les armes riches d’or qu’au croc de la maison.
Donc, pour sçavoir connoistre et conserver durables
Toutes armes à feu en leur lustre et bonté,
En voicy, ô grand roy ! des advis convenables
À qui les portera pour Vostre Majesté.
On trouve assez souvent longs, legers et sans jointe,
Des canons beaux du tout, qui sont rudes et faux ;
Mais à les voir dedans, du gros jusqu’à la pointe,
On peut, quand ils sont neufs, connoistre les defauts.
Car, si dans un canon la lueur n’est esgalle,
C’est que le trou serpente ou qu’il n’est point pareil,
Et ce trou fait ainsi, ne portant droit la balle,
Se cognoist mieux de l’œil à l’ombre qu’au soleil,
Non de près, mais de loin, un gros calibre escarte ;
Un moyen porte mieux le menu plomb serré ;
Pour tirer d’une balle au blanc dans une carte,
Le plus petit calibre est le plus asseuré.
Bref, un canon bien fait, gros de moyenne sorte,
De peu de poudre il tire au loin, droit, fort et franc ;
Le trop gros n’est si doux, ny de loin droit ne porte,
Qu’à force de charger, sa grosse balle au blanc.
En limant un canon, si le fer n’y demeure
Esgal de suite en rond, il faut croire, dès lors,
Que sans le relimer, quoy qu’on fasse à toute heure,
Il sera tousjours faux en dedans ou dehors.
Et, bien qu’il soit dehors droit et droit de calibre,
Si le trop gros derrière au devant vise bas,
Ou quand le mouvement du rouet6 n’est pas libre,
L’un fait tirer trop haut, l’autre trembler le bras.
Enfin, si le calibre au dessus ne s’accorde,
Cela fait un canon injuste et repousser.
Un bon canon doit estre aussi droit qu’une corde
Et d’un fer non cassant, ny sujet à fausser.
Le fer trop aigre aussi en rouets rouille et casse ;
Le trop doux est trop foible et ne trempe assez dur ;
L’entre-deux est meilleur pour la guerre et la chasse,
Mais un rouet leger doit estre d’acier pur7.
Aussi n’estimant point, pour servir d’ordinaire,
Un pistolet de fer s’il n’est un peu grossier,
Lorsque j’en promets un et que je le dois faire
Leger, durable et bon, je le fay tout d’acier.
L’acier en tout ouvrage a beaucoup plus de force
Et d’esclat que le fer, quand il est bien poly ;
Un canon de trois pieds, leger comme une escorce
En seroit du tout bon et grandement joly8.
Il est vray qu’il seroit en beaucoup plus de peine,
Beaucoup plus qu’un de fer difficile à forger,
Mais qu’il seroit aussi fait en si longue haleine
Beaucoup plus fort qu’un autre et beaucoup plus leger.
De tels canons Bellone est encor despourveue,
Et pour en faire voir j’en ferois volontiers ;
Mais je suis devenu si foible et court de veue
Que je me juge impropre à tous rudes mestiers.
Pour de petits et forts et legers tout ensemble,
À moins de peine et frais j’en fay bien quelques uns
En des pistolets plains, qui seront, ce me semble,
Au service de Mars, meilleurs que les communs.
En après, pour monter ces canons que j’approuve,
À rouets ou fusils9, suivant ma reigle icy,
Un cormier rouge et dur est le bois que je trouve
À monter le plus beau et le meilleur aussi10.
Mais de polir ce bois et luy donner un lustre
De vernis sans vernis, il n’appartient à ceux
Dont le trop peu de peine est l’arrest qui les frustre
D’un art qui ne s’aprend au train des paresseux.
La polisseure au fer est aussi mal aisée :
D’un bon estaim bruslé il faut tirer le fin,
Et de la mesme poudre en eau douce infusée
Aux armes polies blanc on donne une autre fin.
Pour faire ceste poudre, en voicy ma coustume :
Ayant mis dans un pot l’estaim sur le brasier,
En l’escumant, l’escume en cendre se consume,
Et dans l’eau trouble après j’en oste le grossier.
Et puis, pour en polir d’un plomb fait en platine
L’acier et fer trempé, il n’y faut rien d’huilé,
Ains faut estre plus propre en ceste poudre fine
Qu’en l’esmery, qu’on passe avant l’estain bruslé.
De plus, il faut du temps et de la patience
À polir un rouet quand il est trop ouvré,
Et ce trop sans besoin (pour dire en conscience)
Fait perdre un temps qu’après n’est jamais recouvré.
Soit de fer ou d’acier, une œuvre toute unie
Se polit mieux qu’une autre, et ne couste pas tant :
Un pistolet tout plain, dans une compagnie,
Est commode et durable en son lustre esclattant.
Il se peut faire aussi des pistolets de chasse
Qui de cinquante pas porteront comme il faut
La dragée11 serrée au bout de ceste espace ;
Mais trop de poudre escarte et fait tirer trop haut.
Dans un pistolet neuf sur tout je recommande
D’y mettre après la balle un bouchon fort à plain,
Afin qu’en le portant la balle ne descende,
Et, le voulant tirer, qu’il ne crève en la main.
Car, si dans un canon le plomb ne joint la poudre,
Il faut de la baguette en haut le repousser,
El qui ne le fait pas ce canon est un foudre
Que la charge, en tirant, fait crever ou bosser.
Voilà donc pour garder qu’un pistolet ne crève,
Et, pour chasser la rouille et le tenir bien net,
Il faut l’huilier par fois, autant en bruit qu’en trefve,
Et le frotter souvent d’un linge blanc et sec.
L’haleine et le serain, les mains chaudes suantes,
Sans linge pour torcher ce que l’on voit paslir,
Font ternir et rouiller les armes reluisantes,
Et où la rouille grave il faut tout repolir.
Il est fort convenable à un brave courage
D’avoir des pistolets qui soient faits en amy ;
Mais tel pense en porter d’assez bons pour l’usage
Qu’à faute d’entretien ne le sont qu’à demy.
Et, pour ne rien celer en ce discours des armes,
Parlant des pistolets, je diray nettement
Que je suis estonné qu’en ce temps plein d’alarmes
L’usage des fuzils s’y voit aucunement.
Car, tant que la guerre est, je ne puis me resoudre
À faire des fuzils que pour le cabinet.
Le feu s’y fait trop haut au dessus de la poudre,
Et s’escarte en tombant autour du bassinet.
En outre ce deffaut, un autre est au couvercle
Qui ne s’ouvre en haussant qu’après le coup du chien ;
Ce coup faisant le feu, ce feu trouve un obstacle
Qui l’empesche d’entrer où la poudre se tient.
Et neantmoins, au temps d’une paix asseurée,
Pour la chasse, en tous lieux unis et raboteux,
Les fuzils sont aisez et de longue durée ;
Mais au besoin de Mars ils sont un peu douteux12.
À ces fuzils nouveaux il y faut une pierre
Mince et large, à l’esgal de la pièce devant,
Et, selon qu’elle s’use (ouvrant ce qui la serre),
Il en faut mettre une autre, ou la tourner souvent.
Les fuzils à l’antique, estant de bonne force,
Le bassinet s’ouvrant à temps et par ressort,
Semblent estre meilleurs, d’autant que sur l’amorce
Le coup du feu s’y fait plus à plomb et plus fort.
Mais le plus asseuré, et où le plus j’acquiesce,
C’est quand le bassinet est libre au coup de feu,
Et que ce coup bas n’hausse, ains pousse l’avant-pièce.
Le feu s’y fait plus bas, et bas s’escarte peu.
De plus, quand d’un fuzil la desserre est mouvente
Où le coq se repose13, et non au plus haut point,
En y portant le doigt ce mouvement contente,
Et sans bander plus haut le coq ne bouge point.
Or, vous en offrant un de ceste mesme mode,
Qui est la moins sujette aux fascheux manquemens,
Si Vostre Majesté la trouve assez commode,
Je suis prest d’obeyr à ses commandemens.
Je suis tousjours esté d’une humeur si craintive,
Si pauvre et si grossier et si peu demandé,
Que je n’ose entreprendre en ceste vie active
De travailler pour vous sans estre commandé.
D’ailleurs, j’ay ouy dire, ô prince magnanime !
Qu’on avoit fait entendre à Vostre Majesté
Que mon pauvre œuvre est mieux pour un pusillanime
Que pour un qui s’en sert quand Mars est irrité.
Que cela soit ou non, je ne sçaurois qu’y faire :
Le meilleur, en tous cas, c’est de patienter.
Si ores la Fortune est à mes vœux contraire,
Le temps la peut changer sans m’y violenter.
Ainsi, avec le temps, qui tout change et rechange,
Je pourray voir changer la fausse opinion
Que l’envie a craché sur un peu de louange
Que j’ay dans l’arsenal du frère d’Enyon14.
Toutesfois, s’il falloit me tenir d’ordinaire
À Paris, pour cela je n’y durerois pas :
Un triste mal, causé d’humeur atrabilaire,
Me fait hayr le bruit du monde et ses appas.
Mesme sur le declin de ma penible vie,
Où, me voyant fort pauvre et de vivre ennuyé,
Je crains plus les mocqueurs que je ne crains l’envie :
Car qui n’excelle en rien n’est de rien envié.
De plus, j’ay tant d’enfans qu’il me seroit estrange
De les conduire au loin ou d’en estre à l’escart,
Ny n’espère, où que j’aille, aucun gain ny louange,
Estant le plus grossier de tous ceux de mon art.
Aussi, pour m’excuser, si l’on me veut reprendre
En ce petit discours trop rude et mal troussé,
Je dis qu’un artisan ne se peut faire entendre
Par les mots de son art sans estre un peu forcé.
Moy donc, le moindre en l’art des faiseurs d’harquebuzes,
Et le moins entendu pour parler à un roy,
Doublement importun, à la porte des Muses
J’ay mandié ces vers, qui parleront pour moy,
Ce ne sont point des vers des savantes estudes :
Onc je n’y ay passé un seul jour de mes ans ;
Ils ont esté cueillis ès rudes solitudes
Où je roule ma vie au train des païsans.
Ce ne sont point aussi d’une plume subtile
Les beaux traits ny l’emprunt d’un langage affetté ;
Ains c’est du fruict forcé de ma veine infertile
Qu’indiscret je dedie à Votre Majesté.
Et, si vous acceptez mon bien peu d’industrie,
Selon ce que j’en ose icy mettre en avant,
Sans me faire quitter tout à fait ma patrie,
Vous ne lairrez d’en voir les effets bien souvent.
J’envie tant l’honneur de vous rendre service,
Que quand je n’en aurois que l’envie tousjours,
Geste envie me semble à devider propice
Sous vostre règne heureux le reste de mes jours.
Faites-m’en donc donner (ô très puissant monarque !)
La charge et le moyen convenable au projet,
Et je seray tant mieux, jusqu’où ma fin se marque,
De Vostre Majesté le très humble sujet.
À tous en general.
Mars estoit sans second en toutes ses batailles ;
Il ne pouvoit forcer les cœurs ny les murailles
Des huguenots mutins, et n’eust pas eu du bon
Sans Louys de Bourbon.
Ce Louys est un roy des plus grands de la terre ;
Il tient de Jupiter le sceptre et le tonnerre,
Et fait trembler de peur plus de quatre fois l’an
Pampelone et Milan.
La ville qu’autresfois s’est montrée imprenable,
Aux forces de ce roy n’a pas esté tenable,
Ny tant d’autres encor qui l’avoient dedaigné
N’y ont guères gaigné.
L’estranger qui menace et qui n’ose paroistre
Au front de son envie, a bien sceu recognoistre
Que la France a un roy qui, comme les Cesars,
Ne craint point les hasards.
Vous donc tous qui devez en chacune province
Servir fidellement vostre souverain prince,
Gardez-vous desormais de faire aucun faux bon
À Louys de Bourbon.
François Poumerol, son arquebusier.
Monseigneur, je vous offre et vous supplie prendre
En vostre sauf-conduit
Ce discours qui mal fait va faire honteux reprendre
Celuy qui l’a produit.
Toutesfois, si vous seul, à qui seul je l’adresse,
Le prenez sans desdain,
Il aura moins de crainte et moy plus de hardiesse
En ce destroit mondain.
Ce n’est pas que je veuille en mon art mechanique
Estre cogneu de tous,
Car je le suis assez de ce qu’en ma boutique
Je travaille pour vous.
Aussi, recognoissant ceste faveur bien grande
Et ce qui est de moy,
Je n’ose pas respondre alors qu’on me demande
De qui j’ay de l’employ.
Neantmoins, desirant de ne me plus sousmettre
Qu’à vostre volonté,
Dans cet avant-propos j’ay hasardé de mettre
L’entière verité ;
Et pour ma sauvegarde en ce que je m’expose
À la veue d’autruy,
Excusez (s’il vous plaist) si trop effronté j’ose
Souhaitter vostre appuy :
Car ce discours, estant parmy la populace
De grace despourveu,
Marchant soubs vostre adveu (qui toute crainte efface)
En sera bien mieux veu.
Veuillez donc, Monseigneur, avoir pour agreable
Ce petit offre icy,
Et pour vostre service, où j’en seray capable,
Veuillez-moy prendre aussi ;
Et, bien que je demeure en faisant mon ouvrage
Où l’on ne vous peut voir,
Tout ce que j’ay et tiens de ce monde en usage
Est en vostre pouvoir.
Quand à ma pauvre vie, et qui m’a fait aprendre
L’art que je fais depuis,
Voicy ce qui en est : Dès ma jeunesse tendre
Jusqu’à l’aage où je suis,
Lorsque je fus porté à l’église romaine,
Tout pauvre que j’estois,
Monsieur de Beauvergier y fut et print la peine
De me nommer François.
Depuis, venant à croistre et mon pauvre père estre
Chargé de huict enfans,
Ce bon seigneur me print et me mit soubs un maistre
À l’aage de douze ans.
Soudain que je fus là à frapper sur l’enclume
D’un marteau rudement,
Sans m’oser plaindre j’eus de ma jeune coustume
Un rude changement.
Cela m’ennuyoit bien, mais, selon que mon aage
Et ma force augmentoit,
Toute sorte d’ennuy m’augmentoit le courage
D’aprendre comme on doit.
Je fus ainsi durant que deux ans s’escoulèrent
En esperant meilleur,
Et, au bout de ce temps, plusieurs me conseillèrent
D’aller servir ailleurs.
Suivant donc ce conseil, d’une humeur plus hardie,
Tout pauvre et sans besoing,
Je roulay quelque temps sans avoir maladie,
Ny tristesse, ny soing.
Mais le temps, qui tout change, en changeant ma jeunesse
Depuis de jour en jour,
M’a bien monstré comment la peine et la tristesse
Ne tient l’homme en sejour ;
Et, pour compter mes ans, sans en vouloir rabatre
Le temps mal employé,
J’ay passé cinq fois dix ; mais avant dix fois quatre
J’estois fort devoyé.
Sans voir faire j’ay fait ce qu’avant que je fusse
On faisoit rarement,
Et pour complaire aux grands j’ay fait plus que je n’eusse
L’hommage au changement.
Et, outre ce mestier, dont je gaigne ma vie
À forger et limer,
Voulant m’aprendre à lire, il me print une envie
De m’aprendre à rimer.
J’ay si souvent quitté la lime pour la rime
Et si souvent escrit,
Qu’or j’en quitte la rime à cause que la lime
Travaille moins l’esprit ;
Et si j’eusse plus tost sceu qu’il m’estoit contraire
D’aimer les autres vers,
Je me fusse gardé d’entreprendre et de faire
Le moindre de ces vers.
Mais, durant que j’avois ce rompement de teste,
Où je prenois plaisir,
Je n’allois pas songer que le mal qui m’en reste
Me deust un jour saisir.
À plusieurs medecins, sans craindre la despence,
Je me suis presenté,
Et n’ai sceu recouvrer par leur experience
Ma première santé ;
Si bien que les ennuis dont ma vie est atteinte
M’ont reduit à tel point
Que je n’en parle plus, si ce n’est par contrainte,
Lorsque le mal me poinct ;
Et, comme la tourmente au marinier sur l’onde
Fait desirer le port,
Tourmenté de mes maux, je ne desire au monde
Autre ayde que la mort.
Mais, puis que Dieu retarde en ce bas precipice
De ma vie le bout,
Permettez (s’il vous plaist) qu’en vous faisant service
Je me die partout,
Monseigneur,
Vostre très humble et très obeissant harquebusier,
François Poumerol.
Discours sur une pourmenade,
du mesme autheur.
Un jour, au temps le plus gay de l’année,
Et tost après son aube saffranée,
Pour mieux passer ce jour en liberté,
Je m’esloignay de l’importunité
Du bruit du bourg et de la populace,
Qui s’assembloit dans la commune place
Pour y danser, ainsi qu’une fois l’an
L’on n’y voit rien que danse et que berlan.
Estant party en alongeant ma veue
Vers le costé où tendoit ma reveue
De ce jour-là, qu’agreable et serain
Favorisoit mon fantasque dessein,
À petits pas, portant en main un livre,
Je m’esloignois, non de tout soing delivre15,
Des lieux frequens, et costoyant un pré
De vert naissant et de fleurs diapré,
Comme je fus dans une large plaine,
À trois cents pas d’une forest prochaine,
J’ouïs là près une champestre voix
Qui dit ainsi par trois ou quatre fois :
Pauvre resveur, qui aujourd’huy t’esgare
Pour ne voir point l’importune fanfare
De tes voisins, vien-t’en passer le jour
Dans ce bocage où je fais mon sejour,
Et tu verras de ces hautaines roches,
D’entre le bois et les campagnes proches,
L’air et les dons qu’en ce mois gracieux
Nous recevons de la terre et des cieux ;
Et si de plus, en ouvrant ton oreille,
Tu ouyras en seconde merveille
Maints petits cors qui tous sans nul discord
Font en ce bois un agreable accord.
À ceste voix, une humeur plus esmue
Qu’auparavant me pousse et me remue
Et me fait prendre un sentier buissonneux
Pour aller droit aux antres caverneux
Du bois non loing, où j’ouy d’abordée,
Des oiselets la musique accordée
Et dessoubs eux deux murmurans ruisseaux,
Clairs et bordez de touffus arbrisseaux
Et saules vers, dont la torte racine
Cause maints tours à l’eau douce argentine
Qu’en serpentant fait son cours ondoyant
Dans les valons de ce bois verdoyant.
Un peu plus bas, le long de ce bocage,
Dans les buissons d’un petit marescage,
Un rossignol, en diverses façons,
Y fredonnoit plusieurs belles chansons ;
Un autre encor, non loin de ceste place,
Luy respondoit d’une très bonne grace ;
Et un troisiesme, un peu plus à l’escart,
Tenoit son rang et sa musique à part ;
Et tous sçavans, parmy ceste vallée,
S’accordoient mieux qu’aux nopces de Pelée
Tout ce qu’on peut d’Orphée et d’Amphion
Faire sonner sur le haut Pelion :
Car dans le bois jadis le mesme Orphée
Ne chanta mieux, ny sur la vague enflée
Celuy auquel les dauphins et les flots
Furent humains, et non les matelots.
D’autre costé, je n’eus si tost pris garde
Haut et comment qu’une troupe gaillarde
D’oiseaux branchez dessus les arbres vers
Remplissoit l’air de mille tons divers,
Que j’apperceu venir de branche en branche
Un pinçonnet d’une volonté franche
Pour se percher et chanter à l’envi
Près où j’estois, comme à demy ravi.
Mais il n’eut pas si tost quitté sa troupe
Qu’à l’instant mesme un autre le galope,
Comme scachant par un naturel soing
Qu’il auroit tost de son ayde besoing,
Dont le premier, herissant son plumage,
Commence un vers en son petit ramage,
D’un air si gay qu’il sembloit à l’ouïr
Qu’il ne chantoit que pour me resjouyr ;
Et le second aux poincts de la musique
Luy respondoit cantique après cantique
Si doucement qu’on eût dit qu’en ce lieu
Se devoit faire un miracle de Dieu,
Et que Dieu mesme avoit pour ceste feste
Fait assembler une troupe celeste
D’anges chantant, en semblance d’oiseaux,
Sa saincte gloire entre ces arbrisseaux :
Car il n’y a ny jeu, ny bal, ny troupe
De corps humains, ny sur l’humide croupe
Des flots salez Triton, ny ceste voix
Qu’on attribue aux filles d’Achelois16,
Ny cor ny luth, ny tout ce que l’on touche
Par art subtil des mains et de la bouche,
Qui peut donner, selon mon jugement,
Plus de plaisir et de contentement
Que ces oiseaux, loing du bruit populaire,
M’en ont donné dans ce bois solitaire,
Bois où j’eus fait un bien plus long sejour
Sans que je vis le beau char mène-jour,
En s’abaissant vers l’onde marinière,
Presque à demy de sa demy-carrière.
De quoy marry, et prevoyant par là
Qu’il faudroit tost me retirer de là,
Je me tournay vers ceste trouppe heureuse,
Et d’une voix plus triste que joyeuse,
Les appellent mes hostes, mes mignons,
Je dis ainsi : Ô mes chers compagnons !
Ne pouvant guère arrester davantage
Pour contempler vostre plaisant ramage,
Ny ce qui est d’admirable en ce lieu,
Il s’en va temps que je vous die adieu,
En vous priant de croire que j’envie
De revoir tost vostre agreable vie ;
De revoir tost dans ces antres moussez
Non des bourgeois les palais tapissez,
Ny des vergers arrousez d’eau forcée
Jusqu’au plus haut d’une pierre percée,
Ny d’un jardin les beaux compartimens,
Ny des plus vains les riches vestemens,
Ny cet esclat que dans les vagues perses17
On va pescher, ny les couleurs diverses
Dont autrefois à l’envy deux pinceaux
L’un trompa l’homme, et l’autre les oyseaux,
Mais pour y voir les beaux tapis sans leine
Que le printemps, sans art, sans or, sans peine,
Fait tous les ans et de tant de couleurs
Qu’on n’en sçauroit estimer les valeurs :
Car, sans mentir, il faut que je confesse,
En admirant du grand Dieu la sagesse,
Que ce creux verd, cet antre environné
D’herbe et de fleurs et d’arbres couronné,
Ce bois sauvage et tout ce grand parterre,
Où vous vivez sans chicane et sans guerre,
Est mille fois plus agreable à voir
Que ce que l’or et l’art nous fait avoir.
Or adieu donc, adieu, belle harmonie ;
Adieu, rochers, muette compagnie ;
Adieu, oiseaux ; adieu, mes gringoteux ;
Adieu cent fois, mes petits vigoureux ;
Adieu, ruisseaux ; adieu, plaisant boccage ;
Adieu, lieu sombre où je laisse pour gage
De mon retour ma parole et ma foy,
Et m’en revay voir ce qu’on faict chez moy.
Je m’en vay donc, mais non sans avoir crainte
D’y recevoir quelque nouvelle atteinte
De desplaisir, car le peuple assemblé,
Quand sur le soir il est un peu troublé,
Mesme en ce temps où il est impossible
Voir de Bacchus la troupe incompatible18
Sans cris, sans coups, et sans y voir aussi
Mespriser ceux qui ne font pas ainsi.
Disant ces mots, une crainte legère
D’esmouvoir trop l’hostesse bocagère
Qui redit tout, en imitant les voix,
Aux habitants des plaines et des bois,
Me fit luy dire : Ô nymphe qui regrette
Ton beau Narcisse ! excuse et tiens secrette
Ma libre plainte. Et, voulant m’en aller,
D’un autre adieu je bornay mon parler,
Non sans regret de ce qu’à la vollée
Au mesme temps je vis la troupe aillée,
Signe evident qu’après mon triste adieu
Elle vouloit se desplaire en ce lieu.
Ces oiseaux donc tout à coup s’envollèrent,
Et, fendant l’air, autre part s’en allèrent
Sans me laisser, après leur chant si beau,
Pour entretien, que le doux bruit de l’eau,
Bruit vers lequel, pour finir la journée,
Avant partir, j’eus la veue tournée ;
Et contemplant ce crystal doux coulant,
Qu’à plis sur plis s’en alloit, sautelant,
Hors de ce bois, arrouser des villages
Circonvoisins les prez et pasturages,
Un penser creux, tout contre mon desir,
Plus que devant me revenoit saisir ;
Mais ceste voix qu’au matin sur la plaine,
S’estoit montrée, à mon besoing, humaine,
Me voyant prest de rentrer en souci,
Par charité, me dit encore ainsi :
Mon cher amy, si tu veux compagnie,
Acoste-moy ; je m’appelle Uranie,
Sage et sçavante, et prompte à redresser
Ceux dont l’esprit ne fait que rimasser,
Et que, tendant au moyen de complaire
À ton humeur pensive et solitaire,
Je te convie à revenir souvent
Dans ce bocage où l’agreable vent
Est du tout propre à celuy qui veut boire
De l’eau sacrée aux filles de Memoire,
Et qui commence à faire peu de cas
Des eaux du monde et de ses vains tracas,
Non que j’aprouve en cela qu’il te faille
T’y abuser les jours que tu travaille
De ton mestier, n’ayant autre moyen
De pouvoir vivre au rang des gens de bien.
Travaille donc, et, sage et par mesure,
Vend ton ouvrage et ne preste à l’usure,
Car aujourd’huy, et presqu’en tous estats,
On n’use plus de reigle et de compas ;
Mais de ton gain en rien ne te dispose
Sans faire estat d’espargner quelque chose
Pour t’en ayder, s’il arrivoit un temps
Rude à passer vers la fin de tes ans ;
Et, remettant jusqu’à la conference
D’un autre jour toute autre remonstrance,
Bien qu’à ce coup tu peux juger combien
Je te souhaitte et d’honneur et de bien,
Je te diray, d’une plus longue aleine,
Tout ce qui cause au monde tant de peine ;
Et, pour meshuy, je diray seulement
Que si chacun gardoit soigneusement
La foy dans l’ame et la mesure entière
Qu’il faut tenir en chacune matière,
De père en fils, chacun s’entretiendroit
Selon le temps en l’estat qu’il faudroit ;
Par zèle et droit, l’obeyssance deue
À Dieu, au Roy, seroit de tous rendue ;
Le bon conseil, dans les royalles cours,
Empescheroit des partisans le cours ;
L’achapt, l’estat, ne seroit en cet aage,
Ny la faveur des grands tant en usage ;
La soye en draps seroit, comme autrefois,
Pour les seigneurs, les princes et les rois ;
Du fier bourgeois la femme riche et belle
Ne se feroit appeller damoiselle19 ;
Dans l’art d’autruy nul ne s’embrouilleroit,
Et sans procès chacun travailleroit ;
Le vieil Bacchus n’useroit tant ses coupes,
Et les jureurs seroient en moindres troupes ;
L’Amour aussi n’auroit entre ses mains
Qu’en tout honneur le pouvoir des humains ;
L’ambition, la vanité, l’audace,
Ayant ainsi à la vertu fait place,
De toutes parts et en toute saison,
Le tout yroit au train de la raison.
Mais, aujourd’huy, ne voyant sur la terre
Qu’ambition, estats, chicane et guerre,
Je voudrais bien te pouvoir obliger
Par mes discours de ne t’en affliger
Et de fuir toute vaine folie
Pour voir souvent ceste forest jolie,
Et, le faisant ce mois et l’autre encor,
Tu jouiras d’un petit siècle d’or.
Fay donc cela ainsi que je l’ordonne,
Ou, mesprisant l’advis que je te donne,
À tout le moins, sans me vouloir tromper,
Fay-moy responce et puis t’en va souper.
Incontinent que ceste Muse aimable
Eut achevé son discours veritable,
En regardant son beau visage uny,
Son teint sans fard, ses cheveux d’or bruny,
Son corps parfait, sa contenance telle
Que le maintien d’une fille immortelle,
Pour luy respondre et ne luy rien celer
De ce qu’ailleurs je n’oserois parler,
Je dis ainsi (en voix de pleurs suivie) :
Si je pouvois gaigner ma pauvre vie
Dans un desert, je serois beaucoup mieux
Entre des rocs qu’entre des envieux,
Car en ce lieu je ne verrois le riche
Envers le pauvre estre cruel et chiche,
Ny les paysans à toute heure poussez
Dans la taverne et dans plusieurs procès
Par des tyrans et gens qui veulent estre
Fort estimez sans se faire cognoistre
En rien, sinon qu’en science profonds
Pour s’acquerir injustement des fonds.
Je ne verrois en si rude contrée
Ceux que je vois soubs le manteau d’Astrée,
Lesquels, en lieu de rendre à nos tabus
Le droit escrit, commettent tant d’abus
Que la raison, souvent comme en desroutte,
Veut et permet de faire banqueroutte
À ceux qui sont, par defaut sur defaut,
Si molestez que tout bien leur defaut,
Car, sans mentir, quand une chère année,
Sterile en blé, nous est du ciel donnée,
C’est en ce temps qu’un esclave enchainé
Parmy les Turcs n’est pas plus mal mené
Qu’ils sont, helas ! sans esperance aucune
De pouvoir vivre, à faute de pecune,
Auprès de ceux qui, pleins d’impieté,
Les ont reduits en telle extremité,
Qu’il est certain que, si Dieu, qui attire
À soy les bons, tout bon ne les retire
De cet estat, les tailles et les cens,
Les interests qu’ils payent tous les ans,
Les frais sur frais et mille autres subsides20,
Qui, surpassant le travail des Belides,
Feront mourir du soir au lendemain
Ces pauvres gens de misère et de faim ;
Car j’en ay veu, tous les jours dans la peine,
Se nourrissant de raves et d’avoine,
Et d’eau bouillie, ou bien de petit laict ;
Que s’ils avoient du beurre ou un poulet,
Cela seroit, à la première feste,
Porté par eux au richard qui leur preste
À dix pour cent une somme d’argent,
Que, par mesconte et courses de sergent,
Il fait grossir ; puis, quand ces pauvres hommes
Sont obligés pour de plus grandes sommes,
Feignant d’avoir affaire de son bien
Tout en un coup, il ne leur laisse rien.
Et, quand il met le pied dans un village
Pauvre de gens et bon de labourage,
Il court, il veille, il ne repose point,
Il vit esclave, et son trop d’avarice,
Qui le conduit de l’un à l’autre vice,
Le rend semblable à celuy qui dans l’eau,
Sans pouvoir boire, est jusques au museau.
Qui ne seroit, estant près de la porte
De ces tyrans chez qui le peuple porte
Presqu’à toute heure et en toute saison
Le cochon gras, la poulaille et l’oison,
Fasché de voir ces pauvres redevables
Parler tremblans à ces insatiables,
La teste nue et les corps descharnés
De faim, de froid, et de crainte estonnez,
Prier, flatter, faire la reverence,
Pour avoir deux ou trois jours de patience,
Et comme après ils s’en revont soudain
Sans qu’on leur donne un seul morceau de pain,
Ou, quand ils ont moyen de faire boire
Maistres et clercs, il est facile à croire
Qu’ayant saoulé ces renards et ces loups,
Ils payeront bien cherement pour tous !
Voilà comment, ô Muse très acorte !
Les pauvres sont mengez de telle sorte
Que bien souvent le pauvre d’aujourd’huy
Nourrit le riche, et meurt de faim chez luy !
En faisant vendre et le fonds et les meubles
Des pauvres gens, ces gros mangeurs de peuple
Ne croyent pas qu’en ce bas univers
Nous devons tous estre mangez des vers.
Un autre mal, en ces personnes cautes,
C’est qu’ils n’ont guère, en confessant leurs fautes,
Le cœur contrit, ny l’ame en son bon poinct,
D’autant qu’après ils ne s’amendent point.
Pour mon regard, le manquer de promesse
En cet endroit me fait trembler sans cesse,
Et m’en fera, jusqu’au bout de mes jours,
Hayr la cause et les mondains sejours.
Pour ne voir donc le sergent qui emporte,
Après moisson, du pauvre la recolte,
Ny ces brouillons, riches comme bourgeois,
Estre le fleau des pauvres villageois,
Ny l’officier qui sans argent doit rendre
Justice à tous, de tous ne fait que prendre,
Ny l’hypocrite en ses devotions,
Son corps au temple et l’ame aux passions ;
Ny bonneter21, soubs la fausse apparence
D’un bel esprit, le vice et l’ignorance ;
Ou, en un mot, pour ne voir plus du tout
Le monde au monde aveuglé jusqu’au bout,
Il est certain que, quand j’aurois au large
Un bon domaine exempt de toute charge,
Près de la presse où le riche empressé
De trop de biens tient le pauvre opressé,
Je n’aurois point à gré ceste fortune,
Estant si près de la tourbe importune ;
Mais que, si Dieu m’en donnoit, à l’escart,
Non pas autant ny seulement le quart,
Ains soubs le chaume, estroite et bien acquise,
Une logette à mon humeur requise,
Et tant soit peu pour m’y entretenir,
Je lairrois tout pour m’y aller tenir ;
Et là, pour vrai, je penserais mieux vivre
Au petit pot22, et le droit chemin suivre,
Que dans un bourg où je suis envié
De ceux pour qui je me suis employé.
Mais, n’y ayant maison ny jardinage,
Ny rien du tout pour y lever mesnage,
Je suis contraint à demeurer chez moy,
Où je travaille en peine et en esmoy,
Et de mon art, bien qu’il ne soit facile
Ny lucratif, ains pauvre et difficile,
Gaigner ma vie au mieux que je pourray
Et celle aussi de la charge que j’ay,
Charge qui m’est à nourrir si pénible
Qu’en travaillant le plus qu’il m’est possible,
J’ay bien souvent reçeu et despendu
L’argent plus tost que l’ouvrage rendu ;
Et, s’il advient que j’aye en ma boutique,
De fresche mode et non pas à l’antique,
Quelque harquebuse ou bien des pistolets
Faits de ma main, et non par des valets,
Et que je sois au temps de m’en defaire
En les portant où j’ay charge d’en faire,
Il faut peiner, et, pour estre payé,
Patienter quand on est delayé.
Donc, pour mon bien, portant ainsi l’ouvrage
Loing de chez moy, ceste peine et l’usage
M’ayant, ce semble, un peu par cy devant
Fait en mon art plus sage que sçavant,
Le cours du temps, qui tout forme et defforme,
Et qui rend tout à la saison conforme,
Par ce travail me faisoit esperer
Ce qu’autrefois je n’osois desirer.
Mais, n’ayant plus toute la patience
Qu’il faut avoir pour vivre en esperance,
Ny l’honneur d’estre à bien servir parfait,
Ny les moyens qu’il faut pour cet effect,
Ny la santé, qui doit este première
Au corps (prison de l’ame prisonnière),
Ny, en un mot, l’espoir de mieux avoir
Ny trouver mieux, Muse, je feray voir
Par mes escrits, à tous ceux dont j’espère
Ayde et confort au fort de ma misère,
Que plus je vay et plus je suis troublé,
De soing, d’ennuy et de peine accablé,
Et que, chargé au declin de mon aage
Au pardessus de mes force et courage,
Je suis reduit en tel estat de corps
Que je n’envie au monde que la mort.
Et pleust à Dieu, ô Muse bien heureuse !
Que ceste mort invisible et fascheuse,
Qui va par tout sans crainte et sans esgard,
Fust desjà preste à me tirer son dard,
Ou que Dieu mesme à la mortelle escorce
De ma pauvre ame eut donné plus de force :
Non ceste force où soubs trop de roideur
L’ambition augmente son ardeur
Après le lucre, ou à prendre les armes
Pour en avoir, quand Mars, par ses alarmes,
Enfle le cœur, et revestir le corps
Des hommes vains d’un fer qui par dehors,
Grisé, ressemble à un monstre effroyable,
Qu’armé d’escaille en la mer navigable,
Fait, sans rien craindre, aux troupeaux de Tethys
Ce que souvent les grands font aux petits ;
Mais seulement que mon corps miserable
Avec la force eust le desir durable
De supporter, en ce temps desbauché,
L’affliction, et non pas le peché,
Et d’estre aussi, à la dernière atteinte
Où le destin rendra ma vie esteinte,
Exempt d’avoir jusques au moindre pas
Marché ça bas sans reigle et sans compas.
Alors je n’eus presqu’achevé de dire
Ces mots ainsi, que j’aperçeu sous-rire
Ceste deesse en habits precieux,
Et quant et quant s’en remonter aux cieux ;
De quoy marry, en reprenant la trace
Par où j’estois allé vers ceste place,
Je m’en revins, à cause que, sans bruit,
Le jour desjà faisoit place à la nuict.
Estans chez moy, sans penser à la lime,
Toute la nuict j’escrivy ceste rime,
Pour faire voir, quoy qu’estant fort lassé,
De poinct en poinct ce qui s’estoit passé
Ce jour de feste en ma seule presence,
Dans la forest où, pour ne voir la dance,
J’estois allé, et y retourneray
(S’il plaist à Dieu) vers le retour de may.
Mais, attendant que ce temps-là revienne,
Et que sans guerre un chacun s’entretienne
D’un art penible, en peine on me verra,
Jusqu’à la borne où mon temps finira,
Gaigner ma vie ; et, craignant le reproche
D’estre prolixe, aux vers je coupe broche,
En suppliant de tous les roys le roy
De conserver et mes amis et moy.
1. Nous ne connoissons ce livre que par l’exemplaire qui se trouve à la bibliothèque de l’Arsenal. Il eut pourtant deux éditions ; la seconde, très augmentée, se trouve aussi, mais sans titre, à la même bibliothèque. Une série de huitains adressés aux arquebusiers en est la pièce la plus curieuse ; elle nous a beaucoup servi pour l’annotation des quatrains que nous donnons ici.
2. L’arsenal particulier du roi étoit à Fontainebleau, dans la partie du château qu’on appeloit le pavillon des armes. Une des chambres de ce pavillon avoit servi de prison au maréchal de Biron.
3. Pour comprendre cette épithète de chauve qu’il donne à l’Occasion, après avoir dit tout à l’heure qu’il eût dû la prendre aux cheveux, il faut se souvenir d’une épigramme célèbre de l’Anthologie sur une statue de cette déesse la représentant avec une longue chevelure sur le devant de la tête et aucun cheveu par derrière.
4. Ces armes que Poumerol offre ici au roi n’ont pas été conservées, que je sache. Je ne connois comme ayant pu appartenir à Louis XIII qu’un mousquet à mèche à double détente, ayant sur la plaque de couche les armes de France et de Navarre ; puis un autre portant la date de 1627, avec le nom de Jean Simonin, à Lunéville ; enfin un autre encore, daté de 1616, signé sur le canon : D. Jumeau. Ce Jumeau est le même que nous avons trouvé dans la pièce du Feu royal, avec le titre d’arquebusier ordinaire de Sa Majesté. (V. plus haut, p. 13 et suiv.)
5. C’est-à-dire sur le bois (fustis), sur l’affût. Le mousquet de Jean Simonin, de Lunéville, dont il est parlé dans la note précédente, porte ainsi sur le bois des ornements sculptés d’un beau travail.
6. Les arquebuses à rouet avoient succédé aux arquebuses à mèche. Leur mécanisme étoit le plus parfait qu’on eût encore trouvé pour la batterie des armes à feu. Il consistoit en une roue d’acier placée à la culasse de l’arquebuse ou du mousquet, et qui, mise en mouvement par la détente d’un ressort, alloit dans sa rotation frapper à coups redoublés sur une platine à silex.
7. Dans les huitains qui se trouvent dans la seconde édition de ses poésies, Poumerol dit, entre autres choses, à ses confrères les arquebusiers :
Je leur conseille aussi d’user
De fer d’Espagne en leur boutique
Afin de ne point abuser
De leur art ni de leur pratique.
Le bon fer et le bon charbon,
L’acier, le soin, l’expérience
Et de l’ouvrier la patience,
Est ce qui rend l’ouvrage bon.
8. Il dit encore dans ses huitains :
Un bon acier entre deux fers,
Comme le bois dans son escorce,
Soudé par des maistres experts,
Augmente d’un canon la force.
9. C’est vers 1630 seulement qu’on avoit substitué au mouvement du rouet contre la platine à silex le simple choc de la pierre à feu ou fusil ; de là le nom nouveau de ces sortes de mousquets. Les vers de Poumerol sont de 1631 : il y parle donc d’une chose toute récente. Aussi, plus loin, les appellera-t-il ces fusils nouveaux. (V. Marolle, la Chasse au fusil, 1788, p. 47.)
10. Il dit dans ses huitains :
En outre, pour estre subtils
À couper le bois des montures,
Il faut avoir de bons outils
Pour en bien faire les jointures,
Et que tous les fers agencez
Dans du cormier rouge et durable
Soient d’un lustre presque semblable
À des diamans enchassez.
11. C’était le petit plomb avec lequel on tiroit sur le menu gibier.
12. Dans l’armée, on étoit de l’avis de Poumerol : aussi fut-on long-temps avant d’y admettre le fusil. C’est en 1670 seulement qu’on l’adopta comme arme de guerre, après lui avoir fait subir quelques modifications réglées par l’ordonnance du 6 février de cette année-là, et qui ont rendu son mécanisme à peu près semblable, sauf la légèreté, à celui qui est encore en usage. L’année suivante fut créé le régiment des fusiliers, qui devoit son nom à l’arme spéciale dont chaque homme étoit muni. En 1692, l’usage s’en étendit à tous les régiments. L’ordonnance du 12 décembre détermina le nombre d’hommes qui en porteroient dans chaque compagnie. Malheureusement, c’étoit un nombre très restreint : il n’y en avoit que quatre pour les compagnies ordinaires et dix pour celles des gardes. Les autres avoient le mousquet à rouet ou la pique. En 1703, rien n’étoit changé ; Villars se plaignoit encore de ce qu’il y eût dans son armée trop peu d’hommes armés de fusils : le tiers des bataillons en manquoit alors. « Au siége de Kehl, écrit-il à Chamillart, ceux qui descendoient la tranchée étoient obligés d’en laisser la plus grande partie pour ceux qui la montoient. » (Mémoires de Villars, Collect. Michaud et Poujoulat, p. 199.)
13. À cette époque, la batterie étoit souvent ciselée, soit en forme de coq tenant la pierre dans son bec, soit en forme de chien la tenant dans la gueule ; les deux mots, employés tous deux par notre poète, sont donc identiques. La dernière de ces deux représentations, qui offroit plus de garantie de force, ayant été employée plus souvent, le mot de chien survécut à celui du coq, et on sait qu’il est encore en usage, malgré l’abandon de toute figure.
14. C’est-à-dire Mars. Enyo est le nom grec de Bellone.
15. Libre, sans gêne. On disoit plus ordinairement à délivre.
16. Les Sirènes, filles d’Acheloüs.
17. On sait que les huîtres perlières dont l’écaille fournit la nacre se pêchoient alors exclusivement dans le golfe Persique.
18. Du latin incomptus, en désordre. Je ne connois pas d’usage plus ancien du mot incompatible. Il étoit encore si nouveau au milieu du XVIIe siècle dans le sens qu’il a gardé, que M. Sainte-Beuve (Revue des Deux-Mondes, 1er janv. 1848, p. 3) s’étonne de le trouver dans les œuvres du chevalier de Méré, et le recommande à l’Académie pour son Dictionnaire historique, si jamais il arrive jusqu’à l’I. Malheureusement personne ne peut en répondre, et ce n’est pas surtout le cas de dire : Qui vivra verra.
19. V., sur ces prétentions des bourgeoises, une pièce de notre t. 1, Le bruit qui court de l’épousée.
20. On trouve dans les fragments du Voyage de Locke en France, de 1675 à 1679, donnés par la Revue de Paris, t. 14, un passage sur l’état des paysans qu’on peut rapprocher de celui-ci. « J’ai, dit Locke, p. 75, causé long-temps avec un paysan, qui m’a dit qu’il avoit trois enfants en bas âge, et que pour nourrir sa femme, lui-même et ses enfants, il gagnoit sept sous par jour. Là-dessus il falloit payer la taille, le loyer de la cabane, et vivre, non seulement pendant les jours ouvrables, mais les dimanches et jours fériés, jours où l’on ne travailloit pas. La maison de ce malheureux, ou plutôt la hutte misérable où sa famille étoit entassée, ne se composoit que d’une seule chambre à une seule porte, sans fenêtre ni cheminée, découverte par le haut et de l’aspect le plus affreux. Il louoit ce taudis douze écus par an, plus quatre livres pour la taille. Quelques jours auparavant, le collecteur avoit enlevé les ustensiles du ménage, la poêle a frire et la marmite. Pour nourriture ordinaire, ces pauvres gens n’ont que du pain de seigle et d’avoine et de l’eau, rarement de la viande. » Ailleurs, p. 15, il avoit dit, après une visite faite aux galères de Marseille : « Les galériens ont meilleure mine que les paysans. »
21. Saluer, tirer le bonnet. On lit dans Regnier, satire 8, vers 175 :
Voyant un président qu’il étoit necessaire
D’estre toujours après ces messieurs bonneter.
22. « Nos pères disoient, lit-on dans le recueil de pièces contre le connétable de Luynes (p. 395), tenir au petit pot, pour tenir dans un état modeste. » On avoit aussi le proverbe pour les gens d’un état contraire : « La soupe du grand pot, et des friands le pot pourry. » (La Mesengère, Dict. des prov., 1re édit., p. 313.)