Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome IV, 3 (éd. Robin).djvu/74

Cette page a été validée par deux contributeurs.
lxiv
PHÈDRE

cette raison, voudra-t-on prétendre qu’ils sont authentiquement de Socrate ? Au même titre que le discours de Lysias ou que les cinq premiers discours du Banquet, ils sont conçus et écrits par Platon en vue de l’ensemble dont ils font partie. Cet ensemble, dans le Phèdre, est fait, on l’a vu, d’une gradation de contrastes harmonisés : l’harmonie subsisterait-elle encore si l’un de ses éléments, le discours de Lysias, était extérieur à l’œuvre ? S’il n’était plus que l’occasion accidentelle du choix du thème de l’amour pour motif dominant, on enlèverait à ce thème son pouvoir vivant d’organisation, et au dialogue son unité intérieure originale (cf. p. xxviii sqq., p. lvii sqq.). — Enfin toutes les notations du prologue, où l’on croit trouver la preuve décisive que Lysias a réellement écrit et prononcé ce discours, semblent bien appartenir à un procédé littéraire qui doit produire cette illusion dramatique sans laquelle l’entretien manquerait de couleur et de vie : c’est ainsi que dans le Banquet tout est fait pour donner à croire qu’il s’agit du récit, dûment authentifié et vraiment historique, d’un banquet qui se serait réellement tenu dans la maison du poète Agathon (cf. mon édition, p. xix sq.).

En résumé, jusqu’à ce que les partisans de l’authenticité aient apporté des preuves qui ne soient pas au fond de simples opinions, on sera en droit, à ces opinions, d’en opposer d’autres qui du moins ne prétendent pas à être rien de plus, attendu que, dans l’état actuel de notre information, rien de plus ne semble permis et possible.


B. structure et contenu.

De ce qui vient d’être dit il résulte que le discours de Lysias, étant autre chose qu’un prétexte, ne peut être isolé de l’ensemble et que par conséquent il ne doit pas, ce qui arrive souvent, être sacrifié dans l’étude de cet ensemble. — Ce qu’on y remarque à première vue, c’est qu’il est une mosaïque ; que chaque fragment y est soigneusement travaillé pour lui-même ; que l’assemblage de ces fragments, loin d’être dissimulé, est au contraire nettement marqué par deux particules de liaison, dont l’une signifie un changement d’aspect dans un même motif et l’autre, le passage à un motif nouveau. Le « métier » y est donc à peu près celui que décrit Platon vers la fin du dialogue (278 de), quand il parle de ces gens qui consument leur existence à tourner et retourner leurs