Philosophie anatomique. Des monstruosités humaines/Description d’un monstre humain né en octobre 1820, et établissement à son sujet d’un nouveau genre sous le nom d’hypérencéphale/§ II

Chez l’auteur, rue de Seine-Saint-Victor, no 33 (p. 181-203).
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Description d’un monstre humain né en octobre 1820, du genre hypérencéphale.

§ II. Du tronc ; du déplacement et des nouvelles relations de ses viscères.

Nous nous portons sur un autre objet, sans pour cela passer à un autre ordre de considérations : c’est en effet le même système de monstruosités sous ce rapport que les viscères thoraciques, tout comme ceux de la tête, sont hors de leurs propres cavités.

Sans être communes, de pareilles métastases ont été observées. On en trouve d’authentiquement constatées dans les écrits de Méry[1] et de Sénac[2], dans ceux, plus anciens, de Sténon[3], et dans diverses dissertations de Haller, celle entre autres de Martini, l’un de ses élèves[4]. Certains ouvrages modernes en font aussi mention ; comme le célèbre discours sur les Monstruosités, de M. le professeur Chaussier ; quelques notices publiées par son collègue, M. Béclard[5], et une observation de sternum bifide, rapportée par M. Serres, dans ses lois de l’ostéogénie.

Cependant, on n’aurait encore recueilli ces faits ou qu’afin de présenter l’organisation comme passible de désordres variables à l’infini, ou bien signalés avec la qualification de hernie congéniale, que pour les considérer comme ramenés à une mesure commune, et comme compris par conséquent dans une sorte d’explication.

Nous exposerons plus bas ce que nous pensons de cette manière de voir : il nous suffit, pour le moment, de considérer ces faits sous un tout autre point de vue ; sous celui de la question que présente un aussi grand déplacement des viscères.

À juger en effet sur un premier aperçu de la confusion de ces organes, on en pourrait croire le désordre inextricable. Mais, comme nous l’avons remarqué plus haut, ce n’est point ce que nos règles nous portent à en penser. Nous devons croire à une confusion plus apparente que réelle : car que les viscères de l’abdomen et de la poitrine cessent d’être employés, comme dans l’état normal, à remplir les grandes cavités du tronc, pour devenir au contraire partie de leur dehors, ce que montre l’hypérencéphale, bien qu’il n’y ait rien à opposer à cette observation, notre confiance sera toute pour la prévision donnée par nos règles ; et nous ne craindrons pas de prononcer qu’il y a là métastase des parties, et néanmoins maintien de leurs relations respectives, manifestement et tout à la fois déplacement des organes, et fidélité au principe des connexions.

On conçoit ce qu’inspirent d’intérêt les monstruosités les plus désordonnées, si les recherches dont elles sont l’objet donnent pour résultat l’immutabilité des nouvelles règles, et l’on de s’étonnera point par conséquent du prix que nous attachons à envisager, principalement sous ce rapport, les faits suivans.

De l’ouverture du tronc.

Afin de nous appuyer sur quelque chose d’existant à l’état normal, nous allons d’abord considérer le pourtour des parties atteintes d’anomalies. Le derme environnant ne présente rien d’extraordinaire : il ne se ressent d’aucune influence pathologique, puisque chaque couche subjacente se trouve constituée par les mêmes organes qu’habituellement, c’est-à-dire par les mêmes muscles et les mêmes parties osseuses. Seulement ce qui d’un côté et de l’autre se fût rapproché et se fût uni, en devant, sur la ligne médiane, est resté écarté, et paraît comme rejeté sur les flancs. L’idée en conséquence que donne la nouvelle monstruosité sous ce rapport est celle d’une partie entière, mais entr’ouverte dans toute sa longueur. On dirait un cylindre ou un manchon fendu d’une de ses entrées à l’autre. À cela près de cette ouverture large et béante, il ne manque rien au tronc : c’est le même coffre que dans les fœtus normaux, le même exactement, mais dont la fente dans laquelle s’insère la reine ombilicale se serait propagée de haut en bas, supérieurement jusqu’à la naissance des clavicules, et inférieurement jusqu’à la symphyse des os antérieurs du bassin.

Cette large ouverture est fermée par la masse qu’y a observée M. Duchâteau, et que nous avons dite composée du cœur, du foie et des intestins. À ce spectacle inattendu, on se demande si c’est que les systèmes splanchniques auraient été refoulés du dedans en dehors. Mais, avant que nous songions à résoudre cette difficulté, nous aurons à dire ce qu’une dissection attentive de ces viscères nous porte à penser de leurs relations.

Des masses viscérales externes.

Le cœur, premièrement. Le cœur est dans une situation qui exige, pour que nous en puissions juger sainement, que nous ayons égard aux principaux troncs qui se rendent de cet organe dans les poumons. Ce sont comme autant de liens qui servent à l’enchaînement de tous les viscères pectoraux. Les poumons n’ont point changé de place ; ils continuent à rester abrités par les côtes : seul des organes contenus dans la poitrine, le cœur occupe une position extérieure. Mais toutefois dans ce déplacement, occasionné par une cause que nous apprécierons dans notre troisième paragraphe, le cœur reste engagé avec les poumons, comme il convient à ses relations, aux connexions en général, qu’il le soit. Il leur tient par de véritables racines, qui sont ses artères et ses veines pulmonaires. Fixé par ces liens dans le point où ceux-ci existent, il n’abandonne, au tirage exercé du dehors, que les autres points, que les parties libres de sa surface ; de là, la position transversale qu’il occupe. Son extrémité libre est dirigée à gauche, et son oreillette à droite. (Voyez notre planche hypérencéphale, où la fig. 1 montre ces parties ; savoir : le cœur en c et l’oreillette en o.) Le cœur n’a donc rien perdu de ses moyens ordinaires de suspension : il occupe, comme toujours, l’intervalle que les poumons laissent entre eux : du moins, il y enfonce sa base. Par d’autres racines, j’entends par les carotides primitives et l’aorte descendante, il plonge plus profondément dans le tronc. Ainsi, sans que les relations et les fonctions réciproques du cœur et des poumons aient changé, une partie de ces viscères reste logée en dedans de la cavité pectorale, et l’autre arrive en dehors et se tient sur les bords de la cavité, alors entr’ouverte, et comme pour en former le couvercle.

Dans la coupe de la masse viscérale, nous sommes parvenus à représenter les deux moitiés du cœur. (Voyez fig. 3, c′ et c″.) La cavité désignée par la lettre g correspond au ventricule aortique : c’est tout le cœur ou à peu près. Cependant, bien que le ventricule droit ait été sacrifié pour satisfaire à un plus riche développement du ventricule gauche, il resté toutefois quelques vestiges du premier, mais mon de sa propre oreillette. Le ventricule rudimentaire se voit même figure c″, lettre s. L’unique oreillette égale presque, en capacité, le ventricule de la grande circulation : et comme au moyen de ce que le cœur est, pour sa plus grande partie, libre en dehors, rien n’en contrarie le développement, comme lorsqu’il est renfermé dans le médiastin et bridé par le péricarde : sa forme, devenue celle d’un ellypsoïde, fait que l’extrémité, dite la pointe, est arrondie.

La seconde portion, f, au-dessous du cœur, fig. 1 et 3, se compose du foie ; le cordon ombilical y aboutit, et s’épanouit sur un des points de sa surface. Le sujet de la fig. 3 en donne la coupe. On aperçoit en celle-ci la section d’une partie h de la veine-porte, celle v de la vésicule du fiel, et celle q du canal cholédoque, lequel chemine comme à l’ordinaire, et se rend de la vésicule au duodénum ; celui-ci étant visible en d. Un effet général est manifeste : c’est que toute cette masse hépatique semble concentrée sur elle-même : le tissu en est beaucoup plus serré, davantage surtout vers la circonférence, où il forme écorce. Tout porte en effet l’empreinte d’une force qui aurait pesé du dehors, ou d’une coiffe qui, serrée contre son contenu, aurait opposé avec succès la résistance de ses parois à la distension de l’objet renfermé.

La troisième portion, e, est formée par l’estomac, et plus profondément par la rate. (Voyez fig. 3, la coupe de l’estomac, lettres e e, et l’espace compris par la rate r.) J’ai suivi sans difficulté, au moyen d’un stylet, toutes les issues qui vont et viennent de l’estomac : j’ai remonté de celui-ci en traversant l’œsophage jusqu’à la bouche, tout comme j’ai parcouru les intestins à leur sortie de l’estomac. La rate, engagée dans un repli de ce dernier, était facilement reconnaissable à son tissu maillé et spongieux.

Le pancréas, a, est profondément engagé dans la masse des viscères : ordinairement couché sur le devant de la colonne vertébrale, il avait en celle-ci un point d’appui qui rendait son déplacement très-difficile. C’est dans ce même lieu, au-dessous de l’estomac, au-dessus de la portion transversale du duodénum et des principaux troncs sanguins, plus appuyé sur la droite, et enveloppé comme habituellement, que nous l’avons aperçu. Notre section, passant par le-milieu de la masse viscérale, l’a épargné et l’a laissé en totalité dans la portion de droite. Nous en donnons le trait, fig. 4. Sa forme est celle d’un bonnet contourné ; sa base s’appuie sur l’estomac ; enfin son volume est considérable, et sa masse dense et d’un tissu comme charnu.

La quatrième et dernière portion, i, i, consiste dans les intestins, dont toutes les parties agglomérées constituent un groupe très-concentré. Les conduits intérieurs, eu égard à leur capacité, ne se sont en rien ressentis de cette circonstance, chaque intestin étant également distendu, et versant, comme à l’ordinaire, dans le suivant, et tous étant plus ou moins remplis par du méconium. Cette masse ayant été tranchée à son milieu, a montré tous les trous i, i, figurés aux nos 3 et 4. Enfin la dernière portion intestinale, le rectum, était détachée de cette masse, et se rendait droit à l’anus, passant au-devant et tout le long des vertèbres lombaires. Nous avons commencé par en suivre le trajet du dehors, en y insinuant un stylet par l’anus.

Notre moitié des viscères, fig. 3, se trouve augmentée de deux autres organes que ne montre point la masse entière, fig. 1. Tels sont les appareils respiratoire et urinaire : la cavité qui contient ces viscères, se trouvant par le fait presque tout entière affectée à ce service, en a d’autant plus de capacité. Pour que l’étendue de cet espace fût exprimée dans notre planche, nous en avons donné la limite, vers le fond ou en arrière, par deux lignes ponctuées parallèles, lesquelles figurent la place et la largeur de la colonne épinière.

Des viscères renfermés.

Les poumons[6] ne se ressemblaient pas quant à la forme. Le droit est triangulaire, très-aplati, un peu renflé cependant à l’entrée des conduits aériens, et composé de deux lobes, dont le petit est intégralement représenté dans notre fig. no 3. Le poumon gauche, offrant une grande et une petite scissure, est ramassé, conique au sommet, coupé en biseau à l’extrémité, et terminé par une longue portion qui forme la voûte, et qui s’étend en arrière pour recouvrir le rein, lequel suit immédiatement le poumon.

Le diaphragme. Dans la situation des choses, il devenait important de porter son attention sur le diaphragme, supposé qu’il en pût exister un avec tant de désordres. Le diaphragme ne manque non plus qu’aucun autre viscère. On l’aperçoit, étant divisé comme le sternum, descendant de celui-ci, s’étendant au-dessous des poumons et servant de coiffe à l’appareil urinaire. Ainsi, toujours à la même place, toujours interposé pour diviser le tronc en ses deux moitiés, la cavité de la poitrine et celle de l’abdomen, il sert de cloison aux organes formés et nourris par les premières subdivisions des rameaux artériels. En devant, il ne s’étend que sur les capsules surrénales ; mais en arrière il recouvre le rein lui-même : la ligne ab, fig. 5, en est la racine : le reste du diaphragme a été supprimé pour laisser voir les pièces que je vais décrire.

Les reins jouissent de plus d’aisance dans une cavité privée de ses appartenances ordinaires : aussi y sont-ils parvenus à un développement très-considérable. Chacun surpasse le cœur en volume. Pour rester persuadé que je ne me méprenais point à leur égard, j’en ai attentivement examiné le tissu ; j’en ai vu le bassinet s’ouvrir dans les uretères, et j’ai suivi le trajet de celles-ci jusque dans la vessie. Je ne pouvais me dispenser d’élever ce doute sur leur détermination, en voyant ces viscères recouverts, par le diaphragme en totalité par derrière, et dans un tiers de leur longueur en avant, se confondre par des adhérences réciproques avec le diaphragme, et fournir, par les reliefs de leur sommet, le motif des concavités de la tranche des poumons. Nos figures 3 et 5 rendent visibles l’arrivée au contact des poumons pp et des reins nn : elles montrent comment ces organes sont respectivement l’un pour l’autre, cause et effet des formes qu’ils affectent à leurs points de jonction.

Les capsules surrénales. Les reins sont, chez les jeunes sujets, surmontés par les capsules surrénales. J’ai pu croire un moment, surtout après y avoir regardé, que ces organes manquaient dans l’hypérencéphale. Mais cette hésitation momentanée n’a pas tardé à céder son influence à l’indication de nos règles. Il n’était resté, dans la cavité abdominale, chez notre monstre, d’autres viscères que ceux des systèmes urinaire et sexuel ; et nous venons de voir que les reins avaient profité de cet excès d’emplacement pour s’accroître extraordinairement. Il n’était donc pas présumable qu’un organe donné pour un rein succenturial, qui est peut-être le rein actif du fœtus, et qui est tout du moins dans une intime liaison avec les reins proprement dits, eût été supprimé : et dans l’instant qui suivit cette réflexion, l’observation du fait porta sous les yeux la réalité de ces rapports aperçus par l’esprit. Les capsules surrénales étaient sous un voile : le diaphragme qui les enveloppait étant enlevé, elles ont paru dans l’état où les montrent les lettres mm des figures 3 et 5. Il est visible qu’elles sont très-bien à leur place, et que c’est leur relief qui est embrassé par les tranches concaves qui terminent inférieurement les poumons.

Des reins et des poumons, sous le rapport de leurs formes et de leurs connexions insolites.

La figure 5, qui expose toutes ces circonstances, nous en fait connaître d’autres d’un plus haut intérêt peut-être : c’est la dissemblance des parties congénères et les relations de forme au contraire que des organes essentiellement différens ont entre eux. Le poumon droit est plat, très-large, et terminé en dehors par un contour circulaire. Le rein droit reproduit cette même forme, mais renversée, au point de ne paraître qu’un deuxième lobe à la suite du premier : ensemble ces deux viscères apparaissent, en s’ajustant exactement, comme les deux moitiés d’un même ellypsoïde. Celui-ci est très-aplati : l’ellypsoïde de gauche est au contraire renflé et tout-à-fait ovoïde : plus ramassé, il est près de moitié plus court. Ainsi, à gauche comme à droite, les reins ont une forme correspondante à celle des poumons, et vice versâ. Or ces accords existent, nonobstant l’interposition du diaphragme, qui donne aux espaces occupés séparément le caractère de cavités indépendantes. Je ne puis trop insister sur ces faits, principalement sur la différence des organes congénères. En voyant à droite un poumon autrement établi qu’à gauche, et à l’un des côtés aussi un rein autrement posé et conformé qu’à l’autre, je ne puis admettre que la forme de ces organes leur soit imprimée par une susceptibilité particulière tenant au mode de transmission ou à la nature des fluides circulatoires.

Quand on n’a encore observé certains organes que sous une forme déterminée et regardée jusqu’alors comme invariable, ce qui a lieu pour toute espèce à l’état normal, on peut à la rigueur admettre à son sujet le nisus formativus de Blumenbach, et croire qu’on explique quelque chose en recourant à cette sorte de loi vitale. Mais il devient nécessaire sans doute de prendre une autre idée des faits que nous discutons : car remarquez qu’il est question ici d’organes qui sont doubles, et que nous avons constaté que non-seulement ils affectent une forme autre que celle de l’état normal, mais que de plus ils diffèrent entre eux de congénère à congénère ; qu’ils cessent par conséquent d’être symétriques.

Cette dissemblance, dira-t-on, s’explique par les causes d’où procède la monstruosité. Mais si cette proposition est incontestable, elle est donnée d’une manière trop générale pour satisfaire complètement. Il me semble que ce défaut de symétrie pourrait se rapporter à une cause plus prochaine ; et, par exemple, à la différence des contenans, des cavités elles-mêmes. Et, dans le vrai, si cette explication est adoptée, tout se déroule de soi-même, simplement, naturellement. Le sang se distribue soit dans les poumons, soit dans les reins, et ses rameaux s’étendent jusqu’aux limites qu’imposent à leur prolongation indéfinie les parois d’une cavité préexistante.

Chaque contenant est un moule, et le sang répandu dans les reins et dans les poumons devient le fluide coulé dans le vase prototype. Ainsi s’explique la parfaite harmonie des contenans et des contenus ; ainsi nous aurions avec certitude la raison de ces concavités si bien ajustées sur les bosselures, et en général sur le relief des organes que ces concavités renferment.

Ceci s’applique également aux formes que le rein et le poumon, l’un à l’égard de l’autre, affectent à leur point de jonction. Le caractère splanchnique de l’hypérencéphale, tenant au déplacement et à l’entraînement en dehors de tout l’appareil digestif, il en est résulté un certain vide dans la cavité abdominale, et la possibilité pour le rein d’un accroissement proportionnel. Dès lors les poumons et les reins n’étant plus exposés au refoulement des organes intermédiaires, ont crû indéfiniment dans leurs cavités respectives : libres d’entraves, ils ont marché à la rencontre les uns des autres ; et, en se heurtant à leurs points de jonction, ils sont venus se confondre et se mouler, les corps les plus résistans ou les reins servant de base, et les plus celluleux ou les poumons cédant et se répandant tout autour.

Ces actions et ces réactions des contenans et des contenus, et vice versâ, sont admises en physiologie. Mais nous prouverons que le coffre, et non ses viscères, aura eu dans cette circonstance la principale part d’influence, s’il nous arrive de démontrer qu’il est une cause, indépendamment de celle du nisus formativus, suivant le sens que le célèbre Blumenbach attache à cette expression ; qu’il est, dis-je, une cause étrangère aux communes conditions des développemens organiques, au moyen de laquelle le tronc se trouve divisé longitudinalement en deux cavités inégales.

Nous présenterons cette argumentation dans notre troisième paragraphe, et nous nous bornons ici à donner comme certain, comme un fait d’observation oculaire, que ces deux cavités sont de capacités très-différentes. Les côtes ont à gauche plus d’étendue, et y forment une courbure plus régulière et plus fermée, et elles sont en même temps plus élevées de ce côté ; au contraire, plus descendues et plus comprimantes à droite. C’est au surplus le même fait, avec bien plus d’exagération chez l’hypérencéphale, le même fait que celui des difformités de poitrine chez les personnes affectées de rachitisme. Seulement les deux cavités, à droite et à gauche, sont mieux séparées par un diaphragme longitudinal, lequel se compose d’une part par le chapelet vertébral formant saillie sur le devant, et de l’autre par les viscères de la circulation et de la nutrition, à raison d’adhérences de ceux-ci avec le corps des vertèbres.

Je ne terminerai pas cet article sans observer que si la correspondance, s’étendant jusqu’au contact, des poumons et des reins, avait fait naître dans l’esprit du lecteur quelques idées défavorables à la doctrine du principe des connexions, je puis rassurer à cet égard, et faire voir qu’il n’y a vraiment aucune inquiétude à prendre de ces nouvelles conditions. Les relations des organes existent fondamentalement avec les vaisseaux qui les créent et qui les vivifient. Or cet ordre de rapports n’est en rien interverti par le fait de monstruosités, objet de ces recherches. Les reins de mon hypérencéphale ont été formés, comme ceux de tous les êtres réguliers, avec des matériaux de leurs propres artères, embranchemens inférieurs de l’aorte descendante, et de même ceux des poumons, avec des provenances des rameaux supérieurs.

Ayant abordé cette question, je n’ai donc point cherché à éluder les plus sérieuses difficultés de mon sujet. Mais comme c’en est réellement la partie critique, je recourrai à une comparaison qui puisse donner ma pensée, comme je l’ai conçue.

Soit, par exemple, vingt-quatre perles sur une seule série, et disposées comme lorsqu’elles sont enfilées pour former un collier : je leur donne les relations et les noms des lettres de l’alphabet. Il suit de cet énoncé que la perle B, je suppose, est dans une connexion nécessaire avec A et C ; le fil qui réunit ces perles est l’ordonnée de leurs rapports. Quoi que je fasse, que je rassemble cette chaîne en un monceau, que je l’établisse sinueuse ou que je la ramène à la ligne droite, je ne parviendrai jamais à priver la perle B de ses connexions avec A et C, avec la perle qui la précède et celle qui la suit ; le fil qui les enchaîne rendant leur contiguïté incommutable. Ce fait cependant n’exclut pas un arrangement qui procurerait à des perles, placées à distance, une rencontre au contact et des relations accidentelles. Ainsi, que, plaçant la chaîne sur un plan horizontal, je lui fasse décrire une courbe en rapprochant la deuxième perle de la douzième, c’est-à-dire B de L, je n’aurai apporté aucun changement dans les essentielles relations de B : car je n’aurai pu faire que B ne soit précédé de A, et qu’il ne soit suivi de C. Toutefois B, par une de ses faces libres et à raison du coude imposé à la chaîne, peut bien en outre trouver à s’appuyer sur L ; mais jamais de manière que, s’il acquiert une nouvelle relation, ce puisse être à l’exclusion de ses conditions primordiales d’existence.

Cependant qu’il y ait un nisus formativus, une tendance à formation, qui place nécessairement notre chaîne sur une seule et même ligne, nous dirons de cet état de choses, que c’en est la condition normale. Mais qu’au contraire cette tendance à produire une ligne droite vienne à être contrariée par un effort suscité du dehors, et j’entends par-là que la perle G soit tirée indéfiniment, la chaîne tombera dans un cas d’anomalie, dans cette sorte d’état irrégulier, qui, dans ses applications à l’organisation, prend le nom de monstruosité : car le résultat de ce dernier effort sera de l’établir sur deux lignes conjointes. G, placé seul en tête, sera suivi de F et de H accouplés ; ces lettres, de E et de I : viendront après DJ, CK ; puis enfin B et L.

Faisons présentement comme en géométrie, et remplaçons ces signes abstraits par des quantités réelles. B, dans notre exposition des viscères de l’hypérencéphale, représente le poumon, L le rein, et les autres lettres intermédiaires C, D, E, etc., le cœur, le foie, et toutes les autres dépendances de notre masse viscérale agglomérée en dehors. Si dans l’hypérencéphale nous voyons le poumon et le rein se confondre dans le même ellipsoïde, c’est pour les causes qui portent au contact, dans l’exemple ci-dessus, les perles B et L : il est pour cet effet une ordonnée toute puissante ; dans un cas, le fil, base essentielle de notre chaîne, et dans l’autre, les rameaux sanguins, producteurs des organes.

Ainsi nous aurons, par l’exposé ci-dessus, rendu sensible, même pour les yeux, les principes, les développemens et toutes les conséquences de notre loi des connexions. Nous eussions désiré le faire avec plus de concision et tout autant de clarté ; mais nous avouerons que nos efforts pour y réussir ont été inutiles.

Il nous reste à traiter des organes sexuels et du sternum.

Les organes sexuels offraient peu de variation : le testicule droit était descendu à l’anneau inguinal, le gland de la verge présentait une légère irrégularité ; mais en général ces faits sont sans importance pour le but que je me suis proposé, en publiant cette description. Il n’en est pas de même des considérations que fournit le sternum.

Le sternum de l’hypérencéphale n’était pas seulement bifide, mais de plus séparé en deux appareils très-écartés, en deux demi-sternums. Voyez l’un d’eux, celui de gauche, pl. V, fig. 6. Nous l’avons fait représenter en son entier, la section que nous avons faite pour le détacher des parties latérales ayant passé sur le point où les côtes vertébrales s’unissent aux côtes sternales[7]. Le sternum n’est au fond composé que d’un périoste assez épais, dont tout le bord longitudinal, par lequel il est intérieurement limité, est encore renforcé par les aponévroses des muscles pectoraux qui y ont une grande adhérence. Cependant ce bourrelet longitudinal fournit sur son flanc externe autant de branches qu’il y a de côtes vertébrales ; et chacune de ses branches, uniquement formée par le périoste, contient, entre ce qui en compose les lames, un osselet cartilagineux. Ce noyau est-il le radical des os propres du sternum, ou celui des côtes sternales ? Je reconnais qu’on peut se diviser sur ce point, bien que j’incline pour le premier de ces systèmes, sur le fondement que les os sternaux appartiennent à une époque qui précède de beaucoup celle où apparaissent les côtes sternales.

On n’est point dans le cas de cette hésitation, à l’égard de ce qui constitue les conditions essentielles de l’appareil sternal : son partage tient évidemment à la situation du cœur poussé hors du thorax et entre les deux demi-sternums. Le cœur, par ce seul fait, a contraint ces appareils à grandir sans passer par aucune série de développemens, et j’entends par cette expression, à croître sous les mêmes conditions et avec les formes des premières époques fœtales. Ainsi le fait de monstruosité que présente le sternum de l’hypérencéphale est purement accidentel. La cause en est prochaine ; car faites que le cœur rentre dans sa cavité sternale et les deux moitiés du sternum, perdant leur caractère d’individualité et renonçant à leur position latérale, iront se confondre et constituer un appareil unique pour la ligne médiane.

Telle est l’une des plus heureuses explications de l’ouvrage couronné par l’académie, ayant pour titre : Lois de l’Ostéogénie. Il n’y a en effet de subdivision possible du sternum, que si le cœur en est l’occasion, en traversant le sternum et en demeurant dehors et suspendu sur la poitrine, comme sont les croix de Jeannette au cou des paysannes. C’est un fait de cet ordre que M. Serres eut à observer dans une de nos maisons du Jardin du Roi, alors propriété particulière, rue de Seine, et qui devint l’idée-mère et la preuve la plus péremptoire de sa loi de symétrie. Bien d’autres, avant cet habile anatomiste, avait constaté ce même fait : Sénac, en 1724 ; Sandifort, soixante ans plus tard ; Heister, que cite ce dernier ; et Sténon, même avant Sénac. Mais tous n’avaient fait cas de leurs observations, que pour les signaler à titre de singularités : enfouies dans des collections académiques, ces observations n’arrivèrent à nous que comme des matériaux qui demandaient emploi. La valeur scientifique qu’elles viennent de recevoir par les soins de M. Serres m’a engagé à insister autant sur le retour du même fait, sur les deux demi-sternums de l’hypérencéphale.

Les demi-sternums ayant grandi sans participer aux diverses modifications que la succession des âges apporte dans leur structure, les côtes en ont acquis plus de volume et de solidité. Ici revient une nouvelle application de notre principe du balancement des organes : car les molécules qui eussent été nourrir le sternum, ont profité aux côtes devenues plus fortes et comme éburnées.

Enfin la clavicule l, fig. 6, dont l’ostéologie des poissons révèle plus expressément les intimes rapports avec les côtes (correspondances que les philosophes allemands, le célèbre naturaliste Oken entre autres et le premier, expriment par le mot de signification), est dans l’état normal chez l’hypérencéphale ; mais avec le même excès de volume et de solidité, qui sont les circonstances que nous avons remarquées, comme formant le caractère particulier de ce nouveau genre de monstre humain.

J’ai parcouru tout le cercle des difformités du sujet décrit dans ce Mémoire. Tel est l’ensemble d’exceptions ou d’anomalies qui constitue le caractère de monstruosité dont je forme le genre hypérencéphale ; d’ὑπὲϱ (au delà), et de ἐνχεφαλὴ (cerveau) : cerveau au delà de sa boîte.

Recherchons présentement où se trouve la force mécanique qui, entrant en lutte avec le nisus formativus, donne les causes essentielles et radicales de ce genre de monstruosité.

  1. Académie des Sciences, année 1716.
  2. Idem, année 1724.
  3. Actes de Copenhague, 1671, 1672, obs. 110.
  4. Halleri Diss. anat., tom. 2, p. 980.
  5. Bulletins de la Faculté de Médecine de Paris, années 1813 et 1815.
  6. Pour étudier utilement notre planche en ce qui concerne les poumons, il ne faut pas perdre de vue que la figure no 3 représente le poumon et le rein de la droite, bien que tout le reste du dessin soit consacré à des parties situées à gauche.

    Le no 5 donne, vu par le dos, l’ensemble des appareils respiratoire et urinaire : toute la grande partie est le côté droit, et la petite partie les appareils de gauche.

  7. J’entends par côtes sternales les branches provenant de chaque os sternal, et par côtes vertébrales les os longs et transversaux venant des vertèbres. Voyez, sur la nécessité de ce changement de nomenclature, mon article Sternum, tome 1, p. 132.