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SECOND ALCIBIADE

Socrate. — Mais ceux qui ne savent ni l’un ni l’autre, n’est-ce point à leur insu qu’ils disent et font ce qu’il ne faut pas ?

Alcibiade. — Il le paraît.

Socrate. — C’est précisément parmi ces gens-là, Alcibiade, que je comptais Œdipe. 141Et tu en trouveras encore aujourd’hui beaucoup qui, sans être en délire comme lui, ne croient pas demander pour eux dans leurs prières des maux, mais des biens. Lui, il ne demandait pas des biens, mais il ne croyait pas non plus en demander. Il y en a d’autres à qui tout le contraire arrive. Et, j’imagine, toi tout le premier, que le dieu auprès duquel tu te rends[1] vienne à t’apparaître et te demande, avant que tu formules quelque prière, s’il te suffirait de devenir tyran d’Athènes : au cas où tu jugerais la chose insignifiante et vraiment trop peu importante, qu’il ajoute : et de toute la Grèce ; bmais s’apercevant que tu crois encore avoir trop peu, à moins d’ajouter : de toute l’Europe, qu’il te fasse également cette promesse, puis se contente alors, sur ton désir, d’y joindre celle-ci : aujourd’hui même, tout le monde saura qu’Alcibiade, fils de Clinias, est tyran, — tu t’en retournerais, j’en suis sûr, comblé de joie, comme venant d’obtenir les plus grands biens[2].

Alcibiade. — Mais, Socrate, je pense qu’il en serait de même pour n’importe qui, si pareille aubaine lui arrivait.

cSocrate. — Et pourtant, tu ne donnerais pas ta vie pour devenir maître de la terre et du pouvoir sur tous les Grecs et les barbares[3].

Alcibiade. — Non, sans doute. Car à quoi bon, si je ne devais pas en jouir ?

Socrate. — Et si tu devais en jouir mal ou de façon nuisible, tu n’accepterais pas non plus dans ce cas ?

Alcibiade. — Non plus.

  1. Cf. 138 a.
  2. Cf. Alcibiade I, 105 a et suiv. Sur le procédé d’imitation suivi par l’auteur de notre dialogue, voir la notice p. 7.
  3. On remarquera ici une différence entre le modèle et la copie. Tandis que, dans Alcibiade I, Socrate exaltait l’ambition de son disciple au point que, d’après lui, ce dernier n’accepterait pas de vivre, s’il ne pouvait remplir la terre entière de ses exploits et de son nom, ici il fait avouer au jeune homme que la vie vaut encore mieux qu’un empire. Faut-il voir, dans cette remarque, une allusion à la mort prématurée d’Alexandre, arrêté au milieu de ses conquêtes ?