Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome IV, 3 (éd. Robin).djvu/256

Cette page a été validée par deux contributeurs.
243 b
30
PHÈDRE

Phèdre. — Ah ! Socrate, c’est tout ce que tu pouvais me dire de plus agréable !

Socrate. — Cela prouve, mon bon Phèdre, que tu conçois ce qu’il y avait d’impudent dans les deux discours c prononcés, aussi bien celui-là que celui que tu as lu sur ton cahier. Supposons en effet qu’il se soit trouvé, pour nous entendre, un homme dont le caractère eût de la noblesse et de la bienveillance, et qui en aimât un autre tout pareil ou bien qui l’eût aimé auparavant ; quand nous lui parlerions de ces amoureux qui, pour de faibles motifs, s’emportent à une vigoureuse inimitié, qui à l’égard de leurs amours se conduisent en jaloux et leur sont nuisibles, comment pourrais-tu ne pas penser qu’à son jugement les propos entendus sont ceux de gens nourris parmi des matelots et qui n’ont jamais eu le spectacle d’un amour vraiment libre ? Ne s’en faudrait-il pas de beaucoup qu’il fût d’accord avec nous dans ces reproches dont nous chargeons d Amour ?

Phèdre. — C’est, par Zeus, bien possible, Socrate !

Socrate. — Eh bien ! devant cet homme-là, vois-tu, je me fais honte, et c’est d’Amour en personne que j’ai peur ; alors, j’aspire à un discours dont l’eau douce lave ce que j’appellerais l’acre salure des propos entendus[1] ! Mais à Lysias également je conseille d’écrire au plus vite sur l’obligation, toutes choses égales d’ailleurs, d’accorder ses faveurs à l’amoureux, plutôt qu’à celui qui n’aime pas.

Phèdre. — Eh bien ! sois-en sûr, c’est ainsi que ça se passera ! Du moment que tu auras prononcé l’éloge de l’amoureux, à toute force il faudra que Lysias soit par moi forcé d’écrire à son tour e un discours sur le même sujet[2].

Socrate. — Là-dessus je me fie à toi, ma parole ! aussi longtemps que tu seras qui tu es.

Phèdre. — Parle, alors, en toute assurance !

Socrate. — Où donc est passé ce jeune garçon à qui je

    suivi Pâris à Troie (cf. Rép. IX 586 c). Pour offrir au dieu qu’il a offensé sa palinodie, préventive celle-là, Socrate sera le pénitent qui proclame ouvertement sa faute ; se serait-il, s’il ne l’avait déjà sentie, voilé la tête avant son premier discours (287 a) ? Mais le vrai coupable (si ce n’est Lysias, 257 ab) est Phèdre, l’ensorceleur qui l’entraînait dans la bacchanale (234 d ; cf. 244 a).

  1. Se purifier en lavant la souillure (242 d sqq. ; cf. 257 a).
  2. C’est l’idée sophistique de compétition (Banquet, p. lxx sqq.).