Philosophie anatomique. Des monstruosités humaines/Sur plusieurs déformations du crâne de l’homme/§ II

Chez l’auteur, rue de Seine-Saint-Victor, no 33 (p. 23-44).
◄  § I
§ III  ►
Sur plusieurs déformations du crâne de l’homme

§ II. Examen des pièces dont se compose le crâne d’un anencéphale.

Des Observations sur ce sujet déjà publiées.

M. le professeur Lallemand, avons-nous dit plus haut, a déjà donné une description de l’espèce d’anencéphale dont je vais plus spécialement m’occuper dans ce paragraphe. Il en a fait représenter le crâne de deux manières, de profil et par-derrière dans un dessin lithographié. Au moyen de lettres dont il donne la valeur dans l’explication de son dessin, il distingue plusieurs pièces de ce crâne. Il les cite et nomme comme il suit :

Os du nez, coronal, os planum, débris du pariétal, maxillaire supérieur, maxillaire inférieur, portion pierreuse du temporal, portion supérieure de l’occipital, sa portion condyloïdienne, os zygomatique, cadre du tympan, grande aile du sphénoïde. Et sur la ligne médiane en arrière, il distingue de plus le corps du sphénoïde, sa portion basilaire, et la portion basilaire de l’occipital.

Il n’entrait pas dans le plan de l’auteur de s’occuper plus en détail de ces déterminations ; mais pour n’être indiquées qu’en passant, si je puis m’exprimer ainsi, elles n’en sont pas moins données avec une justesse admirable. M. Lallemand a vu deux occipitaux supérieurs[1] qui ne sont pas seulement remarquables par la circonstance de leur pluralité, mais qui de plus ont perdu leur situation habituelle, qui se trouvent descendus au lieu le plus bas, et qui paraissent s’être comme laissés entraîner de côté et en arrière du crâne. Aucune théorie, aucun précédent en anatomie humaine, ne portaient sur cette détermination, et ne donnaient lieu de soupçonner que l’occipital supérieur fût à l’origine formé de deux os primitifs. Ce qu’en avait dit fort anciennement Kerkring avait été négligé, et n’a guère été repris et revu de nos jours que par M. Serres.

Avec plus de motifs pour prendre une opinion sur cette question, sachant que les animaux inférieurs ont constamment le trou occipital fermé en haut par deux occipitaux supérieurs, conduit, comme avec un fil d’Ariadne, par la loi des connexions, et de plus déterminé par plusieurs autres considérations que j’aurai plus bas sujet d’exposer dans le plus grand détail, j’adopte entièrement sur ce point le travail de M. Lallemand.

Je dis sur ce point, et fais cette distinction à cause d’une légère dissidence. Ce que M. Lallemand appelle un débris du pariétal m’a paru d’un très-grand intérêt : y ayant regardé de près, je l’ai vu formé non d’une seule pièce, mais de deux[2]. Je nomme aussi autrement que lui ses portions basilaires du sphénoïde et de l’occipital[3].

On conçoit, d’après ce qui précède, que j’ai dû voir tout ce crâne avec plus d’attention. On m’a permis d’en séparer les pièces ; je les aperçois présentement comme autant de matériaux distincts : aucune ne m’échappe, j’en trouve un plus grand nombre, ou plutôt il n’en manque aucune de celles qui entrent dans la formation d’un fœtus ordinaire de cet âge. Pour qu’on n’en puisse douter, je les ai fait figurer, et je vais toutes les décrire à part. Il sera facile de me suivre en prenant la peine de consulter la planche I, anencéphale, où toutes sont rassemblées. Je me sers pour chaque pièce de lettres consacrées dans mes anciens travaux sur le crâne des oiseaux et des crocodiles.

Des os de la face.

La lettre C représente le maxillaire supérieur ; on n’y peut distinguer de suture qui en sépare l’os incisif : c’est la même forme que dans un sujet naturel au huitième mois de la vie fœtale, c’est le même degré d’ossification, toutefois une taille au-dessous de l’ordinaire.

Les mêmes observations sont applicables aux pièces suivantes : au vomer G, au palatin D, au nasal H, au lacrymal L, au jugal M, au cornet antérieur J, au cornet postérieur I, le corps ethmoïdal n’existant de même qu’à l’état cartilagineux, enfin à l’hérisséal[4] E (apophyse ptérigoïde interne). Aucun de ces os n’est en contact avec les masses encéphaliques, et tous sont restés sous les formes propres à l’état normal : nous allons voir qu’il n’en sera plus ainsi des os de la boîte cérébrale.

Du temporal.

Déjà le défaut d’absence du cerveau se fait ressentir à l’os temporal R (et sous le nom de temporal, dont en anatomie comparée nous avons restreint l’acception, nous entendons seulement la portion dite autrefois écailleuse du temporal). La tranche m de cet os, qui d’ordinaire donne lieu à plusieurs anfractuosités, mêlant leurs cellules à celles du rocher, s’incline davantage en dedans et au point de se confondre avec la face intérieure, laquelle est d’ailleurs réduite à presque rien. Cette tranche fait la moitié de toute cette surface développée du côté intérieur ; elle est contournée en demi-cercle et profondément excavée. Le surplus n de cette même surface forme toujours paroi intérieure, et ne se fait guère remarquer que par son exiguïté et son inutilité. Une autre facette p, à angle droit, est d’une singulière largeur : c’est celle qui remplace tout le bord chantourné et articulaire du côté des grandes ailes, ou plutôt c’est cette facette articulaire ; car elle reste employée au même usage. Là l’os est dans sa plus grande épaisseur. Cependant il présente extérieurement moins de différence, et il n’en montre surtout aucune dans son apophyse dirigée sur le jugal. En définitive, c’est le même os qu’à l’état normal, mais qui aurait perdu sa forme d’une large écaille, et qui se serait ramassé sur lui-même à peu près comme feraient des fibres rayonnantes qui viendraient s’acculer sur leur point de centre. Il faut bien au surplus qu’il ait ainsi conservé toutes les molécules devant entrer dans sa structure, et qu’en effet il n’ait rien perdu de sa masse, puisqu’il a acquis une épaisseur, qui n’est au fond qu’une sorte de contraction de ses dimensions superficielles.

Du ptéréal, ou de la grande aile.

Le ptéréal, fig. 23, présente de point en point le genre de développement du temporal. Sa base r, comme étrangère à la composition de la boîte cérébrale, n’a pas subi de changement ; mais sa partie étendue en aile, dont la face intérieure aurait dû au contraire revêtir une portion de l’encéphale, est toute contractée. L’épaisse tubérosité qui en est le résultat, est néanmoins disposée de façon qu’il reste toujours une facette u pour servir de muraille à la chambre de l’œil. Adossée à cette facette est une aussi grande surface v : celle-ci est toute employée en bord articulaire du côté du temporal ; restée fidèle sous ce rapport à l’analogie, malgré ce travestissement des formes, il en est de même quant aux fonctions. Il est donc là pour les deux os contigus, en remplacement de lames et de biseaux très-minces, une épaisseur et une largeur qui montrent ces os également asservis à la même cause perturbatrice, et qui les laissent dans une convenance réciproque : on ne trouve d’ailleurs aucune différence relativement aux canaux que traversent les nerfs, 2e et 3e branches de la cinquième paire. Le trou ovale n’est pas moins grand que de coutume, et le trou rond ne s’annonce de même encore que par une gorge et par l’apophyse dont la saillie s’apprête à fermer ce demi-canal.

Du rocher.

Nous passons à un sujet d’un autre intérêt en nous portant sur le rocher, fig. 12. Les os de la face nous ont paru trop petits ; c’est le contraire pour le rocher, dont les dimensions sont portées presque au double[5]. À cela près et à un peu plus de saillie et de rondeur en dedans, les formes sont les mêmes. L’ossification, quant à sa consistance et à sa porosité, est plutôt restée en deçà qu’elle n’a gagné, de façon que l’augmentation de volume a plutôt profité aux espaces cellulaires qu’à l’épaississement des lames osseuses. Remarquez que toutes ces différences se réunissent pour donner à croire que plus de facilité laissée là au développement osseux les a produites. Le rocher est à lui seul un système complet : c’est toute l’oreille interne. Si nous le voyons, Comparé à ce qu’il est ordinairement, se surpasser ici en grandeur, c’est donc évidemment aux dépens de sa densité et de sa solidité : rien à la face cérébrale n’en contraignant le développement, il a crû davantage.

Aurions-nous dans ce fait l’explication de la formation du rocher à l’état normal ? On lui a donné le nom de portion pierreuse du temporal, de ce qu’il l’emporte sur toutes les autres parties du crâne par une plus grande densité. Cette densité va dans quelques animaux, dans les cétacés entre autres, jusqu’à la consistance de l’ivoire. Tout ce qui croît en dehors de lui tend, dans le premier âge, à le refouler du côté du cerveau, quand celui-ci, si ce n’est pas qu’il réagisse, prévient tout au moins les effets de cette tendance par l’interposition de ses masses. Alors la situation du rocher est telle que, pressé de toutes parts, il ne participe pas aux mêmes accroissemens que les autres parties du crâne. De là aussi il arrive que les molécules osseuses qui, au fur et à mesure de leur livraison par le système artériel, auraient pris place latéralement, sont forcées de s’engager dans la propre substance des os, qu’elles pénètrent prématurément dans les espaces alvéolaires, les remplissent, et augmentent ainsi la densité du rocher.

Je terminerai cet article par une remarque ; elle est relative à un petit osselet Θ (fig. 1 et 3), qui n’existe que sur l’un des rochers, sur celui de gauche. Il occupe à la face cérébrale une gorge profonde qu’on voit en dehors du trou auditif. Je ne sache pas que cette gorge ait reçu de nom, sans doute parce qu’il n’en existe pas de trace dans l’âge adulte. C’est une partie cependant très-caractérisée, puisqu’il semble que les plus grands efforts de l’ossification se passent autour d’elle ; son promontoire ou l’anneau qui sépare ce sinus du trou auditif est comme éburné.

Cette gorge est occupée par un prolongement de la masse encéphalique qui plonge dans le rocher. N’est-ce là qu’une organisation pour la vie fœtale seulement ? La taupe, en qui l’on trouve quelque chose d’analogue, la conserverait donc toute la vie ? Au surplus l’on remarquera que cette masse nerveuse s’atrophie au fur et à mesure que le rocher prend plus de développement et de consistance.

Quoi qu’il en soit, nous avons à rechercher ce qu’est le petit osselet Θ. Devrons-nous le considérer comme un os qui vient assez tard, et qui serait le noyau d’une lame destinée à renfermer et à faire disparaître sous une cloison la gorge qu’il recouvre ? Pourquoi, dans ce cas, ne l’aurions-nous pas rencontré sur l’autre rocher ? Ou ne serait-ce que le congénère d’une bandelette osseuse S de l’interpariétal, fig. 17, que nous voyons bien distinctement à gauche (fig. 1) articulé avec le pariétal ? Mais il faudrait admettre pour cela que l’interpariétal fût devenu plus rudimentaire d’un seul côté, et que, tombé par affaissement sur le rocher, il fût parvenu à s’y souder ; et avant tout, il faudrait acquérir la certitude qu’il ne manque point à droite. Or nous ne le savons pas, le sujet de nos observations ayant perdu une partie des os dont se compose la voûte du crâne ; et la lithographie de M. Lallemand, qui le représente entier, mais qui en ce point n’a pas atteint toute la netteté et la précision désirables, n’y pouvant suppléer.

Nous n’insisterons pas davantage, nous bornant à indiquer ici une lacune.

Des os de l’oreille.

J’ai, en parlant du rocher, traité du véritable système osseux de l’organe auditif ; il est cependant d’autres pièces, dites plus particulièrement, os de l’oreille. On a pu voir ailleurs[6] comment ces pièces, ayant une origine distincte, un tout autre emploi et une haute importance chez les poissons, se marient, réduites à des dimensions rudimentaires, merveilleusement avec l’ouïe, dans tous les animaux à respiration aérienne. Placées aux abords de cet organe, c’est en les traversant que les rayons sonores pénètrent dans le rocher. Selon qu’elles en gênent plus ou moins l’introduction, on apprécie leur efficacité, on leur attribue plus d’activité.

Des os, ainsi réduits à un minimum de composition, se ressentiront-ils davantage de l’influence pathologique ? Il n’en est rien ; mais le rocher ayant crû outre mesure, ils lui sont unis, de manière à présenter une situation plus inférieure ou plus rapprochée de la ligne médiane. Le tympanal Q, fig. 24, ou l’os dit de cadre du tympan, forme une portion de cercle à branches moins prolongées, à extrémités moins curvilignes et à diamètre plus court ; c’est à peu près la figure d’un fer à cheval. Le corps, ou le point de réunion des branches, a plus de relief à son fond, et sa gorge en dedans montre plus d’étendue et de profondeur ; mais il paraît, à une suture m n, qui n’est pas entièrement effacée sur l’un des tympanaux (fig. 24), que ce volume si considérable est dû à la présence du cotyléal[7], qui se serait soudé et confondu avec la portion coudée du tympanal. On n’aperçoit plus, mais parce qu’il y est aussi soudé, le serrial, ou l’os du cercle découvert par M. Serres.

Il ne manque d’ailleurs aucun des quatre osselets, et chacun a de plus conservé sa forme, son articulation et son usage. Car bien que l’étrier soit réduit à une simple lame triangulaire d’un côté et de l’autre à une tige à deux branches, il ne diffère pas de son état normal, où l’on trouve pareillement qu’aux premières époques de formation, la traverse qui réunit ces deux branches forme une spatule à part et de nature cartilagineuse.

Notre figure 24 laisse voir distinctement : 1o sa partie principale en fer à cheval ou le tympanal ; et 2o le cotyléal au-dessous, ou du moins ce qu’en montre un reste de suture. Je n’ai pas cru devoir faire figurer le marteau, qui était dans l’état ordinaire, ni même l’étrier, dont la description précédente donne une idée suffisante. L’enclume est représentée fig. 25.

Du sphénoïde.

Le rocher vient en dedans s’insérer sur la gorge que forment sur le côté et à leur articulation l’occipital inférieur et la portion basilaire du sphénoïde. Pour que nous trouvions cette relation dans notre sujet, il faut que, contre l’opinion de M. Lallemand, nous tenions la pièce X′, fig. 7, pour une portion de l’occipital inférieur. En pareil cas, les connexions décident ; et ce point jugé, le sphénoïde, qui autrement eût présenté des anomalies indéchiffrables, rentre dans les conditions ordinaires.

J’ai déjà fait mention des ptéréaux (grandes ailes) et des hérisséaux (apophyses ptérigoïdes) E. Ce qui reste à comprendre sous le nom de sphénoïde et ce qui forme à l’âge de notre fœtus l’organe figuré sous le no 6, ne se composent plus que de quatre matériaux primitifs, savoir : de l’un et de l’autre ingrassial Œ, de l’entosphénal Z et de l’hipposphénal Y, c’est-à-dire des corps sphénoïdaux antérieur et postérieur.

Ces derniers diffèrent peu de l’état normal, si ce n’est par une moindre dimension. Supérieurement et entre les ingrassiaux est un sinus longitudinal pour la racine des nerfs olfactifs, un peu en arrière une gouttière transversale extrêmement étroite pour celle des nerfs optiques, et plus postérieurement en est une autre parallèle, mais bien plus large et plus profonde ; c’est la fosse pituitaire, laquelle est bordée comme d’ordinaire par le rudiment des apophyses clinoïdes postérieures. Inférieurement on remarque également les mêmes dispositions qu’à l’ordinaire. Les deux corps sphénoïdaux, toujours à cet âge confondus et soudés l’un avec l’autre, sont cependant comme distingués sur les côtés par les tubérosités articulaires des ptéréaux (les ailes sphénoïdales de la région oculaire).

Les grandes différences sont toutes pour les ingrassiaux. Observez que de tout l’ensemble figuré no 6, ce sont les seuls os en contact avec le cerveau. Celui-ci manque, ceux-là varient ; mais, ce qu’il ne faut pas perdre de vue, ils varient seuls, non avec eux les corps sphénoïdaux, qui leur servent de support et avec lesquels ils se confondent de fort bonne heure par des articulations synarthrodiales. Il n’y aurait que ce fait pour établir que ce sont là des matériaux qui jouissent de quelque indépendance, qu’il faudrait déjà en faire la distinction.

Quand dans mon mémoire sur le sphénoïde, j’en vins à discuter les motifs qu’on avait allégués pour remplacer les anciennes dénominations d’ailes d’Ingrassias par les noms d’appendices ensiformes ou d’apophyses xiphoïdes, j’observai que le caractère invoqué, la forme en épée, n’était qu’une circonstance toute spéciale de l’anatomie humaine, qui ne pouvait s’appliquer à aucune autre conformation de l’anatomie des animaux ; cependant j’avais encore trop accordé, puisque ce n’est une forme donnée en anatomie humaine que sous l’obligation de conditions elles-mêmes déterminées.

Que les masses encéphaliques viennent, je ne dis pas à manquer entièrement, comme dans le sujet de la pl. I (voyez fig. 6), mais que seulement, comme dans nos deux autres exemples, elles n’arrivent pas à tout leur développement ordinaire, les os de la périphérie intérieure éprouvent une moindre poussée, et des parties rondes apparaissent en remplacement de surfaces aplaties. Telle est l’histoire de nos ingrassiaux, qui, au lieu d’être étendus en table sur les côtés (voyez pl. III, fig. 10, 11 et 13) et de présenter de larges surfaces, se relèvent en rondes bosses, et prennent la forme d’un demi-anneau, pl. I, fig. 6, et pl. III, fig. 12. Ils se réduisent ainsi à une portion de cercle pour servir à l’encadrement des nerfs optiques.

Ce n’est pas que, malgré cette singulière métamorphose, on ne puisse parvenir à y retrouver le principe de leur conformation habituelle. En effet le bord antérieur des ingrassiaux dans l’état normal n’est pas droit, mais découpé, de façon qu’on distingue sur le milieu une gorge laissant en dehors l’apophyse en forme d’épée, et en dedans une saillie plus obtuse (voyez pl. III, fig. 13). Qu’après cette observation vous veuillez revenir à l’ingrassial dans son état pathologique, pl. I, fig. 6, lettre Œ, vous aurez à remarquer que sa partie antérieure présente aussi encore plus distinctement deux apophyses, l’externe très-aiguë et l’interne ovoïde, toutefois avec cette différence, que dans le premier cas l’apophyse ensiforme s’étend de côté, et que dans le second, au contraire, elle a sa pointe dirigée en avant. Je rapporte leurs dimensions prises sur des sujets de même âge, savoir, pour le premier, trois lignes de devant en arrière et six lignes d’un bout à l’autre latéralement, et pour l’ingrassial à l’état pathologique, trois lignes d’avant en arrière et deux seulement en côté[8].

Du frontal.

S’il est dans la destinée des os de la tête de varier d’autant plus qu’ils ont à recouvrir une surface cérébrale plus considérable, que ne devons-nous pas attendre du frontal ? On sait que d’homme à homme les degrés de l’intelligence se mesurent sur l’étendue superficielle et les saillies plus ou moins grandes de cette première pièce de la boîte cérébrale. Dans ce cas il faudrait admettre la conséquence que là où il ne reste aucune trace de l’organe matériel de la pensée, il ne reste vestige non plus de ce qui en forme l’enveloppe. Cette conclusion serait tout au plus de rigueur si le frontal n’était assujetti qu’à un seul usage ; mais nous savons que c’est aussi un os de la chambre de l’œil, et qu’il n’est pas d’orbite dont il ne forme le bord supérieur[9] : par conséquent son essence est double. En butte à deux emplois, il est nécessairement subdivisible ; nul doute alors que ses deux parties ne soient différemment sensibles à l’événement pathologique que nous considérons : l’une en subira tous les effets quand l’autre y restera entièrement étrangère.

Voilà ce qui est, ce qui s’est passé au sujet de notre frontal K. La portion oculaire est intacte : c’est à peu près la même ouverture, la même étendue de bord orbitaire. La corde de l’arc est de onze lignes : on y voit de même, du côté interne, une échancrure ordinairement pratiquée là pour le passage des artère et nerf coronaux ; mais en arrière, où le frontal aurait dû prolonger sur le cerveau une longue et large calotte osseuse, il ne présente plus qu’une lame exiguë, qu’une partie rudimentaire du sixième au plus de la longueur ordinaire pour le même âge.

Du pariétal.

M. Lallemand s’est déterminé à ne l’admettre que comme un débris (voyez T), et encore y faisait-il concourir la lame S, que j’en ai détachée et trouvée distincte. Dans l’état présent des choses, cet os consiste en une bandelette longue d’un pouce et large de trois lignes. Ce serait, suivant moi, en prendre une notion fausse que d’y attacher l’idée d’un débris, puisqu’il n’est dérogé à son essence que par la privation de l’un de ses emplois, celui de servir de calotte aux hémisphères cérébraux. Mais d’ailleurs il reste, dans sa contraction, dans sa petitesse, tout ce qu’il doit être pour ne manquer à aucun autre de ses services et de ses alliances. Car enfin il s’articule par son long bord extérieur avec le temporal, non-seulement pour la connexion qu’il doit à celui-ci, mais de plus pour laisser aux fibres extrêmes du crotaphite la surface qui leur revient à ses dépens. À l’un de ses bouts il s’unit au frontal, et par le bout opposé à l’occipital supérieur. Enfin nous aurions encore à faire remarquer son articulation du flanc intérieur avec l’interpariétal, si ce n’était pas anticiper sur les faits de la discussion suivante que de donner à ce moment la détermination et le nom de l’os numéroté S.

Le pariétal est une pièce toute de l’homme dans ce sens que c’est dans cette seule espèce qu’il arrive à son plus haut point de grandeur : les animaux le montrent se rapetissant insensiblement, de telle manière qu’il n’est plus (méconnu pour ses dimensions rudimentaires dans les oiseaux et beaucoup d’ovipares), qu’il n’est plus, dis-je, considéré que comme un fragment du frontal, sous le nom de frontal postérieur ; proposition que j’avance ici, et que je me réserve d’établir par la suite. Le pariétal, sous le rapport de ses dimensions, suit donc celles des hémisphères cérébraux : il augmente quand ceux-ci sont considérables, et tombe à presque rien avec ceux-ci réduits eux-mêmes à fort peu de chose. Or, si telle est la destinée des pariétaux, nous n’avons pas à nous étonner que dans la même espèce, où l’observation fait apercevoir deux états qui diffèrent du tout au tout, de la présence à l’absence, nous en venions à rencontrer une aussi grande différence que celle qui existe entre le pariétal à l’état pathologique et cette pièce dans ses conditions normales.

Servant dans les ruminans de ceinture aux masses encéphaliques, le pariétal se glisse sous le temporal, et va s’unir aux parties latérales du sphénoïde postérieur. Cette observation présente ce genre d’intérêt, qu’elle s’applique à des animaux vivant paisiblement d’une nourriture végétale ; ceux, au contraire, que la faim rend cruels ont le temporal large et bombé, en sorte que presque toute sa surface intérieure est en contact avec le cerveau. M. Gall, qui place l’organe du meurtre au centre du temporal, accueillera cette remarque.

  1. Sandifort, dans la dissertation que j’ai citée plus haut, avait le premier, dès 1784, donné cette détermination.
  2. Voyez pl. I, les lettres S, T.
  3. Voyez même pl., les fig. numérotées X′, X″.
  4. Dans le Mémoire que j’ai lu à l’Académie des Sciences le 21 août dernier (1820), j’ai traité de tous les matériaux primitifs des deux sphénoïdes, et j’ai donné à ces divers matériaux les noms qui suivent, savoir : les noms d’ingrassial à l’aile d’Ingrassias, de berlinal au cornet sphénoïdal, de ptéréal à la grande aile, de ptérigoïdal à l’apophyse ptérigoïde externe, d’hérisséal à l’apophyse ptérigoïde interne, d’entosphénal au corps sphénoïdal antérieur, et d’hipposphénal au corps postérieur. Ce Mémoire s’explique sur la nécessité et les procédés de cette réforme.
  5. Cette observation n’a point échappé à M. Lallemand. « Les pièces de la base du crâne ont conservé leurs rapports ; celles de la voûte ont été plus ou moins déplacées : ainsi la portion pierreuse du temporal est très-grosse, la portion écailleuse comme atrophiée. » Thèse inaugurale, 1818, no 165, p. 31.
  6. Philosophie anatomique, Organes respiratoires, pages 45, 55 et 442.
  7. Voyez plus bas le Mémoire dans lequel je décris les pièces de l’oreille externe.
  8. J’ai fait représenter pl. III, fig. 12, un ingrassial dans une circonstance remarquable. L’intérêt de cette pièce tient à ce que je l’ai retirée sans rien rompre du sujet monstrueux que j’ai décrit plus bas sous le nom de dérencéphale. Cette observation m’a confirmé que c’est là une pièce sui generis. Les animaux me l’avaient montrée avec ce caractère, mais non l’homme dans l’état normal. Placée chez celui-ci, plus qu’aucune autre pièce du crâne, sous l’influence du cerveau, dont elle supporte les masses et dont elle ressent toute la poussée, elle arrive à un développement si grand, que la précocité de sa soudure avec l’entosphénal en est un résultat nécessaire. Dans les animaux, au contraire, où le cerveau a moins de volume, et où cet organe exerce par conséquent moins d’empire sur les os de son entourage, elle rentre davantage dans les conditions générales de tout le système osseux. Mais enfin, dans la présente anomalie, c’est-à-dire dans un fœtus humain sans cerveau, chez lequel l’ingrassial n’est développé que tout autour du nerf optique (celui-ci conservé sain et entier où n’existe aucune trace de substance cérébelleuse), et chez lequel l’ingrassial éprouve comme une rétraction sur lui-même, il ne pouvait manquer de manifester ses qualités d’individualité, et c’est ce qu’établit en effet notre pièce figurée pl. III, no 12.

    Remarquez-en, je vous prie, les formes, et voyez que les dissimilitudes de cet osselet dans ses deux états normal et pathologique ne sont pas d’un genre absolu. Les figures 11 et 12 vous en mettent sous les yeux les deux différentes conditions. Or les mêmes lettres vous indiquent les points communs par où nos deux ingrassiaux se ressemblent : r est le front de la pièce, s sa partie postérieure, m sa gorge, formant arche de pont pour le trajet du nerf optique, et n l’apophyse ensiforme. C’est cette dernière portion qui s’accroît dans l’état normal, et qui est comme laminée par la pesanteur et la poussée du cerveau. Et au surplus je préviens que si la fig. 11 représente à part un ingrassial à l’état normal, ce n’est pas que j’aie réussi, sans la moindre rupture, à l’isoler du noyau sphénoïdal. (J’ai depuis, dans un fœtus plus jeune, trouvé cet os séparé.)

  9. Je ne connais pas d’exemple plus propre à donner la démonstration de cette proposition que celui du frontal des baleines franches. Je m’étais occupé dès 1807 de la détermination de leurs os crâniens, et j’ai depuis, dans mes cours, insisté sur plusieurs points de cette merveilleuse organisation. Ainsi j’ai déjà cité (Ann. du Mus., t. X, p. 364) le fait de dents réelles, de germes de dents que j’avais trouvés, et qui existent effectivement durant les dernières époques de la vie fœtale dans un canal alvéolaire qui ne tarde pas à se remplir ; et je dirai aujourd’hui quelles sont aussi les singularités du frontal chez le plus volumineux des animaux.

    Le cerveau des baleines est très-petit, et bien plus encore la portion cérébrale qui est coiffée par le frontal. Ajoutons à cette considération celle d’une des plus singulières anomalies de l’anatomie comparée, anomalie qu’il serait trop long d’exposer et d’expliquer ici ; c’est la position des yeux, si écartés l’un de l’autre, qu’on les trouve, l’un à droite et l’autre à gauche, tout près et en arrière de la commissure des lèvres. Ces yeux eux-mêmes sont bien loin de pouvoir se rapprocher l’un de l’autre à cause de leur volume, puisqu’ils sont extrêmement petits.

    Dans cette occurrence, si les parties osseuses se fussent trouvées formées par un assemblage de molécules sans dessein et irrégulièrement jetées çà et là sur les parties molles, uniquement afin de protéger ces parties délicates partout où elles se répandent, il est certain qu’à la distance où sont les deux bouts du frontal, qui seuls ont une destination manifeste, il y aurait deux os correspondant, aussi-bien que chacun de leurs services, à leurs deux différentes localités. Voilà pourtant ce qui n’est pas. Chaque service n’est plus assuré, comme dans les cas ordinaires, par deux lames opposées de situation l’une à l’autre ; mais il l’est dans les baleines par des extrémités distantes et indépendantes : c’est le résultat que les anomalies de la face rendent inévitable. Mais malgré cette duplicité de choses et de fonctions, il n’y a cependant qu’un seul frontal ; et le moyen pour qu’il en soit ainsi, moyen par lequel il est pourvu à l’union des deux portions extrêmes et à la conservation en ce point d’un système unique, est un manche établi intermédiairement entre la partie cérébrale du frontal et sa partie oculaire. Ainsi il n’y a qu’un seul frontal ; mais sa forme reproduit à peu près celle d’un fémur : c’est un os long ; il est situé en travers du crâne, allant du centre, savoir, le frontal de droite à droite, et le frontal de gauche à gauche.