Librairie de L. Hachette et Cie (Tome premierp. 116-146).
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VI


Épisode dramatique. — Corneille eut-il relation avec Port-Royal ? — Il connaît les Pascal. — Polyeucte et la doctrine de la Grâce. — Objections de l’hôtel Rambouillet. — Hymne de Polyeucte dans sa prison ; la mère Angélique au pied de l’autel. — Dénoûement de Polyeucte ; suites de la Journée du Guichet. — Mort de madame Arnauld ; tribu de Lévi. — Jugements divers sur Polyeucte. — Caractère de Sévère. — Pauline. — Corneille, traducteur de l’Imitation de Jésus-Christ. — Postérité de Polyeucte au théâtre ; le Saint Genest de Rotrou.


Corneille naquit en 1606; il avait trois ans lors de la Journée du Guichet : en parlant de lui, j’anticipe donc sur les temps ; mais l’ordre, au fond, se retrouvera.

Il ne paraît pas que Corneille ait connu directement Port-Royal. Élevé aux Jésuites de Rouen, on le voit toute sa vie lié avec eux, on ne le rencontre jamais chez leurs adversaires. Les dignes solitaires dans leurs écrits, les auteurs de mémoires et historiens de ce saint lieu, qui sont si attentifs à relever les moindres rapports d’amitié avec les illustres, ne le mentionnent pas une seule fois. Corneille, avant 1662, vivait habituellement à Rouen ; il n’y a guère à douter pourtant que, dans ses voyages à Paris, dans ses visites à l'hôtel de Rambouillet, il n’ait connu M, d’Andilly, lequel connaissait tout le monde. Quand la famille Pascal, avant sa conversion, il est vrai, et avant ses relations avec Port-Royal, habitait Rouen, en 1639, à cette époque où M. Pascal père était chargé de l’intendance de Normandie, M. Corneille les vit souvent. La jeune Jacqueline Pascal, celle qui devint depuis à Port-Royal la sœur Euphémie, avait une rare facilité pour les vers. Nous aurons à dire dans sa vie comment elle joua un jour dans une comédie d’enfants devant le cardinal de Richelieu, comment elle lui fit son petit compliment d’elle-même, avec grande présence d’esprit, et obtint de lui la grâce de son père compromis dans des propos de mécontents, enfin comment, à Saint-Germain, elle adressa un impromptu en vers à Mademoiselle. Quand son père, rétabli en place vraiment grâce à elle, vint à Rouen avec sa famille, elle avait quatorze ans déjà, et sa petite renommée poétique l’avait précédée. M. Corneille, auteur du Cid depuis trois ans, et qui n’en avait que trente-trois, ne manqua pas d’être l’empressé et le bienvenu chez M. l’Intendant. Il était ravi des vers que faisait la précoce enfant, et il la pria d’en essayer sur un sujet qui eût été assez singulièrement choisi pour une jeune fille, s’il n’avait été consacré par l’usage, la Conception de la Vierge. C’était le jour même de cette fête qui était comme nationale et qu’on appelait la Fête aux Normands, qu’en vertu d’une fondation datant du Moyen-Age, on décernait à Rouen des prix de poésie aux meilleures pièces composées en l’honneur de la Dame des Cieux; cela avait nom les Palinods de Rouen. La jeune Jacqueline fit des Stances[1] qui obtinrent le prix, et on le lui porta en grande pompe, avec tambours et trompettes. Corneille, en s’intéressant à cette jeune enfant-poète de quatorze ans, ne faisait peut-être pas autant d’attention à ce jeune homme de seize, qui, alors tout occupé de sections coniques et de machine arithmétique, devait, vingt ans après le Cid, trouver et fonder la belle prose, comme le Cid avait ouvert la grande poésie.

Corneille ! Pascal ! à vingt ans de distance, la double colonne qui établit et signale glorieusement l’entrée de notre royale époque littéraire ! Les Provinciales, c’est le Cid de la prose, même avec quelque chose de plus pour le définitif de la langue. Il est vrai qu’on y a de moins Chimène.

En revenant à cette relation cherchée de Port-Royal à Corneille, nous n’en voyons donc pas de directe. Il y avait, tout proche de Rouen, un des nôtres, M. Guillebert, curé de Rouville, saint homme et ami direct de Port-Royal, lequel fonda dans son village et aux alentours une œuvre de piété et de sanctification qui transpira par tout le pays, qui finit par gagner les Du Fossé, les Pascal, et dont certes Corneille avait entendu parler ; mais on ne saisit rien de précis. Seulement il se découvre un rapport général, véritable, une ressemblance essentielle de physionomie entre M. d’Andilly, par exemple, ou la mère Agnès, qui, je l’ai dit, avaient l'un et l’autre quelque chose d’espagnol, de glorieux, de romanesque, en même temps que de dévot, et Corneille, dont certains personnages sont assez pareils, ou encore d’autres écrivains caractéristiques de cette époque, comme mademoiselle de Scudéry. M. d’Andilly, dans la scène du Guichet, nous a fait assez l’effet d’un jeune premier de

Corneille, pétulant, emporté, généreux, glorieux pour sa famille, un vrai Rodrigue pour son père :

Je reconnais mon sang à ce noble courroux !

La mère Agnès, qui aurait voulu être Madame de France, avec son caractère dévot et subtil, austère et tendre, mystique et pompeux, serait assez naturellement devenue un des intéressants personnages de Corneille, une amante comme il les conçoit. Si la rectitude et la discipline de Port-Royal ne s’en étaient mêlées, elle aurait aisément cédé à ce genre de dévotion, et peut-être de galanterie, de la reine-mère Anne d’Autriche, à cette religion extérieure du Val-de-Grâce, dont madame de Motteville nous parle si bien. Elle aurait dit aussi par moments comme Mademoiselle, à propos d’une cérémonie fastueuse où elle reçoit hommage : J’aime l'honneur ! En un mot, il y avait au sein de Port-Royal toute une lignée de caractères, de naturels et de génies qui étaient bien les contemporains proches parents, un peu les aînés de Corneille.

La Harpe, dans son Cours de Littérature, selon l’habitude médiocrement historique de la critique de son temps, s’attache à représenter surtout le génie créateur de Corneille comme indépendant des circonstances : «Ce ne sont pas, disait-il, les troubles de la Fronde qui ont fait faire à Corneille le Cid et les Horaces.» Il reconnaît toutefois une influence générale du siècle. Pour compléter son jugement, exact dans les termes, mais insuffisant, et pour déterminer cette influence d’alentour, on a rappelé[2] que, né sous Henri IV, Corneille avait pu converser avec les derniers témoins et les acteurs des luttes civiles, avec les restes de cette génération guerrière et théologienne à la fois, dont il avait comme transporté au théâtre l’entière vigueur. Nous pouvons mettre à cette indication juste, et sans sortir de notre cadre, des noms plus précis. M. Arnauld du Fort, tel que nous l’avons aperçu à La Rochelle, n’est-il pas un héros de la trempe et vraiment du calibre de ceux de Corneille ? de même Zamet, l'ami de d’Andilly, qui nous le peint comme un Cid dans ses Mémoires. Le vieux Pontis, quand nous le connaîtrons, ne nous paraîtra-t-il pas un de ces centurions à rides austères, obscurément fidèles à la fortune de Sertorius ou de Pompée ?

Si Corneille ne connaissait pas directement tous ces hommes, il en avait ouï parler, ou il en connaissait d’autres pareils, équivalents, ou mieux encore il était collatéralement de la même portée ; et, comme il arrive en ce cas, il les sentait, les retrouvait et les créait sans effort en lui.

Lorsque de 1639 à 1640, au sortir du double triomphe d’Horace et de Cinna, Corneille fit Polyeucte, Port-Royal et son œuvre étaient déjà manifestes, dans leur premier et plein éclat. Dès 1637, la retraite de M. Le Maître, qui s’était arraché du barreau et de la carrière des hautes charges pour se faire solitaire, avait tourné de ce côté tous les yeux ; la prison de M. de Saint-Cyran, enfermé à Vincennes depuis 1638, tenait les esprits attentifs. La Cour, la ville et la province étaient pleines de personnes qui s’enquéraient de l’œuvre à moitié mystérieuse de ce monastère déjà menacé, et qui en discouraient en divers sens. La doctrine de la Grâce que relevait Port-Royal allait se divulguant : il devient évident par Polyeucte qu’elle circula jusqu’à Corneille.

Le Cid avait été suivi pour lui d’un temps de repos ; mais, depuis 1639, les chefs-d’œuvre reprenaient, se succédaient coup sur coup dans sa carrière ; presque trois en une seule année. Il était dans la force de l’âge et dans la première maturité du génie, de trente-trois à trente-quatre ans, lorsqu’il aborda ce grand et singulier sujet. Jusque-là il les avait pris, quels qu’ils fussent, chevaleresques ou politiques, espagnols ou romains, dans une source à peu près commune aux principaux auteurs du moment. Après tout, le Romain comme le produisait Corneille, c’était le Romain comme le concevait et le décrivait Balzac, comme l’entendait même très-volontiers mademoiselle de Scudéry : le génie de Corneille s’appliquait en relief sur ce fond historique convenu, et l’embellissait, le frappait d’une action propre et d’une marque incomparable ; mais enfin, s’il était sublime, il l’était alors dans le sens et selon la mode de son temps. Dans Polyeucte, il sortit à plusieurs égards de ce goût direct de la société d’alors, ou du moins il ne s’y inspira point à l’endroit fréquenté, et, par un bond de génie, tourna de côté pour percer d’une autre voie. Depuis longtemps on ne faisait plus en France de Mystères. Ce genre, qui avait tant charmé et orné le Moyen-Age, surtout le Moyen-Age déclinant ; qui avait rempli les quatorzième et quinzième siècles, et le commencement du seizième, avait été repoussé comme barbare et grossier lors de la renaissance des lettres ; il s’était continué depuis en divers endroits sans doute, mais obscurément et sur des tréteaux sans honneur. Chose remarquable ! il n’avait rien laissé de distinct et qui ressemblât de loin à une œuvre individuelle, ne fût-ce qu’à un accident particulier de talent. Tandis que les moralités ou farces, également rejetées et répudiées à cette époque du seizième siècle, laissaient du moins le souvenir survivant de quelques œuvres, de l’une au moins (et celle-là immortelle), l’Avocat Patelin, les Mystères n’avaient à offrir dans leur masse aucun échantillon pareil, aucune trace singulière qui de loin eût nom. Quand l’école de Ronsard et de Jodelle eut remplacé ces genres surannés par une tentative classique et grecque, les sujets chrétiens cédèrent naturellement le pas à des sujets antiques : les Grecs et les Romains firent leur entrée sur notre théâtre et y mirent le pied pour longtemps ; la famille des Atrides, Agamemnon en tête, nous arriva à toutes voiles. Ce fut, comme on disait, toute une flottille de héros d’Ilion ; Francus ramenait Hector. Il y eut pourtant, même dans cette école, quelques essais de tragédie sacrée, et j’y rapporte le Sacrifice d’Abraham de Théodore de Bèze[3].

Mais cette école contemporaine et corrélative de Ronsard, au théâtre, dura peu, et se produisit dans les collèges ou quelquefois à la Cour, plutôt qu’elle ne s’implanta profondément à la ville et devant le peuple. Pour celui-ci, les vieilles farces et les vieux sujets remaniés plus ou moins grossièrement n’avaient pas cessé. À la renaissance vraie du théâtre au temps de Henri IV (car à cette époque, université, religion, société polie, théâtre, il y eut sur tous les points toutes les sortes de renaissances), sous Hardi et ses successeurs immédiats, le genre des sujets religieux et chrétiens ne s’était pas reproduit, ou l’avait été sans aucun éclat. L’héritage des mystères et des martyres à la scène était donc à peu près oublié et perdu en France, quand Corneille, soit qu’il en ait repris l’idée dans la lecture des Espagnols et de ce qu’ils, appellent comédies sacrées, soit qu’il ait été mis sur la voie par ces tristes pièces, le Saül de Du Ryer ou le Saint Eustache de Baro, qui sont toutes deux de 1639, soit plutôt qu'il n’ait puisé le motif qu’en lui-même, en son génie naïvement religieux, et dans ces vagues rumeurs des questions de la Grâce qui grondaient à l’entour, rouvrit soudainement le genre sacré par Polyeucte, et, chez nous, le fonda le premier dans l'art.

On raconte que lorsque le grand poète lut sa pièce à l’hôtel Rambouillet, elle fit une impression très désavantageuse ; on craignit une chute, et sur l’avis de tous, particulièrement sur celui de Godeau, évêque de Grasse, lequel, bien qu’ensuite lié avec Port-Royal, fut toujours doublement de l’hôtel Rambouillet en religion comme en poésie, on dépêcha Voiture près de Corneille pour l’engager à garder sa pièce sans la risquer au théâtre. C’est qu’en effet ce n’était pas du monde d’alors, de ses modes romanesques et sentimentales, ni de ses sujets favoris, que, cette fois, le génie de Corneille avait uniquement tiré sa matière : il lui était venu un souffle et un accent d’autre part, d’autour de lui aussi, mais sans qu’il sût bien d’où peut-être. Il s’était emparé, au passage, de cette idée grondante, de ce coup de foudre de la Grâce, pour s’en faire hardiment un tragique flambeau ; il s’était dit, dès les premiers vers, avec Néarque :

Avez-vous cependant une pleine assurance
D’avoir assez de vie ou de persévérance ?
Et Dieu, qui tient votre âme et vos jours dans sa main,
Promet-il à vos vœux de le vouloir demain ?
Il est toujours tout juste et tout bon, mais sa Grâce
Ne descend pas toujours avec même efficace ;
Après certains moments que perdent nos longueurs,
Elle quitte ces traits qui pénètrent les cœurs.
Le nôtre s’endurcit, la repousse, l’égare :
Le bras qui la versait en devient plus avare ;
Et cette sainte ardeur, qui doit porter au bien,
Tombe plus rarement, ou n’opère plus rien.

Il s’était donc mis à saisir, sans plus tarder, cette inspiration nouvelle, cette Grâce (dans toutes les acceptions) dont il sentait sur lui, au dedans de lui, la tentation heureuse ; et ce naïf génie, ce franc et noble cœur, s’y appliquant dans toute son ouverture, en avait dès l’abord atteint et exprimé la profonde science.

Il ne serait pas malaisé, à mon sens, de soutenir cette thèse : Corneille est de Port-Royal par Polyeucte.

Tout le monde connaît, a su et sait par cœur Polyeucte, et je n’ai pas à l’analyser ici ; je ne veux que faire à son sujet quelques remarques toutes particulières, mais qui, si particulières qu’elles soient et à cause de cela même, aideront à pénétrer avant, par une voie assez neuve et détournée, dans les ressorts et l’intérieur de cette grande pièce.

Les détails de la scène qui s’est passée entre la mère Angélique et sa famille, dans cette Journée du Guichet qui m’a naturellement provoqué à l’examen de Polyeucte, n’ont pas fui, j’espère ; et il est besoin ici que du moins leur singularité même, en attendant mieux, les tienne vivants et présents.

C’est qu’il n’est aucune, presque aucune des objections spécieuses que la raison, le bon sens ordinaire et facile peut adresser à la mère Angélique sur cette journée, qui ne se puisse renvoyer avec autant de force à Polyeucte en personne, et qui ne lui ait été adressée en effet par les critiques et par les mondains du temps. Polyeucte, nonobstant ou, pour mieux parler, moyennant cette infraction à l’exacte raison, n’a été que plus beau et plus grand, comme dans notre sujet notre jeune abbesse, en vertu du même procédé, n’a été que plus sainte.

Polyeucte, à l’ouverture de la pièce, n’est pas chrétien encore ; il veut l’être, mais il ajourne ; Néarque, chrétien depuis plus longtemps, le gourmande et l’entraîne. Mais une fois chrétien et baptisé, une fois investi au dedans de cette Grâce victorieuse, Polyeucte prend sa revanche du retard et devance tout : le dernier entré sera le premier ; c’est lui, à son tour, qui entraîne Néarque à l’encontre des faux Dieux. Néarque ne pense qu’à s’abstenir et à garder le logis, il est le raisonnable : Polyeucte veut attaquer et courir, il est le sublime imprudent :

NÉARQUE.

Fuyez donc leurs autels.

POLYEUCTE.

Je les veux renverser
Et mourir dans leur temple, ou les y terrasser.

Et encore :

NÉARQUE.

Vous sortez du baptême, et ce qui vous anime
C’est sa Grâce qu’en vous n’affaiblit aucun crime ;
Comme encor tout entière, elle agit pleinement,
Et tout semble possible à son feu véhément :
Mais cette même Grâce en moi diminuée,
Et par mille péchés sans cesse exténuée,
Agit aux grands effets avec tant de langueur,
Que tout semble impossible à son peu de vigueur..,.

Corneille, il est vrai, attribue, on le voit, cette toute-puissance et ce miracle de la Grâce en Polyeucte à l’effet direct du baptême, au sacrement qui lui a été conféré, plutôt qu’à une influence singulière et plus invisible, venue sans cet appareil extérieur dans un cœur déjà baptisé. Mais c’eût été trop demander que de vouloir de lui une telle manière d’entendre et de représenter la Grâce, surtout au théâtre, par une infusion toute secrète, toute gratuite : l’acte du baptême, au contraire, était une cause suffisante et manifeste, un signe expressif et intelligible à tous de cette opération intérieure sur laquelle il fondait la conduite et le saint exploit de Polyeucte.

Le grand, le sublime de la pièce de Corneille redouble, éclate au quatrième acte, au moment où Polyeucte dans la prison attend Pauline et fait demander Sévère.

Resté seul, et les gardes éloignés, il chante et prie, ou plutôt l’esprit divin qui le transporte chante et s’exalte en son cœur :

Source délicieuse, en misères féconde,
Que voulez-vous de moi, flatteuses Voluptés ?
..............

Et en contraste :

Saintes douceurs du Ciel, adorables idées,
Vous remplissez un cœur qui vous peut recevoir ;
De vos sacrés attraits les âmes possédées
Ne conçoivent plus rien qui les puisse émouvoir.
Vous promettez beaucoup, et donnez davantage :
Vos biens ne sont point inconstants ;
Et l’heureux trépas que j’attends
Ne vous sert que d’un doux passage
Pour nous introduire au partage
Qui nous rend à jamais contents.

Ce chant de Polyeucte, cet hymne en chœur de ses pensées, imité ensuite par Rotrou dans Saint Genest, et qui avait ses précédents lyriques dans le théâtre espagnol et chez les Grecs, est le premier prélude, un jet éloquent des chœurs ensuite déployés d’Esther et d’Athalie.

Dans notre scène du Guichet (vous souriez), un moment répondrait assez à celui même de Polyeucte en sa prison ; c’est l’heure d’intervalle où la jeune Angélique seule en prière, aux marches de l'autel, prête l’oreille et attend son père : ne mesurez que les sentiments. C’est l’instant encore où derrière la porte ébranlée, se tenant immobile, pendant que son père foudroie, elle ne l’interrompt que par de tremblants monosyllabes pour le supplier d’entrer au parloir voisin. Dans l’âme d’Angélique un chant s’essaie aussi, un hymne se fait entendre à qui sait l’écouter ; la voix des sévères douceurs du Ciel la soutient. Si l’orgue traduisait ce qui se passe en cette âme ineffable et, rejetant les misères de la circonstance, ne rendait, comme il sied à la musique, que l’orage de l’esprit, qu’aurait-on ? Oh ! non pas la gloire et la jubilation de Thymne de Polyeucte ; le chant en elle n’est pas triomphant ; il est plus étouffé, plus triste, plus frémissant, plus combattu des cris de la terre. Moins éloquent, il pourrait être bien touchant dans sa réalité et son mélange. Polyeucte oublie un peu trop Pauline, il va jusqu’à dire :

Et je ne regarde Pauline
Que comme un obstacle à mon bien !

La jeune Angélique, tout en faisant ce qu’elle croit devoir, n’est pas si dure en paroles et en pensées : elle saigne, elle souffre, et, quand son père au parloir lui redevient père et affectueux de langage, elle s’évanouit.

Ce que je fais là d’étrange en critique littéraire n’est pas si loin de l’esprit de mon sujet. Je tente d’aborder une tragédie sainte de la seule façon peut-être qu’un M. de Saint-Cyran eût aimée ou permise. Je ne profane pas Polyeucte, je le confronte ; je me plais à incliner la majesté de l’art, même de l’art chrétien, devant la plus chétive réalité, mais une réalité où éclata le même sentiment intérieur dans toute sa Grâce.

La sainte véritable, l’héroïne pratique se trouve donc, à l’épreuve, plus humaine et plus naturelle que le saint du théâtre ; Polyeucte passe plus qu’elle les bornes nécessaires. Il est vrai que dans l’admirable scène de Polyeucte et de Pauline, quand celle-ci essaie de l’ébranler, le héros à un moment s’échappe à dire hélas ! sur quoi Pauline se récrie :

… … Que cet hélas a de peine à sortir !
Encor s’il commençait un heureux repentir,
Que, tout forcé qu’il est, j’y trouverais de charmes !
Mais courage ! il s’émeut, je vois couler des larmes.

Le moment de cet hélas ! dans la scène entre Pauline et Polyeucte, est juste celui de l’évanouissement dans la scène entre Angélique et son père, de cet évanouissement tant raconté qui rappelait aux Jansénistes attendris celui d’Esther.

Les rôles de Pauline et de Sévère sont parfaitement beaux et certainement incomparables ; je ne ferai point au rôle de Félix l’honneur de le mettre même en seconde ligne : il a de la bassesse, on l’a dit ; mais il a aussi, dans son embarras, une teinte de comique qui repose ; on est tenté de lui appliquer le pauvre homme ; c’est l’abbé de Vauclair de la tragédie.

Plus on avance dans la pièce de Corneille, et plus (Félix à part) elle devient sublime, pathétique d’effet et renversante : ce brusque et double mouvement toujours applaudi :

Où le conduisez-vous ? — À la mort ! — À la gloire !

la conversion soudaine de Pauline, son cri :

Je vois, je sais, je crois, je suis désabusée…
Je suis chrétienne enfin, n’est-ce point assez dit ?
.............
Le faut-il dire encor, Félix, je suis chrétienne !

la noblesse clémente, la conversion possible (et dans le lointain) de Sévère, lequel, en attendant, représente l’accompli modèle de l’honnête homme dans le monde, tout cela est d’une croissante et souveraine beauté, d’une de ces beautés de génie et d’art, inimitables, ce semble, et que rien dans la réalité de la vie, même chrétienne, ne pourrait égaler.

Pardon ! (et ici plus de sourire) tout cela a été égalé, surpassé peut-être, — oui, surpassé dans cette histoire et dans les conséquences mêmes de cette scène particulière que nous étudions. Car savez-vous, de cette scène, de cette journée du Guichet, ce qui arriva ? Comptez et récapitulez les acteurs : la mère Angélique, M. Arnauld, madame Arnauld, madame Le Maître, M. d’Andilly, la jeune Agnès, les jeunes filles Anne et Marie-Claire. Eh bien ! tous ces acteurs ou témoins, M. Arnauld à part, qui mourut dans le monde en honnête homme honoré et en chrétien, tous, madame Arnauld en tête, entrèrent à Port-Royal et s’y firent, les femmes religieuses, et M. d’Andilly solitaire. Or, voici ce qu’on lit dans les histoires de Port-Royal à l'année 1641 ; qu’on veuille peser tous les mots : Ce 28 février, mourut, âgée de soixante-huit ans, sœur Catherine de Sainte-Félicité (nom de religion de madame Arnauld), fille de M. Marion, mère de la mère Angélique, de la mère Agnès, et de quatre autres filles religieuses, grand’mère de la mère Angélique de Saint-Jean et de ses cinq sœurs également dans le monastère (en tout six filles sous le voile et six petites-filles, toute une tribu de Lévi)[4] ; mère de M. d’Andilly, du grand Arnauld, aïeule de M. Le Maître, de M. de Saci, sans parler des autres encore ; si bien qu’on la peut dire, après la mère des saints Macchabées, la plus heureuse par la fécondité. Après la mort de M. Arnauld, son mari, s’étant retirée à Port-Royal, elle fut un jour si touchée d’un sermon qui se fit à la profession d’une religieuse, qu’après la cérémonie elle alla se jeter aux pieds de sa fille la mère Angélique, lui demandant d’entrer au noviciat et la prenant pour supérieure et pour mère. Dans le testament spirituel qu’elle fit à la veille de sa profession (février 1629), elle disait : « Je loue Dieu et le bénis avec un ressentiment indicible d’avoir déjà fait réussir en partie le désir que j’ai eu toute ma vie de procurer le salut de l’âme de mes enfants, ayant attiré par la puissance de sa Grâce, sans que j’y aie apporté aucune suggestion, six de mes filles à son service dans la sainte Religion, et d’avoir daigné à la fin étendre cette même Grâce sur mon âme pour la rendre participante de ces admirables qualités de la Sainte Vierge qui était Fille et Mère de son Fils, en me rendant fille et mère d’une personne que j’ai portée dans mes flancs…» Le 4 février 1629, elle fit donc profession entre les mains de sa fille, et prononça ses vœux avec une voix aussi forte et intelligible que si elle n’avait eu que quinze ans, quoiqu’elle en eût cinquante-six. Peu après sa profession, elle devint fort infirme ; s’étant soumise à l’obligation de lire chaque jour le grand Office, elle s’y usa la vue et fut affligée par une cécité presque entière. On admirait sa tranquillité d’esprit, sa simplicité en tout, son humilité singulière dans la façon dont elle se conduisait avec ses filles religieuses. Elle appelait toujours la mère Angélique ma Mère ainsi que la mère Agnès, parce qu’elles étaient ou avaient été abbesses ; elle se mettait à genoux, comme les autres religieuses, devant celle des deux qui était abbesse dans le moment. Pour ses autres filles, elle les appelait ses sœurs, et les faisait toujours passer devant elle, à cause qu’elles étaient ses anciennes dans la Religion[5]. À l’heure de sa mort, elle répondit à toutes, à chacune d’elles qui venait à son tour lui demander une parole suprême et lui dire à genoux : «Ma mère, dites-moi une parole que je garderai toute ma vie et que je puisse faire ;» elle leur répondait par des paroles de Dieu, par des mots appropriés et de justes parcelles de l’Écriture qu’elle distribuait comme de ses mains défaillantes. Elle faisait recommander à son fils le grand Docteur, pour unique adieu, qu’il ne se relâchât jamais dans la défense de la Vérité. Dans son agonie, on l’entendit plus d’une fois murmurer ces mots avec ardeur : «Mon Dieu, tirez-moi à vous !» ou encore : «Que vos tabernacles sont aimables !» — Ame vraiment solide et bâtie sur la pierre, a dit M. de Saint-Cyran ; âme d’autant plus à estimer qu’il ne paraissait rien en elle de ces brillements qui flattent les sens des hommes !

Je ne sais si je m’abuse, mais il me semble que, sans autre commentaire, une telle conclusion de la journée du Guichet est aussi mémorable, aussi éloquente à sa manière, aussi pathétique et idéalement sublime que le dénouement même de Polyeucte[6]. Ces conversions, coup sur coup, de Pauline, de Félix, peut-être un jour de Sévère, ne sont pas plus merveilleuses et plus enlevantes pour le spectateur (celle de Félix ne l’est même pas du tout) que ce que nous voyons s’accomplir ici dans l’ombre et sans applaudissements.

Car se figure-t-on bien, non pas aux jours solennels, mais à chaque jour, à chaque heure monotone de cette vie contrite et recueillie, tout ce qui devait sortir, émaner en amour, en prière, en élancements, et déborder, s’effectuer au dehors, en aumône, en bienfaisance, en sacrifice de soi pour tous ; ce qui devait incessamment rayonner et s’échanger entre tous ces cœurs de mère, d’aïeule, de filles, de petites-filles, de sœurs, de fils, de neveux et de frères, entre tous ces êtres unis dans un seul sentiment de fidélité repentante, d’immolation et d’adoration ? Voyons-les tous un peu dans notre idée, rangés devant nous, agenouillés, à la lampe du matin, sur ce parvis qu’ils usent, et sous ces voûtes qu’ils font nuit et jour retentir ; figurez-vous, — tâchez de vous figurer par des chants, par des rayons, par tout ce qu’il y a de plus éthéré et de plus pur, cette inénarrable et invisible communication de pensées, de sentiments, d’âme enfin, d’âme perpétuelle sous l’œil du Seigneur : et demandez-vous après s’il fut, depuis les jours anciens, depuis la tige de Jessé, depuis l’olivier des Patriarches et dans toutes les postérités bénies, un plus beau spectacle sur la terre !

Nous n’avons pas fini de Polyeucte. Cette grande pièce, tout d’abord applaudie par la masse des spectateurs enlevés, et qui, selon le naïf témoignage de Corneille en son Examen, satisfit tout ensemble, à la représentation, les dévots et les gens du monde, tant les tendresses de l’amour humain y faisaient un agréable mélange avec la fermeté du divin, ne fut pourtant appréciée à fond et bien comprise qu’à la réflexion longtemps après. Monchesnay a raconté que Boileau regardait Polyeucte comme le chef-d’œuvre de Corneille. La pièce, en effet, dont l’hôtel de Rambouillet n’avait pas voulu, méritait de prendre sa revanche entière dans l’esprit de Boileau. Je regrette que lui-même, en ses œuvres, ne se soit pas plus déclaré là-dessus ; je ne me rappelle pas d’endroit notable où il cite bien particulièrement le saint martyr, tandis qu’il allègue à tout instant le Cid, Cinna, les Horaces. J’aurais voulu que dans l’Art Poétique à propos de l’art chrétien, il fit tout haut à Polyeucte la part glorieuse et motivée dans laquelle il admit plus tard Athalie. Lorsqu’il a parlé au long et avec mépris des anciens mystères et martyres chrétiens produits sur la scène :

 De pèlerins, dit-on, une troupe grossière
En public à Paris y monta la première,
Et, sottement zélée en sa simplicité,
Joua les Saints, la Vierge et Dieu, par piété.
Le savoir, à la fin, dissipant l’ignorance,
Fit voir de ce projet la dévote imprudence :
On chassa ces docteurs prêchant sans mission ;
On vit renaître Hector, Andromaque, Ilion…

ce sont de beaux vers ; mais Boileau, en les écrivant, aurait pu se souvenir de Polyeucte, et dire (c’eût été le lieu naturel) que ce genre religieux, longtemps bas en effet et grossièrement naïf, et justement rejeté, avait été comme ressaisi à distance, transformé et renouvelé par un coup de génie ; qu’il se trouvait avoir un dernier et soudain héritier, un rejeton imprévu et le premier illustre, dans le Polyeucte de Corneille, et il aurait pu ajouter sans trop de complaisance, dans le Saint Genest de Rotrou. Ces choses, un peu difficiles à dire en vers, auraient provoqué agréablement sa verve industrieuse, et servi l’ornement en même temps que le fond de son poème. Mais c’est trop demander. Je ne trouve pas non plus Polyeucte mentionné à côté des quatre chefs d’œuvre, le Cid, Horace, Cinna, et Pompée, que Racine énumère dans son Discours académique pour la réception de Thomas Corneille. Fontenelle, qui par son esprit fut digne de tout comprendre et presque de tout sentir, le même quia qualifié l'Imitation de Jésus-Christ d’un mot immortel[7], a eu de Polyeucte la véritable idée ; voyant Corneille hésiter dans ses préférences paternelles entre Cinna et Rodogune, il passe entre les deux et va droit à la palme sainte qu’il juge la plus belle.

Le dix-huitième siècle lui rendit aussi pleine justice, tout dix-huitième siècle qu’il était. Voltaire, dans ce Commentaire, grammaticalement si léger, sur Corneille, met pourtant le doigt sur les grands points et fait ressortir à merveille les principales et essentielles marques du chef-d’œuvre, l’extrème beauté, dit-il, du rôle de Sévère, la situation piquante de Pauline et sa scène admirable avec Sévère au IV acte, qui assurent à cette pièce un succès éternel. Auteur de Zaïre, lui aussi, par un coin, il relevait, au théâtre, de l’art sacré. D’autres critiques depuis, et fort compétents, M. Lemercier surtout, ont dignement et profondément parlé de Polyeucte. On est même allé, et ce dernier critique y penche, à accorder une importance croissante au rôle de Sévère et à en faire le grand rôle de la pièce, le centre de l’idée de Corneille. Ce point mérite d’être éclairci.

Sévère est un caractère tout grand, tout désintéressé, tout chevaleresque en un sens, mais un rôle humain ; c’est l'idéal humain de la pièce, dont le reste exprime l’idéal chrétien. Sévère sauve l’empereur dans un combat ; il est blessé, fait prisonnier ; mais le roi de Perse, son vainqueur, le traite en Bayard. Sévère, de retour, au plus haut degré de la faveur de César, n’en abuse en rien. Sa maîtresse s’est mariée à un autre pendant son absence : il la revoit, il lui parle, veut lui arracher du moins un regret, et, dès qu’il l’a cru surprendre, il est content ; il ne souhaite plus que de mourir d’une belle mort dans les combats ; il s’écrie :

Puisse le juste Ciel, content de ma ruine,
Combler d’heur et de jours Polyeucte et Pauline !

C’est le généreux humain dans toute sa beauté. Plus tard, quand Polyeucte, par une revanche de générosité surhumaine y lui veut rendre Pauline qu’il va faire veuve par sa mort, Sévère qui a repris espérance un moment, tout d’un coup renversé et précipité de son bonheur par la résolution de Pauline, Sévère reste bon, juste, clément ; il voudrait sauver, il essayera de défendre le rival chrétien qu’on lui préfère, et, dans son entretien avec Fabien, il juge cette naissante religion dans un sentiment qui est de sympathie et d’impartialité :

Je te dirai bien plus, mais avec confidence :
La secte des Chrétiens n’est pas ce que l’on pense ;
On les hait, la raison je ne la connais point,
Et je ne vois Décie injuste qu’en ce point.
Par curiosité j’ai voulu les connaître…

Par curiosité ! et, à ce qu’il dit ensuite, on voit que Sévère, comme cet empereur son homonyme[8] mettrait volontiers au rang de ses Dieux ou de ses sages divins le fondateur du Christianisme. Il fait l’éloge de la morale qui sort de l’Évangile, et laisse pourtant échapper ces quatre vers :

Peut-être qu’après tout ces croyances publiques
Ne sont qu’inventions de sages politiques
Pour contenir un peuple, ou bien pour l’émouvoir,
Et dessus sa faiblesse affermir leur pouvoir.

Ces quatre vers out pu décider du faible qu’a eu le dix-huitième siècle pour le rôle de Sévère. En avançant vers le dénouement, la figure de Sévère reçoit une teinte continuelle et croissante de beauté. La mort de Polyeucte, la conversion de Pauline, celle de Félix lui-même, le touchent, l’ébranlent sans toutefois l’entraîner : il reste humain encore et sage ; mais plus sympathique que jamais, il s’écrie :

Qui ne serait touché d’un si tendre spectacle ?
De pareils changements ne vont point sans miracle.
Sans doute vos Chrétiens qu’on persécute en vain
Ont quelque chose en eux qui surpasse l’humain ;
...........
Je les aimai toujours, quoi qu’on m’en ait pu dire ;
Je n’en vois point mourir que mon cœur n’en soupire,
Et peut-être qu’un jour je les connaîtrai mieux.

Il se reprend pourtant ; et, gardant sa mesure, sa limite humaine et strictement philosophique, il ajoute aussitôt :

J’approuve cependant que chacun ait ses Dieux.

Sévère est donc, dans cette pièce, l’idéal, sous l’Empire, de l’honnête homme païen, déjà entamé et touché, du philosophe stoïcien à la Marc-Aurèle, mais plus ouvert, plus accessible et compatissant. À entendre sa dernière tirade, ce mélange d’aveux et de réticences, cet hommage presque entier et non définitif que lui arrache l’apparence divine du Christianisme, on croit saisir déjà l’écho de cette belle, mais inconséquente parole, qu’avant et depuis le Vicaire Savoyard, agitent et retournent, rongent en tout sens, les spiritualistes, les déistes, et les plus nobles des sages humains :

«Si la vie et la mort de Socrate sont d’un sage, la vie et la mort de Jésus sont d’un Dieu.»

Tous les plus élevés parmi les vertueux humains depuis la Venue, parmi ces témoins incomplets qui s’arrêtent au seuil, murmurent cela, et Sévère déjà le confesse.

Voilà dans un personnage de grandes beautés ; elles y sont, ce n’est pas la subtilité qui les découvre, le moindre coup-d’œil de réflexion suffit. Mais jusqu’à quel point y sont-elles réfléchies de la part de l’auteur, et voulues ? Corneille a-t-il voulu simplement (et je serais tenté de le croire) que Sévère, l’honnête homme humain de la pièce et le seul en dehors de l’enthousiasme qui y règne, Sévère, un peu passif et spectateur lui-même, fût une sorte d’interprète de l’esprit de l’action, auprès des autres spectateurs, gens du monde plus que dévots ? Corneille, en effet, si instinctif qu’on le fasse de génie, raisonnait beaucoup ; il sentait bien que sa pièce pourrait paraître un peu forte à quelques-uns, que Polyeucte et Néarque allaient un peu loin ; il crut avoir besoin d’un rôle calme, d’un rôle sur le premier plan toutefois, qui, unissant en lui mille beautés intéressantes et dramatiques, y ajoutât une sorte de réflexion équitable et de raison ; qui moralisât sur ce qu’il voyait, et donnât même, par son avis déjà, le ton au jugement des spectateurs, le branle à leurs applaudissements. Sévère, en ce sens, du moins par toute la dernière partie de son rôle, serait donc une manière d’introducteur, d’approbateur par avance, un truchement moins enthousiaste et plus digne de créance, faisant transition encore plus que contraste à cette vertu qui, chez tous les autres, peut sembler extrême et quelque peu forcenée. Je ne veux pas pousser trop loin cette vue, que je crois réelle : sinon l’intention, l’effet du moins subsiste. Mais si Sévère, à l’origine, a été par quelque endroit, dans l’esprit de Corneille, une précaution dramatique, cette précaution, assez inutile à ce titre, est devenue à l’instant une nouvelle et merveilleuse beauté. À la scène, pourtant, le succès de la pièce, tout de pathétique et d’entraînement, appartient plutôt aux autres rôles, à Polyeucte, à Pauline surtout ; Sévère ne se dessine et ne se laisse admirer de plus en plus qu’à la réflexion, à la lecture. À la scène, le rôle de Pauline domine. À la représen-

tation comme à la réflexion, c’est un bien grand rôle. En France[9] nous ne nous montrons pas toujours assez soigneux ou fiers de nos richesses. La création de Pauline est une de ces gloires, de ces grandeurs dramatiques qu’on devrait plus souvent citer. Antigone chez les Grecs, Didon chez les Latins, Desdémone et Ophélie dans Shakespeare, Françoise de Rimini chez Dante, la Marguerite de Goethe, ce sont là des noms sans cesse ramenés, des types aimés de tous, reconnus et salués du plus loin qu’on les rencontre. Pourquoi Pauline n’y figure-t-elle pas également ? Elle a, elle garde, même dans son impétuosité et dans son extraordinaire, des qualités de sens, d’intelligence, d’équilibre, qui en font une héroïne à part. Romaine sans doute, mais à la fois bien Française. Pauline n’est pas du tout passionnée dans le sens antique : l’amour, comme elle peut le ressentir, ne rentre pas dans ces maladies fatales, dans ces vengeances divines dont les Didon et les Phèdre sont atteintes : ce n’est pas à elle qu’on pourrait appliquer aucun de ces traits :

.....Gravi jam dudum saucia cura…
D’un incurable amour remèdes impuissants…
C’est Vénus tout entière à sa proie attachée…

Elle n’a pas non plus la mélancolie moderne et la rêverie de pensée des Marguerite, des Ophélie. Pauline est précise, elle est sensée. Avant de devenir l'épouse de Polyeucte, elle a aimé Sévère, mais d’une simple inclination ; malgré cette surprise de l’âme et des sens (comme elle l’appelle), elle a tourné court dès qu’il l’a fallu, dès que le devoir et son père l’ont commandé ; elle a rejeté d’elle l’idée de ce parfait amant, et a pu être à Polyeucte sans infidélité secrète du cœur, sans souffrance ni flamme cachée. Sévère revient : Pauline le revoit et soupire tout bas, même tout haut ; mais elle n’aime pas moins Polyeucte, toute son inquiétude n’est pas moins pour lui, à propos de ce songe qu’elle a fait. Lorsqu’au quatrième acte Polyeucte, près de mourir, la voudra rendre à Sévère, elle refusera par dévouement, par délicatesse, et simplement aussi par amour pour son époux ; elle s’écriera d’un cri du cœur :

Mon Polyeucte touche à son heure dernière !

On lit chez madame de Sévigné[10]: «Madame la Dauphine disait l’autre jour, en admirant Pauline de Polyeucte : Eh bien ! voilà la plus honnête femme du monde qui n’aime point du tout son mari.» Ce qui me frappe au contraire, les antécédents étant donnés, c’est comme elle l’aime. La raison qui l’a tirée de son inclination première, l’a conduite à l’affection conjugale. Car au milieu des exaltations de langage et de croyance, à travers ce songe mystérieux et ces coups de la Grâce, au fond, la raison règle et commande ce caractère si charmant, si solide et si sérieux de Pauline, une raison capable de tout le devoir dévoué, de tous les sacrifices intrépides, de toutes les délicatesses mélangées ; une raison qui, même dans les extrémités les plus rapides, lui conserve une sobriété parfaite d’expression, une belle simplicité d’attitude : tout par héroïsme, rien par entraînement. Rien d’égaré ni d’éperdu. C’est assez comme en France : la tête dans la passion encore et dans les choses de cœur entre pour beaucoup. On se figure aisément combien Pauline devait plaire à quelqu’un de ce temps-là que nous connaissons tous, à quelqu’un qui avait passé par l’hôtel de Rambouillet, mais pour n’y prendre que la politesse, à une femme en qui, de même, la raison tenait le dé parmi tant de qualités prodigues et charmantes, d’un cœur haut et chaste, sérieuse au fond de son enjouement, à cette madame de Sévigné qui lisait des in-folio de saint Augustin en douze jours, et n’en avait pas pour cela les yeux moins brillants, les paupières moins bigarrées. Combien Pauline devait être comprise d’elle, et lui plaire, et à madame de La Fayette aussi, à cet autre cœur également raisonnable et dévoué, lorsque toutes deux elles retrouvaient dans l’héroïne, sous cet air romain et romanesque qu’elles aimaient, et qui était le costume idéal du temps, des qualités essentielles, fermes, vives, délicates et justes, ce que j’ose appeler, dans le sens le plus avantageux, des qualités françaises ! Madame de La Fayette, madame de Sévigné, et leurs pareilles, s’il s’en trouvait alors, voilà l’excellent public, l’enthousiaste et jeune cortège de Pauline, alors qu’elle parut[11] ou du moins qu’elle régna dans sa neuve beauté. — À une grande distance de là, et plus près de nous, il est un caractère bien noble, très-romain, un peu roide en ce sens, si l’on veut, mais sincèrement magnanime, un caractère de femme française, qui rappelle Pauline par plusieurs des plus beaux endroits, — madame Roland allant à l’échafaud. Le rapport, pour peu que l’on y pense, est frappant : même raison dominante sur la passion, un amour aussi pour un autre que pour l’époux, un amour également étouffé, sans fol éclair, et qui n’ôte rien ni à la vertu de l’âme ni à la fierté de l’attitude ; l’enthousiasme enfin, mâle et sûr, et qui pousse sereinement au martyre. Ce compagnon de supplice, on le sait, qui tremblait sur la charrette en avançant et se sentait défaillir au bas du fatal degré, Pauline, de même, je le crois, l’aurait fait monter devant elle pour le soutenir du regard sous le couteau. Pauline, c’est une madame Roland chrétienne, et qui de plus, pour le ton, a légèrement passé à côté de l’hôtel Rambouillet, au lieu que l’autre a passé par l’hôtel du ministère girondin. De là, chacune à sa manière peut sembler un peu pompeuse ; mais, au fond, il y a une réelle, une héroïque ressemblance.

Corneille essaya encore, après Polyeucte, de poursuivre cette veine du drame religieux, qu’il avait rouverte si heureusement ; mais il n’y réussit plus. Son martyre de Théodore (1645), bien loin d’un succès, alla presque au scandale[12] La poésie sacrée, sous forme lyrique, l’occupa. Quelques années après Polyeucte, et par suite de la même impulsion chrétienne combinée avec la chute de ses derniers ouvrages, il donna sa traduction en vers de l’Imitation: il paraît que c’est sur le conseil d’amis jésuites qu’il s’y était mis. Cette traduction, si peu lue aujourd’hui et si difficile à lire de suite, a pourtant de beaux endroits qu’on y découvre avec plaisir, au prix d’un premier dégoût. Quel plus heureux début de chapitre que celui-ci (liv. II, chap. IV):

Pour t’élever de terre, Homme, il te faut deux ailes,
La pureté de cœur et la simplicité ;
Elles te porteront avec facilité
Jusqu’à l’abîme heureux des clartés éternelles !

Voici deux strophes encore qui ont bien la légèreté (ce qui est rare chez Corneille) et la sainte allégresse du chant :

O Dieu de Vérité, pour qui seul je soupire,
Unis-moi donc à toi par de forts et doux nœuds.
Je me lasse d’ouïr, je me lasse de lire,
Mais non pas de te dire :
C’est toi seul que je veux !

Parle seul à mon cœur, et qu’aucune prudence,
Qu’aucun autre docteur ne m’explique tes lois ;
Que toute créature, à ta sainte présence,
S’impose le silence,
Et laisse agir ta voix !

[13]La véritable et directe continuation de Polyeucte au théâtre se fit par le Saint Genest de Rotrou. Le succès de Polyeucte, on le voit dans les annales du théâtre français d’alors, excita une sorte de recrudescence de sujets religieux ; les La Serre, les Des Fontaines se mirent en frais de martyres ; les Sainte Catherine, les Saint Alexis moururent coup sur coup : on ne se souvient que de Saint Genest. Rotrou, fortement ému de la pièce sublime de Corneille, et qui ne rougissait pas de paraître suivre en disciple celui qui, par un naïf renversement de rôle, le nommait son père, produisit, peu d’années après (1646), cette autre tragédie de la même famille exactement et qui, je l’ai déjà indiqué, ressuscite et clôt sur notre théâtre l’ancien genre des martyres. Saint Genest fait le second de Polyeucte ; et tous deux sont des rejetons imprévus, au seuil du théâtre classique, d’une culture longtemps florissante au Moyen-Age, mais depuis lors tout à fait tombée. Il arrive souvent ainsi, en littérature, que des séries entières d’œuvres antérieures, appartenant à une période finissante de la civilisation avec laquelle elles s’en vont disparaître elles-mêmes, se retrouvent soudainement dans une dernière œuvre modifiée et supérieure, qui les abrège, les résume et en dispense. L’Arioste, au moment où la chevalerie vaincue tombe et se brise, en recueille, en rassemble, en embrouille malignement dans sa trame si diverse les fils, les devises et les couleurs nuancées, et voilà que ce qui a précédé n’est plus guère lu que par lui, chez lui, ou grâce à lui. Ce qu’est l’Arioste pour toute une famille de chevaleresques badins dont il a profité et qu’il éclipse, le Tasse l’a été dans l’autre perspective glorieuse et pathétique de la chevalerie prise au sérieux, qu’il embrasse et qu’il couronne. La Jérusalem délivrée est un poème de chevalerie refait à la manière et à l’usage du seizième siècle et des suivants. Les anciens poèmes restent dans la poussière et ne seront plus remués que par les érudits : le monde des lecteurs est au chantre de Clorinde et d’Armide. En France, pour toute la partie burlesque, satirique et moralisante du Moyen-Age, Rabelais a fait ainsi : son livre est comme un lac un peu bourbeux.[14], mais profond, où toutes les sources se viennent verser au bas des dernières hauteurs de l’époque qui finit, et quand la plaine du seizième siècle commence. Rabelais, à la rigueur, sur ce point, dispense de remonter, et l’on y trouve amassés, dans le plus vaste réservoir, toutes les malices, toutes les risées, tout le sens observateur et humain, tout le débris enfin et le limon des âges précédents. La Fontaine, on l’a dit souvent, est lui-même un poète du seizième siècle dans le dix-septième ; en lui, en ses Contes et dans toute sa manière, se retrouve condensé, aiguisé, raffiné sans altération et avec franchise le meilleur sel des fabliaux. Ces reproductions abrégées et brillantes de toute une veine du passé en un seul homme, en un seul talent, ces sortes de ricochets sont donc plus qu’un accident fréquent, c’est comme une marche générale en littérature.[15] : il semble alors que les siècles entiers n’aient servi qu’à amasser et préparer la matière au génie tardif, mais facile, qui fleurit seul en vue dans l'arrière saison. Cela même tient à une loi supérieure et qui s’applique à de plus grandes choses. Dans l’ordre de la nature, les grandes formations antérieures d’animaux, de végétaux, appartenant à des époques closes et qu’une autre époque d’organisation a remplacées, ne laissent-elles pas dans l’ordre suivant quelque vestige distinct d’elles-mêmes ? n’y ont-elles pas des représentants, jusqu’à un certain point, par quelques individus qui s’en rapprochent et qui en offrent plusieurs essentiels caractères ? n’ont-elles pas comme un dernier mot ? Ne nous étonnons point que, dans un ordre moindre, dans des séries moins tranchées et moins séparées, quelque indice de la même loi de continuité ou de récurrence se fasse sentir. Ce qu’il y a de curieux toujours, c’est quand le lien se retrouve à l’improviste et comme par accident. On croyait avoir fini d’un genre, d’une espèce de littérature, on la jugeait dès longtemps enterrée, et voilà qu’un échantillon dernier reparaît, et le plus brillant, et le seul brillant. Polyeucte et Saint Genest sont tout à fait dans ce cas par rapport à la classe des mystères : il y avait eu interruption, le ricochet glorieux peut en sembler plus piquant.

L’étude sur Polyeucte resterait incomplète si nous n’y joignions le Saint Genest, dont ce nous est ici une occasion naturelle et unique de parler. Il convient donc de s’y arrêter encore. Et qu’on ne s’effraye pas trop de cette longue distraction semi-profane que nous nous accordons : Port-Royal est désormais fondé et clos ; la Journée du Guichet a eu lieu ; notre cloître subsiste et les dehors en sont bien gardés : nous pouvons le laisser un peu seul sans crainte. — Et disons-le une fois pour toutes, quand Port-Royal ne serait pour nous qu’une occasion, une méthode pour traverser l'époque, et quand on s’en apercevrait, l’inconvénient ne serait pas grand.

    et la gloire. Pétrarque est, à certains égards, le dernier d’une foule de sonettieri italiens et de soupirants provençaux, dont on n’a plus que faire ; Benvenuto Cellini vient le dernier, me dit-on, d’une école de sculpteurs florentins qu’il couronne et qu’il recouvre. Bayard est le dernier des chevaliers. Aux derniers les bons, dit l’adage vulgaire. C’est le dernier chef de file qu’on voit. C’est toujours l’Histoire d’Alexandre, qui triomphe avec les trésors et l’armée de Philippe. Mirabeau aussi n’est-il pas le produit brillant, et déjà gâté, d’une race qui valait mieux que lui, et qui n’a éclaté dans la gloire que par lui ?

  1. Des vers de bel-esprit, mais détestables : on les a. Le bon Besoigne, qui les cite (Histoire de l’Abbaye de Port-Royal, t. III, p. 295), ne se doute pas plus que Corneille de l’inconvenance du sujet même, et il ne trouve à redire que théologiquement sur le prétendu dogme de la Conception immaculée si cher aux Jésuites, et que les Jansénistes ne purent jamais digérer.
  2. Fontanes, Mercure, ventôse an IX. Voltaire avait déjà, en deux ou trois mots, fort bien touché ce point dans son Commentaire.
  3. J’avais d’autant plus droit de m’en souvenir que cette pièce fut précisément écrite par Théodore de Bèze à l’intention des étudiants de Lausanne et pour être représentée par eux, ce qui eut lieu en effet vers 1551-1552.
  4. Pour être tout à fait exact, est-il besoin de noter que la sixième de ses petites-filles mourut n’étant encore que pensionnaire, avant l'âge de sa profession ?
  5. Madame Le Maître, l’aînée des six filles et la seule qui ait été mariée, fut aussi la seule qui ne prit le voile qu’après sa mère.
  6. Si l'on ne craignait de paraître trop pousser un rapprochement qui subsiste et suffit dans l’essentiel, on parlerait d’un songe ; car la mère Angélique eut le sien, ainsi que Pauline, et, comme il lui arrivait souvent de penser plus particulièrement à M. d’Andilly et à madame Le Maître, les seuls de ses frères et sœurs qui fussent tout à fait engagés dans le monde, elle crut les voir une nuit en songe, qui, montés tous deux sur un même cheval, venaient, le visage triste et abattu, chercher asile près d’elle à Port-Royal. Elle s’expliqua cela plus tard par leur sainte retraite, lorsque tous deux, veufs et tristes selon le monde, vinrent chercher vers le cloître l’éternelle joie.
  7. «Ce livre le plus beau qui soit parti de la main d’un homme, puisque l’Évangile n’en vient pas … »Fontenelle, Vie de Corneille.
  8. Alexandre Sévère.
  9. Et en disant cela à Lausanne, je parlais encore à des Français en littérature.
  10. Lettre du 28 août 1680.
  11. Madame de Sévigné n’avait que treize ans quand Polyeucte parut, et madame de La Fayette un peu moins : ce leur dut être, en grandissant, leur idéal de première jeunesse.
  12. Ce qui n’empêche pas l'abbé d’Aubignac, en vertu de plusieurs raisons didactiques, de proclamer Théodore le chef-d’œuvre de Corneille (Pratique du Théâtre, livre II, chap, VIII). Il y a de ces gens qui ont ainsi, dans leurs préférences, une certitude de mauvais goût qui rassure, et qui vérifie par le contraire tout ce qu’on doit penser d’un auteur et d’un livre :

    Ma foi ! le jugement sert bien dans la lecture.

  13. Livre I, chap. II. — On pourrait multiplier les citations et détacher de l’ennui et du fatras de l’ensemble quelques belles parts, surtout de poésie morale, où la touche aisée et large du poète reparaît : ainsi, liv. II, chap. IV, strophe 3 ; ainsi, liv. II, chap. IX, strophe 2. Isolément, les grands et magnifiques vers abondent :

    Elle plus sûr chemin pour aller jusqu’aux Cieux,
    C’est d’affermir nos pas sur le mépris du monde…
    Et tout ce qu’un grand nom avait semé de bruit…
    Dieu ne s’abaisse pas vers des âmes si hautes…
    Et l’on doute d’un cœur jusqu’à ce qu’il combatte…
    N’ayant (les Saints) le cœur qu’en Dieu, ni l’œil que sur eux-mêmes…
    Comme ils fuyaient la gloire et cherchaient les supplices,
    Les supplices enfin les ont glorifiés.

    Malgré ces exceptions, il est vrai de dire avec Fontenelle que ce qui manque à cette Imitation traduite et qui se trouve être au contraire le plus grand charme de l’original, c’est la simplicité et la naïveté, un certain air naturel et tendre qui se prête mal à ce vers en plein frappé et comme fait toujours pour être applaudi. La gêne y tourne vite en prosaïsme, et durant des pages on n’en sort pas. Corneille a donné encore en vers français l'Office de la Vierge suivi des sept Psaumes et des Hymnes de l’Eglise, les Louanges de la Vierge traduites des rimes latines attribuées à saint Bonaventure : par ces divers ouvrages de poésie sacrée, il ne se place guère au-dessus de M. Godeau et de M. d’Andilly, entre lesquels les bons vieux ouvrages de rhétorique et de critique surannée ne manquent jamais de le ranger dans un même éloge.

  14. Bourbeux de matière et de fond ; car, de style, il est très pur et limpide.
  15. On en pourrait citer bien des exemples encore, et de divers genres, et en tirer diverses moralités : Ovide dans ses Métamorphoses est le dernier d’une série de poètes mythologiques qui l’avaient précédé à Rome depuis le temps de Catulle : Cui non dicius Hylas puer ? disait, Virgile. Ovide a donné le résumé et la fleur, la guirlande de toute cette mythologie qu’il clôt et enserre ; comme l'Arioste, il est l’héritier et le prodigue brillant de ce que les autres ont amassé et qu’on ignore. Ainsi vont d’ordinaire l’art