Précaution/Chapitre XXXV

Traduction par A. J. B. Defauconpret.
Furne (Œuvres, tome premierp. 248-256).



CHAPITRE XXXV.


Amis, embarquons-nous pour le Portugal ! Ce sont de bons chrétiens qui habitent ce pays.
Prior.


Rien de remarquable ne se passa pendant les premiers jours qui suivirent le départ de lady Laura ; les Moseley menaient une vie assez retirée ; mais dès qu’ils paraissaient dans une réunion, Derwent était aux côtés d’Émilie, à laquelle il semblait faire la cour la plus assidue ; en même temps les attentions de Chatterton pour lady Henriette devenaient de jour en jour plus marquées, et tous les deux jouaient le rôle de véritables amants.

Vers cette époque la douairière reçut une lettre de Catherine, qui la suppliait d’arriver le plus tôt possible à Lisbonne, où son mari, après beaucoup de doutes et d’indécision, venait de fixer sa résidence.

Lady Herriefield, sans expliquer la cause de ses chagrins, faisait entendre qu’elle était malheureuse, et que si sa mère ne venait pas l’aider à supporter ses maux, il lui serait bientôt impossible d’y résister plus longtemps.

Lady Chatterton, qui aimait sincèrement ses enfants, quoiqu’elle n’agît pas toujours dans leurs véritables intérêts, se décida sur-le-champ à partir pour le Portugal par le premier paquebot. Chatterton sentait qu’il devait accompagner sa mère : les yeux de lady Henriette lui disaient de rester ; le devoir et l’amour se combattaient dans son cœur, lorsque John, prenant pitié de ses souffrances et n’étant pas fâché de faire faire ce voyage à sa jeune épouse, offrit ses services à la douairière.

Chatterton se laissa persuader par John que sa mère pouvait en toute sûreté traverser l’océan sous sa protection ; en conséquence, après avoir fait toutes les dispositions nécessaires, le jour fut fixé où la douairière devait partir pour Falmouth avec les jeunes époux.

Lady Chatterton ayant intention de rester en Portugal avec sa fille aînée, Jane offrit à sa belle-sœur de venir avec elle, de lui tenir compagnie au retour ; et ses parents, appréciant ses motifs, permirent ce voyage, espérant qu’elle y trouverait une diversion utile à ses chagrins.

Grace ne put s’empêcher de verser quelques larmes en se séparant d’Émilie et de ses autres amis ; mais elle ne pouvait ressentir longtemps l’atteinte du chagrin, en voyant l’air de joie et de contentement de son mari. La saison était belle, et nos voyageurs arrivèrent bientôt à Falmouth, où ils devaient s’embarquer.

Le lendemain matin le paquebot mit à la voile, et une brise favorable leur fit bientôt perdre de vue leur pays natal. Pendant quelques jours les dames souffrirent trop du mal de mer pour monter sur le tillac ; mais la beauté du ciel et le calme de l’Océan les engagèrent enfin à sortir de la cabane pour respirer un air plus frais.

Le paquebot ne portait que peu de passagers ; il s’y trouvait, entre autres, plusieurs femmes d’officiers au service de l’Espagne, qui allaient rejoindre leurs maris ; la vie errante qu’elles avaient menée souvent les avait habituées à lier facilement connaissance ; nos voyageuses se trouvèrent donc bientôt à l’aise avec leurs compagnes, et leur société contribua à diminuer l’ennui de la traversée.

Tandis que Grace, appuyée sur le bras de son mari, oubliait auprès de lui la frayeur que lui avaient d’abord causée les mouvements du navire, Jane s’aventura, avec une des jeunes dames dont nous avons parlé, à faire quelques pas sur le tillac ; mais, peu habituées encore au roulis du vaisseau, elles couraient risque d’être renversées, lorsqu’un jeune homme qu’elles n’avaient point encore vu vint obligeamment à leur secours. Ce léger accident, et le service auquel il avait donné lieu, amenèrent une conversation que le jeune homme sut rendre intéressante, et qu’il saisit avec empressement l’occasion de renouveler. Il se fit présenter par le commandant du vaisseau sous le nom de M. Harland, et lady Chatterton ayant mis en jeu tous les ressorts de son génie pour apprendre ce qu’il était, où il allait, et pour quel motif, parvint bientôt à recueillir les détails suivants :

Le révérend et honorable M. Harland était le plus jeune fils d’un comte irlandais, et il était depuis quelque temps dans les ordres. Il venait de prendre possession d’une belle cure qui était à la nomination de la famille de son père. Le comte vivait encore, et il était dans ce moment avec sa femme et sa fille à Lisbonne, où il avait conduit son fils aîné qu’une lente consomption entraînait dans la tombe, et auquel les médecins avaient recommandé l’air du midi. Le devoir qui retenait le jeune ministre au milieu de ses paroissiens l’avait empêché d’être du voyage ; mais la prière d’un frère mourant, qui lui écrivait de se hâter s’il voulait l’embrasser encore, le désir de porter des consolations à ses malheureux parents l’avaient décidé à ne plus différer de les rejoindre.

La découverte du rang de leur nouvelle connaissance ; la probabilité qu’il allait hériter de la pairie, augmentait beaucoup son importance aux yeux de la douairière ; tandis que ses chagrins, sa piété sans affectation, ses vœux désintéressés pour la guérison de son frère, lui assuraient l’estime de ses autres compagnons de voyage.

Il semblait y avoir une sorte de sympathie entre Jane et Harland, quoique leurs chagrins provinssent de causes bien différentes. La mélancolie empreinte sur les traits de Jane ajoutait un nouveau charme à sa beauté, et son image séduisante venait souvent se placer entre le ministre et ses tristes pensées.

Leur voyage ne présenta aucun incident remarquable, et longtemps avant d’avoir atteint le but, la douairière avait assuré à sa fille que Jane serait comtesse avant peu. Grace désirait bien sincèrement qu’elle ne se trompât point dans ses conjectures, et que sa nouvelle sœur fût aussi heureuse que tous les parents de John lui paraissaient le mériter.

Ils entrèrent de grand matin dans la rade de Lisbonne, et comme le vaisseau y était attendu depuis quelques jours, M. Harland y trouva une barque qui avait été envoyée au-devant de lui, et qui lui apportait la triste nouvelle de la mort de son frère. Il s’y jeta précipitamment, et fit faire force de rames pour arriver plus tôt où il avait à remplir un double devoir comme fils et comme ministre de l’évangile.

Lady Herriefield reçut sa mère avec un plaisir mêlé d’amertume ; mais elle ne put dissimuler une sorte de frayeur en voyant ses trois compagnons de voyage. Ces derniers n’eurent pas de peine à deviner que leur arrivée n’était point attendue par le vicomte, et qu’il était douteux qu’elle lui fût agréable. Un seul jour passé dans la maison de ces nouveaux époux suffit pour les convaincre que jamais le bonheur n’y avait habité.

Du moment où lord Herriefield soupçonna qu’il avait été dupe des artifices de la douairière et de Catherine, il ne vit plus cette dernière qu’avec la prévention la plus défavorable. Il connaissait trop le monde pour ne pas découvrir bientôt l’égoïsme et la frivolité de sa femme ; et comme elle ne croyait avoir aucun défaut, elle ne faisait aucun effort pour les cacher. Son désir de plaire n’avait eu que le mariage pour but ; elle avait réussi ; que lui restait-il à faire ? Si le vicomte avait eu seulement pour elle les égards que tout homme bien né doit à une femme, elle se fût trouvée heureuse de partager son rang et sa fortune. Mais dès qu’ils étaient seuls, Catherine avait beaucoup à souffrir des emportements de son mari qui voulait la punir d’avoir mis en défaut la connaissance parfaite qu’il croyait avoir du caractère des femmes.

Un des privilèges dont les hommes sont le plus jaloux, c’est celui de se choisir une épouse sans se laisser influencer par qui que ce soit ; et ceux même qui souvent n’ont été guidés dans leur choix que par le goût des autres se persuadent qu’ils n’ont suivi que le leur, et ils ne sont heureux qu’autant qu’ils le croient. Mais lord Herriefield avait perdu cette flatteuse illusion ; et au mépris qu’il sentait pour sa femme, se joignait beaucoup d’humeur contre lui-même de n’avoir pas été plus clairvoyant.

Comme le malheureux objet de sa colère était complètement en son pouvoir, le vicomte semblait déterminé à ne lui laisser aucun sujet de s’applaudir du succès de ses artifices. Naturellement jaloux, il l’était devenu bien davantage uni à une femme qui ne l’aimait pas, et dont les principes n’étaient point établis sur une base solide.

Privée de tous plaisirs, accablée de reproches qu’elle ne savait point repousser, ne jouissant d’aucun des avantages que sa mère lui avait toujours fait envisager dans l’avenir comme les douces prérogatives des femmes mariées, elle avait écrit à cette dernière de venir la joindre, dans l’espoir que sa présence serait un frein pour son mari, ou que la douairière, par ses conseils l’aiderait à s’opposer avec succès à la conduite outrageante du vicomte.

Elle ne s’était mariée que pour jouir des plaisirs du monde ; la douairière le savait, et la réclusion où la tenait son mari lui prouvait plus que les plaintes les plus véhémentes combien Catherine devait se trouver malheureuse. Bientôt il ne put même lui rester aucun doute, et tous les chagrins domestiques de sa fille se montrèrent à découvert à ses yeux.

La présence et l’exemple de John et de Grace avaient forcé le vicomte pendant quelque temps à montrer plus d’égards pour sa femme ; mais la glace une fois rompue, il s’abandonna sans contrainte à sa jalousie et à sa brutalité.

Lorsqu’une scène désagréable éclatait entre les époux, Grace, triste et effrayée, se retirait dans sa chambre, et Jane la suivait avec dignité, tandis que John, forcé d’être témoin de ces querelles matrimoniales, avait bien de la peine à comprimer son indignation, et s’échappait à son tour dès qu’il en trouvait l’occasion, pour tâcher d’oublier auprès de sa femme et de sa sœur ces fâcheux différends.

John n’avait jamais aimé ni même respecté Catherine, qui ne possédait aucune des qualités attachantes qui lui faisaient chérir sa sœur ; mais elle était femme, elle était devenue sa parente, et il lui était impossible de rester plus longtemps tranquille spectateur des mauvais traitements qu’elle recevait souvent de son mari. Il fit donc tous les préparatifs nécessaires pour quitter le Portugal par le premier paquebot, après un séjour d’environ un mois.

Lady Chatterton s’épuisait en efforts pour rétablir la bonne intelligence entre sa fille et son mari ; mais c’était une tâche au-dessus de son pouvoir. Il était trop tard pour remédier à la mauvaise éducation de Catherine, et pour lui apprendre par quelle douceur et quelle soumission elle eût pu reconquérir le cœur de son mari. Après avoir engagé sa fille à se marier dans la seule vue d’acquérir un rang et des richesses, la douairière vit bien qu’il ne lui restait plus qu’un parti à prendre, celui d’amener une séparation décente entre lord et lady Herriefield, et d’assurer du moins à sa fille une partie de la fortune à laquelle elle l’avait sacrifiée.

John désirait profiter du reste de leur séjour à Lisbonne pour en montrer les environs à sa femme et à sa sœur. Dans une de leurs excursions, ils rencontrèrent leur compagnon de voyage, monsieur, maintenant lord Harland. Il fut enchanté de les revoir et d’apprendre leur prochain départ ; car il se préparait aussi à quitter le Portugal, où ses parents s’étaient décidés à passer encore l’hiver.

Les deux familles se virent plusieurs fois avant le jour de l’embarquement, et toujours avec un nouveau plaisir.

Lady Chatterton resta avec Catherine, pour l’aider à exécuter les plans qu’elle n’aurait pas été capable de poursuivre seule ; et elles se donnèrent toutes deux autant de peine pour rompre ce mariage qu’elles en avaient pris pour le former.

Le désœuvrement qu’on éprouve à bord d’un vaisseau établit des relations plus intimes entre ceux qui, dans d’autres moments, se seraient peut-être bientôt perdus de vue. On sent plus le besoin de faire des frais pour paraître aimable et diminuer ainsi l’ennui de la traversée ; et de cette intimité, d’abord presque forcée, naît souvent le désir de se revoir, et bientôt après un attachement qui, pour avoir une cause légère, n’en devient pas moins sérieux.

Lord Harland en offrit une nouvelle preuve. Il s’était embarqué sur le même vaisseau que ses nouveaux amis. À peine était-on en mer qu’il devint passionnément amoureux, et Jane goûtait un plaisir d’autant plus pur qu’elle n’avait pas encore cherché à se rendre compte des sentiments qu’elle avait fait naître. L’amour n’était pas entré un seul instant dans ses pensées ; mais il est si doux d’inspirer l’intérêt lorsqu’on éprouve un vide cruel ! les compliments, les propos flatteurs, sont un baume si agréable lorsque l’âme est ulcérée, que Jane écoutait avec un plaisir infini le jeune ministre, qui ne laissait échapper aucune occasion de lui adresser la parole.

Cependant la conversation d’Harland roulait quelquefois sur des sujets plus graves et plus sérieux, et Grace alors ne l’écoutait pas avec moins d’attention que sa sœur. C’est un fait digne de remarque que les femmes se sentent plus portées aux sentiments religieux immédiatement après leur mariage qu’à toute autre époque de leur vie. Grace éprouvait cette influence salutaire de l’union qu’elle venait de former. Élevée dans la maison de sa mère, au milieu des distractions sans cesse renaissantes de la société, elle n’avait pas encore réfléchi sur toute l’importance de ses devoirs. Le jeune ministre, sans affectation, et avec une douceur vraiment persuasive, lui en fit sentir toute l’étendue ; et, préparée comme elle l’était à recevoir ses leçons ou plutôt ses conseils, elle en retira les fruits les plus heureux, et dut se rappeler toute sa vie avec plaisir son voyage sur mer.

Tout en s’occupant de porter la conviction dans l’âme si docile de Mrs Moseley, Harland n’en était pas moins sensible aux charmes de sa sœur, qu’il n’avait que trop d’occasions de contempler pour son propre repos ; et lorsque le bâtiment entra dans le port de Falmouth, il était décidé à offrir son cœur et sa main à miss Jane Moseley.

Jane n’aimait pas Egerton, il ne lui inspirait plus que du mépris ; mais le temps n’était pas encore éloigné où l’image du perfide remplissait son cœur, occupait toutes ses pensées, et sa délicatesse se refusait à ce qu’une autre image prît si vite, prît même jamais possession de ce cœur à peine guéri de sa blessure.

Ces objections auraient pu s’affaiblir avec le temps, si elle eût voulu laisser quelque espérance à Harland, et qu’elle eût consenti à recevoir encore ses soins ; mais il était un obstacle qu’elle regardait comme insurmontable, et qui s’opposait à ce que jamais elle se mariât. Elle n’avait point caché au colonel la passion qu’il lui avait inspirée ; il avait reçu de sa bouche même l’assurance de son amour, et elle n’eût pu donner à Harland que les restes d’un cœur qui s’était déjà donné hautement à un autre. Lui en faire mystère, c’eût été manquer à la bonne foi, à la délicatesse ; le lui avouer, c’eût été une humiliation à laquelle la fierté de Jane n’eût jamais pu se résoudre. Harland se déclara : il fut refusé ; cependant elle avait déjà conçu pour lui une estime qui sans doute aurait bientôt donné naissance à un sentiment plus tendre, et l’attachement fondé sur une pareille base aurait été plus solide et plus durable que celui que le colonel Egerton avait su lui inspirer.

Harland éprouva de ce refus une douleur d’autant plus vive qu’il y était moins préparé ; et, osant à peine espérer que le temps apporterait quelque changement à une résolution qui semblait si bien prise, il fit à Falmouth de tristes adieux à une famille dans laquelle il s’était flatté d’entrer. Nos voyageurs continuèrent leur route vers le petit village de B***, où, pendant leur absence, la famille de sir Edward était revenue passer un mois avant d’aller s’établir à Londres pour le reste de l’hiver. Leur retour rendit la vie à Moseley-Hall, et y ramena une gaieté qui depuis quelques mois en était bannie. Jane avait bien des choses à raconter ; John bien des observations malignes à faire, et il s’établit de nouveau entre eux une petite guerre dans laquelle Émilie remplit les fonctions importantes de médiatrice.

Comme la saison était alors avancée, et que depuis quelque temps tout le beau monde était de retour dans la capitale, le baronnet se prépara à prendre possession de sa maison de ville après un intervalle de dix-neuf ans. John fut envoyé en avant pour faire les dispositions nécessaires, retenir des domestiques, acheter des meubles, enfin prendre toutes les mesures indispensables pour que la famille de sir Edward pût reparaître à Londres avec éclat. Il revint bientôt annoncer que tout était prêt pour leur entrée triomphale.

Sir Edward ne voulut pas faire une absence aussi longue sans prendre congé de M. Benfield, à qui son âge faisait trouver les séparations doublement pénibles ; il espérait d’ailleurs le décider à les accompagner. Émilie fut chargée d’en faire la première la demande ; elle s’y prit avec beaucoup d’adresse, et ses négociations furent couronnées d’un succès qu’elle osait à peine espérer. Seulement le vieillard mit pour condition que Peter serait du voyage, car il ne pouvait se décider à se séparer de lui.

— Vous me faites faire une folie, mon cher neveu, dit M. Benfield lorsqu’il se vit forcé dans ses derniers retranchements ; et cependant, après tout, il y a des exemples de bons et dignes gentilshommes qui, sans être du parlement, vont passer l’hiver à Londres. Eh parbleu ! vous-même d’abord ; et puis, vous rappelez-vous le vieux sir John Cowell, celui qui ne put jamais entrer dans la chambre, quoiqu’il se mît sur les rangs pour représenter toutes les villes du royaume ? eh bien ! l’hiver il n’en retournait pas moins habiter Soho-Square. Oui, tout considéré, la chose est faisable. Si j’avais su plus tôt vos projets, je me serais fait nommer par mon bourg pour son représentant ; d’autant plus, ajouta-t-il en branlant la tête, que les ministres de Sa Majesté ont besoin de quelques bonnes têtes dans ces temps critiques. Parbleu ! que voulez-vous qu’un vieillard comme moi aille faire à Londres, si ce n’est point pour aider son pays de ses conseils ?

— Et si par sa présence il peut faire le bonheur de ses amis, mon cher oncle ? dit Émilie en prenant la main de M. Benfield entre les siennes, et en le regardant avec un doux sourire.

— Ah ! ma bonne Emmy, s’écria le vieillard en se retournant vers elle, il est impossible de vous résister. C’est tout comme la sœur de mon vieil ami, lord Gosford : avec ses cajoleries elle me faisait faire tout ce qu’elle voulait. Un jour, il m’en souvient, le comte lui disait devant moi qu’après toutes les dépenses qu’il faisait pour elle il ne pouvait encore lui acheter des boucles d’oreilles de diamant, dont elle avait envie ; elle ne dit pas un seul mot… Emmy…, pas un seul ! mais elle me regarda d’un air… ! ah ! si vous aviez vu son regard, Emmy ! Je n’y pus résister ! je courus chez un orfèvre pour lui acheter les boucles d’oreille qu’elle désirait.

— Est-ce qu’elle les accepta, mon oncle ? lui demanda sa nièce d’un air de surprise.

— Parbleu ! si elle les accepta ! Je lui dis que si elle me refusait, je les jetterais dans la rivière, parce que personne ne porterait jamais ce qui lui avait été destiné. Ce n’est pas l’embarras, elle fit bien des façons, la pauvre enfant ! Il fallut la convaincre qu’elles avaient coûté trois cents livres sterling ; alors elle pensa que ce serait dommage de jeter trois cents livres sterling dans la rivière. C’eût été une obstination déplacée, c’eût été de l’entêtement, n’est-ce pas, chère Emmy ? et elle n’en avait pas ; oh ! non, elle n’avait aucun défaut.

— Ce devait être une personne bien parfaite en vérité, s’écria le baronnet en souriant ; et il prit congé de M. Benfield pour aller donner les ordres nécessaires pour leur départ.

Mais il est temps que nous allions rejoindre la société que nous avons laissée à Bath.