Philosophie anatomique. Des monstruosités humaines/Sur plusieurs déformations du crâne de l’homme/§ I

Chez l’auteur, rue de Seine-Saint-Victor, no 33 (p. 4-23).
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Sur plusieurs déformations du crâne de l’homme

§ I. Considérations physiologiques.

Du degré d’influence dans l’organisation accordé jusqu’ici au système nerveux.

On a voulu tout récemment classer les systèmes organiques selon leur ordre de plus grande utilité ; et l’on aurait donné dans cette combinaison le premier rang au système nerveux : ou plutôt on l’a jugé à une distance inappréciable des autres ; on l’a placé hors de ligne ; on en fait l’être par excellence. C’est, dans cette haute généralisation, c’est tout l’animal ; les autres systèmes ne sont là que pour le servir et pour l’entretenir.

Peut-être faudra-t-il revenir sur les faits qui ont motivé cette conclusion. Il se pourrait qu’elle ait été donnée d’une manière trop générale, ou du moins quelle fût anticipée. Qui sait si l’influence des nerfs ne se borne pas à un rôle simplement passif ? s’il n’y a pas pour seul être d’une activité réelle, pour seul agent en circulation, un fluide[1] impondéré, soit le calorique[2], soit la lumière (peut-être l’un et l’autre), soit un autre fluide de même caractère, et dont la nature resterait à déterminer ? si tout le mystère de l’essence des nerfs ne tiendrait pas à leur propriété conductrice, rendue profitable pour l’animation des corps organisés, efficaces enfin, par les qualités contraires des tissus cellulaires, aponévrotiques ou fibreux dans lesquels les nerfs se répandent[3] ?

Le système artériel puise ses matériaux parmi les produits de la nutrition, le système veineux les siens dans le sang artériel ; le système respiratoire est producteur du calorique. Ce sont de nouveaux matériaux pour le sang des artères, à l’extrémité desquelles le calorique trouve à se répandre dans la substance des nerfs. Le calorique, si tel est le fluide employé dans cette circulation, le calorique en suit nécessairement les ramifications, étant contraint à le faire par les barrières qui en empêchent l’extravasion latérale, c’est-à-dire par un tissu non conducteur. Tous ces systèmes versent les uns dans les autres, et tous ainsi me paraissent jouir d’une égale efficacité dans le rôle qui leur est propre. Le nerveux n’est pas plus animalisé que les autres ; il ne constitue pas plus l’essentiel de l’être que les appareils conducteurs d’une machine électrique n’en forment les parties prépondérantes.

Toutefois s’il me fallait opter et nécessairement accorder quelque supériorité à l’un de ces systèmes, je pencherais pour le tissu cellulaire ou aponévrotique, pour les enveloppes non conductrices, où les nerfs se répandent. C’est là proprement la chaîne de toute étoffe organique. Et en effet il me semble que ce qui impose des barrières à la circulation du calorique, que ce qui en maîtrise l’allure, et ce qui en empêche une répartition capricieuse, exerce un empire plus réel et plus décidé sur les puissances de l’organisation. Le tissu aponévrotique, considéré comme servant de tunique aux nerfs, règle l’emploi et la dissémination du calorique, tient l’être sous des conditions par conséquent tout-à-fait déterminées, et de cette manière renfermerait plus particulièrement en lui l’essence de l’animal ainsi qu’on l’entend.

Du système osseux sous le rapport de son importance.

Comme imposant de semblables barrières, un autre système vient disputer le premier rang au tissu aponévrotique ; c’est le système osseux. Qui isole mieux chaque appareil nerveux ? qui en sépare plus efficacement les principaux jeux ? Le tissu osseux existe où commencent les nerfs, il en coiffe les matrices, il en protège toutes les souches à leur départ ; le crâne et chaque vertèbre en sont autant d’exemples.

Ainsi tout nerf, dans ses ramifications terminales, est engainé dans du tissu cellulaire ; il l’est, à son origine, dans du tissu osseux. Ces deux tissus se rencontrent donc sur la même ligne, remplissant de la même manière les plus hautes fonctions de l’organisation. Mais si cette rencontre n’était pas fortuite, si cette similitude d’usages avait sa source dans une grande parité d’organes, s’il n’y avait entre les uns et les autres qu’une différence de plus à moins, si l’un présentait un maximum de développement et l’autre un minimum de composition, nous aurions enfin l’explication d’un fait qui m’avait toujours paru fort extraordinaire, dont j’ai long-temps voulu douter, et que j’avais décidément rapporté sans le comprendre ; c’est l’importance et la prédominance du système osseux sur tous les autres.

Afin d’être mieux entendu relativement à la manière dont je conçois que les fluides impondérés se jouent chez tous les êtres organisés selon le mode et le degré d’organisation de chacun d’eux, et par conséquent dans un ordre constant et toujours harmonique pour chacun, je me représente le volet d’une fenêtre où l’on aurait pratiqué un certain nombre de petites ouvertures. Ce volet fermé, l’appartement qu’il prive de toute sa lumière possible reçoit ses nouvelles conditions de visibilité de ces issues ménagées. Tous les rayons lumineux qui y pénètrent sont projetés sur la muraille opposée. Là sont donc des ondes lumineuses coordonnées entre elles comme le sont les ouvertures elles-mêmes du volet. Que le soleil continue à parcourir son orbite, l’image déposée se déplace pareillement, et est ainsi successivement visible sur divers autres points du fond de l’appartement.

Supposons présentement qu’un observateur occupé à suivre ces transports d’images ne soit pas plus au courant de ce qui en est la cause que nous ne le sommes de la circulation des fluides impondérés dans les corps organisés. Que pensera-t-il de cette configuration, surtout s’il y aperçoit des lignes lumineuses en séries parallèles qui lui paraîtront nécessairement avoir quelque chose de combiné ? Mais bien plus, si cet ordre de phénomènes où il ne pourra méconnaître une action, où il remarquera des déplacemens réguliers, et où il pourra prévoir d’un jour à l’autre le retour périodique des mêmes images arrivant sur les mêmes points ; si, dis-je, cet ordre de phénomènes lui donne l’idée d’une organisation très-compliquée, où seront pour lui les parties productrices de cette mystérieuse apparence, les élémens de cette sorte de machine ? Où cherchera-t-il enfin les conditions spéciales de ces configurations particulières ? Sera-ce dans l’essence du fluide lumineux ? Mais celui-ci existe généralement et avec une destination fixe, celle de se répandre uniformément partout. Il faudra bien que ce soit dans les obstacles imposés à ce fluide, dans la disposition même de ces obstacles, qui laisse des mailles libres pour la transmission de quelques jets du fluide lumineux.

Vous aviez, je suppose, une image circulaire, et vous en voudriez une autre à parties distribuées, par exemple, comme les cases d’un échiquier ; c’est-à-dire que vous voudriez passer de la possession d’une espèce à celle d’une autre. Mais, qui, à cet effet, opérera les changemens nécessaires ? Qui vous donnera les différences spécifiques ? Ce ne sera sans doute pas le fluide lumineux. Vous n’y pourrez réussir qu’en changeant les volets de votre appartement, comme on change les tableaux d’une lanterne magique. Ainsi la spécialité de ces images tient moins à l’essence du fluide lumineux, qui cependant les rend visibles, qu’à l’ordre des empêchemens, qui, dans ce cas, règlent invariablement toute dissémination de lumière[4].

Des considérations zoologiques comme ayant fourni de premières indications en faveur de la prédominance du système osseux.

C’est en étudiant les rapports naturels des êtres dans la seule vue des considérations zoologiques que je fus, pour la première fois, frappé de l’importance et de la prédominance du système osseux sur tous les autres. Dernièrement encore, traitant de l’existence d’un squelette chez les insectes[5], j’eus occasion de revenir sur cette remarque. Je ne pus me défendre de surprise en voyant que les rapports généraux des insectes m’étaient donnés par les combinaisons et par les relations de leurs parties osseuses, tout aussi invariablement que je l’avais observé dans les animaux vertébrés. Il y avait en effet long-temps que je croyais avoir aperçu que chaque partie du squelette possède en propre un apanage de parties molles, muscles, nerfs et vaisseaux[6] ; mais je me défiais de cette observation, contre laquelle me paraissait prévaloir une puissante argumentation. Toutefois j’ai fini par admettre cette proposition comme une donnée d’observations, comme un fait ; et dès ce moment j’ai été vraiment pourvu d’une clef qui me donna la connaissance de beaucoup de rapports non encore pressentis.

Des circonstances amènent-elles vers les extrémités nerveuses une déviation de l’ordre naturel, dont le caractère soit un accroissement extraordinaire de leurs enveloppes terminales ? aussitôt le système osseux reparaît. Il est reproduit sans le concours comme sans la moindre altération des autres parties du squelette intérieur.

Ce sont évidemment les dernières gaines des nerfs qui, abandonnant[7] la forme d’un tubercule, d’un filet, d’une lame ou même d’une bourse, s’épaississant et grandissant outre mesure, finissent par acquérir la consistance et tout-à-fait l’état osseux. Les tatous, les crocodiles, les lépisostées et les polyptères[8] sont des exemples de ces curieuses anomalies. Les tatous les montrent dans leurs carapaces, qui sont le produit d’une agglutination de nodosités osseuses ayant chacune une origine distincte ; les crocodiles, dans ce qu’on appelle chez eux les écailles du dos et du cou ; enfin les lépisostées et les polyptères, dans toutes les couches solides subjacentes à l’épiderme.

De l’importance des cas pathologiques pour la physiologie et l’anatomie philosophique.

Les vues que nous venons d’exposer nous sont fournies par des considérations anatomiques sur les animaux ; mais de simples recherches sur l’homme les peuvent aussi faire naître : voilà ce que j’ai voulu établir dans ce Mémoire.

Les études de l’anatomie générale ne sont pas encore très-répandues, et cette circonstance fait qu’elles ont pour juge de leur utilité ou de leurs progrès un public prévenu en faveur des formes et des usages de l’anatomie humaine. Montrons cependant les ressources de cette autre anatomie qu’il ne serait peut-être pas trop ambitieux de qualifier du nom d’anatomie transcendante, et montrons-les en usant aujourd’hui de ses procédés, sans quitter le cercle des études de l’anatomie humaine.

Sous le haut point de vue que je veux dire, l’organisation devient un être abstrait, un être générique qui aperçoit ses espèces ou ses moyens de comparaison dans les nombreuses modifications dont elle est susceptible. Les diverses constitutions d’animaux deviennent en effet les ressources de l’anatomie générale, le fond où cette science puise ses élémens de comparaison. De même l’état normal de l’homme peut être considéré comme l’être abstrait, l’être générique, et ses différentes déviations pathologiques, comme les espèces de ce genre idéal. Il n’arrive jamais à l’homme de quitter la ligne qui lui assigne des formes déterminées, que ce ne soit pour en prendre qui rentrent plus ou moins dans les formes de quelques animaux, parce qu’après le trouble qui a fait rompre en lui la marche naturelle des développemens et des formations, si ce premier trouble n’en occasionne pas un second, puis d’autres successivement de plus en plus aggravans, tout rentre dans l’ordre accoutumé, tout se réassied sous l’influence des agens extérieurs d’une nature fixe et persévérante ; agens qui cependant exigent un concours favorable de l’organisation, l’accord de plusieurs circonstances déterminées, plutôt les unes que les autres, celles-ci à défaut de celles-là.

Ceci mènerait à comprendre, si ce n’était déjà une opinion établie, l’opinion des maîtres de la science, que l’anatomie pathologique doit être pour la physiologie la source des plus brillantes découvertes. Déjà M. Lallemand, l’un des professeurs de la faculté de Montpellier, disciple en cela de l’un de ses plus savans confrères (M. le docteur Lordat), a donné, dans sa thèse inaugurale, une heureuse idée des vices de conformation en les présentant comme des expériences faites à l’avance, qui n’exigeaient plus de nous que d’en démêler les circonstances pour en faire d’utiles applications et en tirer de rigoureuses conséquences.

C’est dans l’esprit de ces recherches que je vais comparer les différentes conformations qu’affectent les pièces du crâne humain, tant dans l’état habituel que dans l’état extraordinaire ou pathologique. En les voyant sous ce dernier aspect, nous les tiendrons très-certainement pour irrégulières ; car nous ne pouvons méconnaître que nous ne soyons là tombés sous l’empire des plus étranges anomalies ; et l’on en devient d’autant plus certain, qu’on est plus familiarisé avec les caractères de l’état normal, et qu’on voit poindre de partout une tendance à reproduire un état meilleur des choses, à ramener les formes dominantes : et de plus, si, comparant aussi l’ensemble de la boîte cérébrale avec les viscères qu’elle renferme et ses autres enveloppes organiques toutes également susceptibles de déformations, nous pourrons, sinon connaître avec précision, du moins pressentir avec beaucoup de vraisemblance les causes d’aussi singulières modifications.

Des relations et des actions réciproques du cerveau et de la boîte osseuse.

Une question a été vivement débattue depuis la direction donnée aux recherches physiologiques par les importans travaux de M. le docteur Gall[9]. Les masses encéphaliques exercent-elles ou non une action absolue sur leurs enveloppes osseuses ? On a soutenu, attaqué et défendu cette proposition par beaucoup de raisonnemens et par des observations isolées qui, faites après coup pour la plupart, ne venaient figurer là que comme des étais dans un édifice périclitant. Il eût fallu peut-être entrer plus à fond dans ce sujet, et peut-être aussi l’envisager sous un point de vue moins déterminé. Y ayant donné attention, il m’a paru que, quoique advienne aux masses encéphaliques, le crâne restait invariablement constitué par l’assemblage de tous ses matériaux ; mais que, selon que les masses encéphaliques se tiennent plus près ou s’éloignent davantage des conditions de leur état normal, les os qui les recouvrent s’en ressentent dans une raison directe et proportionnelle.

Voilà les faits que je désire établir par une démonstration rigoureuse, c’est à-dire par un examen très-attentif des moindres parties dont se compose le crâne de l’homme dans ses diverses déformations.

Je me suis attaché à trois exemples, que j’ai fait figurer, et dont j’ai fait choix, parce qu’assez bien échelonnés dans l’ordre de leurs différences, ces trois considérations renferment à peu près l’essentiel de tous les cas publiés jusqu’à ce jour[10].

Je dois la communication du premier de ces exemples aux soins dont m’honore mon célèbre ami M. le docteur Serres. Ce crâne, pl. II, fig. 1 et 2, se distingue par un caractère observé déjà sur un autre sujet, par une épaisseur et une dureté si grandes, que, pour l’entamer et le diviser, il fallut recourir à une scie. On a douté de cette observation rapportée par Vanhorne, et cependant il n’est rien de plus exact.

Le second de ces crânes, pl. II, fig. 3 et 4, fait partie de la riche collection de l’École de Médecine. Par la manière dont il est déprimé, écrasé et prolongé sur les flancs, il rappelle le crâne d’une loutre.

Mais la troisième monstruosité, pl. I, fig. 1, 2 et 3, est l’exemple sur lequel j’insisterai plus particulièrement dans ce Mémoire. M. le docteur Lallemand l’a décrite et figurée dans sa thèse inaugurale que nous avons citée plus haut. J’ai vu cette monstruosité dans le cabinet de l’École de Médecine, où elle était rapprochée de quatre pareilles anencéphalies. Libre, grâces à la bienveillance des savans professeurs de cette École, et aux généreux encouragemens qu’ils ont accordés à mes recherches, de faire un choix parmi ces préparations, je me suis fixé sur celle de M. Lallemand, dont le crâne me paraît avoir les plus grands rapports avec celui de la dissertation de Sandifort, intitulée Anatome infantis cerebro destituti, et avec un autre crâne â l’état pathologique figuré dans le bel atlas de l’ouvrage de M. Gall ; j’ai, dis-je, préféré cette préparation, non-seulement pour profiter des observations publiées par ces anatomistes, mais pour m’autoriser au besoin de leur travail de détermination. Une circonstance ajoute à l’intérêt de la préparation du jeune et habile professeur de Montpellier ; c’est que le crâne de ce squelette[11] repose sur une colonne épinière tranchée nettement à son milieu par un spina-bifida, lequel atteint toutes les vertèbres du cou et les sept premières de la région dorsale.

La tête de ce dernier sujet ne contenait ni cerveau, ni cervelet, ni moelle épinière. Les deux autres crânes avaient leur cerveau, mais logé au dehors. Dans le premier exemple il était situé en dessus, et couvrait le haut de la boîte cérébrale ; et dans le second il se voyait en arrière, étant sorti tout à travers les os occipitaux.

Malgré la diversité de ces trois combinaisons, chaque tête osseuse se trouve néanmoins composée par autant de pièces qu’on en trouve dans un crâne à l’état normal. Mais d’ailleurs on remarque cette circonstance ; les os de la face paraissent s’être fort peu ressentis de l’influence pathologique, quand celle-ci atteint outre mesure les os de la boîte cérébrale. C’était sans doute le moindre résultat à prévoir : le contenant, dans l’état normal, s’applique si exactement sur le contenu, qu’on dirait l’un moulé sur l’autre. L’absence totale ou partielle des masses encéphaliques ne pouvait donc manquer d’introduire, et elle introduit et cause en effet la confusion la plus grande parmi tous les os qui sont étendus sur ces masses, et qui sont ou devraient être employés à les coiffer.

Cependant cette confusion a des limites : un certain ordre règne encore dans, ce désordre. Les irrégularités n’atteignent guère que la forme, et, quoique extrêmes, elles ne vont jamais jusqu’à changer les relations des parties. Mais la boîte s’entr’ouvre à l’une de ses sutures ; ses deux portions se désassemblent. Abandonnées aux puissances du dehors, savoir, les contractions des muscles et du derme qui leur correspondent, elles s’écartent à droite et à gauche d’autant plus qu’il est moins de substance cérébrale en dedans pour contre-balancer l’action des tirages extérieurs.

Ainsi, en définitive, il n’y a d’événemens produits que des disjonctions opérées sur la ligne médiane, et qu’un changement de forme pour toutes les parties qui eussent ensemble composé la boîte cérébrale.

Mais si les formes et l’écartement des os cérébraux varient d’un crâne à l’autre, c’est, je ne dois pas craindre de reproduire cette pensée, c’est toujours sans caprices, sans aucun arbitraire. Le développement de ces os est constamment proportionnel au volume des masses encéphaliques, jusque-là cependant que tout se passe sans que la disparition de ces masses entraîne l’anéantissement total des os qui leur correspondent.

N’oublions pas que toute pièce osseuse a comme deux destinations, puisqu’il n’est aucune de ces pièces qui ne soit utile par ses deux faces. Un os venant à perdre l’un de ses deux emplois n’en est que plus dévoué à l’autre.

Ainsi s’explique comment l’influence pathologique, bien qu’elle s’exerce dans toute sa force, ne s’étend que partiellement sur les os qui en supportent l’effet, et comment ceux-ci, tout en perdant de leur volume et de leur importance, ne souffrent jamais de ces atteintes au point de rétrograder jusqu’à zéro d’existence.

Tels sont les faits généraux, les principales conséquences de ce Mémoire. On s’y intéressera d’autant plus sans doute, qu’on ne manquera pas de remarquer que toutes ces vues physiologiques se rattachent à de très-belles et de principales questions de philosophie ; elles pourront éclairer quelques points de la célèbre doctrine de M. Gall, si, comme je le pense, elles portent rationnellement sur ce qu’un empirisme aussi ingénieux qu’admirable a fait découvrir à ce grand physiologiste.

Mais pour que ces vues nouvelles aient ce degré d’utilité, il faut qu’elles naissent de faits spéciaux acquis sans équivoque ; qu’elles soient effectivement une déduction rigoureuse de ceux-ci : ce sont ces faits dont l’exposition va suivre. Je les ai fait précéder des conséquences où ils m’ont conduit, pour qu’averti de leur intérêt on ne fût pas trop effrayé de l’aridité de quelques détails, et qu’on y donnât au contraire l’attention que tout esprit réfléchi accorde aux vérités fondamentales.

  1. Je répugne à prononcer le mot de fluide impondérable, parce que je répugne à déclarer qu’une incapacité est absolue quand je l’ignore.
  2. J’avais annoncé, dans un grand travail dont je m’étais occupé en 1801, étant alors dans Alexandrie d’Égypte qu’assiégeaient les Anglais, que toute contraction musculaire s’opérait par un changement de composition chimique, par l’afflux d’abord, et puis par la retraite du calorique. J’ai écrit, communiqué, mais non publié ces vues par la voie de l’impression ; je suis flatté d’apprendre qu’elles ont été accueillies, ou ont été également conçues de propre inspiration par des savans placés au premier rang des physiologistes de l’époque actuelle.
  3. On s’occupe de nouveau des tissus primitifs, et l’on paraît présentement disposé à n’en admettre qu’un seul, générateur de tous les autres. Cependant n’en existerait-il pas deux essentiellement distincts, deux dans ce sens que l’un et l’autre s’assimilent des matériaux différens empruntés ou à des corps combustibles ou aux corps comburans ? De cette circonstance on conclurait la raison de leur propriété conductrice ou non conductrice. La manière d’être de la lumière en traversant les corps transparens répond à celle du calorique s’échappant des substances métalliques, en ce point qu’il y a de même transmission, circulation. Cela posé, l’organisation serait-elle, dans l’essentiel de sa structure, constituée en tissus sur cette donnée, et formée de doubles routes particulières pour la circulation de chacun de ces deux fluides ?
  4. Il est une autre manière de concevoir la même explication.

    Parmi des pièces de cabinet dont on faisait il y a quelques années un très-grand cas étaient des arbres dits de Diane, faits de métal coulé dans les bronches de divers systèmes pulmonaires. Je me rappelle en avoir vu sur une même tablette qu’on avait coulés dans des poumons de plusieurs espèces, de bœuf, de brebis, de cheval, etc. ; ils se ressemblaient dans l’essentiel des formes, et différaient d’ailleurs spécifiquement.

    Toutes ces ramifications d’un travail admirable, toutes leurs diversités, irons-nous les attribuer aux propriétés du métal mis en œuvre, quand nous les savons dues aux configurations des cloisons aériennes ? Les bronches reçoivent, le plomb liquéfié est reçu ; le contenant impose sa forme au contenu. Ainsi la circulation du plomb liquide est réglée ; rien de perdu, point de dissémination capricieuse, les parois des bronches formant autant de barrières qui préviennent ces écarts.

    Présentement, que nous songions à comparer nos rameaux nerveux à ces rameaux métalliques, nous le pourrons non-seulement quant aux formes, mais de plus aussi quant aux fonctions. Et en effet les deux systèmes sont d’excellens conducteurs, et le sont de la même manière, dès qu’ils s’en tiennent également tous deux à un rôle passif.

    Nous voyons enfin s’établir chez tous deux une même distribution par rameaux et ramuscules, quand les nerfs, à partir de la moelle épinière, se répandent dans les cellules, les alvéoles, et en général dans les dernières mailles par lesquelles tous les autres systèmes sont terminés.

  5. Voyez mes trois Mémoires sur l’organisation des Insectes. On leur a fait l’honneur de les réimprimer à Bruxelles et à Iéna. L’édition originale fait partie du Journal complémentaire du Dictionnaire des Sciences médicales, année 1820, numéros de février, mars et avril. Les deux réimpressions ont eu lieu à Bruxelles, dans les Annales générales des Sciences physiques, mêmes année et mois ; et à Iéna, dans l’Isis, 1820, numéros 5 et 6.
  6. Philosophie anatomique (organes respiratoires, ou tom. I, p. 5).
  7. Ce n’est point ici le lieu d’exposer sous quelle influence le tissu aponévrotique, qui forme gaine autour des extrémités nerveuses, dépasse en certaines places la limite de son étendue ordinaire. Je n’en fais point un attribut spécial des nerfs, et je pense au contraire que tout s’accroît à la fois, nerfs, veines, artères, tissu fibreux, etc. : le développement de l’un de ces systèmes suppose toujours le développement de l’autre, ou mieux l’y provoque et l’y soumet nécessairement.
  8. Poissons du Nil, dont j’ai donné la description dans le grand ouvrage sur l’Égypte et dans le premier numéro des Annales du Muséum d’Histoire naturelle.
  9. Auteur de l’œuvre physiologique la plus remarquable de cette époque, temps bien fertile cependant en découvertes de physiologie. Et c’est cet auteur si digne de nos égards qu’on a cherché à immoler à la risée publique ! Des hommes de beaucoup d’esprit ont eu le malheur d’accepter cette odieuse commission.

    C’étaient aussi des hommes de beaucoup d’esprit, à en juger par leur crédit, qui accusèrent Socrate d’irrévérence envers les dieux. Mais pendant qu’ils remplissaient leur coupe d’une ciguë mortelle, ce qu’il y avait parmi leurs concitoyens d’âmes fortes et pénétrantes faisait déjà pressentir, par leur empressement autour de l’auguste victime, quel serait sur ces iniquités le tardif mais indestructible jugement de la postérité.

  10. Il n’entre pas dans mon sujet de rappeler tous ces travaux dont se sont occupés un grand nombre de savans, Fincélius Wolfius, Ruisch, Kerkring, Littré, Fauvel, Wepfer, Morgagni, Hubert, Sue, Busch, Tiedemann, Gall, etc. Toute cette littérature a été donnée d’une manière très-satisfaisante par M. le professeur Béclard, dans un long article imprimé dans les Bulletins de la Faculté et de la Société de médecine de Paris, 1815, IXe Bulletin. Je me borne à y renvoyer le lecteur.
  11. Nombre des vertèbres de ce squelette, dans lesquelles je distingue comme dorsales les vertèbres pourvues de côtes :
    Vertèbres cervicales,
    dorsales,
    lombaires,
    sacrées,
    coccygiennes,
    17
    11
    16
    13
    14
    30.