Peintures (Segalen)/Peintures dynastiques/Abdication de Han occidental

Georges Crès et Cie (p. 153-156).


ABDICATION


DE HAN OCCIDENTAL

Que voyez-vous ici de plus que deux amis, deux frères unis ? Ils se joignent par les mains. Celui de gauche, — visage laid, mince et plein de flammes, — n’est vêtu que d’étoffes communes ; mais il veille de son regard ardent sur l’autre plus beau qu’une fille de délices, dont le cou est noble et gras, le front bombé comme celui de la cigale, le sourcil lunaire et l’œil long ; et qui porte dans sa parure les dessins de la plus insigne couleur : noire. C’est T’ong-hsien, favori plein de promesses. Souriant à peine, il écoute l’ami penché sur lui et qui tendrement propose :

« Veux-tu, oh ! veux-tu que je fasse pour toi ce que Yao fit pour Chouen ! Accepterais-tu ?… Accepte… »

*

… Ce que Yao fit pour Chouen : il abdiqua. C’est bien le sens de cette peinture historique. Car celui qui parle et supplie n’offre rien moins que le trône. Il peut l’offrir : il le détient : il est l’Empereur. Quoi de plus beau d’un ami envers son ami : tout donner à celui que l’on préfère à tout !

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Mais d’où vient que les censeurs récriminent ? Est-ce par profession seulement ? Par vertu ? par dépit ? Il est vrai que le beau favori délaisse les fonctions publiques de sa charge qu’il dévolue au subalternes… C’est afin de mieux remplir des fonctions sans suppléances. Il est vrai qu’il a déjà son tombeau proche du tertre impérial… Il montre ainsi qu’il rejoindra dans la mort son amant impérial. Seul au Palais, il ne le quitte point la nuit : mieux qu’Impératrice frivole, il partage déjà tous les soucis des jours du Trône et les angoissants rêves dans la nuit de Celui que le Ciel menace.

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Se peut-il que des censeurs aient dénoncé tant d’amitié ! Se peut-il que tant d’amitié perde bientôt la dynastie ! Car déjà, à mieux regarder, le quadruple regard se trouble : visible et grandissant, l’usurpateur Wang-Mang, voleur du sceau, sabre inique coupant en deux la dynastie comme un homme au milieu du tronc, jette un effroi dans les quatre prunelles.

Et si parmi vous quelqu’un se montre curieux du moment des chroniques barbares auquel ce moment de l’Empire répond, qu’il sache que sous le règne infâme de Wang-Mang naît en Occident ce Sage dont les Romains ont fait depuis leur génie et protecteur unique, Jésus. Et c’est en son nom, désormais, que ces peuples non-tributaires supputent l’âge universel. (Ce qui les oblige parfois à compter à rebours ; à prétendre que la première dynastie, l’ancestrale maison de HSIA, remonte à « deux mille deux cent et cinq années avant l’ère ! »)

Ils posent ainsi un instant neutre au milieu du temps continu.