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NOTICE

différentes espèces d’âmes et les différentes espèces de discours, il n’y a plus qu’à mettre en parallèle ces deux classifications. C’est le second moment : il consiste à reconnaître quels rapports de causalité lient, chacune à chacune, les espèces de ces deux séries. Voilà qui constitue une pratique véritable, car on sait alors ce qu’il faut dire à telle âme pour produire en elle telle conviction dont elle a besoin et qu’on souhaite pour elle (271 b, d-272 a, 277 c déb., 278 d fin). C’est alors seulement qu’on est, de façon authentique, un orateur ou un professeur de l’art de parler. Faute d’un tel savoir en ce qui regarde le corps, n’est-on pas incapable d’exercer ou d’enseigner la médecine ? Quand au contraire on sait cela, on sait donc aussi l’opportunité et l’inopportunité (εὐκαιρία, ἀκαιρία), soit d’appliquer tel discours, soit d’appliquer tel remède.

Son fondement.

Telles sont les trois conditions d’un usage et a un enseignement légitimes de l’art de parler. Elles sont incomparablement plus efficaces que ces trois autres conditions traditionnelles[1] dont s’accommodent les rhéteurs et qui, nécessaires sans doute, demeurent cependant indéterminées. Or ce qui fait qu’on ne s’en est pas contenté, ce qui a permis d’y substituer des conditions capables de produire à coup sûr l’effet que l’on cherche, c’est la connaissance de la dialectique ; autrement, la rhétorique n’a d’autre base qu’une aptitude aventureuse à conjecturer, à laquelle on se flatte de donner par l’exercice une sûreté qu’elle ne peut avoir[2]. Que dans cette direction

    Socrate à Calliclès dans le Gorgias, 506 c sqq., serait un échantillon de ce dernier genre de discours et nous en aurions de même un canevas dans Phédon 94 d. Au surplus le Phédon tout entier serait un très bon exemple de cette variété dans le discours : tour à tour on y trouve le plaidoyer, la confidence historique, le sermon réconfortant à l’adresse de ceux qui n’ont pas la foi, l’ « élévation », la démonstration dialectique, l’apologue, le mythe ; et, selon que Socrate parle à Simmias ou à Cébès, on sent qu’il mesure le ton sur la qualité différente de leurs âmes (Notice du Phédon, p. xvi).

  1. Cf. p. cxlvi. Voir sur ce point Paul Shorey, φύσις, μελέτη, ἐπιστήμη dans les Transactions of the American philological Association, vol. XL, 1910, p. 185-200.
  2. Cf. Gorgias 463 a (à comparer avec Phèdre 260 e et surtout avec Philèbe 55 e sq., 57 e sq., 58 a-59 c) : si la dialectique est pour