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PLATON.

Il semble que Locke et Clarke aient eu les clefs du monde intelligible. Locke a ouvert tous les appartements où l’on peut entrer ; mais Clarke n’a-t-il pas voulu pénétrer un peu trop au delà de l’édifice ?

Comment un philosophe tel que Samuel Clarke, après un si admirable ouvrage sur l’existence de Dieu, en a-t-il pu faire ensuite un si pitoyable sur des choses de fait ?

Comment Benoît Spinosa, qui avait autant de profondeur dans l’esprit que Samuel Clarke, après s’être élevé à la métaphysique la plus sublime, peut-il ne pas s’apercevoir qu’une intelligence suprême préside à des ouvrages visiblement arrangés avec une suprême intelligence (s’il est vrai, après tout, que ce soit là le système de Spinosa) ?

Comment Newton, le plus grand des hommes, a-t-il pu commenter l’Apocalypse, ainsi qu’on l’a déjà remarqué[1] ?

Comment Locke, après avoir si bien développé l’entendement humain, a-t-il pu dégrader son entendement dans un autre ouvrage[2] ?

Je crois voir des aigles qui, s’étant élancés dans la nue, vont se reposer sur un fumier.



POËTES[3].


Un jeune homme, au sortir du collége, délibère s’il se fera avocat, médecin, théologien, ou poëte ; s’il prendra soin de notre fortune, de notre santé, de notre âme, ou de nos plaisirs. Nous avons déjà parlé des avocats et des médecins[4] ; nous parlerons de la fortune prodigieuse que fait quelquefois un théologien.

Le théologien devenu pape a non-seulement ses valets théolo-

  1. Voyez l’article Newton et Descartes, section ii.
  2. L’ouvrage auquel Voltaire fait allusion a pour titre le Christianisme raisonnable (Londres, 1695), dans lequel le philosophe anglais discute gravement les conséquences du péché d’Adam. La manie de s’occuper de discussions théologiques prédominait à cette époque en Angleterre. Newton ne put s’y dérober, et à ses Principes de la philosophie naturelle, il fit succéder des Observations sur les prophéties de l’Écriture sainte, particulièrement sur les prophéties de Daniel et sur l’Apocalypse de saint Jean.

    L’ouvrage de Samuel Clarke, que Voltaire oppose aux Sermons sur l’existence de Dieu, est un Essai sur le baptême, la confirmation et la pénitence. (E. B.)

  3. À l’exception du premier alinéa, que j’ai trouvé pour la première fois dans les éditions de Kehl, cet article a paru dans les Nouveaux Mélanges, tome III, 1765. (B.)
  4. Voyez Avocats et Médecins.